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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 19 mai 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sections 9, 18 et 31 de la partie 5 du projet de loi C-19, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 7 avril 2022 et mettant en œuvre d’autres mesures.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, et je suis un sénateur de l’Ontario et président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, à titre d’information pour tous ceux qui se joignent à nous d’un bout à l’autre du pays, j’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui. Nous avons donc la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario, la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse, la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario, la sénatrice Amina Gerba, du Québec, le sénateur Stephen Green, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Peter Harder, de l’Ontario — il est aussi vice-président du comité —, le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, le sénateur Victor Oh, de l’Ontario, le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador, le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick et le sénateur Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

[Français]

Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent.

Aujourd’hui, nous tenons une séance hybride. J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qui participent par vidéoconférence que vous êtes priés de garder votre micro éteint en tout temps, à moins d’être reconnu par le président.

Je demanderais aux sénateurs d’utiliser la fonction « lever la main » pour indiquer leur désir d’intervenir. Les sénateurs présents ici, en salle de réunion, peuvent le signaler directement à la greffière, Mme Lemay.

[Traduction]

Aujourd’hui, nous poursuivons l’étude qui a été renvoyée au comité le 4 mai. Nous étudions la teneur des éléments des sections 9, 18 et 31 de la partie 5 du projet de loi C-19, la Loi no 1 d’exécution du budget de 2022. La semaine dernière, le comité s’est penché sur la section 31. Aujourd’hui, nous examinerons les sections 9 et 18.

Pendant la première partie de la réunion, nous examinerons la section 9, qui vise le renforcement du système de recours commerciaux du Canada. Nous discuterons de la question avec plusieurs représentants du gouvernement qui comparaissent devant nous aujourd’hui. Du ministère des Finances, nous accueillons M. Scott Winter, directeur principal, Règles du commerce international et Marie-Hélène Cantin, économiste principale, Politique commerciale internationale. D’Affaires mondiales Canada, nous accueillons André Moncion, directeur adjoint, Division des recours commerciaux. Nous avons également avec nous le président du Tribunal canadien du commerce extérieur, Frédéric Seppey, qui est accompagné de deux représentants du Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur, Gillian Burnett, directrice générale et Greg Gallo, directeur des services d’enquête et économiste en chef. Enfin, de l’Agence des services frontaliers du Canada, nous accueillons Sean Borg, directeur, Intégration des politiques, planification et rendements.

Bienvenue à tous. Nous vous remercions d’être ici aujourd’hui. Si j’ai bien compris, M. Winter fera une déclaration préliminaire, et nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Monsieur Winter, vous avez la parole.

Scott Winter, directeur principal, Règles du commerce international, ministère des Finances Canada : Bonjour. Je vous remercie, monsieur le président et sénateurs, de l’invitation à comparaître aujourd’hui. Comme l’a indiqué le président, je m’appelle Scott Winter, et je suis directeur principal, Règles du commerce international au ministère des Finances. Aujourd’hui, je suis accompagné de ma collègue, Marie-Hélène Cantin, ainsi que de représentants d’Affaires mondiales Canada, de l’Agence des services frontaliers du Canada et du Tribunal canadien du commerce extérieur.

Je parlerai aujourd’hui des modifications à la Loi sur les mesures spéciales d’importation et à la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur, qui se trouvent dans la section 9 de la partie 5 du projet de loi. Comme vous le savez, ces modifications mettent en œuvre l’annonce faite dans le budget de l’intention du gouvernement de renforcer et d’améliorer l’accès au système de recours commerciaux du Canada. Le système de recours commerciaux permet l’imposition de droits antidumping et compensateurs sur les importations, afin de mieux protéger les producteurs nationaux contre les préjudices causés par des produits faisant l’objet de dumping ou de subventions déloyales, ce qui permet d’assurer des règles du jeu et des conditions de concurrence équitables pour les entreprises et les travailleurs canadiens. Le système prévoit également l’application de mesures de sauvegarde globales, afin de protéger les producteurs nationaux contre les dommages causés par les augmentations de marchandises faisant l’objet d’un commerce déloyal.

Des droits sont imposés à la suite d’enquêtes menées par l’Agence des services frontaliers du Canada, ou l’ASFC, et le Tribunal canadien du commerce extérieur, ou le TCCE. Ces enquêtes ont été menées de manière indépendante, impartiale et transparente.

Les modifications législatives proposées dans le projet de loi visent à atteindre quatre objectifs principaux. Le premier est de s’attaquer plus efficacement aux efforts déployés par les exportateurs étrangers ou les importateurs canadiens pour contourner les droits antidumping et compensateurs une fois qu’ils sont en place. Deuxièmement, les changements permettront d’offrir une meilleure protection contre les poussées potentielles ou ce que l’on appelle les « importations massives » d’importations commerciales déloyales au début d’une enquête, avant l’application des droits. La troisième série de changements permettra d’accroître l’accès des syndicats en leur donnant la possibilité de déposer des plaintes liées aux mesures de sauvegarde globales. Des changements politiques concomitants sont introduits pour leur donner les mêmes droits relatifs aux enquêtes en matière de droits antidumping et compensateurs. Les modifications législatives garantissent également une meilleure prise en compte des intérêts des travailleurs en précisant que l’évaluation par le TCCE du préjudice subi par l’industrie nationale comprend également les impacts sur les travailleurs. Enfin, les modifications proposées réduisent la charge administrative pour toutes les parties en simplifiant le processus de réexamen relatif à l’expiration des droits antidumping et compensatoires. Il s’agit du processus par lequel on détermine si les droits doivent être prolongés de cinq ans après la période d’application initiale de cinq ans.

Ces mesures ont été proposées à la suite de consultations publiques sur ces questions qui ont été menées au cours de l’été 2021. Après l’annonce du budget, les changements proposés ont reçu un fort soutien public de la part de l’Association canadienne des producteurs d’acier, du Syndicat des Métallos et d’autres fabricants. Je vous remercie.

[Français]

Le président : Merci beaucoup, monsieur Winter.

Avant de passer à la période des questions, je rappelle aux membres du comité qui participent à distance d’utiliser la fonction « lever la main » pour signaler leur désir d’être ajouté à la liste que tient notre greffière.

