LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 16 février 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 35 (HE), avec vidéoconférence, afin de poursuivre son étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.
Le sénateur Peter Harder (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Je m’appelle Peter Harder. Je suis un sénateur de l’Ontario et le vice-président du comité.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité à se présenter.
Le sénateur Housakos : Leo Housakos, du Québec.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta, la province la plus ukrainienne.
Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
Le vice-président : Merci beaucoup. Aujourd’hui, chers collègues, dans le cadre de notre objectif constant de nous tenir à jour des questions relatives à l’Ukraine, nous nous réunissons pour discuter de la situation et nous recevons un invité de marque en la personne du vice-ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine, Andriy Melnyk. Bienvenue, monsieur Melnyk. Merci d’être parmi nous.
Avant d’entendre votre déclaration et de passer aux questions des sénateurs, je demanderais à tous les intervenants de ne pas se pencher trop près de leur microphone et de retirer leurs écouteurs, le cas échéant, parce qu’une trop grande proximité peut provoquer des interférences.
Sur ce, nous entendrons le vice-ministre des Affaires étrangères, après quoi nous passerons aux questions.
Monsieur le vice-ministre des Affaires étrangères, vous disposez de cinq minutes pour votre déclaration préliminaire, s’il vous plaît.
Andriy Melnyk, vice-ministre des Affaires étrangères de l’Ukraine, ministère des Affaires étrangères de l’Ukraine : Bonjour, distingué vice-président, sénateur Harder, chers membres du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, mesdames et messieurs. Je tiens à vous remercier de votre aimable invitation. Je me sens honoré et privilégié de m’exprimer devant vous aujourd’hui.
Permettez-moi de profiter de l’occasion pour exprimer, au nom de mon président, Volodymyr Zelensky, de mon gouvernement et du peuple ukrainien, notre profonde gratitude pour le soutien indéfectible du Canada à l’Ukraine au cours de cette année d’agression totale de la part de la Russie.
Je tiens également à exprimer ma gratitude, chers sénateurs, pour votre engagement personnel à aider mon pays à survivre pendant la pire guerre que le continent européen et l’humanité aient connue depuis la Seconde Guerre mondiale. Je vous remercie tout particulièrement, chers membres du comité, pour votre solide leadership personnel, qui compte en ces temps sombres.
Je tiens à souligner que le Canada a fourni plus d’un milliard de dollars en aide militaire, 2,5 milliards de dollars en prêts, 320 millions de dollars en aide humanitaire et 115 millions de dollars en soutien au fonds de reconstruction des infrastructures de la Banque mondiale. Merci d’allouer ces ressources financières à tout cela.
Les Ukrainiens sont reconnaissants envers le Canada pour sa décision de se joindre à ce qu’on appelle la « coalition des chars » au moyen de chars Leopard 2. Je suis fier d’avoir inventé ce terme en octobre dernier, au moment où j’étais ambassadeur de l’Ukraine en Allemagne. Nous vous remercions de votre contribution à la formation militaire, ainsi que de votre don d’un système de défense aérienne NASAMS et de véhicules blindés Senator.
Nous vous sommes reconnaissants d’avoir imposé des sanctions personnelles à 1 500 personnes physiques et morales de la Russie. Plus de 100 millions de dollars d’actifs russes pourraient être gelés. Le Canada a été le premier pays au monde à adopter une loi prévoyant la confiscation d’actifs, et nous vous félicitons d’avoir entrepris le premier processus de saisie d’actifs russes appartenant à l’oligarque Abramovich.
Je sais que de nombreux membres de cette chambre ont participé au processus délicat qui vous a poussés à prendre ces décisions. Permettez-moi de mentionner les efforts personnels des sénateurs Yuen Pau Woo et Leo Housakos.
Nous sommes reconnaissants envers le Sénat et à la Chambre des communes d’avoir adopté à l’unanimité des motions reconnaissant les crimes commis par la Russie en Ukraine comme un génocide contre le peuple ukrainien et condamnant le référendum tenu dans les territoires temporairement occupés.
Il en va de même pour la reconnaissance du Groupe Wagner comme organisation terroriste. Nous saluons la position ferme du Canada visant à interdire la participation des athlètes russes et biélorusses aux prochains Jeux olympiques de Paris. Je sais que la sénatrice Marty Deacon, administratrice du Comité olympique canadien, a joué un rôle important à ce chapitre.
Distingués membres du comité permanent, je pourrais facilement poursuivre cette longue liste de remerciements, car ils méritent d’être mentionnés. La question qui se pose est la suivante : ce formidable soutien du Canada et d’autres alliés importants suffit-il pour arrêter l’invasion russe et permettre à l’armée ukrainienne de libérer toutes les régions occupées? Malheureusement, pas encore. La Russie prévoit une longue guerre. Indépendamment de tous les revers et les défaites, Poutine espère toujours gagner cette guerre et conquérir l’Ukraine. Cela signifie qu’il est bien trop tôt pour que nos partenaires se reposent sur leurs lauriers.
C’est la raison pour laquelle j’aimerais présenter au Sénat un certain nombre de demandes concrètes pour lesquelles l’Ukraine voudrait pouvoir compter sur le soutien du Canada.
Premièrement, nous avons besoin d’une approche stratégique à long terme et d’un plan directeur pour l’Ukraine qui prévoirait une augmentation substantielle des allocations financières. L’année dernière, notre économie a fondu de plus de 30 %. Nous avons un énorme déficit budgétaire à cause de la guerre. Je voudrais lancer un appel au Sénat du Canada et à la Chambre des communes pour qu’ils adoptent chacun une motion en ce sens. Les États-Unis se sont engagés à verser plus de 110 milliards de dollars pour nous aider. La Norvège a adopté aujourd’hui un programme d’aide à l’Ukraine de 7,5 milliards de dollars américains pour les cinq prochaines années.
Deuxièmement, j’aimerais demander au comité permanent et à l’ensemble du Sénat d’augmenter l’aide militaire à l’Ukraine. Il ne fait aucun doute que nous sommes reconnaissants de la décision de votre gouvernement de nous fournir des chars, mais soyons francs : il s’agit de quatre chars Leopard, je répète, de seulement quatre chars. Pendant ce temps, les Russes continuent d’envoyer des milliers de chars sur la ligne de front, jour et nuit.
Nous attendons donc de nouvelles décisions courageuses de votre Parlement pour accélérer et augmenter l’aide militaire afin de fournir à notre force aérienne des avions de chasse et des missiles à longue portée en particulier.
Troisièmement, nous demandons au Sénat et à la Chambre des communes d’adopter une motion en vue d’élargir le régime de sanctions contre la Russie. Avant tout, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un État appuyant le terrorisme, puis il faut appuyer la création d’un tribunal international spécial afin de condamner le crime d’agression et de veiller à ce que les dirigeants russes et tous ceux qui ont commis des crimes de guerre en soient tenus responsables.
Nous souhaitons que le Sénat et la Chambre des communes accélèrent le processus de confiscation d’actifs russes pour la reconstruction de l’Ukraine, qu’ils cessent d’accorder des visas nationaux aux citoyens russes, qu’ils isolent la Russie au sein des organisations internationales du système des Nations unies, qu’ils la privent de privilèges au sein de l’Agence internationale de l’énergie atomique et qu’ils retirent à la Russie sa voix à l’Organisation de l’aviation civile internationale.
Enfin et surtout, je voudrais vous demander, distingués membres du comité permanent, de proposer une motion au Parlement pour que le Canada appuie la demande d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. C’est la seule façon d’empêcher une nouvelle agression russe lorsque cette guerre sera terminée.
