LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le vendredi 3 juin 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 10 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle Peter Boehm. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, je voudrais présenter les membres du comité qui participent à la réunion aujourd’hui : la sénatrice Gwen Boniface, de l’Ontario; la sénatrice Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse; la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario; la sénatrice Amina Gerba, du Québec; le sénateur Peter Harder, de l’Ontario, vice-président du comité; le sénateur Victor Oh, de l’Ontario; la sénatrice Ratna Omidvar, de l’Ontario; le sénateur David Richards, du Nouveau-Brunswick; le sénateur Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Traduction]
Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes qui nous regardent. Nous tenons une séance hybride. J’aimerais rappeler aux sénateurs et aux témoins qui participent par vidéoconférence de garder leur micro éteint en tout temps, à moins d’être nommé par le président. Je demanderais aux sénateurs d’utiliser la fonction « lever la main » pour indiquer leur désir d’intervenir. Les sénateurs présents ici en salle de réunion peuvent le signaler directement à la greffière.
Aujourd’hui, nous entamons notre étude du projet de loi S-8, Loi modifiant la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, apportant des modifications corrélatives à d’autres lois et modifiant le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés. Le Sénat nous a renvoyé ce projet de loi le 19 mai dernier.
Pour en discuter au cours de la première heure de notre rencontre, nous avons devant nous des fonctionnaires de plusieurs ministères ou organismes. Nous recevons les représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada : M. Richard St Marseille, directeur général, Politiques sur l’immigration et les examens internes; et Me Scott Nesbitt, avocat général, ministère de la Justice, Services juridiques de l’ASFC. D’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, nous recevons : Mme Helen Robertson, directrice, Admissibilité; M. Sean McNair, directeur, Gestion sur les risques pour l’intégrité; et M. Mark Henry, directeur par intérim, Affaires des réfugiés. Nous avons des représentants de la Commission de l’immigration et du Statut de réfugié du Canada : M. Gregory Kipling, vice-président, Section de l’immigration; et Me Julie Wellington, avocate générale principale. Enfin, d’Affaires mondiales Canada, nous avons devant nous : M. Andrew Turner, directeur, Relations avec l’Europe de l’Est et l’Eurasie; et M. Stephen Burridge, directeur, Coordination politique et opérations des sanctions.
Bienvenue à tous et merci d’avoir accepté notre invitation. Je crois savoir que M. St Marseille, de l’Agence des services frontaliers du Canada, livrera des remarques préliminaires. Nous passerons ensuite, bien sûr, à la période de questions des sénateurs.
Monsieur St Marseille, vous avez la parole.
Richard St Marseille, directeur général, Politiques sur l’immigration et les examens externes, Agence des services frontaliers du Canada : Bonjour, monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de m’avoir invité à participer à cette importante discussion aujourd’hui.
Comme vous le savez, le 24 février 2022, les forces russes ont lancé une invasion non provoquée et injustifiable de l’Ukraine. Depuis le début de l’invasion, en février, le gouvernement du Canada a imposé des sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, à plus de 900 personnes en Russie, en Ukraine et au Bélarus.
Les sanctions imposées en vertu de la LMES l’ont été en raison d’une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales, ce qui a entraîné la situation grave que nous connaissons aujourd’hui.
Les modifications législatives proposées à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou LIPR, donneront au Canada les capacités dont il a grandement besoin pour établir un meilleur lien entre les sanctions gouvernementales et les autorités en ce qui concerne l’exécution de la loi en matière d’immigration.
Toutefois, selon le libellé actuel de la LIPR, les dispositions sur l’interdiction de territoire ne comportent aucun fondement pour la majorité des sanctions imposées contre la Russie en vertu de la LMES. Cela signifie que la plupart des personnes sanctionnées en vertu de la LMES peuvent tout de même voyager, entrer au Canada ou y demeurer sans entrave si elles ne sont pas autrement interdites de territoire. Des modifications législatives sont nécessaires afin d’harmoniser le régime d’interdiction de territoire du fait de sanctions de la LIPR avec celui de la LMES.
Aujourd’hui, j’ai le privilège de parler du projet de loi S-8, une loi qui vise à modifier la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Cette loi, entre autres choses, harmonisera la LIPR avec la LMES et fera en sorte que tous les ressortissants étrangers faisant l’objet de sanctions en vertu de la LMES soient également interdits de territoire au Canada.
Cela signifie non seulement que les ressortissants étrangers sanctionnés en raison de l’invasion de l’Ukraine seront interdits de territoire au Canada, mais aussi que les ressortissants étrangers précédemment sanctionnés de l’Iran, du Myanmar, du Soudan du Sud, de la Syrie, du Venezuela et du Zimbabwe se verront eux aussi interdits de territoire.
Ces modifications permettront aussi de moderniser le régime d’interdiction de territoire du fait de sanctions établi par la LIPR. Les modifications proposées dans le projet de loi feront en sorte que toutes les interdictions de territoire liées à des sanctions seront traitées de manière cohérente et uniforme; renforceront les dispositions législatives sur l’interdiction de territoire qui sont déjà en place, de sorte que les personnes frappées de sanctions seront interdites de territoire au Canada; assureront que les sanctions imposées par le gouvernement du Canada auront des conséquences directes sur l’immigration et l’accès au Canada; et permettront aux fonctionnaires d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada de refuser de délivrer des visas de résident temporaire ou de résident permanent à l’étranger, en plus d’autoriser les fonctionnaires de l’Agence des services frontaliers du Canada à refuser l’entrée au Canada aux personnes à qui des sanctions ont été imposées ou à les expulser.
Cette approche s’aligne également sur les activités législatives et parlementaires récentes, comme le rapport de 2017 du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, intitulé Un cadre efficace et cohérent de mise en œuvre des régimes de sanctions du Canada : honorer la mémoire de Sergueï Magnitski et aller plus loin, en plus d’y donner suite.
Le comité a recommandé que la LIPR soit modifiée afin de désigner toute personne visée par des sanctions en vertu de la LMES comme étant interdite de territoire au Canada. Cet objectif a été partiellement atteint en 2017, lorsque la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, également connue sous le nom de la loi de Magnitski ou projet de loi S-226, est entrée en vigueur. Le projet de loi S-226 prévoyait deux nouvelles dispositions concernant les interdictions de territoire en vertu de la LIPR. Cependant, ces modifications n’étaient pas entièrement en harmonie avec la recommandation du comité permanent. Le projet de loi S-8 veillera à ce que l’on tienne entièrement compte de cette recommandation.
En plus du travail déjà effectué, nous présentons d’autres modifications complémentaires et corrélatives dans le projet de loi S-8. Ces modifications sont nécessaires pour accorder les dispositions concernant l’interdiction de territoire avec celles concernant les sanctions, tout en maintenant l’intégrité des deux régimes. Il s’agit notamment d’ajouter un élément temporel à toutes les dispositions concernant l’interdiction de territoire du fait de sanctions. Cela signifie donc qu’une personne est interdite de territoire tant et aussi longtemps qu’elle sera visée par une sanction.
De plus, le projet de loi S-8 donnera aux agents délégués de l’ASFC le pouvoir de prendre des mesures d’expulsion aux points d’entrée pour toute personne interdite de territoire pour cause de sanctions, si un étranger se présente à la frontière canadienne.
Ces deux éléments s’appliquent déjà à l’interdiction de territoire pour les sanctions imposées unilatéralement. Le projet de loi S-8 fera concorder l’interdiction de territoire pour les sanctions multilatérales, afin d’assurer la cohérence du régime d’interdiction de territoire du fait de sanctions. L’adoption de ce projet de loi fera en sorte que le régime général de sanctions du gouvernement du Canada ait des conséquences considérables, non seulement sur le plan économique, mais aussi sur le plan de l’immigration et de l’accès au Canada. Merci. Cela conclut mes remarques préliminaires, et je me tiens à votre disposition pour répondre aux questions des membres du comité, monsieur le président.