[Traduction]

Je tiens également à informer les membres du comité qu’ils auront au plus quatre minutes chacun pour la première série de questions, ce qui comprend les questions et les réponses. Par conséquent, je suggère aux membres du comité et à nos témoins d’aujourd’hui d’être concis, surtout en ce qui concerne les préambules. Nous pourrons toujours avoir une deuxième série de questions si nous avons le temps.

J’aimerais donc maintenant donner la parole au sénateur MacDonald.

Le sénateur MacDonald : Je ne suis pas encore prêt à prendre la parole, mais je le serai plus tard.

Le président : Je n’ai pas encore de sénateurs sur la liste des intervenants, donc si vous souhaitez manifester votre intérêt… Sénateur Harder, vous avez la parole.

Le sénateur Harder : J’ai une question. J’aimerais que les représentants nous en disent un peu plus sur l’expérience que le Canada a vécue et que cette initiative vise à corriger. Veuillez donc formuler des commentaires à cet égard. Je peux imaginer que cela a quelque chose à voir avec l’acier et d’autres importations, mais j’aimerais connaître la raison qui sous-tend tout cela. Je vous remercie.

Le président : Monsieur Winter, voulez-vous répondre à cette question ou désigner quelqu’un pour le faire?

M. Winter : Je peux répondre à la question. Je vous remercie, monsieur le président et sénateur Harder. Comme je l’ai indiqué de façon générale, les objectifs généraux du système sont de protéger les producteurs nationaux contre les dommages causés par le commerce déloyal, c’est-à-dire les marchandises faisant l’objet d’un dumping et les marchandises subventionnées. Comme vous l’avez indiqué, l’acier est un secteur très préoccupant étant donné la surcapacité mondiale qui persiste depuis la dernière décennie ou plus. En fait, la majorité des mesures qui sont en place dans le système concernent les produits d’acier importés.

Il ne s’agit donc pas d’une nouvelle préoccupation. Elle existe depuis un certain temps. Ces dernières années, nous avons pu observer un certain nombre de changements importants sur les marchés mondiaux, ce qui a exacerbé certaines de ces préoccupations. En 2017-2018, par exemple, il y a eu les tarifs imposés par les États-Unis au titre de l’article 232 sous le prétexte de la sécurité nationale et les perturbations que cela a provoquées sur les marchés mondiaux. Depuis, la COVID-19 a également causé des perturbations sur le marché et, plus récemment, l’invasion de l’Ukraine par la Russie.

Au cours de ces années, le gouvernement a pris un certain nombre de mesures pour renforcer le système et fournir plus de ressources pour l’application du système existant, et ces modifications s’appuient sur ces changements précédents, afin de faire face à l’incertitude qui continue de prévaloir sur les marchés.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui dans le cadre de votre travail sur un certain nombre d’éléments liés à cette question.

Aujourd’hui, ma question est liée aux affaires et aux arriérés de dossiers et concerne les affaires qui se trouveront devant le Tribunal canadien du commerce extérieur à la suite de ces changements. Par exemple, ces dispositions permettront aux syndicats de déposer des plaintes relatives aux recours commerciaux indépendamment de leur employeur. Même si je me réjouis de ce changement, pouvez-vous prévoir qu’il entraînera possiblement une série de nouvelles affaires devant le Tribunal canadien du commerce extérieur? Si c’est le cas, est-ce que des ressources supplémentaires seront allouées pour s’assurer qu’un arriéré ne soit pas créé ou que l’arriéré existant ne s’aggrave pas?

Le président : Encore une fois, monsieur Winter, vous pouvez répondre ou désigner tout autre représentant pour répondre à la question.

M. Winter : Je vous remercie, monsieur le président. Je remercie également la sénatrice de sa question.

Comme vous l’avez indiqué, le fait de donner aux syndicats le droit de déposer des plaintes élargit effectivement l’accès au système et peut entraîner un plus grand nombre d’enquêtes et de pressions opérationnelles pour l’ASFC et le TCCE. Il convient toutefois d’apporter une précision importante, à savoir que le droit de déposer une plainte est proposé et que les syndicats sont en mesure de le faire de leur propre chef, mais pour que l’enquête soit effectivement lancée, il faut tout de même obtenir une évaluation du soutien de l’industrie nationale. Ce processus continue donc de dépendre du soutien des producteurs nationaux.

Je pense que dans la pratique, lorsque les syndicats déposeront une plainte, ils le feront en coopération avec l’industrie nationale ou en représentant cette industrie. Cela dit, il est certainement possible que le nombre d’affaires augmente. Nous en sommes conscients et nous continuerons d’évaluer la situation en collaboration avec l’ASFC et le TCCE au fil de la mise en œuvre de ces changements.

La sénatrice M. Deacon : Pourquoi un syndicat aurait-il besoin de se substituer à son employeur? Je soupçonne que dans des cas comme celui-ci, ce qui est mauvais pour le travailleur est également mauvais pour l’employeur, étant donné qu’on parle de dumping et de concurrence. L’un d’entre vous pourrait-il également faire des commentaires sur ce sujet?

M. Winter : La pratique que vous avez décrite est probablement celle qui se produira. Cela viendra. La présentation de cas sert à la fois les intérêts des syndicats et des producteurs nationaux. En effet, ils essaient tous les deux de prévenir les préjudices causés à la production nationale au Canada par le commerce déloyal.

Cela dit, ce résultat découle des propositions des syndicats canadiens. Ils estiment que c’est important pour l’accès à la justice et pour l’équité. En effet, les résultats nous permettent de nous aligner sur les systèmes des États-Unis, de l’Union européenne et de certains de nos autres partenaires aux vues similaires.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.

Le président : Merci, sénatrice. Voulez-vous avoir une deuxième série de questions?

La sénatrice M. Deacon : Non, mais je veux remercier le sénateur Harder d’avoir posé l’autre question que je voulais poser. Je vous remercie.

Le sénateur Woo : J’aimerais remercier les témoins. On se concentre sur les droits antidumping et compensateurs afin de protéger les producteurs et, maintenant, de tenir compte des intérêts des travailleurs dans ces industries.

Pouvez-vous nous dire dans quelle mesure vous tenez également compte non seulement des intérêts des consommateurs, mais aussi des intérêts des importateurs de biens intermédiaires, pour lesquels ces importations sont essentielles dans le cadre de la chaîne de valeur et de la production de produits finis au Canada qui sont possiblement exportés ou consommés au pays?