Honorables sénateurs, avant de clore mon exposé, je souhaite faire un bref clin d’œil au passé et évoquer une brillante figure politique du Canada, l’honorable Lester Bowles Pearson, ancien député libéral et votre quatorzième premier ministre. Alors qu’il était sous-secrétaire d’État aux Affaires extérieures du Canada, il a reçu le prix Nobel de la paix, en 1957, pour sa contribution cruciale au déploiement d’une force d’urgence des Nations unies au moment de la crise de Suez.
Je n’essaie pas ici d’établir un quelconque parallèle historique entre ces événements et l’intervention militaire russe non provoquée d’aujourd’hui, alors ne vous méprenez pas. Ce à quoi nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est une guerre d’anéantissement clairement définie menée contre l’État ukrainien et la nation ukrainienne. Ce qui me semble important, cependant, c’est la créativité, la persévérance et le courage dont a fait preuve Lester B. Pearson pour tenter de contribuer à la résolution d’un conflit international. Comme il l’a exprimé :
De nos jours, les conséquences de l’échec — ou de la bêtise grave — sont beaucoup plus lourdes que jamais auparavant. L’humanité n’a plus droit à l’erreur.
Nous n’avons pas à craindre les menaces de Poutine d’une frappe nucléaire ou d’une troisième guerre mondiale. En tant qu’homme du KGB, il sait parfaitement comment jouer avec les peurs de nos alliés et comment manipuler les sociétés démocratiques. Mais comme le dit un bon vieux proverbe canadien, il jappe plus fort qu’il ne mord.
Nous devons nous défaire de cette philosophie erronée selon laquelle la Russie ne doit pas être provoquée davantage et qu’il faut éviter toute escalade. Il ne devrait pas y avoir de nouvelles limites à aider l’Ukraine à se défendre. Nos amis et alliés au Canada doivent arrêter de nous livrer ainsi des armes et de l’aide au compte-gouttes. Nous avons besoin que vous preniez la décision stratégique de livrer des avions de chasse canadiens — des CF-188 Hornets — à la force aérienne de l’Ukraine.
Le vice-président : Monsieur, je me vois contraint de vous interrompre. Je vous ai laissé parler deux fois plus longtemps que vos cinq minutes, mais j’aimerais passer aux questions. Je suis sûr que vous aurez de nombreuses occasions de soulever les points que vous n’avez pas encore soulevés.
M. Melnyk : Merci beaucoup. J’ai presque terminé. Je n’ai besoin que d’une minute de plus.
Nous aurions besoin que vous preniez la décision stratégique de nous livrer des navires de guerre, les frégates de la classe Halifax, par exemple, qui seront remplacées bientôt de toute façon, ainsi que des pétroliers extracôtiers et même des sous-marins. L’Ukraine a perdu sa flotte lors de l’annexion de la Crimée.
Bien sûr, nous comprenons les obstacles à la mise en œuvre de telles décisions, et il faudra du temps pour former les pilotes et les marins. Il est très probable que nous ne pourrions les utiliser que lorsque la guerre sera terminée, mais le grand défi sera d’empêcher une nouvelle guerre d’agression. Permettez-moi de répéter que la seule façon d’atteindre cet objectif est de permettre à l’Ukraine de devenir un État membre de l’OTAN. Nous espérons que le Parlement du Canada appuiera notre demande et qu’il exercera davantage de pression sur le gouvernement en ce sens.
Nous espérons pouvoir réussir à dissuader efficacement la Russie de continuer ainsi. Cela signifie que l’Ukraine devra augmenter son armement. En ce sens, le Canada pourrait et devrait jouer un rôle de premier plan.
Le vice-président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions. En tant qu’ancien sous-ministre des Affaires étrangères, je sais combien il est difficile d’être concis. Nous aurons quatre minutes pour chaque question et sa réponse.
La sénatrice Simons : Merci infiniment, monsieur Melnyk, d’être parmi nous. J’ai mentionné lorsque je me suis présentée que je viens de l’Alberta. Comme beaucoup d’Albertains, j’ai des racines familiales en Ukraine. Ma mère est née à Felsenbach, une colonie mennonite de la province de Dnipropetrovsk. La mère de mon père était originaire de Poltava. Les gens de ma province sont profondément touchés par la situation en Ukraine.
Je suis en visite à ce comité aujourd’hui. Je suis vice-présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. On sait, bien sûr, que l’Ukraine est le grenier de l’Europe et que vous êtes réputés dans le monde entier pour votre production alimentaire.
Je voulais vous interroger sur la sécurité alimentaire en Ukraine à l’heure actuelle, à savoir s’il y aura suffisamment de nourriture pour permettre aux gens de passer l’hiver et ce que le Canada pourrait faire pour vous aider sur le plan agricole, pas seulement en fournissant de la nourriture, mais en fournissant un soutien par la suite pour restaurer les champs de l’Ukraine tellement traumatisés par cette invasion.
M. Melnyk : Merci beaucoup pour cette question. Heureusement, la situation en Ukraine est stable pour ce qui est de la sécurité alimentaire. Je saisis d’ailleurs l’occasion pour inviter tous les membres du comité permanent à visiter Kiev.
Malheureusement, pas un seul parlementaire canadien n’a visité l’Ukraine depuis le début de cette guerre. Vous verriez que cela donne une impression étrange. D’un côté, les combats se poursuivent jour et nuit le long de la ligne de front, qui s’étend sur 1 500 kilomètres; de l’autre côté, ici à Kiev, on voit les gens boire du café dans des cafés et profiter du soleil. Si vous voyiez certains de nos magasins d’alimentation, vous verriez qu’il y a pratiquement de tout.
Nous avons besoin de votre pays, le Canada, pour veiller à ce que l’Ukraine soit en mesure d’exporter les céréales que nous avons produites parce que le trajet que nous utilisons à l’heure actuelle, qui passe par la mer Noire, fonctionne, mais la situation reste difficile avec la Russie. Nous avons besoin de votre soutien pour que cette voie d’exportation des produits ukrainiens — et je ne parle que des céréales parce que cet itinéraire n’est utilisé que pour l’approvisionnement en céréales — reste ouverte. Tous les terminaux à conteneurs d’Odessa et de la région sont bloqués, de sorte qu’aucun port n’est fonctionnel. Nous avons besoin de mesures pour permettre à l’Ukraine de débloquer toutes les exportations, parce que nous ne pouvons pas transporter toutes les marchandises par train par la Pologne. Seule une petite partie de nos exportations peut parvenir à destination. Nous avons nettement besoin d’aide à ce niveau pour nous aider à stabiliser notre budget. J’ai mentionné l’énorme déficit. Il subsistera parce que notre économie a tellement chuté. Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci, monsieur le vice-ministre, de la visite que vous nous faites aujourd’hui. Votre présentation a été très appréciée.
Il y a quelques jours, le président brésilien Lula da Silva a rencontré le président Biden à Washington. Lors de cette rencontre, il a fait valoir son point de vue sur la guerre dans votre pays. Bien que le Brésil condamne l’invasion russe, le président brésilien a mis de l’avant la position des pays non alliés. D’ailleurs, d’autres pays, comme les pays africains, ont semblé adopter la même position que le Brésil. Ils sont peut-être contre l’invasion russe, mais la position des pays non alliés sur cette guerre est très difficile à suivre.
