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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 26 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 heures (HE), avec vidéoconférence, pour effectuer un examen approfondi des dispositions et de l’application de la Loi de Sergueï Magnitski, et de la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

Avant de commencer, je voudrais inviter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.

Le sénateur Ravalia : Bonjour. Bienvenue au Sénat du Canada. Je m’appelle Mohamed Ravalia et je représente Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, je représente le Québec.

[Traduction]

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le président : Merci à tous, en particulier à la sénatrice Deacon. Je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’aux gens de partout au pays qui pourraient nous regarder aujourd’hui.

Aujourd’hui, nous entamons l’examen des dispositions et de l’application de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus — ou loi de Sergueï Magnitski — et de la Loi sur les mesures économiques spéciales, conformément à l’article 16 de la loi de Sergueï Magnitski. Le comité a reçu ce mandat du Sénat le 17 octobre 2022. Aujourd’hui, nous recevons des entités et des représentants gouvernementaux qui jouent un rôle dans le régime de sanctions du Canada.

En première partie, nous recevons Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Politique stratégique; Lynn McDonald, directrice générale, Politiques économiques internationales; et Stephen Burridge, directeur, Coordination politique et opérations des sanctions d’Affaires mondiales Canada. Bienvenue à tous et merci d’être avec nous.

Chers collègues, avant d’entendre votre déclaration et de passer aux questions-réponses, j’aimerais demander aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près du microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité et d’autres personnes dans la salle qui porteraient une oreillette à des fins d’interprétation. Je veux souligner que cela est extrêmement important. Nous avons eu un incident horrible la semaine dernière au Sénat et nous devons vraiment faire attention à cela.

[Français]

Nous sommes maintenant prêts pour vos remarques préliminaires. Ce sera suivi d’une période de questions des sénateurs.

Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Politique stratégique, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup. Honorables sénateurs, je suis heureux de me présenter ici devant le comité dans le cadre de cet examen.

[Traduction]

Compte tenu de la réponse vigoureuse du Canada en matière de sanctions aux récents événements mondiaux, il s’agit effectivement d’une occasion très propice pour réfléchir aux leçons que nous avons tirées au cours des cinq dernières années. Aujourd’hui, j’aimerais vous donner un aperçu de la législation canadienne sur les sanctions autonomes.

Le président : Pouvons-nous nous interrompre un instant? Nous éprouvons un problème d’interprétation, je crois. Monsieur Lévêque, si vous pouviez redresser votre microphone pour qu’il soit directement devant vous, cela pourrait aider. Veuillez dire quelques mots.

Avons-nous l’interprétation? Très bien. Nos excuses. Veuillez continuer.

M. Lévêque : Aucun souci. Je veux m’assurer d’être entendu et compris tout au long du processus, sans laisser personne de côté.

Aujourd’hui, ce que j’aimerais faire, c’est vous donner un aperçu de la législation canadienne sur les sanctions autonomes, de ce que nous avons accompli depuis 2017, de quelques-unes des leçons que nous avons tirées et de quelques réflexions sur des thèmes que le comité pourrait vouloir explorer davantage au début de ses travaux.

Comme vous le savez, le Canada dispose de deux lois lui permettant d’imposer des sanctions autonomes. Celle dont nous devons parler aujourd’hui, la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, ou LJVDEC, et comme vous l’avez dit, communément appelée la loi de Magnitski; et la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES.

La LJVDEC permet au Canada de cibler expressément les ressortissants étrangers responsables ou complices de violations flagrantes des droits de la personne et d’actes de corruption importants.

La LMES permet au Canada d’imposer des sanctions à un État étranger, à ses citoyens et à ses entités, en raison d’une atteinte grave à la paix et à la sécurité internationales, d’un appel lancé par une organisation internationale à ses membres pour qu’ils imposent des sanctions, de violations systématiques des droits de la personne ou de cas de corruption importants.

Treize pays font actuellement l’objet de sanctions en vertu de la LMES, y compris pour répondre à des situations en Chine, en Iran, en Russie, au Bélarus et au Nicaragua.

[Français]

Au cours des cinq années écoulées depuis la publication du dernier examen de la Loi sur les mesures économiques spéciales, le ministère a pris des mesures importantes pour améliorer la gestion et la cohérence du régime de sanctions du Canada. En réponse à l’examen et à l’élargissement des pouvoirs du Canada en matière de sanctions autonomes avec l’adoption de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, le ministère a mis en place une capacité spécialisée pour la politique et les opérations liées aux sanctions à la suite d’une annonce dans le budget de 2018. Cette capacité a permis d’accomplir plusieurs choses, dont les suivantes.

Tout d’abord, elle a permis de renforcer la cohérence et la coordination de l’approche du gouvernement du Canada à l’égard de sa politique relative aux sanctions et de soutenir l’engagement du Canada auprès de ses alliés clés.

Deuxièmement, nous avons pu mettre en place une boîte aux lettres électronique et une ligne téléphonique accessible aux personnes du public qui souhaitent obtenir des informations sur les sanctions du Canada.

Nous avons pu créer des processus plus rationalisés pour les demandes de licence, de radiation de la liste et de certificat et leurs évaluations, et veiller à ce qu’elles soient examinées en temps opportun. Nous avons pu aussi sensibiliser le secteur public et le secteur privé canadiens à la manière de s’engager dans le commerce international en conformité avec les sanctions du Canada.

Depuis la fin de 2007, la Loi sur les mesures économiques spéciales a été utilisée à 120 reprises pour réagir à des violations des droits de la personne et à des menaces pour la paix et la sécurité internationales. Rien que depuis 2017, plus de 2 000 personnes et entités ont été sanctionnées par l’intermédiaire de la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Depuis 2017, la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus a quant à elle été utilisée pour sanctionner 70 personnes, y compris lors des violations les plus flagrantes des droits de la personne, comme l’exécution extrajudiciaire de Jamal Khashoggi en 2018.

[Traduction]

Ce sont là des réalisations importantes. Toutefois, dans le même temps, le contexte mondial a changé de façon spectaculaire et, avec lui, l’environnement des sanctions a subi une transformation sans précédent.

Au cours des cinq dernières années, le recours par le Canada aux sanctions en tant qu’outil diplomatique ciblé de dernier recours a évolué pour devenir une option de préférence utilisée dès le début pour s’attaquer aux problèmes internationaux les plus pressants.

Avec cette évolution, la demande et les défis associés à la mise en œuvre, à l’application et à la réglementation du régime de sanctions du Canada ont augmenté de façon exponentielle.

Dans cette optique, je manquerais à mon devoir si je ne parlais pas plus précisément du recours aux sanctions depuis février de cette année, à la suite de l’invasion injustifiable de l’Ukraine par la Russie.

Depuis, le Canada a imposé de nouvelles sanctions à plus de 1 400 personnes et entités russes, biélorusses et ukrainiennes en vertu de la LMES, dans le cadre de 40 séries de sanctions. Compte tenu de la nature prolongée prévue du conflit, nous prévoyons que cela se poursuivra.

Depuis janvier 2022, le Canada a également imposé des sanctions pour répondre à des situations au Myanmar et en Iran. Si on ajoute les sanctions liées à la guerre menée par la Russie en Ukraine, pour la seule année 2022, le Canada a imposé plus de 44 séries de sanctions autonomes, ce qui représente une augmentation globale de 83 % du recours à cet outil de politique étrangère par rapport aux quatre années précédentes combinées.

En juin de cette année, un fait nouveau important est survenu lorsque nous avons modifié la LMES et la LJVDEC afin de permettre au gouvernement de saisir, de confisquer, d’aliéner et de redistribuer des biens appartenant à des personnes sanctionnées. Le Canada est le premier pays au monde à adopter ce type de législation. La mise en œuvre de cet outil nouveau et non éprouvé exige de la prudence, une diligence raisonnable et une approche pangouvernementale.

[Français]

Le gouvernement a récemment pris des mesures en raison de ce recours accru aux sanctions. Le 7 octobre, le premier ministre a annoncé un nouveau financement pour soutenir la création d’un bureau spécialisé en matière de sanctions à Affaires mondiales Canada.

Les ressources que le Canada consacre à l’élaboration et à la mise en œuvre des sanctions seront ainsi plus conformes à celles de nos alliés les plus proches qui disposent d’outils de sanctions semblables aux nôtres.

Nos collègues se consacrent à la mise sur pied de ce nouveau bureau afin d’offrir une approche encore plus robuste et complète pour l’administration des sanctions.

[Traduction]

Cet examen, comme je l’ai dit, offre l’occasion idéale de déterminer si d’autres ajustements au régime de sanctions du Canada peuvent être justifiés et d’examiner les avantages et les inconvénients qui y sont associés. Le comité pourrait vouloir examiner, par exemple, les questions liées au processus par lequel les sanctions sont imposées. En vertu de la LMES et de la LJVDEC, les sanctions sont imposées au moyen d’un processus réglementaire du gouverneur en conseil. Il faut garder à l’esprit le juste équilibre entre l’efficacité et la rigueur ou, d’une façon différente, entre la rapidité et la tolérance au risque. Nous observons autour de nous un certain nombre de modèles différents provenant de pays aux vues similaires et nous pourrions tirer des leçons de leurs expériences, sur le plan tant des pratiques exemplaires que, bien sûr, des défis.

Un autre aspect de l’environnement mondial actuel est l’augmentation de menaces nouvelles et émergentes, comme les actions hostiles d’acteurs non étatiques, les cyberactivités malveillantes et les attaques aux armes chimiques. Dans certains cas, des pays aux vues similaires ont déjà mis en place des outils pour répondre à certaines de ces menaces, comme les cybermenaces et les attaques aux armes chimiques. Quelle a été leur expérience à cet égard? Y a-t-il des leçons à tirer pour le Canada dans ce domaine également?

Pour terminer, à bien des égards, cet examen n’aurait pas pu tomber plus à propos. Comme vous le savez, les événements de l’année dernière nous ont appris beaucoup de choses et nous ont donné encore plus à réfléchir sur l’avenir des outils du Canada en matière de sanctions. J’espère que ces premières pensées et réflexions dont j’ai pu vous faire part aujourd’hui constitueront une base utile pour aider le comité dans le cadre de cet examen.

[Français]

Je vous suis reconnaissant de m’avoir donné l’occasion de me présenter ici. J’attends avec impatience de connaître le résultat de vos travaux et peut-être même, si vous en voyez l’utilité, une seconde invitation. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Lévêque.

[Traduction]

Comme d’habitude, chers collègues, je tiens à vous informer que vous disposerez chacun d’un maximum de quatre minutes pour la première série de questions. Cela comprend à la fois la question et la réponse, alors je vous suggère de faire en sorte que votre préambule soit aussi bref et concis que possible.

Le sénateur Ravalia : Merci, monsieur Lévêque.