Comment les intérêts de l’ensemble des consommateurs et des importateurs de biens intermédiaires sont-ils pris en compte dans ces mesures fondamentalement protectionnistes?

Le président : Monsieur Winter, je m’adresse à vous, mais vous n’êtes pas obligé d’être toujours celui qui répond. Si vous souhaitez désigner quelqu’un d’autre, il y a de nombreux témoins aujourd’hui, alors n’hésitez pas à le faire.

M. Winter : Je pense que je peux parler du volet politique en réponse à cette question. Une distinction importante à faire en ce qui concerne les recours commerciaux et le rôle du ministère des Finances, ainsi que le rôle de la ministre des Finances dans les recours commerciaux, c’est que nous établissons la politique et le cadre législatif pour ces mesures et nous évaluons tous les intérêts en jeu. J’en parlerai sous peu.

Le rôle de l’ASFC et du TCCE qui consiste à évaluer, dans le contexte d’un cas particulier, si les facteurs établis par la loi ont été respectés, comme je l’ai mentionné au début, se fait de manière indépendante. Certains des facteurs que vous avez mentionnés au sujet des impacts sur les consommateurs et autres sont évalués sur le fondement de ce qui est prévu dans la loi.

Lorsqu’il s’agit des politiques, nous sommes conscients de la nécessité d’avoir un système équilibré au Canada. Lorsque nous évaluons ces propositions, nous tenons compte de l’intention sous-jacente de la loi, qui est de protéger les producteurs nationaux. Toutefois, nous voulons nous assurer d’atteindre un juste équilibre entre garantir l’accès à l’approvisionnement pour les fabricants de produits intermédiaires, comme vous l’avez dit, et éviter d’outrepasser inutilement nos limites pour protéger le marché contre le commerce déloyal. Nous tenons compte des considérations de l’OMC dans ce contexte. Nous tenons également compte des réactions de nos partenaires commerciaux et des intervenants nationaux.

L’été dernier, nous avons mené des consultations publiques sur ces mesures pour cette raison précise, et nous avons entendu les points de vue de toute une série d’intervenants dans l’ensemble de l’économie. Nous avons aussi entendu des fabricants, des groupes de consommateurs et des fabricants de produits intermédiaires. Toutes ces considérations ont été prises en compte dans les conseils formulés à la ministre et elles sont reflétées dans ces résultats finaux.

Le président : Sénateur Woo, vous avez une minute pour poser une question de suivi.

Le sénateur Woo : Affirmer que le commerce est inéquitable ne signifie pas qu’il est inéquitable, de la même façon qu’affirmer que le commerce est équitable ne signifie pas qu’il est équitable. C’est une question d’observation empirique. Je pense que nous devrions toujours résister aux mesures protectionnistes ou à tendance protectionniste.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie, monsieur Winter. Pourriez-vous nous dire comment ces mesures se comparent à ce qui se passe dans d’autres pays, en particulier chez certains de nos principaux partenaires commerciaux?

Le président : Monsieur Winter, vous êtes la personne-ressource. Toutefois, comme je l’ai déjà dit, si vous souhaitez que d’autres personnes interviennent, vous n’avez qu’à le dire.

M. Winter : Je vous remercie beaucoup, monsieur le président. Je remercie également le sénateur de sa question.

Ces mesures rapprochent notre système de celui de nos principaux partenaires commerciaux, notamment les États-Unis. C’est important dans le contexte de notre économie de fabrication, compte tenu des liens étroits qui existent entre les chaînes d’approvisionnement. Pour donner quelques exemples, les changements que nous proposons en ce qui concerne les importations massives sont semblables au processus qui en place aux États-Unis, c’est-à-dire que les changements sur les dispositions anticontournement visent à s’aligner sur certains éléments du cadre américain et les changements visant les syndicats, comme je l’ai mentionné, sont semblables aux mesures en vigueur dans l’Union européenne et aux États-Unis.

Le sénateur Ravalia : Étant donné les problèmes majeurs avec les chaînes d’approvisionnement liés à la COVID, surtout, par exemple, en matière de véhicules motorisés et d’autres industries de haute technologie, pense-t-on qu’il soit possible qu’il y ait une sorte de phénomène de dumping une fois les chaînes d’approvisionnement restaurées et les portes et les routes commerciales ouvertes? Si oui, disposons-nous de contre-mesures?

M. Winter : Il est difficile de spéculer. De toute évidence, les marchés mondiaux sont perturbés à l’heure actuelle. La capacité maximale a été dépassée dans certains secteurs clés, et je pense que certains craignent que les importations arrivent sur le marché avant les biens produits au pays si certains problèmes de chaîne d’approvisionnement sont normalisés.

Cela dit, le processus demeure axé sur les plaintes des producteurs nationaux et repose sur une évaluation empirique pour déterminer si les conditions prévues par la loi sont respectées. Nous ne prévoyons pas établir un cadre pour imposer des droits. Le gouvernement ne fera pas une telle chose de son propre chef.

Les producteurs nationaux doivent porter plainte auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada — l’ASFC — et du Tribunal canadien du commerce extérieur — le TCCE —, qui évaluent ensuite s’il y a eu dumping ou subventionnement, et, par la suite, si cela porte préjudice à l’industrie nationale. Il s’agit de mettre en place un cadre pour se prémunir contre des problèmes potentiels à l’avenir.

Le président : Merci, monsieur Winter.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie d’être ici. Comment l’Agence des services frontaliers du Canada et le Tribunal canadien du commerce extérieur enquêtent-ils sur le dumping ou le subventionnement d’importations? Je pense au côté pratico-pratique. Comment les enquêtes leur permettent-elles de déterminer si ces pratiques ont porté préjudice aux producteurs canadiens?

Le président : Pardonnez-moi, monsieur Winter, mais j’ai l’impression que cette question pourrait s’adresser à M. Borg, n’est-ce pas?

M. Winter : Je vais m’en remettre à M. Borg et aux représentants du Tribunal canadien du commerce extérieur, bref à quiconque aimerait exprimer son point de vue sur l’évaluation des préjudices.

Sean Borg, directeur, Intégration des politiques, planification et rendements, Agence des services frontaliers du Canada : Je vous remercie de la question et de l’invitation à la réunion d’aujourd’hui.