Monsieur le ministre, que pensez-vous de la position de certains pays non alliés, notamment les pays africains, qui ont, pour la plupart, refusé de condamner l’invasion de votre pays?
[Traduction]
M. Melnyk : Je vous remercie beaucoup de votre question, sénatrice. C’est un véritable défi, je dois l’admettre. Bien que nous bénéficiions d’un certain soutien de la part de ces pays, comme le Brésil ou la plupart des pays africains au sein de l’Assemblée générale des Nations unies, vous avez raison dans le sens où ces pays essaient d’être neutres. De notre point de vue, cela semble intenable et ne peut être toléré, parce qu’on ne peut pas être neutre lorsqu’on voit que des actes de génocide sont commis et que des personnes sont assassinées. Il ne s’agit pas simplement d’un conflit entre deux pays voisins; il s’agit d’une guerre génocidaire, d’une guerre d’extinction qui vise à éliminer l’État ukrainien et à nous éliminer en tant que nation culturelle, si vous voulez.
Nous essayons de sensibiliser ces pays d’Afrique et d’Amérique latine. Je suis responsable des pays d’Amérique centrale, des Caraïbes et de l’Amérique du Sud au sein de notre Parlement. Nous sommes en train de préparer une stratégie, un plan directeur, sur la façon de relever le défi de convaincre ces pays de se positionner.
Vous avez mentionné le Brésil. Aujourd’hui, les conseillers diplomatiques du président ont parlé. Nous essayons de trouver des moyens de persuader non seulement les élites politiques de ces pays, mais surtout leurs sociétés d’appuyer l’Ukraine, pas seulement au moyen de mots ou de déclarations de solidarité, mais par des actes concrets, soit par l’aide humanitaire ou l’assistance militaire dont nous avons besoin. Certains pays du continent latino-américain possèdent plus de chars Leopard 2 que l’Allemagne elle-même.
Nous voyons que c’est difficile. J’ai eu des contacts fructueux avec vos collègues du ministère des Affaires étrangères au Canada. Nous comptons sur votre expertise et votre soutien sur le continent pour accomplir cette tâche, ce qui ne prendra pas des mois, mais sûrement des années, voire des décennies.
La sénatrice Coyle : Monsieur Melnyk, merci beaucoup de votre présence et de votre déclaration préliminaire, qui était très claire. Tout d’abord, nous vous avons tous entendu exprimer votre gratitude envers le peuple canadien. Parallèlement, je veux vous dire que nous voulons exprimer notre solidarité à vous et à tout le peuple ukrainien.
Vous nous avez remerciés pour l’aide militaire et humanitaire que nous avons fournie et pour nos régimes de sanctions, et vous nous avez fait des demandes assez concrètes. Je pense que tout le monde les a entendues. Vous aimeriez que nous proposions et appuyions une motion sur des engagements à long terme — sur cinq ans, idéalement — envers l’Ukraine et une motion sur l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. De plus, vous aimeriez obtenir davantage d’équipement militaire, en particulier de l’équipement qui se déplace dans les airs et en mer, et vous avez parlé du tribunal international, où des Russes seraient jugés pour les crimes qu’ils ont commis.
Vous avez également mentionné que votre peuple est confronté à une guerre d’anéantissement clairement définie et que, en tant qu’homme du KGB, Poutine sait très bien comment semer la peur non seulement au sein de la population ukrainienne, mais aussi dans la communauté internationale, à l’extérieur de l’Ukraine.
Ma première question porte sur l’état psychologique de vos militaires et de la population ukrainienne en général. Quelle est la situation à l’heure actuelle? Que peut-on faire? Vous avez mentionné ces biens matériels qui, je le sais, sont utiles, mais j’aimerais comprendre où vous en êtes actuellement dans cette situation très difficile.
Ensuite, si vous avez le temps, pouvez-vous parler de la question des sanctions? Nous sommes en train d’examiner notre régime de sanctions. Dans quelle mesure trouvez-vous que les sanctions internationales sont efficaces? Y a-t-il des choses qui, selon vous, pourraient être faites pour les améliorer?
Le vice-président : Nous devrons peut-être attendre au deuxième tour pour obtenir une réponse à la deuxième question.
M. Melnyk : Merci beaucoup pour vos gentilles paroles de solidarité. Nous vous en sommes reconnaissants et nous ressentons ce soutien.
En ce qui concerne la première question, eh bien, c’est difficile. Dans l’armée, les soldats sont prêts à se battre, même si c’est un combat difficile pour nos militaires. Nous voyons que la Russie a toujours la deuxième plus grande armée du monde, que c’est toujours le cas, même si elle a subi des pertes énormes l’année dernière.
On garde le moral. Les gens sont prêts à défendre leur pays parce qu’il n’y a pas d’autre option. C’est l’avis non seulement de l’armée, mais aussi de la société. D’un autre côté, bien sûr, presque un an s’est écoulé depuis que cette guerre a éclaté et les gens sont traumatisés. Il y a les traumatismes physiques, mais tous les Ukrainiens auraient certainement besoin de l’aide d’un psychologue également. On peut laisser de côté ces traumatismes pendant un certain temps, mais c’est un lourd fardeau que nous devons porter chaque jour. Or, au bout du compte, il n’y a pas d’autre solution. Toutes les propositions, pour ce qui est de négocier et de trouver un compromis... Comment peut-on arriver à un compromis avec quelqu’un qui ne veut que vous détruire physiquement et vous rayer de la carte?
Par conséquent, voilà quel est l’état d’esprit, pour l’essentiel. Les gens sont toujours là et nous allons nous défendre à tout prix. Pouvez-vous répéter votre deuxième question?
Le vice-président : Elle portait sur les sanctions, mais nous y reviendrons au deuxième tour.
M. Melnyk : Nous avons vu les sanctions. Elles ont affaibli l’économie russe, mais pas dans la mesure où nous l’aurions souhaité. Nous constatons que la Russie a des problèmes sur le plan de ses recettes d’exportation, mais l’économie fonctionne encore. Surtout, il y a le complexe militaire, et nos militaires le voient et le ressentent sur le terrain. Par conséquent, nous devons redoubler d’efforts et voir comment nous pouvons trouver les échappatoires et les combler.
La sénatrice M. Deacon : Merci, monsieur le président. Je vous remercie du fond du cœur d’être ici aujourd’hui, monsieur Melnyk. Pour revenir à votre déclaration préliminaire, qui était claire, nous faisons tout ce que nous pouvons au pays pour transmettre nos valeurs, agir avec intégrité et exprimer notre solidarité. Notamment, nous nous sommes réunis avec nos homologues américains à Colorado Springs, la semaine dernière. J’espère que ce travail se poursuivra.
J’ai trois questions. Tout d’abord, les informations que nous recevons portent sur l’Ukraine et les armes. Je me demande quelle aide vous est fournie après des attaques russes contre les infrastructures ukrainiennes. Je pense en particulier à vos infrastructures énergétiques. Avez-vous besoin de matériel ou d’expertise pour remettre en marche les centrales électriques après une attaque de missiles? Avez-vous demandé de l’aide aux pays occidentaux sur ce plan et, dans l’affirmative, ont-ils répondu à votre demande?