En ce qui concerne les sanctions contre la Russie — et vous avez dit que plus de 1 400 personnes et entités étaient concernées — on pensait que cela paralyserait très rapidement l’économie de la Russie. Au début, nous avons vu le rouble s’effondrer, puis la situation s’est stabilisée. Actuellement et paradoxalement, les effets économiques sur la planète semblent être encore plus graves qu’en Russie, d’après ce que nous pouvons constater. À votre avis, dans quelle mesure, le cas échéant, les preuves disponibles indiquent-elles que les sanctions internationales ont entraîné un changement de comportement en Russie? Avons-nous une idée de l’incidence de ces sanctions sur le peuple russe? Merci.

M. Lévêque : Merci beaucoup pour la question, monsieur le président. Il s’agit d’une question centrale. Évidemment, pourquoi imposons-nous de telles mesures si nous ne pouvons pas mesurer leur incidence?

D’abord, l’imposition de sanctions est l’un des nombreux outils de notre boîte à outils internationale pour aider à modifier les comportements. Elle ne peut pas agir seule. Nous ne pouvons pas agir seuls. Les sanctions ne sont efficaces que si elles sont appliquées avec un certain nombre d’autres pays. Une coordination maximale permet d’obtenir un impact maximal. Mais, bien sûr, elles doivent être appliquées parallèlement à d’autres méthodes d’engagement — pressions diplomatiques, isolement diplomatique, recours aux organisations internationales, et cetera.

Et, bien sûr, le fait est que le Canada et un certain nombre d’autres pays, dans le cas de la Russie, soutiennent également l’Ukraine militairement, ce qui constitue une partie importante de la riposte contre la Russie.

Cela dit, il existe des preuves de l’existence des répercussions importantes sur l’économie de la Russie. Le ministère des Finances de la Russie, lui-même, a signalé le plus fort déclin de l’économie russe depuis 2009, par exemple. Selon les prévisions, l’économie devrait encore baisser en 2023. Plus de 1 000 entreprises ont déjà cessé de faire des affaires en Russie. La Russie, nous le savons, est confrontée à des pénuries critiques de biens et de technologies de pointe, qui ont des effets directs sur ses machines militaires et ses efforts de guerre.

Cela met en perspective les répercussions à court terme et les répercussions à long terme. Les répercussions actuelles sur l’économie russe nous permettent de dire qu’elle souffrira à long terme. Les chaînes d’approvisionnement qui fournissent les éléments les plus perfectionnés de l’économie russe seront certainement touchées, non seulement pendant six mois, mais probablement pendant près d’une décennie, comme l’estiment la plupart des économistes.

Entretemps, bien sûr, la Russie profite énormément des revenus tirés des ressources naturelles. Même si le Canada et un certain nombre d’autres pays qui imposent des sanctions ont réduit au minimum et, dans bien des cas, cessé d’acheter ces produits, d’autres pays continuent de les acheter. C’est pourquoi nous répétons que seules la coordination maximale et les alliances maximales, si je peux les appeler ainsi, entre les pays, auront la plus grande incidence sur les pays que nous voulons sanctionner.

Le sénateur Woo : Encore une fois, bienvenue. Permettez-moi de revenir sur la question du sénateur Ravalia, qui porte essentiellement sur les mesures du rendement. Comment avons-nous formulé l’objectif des sanctions contre la Russie?

Vous avez parlé des répercussions à long terme sur l’économie russe et vous avez tout à fait raison. La Russie va reculer pendant de nombreuses années, mais j’aurais cru que l’objectif le plus immédiat était d’essayer de mettre fin à la guerre, de mettre fin aux combats. Est-ce qu’on énonce un objectif précis lorsqu’on impose des sanctions de la façon que j’essaie de décrire? Parce que si nous ne le faisons pas, je ne suis pas sûr de savoir ce que nous mesurons. Essayons-nous vraiment de ruiner l’économie russe pour les cinquante prochaines années?

M. Lévêque : Je vous remercie, monsieur le sénateur, de poser la question. Ce que nous essayons de faire, c’est d’imposer le coût le plus élevé possible pour, bien sûr, dissuader le régime actuel de poursuivre sa position militaire très agressive.

Il y a un deuxième élément qui a un effet dissuasif. Ce qui est un peu unique ici, et je pense que nous avons tous été témoins d’une première, c’est le niveau auquel la plupart des pays occidentaux étaient prêts à se coordonner et à aller beaucoup plus loin pour imposer des sanctions, pour être honnête, d’une façon qui fait parfois mal sur le front intérieur. Le premier ministre a déclaré à un moment donné que si cela ne nous fait pas mal, c’est que nous ne faisons pas tout à fait ce qu’il faut, c’est-à-dire imposer des coûts maximaux.

Est-ce rentable dans l’avenir immédiat? On ne sait jamais tant qu’on n’a pas essayé, et nous avons maximisé, comme vous l’avez entendu dans mes statistiques, l’imposition de sanctions comme jamais auparavant.

Ce que nous espérons, c’est que d’autres pays surveilleront la situation et prendront note du fait que, lorsque la communauté internationale est témoin d’actes vraiment répréhensibles, nous sommes prêts à intervenir, et nous sommes prêts à le faire d’une manière qui peut même être pénible pour notre propre économie. Évidemment, nous essayons de réduire au minimum les répercussions sur nos propres économies et sur les populations civiles et les plus vulnérables, et c’est pourquoi nous avons une certaine souplesse dans la loi sur les sanctions, mais c’est un outil brutal, surtout lorsque nous l’utilisons si abondamment : 1 400 particuliers et entités russes ont été visés au cours des sept derniers mois seulement.

Le sénateur Woo : Permettez-moi au moins de poser la question. J’ai été frappé par votre commentaire selon lequel nous utilisons beaucoup plus les sanctions aujourd’hui qu’il y a quelques années, ce qui représente une augmentation très spectaculaire de la fréquence. Est-ce parce que les experts, qui ont l’expérience des sanctions et qui ont vu qu’elles réussissaient à modifier les comportements — tant sur le plan comportemental que sur le plan de la dissuasion — recommandent au ministère des Affaires étrangères et à la classe politique de recourir davantage aux sanctions? Ont-ils suivi vos conseils, ou est-ce pour d’autres raisons?

Le président : Une réponse courte, s’il vous plaît. Nous avons un peu moins d’une minute.

M. Lévêque : Je pense que c’est probablement plus organique qu’une situation de l’œuf et de la poule. Je pense qu’il s’agit d’une observation générale et d’une tendance, une tendance qui est mondiale en ce moment. Nous ne sommes certainement pas le seul pays à imposer une quantité exponentielle de sanctions.

Le sénateur Woo : S’agit-il d’une tendance parce que vous et vos experts du ministère et d’autres ministères des Affaires étrangères avez constaté un bilan positif? Est-il juste de dire cela?

M. Lévêque : Ce n’est pas aussi noir et blanc que cela.

Le sénateur Woo : D’accord.

M. Lévêque : Cependant, de plus en plus de preuves démontrent que cela peut avoir une incidence si c’est fait d’une certaine façon.

La sénatrice M. Deacon : Merci d’être encore ici. Je vais juste prendre un peu de temps pour répondre aux questions du sénateur Woo, mais nous y reviendrons plus tard.

Je m’interroge sur les règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Y a-t-il eu des cas où des personnes illicites ont pu demander au ministre des Affaires étrangères de retirer leur nom? C’est une des choses que nous savons, mais dont nous ne parlons pas beaucoup. Je me demande s’il y a eu des cas où des ressortissants étrangers ont présenté une demande et, si oui, ont-ils réussi? Y a-t-il des renseignements que vous pourriez nous communiquer?

M. Lévêque : Merci, monsieur le sénateur. C’est certainement une disposition dans la loi. Oui, elle a été utilisée dans le passé. Nous avons reçu des demandes de radiation de la liste. Il s’agit d’un long processus où il faut démontrer qu’une personne ne devrait plus figurer sur la liste.

Il faudrait que je me renseigne pour savoir si cela a été fait dans le passé. Je ne sais pas si mes collègues le savent. Il faudrait s’en assurer, mais c’est certainement le cas. Nous avons reçu des demandes dans le passé.

La sénatrice M. Deacon : J’aimerais avoir cette rétroaction.

L’autre question que j’allais poser pourrait également être directe dans un certain sens. En regardant cette liste consolidée des sanctions autonomes canadiennes, on y trouve environ 500 Ukrainiens. J’ai été surprise de voir autant de personnes sur la liste des sanctions provenant d’un pays qui n’était pas l’agresseur dans la guerre. Ces groupes et ces personnes proviennent-ils des régions occupées de l’Ukraine, par exemple? Je sais que ce conflit a été une véritable pierre de touche ou le premier test pour ces deux lois. Je pense que ce sont des exemples qui pourraient nous être utiles au moment de comprendre comment ils sont appliqués.

Pourriez-vous me faire part de votre point de vue à ce sujet?

M. Lévêque : Absolument, merci, madame la sénatrice et monsieur le président. Vous avez tout à fait raison. Les ressortissants ukrainiens qui figuraient sur la liste des pays visés par les séries de sanctions actuelles ont tout à voir avec l’occupation russe, et ce sont essentiellement des facilitateurs ukrainiens. Ce sont plus que des sympathisants. Je tiens à dire qu’ils collaborent avec le régime russe dans les régions annexées et occupées de la Crimée, de Donetsk et de Luhansk. Il s’agit essentiellement des mandataires russes qui exercent leurs activités en territoire ukrainien occupé par la Russie.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Le président : Il vous reste un peu de temps, madame la sénatrice, si vous le souhaitez.

La sénatrice M. Deacon : Merci. La partie C ou la partie D de mon collègue, le sénateur Woo, porte sur les chiffres et les changements apportés aux sanctions. Sommes-nous en train de détourner une bonne partie de ce que nos alliés et les Nations unies font pour sanctionner les entités et les personnes, ou notre liste correspond-elle toujours de façon générale à celle de nos alliés des Nations unies et du Commonwealth? J’essaie d’obtenir ces chiffres.

M. Lévêque : Merci, madame la sénatrice. Il y a énormément de coordination entre cette poignée de pays. C’est vraiment un petit nombre de pays qui ont imposé des sanctions autonomes comme nous le faisons. Essentiellement, cela se résume aux États-Unis, au Royaume-Uni, à l’Union européenne et à l’Australie dans une certaine mesure. Je crois aussi que le Japon le fait, mais à un niveau beaucoup plus limité. Il existe donc une coordination étroite, en particulier, je dirais, entre le Canada, l’Union européenne, les États-Unis et le Royaume-Uni.

Nous avons des régimes de sanctions très différents. Ils visent à faire la même chose, mais les mécanismes — les processus — qui sont utilisés sont très différents, et les délais peuvent donc être très différents. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, nous avons un processus de décret en conseil qui exige de nombreuses étapes différentes, c’est-à-dire une politique couverte par le premier ministre ou le Cabinet, une décision du Conseil du Trésor et une signature et une entente par le gouverneur général. Il s’agit donc d’un processus assez long.