Pour faire simple, comme l’a dit M. Winter, le processus commence lorsqu’il y a une plainte de l’industrie avec des allégations de dumping ou de subventionnement. Lorsqu’on porte plainte, il faut fournir suffisamment de renseignements et de preuves pour étayer la plainte. Nous faisons ensuite enquête par le biais de questionnaires, d’entrevues et de vérifications sur place des livres afin de déterminer si la réclamation est exacte. Enfin, nous rendons une décision une fois notre enquête terminée.

Je vais m’en remettre aux représentants du TCCE pour ce qui est des préjudices.

Frédéric Seppey, président, Tribunal canadien du commerce extérieur : Merci beaucoup. Je suis le président du Tribunal canadien du commerce extérieur. Pour poursuivre dans la même veine que M. Borg, une fois que l’ASFC a rendu sa décision, il revient au TCCE d’évaluer si le dumping ou le subventionnement de biens importés a porté préjudice à l’industrie nationale. Pour ce faire, nous recueillons des renseignements de l’industrie par l’entremise d’un questionnaire que nous envoyons. Le Secrétariat du TCCE produit un rapport d’enquête, puis nous menons des audiences pour entendre la preuve présentée par les deux parties, soit celle qui est en faveur des mesures anti-dumping ou anti-subventionnement ou des contre-mesures, et celle qui s’y oppose. Pour revenir à ce que disait le sénateur Woo, cela peut inclure les importateurs, les producteurs de biens intermédiaires et les consommateurs.

C’est dans ce contexte que nous entendons la preuve lors des audiences, qui servent à échanger de l’information et à écouter des témoins. Pour ce type d’enjeu, le panel est composé de trois membres. Le tribunal évalue la situation en fonction des facteurs de préjudice inscrits dans la Loi sur les mesures spéciales d’importation et dans les règlements connexes. Nous devons évaluer et prendre en compte une liste détaillée de facteurs de préjudice afin de rendre notre décision.

Si nous concluons qu’il y a eu préjudice, cela confirme que la décision rendue par l’ASFC mènera à des droits antidumping ou à des droits compensateurs. Si, au contraire, nous déterminons que le préjudice n’a pas été prouvé ou qu’il n’y a pas eu préjudice, alors aucun droit ne sera imposé ou renouvelé dans le contexte du renouvellement de mesures.

Voilà essentiellement comment nous procédons une fois que l’ASFC a rendu sa décision.

Le président : Merci, messieurs Seppey et Borg.

Le sénateur Oh : J’aimerais remercier nos témoins. Ma question porte aussi sur les mesures antidumping. La section 9 de la partie 5 modifie la Loi sur les mesures spéciales d’importation afin que les réexamens relatifs à l’expiration des ordonnances et des conclusions en matière de droits compensateurs puissent avoir lieu sans qu’il soit nécessaire d’émettre un avis d’expiration au préalable. Quels sont les points positifs et négatifs de cet amendement?

M. Winter : Je vous remercie de la question, sénateur. Je vais mettre les choses en contexte pour vous expliquer le processus. Comme vous l’avez dit, les changements proposés feraient en sorte qu’un réexamen relatif à l’expiration des ordonnances et des conclusions pourrait toujours avoir lieu sans que le TCCE n’émette un avis d’expiration au préalable.

Le TCCE émet présentement cet avis, qu’on appelle avis d’expiration, aux parties concernées afin d’évaluer le soutien à la conduite d’un réexamen relatif à l’expiration subséquent. Le TCCE procède à un examen pour déterminer s’il y a lieu de mener un réexamen. La plupart du temps, le réexamen relatif à l’expiration va de l’avant. Le but de ces amendements est d’éliminer cette étape et de réduire le fardeau administratif pour toutes les parties. De plus, le TCCE aura le pouvoir de mettre fin au réexamen relatif à l’expiration s’il est déterminé ultérieurement que les producteurs nationaux n’ont pas envie de poursuivre l’affaire.

Essentiellement, l’idée est de réduire le fardeau administratif. Cette initiative a généré un fort soutien lors des consultations, non seulement de la part des producteurs canadiens, mais aussi des importateurs et d’autres participants au processus.

Le sénateur Oh : Comment recueillez-vous de l’information sur ce qui est considéré comme de l’antidumping? D’où provient-elle principalement?

M. Winter : Je vais m’en remettre à l’ASFC ou au TCCE pour répondre à cette question. Je ne sais pas si vous posez la question dans le contexte des réexamens relatifs à l’expiration, dont vous avez parlé, ou dans un contexte plus général.

Le sénateur Oh : Je parlais de la situation en général.

M. Winter : Je vais vous donner une réponse générale, puis je céderai la parole à mes collègues. Lorsque les producteurs croient qu’il y a recours au dumping ou au subventionnement, ils portent plainte à l’ASFC, ce qui déclenche le processus d’enquête. Pour qu’une enquête soit déclenchée, ils doivent fournir de la preuve pour un certain nombre de facteurs établis. Il revient ensuite à l’ASFC et au TCCE de valider l’information grâce à leur processus respectif.

Je ne sais pas si mes collègues souhaitent ajouter quelque chose.

M. Seppey : M. Borg pourrait peut-être commencer, puisque l’ASFC intervient en premier dans le processus, et M. Gallo pourrait ensuite lui succéder.

M. Borg : M. Winter a bien résumé la situation. La majorité de l’information recueillie provient des parties impliquées dans l’enquête. Tout d’abord, les producteurs portent plainte pour des allégations de dumping ou de subventionnement. Cette plainte est accompagnée d’une grande quantité de données qualitatives et quantitatives qui seront analysées par nos experts. Par la suite, nous contactons les parties impliquées pour recevoir de l’information semblable afin de pouvoir rendre une décision sur la plainte. L’information est envoyée par des intervenants du marché. J’espère que cela répond à votre question, sénateur.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci.

Greg Gallo, directeur des services d’enquête et économiste en chef, Secrétariat du Tribunal canadien du commerce extérieur : Je vous remercie de la question, sénateur.

J’aimerais ajouter quelque chose brièvement. Notre processus est similaire. Nous recueillons des données par l’entremise de questionnaires envoyés aux intervenants, aux producteurs nationaux et étrangers, ainsi qu’aux importateurs et aux acheteurs. Nous recevons aussi des soumissions des parties, des déclarations de témoins, des demandes d’information et des témoignages provenant d’audiences, qui sont tous pris en compte par les membres du panel du TCCE lorsque vient le temps de rendre leur décision.