M. Melnyk : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Deacon. En effet, pas plus tard qu’hier, votre ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, était ici. J’ai participé à la réunion de tous les premiers ministres et il en a été question. C’était le principal enjeu que notre chef de gouvernement a soulevé au cours de la réunion et, bien sûr, nous avons besoin de cette aide pour compenser les pertes et la destruction que nous avons subies à cause des frappes de roquettes. Cette nuit, 36 roquettes ont été tirées sur des installations partout au pays, et pas seulement dans la partie orientale. Par conséquent, nous avons fourni toute la liste des générateurs et des transformateurs au gouvernement canadien. Nous espérons que votre gouvernement nous aidera non seulement à passer l’hiver, mais aussi à moderniser l’ensemble du réseau énergétique. C’est un vieux réseau et beaucoup de choses ont été détruites. Nous avons donc la possibilité de le renouveler grâce aux technologies renouvelables, notamment du secteur de l’énergie solaire, et de nous débarrasser des installations au charbon. Ainsi, je vous remercie beaucoup de cette question. Nous aurions besoin de ce type de soutien de la part du gouvernement.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup. Nous ne pouvons pas nous empêcher ici, au Canada, et je suis sûre que le reste du monde ressent la même chose, de penser au fait que dans huit jours, nous en serons au premier anniversaire — je déteste utiliser ce mot —, de l’invasion russe, ou il y aura un an que l’invasion russe a commencé.
Nous savons également que M. Poutine aime bien les anniversaires et le symbolisme. Avez-vous observé une intensification de l’offensive russe dans les zones contestées ou un déploiement des troupes russes qui laisserait croire qu’il pourrait y avoir une sorte de nouvel assaut le 20 février?
M. Melnyk : Merci pour votre question. Oui, vous avez raison. Poutine est fou de tout ce symbolisme et des dates symboliques. Or, le fait est que l’armée russe a déjà commencé cette nouvelle vaste campagne et une importante attaque sur toute la ligne de front. Nous devons donc être prêts à tout moment et, bien sûr, ce jour-là, elle pourrait lancer non pas 30, mais peut-être 100 roquettes sur nos infrastructures et sur les biens civils. C’est un fait. Voilà pourquoi il est nécessaire de recevoir des systèmes de défense aérienne le plus rapidement possible. Je vous remercie encore une fois pour le système de défense aérienne NASAMS que le Canada fournit. Il permet de sauver la vie d’Ukrainiens et nous espérons que nous pourrons renforcer davantage cette ligne. Merci beaucoup.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie beaucoup de vous joindre à nous ce matin — c’est l’après-midi pour vous. Nous vous en sommes reconnaissants et nous saluons la résilience dont le peuple ukrainien a fait preuve au cours de la dernière année.
Ma question découle des discussions que nous avons eues à l’une de nos dernières réunions sur l’Ukraine. Nous avons entendu dire que la Russie attaquait certaines infrastructures essentielles afin de transformer l’hiver en arme en réduisant la capacité des Ukrainiens à se chauffer et à entreposer de la nourriture.
Pouvez-vous nous dire comment l’Ukraine s’en sort par rapport à cette stratégie cet hiver? Avez-vous été en mesure de conserver les infrastructures nécessaires ou de les remettre en service?
M. Melnyk : Merci beaucoup. En fait, le défi demeure. Nous avons perdu la moitié de notre production d’énergie. Elle est passée de 24 à environ 12 gigawatts. Rien que pour la centrale nucléaire de Zaporijia, c’est environ 6 gigawatts que nous avons perdus parce que les Russes l’ont occupée durant les premières semaines de la guerre. Par conséquent, le gouvernement a un plan clair sur la façon de suppléer au manque causé par le fait que des installations ont été détruites ou endommagées. Nous espérons que le gouvernement canadien nous appuiera à cet égard dans le remplacement des ampoules, par exemple. Nous pourrions compenser l’équivalent de presque 1 gigawatt que produisent des installations simplement en remplaçant les ampoules ordinaires par des ampoules DEL, ou en ayant une centrale électrique au gaz mobile, que nous avons commandée, et certains partenaires offrent cette aide.
Je pense qu’il est possible de compenser le manque d’installations, et nous saurions gré au Parlement du Canada de toute aide pour fournir et financer ces initiatives du gouvernement. Je vous remercie.
Le sénateur Marwah : Monsieur Melnyk, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui. Manifestement, la guerre qui se déroule actuellement est une guerre d’usure, une épreuve d’endurance, et elle est particulièrement dure. Dans ce genre de situation, il n’y a pas de vainqueurs et, dans votre cas, c’est la population qui subit le plus lourdement cette guerre.
Je crains qu’il y ait une escalade de la guerre, en particulier si la Russie croit qu’elle est en train de perdre et décide de s’engager dans l’escalade en choisissant la voie nucléaire. Avez-vous des craintes quant à la possibilité d’une telle escalade et aux conséquences qu’elle aurait?
M. Melnyk : Merci de la question, sénateur Marwah. Bien sûr, nous sommes inquiets. Personne ne peut savoir ce que Poutine a en tête. Il a cette possibilité. La Russie possède des armes nucléaires, le plus grand arsenal au monde, et c’est le pays qui possède le plus d’armes nucléaires tactiques. Nous voyons le risque. D’un autre côté, nous comptons sur nos partenaires, surtout sur d’autres puissances nucléaires, pour trouver des solutions. Nous avons vu les conflits qui ont eu lieu pendant toute la guerre froide, et il était possible d’empêcher une frappe nucléaire.
Par conséquent, l’Ukraine ne peut rien faire à cet égard. Nous n’avons fait que nous défendre. On peut donc interpréter cela comme une escalade ou non, mais les leviers que nous avons pour influencer la décision de Poutine de ne pas utiliser d’armes nucléaires, ce sont les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France et d’autres puissances nucléaires, qui peuvent communiquer à Poutine, idéalement, que prendre un tel risque entraînerait la destruction de l’État russe. Ce serait une catastrophe pour l’État russe.
J’espère que ces signaux ont été envoyés au Kremlin. C’est la seule façon de résoudre le problème.
Si l’Ukraine disposait d’armes nucléaires, il y aurait un certain équilibre. Comme vous le savez, nous avons renoncé à en posséder et nous les avons rendues en 1994. Nous ne pouvons donc qu’espérer que nos partenaires trouveront les mots justes pour régler cette question.
Le vice-président : Merci.
Le sénateur MacDonald : Monsieur Melnyk, je suis ravi de vous voir aujourd’hui et de vous parler.
Je corresponds avec des amis à Kiev et à Varsovie, qui ont fui. Plus de 8 millions de personnes se sont réfugiées dans les pays voisins. On en compte 1,5 million en Pologne et plus de 2,8 millions en Russie.
Quelque chose m’intrigue. Dans quelle mesure les conditions de ces réfugiés sont-elles comparables? Les 2,8 millions de personnes en Russie... S’agit-il de réfugiés ou d’otages? Quelle est la situation là-bas? Comment ces personnes sont-elles traitées?
Je sais que les gens qui sont allés en Pologne sont très bien traités, à ma connaissance, mais comment cela se compare-t-il à la situation des autres réfugiés dans les pays avoisinants?
M. Melnyk : Merci beaucoup.
Vous avez raison, sénateur MacDonald. Les Ukrainiens qui sont maintenant en Russie — ou je dirais la majorité d’entre eux — ne sont pas des réfugiés, mais bien des otages. Dans les territoires occupés, la Russie déporte les populations de force. Les Russes retirent nos enfants des orphelinats et d’autres établissements, même lorsqu’ils ont des parents, puis ils essaient de les rééduquer, d’en faire de « bons patriotes » en Crimée ou en Russie.
Peut-être que certains d’entre eux n’avaient pas d’autres possibilités de fuir l’Ukraine que de le faire par la Russie, et beaucoup ont quitté la Russie et ont essayé de se rendre dans des pays européens.