Les États-Unis, par exemple, le font par décret présidentiel.

Le président : Merci beaucoup. Nous n’avons plus de temps pour ce segment, mais je suis sûr que nous pourrons revenir sur ce point. Si vous me le permettez, monsieur Lévêque, je vous demanderais de vous assurer de communiquer par écrit avec la greffière, Mme Lemay, au sujet de la question de la sénatrice Deacon concernant les demandes de radiation de la liste. Ce serait utile. Si je me souviens bien, vous vous êtes porté volontaire pour fournir cette information, alors nous vous en tiendrons responsable.

Le sénateur Richards : Ma question a été posée et, d’une certaine manière, on y a répondu. Elle portait sur la coordination de la loi de Magnitski dans d’autres pays et sur l’effet des sanctions sur la Russie. Je vais laisser la parole à la sénatrice Boniface.

La sénatrice Boniface : Ma question découle en quelque sorte de la question du sénateur Woo. Cinq ans plus tard, lorsque vous y repensez — vous avez vous-même dit que nous faisions face à un paysage changeant — pouvez-vous nous donner votre évaluation de l’efficacité de la loi de Magnitski, compte tenu de ce paysage changeant, en tant qu’outil législatif et stratégique?

M. Lévêque : Merci. Monsieur le président, c’est la question à un million de dollars.

Dans le cadre de notre propre évaluation, nous faisons beaucoup de numérisation de la documentation, d’études et de travail avec des universitaires et différents intervenants pour essayer de mieux cerner les mesures de succès qui pourraient être identifiées et définir réellement ce que signifie le succès.

Parlons-nous vraiment de la seule modification du comportement? Considérons-nous que les sanctions doivent être efficaces sur une période de six mois seulement et que, si ce n’est pas le cas, nous les considérons comme un échec? Comment mesure-t-on l’effet dissuasif? Comment mesure-t-on ce que l’on a réussi à dissuader et, par conséquent, ce qui ne s’est jamais produit? C’est évidemment une affaire complexe. Je ne dis pas cela dans le but d’éluder à une question compliquée. Je pense que nous avons tous du mal à mesurer l’impact final et, par conséquent, l’efficacité.

Nous disposons de mesures des extrants. Ce n’est pas nécessairement la mesure d’un résultat ou d’une issue. Mais dans le cas de la Russie, ce qui est très différent des autres cas, c’est le niveau de coordination des pays, l’intensité avec laquelle les mesures ont été imposées et certainement les répercussions à moyen et à long terme sur l’économie.

D’une certaine façon, c’est une sorte d’expérience en cours. Nous recueillons des données importantes pour pouvoir mieux répondre à cette question. Je ne crois pas que quiconque ayant une certaine honnêteté intellectuelle puisse donner une réponse complète à cette question.

La sénatrice Boniface : Lorsque vous parlez de processus différents selon les pays, surveillez-vous cela également? Je comprends que la structure du Canada en tant que fédération et les processus que nous suivons peuvent différer, mais arrivez-vous à mesurer, pendant que vous avancez, ce qui fonctionne mieux dans d’autres pays?

La rapidité n’est pas toujours la solution pour ce qui est de faire adopter ces mesures. J’aimerais simplement savoir comment vous observez le reste du monde sur ce plan.

M. Lévêque : Absolument. Merci, madame la sénatrice. D’une certaine façon, cela me donne l’occasion de terminer ma réponse à la question de la sénatrice Deacon, et je suis heureux d’avoir l’occasion de le faire.

Oui. Tout d’abord, nous faisons des comparaisons. Comme je le disais, nos processus et nos échéanciers sont différents, mais en fin de compte, nous énumérons les noms et les entités de la même façon que les autres pays le font. Nous avons des graphiques de milliers de pages qui indiquent quels pays et, dans le cas de l’Union européenne, quelles entités énumèrent quels noms. Nous essayons de combler l’écart. Nous essayons de voir la vitesse et les méthodes qu’ils utilisent, bien sûr, pour obtenir un certain résultat.

Nous nous inspirons les uns des autres, non seulement parce qu’il est agréable d’être en bonne compagnie, mais aussi parce que, encore une fois, les sanctions ne sont efficaces que si nous comblons les lacunes. Si je suis un oligarque russe, que mes actifs se trouvent au Royaume-Uni et que ceux-ci font l’objet de sanctions, je déplacerai ceux qui n’ont pas encore été trouvés vers l’Union européenne ou le Canada. Si nous « fermons tous la clôture », cela a une efficacité maximale, ce que j’ai mentionné plus tôt.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos témoins d’être avec nous.

Je m’intéresse davantage au processus. Vous avez parlé un peu de certains des éléments de la fin du processus. Vous avez parlé un peu de l’examen de nos partenaires mondiaux et des personnes qu’ils sanctionnent, et ainsi de suite.

Mais pourriez-vous nous décrire — et il n’y a peut-être pas de situation typique — le processus décisionnel qui consiste à sanctionner une personne ou une entité en vertu de la loi de Magnitski ou de la LMES : tout d’abord, qui l’amorce? De quelle façon? Quelles preuves sont utilisées? D’où proviennent-elles? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Lévêque : Je suis heureux d’avoir l’occasion de clarifier un peu le mystère qui entoure la confection de ces produits.

Tout commence par l’information de source ouverte. Nous avons des ambassades et des missions sur le terrain ainsi que des partenaires, des parties prenantes et la société civile qui observent. Nous-mêmes, par l’intermédiaire de notre ambassade en Russie, avons connaissance de gens — pour prendre cet exemple — dont nous savons qu’ils sont des oligarques et qu’ils ont des liens importants avec le Kremlin ou le régime de Poutine.

Nous commençons donc par établir une liste provisoire comme celle-ci, puis nous faisons des recherches approfondies pour obtenir de l’information afin de maximiser nos connaissances et notre confiance et nous assurer que ce que nous pensons qu’ils sont et que les liens qui les unissent sont effectivement exacts. Il s’agit de respecter l’application régulière de la loi et d’assurer l’équité procédurale, même aux ressortissants étrangers. Encore une fois, c’est un instrument brutal, et le fait de tomber du mauvais côté des sanctions peut avoir des conséquences financières et autres importantes.

Une fois que nous avons établi une telle liste et que nous nous sommes assurés de l’existence de liens clairs, nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère de la Justice, qui joue également un rôle de remise en question, pour nous assurer que l’information que nous avons recueillie est suffisante pour que la personne ou l’entité soit inscrite sur la liste en vertu de la LMES ou de la LJVDEC.

Une fois que nous avons fourni cet ensemble de preuves et de données, le processus de décret en conseil commence : nous préparons la documentation, elle est soumise au ministère des Affaires étrangères, qui demande alors le consentement du Conseil du Trésor pour envoyer ce décret au gouverneur général; le gouverneur général le signe, et il devient un règlement et, par conséquent, un amendement de la loi sur les sanctions.

La sénatrice Coyle : Vous avez dit que l’expérience de l’an dernier nous a beaucoup appris parce que nous avons été très actifs dans ce processus. Vous avez parlé de la façon dont il serait bon d’étudier les ajustements, les avantages et les inconvénients, et cetera. Pouvez-vous nous parler maintenant, à partir de votre expérience actuelle, des types d’ajustement ou les domaines d’ajustement que nous devrions étudier selon vous?

M. Lévêque : Merci, madame la sénatrice.

Comme j’y ai fait allusion dans ma déclaration liminaire, le rythme auquel nous identifions maintenant les personnes et le désir que nous avons d’accroître la pression sur les régimes que nous espérons influencer sont tels que ce qui était autrefois un très long processus réglementaire est souvent exécuté en très peu de temps. C’est ce que je voulais dire lorsque j’ai parlé de trouver le juste équilibre entre la rapidité et la rigueur, et la prise de risques et la capacité d’agir rapidement.

Je n’ai pas la réponse parfaite à cette question de l’équilibre, mais je sais que notre loi actuelle a été conçue pour une autre époque et qu’il est donc tout à fait opportun que nous l’étudiions et que vous posiez peut-être ces mêmes questions à vos futurs témoins.

Mais en ce qui concerne l’outil lui-même, s’agit-il du bon outil? Nous pouvons regarder ce que d’autres pays font, encore une fois, les avantages et les inconvénients.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci, monsieur Lévêque, de ces informations qui viennent vraiment éclaircir un certain nombre de questions que nous nous posons sur le fonctionnement et la coordination entre les deux ou trois lois.

Les entreprises ont souvent du mal à se retrouver dans la plupart des sanctions prises par le gouvernement et qui sont adoptées par le Canada. Le processus de mise en conformité est compliqué parce qu’on n’a aucune information qui transparaît, ou enfin qui arrive jusqu’aux entreprises.

Vous avez mentionné plus tôt, dans votre déclaration d’ouverture, que votre ministère avait agi en ce sens. Pouvez-vous nous donner quelques précisions sur les mesures prises afin de simplifier la tâche des entreprises, surtout en matière de conformité?

Les entreprises, lorsqu’elles sont dans le feu de l’action, ne s’interrogent pas sur leurs clients pour savoir à qui est-ce qu’ils doivent vendre ou non, ou pour savoir s’ils sont conformes; parfois, c’est la banque qui leur signale que non, ils ne peuvent pas faire une telle chose. Comment faites-vous et quelles solutions avez-vous trouvées?

M. Lévêque : Merci beaucoup de cette question, madame la sénatrice. C’est une question qui revient souvent de la part des parties prenantes, des entrepreneurs, des compagnies canadiennes et du secteur juridique canadien.

Depuis la dernière revue de cette loi, et depuis l’expansion, en 2018, de notre coordination des sanctions, nous avons mis sur pied plusieurs mécanismes de communication avec les parties prenantes et avec les Canadiens.

J’ai fait brièvement mention d’un site Web dont nous avons la responsabilité et où déjà beaucoup de renseignements peuvent être trouvés. Une foire aux questions assez détaillée se trouve aussi sur ce site Web.

Sur ce site Web, nous faisons la publicité d’une adresse électronique et d’un numéro de téléphone en particulier; les parties prenantes et les entreprises peuvent alors communiquer avec nous afin que nous leur donnions les meilleurs conseils possibles. Évidemment, nous ne pouvons pas leur donner de conseils juridiques. Nous pouvons les informer de ce que prescrit la loi, mais on ne peut pas aller plus loin.

Nous faisons aussi beaucoup de travail auprès des parties prenantes. Nous interagissons beaucoup avec le secteur financier, entre autres. Le secteur financier, c’est à peu près la première ligne de défense, surtout pour les transactions financières. Je dois dire qu’à cause des lois antiterroriste et anticorruption, les institutions financières sont très bien équipées pour servir de filet afin d’arrêter les transactions qui seraient du mauvais côté des sanctions.