Le président : Merci beaucoup, monsieur St Marseille.
Chers collègues, vous avez la parole.
La sénatrice Omidvar : Merci aux témoins d’être avec nous aujourd’hui. J’aimerais demander des éclaircissements.
Les sanctions en vertu de la LMES ne visent pas seulement des personnes, mais aussi des entités. Comment le régime d’interdiction de territoire est-il appliqué, lorsqu’une entité, par exemple, a des actionnaires? Comment est-ce que cela fonctionne?
Le président : Monsieur St Marseille, je vous demanderais de répondre, à moins que vous ne vouliez demander à un de vos collègues de le faire. Si c’est le cas, je vous prierais de nommer la personne. Je demanderais aussi à la personne qui va répondre de bien vouloir se nommer. Merci.
M. St Marseille : Merci de la question. En ce qui concerne les sanctions visant des entités, il faudrait tout de même, sous le régime de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, désigner une personne. Il y aurait interdiction de territoire seulement dans le cas où une sanction est prise à la fois contre une entité et une personne.
La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup de votre réponse. Je comprends.
J’ai une question, mais j’imagine que vous y avez déjà répondu : la personne qui est interdite de territoire doit être désignée dans les sanctions. Je me demandais si l’interdiction de territoire s’appliquait également aux membres de la famille des personnes sanctionnées.
M. St Marseille : En ce qui concerne les membres de la famille, il y a déjà dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés des dispositions sur l’inadmissibilité familiale. Ce que nous proposons — ou ce qui est proposé dans le projet de loi S-8 —, c’est d’harmoniser le régime d’interdiction de territoire pour sanctions avec ce qui existe déjà dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés relativement aux membres de la famille interdits de territoire.
Cela dit, j’inviterais ma collègue, Mme Helen Robertson, d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada — ou IRCC — à fournir un peu plus de détails sur le fonctionnement actuel des dispositions concernant l’inadmissibilité familiale de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés.
Helen Robertson, directrice, Admissibilité, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Merci. Comme M. St Marseille l’a dit, il existe déjà une disposition concernant l’interdiction de territoire de membres de la famille. Dans cette situation, le règlement définit un membre de la famille comme étant un époux ou un conjoint de fait, un enfant à charge ou un petit-enfant à charge. Il est déjà prévu dans la loi qu’un membre de la famille accompagnant une personne interdite de territoire, comme une personne sanctionnée, serait aussi interdit de territoire. Dans certaines circonstances, si la personne voyage seule, mais qu’elle appartient à la famille d’une personne sanctionnée, alors elle serait aussi interdite de territoire au Canada.
La sénatrice Omidvar : Merci beaucoup.
Mme Robertson : Tout ce qu’on fait, de ce côté-là, c’est une renumérotation. Les politiques ne changent pas.
La sénatrice Omidvar : Merci. J’aimerais savoir combien de personnes sanctionnées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, ou de la loi de Magnitski ont finalement été admises au Canada. Avons-nous cette information?
M. St Marseille : Présentement, pour ce qui est du nombre de personnes sanctionnées en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, selon les données en date de mai de cette année, on parle de 1 858 personnes. Mais, étant donné que les motifs d’interdiction de territoire prévus dans la LMES ne sont pas parfaitement en harmonie avec ceux de la LIPR, nous n’avons pas de données sur le nombre de ces personnes qui ont été admises, parce que, si le projet de loi S-8 ne reçoit pas la sanction royale, elles ne seraient pas interdites de territoire. Nous n’avons pas recueilli ce genre d’information.
Ce que je peux vous dire, c’est que, de façon générale, pour les sanctions qui existent et qui emportent interdiction de territoire, tous les cas que nous connaissons — sauf un — ont été relevés par nos collègues d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada, qui ont refusé de délivrer des visas à ces personnes à l’étranger. Pour ce qui est du régime d’interdiction de territoire pour sanctions qui est en vigueur aujourd’hui — les sanctions prévues dans la loi de Magnitski et les sanctions multilatérales actuelles —, il s’est révélé très efficace pour refuser l’accès au Canada depuis l’étranger, avant même que la personne n’arrive à la frontière.
Le président : Merci.
J’ai omis, dans mon introduction, de présenter mes directives habituelles sur la durée des questions et des réponses. Ce sera nos quatre minutes habituelles, pour la question et la réponse. Je demanderais à mes collègues qui posent des questions ainsi qu’aux témoins d’être aussi succincts que possible.
La sénatrice Boniface : Vous m’excuserez si vous avez déjà répondu à cette question, mais, pour une raison quelconque, j’ai perdu le son de mon côté, pendant votre intervention.
Je m’adresse à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Pouvez-vous me donner des précisions sur la disposition transitoire, prévue dans le projet de loi S-8, sur les sanctions prises avant l’entrée en vigueur du projet de loi? Cette disposition fait-elle en sorte que les sanctions prévues au paragraphe 35.1(1) vont s’appliquer avant que la loi ne reçoive la sanction royale?
Gregory Kipling, vice-président, Section de l’immigration, Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada : Je peux répondre. Les dossiers qui ont été renvoyés à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada avant que le projet de loi ne reçoive la sanction royale vont toujours relever de la compétence de la commission, qui les finalisera.
La sénatrice Boniface : Merci. Est-ce que certains des pays partenaires du Canada ont mis en œuvre des mesures similaires à celles figurant dans le projet de loi S-8? Le cas échéant, de quels pays s’agit-il, et quand ont-ils pris ces mesures?
Le président : Monsieur Kipling, voulez-vous encore répondre?
M. Kipling : M. St Marseille serait le mieux placé pour répondre à cette question.
M. St Marseille : Merci de la question. Les autres pays ont des régimes d’interdiction de territoire très différents. Par exemple, aux États-Unis, c’est plutôt un pouvoir déclaratoire qui revient au secrétaire d’État; il peut déclarer l’interdiction de territoire. Notre Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés ne prévoit pas de pouvoir similaire. Je crois que ce serait la comparaison la plus proche, mais, en ce qui concerne les autres pays, je ne sais pas s’ils comptent modifier leurs régimes d’interdiction de territoire de cette façon.
La sénatrice Coyle : Merci aux témoins d’aujourd’hui. Il est question ici d’interdire à des personnes sanctionnées d’entrer au Canada, mais aussi de renvoyer certaines personnes qui sont déjà ici. Ce sont les renvois qui m’intéressent.
Jusqu’ici, avons-nous beaucoup d’expérience relativement aux renvois de personnes sanctionnées? Que prévoyons-nous faire, par rapport aux renvois, si ce projet de loi est adopté, si cette loi entre en vigueur?
M. St Marseille : L’Agence des services frontaliers, ou l’ASFC, a énormément d’expérience opérationnelle en ce qui concerne les renvois. Cependant, relativement aux cas d’interdiction de territoire pour sanctions, jusqu’ici, il n’y a eu aucun renvoi, parce que le système s’est avéré extrêmement efficace pour empêcher les gens d’arriver au Canada en premier lieu. Nous nous attendons à ce que cette tendance se poursuive avec le projet de loi S-8, et nous nous attendons à ce que les dispositions fassent en sorte que les demandes de visas seront refusées et que les personnes ne pourront pas venir au Canada, en premier lieu, plutôt que d’être renvoyées une fois au Canada.
La sénatrice Coyle : Merci. Je me disais qu’il en était probablement ainsi, mais au moins, avec cela, nous pourrons agir, le cas échéant.
La prochaine question s’adresserait à Mme Robertson. Une question qui m’intéresse concerne les membres de la famille des personnes interdites de territoire. Y a-t-il des dispositions qui tiennent compte de l’éventualité, par exemple, où les membres de la famille des personnes sanctionnées ont la citoyenneté canadienne ou le statut d’immigrant ou de citoyen du Canada?
Mme Robertson : Dans un tel cas, le membre de la famille ne serait pas interdit de territoire. Voulez-vous savoir si le fait d’avoir un lien avec un citoyen aurait une incidence sur l’interdiction de territoire?
