LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 1er décembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 12 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour faire l’examen approfondi des dispositions et de l’application de la Loi de Sergueï Magnitski, et de la Loi sur les mesures économiques spéciales.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Je m’appelle Peter Boehm. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité ici présents à se présenter, en commençant par ma gauche.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Bonjour. Je m’appelle Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador. Merci et bienvenue.
La sénatrice Coyle : Bonjour. Je suis Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Greene : Steve Greene, de la Nouvelle-Écosse.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Harder : Bonjour. Peter Harder, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Bonjour. Gwen Boniface, de l’Ontario.
La sénatrice M. Deacon : Bonjour. Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Bienvenue, chers collègues, et bienvenue à tous les Canadiens et toutes les Canadiennes qui nous regardent sur SenVu.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre examen des dispositions et de l’application de la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, dite loi de Sergueï Magnitski, et de la Loi sur les mesures économiques spéciales.
Nous avons le grand plaisir d’accueillir deux experts par vidéoconférence.
[Français]
D’abord, Erica Moret, chercheuse en chef et coordonnatrice, Sanction and Sustainable Peace Hub, Geneva Graduate Institute, se joint à nous de la Suisse.
[Traduction]
Nous accueillons aussi, de Toronto, Me Lawrence Herman, du cabinet Herman & Associates.
Bienvenue à vous deux et merci d’avoir accepté notre invitation. Nous sommes prêts pour vos déclarations préliminaires. Ce sera suivi d’une période de questions des sénateurs.
Erica Moret, chercheuse en chef et coordonnatrice, Sanction and Sustainable Peace Hub, Geneva Graduate Institute : Monsieur le président, honorables membres du comité, je vous remercie chaleureusement de l’invitation à témoigner aujourd’hui.
Cela fait une vingtaine d’années maintenant que je travaille dans le domaine des sanctions multilatérales et autonomes et que j’étudie, parallèlement, les répercussions et l’efficacité des divers régimes de sanctions. J’assure aussi la coordination d’un certain nombre d’initiatives multipartites pour l’Union européenne, le Royaume-Uni, la Suisse et des organismes des Nations unies qui tentent de trouver des solutions à certaines des conséquences inattendues des sanctions, notamment en ce qui a trait à la réduction des risques dans le secteur financier et au zèle de conformité dans le secteur privé. Je vais m’appuyer sur ce travail pour mon témoignage d’aujourd’hui.
En 2020, j’ai aussi formulé des conseils stratégiques pour le nouveau service des sanctions d’Affaires mondiales Canada, en proposant notamment une liste de vérification pour l’élaboration de sanctions canadiennes ainsi qu’un plan directeur pour les secteurs dans lesquels le Canada pourrait jouer un rôle positif de chef de file, en s’appuyant sur sa position unique dans le monde, lors des forums sur les sanctions mondiales.
Depuis longtemps, les sanctions sont un outil important de la trousse de politiques étrangères du Canada, afin de maintenir et de rétablir la paix et la sécurité internationale, de combattre la corruption et de promouvoir le respect des normes et des valeurs, comme les droits de la personne. Certains ont critiqué les sanctions que le Canada avait appliquées antérieurement, en particulier dans certains cercles canadiens, affirmant par exemple que la justification stratégique n’était pas communiquée clairement, qu’il manquait de ressources et de capacités et qu’il y avait peu de capacités d’application. Le Canada, bien sûr, n’a pas d’organisme équivalent au Bureau du contrôle des avoirs étrangers des États-Unis, l’OFAC. D’autres critiques concernaient l’absence, antérieurement, d’une liste consolidée des cibles des sanctions ainsi que diverses autres questions juridiques, notamment l’absence de surveillance parlementaire.
J’ai observé depuis l’extérieur les pratiques canadiennes en matière de sanctions, et je peux dire que des mesures importantes ont été prises et que des efforts énormes ont été déployés pour réagir à certaines des critiques contre Affaires mondiales Canada, par exemple la publication d’une liste consolidée des cibles des sanctions et l’augmentation des interactions avec les ONG et le secteur privé, même si, comme l’ont dit d’autres témoins, il reste de la place à l’amélioration. Le gouvernement canadien a aussi déployé activement des efforts, en commandant un éventail d’études et en soutenant des initiatives, en particulier en ce qui a trait aux droits de la personne et au genre. Par exemple, une étude visait à déterminer le rôle des sanctions pour soutenir la liberté des médias. Le Canada a aussi financé en partie l’appli des sanctions des Nations unies, qui est gérée par le Geneva Graduate Institute. Je crois savoir que ses capacités et son expertise en matière de sanctions se sont accrues au cours des derniers mois. Ce qui est clair, cependant, c’est qu’on pourrait en faire beaucoup plus, et que beaucoup de choses vont dépendre d’investissements appropriés en ressources et en capacité.
Avant d’aller plus dans le détail, je veux souligner qu’il est important de tenir compte du contexte général. Dans le monde entier, il y a de plus en plus de pays et d’organisations régionales — des économies avancées, des puissances émergentes et des pays en développement — qui utilisent des sanctions autonomes ou unilatérales, à l’extérieur du cadre des Nations unies, dans un nombre croissant de contextes variés, afin d’atteindre un éventail grandissant d’objectifs et contre un ensemble de cibles de plus en plus grand. Cela veut dire que les sanctions et les autres réglementations vont se complexifier de plus en plus. Nous savons qu’il y a une augmentation des régimes de sanctions qui se chevauchent les uns les autres. Il y a notamment les régimes du Canada et souvent les régimes de ses alliés clés — les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni —, et parfois les sanctions peuvent chevaucher les sanctions américaines extraterritoriales.
À certains égards, l’application des sanctions suscite de nouvelles préoccupations quant à leurs répercussions sans discernement sur les personnes ordinaires et sur la capacité des organismes humanitaires, des travailleurs de la santé et des entreprises dans le domaine médical et de l’alimentation de poursuivre leurs activités dans les pays où les finances sont mal gérées ou qui sont exclus financièrement. En même temps, les sanctions deviennent un outil de plus en plus important pour la politique étrangère et la politique de sécurité, puisque nous sommes à une époque où la diplomatie a souvent atteint ses limites et où les conflits armés ou la guerre ne sont pas une option intéressante ou ne sauraient être envisagés. Les sanctions sont appliquées de façon de plus en plus méthodique, mais vu la mesure dans laquelle il peut être complexe de s’y conformer, ceux qui les appliquent doivent repenser à la manière optimale de les utiliser pour réduire au minimum les répercussions défavorables.