On a un certain rayonnement; on tient des séances de discussion et d’information auprès du secteur juridique. Il y a un bon nombre d’avocats, au Canada, qui sont devenus spécialisés en la matière, car plus un régime de sanctions est complexe, plus il leur donne des occasions d’affaires. Une spécialisation s’est développée au sein d’un petit groupe et nous interagissons aussi beaucoup avec ses membres pour les informer et expliquer le plus possible notre régime de sanctions.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

Nous aurons un deuxième tour, mais je vais utiliser ma prérogative de président pour faire un commentaire. Les témoins et les collègues savent que nous nous intéressons tous beaucoup au régime de sanctions, non seulement parce que nous sommes en train d’examiner la loi, mais aussi parce que tous les membres du comité ont fait l’objet de sanctions par la Fédération de Russie. Cela concentre un peu notre réflexion.

M. Lévêque : Un insigne honneur, monsieur le président.

Le président : Est-ce un badge d’honneur? Peut-être. C’est la question que je voulais vraiment poser. Après avoir lu certains documents sur les sanctions, les lois sur les sanctions et les lois de type Magnitski dans différents pays, des universitaires ont indiqué qu’une partie du problème consiste à essayer de faire correspondre les régimes. Monsieur Lévêque, vous y avez fait allusion dans votre déclaration liminaire, mais aussi dans une réponse. Cela peut aller de la façon dont une personne est répertoriée par son nom, jusqu’au fait de déterminer s’il s’agit de la même personne dans un pays ou dans l’autre. J’aimerais vous demander s’il y a maintenant beaucoup de consultations en cours, qui n’existaient peut-être pas auparavant, pour veiller à ce que l’information soit exacte et à ce que les listes soient interchangeables pour ce qui est de la compréhension que les différents gouvernements pourraient avoir?

M. Lévêque : Monsieur le président, absolument. C’est un nouvel aspect des consultations et des comparaisons de notes que nous avons avec un certain nombre de pays. Je vais vous donner un exemple très général. Le Royaume-Uni a récemment adopté une loi que j’appelle la loi d’imitation qui dit essentiellement : « Si un pays digne de confiance a imposé des sanctions, c’est suffisant pour nous; nous ferons la même chose. » Je ne veux pas dire qu’il contourne, mais il passe à côté d’une grande partie de la diligence raisonnable qui, selon lui, a été exercée par d’autres pays.

C’est une formule que je ne préconise pas nécessairement, parce qu’il y a évidemment des avantages et des inconvénients à faire cela, mais entre cela et le partage de listes, ce que nous faisons avec des partenaires aux vues similaires... nous sommes confrontés à l’orthographe des noms. De toute évidence, si vous écrivez en farsi, si vous utilisez l’alphabet cyrillique, si vous écrivez avec des kanjis ou des caractères mandarins, en translittérant cela en anglais ou en français, il peut y avoir des nuances subtiles dans la façon d’épeler un nom qui peut faire en sorte qu’une certaine personne passe entre les mailles du filet ou on peut, malheureusement, inscrire des personnes qui n’ont rien fait de mal au départ.

Donc, oui, c’est à coup sûr une partie importante. Cela fait vraiment partie de la diligence raisonnable que nous devons prendre le temps de faire.

Le président : Merci beaucoup. La plupart d’entre nous ont maintenant appris l’orthographe cyrillique de notre nom; je pense que oui.

[Français]

La sénatrice Bellemare : En ce qui concerne la possibilité que vous avez de surveiller si les sanctions sont bien exécutées, est-ce que l’arrivée du Bitcoin et des monnaies numériques vous a causé des soucis? Avez-vous un ordre de grandeur à donner et êtes-vous capable de contrer cela?

M. Lévêque : C’est une excellente question, madame la sénatrice. Je dirai que, de prime abord, en tant qu’entité et ministère qui fait la gestion du régime de sanctions et qui en assure la surveillance, nous n’avons pas eu de défis liés au genre de monnaie d’échange utilisée. Par contre, si j’avais à deviner, je dirais que cela présente peut-être un défi un peu plus significatif pour les institutions financières.

Dans le cours de votre étude, je suis certain que vous prendrez l’initiative d’inviter des gens du secteur financier. En toute humilité, je vous recommanderais de le faire parce que ce sont des partenaires absolument essentiels à la surveillance des transactions financières. C’est une question que j’aimerais moi-même leur poser et je surveillerai les travaux de votre comité.

Pour nous, directement, je répondrai donc que non. Nous nous fions vraiment aux individus et aux entités, et non pas aux moyens par lesquels ils effectuent des transactions financières, que ce soient des transactions financières pures et simples, pour la prise de possession d’avoirs mobiliers ou immobiliers, ou même pour les actions qu’ils peuvent détenir dans des entreprises.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Monsieur Lévêque, pensez-vous que l’imposition de sanctions pourrait créer une division mondiale entre les pays qui sont fermement déterminés à rappeler la Russie à l’ordre et ceux qui, pour diverses raisons, ont choisi de demeurer relativement ambivalents? Je ne suis pas convaincu que le vote de l’Assemblée générale des Nations unies reflète vraiment la position sur le terrain. Nous avons récemment vu des drones iraniens être lancés à partir de la Crimée et causer des ravages absolus sur les réseaux d’électricité et d’eau à Kiev et dans les environs. Entrons-nous en quelque sorte dans une période où le monde devient dichotomique?

M. Lévêque : Merci, monsieur le sénateur. C’est très préoccupant, et pas seulement dans le monde des sanctions, mais le clivage entre le Nord et le Sud, l’Est et l’Ouest, les riches et les pauvres, les nantis et les démunis, ces clivages, nous le savons, s’accentuent. Je peux vous dire que c’est une préoccupation de politique étrangère au quotidien.

Ce que à quoi vous faites allusion, c’est aussi le fait qu’il y a des pays qui, au bout du compte, vont choisir de ne rien voir, de regarder leurs souliers, alors qu’un acteur mondial fait des ravages et que d’autres sont prêts à agir.

Je vais aller un peu plus loin. Certains pays profitent activement de la situation. Cela nous ramène, encore une fois, à ce que je disais plus tôt, à savoir que la meilleure chose que nous puissions faire est de continuer de préconiser la coordination pour avoir une incidence maximale. Sans nommer de pays, on sait que certains pays par principe refusent d’adopter des sanctions. Bien sûr, si l’Union européenne et le Royaume-Uni cessent d’acheter du pétrole russe, un certain nombre de pays seront trop heureux de l’acheter, et l’achèteront peut-être même à bas prix. C’est une lacune que, malheureusement, aucun régime de sanctions ne peut combler, mais l’autre partie de ce que nous faisons, c’est l’engagement diplomatique.

C’est pourquoi je reviens sur le fait que, pour mettre en œuvre le changement ou influencer le changement de régime, les sanctions ne peuvent pas être le seul outil de notre trousse à outils, et l’activité de l’union diplomatique avec des pays aux vues similaires et d’autres qui le sont moins est absolument essentielle.

Le sénateur Woo : Je vais commencer par un bref commentaire sur la mesure du rendement pour clore la discussion que nous avons eue plus tôt. Si nous avons du mal à mesurer la réussite d’une sanction en fonction des deux critères les plus évidents pour vous — le changement de comportement et la dissuasion — je pense que c’est en partie parce que la loi n’a pas donné aux politiciens une orientation claire sur la raison pour laquelle nous avons besoin de sanctions. Parce que les deux autres objectifs des sanctions, qui sont la punition et la faveur politique, sont toujours du côté positif du bilan, que vous ne mesurez pas, à juste titre. Nous avons donc la responsabilité, dans le cadre de notre examen, de réfléchir à cette question.

Ma question est la suivante : vous avez commencé par dire que les sanctions sont un outil parmi d’autres. En gardant cela à l’esprit, pouvez-vous nous dire si le recours aux sanctions a exclu, diminué ou rendu moins efficaces certains des autres outils diplomatiques que le ministère des Affaires mondiales aurait envisagé d’utiliser pour régler un problème international ou bilatéral?

M. Lévêque : Merci, monsieur le sénateur, c’est une très bonne question. Je dirais que, de façon générale, lorsque vous discutez avec un interlocuteur et que vous avez un gros bâton dans le dos, il est un peu plus difficile de croire ce que vous offrez. Est-ce que cela a limité notre capacité de négocier? Fondamentalement, je pense que les États agissent non pas en fonction de leurs émotions, mais en fonction de leurs intérêts. Lorsque nous interagissons avec d’autres États — et nous, les diplomates, ne sommes que la voix, les interlocuteurs — nous sommes habituellement en mesure de défendre nos intérêts fondamentaux. S’il est toujours possible de négocier ou d’avoir un dialogue, nous le faisons, et même si nous l’avons fait... et la Russie nous a imposé des sanctions. Elle vous a imposé des sanctions.

Cela ne signifie pas que nous devions cesser complètement tout dialogue quand l’occasion se présente. Nous continuons d’avoir des relations diplomatiques, même si elles sont plutôt glaciales à l’heure actuelle, mais c’est toujours une voie qui doit demeurer pour le jour où nous pourrons envisager un retour de la paix entre la Russie et l’Ukraine. En attendant, notre point de vue est que l’agression est d’une nature tellement scandaleuse qu’il est très difficile, voire impossible, de s’engager à cet égard.

La sénatrice M. Deacon : Si l’on regarde ce qui s’est passé au cours des cinq dernières années, c’est la première fois que l’on examine la loi de Magnitski, et vous avez eu cinq ans pour vous en servir comme outil dans notre régime de sanctions. J’espère que, d’après votre expérience et l’information que vous avez réunie, vous pouvez dire à quel point elle a été efficace pour combler les lacunes que la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, n’a pas pu combler. Je pose la question en sachant que les Canadiens, les politiciens et d’autres encore ne comprennent peut-être pas vraiment la différence entre les deux. Nous devons le reconnaître dans le cadre de cette question.

M. Lévêque : Merci beaucoup de poser cette question. Je meurs d’envie de contribuer à la clarification des nuances, des différences entre la LMES et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, ou LJVDEC.

La première chose qu’il importe de se rappeler, c’est que lorsque la LJVDEC a été adoptée il y a cinq ans, la LMES a été modifiée. Elle l’a été pour qu’on ajoute les deux mêmes déclencheurs que la loi de Magnitski, la LJVDEC, a énumérés, c’est-à-dire les actes de corruption ou les violations des droits de la personne. Ces déclencheurs n’existaient pas en vertu de la LMES avant 2017.