La sénatrice Coyle : Oui, surtout en ce qui concerne les enfants.
Mme Robertson : Un enfant qui est citoyen canadien ne serait pas interdit de territoire. Si la personne sanctionnée était un citoyen canadien, elle ne serait pas interdite de territoire non plus. Est-ce que cela répond à votre question, ou voulez-vous d’autres précisions?
La sénatrice Coyle : Oui. J’essaie de prendre en considération toutes les permutations possibles. Ce que vous dites a du sens, merci de m’avoir aidée à comprendre.
La sénatrice M. Deacon : Merci aux témoins d’être ici aujourd’hui. Je l’apprécie.
Ma question est un peu hypothétique : c’est peut-être le reflet du monde dans lequel nous vivons. Imaginons un scénario où un Russe aux activités illicites, qui est visé par des sanctions, arrive dans notre pays, dénonce le régime de Poutine et demande l’asile. Comment traiterions-nous l’affaire? Est-ce que cette personne serait quand même renvoyée, dans ce cas, ou est-ce que l’agent des services frontaliers aurait un certain pouvoir discrétionnaire au moment d’appliquer cette loi?
M. St Marseille : Merci de la question.
Dans les circonstances que vous décrivez, le projet de loi S-8 modifie le régime en harmonisant les sanctions unilatérales et multilatérales, ce qui fait qu’une personne sanctionnée serait tout de même admise à demander l’asile. Elle pourrait même demander un examen complet des risques avant renvoi.
Dans les circonstances que vous décrivez, si la personne arrive ici et demande l’asile, il faudrait alors établir si elle est autorisée ou non à demander l’asile, conformément aux procédures en vigueur à la frontière.
Si elle peut demander l’asile — et, à moins qu’il y ait une raison autre que les sanctions, elle le pourrait —, cette personne serait alors autorisée à entrer au Canada et à présenter sa demande d’asile en bonne et due forme.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Je vais passer à un autre sujet.
Avant de poser ma question, j’aimerais dire que je suis vraiment en faveur de ce projet de loi, mais, pour ma compréhension personnelle, il y a une chose que j’aimerais comprendre : la modification proposée dans le projet de loi S-8 n’est-elle pas largement symbolique? Par exemple, si une personne est sanctionnée, cela veut bien sûr dire que nous ne voulons pas d’elle ici; y a-t-il peut-être un aspect stratégique qui m’échappe?
M. St Marseille : Oui. Le projet de loi a effectivement des conséquences très tangibles et concrètes sur l’interdiction de territoire ou sur l’entrée et le séjour au Canada. Actuellement, si le projet de loi S-8 n’est pas adopté, à moins qu’elles ne soient pas interdites de territoire pour une autre raison, toutes les personnes qui sont sanctionnées pour des motifs qui ne sont pas énumérés dans la version actuelle de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés pourraient entrer au Canada.
Nous nous attendons à ce que cela touche environ 2 200 personnes, qui sont présentement sanctionnées pour divers motifs. Ces personnes seraient interdites de territoire si le projet de loi S-8 était adopté.
La sénatrice M. Deacon : Merci. J’ai entendu 2 200. J’ai eu de la difficulté à entendre la réponse à la question de la sénatrice Omidvar. Pourriez-vous préciser encore combien de fois des personnes sanctionnées ont essayé d’entrer au Canada?
M. St Marseille : J’ai les données de 2017 jusqu’à aujourd’hui. Selon la disposition actuelle sur l’interdiction de territoire du fait de sanctions multilatérales, on a refusé de délivrer 10 visas à l’étranger.
On a aussi refusé de délivrer cinq visas, depuis 2017, pour des sanctions emportant interdiction de territoire prévues dans la Loi sur les mesures économiques spéciales.
Pour ce qui est des sanctions prévues dans la loi de Magnitski, on a refusé de délivrer 10 visas depuis 2017.
Le président : Merci de ces précisions.
[Français]
La sénatrice Gerba : Ma question s’adresse à M. St Marseille et concerne l’article 13 du projet de loi S-8.
Depuis le début de la guerre en Ukraine, plus de 1 000 individus russes et biélorusses ont été visés par des sanctions canadiennes. J’aimerais savoir ceci : ces individus feront-ils tous automatiquement l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire canadien ou d’une expulsion, le cas échéant?
[Traduction]
M. St Marseille : Merci de la question.
En ce qui concerne les individus déjà visés par des sanctions qui seront interdits de territoire une fois que le projet de loi entrera en vigueur, ils seront interdits de territoire dès l’entrée en vigueur de la loi; ils ne pourront pas obtenir de visas, et ils seront renvoyés du Canada s’ils se présentent à un point d’entrée canadien après l’entrée en vigueur du projet de loi.
Si j’ai bien compris votre question, l’article 13 du projet de loi S-8 est une disposition transitoire, qui ne sert qu’à désigner qui pourra prendre une mesure de renvoi, si de tels individus se présentent.
Présentement, pour ce qui est des sanctions multilatérales, ce serait un commissaire de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié. Sous le régime du projet de loi S-8, cela changerait, et ce serait un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada. Donc, la disposition transitoire ne fait que changer la personne qui prend la mesure de renvoi, afin que nous puissions appliquer plus efficacement la loi à la frontière, à un point d’entrée, en prenant une mesure de renvoi là, immédiatement, au lieu d’attendre une enquête au Canada.
Le sénateur Woo : Est-ce que cela changerait quelque chose pour une personne sanctionnée qui veut entrer dans notre pays en tant que représentant officiel de son pays — disons un diplomate ou un membre d’une délégation —, dans le cadre de négociations anticorruption, de pourparlers de paix ou de quoi que ce soit d’autre qui a un lien avec la raison sous-jacente pour laquelle la personne a été sanctionnée en premier lieu?
C’est assez hypothétique, mais ce que je veux savoir, c’est si une personne qui a ses lettres de créance diplomatiques pourrait faire fi de cette interdiction de territoire.
M. St Marseille : Merci.
Selon le libellé actuel du projet de loi S-8, il n’y a pas d’exception spécifique pour une personne qui a un statut diplomatique. Si le gouvernement du Canada désirait faciliter l’entrée de ces personnes, il existe d’autres dispositions dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés à cette fin, si c’est ce qu’on veut faire.
Le sénateur Woo : J’ai une question complémentaire, si cela ne vous dérange pas : ces autres dispositions pour faciliter l’entrée de personnes sanctionnées supposent-elles un processus relativement rapide, ou faudrait-il longtemps pour traiter la demande, avec des appels et tout le tralala?
M. St Marseille : Je crois que le processus serait assez efficient. Je vais demander à ma collègue, Mme Helen Robertson, d’IRCC, de répondre à votre question.
Mme Robertson : Merci.
L’option principale que nous avons pour faciliter l’entrée est seulement utilisée dans des circonstances exceptionnelles. On délivrerait un permis de résident temporaire à la personne pour qu’elle puisse entrer au Canada, pourvu que ce soit justifié dans toutes les circonstances.
Le permis de résident temporaire n’élimine pas l’interdiction de territoire, et la décision quant au permis revient au sommet de la hiérarchie, au sous-ministre adjoint ou même à son supérieur, parce que c’est une décision importante de permettre à une personne sanctionnée ou interdite de territoire d’entrer au Canada, et il faut tenir compte en même temps des intérêts du Canada.
Le sénateur Woo : Merci, c’était très utile.
Le président : Nous allons commencer le deuxième tour.
La sénatrice Omidvar : Ma question s’adresse aux représentants d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada. C’est au sujet de la nouvelle disposition du projet de loi selon laquelle les personnes sanctionnées en vertu de la LMES ou de la loi de Magnitski pourront demander l’asile au Canada, et cela concerne aussi les autres processus qui sont liés aux demandes d’asile au Canada.
Je ne sais pas si vous avez cette information, mais pouvez-vous me dire si des personnes sanctionnées ont déjà demandé l’asile, et si oui, combien?