[Français]

La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. Winter.

L’année dernière, le ministère des Finances a réalisé une consultation sur les mesures visant à renforcer le système de recours commerciaux, et ce, afin de le rendre plus accessible aux entreprises, en particulier aux PME. L’un des enseignements de cette étude était qu’il fallait améliorer l’accès des petites et moyennes entreprises au système de recours commerciaux.

En tant qu’entrepreneure, je sais à quel point le fardeau administratif peut être très lourd. Quelles dispositions prévues dans la présente loi simplifieront l’accès à ce système pour les petites et moyennes entreprises?

[Traduction]

M. Winter : Je vous remercie de la question. Vous avez souligné à juste titre que les consultations de l’été dernier comprenaient une proposition visant à créer un groupe conseil en matière de recours commerciaux au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada afin d’aider les entreprises à naviguer dans le système de recours commerciaux — surtout les PME —, étant donné la complexité et le coût inhérents à la participation à ces procédures.

En plus des modifications législatives abordées aujourd’hui, le budget prévoit un financement dédié à l’ASFC pour créer ce groupe, qui, comme je l’ai dit, aidera les parties concernées — surtout les PME — à se retrouver dans le système et à se préparer pour porter plainte, ou envoyer une soumission ou d’autres types de documents. Cette question n’est pas abordée dans le cadre du dossier législatif, car il n’est pas nécessaire d’apporter des changements sur le plan législatif pour mettre en place une telle chose.

[Français]

La sénatrice Gerba : Puis-je poser une autre question?

Le président : Certainement.

La sénatrice Gerba : Avez-vous recensé quelques difficultés auxquelles se heurtent les petites et moyennes entreprises lorsqu’elles souhaitent utiliser le système de recours commerciaux?

[Traduction]

M. Winter : De façon générale, je dirais que le système est complexe, coûteux et nécessite une représentation légale pour les plaintes, ce qui, dans certains cas, comme vous pouvez l’imaginer, rend la vie plus difficile aux petites et moyennes entreprises.

Cela dit, nous avons vu l’année dernière un certain nombre de nouveaux cas provenant d’utilisateurs non traditionnels du système, notamment des PME. Nous avons espoir que ce groupe, annoncé dans le budget, permettra de mieux faire connaître le système et d’aider les entreprises à l’utiliser davantage.

Ma collègue, Mme Cantin, veut peut-être ajouter quelque chose.

[Français]

Marie-Hélène Cantin, économiste principale, Politique commerciale internationale : Je pense que M. Winter a bien résumé les principaux problèmes auxquels font face les PME. Formuler des plaintes, entre autres, est un obstacle pour les PME. La nouvelle unité que l’on veut créer aiderait les PME à formuler des plaintes, à rassembler toutes les données qui sont nécessaires, toute l’information nécessaire pour les plaintes antidumping et sur les droits compensateurs.

De plus, les PME importatrices peuvent parfois être assujetties à des droits antidumping et compensateurs sur leurs importations. L’unité sera là pour les aider à mieux comprendre le système et les raisons pour lesquelles des droits s’appliquent sur leurs importations, mais aussi pour savoir s’il y a des recours possibles; parfois, il peut y avoir des exclusions de produits sous certaines conditions, donc l’unité pourra les aider à comprendre les recours à leur disposition.

Nous avons mené un processus de consultation, comme vous l’avez mentionné, et les principales difficultés que les PME ont mentionnées avaient trait à la capacité de formuler des plaintes et de parcourir tout le processus des droits antidumping et compensateurs, qui est long et complexe. Il y a aussi des importateurs qui sont assujettis à des droits, mais qui ne comprennent pas toujours pourquoi ces droits s’appliquent et quels sont leurs recours. L’unité que nous voulons créer répond directement à ces préoccupations.

Le sénateur Boehm : Merci, madame Cantin, pour vos réponses.

[Traduction]

J’aimerais remercier nos témoins de leur témoignage. Vous avez enrichi notre étude.

Chers collègues, nous allons maintenant passer au deuxième groupe de témoins afin de traiter de la section 18 de la partie 5 du projet de loi C-19, qui porte sur la station lunaire civile Gateway.

En décembre 2019, le Canada a signé un traité avec les États-Unis pour participer à la mission de la petite station spatiale qui sera en orbite autour de la lune. Il est nécessaire d’adopter une loi pour que le Canada respecte ses obligations juridiques en vertu du traité.

Afin d’en discuter, nous accueillons Jason Wood, directeur exécutif de la politique sur l’exploration spatiale de l’Agence spatiale canadienne, et Erin Cassidy, avocate de la Section de la politique en matière de droit pénal du ministère de la Justice.

J’ai cru comprendre que M. Wood va livrer des remarques liminaires au nom de nos deux témoins. Allez-y, je vous prie, monsieur Wood. Vous avez la parole.

Jason Wood, directeur exécutif, Politique sur l’exploration spatiale, Agence spatiale canadienne : Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui.

En ce qui concerne la section 18 de la partie 5 du projet de loi C-19, tel que l’a dit le président, le Canada a signé un traité avec les États-Unis en décembre 2019 pour participer à la mission de la petite station lunaire civile Gateway, qui sera en orbite autour de la lune. Dans le cadre de ce partenariat, le Canada fournira entre autres le Canadarm3, un système robotique intelligent de pointe.

La station lunaire civile Gateway représente la prochaine phase de l’exploration spatiale, et ce traité garantit un certain nombre d’avantages pour les Canadiens, notamment concernant notre capacité à développer des technologies novatrices et à mener des activités scientifiques d’avant-garde. De plus, il prévoit également des vols pour deux astronautes canadiens sur la lune, dont la mission historique d’Artemis II avec les États-Unis, qui est la première mission humaine sur la lune depuis 1972.

Il est nécessaire d’adopter une loi pour que le Canada respecte ses obligations juridiques en vertu du traité. La section 18 de la partie 5 établirait la Loi de mise en œuvre de l’Accord sur la station lunaire civile Gateway afin de protéger les informations confidentielles échangées dans le cadre du traité. De plus, cette section modifierait aussi le Code criminel afin de permettre des poursuites canadiennes pour tout fait commis au cours d’un vol spatial lié à la station lunaire civile Gateway qui constituerait un acte criminel s’il était commis au Canada.