Cela comble une lacune importante, parce que les deux lois ne sont pas identiques. Elles sont très complémentaires et se chevauchent considérablement. Les conséquences sont exactement les mêmes. Elle interdit de traiter avec des personnes sanctionnées. Elle interdit aux Canadiens de traiter avec des personnes sanctionnées.

L’un ne sanctionne pas, ne dissuade pas, ne prévient pas plus que l’autre. Les conséquences sont exactement les mêmes. Les éléments déclencheurs, il en existe quatre pour le LMES, deux pour la LJVDEC, mais il y a un chevauchement. Une faille demeure — et elle est en train d’être corrigée — il s’agit de la question de l’interdiction de territoire au Canada, car les deux éléments déclencheurs dans chaque loi qui entraîne automatiquement l’interdiction de territoire sont les actes de corruption et la violation des droits de la personne. La grave violation des relations internationales au titre de la LMES n’entraîne pas automatiquement l’interdiction de territoire au Canada. Cependant, d’après ce que nous comprenons, le projet de loi S-8, qui modifiera la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, visera à y remédier. Ensuite, vous n’avez pas les mêmes... mais le diagramme de Venn révèle que les deux lois sont à 90 % similaires. Les éléments déclencheurs sont légèrement différents concernant la violation des droits de la personne. Dans la LMES, il faut que la violation soit liée à un État. Dans la LJVDEC, vous pouvez désigner directement une personne sans avoir à désigner d’abord l’État, et la personne que vous sanctionnez doit avoir délibérément ciblé des personnes qui défendent les droits de la personne. Voilà les nuances.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Je remercie ma collègue de cette question. Je souhaitais entendre cette réponse également.

Nous y voilà, nous étudions ces deux lois. Nous examinons ces deux lois de manière approfondie, mais également dans divers contextes, parce que, comme vous l’avez dit, je crois, est-ce le bon outil maintenant? Il me semble que le sénateur Woo a également commencé à aborder cette question.

Pourriez-vous nous en dire davantage? S’agit-il du bon outil maintenant et s’agit-il du bon outil pour la direction que nous prenons dans le monde? Nous observons de grands changements, et vous les avez évoqués vous-même ici. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur l’adaptation à l’usage des choses.

M. Lévêque : Je vous remercie. En toute honnêteté, ce que je voudrais vraiment faire, c’est bénéficier davantage de temps et de réflexion, ne pas faire des recommandations directement quant à savoir s’il s’agit du bon outil, mais pour veiller à ce que, quel que soit le résultat de cette étude, et donc, je l’espère, formuler des recommandations visant à améliorer le régime de sanctions actuel. Je reviens à ce juste équilibre, il s’agit de trouver le juste équilibre entre la rapidité et la procédure établie. La primauté du droit et l’équité procédurale doivent absolument être privilégiées, mais il ne faut pas oublier que nous sommes dans un monde où les attentes concernant la rapidité d’action et la sanction des mauvais acteurs sont plus élevées que jamais.

Je n’ai pas de réponse quant à ce qui est le bon équilibre présentement, mais, encore une fois, à mon humble avis, il convient de réfléchir en partie à cet équilibre et ensuite d’examiner si les outils actuels, que ce soit le recours au gouverneur en conseil ou d’autres mécanismes, sont bien adaptés. J’aimerais beaucoup y réfléchir un peu plus et vous en reparler.

La sénatrice Coyle : Je comprends, merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Monsieur Lévêque, vous avez parlé plus tôt des fonds que le gouvernement a mobilisés pour créer un nouveau bureau qui viendrait en aide à la mise en œuvre des sanctions.

Quels sont les besoins particuliers sur lesquels ce bureau s’attardera?

M. Lévêque : Merci pour la question, madame la sénatrice.

Il y a d’abord le volume. Le volume est exponentiellement plus élevé, comme je l’ai dit; il s’agit d’une hausse de 83 %, mais pas année après année, c’est cette année comparée aux quatre années. Le volume est tel que la mise sur pied d’un bureau avec des ressources qui peuvent simplement gérer ce volume beaucoup plus élevé est absolument nécessaire. On ne parle pas juste du volume de nouveaux individus à sanctionner, mais on parle aussi du volume de demandes de permis.

Comme je le disais, les sanctions, c’est un outil qui peut être assez coupant. Par exemple, quand on impose des sanctions à une banque russe, toutes les transactions bancaires passant par cette banque vers le Canada sont automatiquement gelées par les institutions financières canadiennes. Cela veut dire que quelqu’un de tout à fait innocent, une tante russe qui veut envoyer un peu d’argent à son neveu quelque part à Calgary et qui passe par une institution financière russe sanctionnée, verra son paiement arrêté au Canada.

On attrape beaucoup de « petits poissons », si vous voulez, qui n’ont absolument rien à voir, et qui n’ont aucun lien avec le régime de Poutine. Cela veut dire que ce sont littéralement des centaines de demandes de permis qu’on reçoit parce que les gens demandent que leurs fonds soient libérés vu qu’ils ne sont pas concernés. C’est un volume énorme qu’il faut gérer.

Évidemment, il y a le nouveau régime de saisie et de confiscation qui a été introduit au mois de juin dernier, qui fait en sorte, comme je l’ai dit dans mes remarques, qu’on sera le premier pays au monde à le faire. Le volume de travail et la gouvernance autour cela sera énorme. C’est principalement pour ces fonctions que le premier ministre a décidé de nous octroyer les fonds pour mettre sur pied une entité beaucoup plus robuste.

[Traduction]

Le président : Il reste une minute, alors cela me laisse le temps de poser une question. Dans la dernière Loi d’exécution du budget, il y avait des éléments concernant la réutilisation des actifs saisis. Une grande partie de ce travail a été effectuée au Sénat plus tôt, sur un projet de loi public qui était parrainé par la sénatrice Omidvar. Réfléchit-on actuellement à la manière dont certains de ces actifs saisis pourraient être réutilisés? Cette réflexion va de pair, bien évidemment, avec la politique de sanctions, et peut-être aussi avec l’éventuelle reconstruction de l’Ukraine. Donc, je ne demande pas vraiment quelle est la politique, puisque vous y travaillez probablement, mais y réfléchissez-vous, parce qu’il s’agit d’un outil potentiellement très utile?

M. Lévêque : Merci, monsieur le président; il s’agit effectivement de la prochaine étape, si j’ose dire, en ce qui concerne les régimes de sanctions, puisque nous sommes les premiers de tous les pays du G7 à nous aventurer sur cette voie et sur quelques autres. Oui, nous sommes très, très actifs — nous faisons bien plus que commencer — nous sommes déjà très avancés dans notre réflexion et sur l’élaboration de cas permettant de cerner les premiers biens que nous aimerions viser avec cette nouvelle législation, cette nouvelle loi modifiée.

La réutilisation des biens sera la dernière étape; il y aura d’abord la saisie, la confiscation et finalement la réutilisation des actifs. Cela devra passer par les tribunaux. Essentiellement, pour les catégories qui ont été créées, nous réutilisons les fonds pour la reconstruction d’un État touché par une grave violation de la paix et de la sécurité internationales. Par conséquent, dans ce cas, cela profiterait aux victimes ukrainiennes. Le rétablissement de la paix et de la sécurité internationales est, en général, ou, plus précisément, l’indemnisation des victimes elles-mêmes, et tout cela en fera partie au bout du compte.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Housakos : Je veux savoir quelles mesures d’atténuation le ministère a prises pour traiter les oligarques et les régimes qui utilisent des membres de leur famille et même des membres éloignés de leur famille afin de dissimuler les actifs et les produits qu’ils réalisent ici au Canada. J’ai déposé un projet de loi au Sénat, le projet de loi S-247, qui concerne spécifiquement cette situation. Pouvez-vous nous donner un aperçu des mesures qui ont été prises jusqu’à maintenant?

M. Lévêque : Je vous remercie, monsieur le sénateur.

Vous mettez le doigt sur quelque chose d’absolument essentiel, monsieur le sénateur. Une des mesures pour atténuer cela — nous le faisons parfois — est de l’empêcher en énumérant en fait les membres de la famille également. Nous ciblons non pas uniquement les oligarques, mais aussi leur famille immédiate. Vous pointez du doigt une technique d’évasion classique, que je ne limiterais pas seulement aux membres de la famille : des sociétés fictives et des sociétés à numéro sont aussi utilisées. Cette technique rend très difficile en fait le traçage des actifs.

C’est quelque chose dont nous discutons activement avec nos partenaires chargés de l’application de la loi. Comme je l’ai dit, dans le cas de la saisie et de la confiscation, il s’agit essentiellement d’une affaire pangouvernementale. Affaires mondiales Canada n’est pas un organisme d’application de la loi, mais nous disposons maintenant de mécanismes en place pour échanger de l’information et chercher des moyens d’obtenir cette information, et cela comprend la collaboration avec les provinces. La propriété effective des actifs, que ce soit une terre ou des actions dans des sociétés, ce n’est pas quelque chose qui est souvent recensé au fédéral, alors nous avons besoin de partenaires dans tout le pays afin d’obtenir cette information.

Vous avez absolument raison de dire qu’il s’agit d’un défi de taille qui revient en quelque sorte à jouer au chat et à la souris.

Le président : Merci beaucoup. J’aimerais, au nom du comité, remercier nos témoins, M. Lévêque, Mme McDonald et M. Burridge, d’être parmi nous aujourd’hui. Il s’agit d’un sujet important. Nous avons apprécié vos commentaires et votre rigueur. Nous reviendrons là-dessus à un moment donné et peut-être que nous vous entendrons à nouveau.

[Français]

Nous passons maintenant à la deuxième partie de notre réunion. Nous accueillons, par vidéoconférence, les représentants de l’Agence des services frontaliers du Canada, dont M. Richard St. Marseilles, directeur général, Direction des politiques sur l’immigration et les examens externes.

[Traduction]

Nous accueillons Dan Anson, directeur général, Renseignement et enquêtes; Richard St. Marseilles, directeur général, Direction des politiques sur l’immigration et les examens externes; et Shawn Hoag, directeur général, Programmes commerciaux, de l’Agence des services frontaliers du Canada. Le surintendant Denis Beaudoin, directeur, Criminalité financière, de la Gendarmerie royale du Canada, se trouve avec nous dans la salle. Monsieur Anson, la parole est à vous, et le surintendant Beaudoin suivra.

Dan Anson, directeur général, Renseignement et enquêtes, Agence des services frontaliers du Canada : Bon après-midi, monsieur le président. Je m’appelle Dan Anson. Je suis actuellement le directeur général de Renseignement et enquêtes au sein de l’Agence des services frontaliers du Canada, ou l’ASFC.