Mais, malheureusement, vous avez raison. Nous en savons peu sur ce qui arrive à ces Ukrainiens. Ce que nous entendons, c’est qu’ils sont réinstallés à l’extrême est de la Russie, de sorte que nous perdons ces gens. Ils seront intégrés de force dans une société et une économie russes. C’est très difficile.
Nous espérons que la communauté internationale et nos partenaires, dont le Canada, réfléchiront à la façon d’aider ces Ukrainiens qui n’ont pas eu d’autre choix ou qui ont été déportés de force. Merci.
Le sénateur MacDonald : Qu’en est-il des réfugiés qui se sont rendus en Slovaquie, en Hongrie et dans d’autres pays? Comment sont-ils traités dans ces circonstances?
M. Melnyk : En ce qui concerne tous les Ukrainiens qui se trouvent en Allemagne, en Pologne ou dans d’autres pays européens, nous avons essentiellement reçu des commentaires positifs. Les gens sont bien traités. Les enfants ont accès à l’éducation. Dans certains pays — comme en Allemagne —, ils ont accès aux programmes sociaux et sont donc traités comme des Allemands au chômage, par exemple. Nous ne pouvons pas nous plaindre. Nous sommes reconnaissants envers nos voisins de l’Ouest. Ils ont accepté ces Ukrainiens.
Nous espérons tout de même qu’ils ne resteront pas là pour toujours. Si la guerre se terminait demain, nous aurions besoin de ces personnes pour reconstruire l’Ukraine et notre économie. La remise en marche de notre économie sera une entreprise qui s’étalera sur les prochaines décennies. L’un des défis auxquels nous sommes confrontés maintenant, c’est de déterminer comment proposer à ces Ukrainiens qui vivent en Pologne, en Allemagne et dans d’autres pays d’Europe de revenir et de nous aider à reconstruire l’Ukraine.
Le sénateur Greene : Merci beaucoup. C’est un honneur pour moi d’être ici avec vous.
J’ai remarqué dans les médias ce matin que le président du Bélarus dit qu’il n’attaquera pas l’Ukraine à moins que celle-ci ne l’attaque d’abord. Pourriez-vous nous dire quelques mots à ce sujet?
M. Melnyk : Je vous remercie de cette question, sénateur Greene.
Nous ne savons pas ce que fera Lukashenko. Nous savons que Poutine a tenté de le convaincre d’envoyer l’armée bélarusse rallier l’offensive russe dans le nord. Mais notre frontière commune, entre l’Ukraine et le Bélarus, fait plus de 1 000 kilomètres de long, il ne devrait pas l’oublier. C’est un danger auquel nous sommes confrontés, mais nous espérons toujours que Lukashenko ne sera pas forcé de rejoindre les forces russes, parce que ce serait une énorme catastrophe pour son peuple et il n’est pas sûr que son peuple le cautionnerait.
Ainsi, l’humeur est instable au Bélarus. Les gens ne veulent pas se battre en Ukraine ni y mourir, parce qu’ils ont remarqué que l’armée russe n’a pas gagné beaucoup de batailles sur le terrain. Par conséquent, nous exhortons nos voisins, Bélarus compris, à se garder d’intervenir et nous espérons qu’ils le feront.
Bien que le Bélarus soit un État... et soyons francs, en ce qui nous concerne le Bélarus est un pays agresseur, parce que la plupart des frappes aériennes sur Kiev et les autres villes partent de camps militaires situés sur le sol bélarusse. C’est comme ça que nous constatons que le Bélarus a encore reçu un soutien et de l’aide militaires, même si pour l’instant, ils n’interviennent pas avec leurs propres troupes. Donc, en ce sens, nous espérons que le Bélarus s’abstienne d’entrer en guerre.
Le vice-président : Chers collègues, nous allons passer au deuxième tour.
La sénatrice Coyle : Encore merci, monsieur Melnyk.
Je voudrais que vous poursuiviez, si vous avez encore quelque chose à en dire, sur le régime des sanctions. Vous nous avez affirmé qu’elles étaient utiles, mais pas si utiles que vous et nous l’avions espéré. L’économie russe n’a pas subi des effets aussi graves que ceux que nous espérions, lors de notre intention première, à savoir avec le vaste éventail de sanctions que nous avons imposées.
Vous parlez d’éliminer les échappatoires. Y a-t-il autre chose que vous pourriez nous dire ou que vous pourriez nous expliquer de ce que vous voulez dire par éliminer les échappatoires? Devrions-nous faire autre chose ou davantage quant aux sanctions que nous et nos partenaires internationaux imposons?
M. Melnyk : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Un certain nombre d’aspects pourraient être abordés en ce sens.
Nous devons nous assurer que le régime de sanctions déjà en place soit effectivement mis en œuvre, parce que les Russes cherchent des échappatoires. Par exemple, on nous dit maintenant qu’ils achètent des pièces détachées pour leur industrie militaire à la Chine, et pas seulement à la Chine, mais à d’autres pays, ce qui fait rouler leur économie militaire. C’est un des aspects auxquels il nous faut réfléchir.
Il n’y a aucun embargo sur le commerce avec la Russie. Une recommandation a été formulée en ce sens pour les partenaires européens du monde entier, à savoir de simplement s’abstenir et de ne pas investir en Russie, mais aucune décision politique n’a été prise dans aucun des pays pour influer sur ce processus. Par exemple, l’Allemagne, où j’ai été ambassadeur, a importé pour 30 milliards d’euros de produits à la Russie l’an dernier. Essentiellement, 30 milliards d’euros ont été investis dans l’économie russe, par le biais de taxes et d’autres moyens et ont aidé la Russie à continuer la guerre. C’est un exemple parmi d’autres.
Nous pourrions peut-être trouver un instrument, ce qui n’est pas facile, pour influencer les décisions des entreprises et des firmes canadiennes pour qu’à tout le moins elles ne développent pas leur commerce qui existe déjà là-bas. Ce n’est pas interdit d’investir en Russie, sauf dans certains secteurs qui font l’objet de sanctions.
L’énergie atomique est une branche importante de l’économie russe, qui n’est toujours pas visée par le régime des sanctions. Nous n’avons pas réussi à convaincre nos partenaires occidentaux à imposer des sanctions sévères à Rosatom et à d’autres industries. Ce ne sont que quelques exemples sur la façon d’isoler davantage la Russie au niveau international et d’assécher en outre les revenus qui permettent de continuer la guerre.
Le vice-président : Je vais accepter trois autres questions, puis je vous demanderais, monsieur le vice-ministre des Affaires étrangères, si vous pouviez, je vous prie, répondre à chacune le plus brièvement possible dans le temps qui nous est imparti.
La sénatrice Simons : La National Public Radio américaine a cette semaine avancé l’hypothèse que la Russie essaierait de vider le réservoir de Kakhovka, compromettant la réserve d’eau potable, la production agricole et la sécurité d’une des centrales nucléaires les plus importantes d’Europe. Pouvez-vous nous dire ce qui se passe en ce moment au réservoir de Kakhovka?
[Français]
La sénatrice Gerba : À peine quelques jours après le début de l’invasion en Ukraine, l’Ukraine s’est officiellement portée candidate à l’Union européenne. En un temps record, au mois de juin, sa candidature a été acceptée, sauf que plusieurs pays européens s’y opposent ou ont des positions divisées par rapport à la rapidité de l’acceptation de l’Ukraine. Quelle est la vision des prochaines étapes de ce processus d’intégration au sein de l’Union européenne? De quelle manière ce processus pourrait-il être accéléré? De quelle manière pensez-vous que l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne pourrait influer sur ce conflit?