Donc, que pourrait-on faire en contexte canadien? Le reste de mon témoignage est surtout fondé sur mon point de vue, puisque je suis ici en Europe et que je travaille en étroite collaboration avec divers pays européens à l’imposition de sanctions.
Premièrement, il pourrait être avantageux de mettre en œuvre des mécanismes d’évaluation des répercussions et de l’efficacité des sanctions autonomes du Canada. À ma connaissance, il n’existe toujours pas de telles méthodes ou de tels outils, et il faudrait les adapter au contexte canadien. Ces outils existent ailleurs, mais il faudrait déployer des efforts pour permettre au Canada d’évaluer exhaustivement ses propres mesures. Ailleurs, cela n’a pas été fait vraiment efficacement jusqu’ici. L’Union européenne a récemment commandé une étude d’envergure pour qu’elle puisse commencer à évaluer ses propres sanctions, leurs répercussions et leur efficacité, et le Trésor des États-Unis a aussi récemment nommé un nouveau haut fonctionnaire pour mener des études similaires. Le Canada devrait songer à faire de même.
Deuxièmement, il est important d’avoir des justifications et des objectifs clairement définis, et de les communiquer clairement. Les seuils relatifs au niveau d’alignement avec les États-Unis, l’Union européenne et les autres pays devraient être étudiés avec soin. Il semble y avoir une étroite collaboration entre le Canada, l’Union européenne, le Royaume-Uni et les États-Unis, et cela suppose d’étudier soigneusement la mesure dans laquelle il devrait y avoir un alignement entre les régimes de sanctions ou pas. Un autre point important, à cet égard, c’est d’avoir un plan pour une levée éventuelle des sanctions. Trop souvent, cela n’est pas fait — globalement —, et cela peut créer le risque d’avoir des régimes de sanctions protégés, ce qui mine leur légitimité au fil du temps et permet leur contournement et leur évitement, ou alors l’élaboration de solutions de rechange nationales et la création de nouvelles voies commerciales par l’entité ciblée.
Troisièmement, il y a les mécanismes pour les efforts collectifs. Puisqu’il est très probable que le Canada continuera à travailler en étroite collaboration avec ses autres partenaires et peut-être même avec un groupe de plus en plus grand de pays, le Canada doit disposer de structures et de processus officiels pour faire en sorte que ce genre de collaboration puisse se faire de la manière la plus simple possible. C’est essentiel. Je pense que nous avons vu quelques mesures positives à cet égard ces derniers temps, avec les sanctions contre la Russie qui pourraient être appliquées ailleurs.
Une question particulière, dans ce contexte, consiste à savoir comment on peut optimiser la coordination des diverses sanctions en matière de droits de la personne de type Magnitski, qui ont été adoptées par plus de 30 pays dans le monde. Si vous me le permettez, je donnerai l’exemple de l’application de sanctions pour lutter contre l’esclavage moderne et la traite de personnes, parce que même si ce problème prend de plus en plus d’importance, il n’a pas attiré autant l’attention dernièrement.
Le Canada, tout comme les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Australie, a appliqué diverses sanctions autonomes dans le cadre de ses régimes de sanctions en matière de droits de la personne, mais elles ne sont ni coordonnées ni communiquées clairement, du moins jusqu’ici, ce qui veut dire que, vu de l’extérieur, il est difficile de dire si les mesures sont utilisées pour lutter contre d’autres violations des droits de la personne ou même de quelle façon elles sont utilisées, exactement, pour lutter contre le crime et les activités liées à l’esclavage moderne et à la traite de personnes, comme raison...
Le président : Excusez-moi, madame Moret. Vous avez dépassé votre temps. J’ai fait preuve d’une certaine générosité, mais j’ai des limites de temps que je dois respecter.
Mme Moret : Excusez-moi. Merci beaucoup.
Le président : Je sais que vous aviez d’autres choses à dire dans votre déclaration, parce que nous en avons une copie avec nous. Merci de nous l’avoir envoyée. Peut-être que vous pourrez en parler en répondant aux questions qui seront posées.
Mme Moret : Merci.
Me Lawrence L. Herman, avocat, Herman & Associates : C’est un plaisir de témoigner devant le comité, tout spécialement parce que je connais le sénateur Boehm et le sénateur Harder depuis des années. C’est un grand plaisir pour moi de vous faire part de mes commentaires.
Je vais donner suite à certains points soulevés par Mme Moret. J’ai quelques commentaires généraux à faire, et je crois que vous comprendrez, parce que vous examinez les deux textes de loi depuis un certain temps et que vous avez absorbé énormément d’information.
Il va sans dire que les sanctions sont une arme qui est désormais intégrée au contexte commercial international. Elles ne disparaîtront jamais. Elles sont désormais une partie intégrante des régimes commerciaux. Elles sont appliquées de manière unilatérale. Elles ne sont, d’aucune manière, assujetties au contrôle de l’OMC. Nous sommes entrés dans une ère nouvelle de commerce international, à cause des sanctions... Et pas seulement à cause des sanctions. Vous étudiez deux textes de loi, mais la Loi sur les licences d’exportation et d’importation contient des dispositions de contrôle des exportations. Le sénateur Boehm et le sénateur Harder connaissent très bien ce texte de loi. Cela a énormément d’importance, mais puisque vous étudiez deux textes de loi, je vais restreindre mes commentaires à ces lois.
De façon générale, je suis d’avis que la loi de Magnitski et la Loi sur les mesures économiques spéciales, ou LMES, sont en conformité avec les mesures que nos plus proches alliés ont adoptées. Il y a certaines nuances, mais leur portée est, globalement, assez près de ce que font les Européens, les Australiens et, jusqu’à un certain point, les Américains. Selon moi, la conformité avec ce que font nos alliés n’entraînerait aucune difficulté.