L’Agence facilite la libre circulation des voyageurs légitimes et le commerce et exécute plus de 100 lois et règlements qui assurent la sécurité de notre pays et de nos collectivités. En ce qui a trait à l’importation et à l’exportation de marchandises commerciales, l’ASFC effectue des saisies, impose des sanctions pécuniaires et enquête sur ceux qui enfreignent les règles et règlements. Les efforts de l’ASFC en matière d’exécution de la loi nous permettent également de repérer et de freiner les acteurs étatiques et non étatiques qui se livrent à des activités potentiellement illicites. Nous appliquons des sanctions et des contrôles à l’exportation qui sont utilisés pour empêcher des biens et des technologies sensibles d’atteindre les réseaux d’achats illicites, où ils pourraient être utilisés pour produire des armes de destruction massive ou des armes conventionnelles.

Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, le gouvernement a imposé des sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, à près de 1 200 personnes en Russie, en Ukraine et au Bélarus. Plus récemment, le gouvernement a également imposé des sanctions en vertu de la LMES contre des responsables iraniens en réponse aux violations continues de la paix et de la sécurité internationale par le régime iranien et aux violations flagrantes des droits de l’homme.

La Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, ou LIPR, définit le moment où une personne est interdite de territoire au Canada et établit les critères applicables à tous les ressortissants étrangers et résidents permanents qui cherchent à entrer ou à demeurer au Canada. En vertu de la LIPR, les sanctions imposées aux ressortissants étrangers en vertu de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus et certaines sanctions imposées aux ressortissants étrangers en vertu de la LMES sont des motifs d’interdiction de territoire. Cela permet aux agents de l’immigration et des services frontaliers d’identifier certains ressortissants étrangers sanctionnés et de leur interdire l’entrée au Canada, que ce soit par le refus de visas à l’étranger ou par le renvoi du Canada si une personne sanctionnée non admissible arrive au Canada.

Bien que ce cadre fonctionne bien, des possibilités d’amélioration ont été cernées et sont actuellement soumises au Parlement aux fins de délibération. En vertu du projet de loi S-8, qui a été déposé au Sénat au printemps dernier et qui a récemment été adopté en première lecture à la Chambre des communes, les modifications proposées à la LIPR et à son règlement visent à mieux harmoniser les sanctions imposées par le gouvernement avec les pouvoirs liés à l’exécution de la loi en matière d’immigration et à l’accès au Canada. Par exemple, de nombreuses sanctions de la LMES sont imposées à l’encontre de personnes en raison d’une violation grave de la paix et de la sécurité internationales; toutefois, cette disposition particulière liée aux sanctions n’entraîne pas d’interdiction de territoire en vertu de la LIPR. Cela signifie que la plupart des personnes sanctionnées en vertu de la LSEM peuvent néanmoins avoir un accès sans entraves, et entrer ou demeurer au Canada si elles ne sont pas autrement interdites de territoire.

Le projet de loi S-8 comblerait cette lacune connue et aiderait les agents de l’immigration et des services frontaliers à mieux gérer l’accès au Canada des personnes qui ont été sanctionnées, peu importe les motifs pour lesquels une sanction a été infligée.

Encore une fois, monsieur le président, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant le comité aujourd’hui. Nous serons heureux de répondre à toute autre question de la part des honorables députés. Merci

[Français]

Surintendant Denis Beaudoin, directeur, Criminalité financière, Gendarmerie royale du Canada : Je suis heureux de comparaître devant le comité dans le cadre de son examen de l’application de la Loi sur les mesures économiques spéciales. Je suis le surintendant Denis Beaudoin, directeur de la Criminalité financière, Secteur des opérations criminelles de la police fédérale.

La protection de l’intégrité économique et le maintien de la sécurité nationale constituent une priorité de longue date de la police fédérale de la GRC. Pour la réalisation de ce mandat, la GRC collabore avec des partenaires à l’échelle du pays, tant dans le secteur public que le secteur privé.

À l’issue de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie et des violations des droits de la personne perpétrées par le régime iranien contre ses propres citoyens, le recours aux sanctions comme instrument géopolitique fait désormais les manchettes.

J’aimerais prendre quelques instants pour expliquer le rôle de la GRC dans l’application du régime de sanctions du Canada.

[Traduction]

Comme mes collègues à Affaires mondiales l’ont expliqué, le ministre des Affaires étrangères est chargé de l’administration et de l’application de la loi. La GRC assume un certain nombre d’activités pour appuyer le mandat du ministre, conformément aux dispositions des deux lois et de leurs règlements d’application. Ces activités comprennent la collecte de renseignements en vertu des règlements, l’offre d’un soutien au ministre et l’exécution d’enquêtes sur les contraventions éventuelles à la LMES, essentiellement en ce qui concerne le contrôle des exportations.

[Français]

Lorsqu’une personne ou une entité satisfait aux critères établis par la loi, cette personne ou entité peut être désignée par le ministre des Affaires étrangères.

Conformément au règlement d’application, toute personne au Canada et tout citoyen canadien à l’extérieur du Canada doit communiquer à la GRC l’existence de biens dont on soupçonne qu’ils sont contrôlés par une personne désignée.

Toujours en vertu du règlement d’application, on exige la communication des transactions financières exécutées ou envisagées relativement à des biens sous le contrôle d’une personne désignée. La GRC recueille et analyse ces renseignements afin d’établir la propriété, la valeur et l’emplacement de tout bien appartenant à une personne ou entité désignée, ou sous le contrôle de celle-ci, directement ou indirectement.

Comme les membres du comité le présumeront, la majeure partie des renseignements que reçoit la GRC proviennent d’institutions financières, mais certaines communications sont issues de sociétés privées assurant l’administration de biens matériels.

[Traduction]

Après analyse des renseignements, la GRC peut communiquer ceux-ci au ministre des Affaires étrangères, qui déterminera les mesures qu’il convient de prendre en matière de saisie ou de confiscation. Ces renseignements sont communiqués aux seules fins d’assister le ministre, aux termes des dispositions de l’article 6.2 de la loi.

La GRC ne participe pas au processus décisionnel visant à demander une ordonnance de confiscation ou de saisie; son mandat consiste à fournir son soutien en matière de renseignement et d’analyse à Affaires mondiales Canada, à qui il revient de prendre la décision et de présenter une demande au tribunal. Lorsqu’un juge, convaincu par les éléments probants présentés par le ministre, établit une ordonnance de saisie ou de confiscation, la GRC peut fournir une assistance ultérieure en assurant la sécurité publique au moment de l’exécution de cette ordonnance.

Quiconque contrevient délibérément aux ordonnances et règlements, ou omet de s’y conformer commet une infraction criminelle. Dans le cadre de son devoir de préserver la paix, la GRC est chargée d’enquêter et d’appréhender les contrevenants aux lois et règlements. Des poursuites criminelles sont intentées contre toute personne appréhendée par la GRC, avec le consentement du procureur général du Canada.

[Français]

Les membres du comité seront fiers d’apprendre que la GRC a rendu compte au ministre au sujet de cette assistance.

Depuis le 24 février, je peux confirmer qu’au Canada, des actifs au Canada d’une valeur équivalant à plus de 121 millions de dollars qui ont été gelés à la suite des interdictions prévues par le Règlement sur les mesures économiques spéciales visant la Russie.

De plus, des transactions équivalant à plus de 290 millions de dollars ont été bloquées. Ces chiffres peuvent changer au fil des mises à jour éventuelles, mais ils sont les plus actuels que je puisse donner aujourd’hui.

[Traduction]

Les lois et leurs règlements d’application figurent parmi les instruments dont dispose le Canada pour sévir contre ceux qui se soustraient à leur responsabilité de maintenir la paix et la sécurité mondiales, et de respecter les droits de la personne. J’ai souligné le rôle que joue la GRC dans l’utilisation de ces instruments au Canada. La GRC entend continuer de collaborer avec les secteurs public et privé pour soutenir la ministre des Affaires étrangères dans l’exécution de ses décisions stratégiques relatives à la Loi sur les mesures économiques spéciales.

Je sais gré au comité de cette occasion de m’exprimer à son intention et je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.

Le président : Merci, surintendant Beaudoin.

Chers collègues, comme plus tôt, nous allons faire des tours de quatre minutes.

La sénatrice M. Deacon : Merci à vous tous d’être ici cet après-midi. Nous vous en sommes reconnaissants.

Nous avons entendu dire que, après l’invasion russe en Ukraine, le nombre de personnes sanctionnées a augmenté immensément. C’est une chose d’inscrire un nom sur une liste, c’en est une autre de réellement exécuter la loi en question.

Je me demandais si la GRC et l’ASFC avaient les ressources nécessaires pour saisir les biens qui se trouvent peut-être au Canada et aussi pour surveiller les Canadiens ou les entités canadiennes qui contreviennent peut-être à ces lois en traitant avec une entité sanctionnée.

M. Beaudoin : Je peux vous confirmer que le travail que nous accomplissons à l’égard de la LMES a réellement augmenté, pour soutenir la ministre.

Nous sommes reconnaissants des investissements supplémentaires en ressources, et nous prévoyons utiliser les fonds stratégiquement pour aider la ministre comme il se doit.

La sénatrice M. Deacon : Avant de demander à quelqu’un d’autre de répondre, j’aimerais savoir, quand vous dites « a réellement augmenté », pouvez-vous nous donner une idée en chiffres de ce que cela veut dire, « a réellement augmenté »?

M. Beaudoin : C’est difficile de vraiment donner un chiffre, mais, avant les sanctions actuelles, nous recevions rarement des communications. Le régime fonctionne comme ceci : quand une tierce partie, par exemple une banque, réalise qu’elle est en possession de quelque chose qui appartient à une personne visée, elle doit geler le bien et en aviser la GRC.

Avant, les banques et les autres entités communiquaient rarement avec nous. Depuis février, il y a eu une forte augmentation, au point où nous avons dû affecter des ressources spécifiques, au quotidien, précisément pour cela.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

M. Anson : Merci, madame la sénatrice, nous vous sommes reconnaissants.

Nous avons constaté que le nombre de personnes visées par les sanctions a augmenté. À cet égard, l’ASFC fonde son approche sur ses programmes de renseignement et de ciblage. Plus précisément, à mesure qu’Affaires mondiales Canada dresse et diffuse ses diverses listes de personnes visées par des sanctions, nous les intégrons à nos propres systèmes de contrôle des personnes qui entrent au Canada ou qui en sortent, pour repérer des personnes d’intérêt potentiel ou les cibles, ce qui nous permet d’avoir une meilleure connaissance de la situation, dans l’éventualité où quelqu’un voudrait entrer au Canada.

Je dirais que les possibilités que cela se produise sont limitées, étant donné que les personnes visées par des sanctions ne sont pas admissibles à recevoir un visa pour venir au Canada. Mais, dans certaines circonstances, dans l’éventualité où quelqu’un arrivait ici, nous avons de cette façon une capacité accrue de réagir, par des mesures ou des décisions, si une telle personne arrivait ici.