Mark Henry, directeur par intérim, Affaires des réfugiés, Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada : Merci de la question. Malheureusement, je n’ai pas cette information sous la main.
Si je comprends bien, vous voulez savoir si une personne visée par des sanctions est déjà venue au Canada et a demandé l’asile?
La sénatrice Omidvar : Non. C’est écrit, dans nos notes d’information, que les personnes sanctionnées dans le cadre du régime multilatéral des Nations unies peuvent venir au Canada et demander l’asile et qu’elles pourraient le faire, maintenant, sous le régime de la LMES et de la loi de Magnitski.
Je serais curieuse de savoir s’il y a eu des demandes ou si c’est quelque chose que vous avez déjà vu. Auriez-vous des commentaires à faire, selon les données existantes?
M. Henry : Merci de cette précision. Je ne sais pas combien de personnes ont demandé l’asile dans ces circonstances. Je peux dire que l’intention est de permettre à quiconque qui est visé par les sanctions, que ce soit des sanctions multilatérales ou unilatérales, de demander l’asile. L’intention est de clarifier ce qui a été reconnu comme étant une petite incohérence. Certaines sanctions permettent de demander l’asile, et d’autres non. On crée ainsi une permission uniforme.
La sénatrice Omidvar : Merci.
Le sénateur Richards : Je me pose des questions sur les réfugiés qui arrivent présentement, et je suis très content qu’ils arrivent. Je tenais à le dire. Le Canada a très bien agi, et j’espère que nous pourrons en accueillir davantage. Y a-t-il un mécanisme ou un autre pour enquêter sur ces réfugiés en ce qui concerne leur participation ou leur non-participation à des activités qui pourraient les empêcher de demander l’asile? Est-ce qu’on leur permet de sauter la file, quand ils arrivent aux points d’entrée?
M. Henry : Pouvez-vous répéter la question?
Le sénateur Richards : J’aimerais savoir si les réfugiés qui arrivent présentement ont fait l’objet d’enquête pour savoir s’ils se sont adonnés à des activités répréhensibles.
M. Henry : Oui. Toutes les personnes qui entrent au Canada présentement et demandent l’asile, même celles qui font l’objet de sanctions, doivent passer par le même processus d’évaluation de leur admissibilité à présenter une demande. L’évaluation vise la grande criminalité, les violations des droits de la personne et le crime organisé. Cela se fait présentement, et cela va continuer de se faire après l’entrée en vigueur éventuelle du projet de loi S-8.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons un petit problème à résoudre. Le sénateur MacDonald aimerait poser une question, mais il est dans sa voiture, et les règles ne le permettent pas. Il doit être dans un endroit stationnaire. Sénateur MacDonald, si vous pouvez m’entendre, pourriez-vous écrire votre question dans le clavardage? Nous pourrons la lire et quelqu’un pourra répondre.
Le sénateur MacDonald : Je vais... [Difficultés techniques]
Le président : Nous ne vous entendons pas. Entretemps, c’est ma prérogative en tant que président de poser une question. Je sais que nous avons avec nous des représentants d’Affaires mondiales Canada. La science — appelons cela ainsi — des sanctions et des politiques en matière de sanctions est quelque chose de relativement nouveau dans bon nombre de pays, y compris le nôtre. D’ailleurs, la LMES et la loi de Magnitski vont bientôt faire l’objet d’un examen parlementaire, conformément à la loi initiale.
Compte tenu de tout ce qui se passe présentement, en particulier par rapport à la guerre en Ukraine, est-ce qu’on considère cela comme un dossier prioritaire, ou simplement un détail technique? Autrement dit, quand les chefs discutent, quand les ministres des Affaires étrangères se réunissent, j’ai l’impression que c’est une question transversale.
Andrew Turner, directeur, Relations avec l’Europe de l’Est et l’Eurasie, Affaires mondiales Canada : Je suis un ancien page du Sénat, alors je suis très heureux d’être ici. Ce programme a été le début de ma carrière dans la fonction publique, et je ne rate jamais une occasion de féliciter le Sénat d’offrir aux jeunes cette magnifique expérience.
Il s’agit tout à fait d’un dossier prioritaire, dans les discussions aux échelons supérieurs, parce que le but de notre politique sur les sanctions, c’est d’accroître la pression, dans ce cas précis, sur le régime russe par tous les moyens possibles, y compris en ciblant les membres de l’élite qui tirent parti de leur capacité à se rendre dans d’autres pays. Cette capacité leur donne une échappatoire. Cependant, si on les interdit de territoire et qu’on restreint leurs déplacements, cela accroît la pression sur eux, et, espérons-le, mènera à plus de dissidence et à plus de contestations à l’égard des politiques du régime. Ce n’est pas seulement un enjeu dont on discute, et nos homologues ukrainiens nous ont parfois demandé explicitement que l’interdiction de territoire s’applique pour toutes les dispositions de la LMES, et non pas seulement pour certaines. En particulier, présentement, la disposition sur la « rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales » est le principal mécanisme que nous utilisons pour sanctionner les Russes, mais cela ne déclenche pas actuellement les dispositions d’interdiction de territoire.
Le président : Merci d’avoir servi le Sénat. Il me semble que les instruments législatifs sont manifestement différents d’un pays et d’une zone à l’autre. En Europe, il y a aussi l’espace Schengen. Déploie-t-on des efforts pour échanger des pratiques exemplaires en ce qui concerne les listes et la sélection des personnes? C’est que les listes sont souvent différentes et que les personnes sont sélectionnées différemment selon le pays, y compris le nôtre.
M. Turner : Évidemment, nous communiquons régulièrement avec nos collègues aux vues similaires à propos des sanctions, et donc, nous échangeons l’information sur nos plans pour l’établissement des listes et nous discutons des modifications à nos cadres pour prendre de nouvelles mesures. Nous communiquons donc de façon active et régulière.
Comme vous le dites, puisque les choses ne sont jamais parfaitement en harmonie, les listes que nous utilisons ne sont jamais identiques, mais nous nous efforçons de prendre toutes les mesures possibles pour que les approches soient généralement en harmonie.
Dans certains cas, nous avions déjà en 2014 ciblé des gens que nos collègues aux vues similaires viennent tout juste d’inscrire sur leur liste. Dans certains cas, ils ont des pouvoirs que nous n’avons pas pour cibler des gens, mais nous échangeons de l’information pour essayer d’être aussi coordonnés que possible.
Stephen Burridge, directeur, Coordination politique et opérations des sanctions, Affaires mondiales Canada : M. Turner a très bien répondu. J’ajouterais, d’un point de vue plus général sur les sanctions, que tous les efforts de coordination et de collaboration avec nos collègues aux vues similaires semblent sincères. Tous les pays n’ont pas la même approche et les mêmes pouvoirs pour inscrire des gens sur leur liste ou pour imposer certaines interdictions. Cependant, même s’il peut y avoir des variations, exactement comme M. Turner vient de le dire, nous déployons évidemment des efforts pour être le plus en harmonie possible et accroître la pression, que ce soit sur la Russie ou un autre pays.
Le président : Merci beaucoup. Je vais avoir le plaisir de lire la question du sénateur MacDonald, aux fins du compte rendu. J’espère que nous pourrons obtenir une réponse :
Quand il s’est exprimé au sujet du projet de loi S-8, le sénateur Harder a déclaré que le projet de loi S-8 « permettrait notamment d’harmoniser la LIPR avec la LMES afin que tous les étrangers visés par des sanctions en vertu de la LMES soient aussi frappés d’une interdiction de territoire au Canada ». J’aimerais mieux comprendre ce que cela veut dire, concrètement. Est-il juste d’affirmer qu’une personne qui est interdite de territoire au Canada en vertu d’une loi ne sera pas nécessairement renvoyée du Canada? Est-ce exact?