Quand Bill Browder était ici, il a déclaré que nous n’utilisions pas les sanctions en vertu de la loi de Magnitski. Je pense que ce serait plus juste de dire, du moins à mon avis, que les sanctions que nous appliquons en vertu de la LMES sont en conformité avec tout ce que nous pourrions faire en vertu de la loi Magnitski. En d’autres mots, il n’y a aucun problème parce que nous n’avons pas pris de sanctions en vertu de la loi Magnitski. Nous avons très bien respecté les régimes de sanctions grâce aux sanctions qui ont été prises en vertu de la LMES.
Il y a un point que je veux soulever, parce que je crois que c’est essentiel que cela soit porté à l’attention de votre comité.
Le comité de la Chambre des communes a étudié la LMES il y a cinq ans. Il a recommandé, entre autres, que le gouvernement et en particulier Affaires mondiales Canada publie des directives stratégiques ainsi que des réponses, sous une forme ou une autre, aux questions spécifiques des utilisateurs et des intervenants concernés. Présentement, il n’y a rien de tel dans notre régime, et nous n’avons pas non plus le programme du Bureau du contrôle des avoirs étrangers, qui fournit des directives et des décisions concernant les modalités, les conditions, et cetera de notre régime de sanctions.
Vous le savez probablement, mais le Bureau du surintendant des institutions financières et le CANAFE ont publié des directives importantes, mais ces documents d’orientation — ces alertes — s’appliquent au secteur financier. Il n’y a aucun ensemble de directives générales pour tout le secteur privé. Les alertes et les bulletins d’information du CANAFE, et cetera, comme je l’ai dit, sont limités aux institutions financières et relèvent uniquement de leur compétence, pour ce qui est de lutter contre le financement du terrorisme, le blanchiment d’argent et ce genre de problèmes.
Nous avons reçu, de façon intermittente, quelques avis d’Affaires mondiales Canada concernant les relations commerciales avec le Myanmar et le Xinjiang, en Chine, mais ces avis ne sont pas exhaustifs; ils ne s’inscrivent pas dans un processus de directive stratégique régulier et détaillé. En d’autres mots, nous ne savons pas comment on doit interpréter certains termes. Nous ne savons pas comment les entreprises s’acquittent de certains éléments de leur devoir de diligence raisonnable. Il ne s’agit même pas de conseils juridiques précis; ce sont seulement des directives pour veiller à ce que les entreprises concernées par les régimes de sanctions aient une certaine orientation quant à ce qu’il faut faire.
Même dans le projet de loi C-19, les modifications de la Loi d’exécution du budget, qui a élargi considérablement la portée des sanctions, rien n’a vraiment été accompli pour donner suite aux recommandations qui ont été faites au comité de la Chambre des communes en 2017. Je vous recommande fortement de consulter le rapport du comité de la Chambre des communes.
Pour revenir à Affaires mondiales Canada, comme je l’ai dit, on offre des directives de façon intermittente, par exemple en ce qui concerne le Myanmar et le Xinjiang, en Chine, mais rien de détaillé. Il n’y a aucun régime d’orientation stratégique, contrairement à ce que fait le Bureau du contrôle des avoirs étrangers, le Trésor du Royaume-Uni et le ministère des Affaires étrangères de l’Australie, qui ont tous un système pour fournir des orientations aux entreprises — les intervenants — qui font du commerce international et qui pourraient être concernées par les régimes de sanctions.
Voici ce que dit Affaires mondiales Canada :
Pour obtenir des informations particulières quant à un régime de sanctions imposé à l’encontre d’un pays ou de personnes, veuillez consulter le règlement pertinent.
La belle affaire. C’est loin d’être utile : « Consultez le règlement. »
Puis, sur le site Web d’Affaires mondiales Canada :
Veuillez noter qu’Affaires mondiales Canada ne peut donner des avis juridiques au public. En conséquence, le ministère ne peut émettre aucun avis à propos des activités, ainsi que des transactions spécifiques, qui contreviennent ou contreviendront aux lois sur les sanctions. Il est également conseillé de solliciter des avis juridiques en ce qui a trait à une activité qui pourrait contrevenir à une loi canadienne portant sur les sanctions.
En d’autres mots, le ministère dit : « Allez voir votre avocat si vous avez besoin d’aide. »
Je ne dis pas — et c’est important de le souligner — que le gouvernement du Canada, que ce soit Affaires mondiales Canada ou un autre ministère, devrait fournir des conseils juridiques, mais des directives seraient très importantes. Je recommanderais fortement...
Le président : Maître Herman, je suis désolé de vous interrompre, mais je vous ai aussi laissé dépasser votre temps, pour que ce soit juste avec Mme Moret.
Me Herman : Je pensais avoir 10 minutes, monsieur.
Le président : Non. Nous visons entre cinq et sept, et vous êtes rendu à huit.
Me Herman : Toutes mes excuses.
Le président : Il n’y a pas de mal. Je suis sûr que vous pourrez aborder vos autres points durant la période de questions.
[Français]
Chers collègues, avant de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander aux membres présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité et d’autres personnes dans la salle qui porteraient une oreillette.
[Traduction]
J’aimerais préciser aux sénateurs et sénatrices que vous disposez de cinq minutes maximum pour le premier tour, incluant question et réponse. Je demande donc aux sénateurs et aux sénatrices ainsi qu’aux témoins d’être concis. Nous pourrons toujours tenir un deuxième tour, si le temps le permet, mais cela reste à voir.
Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins.
Je vais m’adresser d’abord à Mme Moret, pour revenir sur certaines choses dont elle a parlé, juste avant de s’arrêter prématurément.
Dans l’article que vous avez publié en mai de cette année, vous avez écrit que les sanctions de l’Union européenne contre la Russie « semblent marquer un tournant dans l’utilisation des sanctions par l’Union européenne ». Selon votre article, pendant plus de 20 ans, l’Union européenne avait tendance à utiliser des sanctions autonomes comme un « contrepoids plus doux et plus pacifique aux sanctions plus agressives des États-Unis ». Vous avez aussi souligné que l’Union européenne d’aujourd’hui « semblait s’aligner davantage sur la trajectoire des États-Unis, en marquant un retour aux mesures qui s’approchent d’un embargo complet, cependant avec une approche moderne ».