[Traduction]
Le sénateur MacDonald : Monsieur Melnyk, hier la presse américaine rapportait que le secrétaire d’État, Antony Blinken, a exprimé quelques réticences quant à la possibilité actuelle de réintégrer la Crimée à l’Ukraine. Il a laissé entendre qu’une offensive ukrainienne en Crimée pourrait être la limite à ne pas franchir pour Poutine. Vous avez dit que vous ne vous laissez pas intimider par Poutine. Êtes-vous inquiet des commentaires du secrétaire d’État Blinken dans ce contexte? Cela vous tracasse-t-il que l’Occident soit intimidé par les menaces des Russes?
Le vice-président : Je vous remercie de toutes les questions. Monsieur Melnyk, voulez-vous y répondre?
M. Melnyk : Je vous remercie, je vais essayer d’être bref.
La situation au réservoir de Kakhovka est très sérieuse, parce que l’eau de ce lac artificiel sert à refroidir la centrale nucléaire de Zaporijjia, donc s’il n’y avait plus d’eau, le danger serait évident. Par conséquent, nous exhortons nos partenaires à nous aider à persuader la Fédération de Russie de cesser cette activité parce qu’elle mettra en danger non seulement l’Ukraine, mais toute la région.
En ce qui a trait à l’Union européenne, le premier but stratégique de l’Ukraine est d’essayer de se joindre à l’Union européenne dès que possible. Nous espérons pouvoir commencer le processus de négociation cette année. Selon nous, c’est envisageable, donc notre intention est de mettre ce processus en mouvement. Nous n’avons pas besoin d’exceptions. Nous voulons simplement un processus juste et équitable et espérons pouvoir achever les négociations dans les cinq prochaines années environ.
C’est réaliste, selon nous, et c’est quelque chose qui n’affectera pas le conflit. Tout du moins, nous n’avons pas reçu d’intimidation de la part de Poutine intimant que notre rapprochement à l’UE nous vaudrait une intensification du conflit.
La dernière question concernant la Crimée n’est pas une question facile. Au cours des derniers mois, nous avons ressenti les mêmes craintes, c’est-à-dire qu’essayer de libérer la Crimée, qui est un territoire ukrainien selon la loi internationale, pourrait provoquer Poutine et le pousser à se servir d’armes nucléaires ou d’autres moyens.
Bien sûr, Poutine va jouer avec cette peur. C’est son arme la plus efficace. L’arme la plus lourde de Poutine, ce ne sont pas ses armes nucléaires en tant que telles, mais la peur qu’il les utilise. Il va falloir apprendre à composer avec cette menace qui nous fait face. Je vous remercie.
Le vice-président : Nous arrivons à la fin de la première partie de la réunion. Je voudrais remercier, en votre nom, le vice-ministre des Affaires étrangères, M. Melnyk, de sa franchise. J’ai noté que vous nous avez invités à vous rendre visite et je pense qu’il serait très utile pour notre comité, dans le cadre de sa surveillance continue de l’Ukraine, d’en avoir l’occasion. Nous vous souhaitons beaucoup de succès. Bonne chance et encore merci d’être venu.
M. Melnyk : Je vous remercie, sénateur Harder.
Le vice-président : Chers collègues, nous allons passer au second groupe d’experts.
Nous sommes heureux d’accueillir, M. Bob Francis, président et directeur général d’Alinea International. M. Francis arrive de l’Alberta. Toujours d’Alinea international, nous avons avec nous, Mme Tawnia Sanford Ammar, directrice, Ukraine, Mme Oksana Osadcha, directrice du programme et de la technique et, par vidéoconférence, Mme Tracy Hardy, conseillère principale en matière de police, qui a participé aux programmes.
Monsieur Francis, comme vous le savez, vous disposez de cinq minutes pour vos déclarations préliminaires, ensuite nous passerons aux questions, comme nous l’avons fait pour l’invité précédent, et je sais que vous et vos collègues étiez contents de pouvoir le regarder.
Bob Francis, président et directeur général, Alinea International : Merci beaucoup, monsieur le président et merci au comité de nous avoir invités à parler de notre travail en Ukraine.
Alinea est l’une des plus anciennes sociétés de développement du Canada. Nous appuyons le gouvernement du Canada depuis 1986, pour mettre en place des programmes de développement dans le monde et je suis particulièrement fier du travail que nous avons accompli dans les zones touchées par les conflits et dans les États fragiles.
Aujourd’hui, représenter Alinea est la partie la plus facile pour moi. Ce qui est plus difficile c’est de donner une idée du courage et du dévouement dont j’ai été témoin en Ukraine au cours de nos 15 années d’engagement dans ce pays, travaillant avec un effectif de 200 Ukrainiens, tout particulièrement l’an dernier. Nous sommes l’un des rares partenaires de développement qui sont restés opérationnels pendant toute la durée de la guerre.
En janvier, j’ai passé une semaine à Kiev pour soutenir nos équipes chargées de projets et pour manifester notre solidarité envers nos partenaires ukrainiens. J’ai entendu les récits de nos homologues gouvernementaux, des parties prenantes communautaires et du personnel des projets sur la résilience, la persévérance et la capacité d’adaptation qui font désormais partie de leur vie.
Les collègues qui se sont jointes à moi aujourd’hui sont au cœur de ce récit. Basée à Kiev depuis 2009, Tawnia Sanford Ammar est la directrice d’Alinea pour l’Ukraine et dirige notre équipe de soutien de la gouvernance. Tracy Hardy est une commissaire adjointe de la GRC à la retraite et elle contribue à nos efforts de développement de programmes en vue de créer un service de police digne de confiance et elle se joint à nous aujourd’hui à Varsovie. Oksana Osadcha est notre directrice du programme et de la technique pour les programmes de réforme de la défense. Elles peuvent témoigner des effets du soutien canadien à l’Ukraine.
Pour vous donner un aperçu général, notre travail a commencé par la justice pour les jeunes en 2009. Le Canada a conçu un programme qui favorise les moyens de réadaptation pour les jeunes qui ont contrevenu à la loi, en se concentrant sur la réinsertion dans la collectivité plutôt que l’incarcération. Quand le projet a débuté, il y avait plus de 2 000 jeunes en prison et il y en a désormais moins de 50.
La révolution de la place Maïdan en 2014 a amené des vagues de réformateurs au gouvernement qui, étant nouveaux au pouvoir, ont demandé un certain soutien au Canada, marquant le lancement de deux projets consécutifs consacrés à la réforme des systèmes et des processus en vue d’améliorer la vie quotidienne des Ukrainiens.
Dans notre travail, nous avons constamment renforcé l’intégrité et le rendement des institutions nationales ukrainiennes dans le but de répondre aux besoins des citoyens. Ce travail est en cours dans presque tous les ministères ukrainiens et se poursuit aujourd’hui. Nous avons, par exemple, numérisé des dizaines de services essentiels, de la santé à la délivrance de passeports, fournis par de nombreux ministères, augmenté la transparence et réduit la corruption.
Notre soutien aux efforts de réforme en Ukraine aide le pays à se rapprocher des principes et des normes de l’OTAN et de l’Union européenne.