Il permettrait également d’engager des poursuites au Canada pour d’autres types de faits, notamment ceux commis au cours d’un vol spatial sur la station lunaire civile Gateway ou en lien avec cette dernière, s’ils constituent un acte criminel, représentent une menace envers les membres d’équipage canadiens, ou ont des effets ou causent des dommages à des éléments de vol canadiens.

Enfin, la section modifierait également la Loi sur l’indemnisation des agents de l’État afin de mettre en œuvre la renonciation mutuelle à tout recours en matière de responsabilité contenue dans le traité.

Merci, monsieur le président.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Wood. Nous allons passer directement aux questions.

Le sénateur MacDonald : J’ai grandi avec les programmes Apollo et Gemini et l’exploration spatiale m’a toujours fasciné. Je trouve cela très intéressant que la section 18 soit incluse dans la Loi d’exécution du budget.

Selon les dispositions, la section 18 étendrait essentiellement le droit canadien à l’espace; ainsi, tout ce qui est illégal au Canada serait considéré comme tel à bord des vaisseaux spatiaux se rendant à la station lunaire Gateway, sur la station elle-même ou sur la surface de la lune.

En 1998, les parties impliquées dans la Station spatiale internationale ont signé un accord leur conférant une compétence en matière pénale sur leurs propres citoyens au-delà de la station spatiale. Est-ce exact de penser que nous sommes dans une sorte de limbes juridiques à ce sujet depuis les 24 dernières années? Si c’est le cas, pourquoi intégrer cet enjeu subitement dans la Loi d’exécution du budget?

M. Wood : Je vais répondre à la question concernant les liens avec les traités mentionnés, dont celui sur la station lunaire Gateway. Je m’en remettrai à ma collègue du ministère de la Justice s’il y a lieu de soulever des points reliés à la politique en matière de droit pénal.

Le Canada a des obligations juridiques en vertu de traités négociés sous les auspices des Nations Unies en ce qui concerne le maintien des compétences et du contrôle de nos éléments dans l’espace. Nous avons des obligations, que nous tenions compte des ententes de la Station spatiale internationale ou de la station lunaire Gateway ou non. Dans le cas de la Station spatiale internationale, nous avons installé des éléments canadiens précis dans l’espace, et la compétence en matière pénale a donc été élargie pour couvrir ces activités, ces éléments et l’équipage.

Nous adoptons simplement la même approche dans ce cas-ci. Notre compétence s’élargit pour couvrir nos activités, qui auront maintenant lieu sur la station lunaire Gateway et à proximité de la lune. Dans le cadre du traité sur la station lunaire Gateway, nous nous sommes engagés à maintenir notre compétence et notre contrôle sur les divers éléments ainsi que sur l’équipage. Voilà pourquoi nous apportons des changements au Code criminel pour élargir notre compétence afin de comprendre ces éléments. Je vais maintenant céder la parole à ma collègue.

Erin Cassidy, avocate, Section de la politique en matière de droit pénal, ministère de la Justice Canada : Merci.

Je tiens à préciser que le Canada a instauré des dispositions dans le Code criminel en ce qui concerne la Station spatiale internationale en 1999. Tel que l’a dit mon collègue de l’Agence spatiale canadienne, les modifications proposées à l’heure actuelle visent simplement à inclure l’initiative de la station lunaire Gateway dans les dispositions existantes.

J’espère que cela clarifie les choses. Merci.

Le sénateur MacDonald : J’aimerais simplement dire qu’à mon avis, bon nombre de Canadiens considéreraient cette priorité comme étant bureaucratique, puisqu’elle n’aborde pas réellement les défis auxquels ils font face. Selon ce que je comprends, quatre astronautes font partie du programme spatial à l’heure actuelle et ils ne devraient pas commettre de crime... du moins, je l’espère.

Je comprends que le lancement de la station lunaire Gateway ne se fera pas avant 2024; est-ce exact?

M. Wood : Les dispositions ne s’appliqueraient pas uniquement aux astronautes canadiens; elles permettraient au Canada de poursuivre les personnes qui commettraient des gestes contre ces astronautes.

En ce qui a trait à la station lunaire, elle sera lancée progressivement en composantes et assemblée dans l’espace. Le système Canadarm3 devrait être lancé en 2027, mais les composantes premières devraient être lancées en 2024.

La sénatrice M. Deacon : Nous vous remercions de votre présence avec nous aujourd’hui.

C’est une surprise pour nous de parler de l’espace en comité. Nous n’avons pas beaucoup d’occasions de parler de la station lunaire Gateway. Ma question sera peut-être un peu longue — j’espère que vous serez indulgents —, mais je ne savais pas que nous allions discuter du droit spatial en comité.

Nous avons signé le traité sur la station lunaire Gateway en vue d’aller jusqu’à la Lune et je me demande s’il vise à protéger la Lune à titre de patrimoine humain. Il n’y a aucun autre objet qui est demeuré intact dans l’histoire de l’humanité et bien que nous ayons un accord unique au monde, est-ce que quelque chose nous empêche de la fractionner, de l’exploiter ou d’en modifier les caractéristiques de manière à la gâcher pour les prochaines générations?

Nous savons ce que nous avons fait à la Terre en l’espace de quelques décennies seulement. Y a-t-il des accords qui nos empêchent de faire la même chose à un autre satellite?

M. Wood : Je vous remercie pour votre question.

J’aimerais faire valoir quelques points. Le premier vise le traité sur la station lunaire Gateway en soi, et les protections planétaires biologiques. Le traité compte un article qui porte sur ce sujet. Il y a le Comité pour la recherche spatiale, qui a élaboré une politique en matière de protection planétaire, signée par le Canada, les États-Unis et les autres partenaires de la station lunaire Gateway, et qui vise la protection planétaire biologique de façon particulière.

Ce sont les engagements de toutes les parties dans le cadre d’un partenariat pour la mise en œuvre de ces lignes directrices pour protéger la surface lunaire et tout autre élément de l’espace que nous pourrions rencontrer dans le cadre des activités de la station lunaire Gateway.