De quelle approche moderne parliez-vous? Et quelles préoccupations avez-vous, si vous en avez, par rapport aux répercussions des sanctions qui sont présentement imposées par l’Union européenne, les États-Unis et d’autres pays contre la Russie, sur les personnes ordinaires dans ces pays?
Mme Moret : Merci de ces questions, sénateur.
L’approche moderne dont je parlais tient au fait que, même si cela fait une vingtaine d’années que nous avons assisté à la création des sanctions ciblées, grâce aux divers processus parrainés par les gouvernements suisse, allemand et suédois de l’époque, depuis, même si cela fait plus de deux décennies, c’est maintenant que nous constatons que les régimes de sanctions dans le monde entier sont si complexes — il y a de multiples régimes de sanctions qui se chevauchent, qui interagissent avec les instruments politiques, les réglementations et ainsi de suite — que certains pays, d’après moi, font partie d’une catégorie que nous pourrions définir comme étant de facto visée par des sanctions globales. Je donnerais comme exemple la Syrie, l’Iran et la Corée du Nord, parce que leurs banques centrales sont sanctionnées en même temps que la majorité des banques publiques et privées et des secteurs stratégiques comme celui du pétrole et du gaz. Dans ces circonstances, je dirais que les sanctions financières américaines contre le Venezuela entrent aussi dans cette catégorie. Nous constatons qu’il y a des pays qui ont énormément de difficultés à faire du commerce ou des activités financières sur la scène internationale, et leurs citoyens ont souvent de la difficulté à accéder à leurs comptes bancaires, et cetera. Cela peut nuire à l’aide humanitaire, et avoir d’importantes répercussions sur les chaînes d’approvisionnement des biens essentiels, et cetera. Mais il s’agit d’autres contextes.
En ce qui concerne la Russie, je dirais qu’il y a eu une réaction très forte et très compréhensible de la part d’un groupe de pays et d’organisations internationales des quatre coins du monde, mettant l’accent considérablement sur le punitif. Si, dans le passé, la réaction de l’Union européenne semblait surtout être d’essayer de tempérer l’approche plus agressive des États-Unis relativement aux sanctions — comme cela a été le cas lors des pourparlers sur le nucléaire iranien — et certains pourraient même dire que cela s’inscrivait dans une dynamique gentil-méchant. L’Union européenne a tout de même joué un rôle diplomatique efficace sur diverses tribunes, y compris dans le Plan d’action global commun sur le nucléaire iranien. Malgré tout, je pense que récemment, par rapport à la Russie, nous avons constaté que la présidente de la Commission européenne a appelé à exercer le plus de pression possible contre la Russie et à prendre des mesures pour étouffer l’économie du pays. À mon avis, cette réaction est tout à fait compréhensible, mais elle n’est pas typique des discours antérieurs de l’Union européenne, et elle ressemble davantage au genre de discours que tenait l’administration Trump dans sa campagne pour exercer un maximum de pression contre certains pays. Je dirais que nous assistons probablement à un virage vers des régimes de sanctions plus généraux, plus durs et plus larges dans divers contextes dans le monde.
J’ajouterais aussi que nous voyons l’Union européenne et ses partenaires déployer de façon très proactive et robuste des efforts pour essayer d’atténuer les répercussions défavorables. Il y a énormément de choses qui se passent en coulisse. Je suis sûre que vous le savez très bien. Il y a diverses initiatives en cours dont le but est de réduire au minimum les répercussions défavorables sur les civils, sur les chaînes d’approvisionnement et sur l’aide humanitaire. Je pense qu’il faudrait féliciter les gouvernements et l’Union européenne elle-même des efforts qu’ils ont entrepris récemment, malgré les discours que nous entendons qui favorisent une approche beaucoup plus punitive.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins de leur présence ici. Madame Moret, merci pour vos recommandations. Je sais que vous n’aviez pas terminé vos propos, mais j’aimerais que vous nous parliez de l’Office of Financial Sanctions Implementation, un organisme présent au Royaume-Uni. Pensez-vous que le Canada pourrait créer ce genre de bureau?
Mme Moret : Je vous remercie, sénatrice, de votre question. Puis-je répondre en anglais?
La sénatrice Gerba : Bien sûr.
[Traduction]
Mme Moret : Merci.
Ce qui se fait au Royaume-Uni pourrait être très intéressant pour le Canada, bien entendu, compte tenu de la relation étroite entre les deux pays au chapitre des sanctions, en matière tant de planification que d’exécution. Comme vous le savez, les capacités et les pouvoirs de l’Office of Financial Sanctions Implementation du Trésor du Royaume-Uni ont été renforcés et élargis au cours des dernières années, depuis que le Royaume-Uni est sorti de l’Union européenne, évidemment. Je crois savoir que, avec l’intensification des pressions contre la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, il y a aussi eu une augmentation exponentielle du nombre d’équipes. Leur nombre a explosé. Cela ouvre des possibilités, mais crée également des défis, bien sûr, pour bien faire les choses. Je sais qu’il accorde énormément d’importance aux besoins en matière d’instruction, de formation et de conservation du savoir organisationnel.
Il fait des choses très utiles pour essayer de mettre en place un cadre de sanctions afin de conserver le savoir organisationnel et ce qui est, en somme, un ensemble très technique d’enjeux sur lesquels nous travaillons dans le domaine des sanctions. Il va y avoir une sorte d’école des sanctions pour aider à faire tout cela. Je le redis, c’est quelque chose d’important, parce que trop souvent, nous constatons que les gens qui travaillent sur les sanctions viennent de domaines complètement différents, qu’ils travaillent sur le dossier pendant deux ou trois ans, puis qu’ils vont travailler sur autre chose. La rétention du savoir est quelque chose d’important.