En 2020, le Canada a confié à Alinea le soin de soutenir la réforme institutionnelle du secteur de la sécurité et de la défense en Ukraine. Relevant d’Affaires mondiales et du ministère de la Défense nationale du Canada, nous avons fait progresser la surveillance démocratique, nous avons promu l’égalité des genres et avons amélioré la planification et la gestion des ressources dans l’ensemble du secteur et du pays. Nous nous sommes attelés également à un examen des besoins en capacité de défense et de planification militaires dans l’immédiat et à long terme.
Les violences sexuelles liées aux conflits sont au nombre des crimes de guerre qui devraient être traduits en justice. Nous aidons la coordination des interventions par des approches qui tiennent compte des traumatismes et grâce à des équipes d’intervention mobiles composées de policiers et de prestataires de services sociaux pour soutenir les survivants.
Des résultats importants ont été obtenus dans le rétablissement de la confiance du public dans les forces de l’ordre grâce à un programme canadien mis en œuvre par Alinea. Notre équipe travaille avec la direction de la police nationale pour faire avancer les pratiques exemplaires en matière de police communautaire, pour promouvoir le rôle des femmes et en créant et en continuant de soutenir l’Association ukrainienne des femmes dans le maintien de l’ordre. Désormais, en temps de guerre, quand la police arrive dans les endroits libérés, les Ukrainiens voient les officiers comme des partenaires de confiance chargés de maintenir la sécurité et l’ordre public.
Je voudrais attirer votre attention sur Affaires mondiales Canada. Quand la guerre s’est déclarée, pas dans les heures, mais dans les jours qui ont suivi, le programme d’Affaires mondiales nous a permis de réagir immédiatement grâce à un pourcentage des fonds du programme, pour fournir une aide d’urgence. Dans le cadre de nos projets, les 3,5 millions fournis par le Canada ont déclenché 25 millions d’aide de la part de nos partenaires internationaux.
Maintenant, tandis que nous évaluons l’année qui vient de s’écouler et les cas de figure pour l’avenir, une chose est claire : l’Ukraine a plus que jamais besoin du Canada. Soutenir l’effort de défense par de l’équipement militaire et stimuler l’économie avec des prêts souverains est important et le Canada fait sa part. Mais l’Ukraine est aussi tournée vers la reconstruction et celle-ci comporte de multiples facettes.
Les réformes clés doivent se poursuivre afin de continuer à réhabiliter davantage les systèmes, les processus et les structures de gouvernance dans l’ensemble d’une société affectée par la guerre. La reconstruction ne peut pas se faire sans une reprise bien planifiée et bien gérée qui soutient la bonne gouvernance, la croissance économique, la protection sociale, la paix et la sécurité. Merci beaucoup. Et je suis navré d’être émotif.
Le vice-président : Nous partageons votre émotion.
Chers collègues, nous allons passer au premier tour de questions, encore une fois avec quatre minutes pour les questions et les réponses.
La sénatrice M. Deacon : Merci à vous d’être venus, que ce soit en personne ou virtuellement. Et, honnêtement, merci de votre vulnérabilité. C’est un sujet difficile.
Rien que de consulter votre site Web, je dois dire, qui est presque comme un nouveau test papier-crayon, cela évoque certainement des émotions.
Pour commencer et en préparation de la réunion d’aujourd’hui, je suis tombée sur une annonce de 2019 sur votre site Web, concernant le financement de réformes de la gouvernance en Ukraine, qui mettait en particulier l’accent sur les femmes et les filles.
Il est certain que chaque pays est en constante évolution et l’Ukraine ne fait pas exception bien sûr. Je me demandais dans quelle mesure des conflits comme celui-là représentaient un contretemps pour un tel programme. Est-ce que vous pouvez le reprendre à l’endroit où vous l’aviez laissé une fois que le conflit est terminé ou bien de telles réformes subissent un recul important, c’est-à-dire, que vous devez refaire le travail pour arriver là où vous en étiez avant le début du conflit?
Tawnia Sanford Ammar, directrice, Ukraine, Alinea International : Je vais répondre à cette question. L’annonce de 2019 concernait un projet que j’ai géré qui s’appelle Soutien au Programme ukrainien de réformes pour la gouvernance. L’égalité des sexes et le soutien aux femmes et aux filles sont certainement au cœur de ce projet. Ces éléments sont essentiels au travail que nous accomplissons en Ukraine.
Dans le cadre de ce projet, nous avons entre autres renforcé la capacité de planification stratégique du gouvernement ukrainien et fait en sorte que toutes les solutions que nous trouvons profitent à tous et que nous ne laissons personne pour compte, que l’on traite d’une question de santé ou d’éducation. Nous sommes en train de mettre ce système en place au sein du gouvernement ukrainien. Nous sommes dotés d’un important outil numérique qui fait de la planification axée sur les résultats et les citoyens, et cela fait partie de la solution.
Lorsque nous nous penchons sur une question précise — et nous soutenons le gouvernement ukrainien dans une foule d’initiatives de réforme —, nous posons ces questions : dans quelle mesure est-ce profitable pour les femmes et les filles? Dans quelle mesure est-ce profitable pour les personnes âgées? Dans quelle mesure est-ce profitable pour les habitants des régions urbaines et rurales? Est-ce que la même solution profite à tous?
Je suis heureuse de dire que le gouvernement de l’Ukraine a adopté ce processus très rapidement. Il est devenu une de ses priorités, et cela n’a pas changé pendant la guerre.
Nous effectuons aussi des vérifications de l’égalité entre les sexes au sein de tous les ministères en Ukraine. Vous serez peut-être surpris d’apprendre que l’on procède à ces vérifications en temps de guerre. Le gouvernement de l’Ukraine n’a pas mis un frein aux réformes, pas même à ce genre de réformes, qui ont tendance à être laissées de côté en temps de crise.
J’aimerais soulever un autre point important, et peut-être que Tracy ou Oksana pourront fournir plus de détails. Bon nombre de femmes travaillent dans les forces armées et les forces policières. Encore une fois, cette situation est assez unique à l’Ukraine et l’Ukraine en est fière. Nous soutenons les femmes de nombreuses façons.
Je vais en parler dans un instant. Enfin, j’aimerais dire que le gouvernement ukrainien est très attaché à l’égalité entre les sexes et à l’élimination des obstacles pour les plus vulnérables et les plus marginalisés. Pas plus tard qu’hier matin, j’ai assisté virtuellement à une réunion du Conseil pour l’élimination des obstacles — dont je fais partie —, qui avait lieu à Kiev. Ce conseil de très haut niveau est présidé par le premier ministre, et la première dame y participe régulièrement. Son travail vise à éliminer les obstacles dans tous les secteurs. Chaque ministre — tout le cabinet — assiste à toutes les réunions du conseil.
Je ne pense pas du tout que l’Ukraine ait laissé de côté cette question. Je suis personnellement très heureuse et très encouragée de constater cela.
La sénatrice Simons : Le viol en temps de guerre existe depuis que la guerre elle-même existe. J’ai été frappée d’entendre M. Francis dire qu’il s’agissait d’un problème avec lequel vous devez désormais composer. Je me demandais, au risque de parler d’une question chargée d’émotions et bouleversante, si vous pouviez nous dire ce que vous observez en matière de violence sexuelle en cette période de guerre. Votre travail là-bas ne traitait pas de cela, mais vous avez dit que votre personnel a fait face aux effets de cette réalité.