M. St Marseille : À cet égard, il y a en effet trois modifications importantes qui ont pour but d’harmoniser la LMES avec la LIPR. Les dispositions d’interdiction de territoire pour sanctions multilatérales qui existent aujourd’hui s’appliquent uniquement quand la sanction est imposée à un pays et à une personne. Une modification consiste à éliminer l’exigence qu’un pays soit sanctionné et à ajouter une personne ou une entité. De cette façon, on s’aligne sur les déclencheurs prévus dans la LMES.
L’autre déclencheur, comme nos collègues d’Affaires mondiales l’ont dit, c’est la « rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales ». La majorité des sanctions qui ont été imposées sont liées à ce déclencheur, surtout à cause de la situation en Ukraine.
Ce sont donc deux modifications importantes qui vont harmoniser la LMES avec le cadre juridique de la LIPR et, de cette façon, quand une sanction est imposée, elle entraîne une interdiction de territoire.
L’interdiction de territoire ne suppose pas toujours un renvoi du Canada. Ce sont les agents d’IRCC à l’étranger qui déclarent l’interdiction de territoire pendant le processus de contrôle des visas. Ils pourraient, par exemple, refuser de délivrer un visa pour le Canada. À la frontière, ils pourraient refuser l’entrée au Canada à la personne, et, si cette personne ne se retire pas volontairement, alors ils pourraient prendre une mesure de renvoi et la renvoyer du Canada pour ce motif.
Le président : Je vais poser la première des deux questions complémentaires du sénateur MacDonald :
Les témoins de l’ASFC et d’Immigration Canada savent-ils combien, parmi les étrangers présentement au Canada, sont interdits de territoire, mais sont toujours effectivement au Canada? C’est une variante d’une question antérieure.
M. St Marseille : En ce qui concerne l’interdiction de territoire pour sanctions, en particulier, nous sommes au courant d’aucune personne interdite de territoire du fait de sanctions qui est toujours au Canada aujourd’hui. Toutes les personnes qui ont été ciblées et déclarées interdites de territoire se sont vu refuser l’accès au Canada depuis l’étranger.
Le président : Le sénateur MacDonald a une question complémentaire à ce sujet :
Un exemple serait celui de Khaled Barakat, un agent de haut niveau du Front populaire pour la libération de la Palestine, qui vit au Canada et qui partage facilement et aisément son temps entre Vancouver et Montréal. Barakat vit au Canada de façon intermittente depuis près de 20 ans, et il demeure actuellement à Vancouver, et ce, même s’il a été expulsé des États-Unis.
Quelqu’un pourrait-il formuler des commentaires sur ce cas en particulier, s’il vous plaît?
M. St Marseille : Je ne peux pas fournir de détails précis sur le cas de cette personne spécifiquement. Je ne suis pas au courant de ce dossier particulier, et je ne sais pas si des sanctions lui ont été imposées. Je ne sais pas si mes collègues d’Affaires mondiales auraient de l’information sur les sanctions imposées.
Le président : Pendant que vous y réfléchissez, voici le reste de la question : Même si cette personne a été expulsée des États-Unis et de l’Allemagne, le représentant du gouvernement au Sénat, le sénateur Gold, a fait la déclaration suivante à propos de ce dossier il y a quelques semaines :
L’Agence des services frontaliers du Canada est tenue par la loi de renvoyer dès que possible les personnes déterminées inadmissibles […] notre système judiciaire confère à toute personne visée par une mesure de renvoi le droit à l’application régulière de la loi, la procédure prévoyant divers recours.
Dans ce cas, « dès que possible » veut manifestement dire 20 ans, voire plus.
Quelqu’un a-t-il une réponse ou des commentaires?
M. St Marseille : Si vous me le permettez, à ce sujet, l’ASFC est bien sûr tenue par la loi de renvoyer dès que possible les personnes interdites de territoire. Dans ce contexte, l’expression « dès que possible » veut dire après que la personne a été déclarée interdite de territoire et qu’une mesure de renvoi a été prise, qu’elle est entrée en vigueur et que tous les mécanismes d’appel connexes sont épuisés. Dans le cadre de la loi, l’exécution du programme de renvois par l’ASFC respecte cet engagement.
Le président : Merci beaucoup de la réponse. Je tiens à remercier nos témoins d’avoir comparu aujourd’hui. Tout cela nous a été très utile. Vous pouvez vous déconnecter, et je vous souhaite de bien profiter de votre fin de semaine.
Pour la deuxième partie de la réunion, nous accueillons Me Mario D. Bellissimo, avocat, du Bellissimo Law Group, ainsi que Mme Andrea Charron, directrice du Centre for Defence and Security Studies, de l’Université du Manitoba. Chacun de nos témoins a un court exposé à nous présenter. Je vous remercie de votre présence.
Me Mario D. Bellissimo, avocat, Bellissimo Law Group, à titre personnel : Bonjour. Je vous remercie de l’invitation à venir discuter du projet de loi S-8 dans le cadre de votre étude. Dans notre mémoire, malgré le peu de temps que nous avons eu pour examiner le projet de loi, nous avons formulé cinq recommandations qui, nous l’espérons, feront progresser votre étude et éclaireront la prise de décisions sur le projet de loi.
Pourquoi formuler ces recommandations? C’est parce que l’élargissement des sanctions ciblant des pays, des entités et des personnes pour de nouveaux motifs économiques, géographiques, et cetera, parfois même en l’absence de tout méfait personnel, a pour conséquence d’accroître le malaise quant à l’ambiguïté et à l’ampleur du projet de loi ainsi qu’à son application et à son exécution pratiques.
Notre première recommandation est que la loi doit être claire quant à la définition et à la portée juridique du terme « sanctions ». Comme cela a été dit aujourd’hui, les sanctions internationales ou multilatérales font partie de la LIPR depuis 20 ans, et elles font partie de la Loi sur les mesures économiques spéciales, la LMES, et de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus depuis environ cinq ans. Ne vous méprenez pas, la loi actuelle est très robuste et restreint l’accès à la plupart des statuts d’immigrants et de réfugiés aux étrangers et à leurs familles. Cependant, la loi prévoit toujours peu de droits de recours.
Le projet de loi S-8, selon notre interprétation, élargit et restreint à la fois les dispositions sur l’interdiction de territoire. Il dissocie le terme « sanctions » et en fait une expression indépendante, distincte du motif de l’« atteinte aux droits humains et internationaux ». Il élargit également les motifs d’interdiction de territoire au titre de l’ensemble de l’article 4 de la LMES de deux grandes façons : premièrement, il ajoute des mesures économiques contre un État étranger; et deuxièmement, pour paraphraser, lorsqu’il y a eu ou qu’il pourrait y avoir eu une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales.
Il élimine également tout accès à la Section de l’immigration ainsi qu’à la dispense ministérielle. Il n’y aurait aucun droit d’audience, alors que cela est autorisé présentement pour les personnes visées par des sanctions internationales. Parallèlement, le projet de loi prévoit une admissibilité complète à demander l’asile et la levée de l’interdiction de territoire si des sanctions, et cetera, sont annulées.
Nous sommes favorables à ces deux dernières modifications. Cependant, cela soulève un certain nombre de questions. Je vais en souligner quelques-unes. Nous en avons relevé beaucoup dans notre mémoire, mais je veux en mentionner quelques-unes. Est-ce que le mot « sanctions » et le mot « entité » seront définis aux fins de la LIPR et du règlement? Nous ne comprenons pas pourquoi le nouveau paragraphe 35.1(1) de la LIPR, proposé dans le projet de loi, ne pourrait tout simplement pas s’aligner sur le libellé actuel, qui serait : « sanctions pour atteinte aux droits de la personne ou internationaux ». Est-ce que la violation des droits de la personne ou des droits internationaux sera toujours une exigence, et est-ce que les mêmes conséquences juridiques devraient s’appliquer en vertu de la LIPR, peu importe les méfaits personnels?