Une autre chose très importante est le fait que cela fonctionnera, au départ, d’une façon très similaire à celle de l’OFAC. La collaboration entre les deux ministères ou organismes est récente. L’idée est de mettre en commun l’expertise, de réfléchir stratégiquement d’une organisation à l’autre afin de régler les défis communs, de cerner les domaines qui sont très proches pour les aligner et de vraiment trouver les façons de collaborer dans l’ensemble du cycle d’élaboration des sanctions. C’est un modèle très important, et peut-être que cela pourrait être adopté, à terme, par l’Union européenne et le Canada, parce que je prédis que nous allons probablement voir une relation de collaboration de plus en plus étroite entre ces quatre partenaires, dans l’avenir, au chapitre des sanctions autonomes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci beaucoup pour l’information. Si je comprends bien, cet organisme fournit également de l’aide aux entreprises en ce qui a trait à la conformité?
Mme Moret : Oui, tout à fait.
[Traduction]
Des efforts sont déjà en cours aux États-Unis pour s’attaquer aux problèmes de la conformité excessive et pour atténuer les risques. Il y a le groupe trisectoriel du Royaume-Uni, qui réunit les éléments compétents du gouvernement britannique, de la communauté des ONG et des banques, afin d’essayer de trouver des solutions à certains des problèmes associés à la conformité excessive aux sanctions et pour atténuer les risques. Cela concerne en particulier le retrait des banques et des institutions financières des pays très sanctionnés. Je pense que le travail accru entre l’OFSI et l’OFAC sera important dans ce domaine. À les entendre, un de leurs objectifs serait de pouvoir veiller à ce que les sanctions n’empêchent pas le commerce et l’aide humanitaire d’atteindre ceux qui en ont besoin.
Quoi qu’il en soit, je pense qu’il y a encore beaucoup de travail à faire, et pas seulement au Royaume-Uni, mais partout ailleurs. Si nous regardons ce qui se passe en Europe, les Pays-Bas ont un groupe similaire. La France vient d’en mettre un sur pied, mais les autres pays n’en ont pas. Ce serait très important pour le Canada de prioriser les interactions et la prestation de directives et de soutien, en particulier pour le secteur privé et les ONG, et cela vaut aussi pour tous les pays qui utilisent des sanctions autonomes.
Le président : Merci, madame Moret.
À titre de conseil de la part de la présidence, j’aimerais que Me Herman intervienne également.
La sénatrice Coyle : Merci à nos deux témoins de leurs excellents exposés.
En fait, mes deux questions ont été prises par les deux intervenants précédents, mais ce n’est pas grave. Je me tourne vers Me Herman. Le dernier point qui a fait l’objet d’une discussion entre Mme Moret et la sénatrice Gerba est un point que vous avez soulevé dans votre exposé, la question de l’orientation et du soutien, en particulier pour le secteur privé, en ce qui concerne la conformité. Je veux vous demander, maître Herman, si vous avez quelque chose à ajouter, comme des recommandations pour le gouvernement canadien sur la façon dont cela pourrait être mieux géré au lieu que les gens, comme vous l’avez dit, aillent sur le site Web et voient la mention « Obtenez des conseils juridiques ». Avez-vous quelque chose à ajouter à ce sujet?
Me Herman : Tout d’abord, le gouvernement du Canada devrait avoir un système d’orientation complet et peut-être des décisions pour le secteur privé. Lorsque nous parlons du secteur privé, soyons clairs. Selon moi, nous parlons des entreprises qui exportent. Ce sont les entités qui sont visées par les sanctions. Je sais que nous avons à l’ordre du jour des questions plus vastes, comme les droits de la personne et d’autres choses, mais lorsque nous parlons du fonctionnement des sanctions, elles s’appliquent aux sociétés et aux entreprises qui font du commerce à l’étranger. La question est de savoir comment elles se guident et comment elles se retrouvent dans un système de sanctions très complexe, de plus en plus complexe.
Je pense que nous l’avons déjà entendu dans un témoignage, mais l’une des choses que le Royaume-Uni a, c’est que l’Office of Financial Sanctions Implementation et le Trésor disposent d’un système très solide pour fournir une orientation générale, mais rien ne se compare à ce que fait le Bureau du contrôle des avoirs étrangers du Trésor des États-Unis. Les Américains ont un système très vigoureux et robuste pour fournir des orientations générales. Qu’entendons-nous par « diligence raisonnable »? Qu’entendons-nous par « documentation »? Que devraient faire les entreprises pour s’assurer qu’elles naviguent de manière appropriée dans ces règles, comme je l’ai dit, de plus en plus complexes?
Il s’agit non pas de fournir des conseils juridiques sur une transaction particulière, mais de fournir un moyen permettant aux entreprises de naviguer dans des eaux très traîtresses, de plus en plus traîtresses, complexes et dangereuses. Tout d’abord, nous avons besoin d’un système. Ensuite, il s’agit de savoir quels devraient être les ingrédients de ce système d’orientation.
Le sénateur Woo : Merci aux témoins.
Madame Moret, vous faites valoir qu’il devrait y avoir une évaluation plus systématique et plus rigoureuse des sanctions, surtout que l’Occident dit que ses sanctions sont plus globales et plus sévères, et ainsi de suite. Dans le cadre de nos audiences, nous avons appris que les trois principales raisons pour imposer des sanctions sont, premièrement, de changer les comportements; deuxièmement, de décourager les mauvais actes qui pourraient s’ensuivre; et troisièmement, de punir. La première partie de ma question est de savoir si vous convenez que ce sont bien les trois paramètres que nous devrions utiliser pour mesurer l’effet et le succès des sanctions. Nous avons ensuite appris qu’il y a un quatrième critère qui régit l’imposition de sanctions, et c’est que nous le faisons parce que nous ne voulons pas être en désaccord avec le principal responsable des sanctions — habituellement les États-Unis — ou, de façon plus générale, avec nos alliés. Cela devrait-il aussi être un critère pour mesurer le succès des sanctions?
Mme Moret : Merci, sénateur Woo.
C’est une excellente question, qui nous préoccupe également beaucoup en tant que spécialistes des sanctions, car depuis plusieurs décennies, on tente d’évaluer les répercussions à l’aide d’un éventail de méthodes différentes, et, bien sûr, il est extrêmement difficile de démontrer la causalité plutôt que la corrélation dans de nombreux cas. Bien sûr, c’est aussi un sujet qui peut être exploité à des fins politiques. Il fait l’objet d’une grande quantité de désinformation et de propagande, surtout de la part de pays et de gouvernements ciblés également.