La première partie de votre question concernait l’accroissement du volume, et vous vouliez savoir si nous avions suffisamment de personnes. Je dirais que nous avons réussi à absorber une partie du travail et des efforts supplémentaires. Cependant, je ne dirais pas que, parmi les gens visés par l’un ou l’autre des régimes de sanctions, il y a nécessairement des gens qui voyagent au Canada régulièrement. Je ne dirais pas que c’est nécessairement ce qui entraîne l’augmentation du volume.

Si vous me le permettez, pour répondre à la deuxième partie de votre question, au sujet des biens, madame la sénatrice, je dirais que nous appliquons effectivement des mécanismes de contrôle des exportations lorsque des biens partent de nos points de sortie. Pour n’importe quel type de produit commercial qui partira éventuellement, nous recevons à l’avance de l’information commerciale potentielle qui nous permet de procéder à une vérification et à une évaluation des risques pour les biens et le matériel censés être expédiés à l’étranger.

Dans ce cas-là, il y a un peu plus de pression sur nous pour que nous fassions cette évaluation du risque, et dans certains cas, nous renvoyons certains biens pour un examen supplémentaire. Lorsque cela arrive, notre but est de nous assurer que les biens censés être envoyés à l’étranger ne sont pas des biens que l’on considérerait, en conformité avec le régime, comme des technologies sensibles ou à double usage, ce qui soulèverait des préoccupations, advenant que les biens tombent entre les mains des entités ou des nations visées par le régime de sanctions.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Boniface : Je vais adresser ma question au surintendant Beaudoin en premier, mais avant tout, j’aimerais transmettre mes condoléances à votre organisation, pour la perte de la gendarme Yang. Je sais que tous les Canadiens éprouvent la même chose. Je veux vous assurer que nous pensons à vous et à votre organisation en ce moment.

Ma question fait suite à celle de la sénatrice Deacon, parce que je pense que les crimes financiers, au sens où les gens l’entendent, est un concept très vaste, et je sais que c’est une responsabilité énorme pour la GRC.

Pouvez-vous nous parler de l’ampleur des infractions dont votre organisation s’occupe, et de la façon dont cela s’inscrit dans votre responsabilité?

M. Beaudoin : Oui. Je pourrais prendre plus que quatre minutes pour vous répondre.

La sénatrice Boniface : J’en suis sûre.

M. Beaudoin : Pour me limiter à ce qui concerne les sanctions, je pense qu’un élément important serait la partie analytique.

Pour faire un lien avec certaines questions qui ont été posées plus tôt à nos collègues d’Affaires mondiales Canada, l’utilisation de biens virtuels ou de sociétés fictives pour cacher la propriété bénéficiaire des biens est sans aucun doute un problème. Ces défis, qu’ils soient liés aux sanctions ou aux crimes financiers en général, sont plus nouveaux que les biens virtuels, que l’utilisation de sociétés et tout le reste. Mais, certainement, c’est plus facile qu’avant de transférer un bien d’un bout à l’autre du monde. Ce que nous faisons, présentement, c’est étudier ces tendances et essayer de les suivre. Donc, nous avons une expertise, nous avons des gens pour cela, et leur expertise s’applique autant au cas des régimes sanctionnés qu’aux crimes financiers proprement dits.

Ce ne sont que deux exemples, qui ont été mentionnés plus tôt, mais c’est vrai qu’il y a des défis du côté des crimes financiers.

La sénatrice Boniface : Vous êtes allé justement où je voulais en venir, à propos de l’expertise dans un environnement en évolution, et tous les autres enjeux.

Comment travaillez-vous, en tant qu’unité, pour mobiliser les experts ou pour rester à jour quant à l’expertise dont vous avez besoin pour faire cela?

M. Beaudoin : Oui. Nous avons un accord à long terme avec le Groupe de gestion juricomptable du gouvernement, le GGJ, qui nous fournit des conseils d’expert ainsi que des conseils sur le retraçage et la vérification des biens virtuels. Ce groupe nous fournit réellement de l’expertise.

Je vous donne un autre exemple, cette fois-ci sur les biens virtuels, dont je viens de parler. Nous sommes en train de mettre sur pied des unités, à l’échelle du Canada, pour soutenir nos enquêtes dans ce domaine, puisque cela évolue de semaine en semaine.

L’année dernière, nous avons aussi créé un nouveau programme d’enquêteurs criminels civils, destiné à des personnes qui ne veulent peut-être pas faire tout ce que la police doit faire, mais qui pourraient contribuer dans des domaines précis. Nous avons ciblé deux domaines, au début : les crimes financiers, afin d’attirer, avec un peu de chance, des experts dans ce domaine en tant qu’agents de la paix; et la cybercriminalité, parce que nous savons tous à quel point cela est complexe, et nous avons besoin d’embaucher des gens pour cela.

Je ne vous apprendrai rien en disant que le marché du travail est très compétitif présentement, autant dans la fonction publique que dans le secteur privé. Nous sommes en concurrence avec des entreprises privées, qui cherchent elles aussi à avoir leurs propres experts à l’interne. Cela pose manifestement des défis.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Woo : Surintendant Beaudoin, merci d’être ici.

Je pense que vous avez dit que la valeur des biens saisis à des entités russes depuis la dernière série de sanctions était de 121 millions de dollars; est-ce exact?

M. Beaudoin : Exactement. Il y a cependant une distinction à faire : 121 millions de dollars ont été gelés. Ces biens appartiennent toujours aux personnes visées, mais présentement, leur argent, par exemple, est retenu par les banques. L’argent est gelé, mais ces personnes en demeurent les propriétaires légitimes.

Le sénateur Woo : Super. Cette explication convient parfaitement à la prochaine partie de ma question : pouvez-vous nous donner une idée de ce en quoi consistent ces biens? Vous avez parlé d’argent, et j’imagine que cela en représente une grande partie. Y a-t-il aussi des valeurs mobilières, des biens immobiliers et des entreprises?

M. Beaudoin : Sans aller trop dans le détail, il s’agit surtout d’argent, de comptes bancaires. La majorité des communications proviennent des institutions financières, c’est donc lié surtout aux banques, mais nous avons aussi eu des signalements concernant des actifs corporels.

Le sénateur Woo : Peut-être que la raison pour laquelle il s’agit surtout d’argent, c’est que la ligne de communication la plus claire que vous avez est avec les banques. Je ne fais que supposer. Serait-il juste de dire que ce serait plus difficile de retracer des biens comme des yachts ou d’autres types d’actifs?

M. Beaudoin : Selon le libellé actuel de la loi, la responsabilité incombe aux tierces parties de communiquer avec la GRC. Les banques sont un bon exemple. Elles sont en possession de l’argent d’un tiers, et elles ont des mécanismes internes pour assurer la conformité avec le régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité, le régime de lutte contre le RPC, donc cela se fait assez facilement.

Si vous prenez, par exemple, une maison qui appartient à une personne visée, ce bien n’est pas entre les mains d’un tiers. La personne ne va certainement pas communiquer avec la GRC, alors nous devons avoir recours à d’autres mécanismes pour essayer de savoir ce qu’il en est, en tenant compte du fait que nous n’avons pas accès aux outils, puisqu’il ne s’agit pas d’un processus criminel, et que nous ne pouvons pas utiliser des ordonnances de communication ou des mandats de perquisition ou quoique ce soit d’autre, même une demande d’entraide juridique avec un autre pays, que nous utilisons dans les affaires criminelles.

Je doute que le secteur immobilier communique avec nous. Il y aurait des cas, parfois, où un avocat qui s’occupe de la transaction ou alors quelqu’un d’autre qui s’occupe de l’entretien du bien communiquerait avec nous. Je pense que cela fait partie de la complexité du travail.

Le sénateur Woo : Rapidement, est-ce que cela engloberait les entreprises qui appartiennent en tout ou en partie aux personnes visées par des sanctions? Oui? Et est-ce qu’elles seraient relativement faciles à retracer?

M. Beaudoin : À retracer? Eh bien, ce n’est jamais facile, mais, oui, si cela nous est signalé, alors ce serait plus facile à retracer, surtout si c’est au Canada.

Le sénateur Ravalia : Merci à nos témoins.

Surintendant Beaudoin, je vais adopter une perspective légèrement différente en ce qui concerne vos activités internationales. Il y a évidemment des membres de la GRC qui sont stationnés dans un grand nombre de nos ambassades partout dans le monde, et vous travaillez en étroite collaboration avec Affaires mondiales Canada.

Quelle est l’étendue de vos liaisons avec Affaires mondiales Canada pour ce qui est de surveiller les points chauds dans le monde, où des actes scandaleux sont commis contre les populations civiles? La situation en Ukraine et celle au Myanmar sont des cas assez évidents, mais nous savons qu’il y a une foule d’autres points chauds où de tels actes sont commis, où des populations civiles sont attaquées et sont vulnérables.

Avez-vous la capacité de retracer les acteurs malveillants et, à partir de là, les soumettre à la loi de Magnitski?

M. Beaudoin : Nous entretenons une relation étroite avec M. Lévêque et son équipe. Nous discutons des sanctions avec différents échelons d’Affaires mondiales, probablement plusieurs fois par semaine, donc nous entretenons certainement une relation étroite.

Nous devons comprendre que le régime de sanctions relève d’une décision stratégique du gouvernement, et non d’une procédure criminelle où la police enquêterait sur une personne qui a commis un crime. Je ne dis pas que nous ne surveillons pas la situation à l’échelle internationale, nous le faisons, mais c’est au gouvernement de prendre des décisions stratégiques concernant la situation qu’il veut faire changer et le régime à l’égard duquel il veut prendre des mesures.

Le sénateur Ravalia : Directement, par l’intermédiaire d’Affaires mondiales, auprès du ministre des Affaires étrangères.

M. Beaudoin : Absolument.

Le sénateur Ravalia : Merci. Je n’ai pas d’autres questions.

Le président : Merci. Je ne vois pas d’autres sénateurs qui ont levé la main, alors je vais poser une question avant de passer au deuxième tour. En fait, la question fait suite aux observations des sénatrices Deacon et Coyle. J’aimerais que l’ASFC et la GRC y répondent.

Tout le monde veut un plus gros budget. Ce que vous voulez vraiment, ce sont des ETP, donc des équivalents à temps plein; vous voulez des postes et des personnes pour les combler. Une partie du problème, bien entendu, c’est de les obtenir. Monsieur Beaudoin, vous avez mentionné qu’il y a là beaucoup de concurrence. Il faut également offrir de la formation.

Les choses évoluent rapidement. L’industrie des sanctions, si je puis dire, est relativement nouvelle sous cette forme. Les sanctions existent depuis longtemps, mais cette façon de les administrer, à l’aide de ces outils précis, est relativement nouvelle.

J’aimerais savoir si nous aurions entendu dire qu’Affaires mondiales a mis sur pied un bureau exclusivement à cette fin. Envisagez-vous quelque chose d’aussi important pour les futures demandes, si je peux vous poser la question?