Tout cela a énormément d’importance, car les experts du régime de sanctions canadien, comme ma distinguée collègue, Mme Charron, ainsi qu’une étude antérieure du Sénat qui a été mentionnée aujourd’hui, ont cerné un certain nombre de problèmes graves dans le régime de sanctions. Il y en a trop pour les énumérer ici, mais il s’agit entre autres de la nécessité d’avoir une surveillance parlementaire, d’accroître la cohérence et la conformité, d’avoir des mécanismes de recours rapides et indépendants et de problèmes liés à la reddition de comptes, à la transparence et à d’autres aspects pratiques.
Pour dire les choses simplement, si quelques-unes seulement de ces préoccupations demeurent, nous risquons d’engendrer des conséquences défavorables pour beaucoup de gens si nous allons de l’avant avec cette approche en matière de sanctions, des gens que nous n’avions pas l’intention de cibler en vertu de la loi, y compris des enfants. Un autre aspect tout aussi troublant est que les mauvais acteurs pourraient ne pas être touchés, étant donné la nouvelle ambiguïté qui parcourt la loi et les limites de son application, qui vont entraîner des préoccupations en matière de procédure et d’équité, et cela pourrait même soulever des préoccupations constitutionnelles.
Compte tenu de tout cela, notre deuxième recommandation est que la loi doit être aussi claire dans le cas de la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur les mesures d’urgence. En ce qui concerne notre troisième recommandation, compte tenu des difficultés juridiques et pratiques actuelles, nous recommandons de donner accès en temps opportun à la dispense ministérielle et de conserver l’accès à la Section de l’Immigration, et on pourrait même envisager d’autres valves de sécurité comme la Section d’appel de l’immigration.
C’est une toile complexe. Pour ne donner qu’un exemple, le Canada a continué d’imposer les sanctions qu’il avait mises en place contre un État étranger, comme le Libéria, bien après que les Nations unies les aient levées. Sous le régime des lois en matière de citoyenneté et d’immigration, qu’arriverait-il dans ce scénario aux citoyens canadiens, aux résidents permanents, aux étrangers et aux membres de la famille à charge? Avec notre quatrième recommandation, nous soulignons l’importance de résoudre les conséquences possibles non voulues à l’égard des personnes à charge. Si la troisième recommandation est adoptée, cela aiderait à atténuer les préoccupations touchant la trop grande portée. Enfin, pour notre cinquième recommandation, nous nous appuyons sur le mémoire préparé par David Matas, qui, je crois savoir, a été déposé devant le Sénat. L’octroi de l’asile devrait se refléter immédiatement sur la liste, et l’accès au statut de réfugié devrait être cohérent au Canada et à l’étranger. Nous croyons que ces recommandations faciliteraient l’harmonisation du projet de loi S-8 avec les autres lois canadiennes et internationales, afin de pouvoir, au bout du compte, réaliser l’objectif de ces lois et respecter l’intention manifeste du Parlement. Merci.
Le président : Merci beaucoup, maître Bellissimo.
Andrea Charron, directrice, Centre for Defence and Security Studies, Université du Manitoba, à titre personnel : Merci beaucoup de me donner le privilège de vous faire part de mes réflexions.
Au Canada, la tendance a été d’adopter de nouvelles lois pour régler les problèmes liés aux sanctions, mais, souvent, les problèmes ne découlent pas des lois, mais bien des processus et des politiques. Premièrement, quel problème essaie-t-on de régler avec ces modifications? Est-il déjà arrivé qu’un étranger faisant l’objet de sanctions et qui était réputé interdit de territoire au Canada a réussi à entrer au pays? À la lumière des témoignages d’aujourd’hui, il semble que non. Le cas échéant, il serait pertinent de se demander si le problème tient à la loi, à son application ou à un autre facteur. La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, la LIPR, permettait déjà l’interdiction de territoire du fait de sanctions avant les modifications proposées. À mon avis, il y aurait lieu de réaliser un examen des politiques relativement à ces modifications législatives.
Deuxièmement, le Canada souhaite-t-il interdire de territoire automatiquement tous les étrangers ciblés par des sanctions en vertu de la LMES, ou est-ce plutôt que le gouvernement canadien veut être habilité de façon permanente à imposer des sanctions successives et à procéder par étape aux radiations de la liste? De plus, la LMES est habituellement utilisée pour stigmatiser tout un État. C’est ce qu’on appelle des sanctions géographiques. Puisque nous ne désignons pas d’individus — pour diverses raisons, ou parce que le Canada tarde à produire une liste —, je ne vois pas clairement ce qu’on entend par interdiction de territoire dans ce contexte, ni si cela ferait en sorte que les sanctions canadiennes soient plus ou moins en harmonie avec celles de nos alliés.
Les problèmes principaux, à l’égard des politiques et des processus, tiennent au fait que le Canada manque parfois de clarté quant aux motifs des sanctions ainsi qu’aux conditions qui doivent être remplies avant qu’elles soient levées. Cela s’explique par le fait que les facteurs qui déclenchent l’application du règlement ne correspondent pas aux motifs pour lesquels des gens sont inscrits sur la liste en vertu de la LMES. Cela veut dire que la valeur des sanctions, c’est-à-dire faire comprendre à la cible la transgression qu’elle a commise et les résultats souhaités, est vague. Par exemple, si, d’une part, un règlement peut s’appliquer en raison de violations graves et systématiques des droits de la personne qui ont été commises dans un pays, d’autre part, une personne peut être inscrite sur la liste parce qu’elle est un haut fonctionnaire dans un régime qui a commis une rupture sérieuse de la paix et de la sécurité internationales, ce qui est susceptible d’entraîner ou qui a entraîné une grave crise internationale; c’est d’ailleurs le cas de bon nombre de personnes inscrites sur la liste en vertu de la LMES en vertu du règlement visant la Russie.
D’un côté, les modifications proposées énoncent plus clairement qu’un étranger sera interdit de territoire s’il fait l’objet de sanctions. D’un autre côté, cela ne change rien au fait que la communication et la coordination des sanctions doivent être renforcées. Le problème tient au fait que le motif des sanctions n’est pas clairement exposé. De plus, sur le site Web d’Affaires mondiales Canada, il n’y a toujours aucune icône signalant de vérifier si une interdiction de territoire s’impose; il faut tout bonnement savoir qu’il faut consulter la LIPR. Le Canada n’informe pas les personnes ciblées qu’elles font l’objet de sanctions, et le Canada ne peut toujours pas sanctionner des entités en vertu de la Loi sur la Justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, aussi appelée la LJVDEC ou la loi de Magnitski.
Au lieu d’apporter ces modifications fragmentaires à la loi, et puisque des mesures autonomes seront appliquées de plus en plus souvent à l’avenir, compte tenu de la paralysie du Conseil de sécurité de l’ONU, j’ai six propositions à formuler.
Premièrement, il est nécessaire d’entreprendre un examen exhaustif de la LMES et de la LJVDEC, comme cela est énoncé à l’article 16 de celle-ci, puisque c’est le cinquième anniversaire des modifications apportées aux deux documents, en mettant tout particulièrement l’accent sur les progrès réalisés depuis la publication du rapport du Comité permanent des affaires étrangères et du développement international, lequel présentait 13 recommandations visant à améliorer l’efficacité des sanctions canadiennes. Deuxièmement, il faut informer les personnes ciblées du fait qu’elles sont sanctionnées, comme le font tous nos alliés de l’Union européenne. Troisièmement, il faut réaliser un examen de la qualité des données utilisées pour désigner les cibles et les entités. Il s’agit de données de sources publiques, et pourtant, nous n’indiquons pas les dates de naissance ni les numéros de passeport, contrairement au Royaume-Uni et à l’Union européenne, et ce, même si nous affichons les mêmes noms. Quatrièmement, la liste consolidée du Canada est encore trop lourde pour y effectuer une recherche, et le Canada n’envoie aucun avis automatique concernant des changements à la liste, comme le font nos alliés. Cinquièmement, nous devons signaler, au paragraphe 4(2) de la LMES et au paragraphe 4(3) de la LJVDEC, relativement aux activités interdites, que l’interdiction de territoire est une mesure possible. Enfin, même si la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus, ou LBBDEC, n’est pas censée imposer des sanctions proprement dites, si une personne peut être déclarée interdite de territoire pour corruption en vertu de la LMES ou de la loi de Magnitski, pourquoi cela serait-il impossible en vertu de la LBBDEC?