J’aimerais aussi dire que la station lunaire Gateway fait partie d’un plus grand projet mené par les États-Unis : le programme Artemis. Nous avons eu le programme Apollo dans les années 1960 et 1970. C’est maintenant le programme Artemis, qui comprend un document que l’on appelle les accords Artemis. Le Canada est l’un des premiers signataires de ces accords. Il s’agit d’une entente non contraignante qui vise divers éléments, notamment la préservation du patrimoine de l’espace extra-atmosphérique. Nous sommes donc tenus de respecter des principes et des lignes directrices sur la protection de ce patrimoine.

Le traité sur la station lunaire Gateway en soi compte des éléments de protection biologique et nous avons convenu de respecter les principes de préservation du patrimoine de l’espace extra-atmosphérique. Ce sont des lignes directrices non contraignantes, mais elles existent et elles reflètent l’engagement des partenaires.

La sénatrice M. Deacon : Pour faire suite à cela et à ce qu’a dit le sénateur MacDonald, nous avons un traité sur l’espace extra-atmosphérique qui date de 1965 : il a 55 ans. Y a-t-il eu des discussions au sujet du traité et du langage qui y est utilisé? Est-ce qu’il devra être examiné?

M. Wood : D’autres traités ont été négociés au cours de la même période, comme la Convention sur l’immatriculation des objets lancés dans l’espace extra-atmosphérique et la Convention sur la responsabilité internationale pour les dommages causés par des objets spatiaux. Ils sont toujours en vigueur. Les exigences relatives au maintien de la compétence et du contrôle dont j’ai parlé plus tôt émanent de ces traités.

Le Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique de l’Organisation des Nations unies tient des discussions au sujet des règles appropriées dans l’espace, étant donné les activités dont nous sommes témoins, notamment un nombre accru de joueurs, tant gouvernementaux que commerciaux.

En tant que membre de ce comité des Nations unies, le Canada a participé à la négociation des lignes directrices sur la durabilité à long terme. Ce sont des lignes directrices et elles ne sont donc pas contraignantes, mais nous croyons qu’en association avec les accords Artemis, il s’agit de premiers pas pour la codification de ces obligations en des exigences exécutoires.

Le traité sur la station lunaire Gateway en soi est contraignant pour les parties, et nous avons commencé à intégrer certains de ces éléments dans les exigences exécutoires. À l’avenir, les traités pourraient être négociés sous les auspices des Nations unies en matière d’espace. C’est un processus à long terme, mais auquel le Canada continue de participer à titre de membre du Comité des utilisations pacifiques de l’espace extra-atmosphérique de l’Organisation des Nations unies.

La sénatrice Coyle : Merci, monsieur Wood et madame Cassidy, pour votre présence avec nous aujourd’hui.

Monsieur Wood, vous avez parlé des technologies novatrices et des recherches avant-gardistes. Pourriez-vous nous donner une idée de la nature des recherches avant-gardistes qui devraient être réalisées et des technologies qui sont envisagées?

J’aurai ensuite d’autres questions à vous poser.

M. Wood : Rapidement, en ce qui a trait aux volets scientifiques et technologiques associés à ce partenariat, la construction de la station spatiale Gateway autour de la Lune nous permet de mieux comprendre les effets possibles de la radiation cosmique et des tempêtes solaires sur la santé des astronautes qui vivent et travaillent en dehors du champ magnétique protecteur de la Terre. Elle nous donne accès à la surface lunaire afin de réaliser des activités scientifiques de pointe. C’est un environnement unique permettant des démonstrations technologiques de même que l’observation des étoiles, du Soleil et de la Terre.

C’est une version courte de ma réponse, je dirais.

La sénatrice Coyle : Merci.

J’aimerais vous poser deux autres questions, rapidement, à titre de suivi. Est-ce qu’il y a un intérêt de la part du secteur privé canadien à cette étape-ci de l’initiative? Est-ce que les universités canadiennes y participent?

Ensuite, quelle est la durée de vie de ce projet, s’il y a lieu?

M. Wood : Je vous remercie pour votre question.

En ce qui a trait à la participation commerciale au projet, le Canadarm3 sera élaboré et produit par le secteur privé. Le contrat a déjà été octroyé. La société choisie travaillera avec une chaîne d’approvisionnement qui compte d’autres entreprises du Canada.

L’intérêt du secteur privé dans le développement de la station en soi est bien présent. Le secteur privé générera environ 600 emplois et contribuera au PIB du Canada à hauteur de 70 millions de dollars par année. Voilà pour le volet commercial du projet.

Les scientifiques canadiens, par l’entremise des universités, des établissements de recherche ou autres, ont certainement l’occasion de participer au projet. Le programme scientifique associé à la station lunaire Gateway est en cours d’élaboration, alors je ne peux vous fournir de détails sur les participants. Étant donné notre expérience avec la Station spatiale internationale, ces chercheurs auront de nombreuses occasions de participer à ces activités scientifiques.

La sénatrice Coyle : Qu’en est-il de la durée de vie? J’ai posé une question sur la durée de vie de l’initiative de façon globale.

M. Wood : Il n’y a pas de durée de vie définie pour la station lunaire.

Le sénateur Ravalia : Merci à nos témoins. Le mémorandum d’accord signé par le Canada et les États-Unis concernant la coopération relative à la station spatiale lunaire civile Gateway prévoit que la station Gateway sera utilisée à diverses fins, notamment pour faciliter les activités commerciales dans l’espace lointain. Je me demandais si vous pouviez nous donner des exemples d’activités qui pourraient avoir lieu. Merci.

M. Wood : Je vous remercie de la question. Comme je l’ai indiqué en réponse à la question sur l’état des travaux scientifiques sur la station Gateway, les activités commerciales qui pourraient avoir lieu sur la station Gateway n’ont pas encore été définies. Pour vous aider à comprendre la nature de ces activités, je peux vous donner des exemples liés à la Station spatiale internationale. Dans ce contexte, il n’y a pas que les avantages liés à l’exploration, mais aussi des avantages scientifiques, sociétaux et économiques. Travailler dans des conditions de microgravité est un environnement unique pour le développement de ces technologies.

Prenons l’exemple de la technologie du Canadarm2 sur la Station spatiale internationale. Il s’agit d’une technologie robotique très perfectionnée conçue pour fonctionner dans l’espace, mais elle est maintenant utilisée à des fins médicales, notamment en neurochirurgie de précision, pour des interventions qui ne peuvent être réalisées qu’avec des instruments de cette nature, plus précis que la main humaine. Les conditions difficiles et uniques de l’espace nous donnent l’occasion de développer, dans un environnement de microgravité, des technologies qui pourraient ensuite être utilisées sur Terre à des fins commerciales.