Cela dit, il existe d’excellents outils qui nous permettent de réfléchir à l’évaluation des impacts. J’ai déjà mentionné la loi sur les sanctions des Nations unies, qui sert en fait de base aux trois catégories de signaux. Si nous prenons le cas de la Russie, les sanctions sont utilisées pour signaler au peuple ukrainien que nous sommes solidaires dans sa lutte. Il peut s’agir d’un signal fort adressé à la Russie et à d’autres détracteurs potentiels qui ont tenté de faire quelque chose de semblable, pour leur indiquer que la communauté internationale n’accepte pas ce comportement. Il peut également être très important de signaler aux publics nationaux que quelque chose est fait. Il y a même des sous-catégories, je pense.
Mon bon collègue, Francesco Gemelli, a défini ces deux catégories il y a une dizaine d’années. Les deux autres catégories que les lois sur les sanctions utilisent sont qu’elles contraignent à un changement de comportement et limitent l’accès aux ressources. C’est une catégorie très importante. Si nous reprenons l’exemple de la Russie, les sanctions qui limitent l’accès, par exemple, aux plateformes Internet, aux ressources financières essentielles ou aux systèmes d’armes ou aux biens à double usage, jouent toutes un rôle dans le ralentissement de l’effort de guerre en Russie. Il est vraiment important de garder cette compréhension très nuancée. Vous avez raison de dire que l’influence sur les alliés est souvent négligée, mais elle est vraiment importante.
Certains se demanderont si la punition doit être un but ou un objectif des sanctions. La plupart des puissances ou des acteurs qui imposent des sanctions affirment que leurs sanctions ne visent pas à punir. Si nous examinons à nouveau le cas de la Russie, il semble que la fonction punitive soit très forte.
Il est très important, lorsque nous envisageons d’évaluer les sanctions, de séparer l’idée que les difficultés économiques sont une mesure du succès. Si nous envisageons de punir une cible, alors oui, c’est le cas, mais cela ne veut pas dire que nous ne serons pas plus susceptibles d’atteindre les objectifs stratégiques énoncés des sanctions s’il y a un niveau élevé de difficultés économiques. Il faut comprendre que les dommages économiques ne sont pas nécessairement synonymes de changements politiques sur le terrain.
Le sénateur Woo : Maître Herman, dans quelle catégorie de sanctions placeriez-vous l’interdiction américaine des puces à semi-conducteurs avancées en Chine? Dans quel fondement du droit international ou de la pensée internationale sur les sanctions cette action s’inscrit-elle?
Me Herman : Elle s’inscrit dans la sécurité nationale, qui n’est pas compromise par l’OMC et les disciplines internationales. La sécurité nationale, dans le contexte américain, prime sur toutes les autres questions, et la sécurité nationale par rapport à la Chine est une priorité à Washington. Vous n’avez qu’à parler à des gens du Congrès américain. Vous le découvrirez très rapidement, sénateur Woo.
Le sénateur Ravalia : Merci à nos témoins.
Dans son rapport de 2022, le Centre Raoul Wallenberg pour les droits de la personne a conclu que les alliés occidentaux accordent trop peu d’attention aux cibles potentielles des sanctions dans certaines régions, comme l’Asie centrale du Sud et l’Afrique. J’aimerais connaître votre opinion sur la multilatéralisation des cibles sanctionnées par la loi Magnitski et, par ailleurs, est-il important que des garanties humanitaires soient intégrées aux régimes de sanctions? La question s’adresse à l’un ou l’autre d’entre vous, mais, maître Herman, voulez-vous commencer?
Me Herman : Vous avez soulevé une très bonne question, sénateur Ravalia. Ce sont des questions difficiles.
Par rapport à votre première question, je pense que nos sanctions prévues par la loi Magnitski sont généralement conformes aux mêmes séries de sanctions mises en œuvre par les États-Unis, l’Union européenne, le Royaume-Uni et l’Australie. À cet égard, les sanctions Magnitski ont, si vous le voulez, un cadre international, peut-être pas un cadre entièrement multilatéral, mais un cadre international. Je pense qu’il ne faut pas oublier que nous n’utilisons pas la loi Magnitski dans notre régime de sanctions. Le gouvernement du Canada n’a pas imposé de sanctions en vertu de la loi Magnitski. Il a utilisé la Loi sur les mesures économiques spéciales pour notre régime de sanctions.
En ce qui concerne l’aspect humanitaire, c’est une question très difficile, qui nécessite une consolidation, une coopération et une collaboration entre le Canada et ses alliés. Je n’ai pas d’autres réponses à vous donner, mais vous avez soulevé des questions très complexes, délicates et importantes.
Le sénateur Ravalia : Merci.
Madame Moret, aviez-vous des commentaires à ce sujet?
Mme Moret : Merci, sénateur Ravalia, de cette excellente question.
Je dirais que la question de savoir si le Conseil de sécurité des Nations unies est en mesure de parvenir à de nouvelles listes de sanctions liées à des questions relatives aux droits de la personne est assez épineuse, car, à l’exception de la création récente du régime de sanctions d’Haïti, nous avons connu un certain nombre d’années où très peu de nouvelles sanctions avaient été adoptées au Conseil de sécurité en raison de l’incapacité des cinq membres permanents de s’entendre. Je pense que les droits de la personne sont l’un de ces sujets sur lesquels il est particulièrement difficile pour les cinq membres permanents de se mettre d’accord.
Cela dit, dans une étude que j’ai réalisée récemment sur le rôle des sanctions pour lutter contre l’esclavage moderne et la traite des personnes, par exemple, qui, bien sûr, peuvent relever des divers régimes de sanctions nationales en matière de droit de la personne, j’ai constaté qu’un certain nombre de régimes de sanctions fondés sur les pays des Nations unies contiennent des listes relatives à diverses violations des droits de la personne, y compris l’utilisation d’enfants soldats et divers autres aspects liés à l’esclavage moderne et à la traite des personnes.
Je prédis que l’adoption d’un plus grand nombre de désignations liées aux droits de la personne pourrait se produire, mais probablement dans le cadre des régimes de sanctions fondés sur les pays que nous avons déjà, c’est-à-dire ceux qui existent déjà principalement dans le contexte de l’Afrique subsaharienne, à quelques exceptions près en vertu des régimes de sanctions antiterroristes. Je pense qu’il est très peu probable que nous assistions à une expansion ailleurs, notamment en raison des intérêts des cinq membres permanents.