Même s’il n’y a rien de mal à souligner dans la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qu’il est possible d’être interdit de territoire du fait de sanctions, le Canada confirme sa tendance à peaufiner les détails de la loi sans s’attaquer aux problèmes fondamentaux de ses politiques et processus. Si nous voulons continuer d’imposer indépendamment des sanctions, comme le font nos alliés, nous devons régler les problèmes fondamentaux de nos politiques et nos processus. Merci.
Le président : Merci de vos commentaires. Je tiens à vous remercier tous les deux de vos déclarations. Cela nous sera très utile.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à Me Mario D. Bellissimo. L’article 6 du projet de loi S-8, qui vient ajouter le nouveau paragraphe 35.1(2) à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, précise qu’une personne qui n’est plus visée par les sanctions cesse dès lors d’être interdite de territoire. Pensez-vous que cette disposition est suffisante pour assurer la réversibilité de l’interdiction de territoire lorsque la personne n’est plus sujette à des sanctions?
[Traduction]
Me Bellissimo : Merci de la question, sénatrice. C’est utile de savoir que l’interdiction de territoire cesse dès que la sanction est levée, mais le problème, par rapport à ce scénario, tient à l’endroit où la sanction doit être levée. Mme Charron vient tout juste de nous parler des difficultés touchant l’envoi des avis. Est-ce que la sanction est levée par les Nations unies, par le Canada, ou les deux de concert? Combien de temps le processus prend-il?
Ce qui nous préoccupe, par rapport à l’ajout de tout ceci dans le régime d’immigration et d’interdiction de territoire, c’est que le libellé actuel ajoute tout simplement énormément d’incertitude quant aux personnes ciblées et aux raisons pour lesquelles elles le sont, et aussi quant au processus de radiation de la liste pour les gens qui sont inscrits. Présentement, sous le régime de la LIPR, avec le pouvoir discrétionnaire du ministre, cela peut prendre trois, quatre ou cinq ans. Si on impose à des gens — des enfants, des personnes à charge — de mettre leur vie sur pause pendant aussi longtemps, nous avons besoin que la loi soit claire pour comprendre ce qui va arriver, et quand. Présentement, après avoir lu la loi, nous estimons qu’elle n’est pas assez étoffée. Elle nous donne quelques indications, mais notre question principale, c’est : est-ce que nous dissocions les sanctions des violations des droits humains et internationales? Si cette dissociation est intentionnelle, alors qu’est-ce que cela suppose en droit? Est-ce que cela veut dire que toute personne venant d’une région géographique donnée va être sanctionnée, peu importe ses méfaits personnels? Aujourd’hui, on a dit qu’une personne et une entité peuvent être inscrites sur la liste. C’est utile, mais une personne à charge ne serait manifestement pas inscrite sur la liste, alors qu’est-ce qui lui arrive?
Je pourrais continuer longtemps. Cela me fait penser au jeu de serpents et échelles. Je crois, compte tenu de l’importance de cette loi et des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, que nous devons peaufiner un peu et préciser certaines choses, pour éviter de connaître des débats législatifs et des contestations de l’interprétation pendant des années. Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je voulais simplement savoir si les sanctions qui restreignent ces libertés de circulation sont un moyen vraiment efficace d’amener les gens à changer de comportement.
[Traduction]
Mme Charron : Merci. C’est possible, mais il n’existe aucune sanction miracle qui peut amener une entité quelconque, et surtout pas le régime de Poutine, à s’asseoir et à se dire : « Je dois changer de politique étrangère. » Il faut habituellement des sanctions successives, adoptées de concert avec nos alliés, mais cela prend du temps.
Évidemment, il y a eu des sanctions sur les déplacements dans le passé, par exemple quand Charles Taylor, le président du Libéria, et sa famille ont été sanctionnés, cela l’a fait réfléchir. Mais l’important, c’est d’avoir des sanctions ciblées. Il faut adapter les sanctions à chaque régime et au changement de comportement que nous essayons de provoquer.
Le sénateur Woo : Le but de ma question est que les témoins nous parlent un peu plus des problèmes qu’ils perçoivent dans ce projet de loi, afin de nous aider à comprendre.
D’après ce que j’ai compris, ils nous disent que ce projet de loi vise à résoudre un problème qui n’existe pas, alors qu’il y a bel et bien des problèmes dans le régime des sanctions, avant même qu’il soit question d’interdiction de territoire, qui doivent être réglés. Ces problèmes tiennent aux explications vagues sur les motifs pour lesquels les sanctions ont été imposées en premier lieu.
Peut-être que mon résumé n’était pas exact. Je l’ai formulé en partie sous forme de question, mais c’est surtout pour que vous nous parliez un peu plus de ce à quoi nous devrions réfléchir, selon vous, pas seulement à l’égard de ce projet de loi, mais aussi de façon plus générale à propos des problèmes et des difficultés du régime de sanctions.
Mme Charron : Merci beaucoup. Cela fait des années que je demande qu’il y ait un examen de nos mécanismes et de notre structure de sanctions, parce que tout ce que nous faisons, c’est empiler disposition par-dessus disposition. Pourtant, par exemple, la loi de Magnitski n’a pas été utilisée depuis trois ans maintenant. Nous ne pouvons pas cibler des entités en vertu de cette loi. Il y a toujours de la confusion quant au sens du mot « bien ». Il y a aussi le fait que l’amende prévue dans la LMES et la LJVDEC est de 25 000 $, mais de 100 000 $ dans la loi des Nations unies.
Il y a vraiment beaucoup de questions, surtout parce que les sanctions sont mises en œuvre par des tiers. Ce sont les banques, les agents immobiliers, les individus et les administrations universitaires qui doivent savoir comment les sanctions fonctionnent et quand faire — ou non — un signalement pour dire : « Je crois que vous devriez regarder d’un peu plus près cette personne. »
C’est donc pourquoi, au lieu de changer encore une fois la loi — et je note qu’il y a une autre modification proposée à la LJVDEC par un autre membre du Sénat —, je crois que nous devrions nous arrêter et réfléchir à des façons d’aligner nos lois sur celles de nos alliés. À notre époque de la concurrence géopolitique stratégique, où l’ONU n’est plus la principale autorité qui impose des sanctions, ces mesures indépendantes doivent être prises de concert. Nous savons qu’il y a des dispositions législatives très différentes qui interviennent, mais il y a des façons — grâce aux politiques, aux processus et à la coordination — d’accroître l’efficacité des sanctions.
Enfin, en ce qui concerne les sanctions, le but ne devrait jamais être la quantité; il faudrait plutôt miser sur la qualité. Qui sanctionnons-nous, et avec quelles mesures? Nous devons aviser les gens très clairement de ce qu’ils doivent faire pour que les sanctions soient levées, et pas seulement dire, comme aujourd’hui : « Vous êtes sanctionné parce que vous avez mal agi. » Cela ne leur donne aucune orientation quant à ce qu’ils doivent changer.
Me Bellissimo : Sénateur Woo, fondamentalement, le principal problème, c’est que selon le libellé actuel de la loi, une personne qui commet des violations graves des droits de la personne à l’étranger sera potentiellement traitée de la même façon qu’une personne qui n’a commis absolument aucune faute, dans le système d’immigration. À mon avis, cela est inacceptable, et c’est quelque chose qui pourrait accabler une personne et ses enfants pendant de nombreuses années.