Je poserais la même question à M. Anson, s’il vous plaît.

M. Beaudoin : Merci. Nous ne jouons probablement pas un rôle aussi important que les gens d’Affaires mondiales parce que, comme je l’ai dit, ils sont vraiment les chefs de file à cet égard.

Les postes que nous espérons créer au sein de mon bureau concernent le retraçage des biens et le soutien à Affaires mondiales et, à l’échelle du pays, dans une certaine mesure, le maintien de la paix si Affaires mondiales saisit des biens matériels, afin de fournir de l’aide à cet égard.

Oui, nous envisageons de créer un centre d’expertise dans mon bureau, à Ottawa, pour aider Affaires mondiales.

Le président : Monsieur Anson?

M. Anson : Oui. Merci, monsieur le président. Pour la première partie de la réponse, je demanderais à mon collègue M. St. Marseilles de prendre la parole.

Richard St. Marseilles, directeur général, Direction des politiques sur l’immigration et les examens externes, Agence des services frontaliers du Canada : Merci de votre question.

En ce qui concerne les responsabilités de l’ASFC au chapitre de l’immigration et de l’admissibilité, nous avons déjà établi une fonction de coordination; elle a été financée dans le budget de 2018, lorsque la loi de Magnitski est entrée en vigueur.

Cela a donné à l’ASFC les ressources nécessaires pour établir une fonction de coordination avec Affaires mondiales de sorte que nous pouvons maintenir à jour une liste officielle de surveillance de l’embarquement des personnes qui font l’objet de sanctions et qui seraient inadmissibles. L’information est entrée dans des systèmes d’enregistrement en matière d’immigration par l’ASFC pour à la fois l’ASFC et IRCC.

Selon l’expérience que nous avons acquise depuis l’entrée en vigueur de la loi de Magnitski, cela s’est avéré très efficace. Chaque personne dont on savait qu’elle avait l’intention de venir au Canada a été identifiée et arrêtée à l’étranger.

Nous ne voyons pas l’utilité d’ajouter des ressources supplémentaires pour la coordination en ce qui concerne l’immigration et l’admissibilité, compte tenu de notre expérience actuelle de l’administration du cadre de travail.

Je vais céder la parole à mes collègues pour la question de l’application des mesures douanières.

M. Anson : Merci, monsieur le président. Une fois de plus, je n’ai pas grand-chose à ajouter au sujet de l’application des mesures douanières. Je ne suis pas personnellement au courant des demandes de ressources à l’heure actuelle.

Je dirais qu’il va de soi que, plus on nous demande d’appliquer toutes sortes de contrôles d’exportations ou de sanctions à nos points de sortie, puis, bien entendu, en ce qui concerne les passagers et les voyageurs qui pourraient arriver ici, je dirais qu’il est naturel de nous attendre à ce que, à mesure que les volumes augmentent, on nous demandera de continuer de concrétiser l’harmonisation des lois et qu’il y ait peut-être une demande en ressources. Je n’ai pas connaissance d’une seule demande à ce stade-ci. Je ne peux en parler de façon précise. Merci beaucoup.

Le président : Monsieur Anson, sur ce dernier point, cela veut dire que vous ne sauriez pas non plus si vous deviez envoyer plus de gens sur le terrain, par exemple, à des fins de liaison avec les alliés en raison des pressions liées à ce projet de loi en particulier.

M. Anson : En effet, je ne le saurais pas, monsieur le président. Merci encore de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer.

Pour ce qui est de la première partie de la dernière question, je dirais que nous nous fions beaucoup à nos connaissances, à notre présence à l’échelle mondiale, pour suivre l’évolution de la situation internationale.

Prenons Haïti par exemple. Cela nous permettrait de faire des prévisions et d’être en mesure de réagir à tout genre de flux migratoires irréguliers. Je ne suis pas certain de savoir si nous voulons investir à ce chapitre. Je ne peux pas dire.

Je dirais que les véritables employés de première ligne de l’ASFC, les agents des services frontaliers qui effectuent le travail opérationnel à nos points d’entrée et aux frontières, sont ceux qui concrétisent l’intention de la loi.

Je note que, de toute évidence, il y a d’énormes pressions et qu’il faut continuer de définir l’ordre de priorité de nos activités opérationnelles.

À mesure que les activités ou les affaires relatives à l’application des mesures douanières — les sanctions, les listes de contrôle des exportations, la surveillance et le suivi de tous les types de biens et d’équipements sortant du Canada par les différents modes transport —, à mesure qu’elles continuent d’augmenter dans notre monde en constante évolution, dont nous avons discuté durant l’exposé d’aujourd’hui et le dernier exposé d’Affaires mondiales, je dirais qu’il serait difficile de ne pas anticiper une demande accrue, pour tous les types de ressources.

Je ne sais tout simplement pas ce que nous souhaitons obtenir à ce stade-ci. Je sais que le Parlement a été saisi de toute une gamme de questions relevant du Cabinet.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Monsieur Beaudoin, vous parliez de la mise sur pied d’une unité spéciale pour ces enquêtes, le travail d’analyse, le travail de renseignement.

J’aimerais savoir si vous entretenez des relations avec les autorités policières d’autres pays où vous mettez en commun votre expertise ainsi que l’information sur des personnes ou des entités?

M. Beaudoin : Merci de poser la question. Oui, nous faisons partie d’un groupe au sein d’INTERPOL où nous communiquons avec d’autres services de police du monde entier au sujet du retraçage des biens. C’est assurément un mécanisme qui peut être utilisé. Oui, dans la mesure où cela a récemment été mis en place, en mars, je crois, nous entretenons des relations.

Une fois de plus, nous devons attendre qu’Affaires mondiales décide, par exemple, de saisir des biens ou décide de la direction particulière à prendre avant de pouvoir vraiment fournir des renseignements supplémentaires et utiliser ces mécanismes.

La sénatrice Coyle : Merci.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci à vous d’être ici.

Je me demandais si vous aviez mis en place un mécanisme quelconque pour corriger toute erreur qui pourrait se produire à l’égard de personnes, de biens ou de toute autre chose, parce qu’il n’y a jamais eu de loi infaillible.

Je me rappelle, il y a quelques années, lorsque mon fils, Anton, a été inscrit sur la liste des personnes interdites de vol à l’âge de 10 ans. J’appuie entièrement votre travail.

J’aimerais entendre vos commentaires à ce sujet. Existe-t-il déjà une solution toute prête pour corriger les erreurs ou garder l’œil ouvert pour faire ces choses en toute légalité et selon les règles?

M. Beaudoin : Merci de la question, monsieur le sénateur.

Oui, il y a des processus en place. Pour être clair, comme je l’ai dit, une fois qu’une propriété est signalée à la GRC, un ensemble de renseignements seront également divulgués; il pourrait s’agir d’un nom, d’une date de naissance ou d’une chose du genre.

Nous allons vérifier nos dossiers internes pour confirmer l’information du mieux que nous le pouvons. Après cela, nous allons communiquer cette information à Affaires mondiales. Souvent, Affaires mondiales recommuniquera avec nous pour obtenir de l’information supplémentaire, après quoi nous allons solliciter une collaboration internationale, par exemple.

Il existe bon nombre de mécanismes servant à garantir que les bonnes personnes sont inscrites. Nous communiquons avec les gens d’Affaires mondiales pour qu’ils fournissent une liste la plus précise possible. Inscrire un nom sans date de naissance, par exemple, rend beaucoup plus difficile le retraçage de biens au Canada.

Le sénateur Richards : Quelqu’un d’autre aimerait-il faire un commentaire à ce sujet?

Monsieur Anson, aimeriez-vous faire un commentaire à ce sujet? Avez-vous quelque chose à dire ou à ajouter?

M. Anson : Merci beaucoup, monsieur le sénateur. En ce qui a trait à notre rôle et notre mandat au sein de l’ASFC, nous avons, bien entendu, un système interne de cibles et d’avis de surveillance qui nous permet de suivre les voyageurs pouvant présenter un risque ou susciter des préoccupations, ainsi que les biens commerciaux qui entrent au Canada ou qui en sortent. Ce que je dirais au sujet de l’exemple que vous avez donné, qui est de toute évidence un exemple très personnel et extrêmement important et qui illustre à mon avis un problème bien plus grand que nous tentons constamment de résoudre à l’agence et entre partenaires, c’est que nous tentons de nous assurer que toute l’information que nous avons ou toutes les mesures que nous prenons sont de la plus grande fidélité possible et sont associées au plus grand nombre de détails et de sélecteurs possible afin d’alimenter nos bases de données sur les cibles ou les avis de surveillance.

Ce faisant, et au moment d’examiner et de confirmer toute l’information entrée dans nos systèmes qui pourrait entraîner une mesure d’application de la loi ou un deuxième examen, nous nous assurons que c’est bien documenté et fondé sur des renseignements crédibles et récents.

Je crois que cela a également un lien avec la question précédente concernant la manière dont nous interagissons avec nos alliés. Nous avons conclu, à l’échelle nationale et à l’étranger, des ententes de collaboration très solides et productives, dans le respect des pouvoirs qui nous sont accordés, sur l’échange de renseignements, et nous nous assurons ainsi d’avoir l’information la plus exacte au moment de décider d’appliquer la loi ou d’interdire de territoire une personne ou d’interdire l’importation ou l’exportation commerciale d’un bien.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

Le président : Nous arrivons à la fin du deuxième tour. Au nom du comité, j’aimerais remercier nos quatre témoins d’avoir été présents ici aujourd’hui. Je tiens à souligner que c’était notre première réunion aujourd’hui sur cet examen; alors nous ne faisons que commencer. Nous aurons peut-être d’autres questions à vous poser plus tard, selon la suite des choses. Mais je vous remercie d’avoir présenté vos témoignages aujourd’hui. C’est très apprécié.

Chers collègues, avant de lever la séance, j’aimerais dire rapidement deux choses. Notre réunion de demain, toujours au sujet de la loi de Magnitski et de la LMES, ne durera qu’une heure, donc de 11 h 30 à 12 h 30. Je serai malheureusement absent, mais, à moins d’un imprévu, notre vice-président, le sénateur Harder, lui-même absent aujourd’hui en raison d’une réunion du Comité des affaires juridiques qui a lieu en ce moment même, présidera la réunion.

Comme je serai absent demain, je tiens également à remercier les membres qui ont tous répondu, et plutôt positivement, à mon courriel de vendredi dernier, le 21 octobre, au sujet de la démarche visant à changer le nom de notre comité. J’ai l’intention de présenter la semaine prochaine un avis de motion au Sénat afin de renvoyer cette question au Comité du règlement, de la procédure et des droits du Parlement.

Chers collègues, s’il n’y a pas d’autres questions ou commentaires, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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