Si vous me permettez d’aborder la question des garanties, je pense qu’il s’agit d’une question très importante à laquelle toutes les puissances qui imposent des sanctions réfléchissent très attentivement en ce moment. Bien entendu, la communauté humanitaire préconise le recours à des exemptions humanitaires permanentes dans le plus grand nombre possible de régimes de sanction. En fait, ce sont les États-Unis et l’Irlande qui font pression en ce sens au Conseil de sécurité des Nations unies en ce moment pour les sanctions des Nations unies, mais je pense que la communauté humanitaire serait très heureuse que le Canada, avec ses partenaires, envisage de faire de même pour le plus grand nombre possible de ses régimes de sanction existants.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
La sénatrice M. Deacon : Merci à nos témoins aujourd’hui et à mes collègues pour les questions qui ont été posées. Je voulais approfondir un peu la question des sanctions unilatérales par rapport aux sanctions bilatérales, mais je vais passer à autre chose et vous poser à tous deux une question différente.
Madame Moret, vous avez beaucoup travaillé avec le Geneva International Sanctions Network, cela ne fait aucun doute. En examinant certains de ces travaux, j’ai remarqué que vous aviez fait des exposés et des échanges sur l’interaction entre les sanctions, la médiation et le maintien de la paix. Nous n’abordons pas directement cette question — le maintien de la paix — à l’heure actuelle dans le projet de loi, mais j’aimerais que vous nous fassiez part de votre point de vue sur cette question à un niveau élevé.
Mme Moret : Merci, sénatrice Deacon. C’est une question tout à fait d’actualité.
Certains de mes collègues du Graduate Institute et du Centre universitaire de recherche sur les politiques des Nations unies ont collaboré à un projet sur les sanctions et la médiation au cours des dernières années, et j’encourage les gens ici présents à consulter ces études.
Je pense que certains des principaux constats, du moins d’après ce que je comprends, sont qu’il faut une collaboration beaucoup plus étroite entre ces différents mondes. Lorsque des sanctions sont planifiées, on a constaté que, par le passé, les sanctions pouvaient nuire aux efforts de médiation ou de maintien de la paix, et vice versa, en partie parce qu’elles n’étaient pas très étroitement coordonnées. C’est souvent parce qu’il n’y a tout simplement pas de voies de communication, de planification stratégique, et cetera; donc cela peut bénéficier d’un certain degré de renforcement des capacités et de sensibilisation.
On a également préconisé la formation de médiateurs sur les sanctions et la formation de praticiens des sanctions sur la médiation, et je pense qu’il en va de même pour le maintien de la paix. L’efficacité, par exemple, de la résolution de conflits peut être rehaussée par une combinaison plus étroite d’outils politiques et une collaboration plus étroite entre les ministères concernés de l’ensemble des gouvernements.
La sénatrice M. Deacon : Merci. C’est tout à fait d’actualité. Merci beaucoup. C’est intéressant.
Maître Herman, vous avez dit que vous avez certainement fait le tour de la question, le tour du jardin, pour ainsi dire, et si vous connaissez les deux Peter qui sont membres de notre comité, vous avez assurément fait le tour du jardin. Je pense que c’est formidable pour tout le monde. C’est un compliment de la plus haute qualité.
Me Herman : Je dois dire que c’était un très beau tour du jardin.
La sénatrice M. Deacon : Un très long tour d’un très vaste jardin, et je pense que cela s’accompagne d’une grande franchise et ouverture d’esprit. Je me demande... si vous pouviez dire : « Écoutez, allez, le Canada : mettez-vous au travail et adoptez le programme ici. Voici une chose que vous devriez faire immédiatement pour aider à améliorer ce domaine du travail, des sanctions, de l’accès et du processus », qu’est-ce que vous diriez? « Canada, mettez-vous au travail et faites... »
Me Herman : C’est votre travail, je crois, pas le mien.
J’aimerais revenir un peu en arrière. N’oubliez pas, en réponse aux questions précédentes concernant les droits de la personne, que la Loi sur les mesures économiques spéciales comporte une disposition — très importante — permettant au Canada d’appliquer des sanctions en cas de violation flagrante des droits de la personne, et nous le faisons. Nos sanctions à l’égard du Soudan et de la Syrie, par exemple, sont fondées sur des facteurs liés aux droits de la personne. Nous avons intégré dans notre cadre législatif les violations des droits de la personne. Cela doit être clarifié, selon moi.
Par rapport à votre question, sénatrice, comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, je pense que le gouvernement du Canada doit examiner de près ce que le Royaume-Uni, les États-Unis et l’Australie font pour fournir une orientation stratégique. Il ne suffit pas de dire : « Si vous pensez que vous avez un problème avec nos sanctions, consultez votre avocat. » Je pense qu’il faut mettre en place une institution qui donne en permanence une orientation complète sur les questions de politique, un peu comme le fait le CANAFE pour la communauté financière, pour les institutions financières sous réglementation fédérale. C’est là que je pense que des progrès doivent être réalisés.
Le président : Merci beaucoup, maître Herman.
Sénatrice Deacon, merci pour votre question et votre candeur habituelle. Nous vous en sommes très reconnaissants.
Le sénateur Harder : Maître Herman, je suis heureux de me retrouver dans le jardin avec vous.
Votre carrière a été consacrée à la promotion du commerce et à la garantie du bon fonctionnement du système commercial. Si l’on examine le régime de sanctions au cours des 20 dernières années, on constate qu’il y a eu de nombreux changements d’orientation de la mission. Je me demande quelles sont vos réflexions, en tant que défenseur du commerce, au sujet de cette perspective de changement d’orientation de la mission. Dans ce contexte, nous avons mieux réussi à ajouter des sanctions qu’à les supprimer, et je me demande si vous pourriez nous dire ce que vous en pensez.
Me Herman : Eh bien, sénateur Harder, c’est une bonne question, et j’essaierai d’être franc à ce sujet.