On dit ici qu’il n’y aura pas nécessairement un changement des politiques. Peut-être, mais il y a tout de même des modifications tangibles qui sont prévues. Nous ne permettrons même plus à ces personnes d’avoir accès à la Section de l’immigration. Nous ne permettons pas à ces personnes d’avoir accès à une dispense ministérielle. Donc, alors que d’une main nous augmentons les conséquences globales, de l’autre, nous éliminons des droits en matière d’équité procédurale, ce qui pourrait entraîner un refoulement des réfugiés et même, sous le régime de la Loi sur les mesures d’urgence, peut-être leur renvoi immédiat.
Ce sont des considérations importantes. Quand on met ce genre de choses en œuvre, il faut tenir compte des nuances, de la portée et de l’ampleur des conséquences. Je ne suis pas un expert des sanctions comme Mme Charron, mais, après avoir examiné tout cela et m’être demandé comment cela allait s’appliquer quotidiennement, sur le terrain, avec des gens qui vont essayer de démêler tout ça, les conséquences seront incroyables.
C’est pour cette raison que j’implore tous les législateurs de réfléchir aux conséquences inattendues, parce qu’il y en a beaucoup et qu’elles auront de profondes répercussions.
La sénatrice Omidvar : Madame Charron, merci d’avoir souligné le besoin d’effectuer un examen et de viser l’harmonisation. Je ne suis pas un membre permanent du comité, mais je crois que vous venez de donner au président du comité une proposition d’étude. Nous pouvons toujours travailler plus dur.
Ma question s’adresse à Me Bellissimo. Vous avez mis en relief vos préoccupations à propos de ce projet de loi. Quelles modifications proposeriez-vous pour dissiper vos préoccupations?
Me Bellissimo : Merci de la question, sénatrice. Nous avons essayé de les expliquer dans notre mémoire. Nos propositions sont claires : nous avons besoin d’une définition claire de l’expression « entités sanctionnées », qui ne s’appuie pas sur la toile complexe des lois nationales, mais qui s’applique précisément à l’immigration. Même chose pour le terme « entité ». Nous avons besoin du même niveau de clarté dans la Loi sur la citoyenneté et la Loi sur les mesures d’urgence. Ces lois, actuellement, ne font aucune mention de ce que ces termes sont censés vouloir dire. Il est question ici de révoquer la citoyenneté, c’est ce qu’il y a de plus sévère. Il est aussi question peut-être d’empêcher des citoyens de parrainer des gens en conséquence. Il y a beaucoup de personnes qui vont être touchées.
Il faudrait aussi examiner les conséquences sur les personnes à charge et apporter des modifications pour que les personnes à charge aient accès à des recours en vertu de la loi, que ce soit la Section de l’immigration, la Section d’appel de l’immigration ou le pouvoir discrétionnaire du ministre.
Cela rejoint nos autres recommandations. Pourquoi éliminons-nous des mesures de protection procédurales en même temps que nous alourdissons autant les conséquences?
Comme nous l’avons mentionné en parlant des réfugiés, dès qu’il est conclu que vous avez qualité de réfugié, dès qu’il est conclu que vous avez un statut ou un autre au Canada, vous devriez être immédiatement radié de la liste. Vous ne devriez pas être obligé de recommencer un autre processus et d’attendre encore plus longtemps, alors que le Canada a reconnu votre statut.
La sénatrice Omidvar : Merci. Vous m’excuserez, mais je n’ai pas vu votre mémoire. Peut-être que je ne l’ai pas reçu. Je suis désolée de vous avoir demandé de répéter ce que vous avez dit, mais je crois que cela en valait la peine. Merci beaucoup.
Le président : Sénatrice, le mémoire est en ligne, alors je crois que vous devriez être en mesure de le voir sur la page des comités.
Le sénateur Richards : Maître Bellissimo, je sais qu’il s’agit d’un autre type de politique, mais mon fils était sur une liste d’interdiction de vol à l’âge de 9 ans, et cela a pris du temps. L’erreur a été constatée immédiatement; puisque ce n’était qu’un petit gamin blond qui voulait se rendre à Toronto, mais tout de même, il était inscrit à la liste d’interdiction de vol.
Je me demandais si ces sanctions pouvaient entraîner le même genre de complications déraisonnables.
Me Bellissimo : Merci de la question, sénateur. Absolument. Cela dépasse le sujet de la discussion d’aujourd’hui, mais le ministère compte également augmenter son recours à l’intelligence artificielle et aux outils d’aide technologique. Pour beaucoup de ces outils, la sélection est en cours, selon certains critères. Il arrive encore qu’on nous demande un permis de conduire pour un enfant de 7 ans.
Cela fait plus de 25 ans que je pratique, et je sais que l’intention initiale d’une loi et le résultat final de son application peuvent être aux antipodes, et alors il faut des années pour faire marche arrière, à coups de jurisprudence et de contestations sur le terrain. Tout à fait, sénateur, ce sont exactement le type de conséquences que nous devrions éviter.
Il faut se rappeler que le principe derrière tout cela, c’est que nous ne voulons pas permettre aux mauvais acteurs de contourner le système ou d’y échapper, parce que tout le régime est trop complexe, ou parce qu’il est contesté, ou parce qu’il s’est effondré. Je demande donc instamment, encore une fois, aux sénateurs d’y réfléchir, parce que plus le système est complexe, plus son interprétation peut être exagérée, et moins il y a de nuances, plus il est facile de le contester. Merci.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup, maître. Je suis tout à fait d’accord. Je ne veux pas moi non plus que les mauvais acteurs puissent se faufiler entre les mailles du système, mais il faut faire en sorte qu’un enfant de 9 ans ne figure pas sur la liste d’interdiction de vol. Merci de votre réponse.
Mme Charron : Je suis tout à fait d’accord avec Me Bellissimo. Aussi, je crois que nous devrions examiner rigoureusement le processus par lequel l’information dans une liste créée par la ministre des Affaires étrangères est communiquée à l’ASFC et comment tout cela fonctionne en pratique. Parce que ce n’est pas clair, pour moi, selon les données publiques; je ne comprends pas bien comment tout cela se fait, ni pourquoi il y a si peu d’informations accessibles sur nos sites Web. Peut-être qu’il y a de très bonnes raisons, mais, encore une fois, puisque pour la plupart des sanctions il incombe à d’autres qu’à des fonctionnaires du gouvernement de s’assurer que nous sommes tous en conformité, je crois que nous devrions examiner rigoureusement ce processus.
Le président : Merci beaucoup. Chers collègues, nous sommes rendus à la fin de la liste. Quelqu’un d’autre souhaite-t-il poser une question? C’est maintenant ou jamais. Sinon, j’aimerais remercier nos témoins de leur franchise dans leurs commentaires. Merci d’avoir été des nôtres.
La prochaine réunion aura lieu le jeudi 9 juin. Nous recevrons un groupe de témoins, les quatre sous-ministres d’Affaires mondiales Canada, dans le cadre de notre étude sur le Service extérieur. Pour ceux d’entre vous qui savent à quel point il est difficile de réunir des sous-ministres, et encore plus tous en même temps, j’espère qu’il n’y aura aucun problème et que les quatre comparaîtront.
Ensuite, nous prévoyons passer à l’étude article par article du projet de loi S-8.
J’aimerais vous rappeler, chers collègues, que si vous voulez proposer des modifications au projet de loi, alors je vous encourage fortement à consulter le bureau du légiste du Sénat aussi rapidement que possible, afin que vos modifications soient rédigées dans le bon format et dans les deux langues officielles. Notre greffière, Mme Lemay, vous transmettra une note de service à ce sujet plus tard aujourd’hui.
La sénatrice Coyle : Merci, monsieur le président. Je me demandais si nous aurions le temps, au début de l’étude article par article la semaine prochaine, d’avoir une petite discussion.
Le président : Bien sûr.
La sénatrice Coyle : D’accord. Je pense que cela nous sera peut-être utile, avant de sauter dans l’étude article par article.
Le président : Oui, bien sûr. Ce sera avec plaisir, sénatrice Coyle. Merci de la proposition.
Comme il n’y a rien d’autre à l’ordre du jour, je vais lever la séance. Merci.
(La séance est levée.)