Le sénateur Ravalia : Il y a déjà beaucoup d’activités commerciales, par exemple le programme Starlink de SpaceX. Selon vous, l’industrie privée et ce programme précis que nous examinons pourraient-ils être en concurrence, à long terme?

M. Wood : Je ne peux pas vraiment spéculer sur ce qui pourrait se passer à l’avenir. Lorsqu’on regarde les activités en orbite basse, on constate que diverses entreprises travaillent — aujourd’hui même — avec les gouvernements pour développer des stations spatiales en orbite basse. Donc, des stations en orbite de la Terre et non en orbite de la Lune. Quant à la Lune, les gouvernements sont vraiment des chefs de file de ce projet. Je ne vois pas de choses précises de cette nature dans un avenir prévisible. Cela dit, j’hésite à formuler des hypothèses sur ce que l’avenir pourrait nous réserver.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie de votre présence. Ma question s’adresse probablement à Mme Cassidy. J’aimerais avoir des précisions sur la notion d’acte criminel comparativement à l’infraction punissable par mise en accusation, y compris la déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Je me demande à quels types d’infractions vous pensiez lors de la rédaction de cette disposition. Pourquoi n’a-t-on pas inclus la déclaration de culpabilité par procédure sommaire? Est-ce prévu dans l’Accord? Pouvez-vous nous éclairer?

Mme Cassidy : Je vous remercie beaucoup de la question, sénatrice. On parle d’actes criminels parce que ce sont les infractions les plus graves. Je dois d’abord souligner que ce n’est pas précisé dans l’Accord. S’il faut engager des poursuites dans ce genre de situation, ce sera vraisemblablement uniquement pour les infractions les plus graves. Nous n’avons pas fait d’hypothèses sur la forme que cela pourrait prendre. Il convient aussi de souligner que dans le Code criminel, de nombreuses infractions, si ce n’est pas la plupart, sont des infractions mixtes, c’est-à-dire des actes criminels ou des infractions punissables sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire. Cela signifie qu’un large éventail d’infractions pourraient être visées par cette disposition. J’espère que cela répond à la question. Je vous remercie.

La sénatrice Boniface : J’ai juste une question complémentaire. Je comprends la distinction en droit pénal. Je me demande ce qui sous-tend une telle disposition. Est-ce une exigence de l’Accord, ou certaines circonstances qui vous ont portés à croire, le gouvernement et vous, que c’était nécessaire?

Mme Cassidy : Si la question vise à savoir pourquoi le gouvernement a décidé d’affirmer sa compétence en matière pénale pour commencer, c’est que les accords intergouvernementaux — l’accord relatif à la Station spatiale internationale — prévoient que les États peuvent affirmer leur compétence en matière pénale sur leurs ressortissants, ce que le Canada a fait dans le cas de la Station spatiale internationale.

Étant donné que l’Accord sur la station lunaire civile Gateway prévoit aussi que les États exercent leur compétence en matière pénale et sont responsables de leurs membres d’équipage et plus précisément de leurs ressortissants, le Canada procède de la même façon pour la station Gateway afin de pouvoir tenir ses membres d’équipage responsables s’ils commettent des actes répréhensibles. Merci.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie.

Le sénateur Richards : La sénatrice Boniface vient de poser ma question, mais je vais la poser un peu différemment, juste pour qu’elle figure au compte rendu. Il n’est pas nécessaire que la réponse soit longue. Y a-t-il eu à la Station spatiale des infractions qui justifient ce précédent juridique, ou craignons-nous, alors que la présence humaine dans l’espace augmente, que cela survienne lors de missions d’exploration spatiale futures? L’un ou l’autre des témoins peut répondre à cette question, s’il vous plaît.

M. Wood : Je vous remercie de la question. Je vais répondre brièvement, puis j’inviterai ma collègue à commenter. La raison d’être de ces amendements, c’est de nous permettre de nous acquitter de nos obligations juridiques en vertu du traité. Ils ne découlent pas de scénarios concrets précis liés aux activités de la Station spatiale internationale ou de toute autre mission spatiale.

Mme Cassidy : J’ajouterais simplement, pour appuyer les propos de mon collègue, que nous n’avons pas eu connaissance de cas de ce genre non plus. Je vous remercie.

Le sénateur Richards : En effet. Je ne pensais pas qu’il y en avait. Je voulais le clarifier. Merci.

Le président : Voulez-vous ajouter quelque chose, sénateur Richards?

Le sénateur Richards : Non, cela va, monsieur le président.

Le sénateur Greene : Si, dans le cadre du programme Artemis, la Lune devient une base pour les futures missions vers Mars, faut-il s’attendre à ce que le champ d’application du droit canadien soit étendu pour inclure Mars?

M. Wood : Comme je l’ai mentionné plus tôt, notre intention, du point de vue de la politique, est de veiller à ce que nous nous acquittions de nos obligations à l’égard de tout accord que nous avons signé lors de toute mission. On peut s’attendre à ce que le Canada et d’autres pays s’aventurent plus loin dans l’univers, ce qui pourrait mener à une mission habitée vers Mars, mais il m’est impossible pour le moment de spéculer sur la nature d’un éventuel accord et de son incidence sur la compétence du Canada en matière pénale. J’invite ma collègue à ajouter quelque chose, si elle le souhaite.

Mme Cassidy : J’aimerais apporter une précision. Le Canada n’a pas revendiqué, et ne revendique pas, avec les amendements proposés, une compétence quelconque sur la Lune. Nous ne proposerions pas d’affirmer notre compétence sur une planète, car il n’y a pas de souveraineté dans l’espace. Les amendements proposés et, en particulier les références aux activités sur la Lune, visent à affirmer notre compétence sur les membres d’équipage. Cette compétence est liée aux personnes, aux êtres humains. Je tenais simplement à ajouter cette précision. Merci beaucoup.

Le président : Merci. Nous sommes arrivés à la fin de la liste des intervenants. Puisqu’il n’y a pas d’autres questions, je tiens à remercier nos deux témoins d’avoir aidé le comité à franchir la dernière frontière aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de vos observations. Chers collègues, comme il n’y a pas d’autres questions à examiner, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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