La capitale des sanctions mondiales est Washington. Washington met en place l’ensemble le plus vaste de sanctions de façon agressive. Quelqu’un a soulevé la question des sanctions sur les micropuces dont traite la nouvelle règle du département du Commerce des États-Unis. Voilà un exemple d’approche agressive à l’égard des sanctions fondées sur les intérêts en matière de sécurité nationale. Il est très difficile pour le Canada de faire marche arrière. Quoi que nous puissions penser, les démocraties occidentales ont tendance, tout comme nous, à suivre les États-Unis à bien des égards. Pourquoi? Parce qu’avec leur portée extraterritoriale et leur application de sanctions secondaires, les entreprises canadiennes peuvent être rattrapées, même si elles exercent des activités à l’extérieur du Canada, par les lois américaines sur les sanctions.
La réponse pratique, vraiment, c’est que le Canada doit entretenir une consultation et une collaboration étroite avec les États-Unis, nonobstant l’importance de Bruxelles et de l’Union européenne et de nos autres alliés. Ce sont les États-Unis qui établissent les règles, et il en sera toujours ainsi.
Le sénateur Harder : Ne craignez-vous pas que le souci de sécurité nationale des États-Unis puisse être un déguisement pour le protectionnisme américain standard? Nous l’avons certainement vu historiquement dans le cas, disons, de Cuba.
Me Herman : En effet, c’est le cas. Je travaille dans le monde pratique, et je dois dire que nous regardons toujours ce que fait Washington, même lorsqu’il s’agit de voir comment les sanctions canadiennes pourraient s’appliquer dans un cas particulier. Lorsqu’une entreprise donnée risque d’être exposée à des sanctions américaines, nous regardons toujours ce que font les États-Unis.
Cela dit, je pense qu’il est essentiel — essentiel — pour le gouvernement du Canada, par l’intermédiaire du ministère des Affaires mondiales et de ses processus, de fournir un plus grand degré d’orientation aux entreprises canadiennes, voire de les conseiller sur l’application potentielle des sanctions américaines dans des cas donnés. Je dis cela sans suggérer que des conseils juridiques devraient être fournis. Ce n’est pas possible, mais il est important de fournir une orientation stratégique et une approche générale pour naviguer dans le régime des sanctions.
Le point que vous soulevez, sénateur Harder, est essentiel. Les règles du commerce international ont intégré maintenant non seulement les sanctions, mais les contrôles à l’exportation. Les contrôles à l’exportation sont, à certains égards, beaucoup plus puissants que les sanctions. Nous devrions parler des contrôles à l’exportation et de la manière dont ils pourraient s’appliquer. Mais le régime commercial international que nous connaissions à l’époque, dans le cadre du GATT, a disparu depuis longtemps. Il a disparu depuis longtemps.
Le sénateur Harder : Merci.
Le président : D’accord. Chers collègues, nous n’aurons pas le temps pour un deuxième tour. Je vais donner la dernière question à la sénatrice Boniface.
La sénatrice Boniface : J’essaierai d’être brève.
Je m’adresse à vous deux. Lors de notre dernière réunion sur ce sujet, nous avons entendu le témoignage de Bill Browder. Vous l’avez aussi mentionné, maître Herman. Il a dit, et je paraphrase, que le Canada est souvent considéré comme un excellent endroit pour cacher des actifs en raison de la difficulté qu’a notre pays à cibler la valeur réelle des actifs. Êtes-vous d’accord avec M. Browder? Et si tel est le cas, que pouvons-nous faire pour nous assurer que le Canada peut cibler tous les actifs au Canada?
Me Herman : Eh bien, je ne sais pas si cela répond à votre question. C’est une question très importante, et ce que M. Browder a dit est très important et très utile.
Selon moi, ce qui manque à notre régime de sanctions est une référence à la sécurité nationale. Nous avons tout un ensemble de conditions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, si nous laissons de côté la loi Magnitski pour un moment. En vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, nous avons beaucoup de conditions en fonction desquelles le Canada peut appliquer des sanctions autonomes. Ce qui manque, selon moi, c’est une référence à la sécurité nationale. Je ne sais pas si cela répond à votre question, mais je pense que la sécurité nationale est un aspect qui doit être examiné en ce qui concerne la manière dont nous administrons notre régime de sanctions. Cela nous permettrait d’examiner de plus près les pays qui se sont livrés à des activités préjudiciables pour notre sécurité nationale. Outre la violation du droit commercial international et la perturbation de la paix et de la sécurité à l’échelle internationale, il existe un intérêt vital pour la sécurité nationale qui doit être pris en considération dans notre régime de sanctions, et je pense qu’il brille par son absence.
La sénatrice Boniface : Madame Moret, souhaitez-vous ajouter quelque chose?
Mme Moret : Il est difficile de passer après les excellents points qu’a fait valoir Me Herman. Je dirais que la capacité de poursuivre des cibles et d’enquêter sur l’emplacement des actifs et ainsi de suite nécessitera, j’imagine, une expertise en matière de ressources. La bonne chose, cependant, c’est qu’il y a vraiment des leçons utiles qui peuvent être tirées ailleurs, de partenaires proches, et je pense que c’est facilement accessible.
Pour conclure, je dirais que le Canada, en tant qu’acteur humanitaire de premier plan, a une autorité morale très forte en matière de droits de la personne, et qu’il possède également un secteur de la technologie et de l’innovation très solide. On pourrait faire davantage pour exploiter ce caractère unique du Canada et tirer davantage parti des secteurs technologiques, des technologies financières, et cetera; afin d’améliorer l’application des sanctions tout en aidant le secteur privé et les ONG à faire preuve de diligence raisonnable, à se conformer et à réduire au minimum certaines des conséquences imprévues.
Le président : Merci beaucoup. Au nom du Comité, je tiens à remercier Erica Moret, chercheuse en chef et coordonnatrice, Sanction and Sustainable Peace Hub, Geneva Graduate Institute, et, de Toronto, Me Larry Herman, de Herman & Associates, une icône bien connue de la politique commerciale au Canada, qui, oui, est un véritable puits d’expérience. C’est vrai. Nous vous remercions d’avoir enrichi nos délibérations sur cette question importante.
(La séance est levée.)