Tracy Hardy, conseillère principale en matière de police, Alinea International : Je peux peut-être en parler brièvement. Évidemment, ce n’est pas tout le monde qui était préparé à faire face aux problèmes de violence sexuelle liée aux conflits. En réponse à l’invasion à grande échelle, le ministre de l’Intérieur et la police nationale, comme l’a mentionné M. Francis, ont mis en place une unité mobile d’intervention de la police spécialisée pour recenser les infractions criminelles, y compris les violences sexuelles liées aux conflits commises par les militaires russes dans les collectivités récemment libérées. Ces équipes sont composées d’agents de police, de psychologues et de représentants d’agences de services sociaux. Elles sont allées dans près de 139 collectivités jusqu’à présent et ont communiqué avec environ 2 200 citoyens.
Nous avons fourni de l’équipement à ces équipes mobiles, notamment de l’équipement technique, des sacs de couchage, des vêtements thermiques et des trousses d’urgence qui sont très importantes. Les équipes peuvent donner ces trousses, qui contiennent des rations alimentaires et des produits d’hygiène, aux victimes et à leurs enfants.
Les responsables gouvernementaux ont exigé que des outils d’apprentissage soient préparés. Là encore, le niveau de sensibilisation est préoccupant. Ce matériel d’apprentissage aide les policiers à mieux comprendre la nature de la violence sexuelle liée aux conflits et à acquérir les compétences dont ils ont besoin pour s’attaquer aux problèmes, en adoptant une approche qui sera toujours axée sur les personnes ayant survécu à cette violence. Ce matériel aide aussi à comprendre cette forme de violence et ses répercussions sur les gens et les communautés, à savoir comment recueillir correctement les informations conformément aux normes internationales, à identifier les survivants et survivantes et les témoins, et à travailler en collaboration et en partenariat avec les services sociaux pour fournir des services d’aide complets aux gens. Les policiers eux-mêmes peuvent subir un traumatisme. Ce matériel inclut donc aussi des conseils psychologiques pour aider les policiers à prévenir l’épuisement professionnel.
Nous avons répété à la police que les gestes qu’elle commet et le rapport qu’elle établit avec le survivant ou la survivante auront une incidence durable tout au long de la vie de la personne. De plus, l’intervention de la police aura un impact direct sur trois éléments essentiels : la capacité de la personne survivante à guérir et à se rétablir, l’enquête dans son ensemble et toute procédure judiciaire.
Je le répète, il ne fait aucun doute que les Ukrainiens sont aux prises avec des incidents sans précédent de violence sexuelle liée aux conflits. Comme nous l’avons vu lors d’autres guerres, nous nous attendons à ce que certaines personnes ayant survécu à cette violence se manifestent une fois les hostilités terminées. Le travail de la police, tant du point de vue de l’intervention que de l’enquête, sera de tout mettre en œuvre pour traduire les auteurs de ces crimes en justice. Merci.
Oksana Osadcha, directrice du programme et de la technique, Alinea International : Merci beaucoup de cette question cruciale. Les efforts du gouvernement s’ajoutent à ce qui est accompli par la police nationale. En mai de l’année dernière, le gouvernement ukrainien et l’ONU ont signé le cadre de coopération. Le programme PROTECT, ou Promoting Reform Objectives through Technical Expertise and Capacity Transfer, le programme au sein duquel je travaille pour Alinea, dispose d’un conseiller au Bureau du commissaire du gouvernement pour la politique de l’égalité entre les sexes. Il supervise la coordination de la réponse de l’ensemble du gouvernement aux violences sexuelles liées aux conflits, ce qui inclut le travail effectué pour le bureau du procureur, le plan de mise en œuvre et le groupe de travail chargé de surveiller la traite des personnes. Nous faisons également de notre mieux pour communiquer avec les forces armées, car dans les territoires occupés, ce sont essentiellement les forces terrestres qui entrent en premier sur le territoire et interagissent avec les civils. Il est très important que ces forces puissent communiquer et qu’elles soient en mesure de mettre au point le document d’information qui a été approuvé par le commandement des forces terrestres. Il a donc été distribué aux forces terrestres.
L’essentiel de tous ces efforts est, bien sûr, de promouvoir l’approche axée sur la personne survivante pour s’assurer que, dans toutes les communications qui ont lieu, les victimes ne subissent pas un autre traumatisme.
La sénatrice Boniface : Merci à tous de votre présence. Je vous remercie du travail que vous accomplissez. Ma question s’adresse à Mme Hardy. Bonjour, je suis heureuse qu’une personne qui a vos compétences occupe ce poste.
J’aimerais savoir, d’après ce qui a été accompli — je suis quelque peu au courant du travail que vous avez effectué et de l’aide apportée par les Canadiens dans la formation des policiers —, si vous pouviez nous donner une mise à jour sur l’état d’avancement de la création de l’agence de police que vous vouliez mettre sur pied.
Ensuite, comment la guerre a-t-elle été menée de façon à ce qu’elle soit perçue comme une manière ordinaire d’assurer le maintien de l’ordre?
Mme Hardy : Merci. Je suis ravie de vous voir.
J’ai été extrêmement impressionnée par la police nationale qui a adopté les principes de la police communautaire et qui a établi cette solide pratique communautaire au cours des sept dernières années. Ces principes fournissent à la police ce dont elle a besoin pour faire face aux défis qui surviennent maintenant, en temps de guerre, mais, surtout, ils lui permettent de maintenir la confiance de la population.
Pour ceux d’entre vous qui ne connaissent pas les services de police communautaires, il s’agit du processus par lequel la police et les membres de la collectivité travaillent ensemble pour améliorer le bien-être et la sécurité de la collectivité par l’entremise de la résolution conjointe des problèmes.
Pour soutenir la pratique de la police communautaire dans les régions touchées par les conflits, nous fournissons un soutien direct et un accès à l’information relative aux problèmes de sécurité publique actuels et émergents qui incluent, entre autres, la traite des personnes et la violence sexuelle liée aux conflits.
Depuis 2017, la police nationale ukrainienne s’est engagée à mettre sur pied ces groupes consultatifs communautaires qui poursuivent leur travail dans les zones touchées par le conflit. Des membres de la police, des ONG et des citoyens fournissent un service incroyable.
Nous donnons des ressources à ces partenaires. Comme je l’ai dit, il existe un échange d’information, des liens et une cohésion sociale entre les agents et la police. À titre d’exemple, environ 1 700 adeptes nationaux et internationaux de la police communautaire utilisent notre plateforme Facebook pour discuter de différentes tendances.
Ces partenariats de confiance ont récemment été élargis avec le lancement de centres de sécurité communautaires dans sept régions où des partenaires sont demeurés opérationnels pendant la guerre. Nous sommes ainsi en mesure de travailler avec la police pour traiter de questions de sécurité et adapter les réponses aux besoins de la population locale, qui sont en constante évolution et très pertinents dans les circonstances actuelles.
Ces centres facilitent la coopération entre de nombreuses agences, ce qui permet d’unir la police, la communauté et d’autres parties prenantes. À mon avis, il est important que ces centres servent aussi de plateformes de communication entre la police et la collectivité pour soutenir les enquêtes menées sur les crimes de guerre, ce qui inclut la réponse aux violences sexuelles liées aux conflits. Merci.
La sénatrice Boniface : Madame Hardy, pouvez-vous nous en dire plus sur ce que vous observez en matière de traite des personnes, une réalité qui suscite toujours de grandes craintes dans les situations de conflit?
Mme Hardy : La question de la traite des personnes est certainement préoccupante et, encore une fois, les agents de première ligne avec lesquels nous travaillons n’ont pas reçu beaucoup de formation et n’ont pas beaucoup été sensibilisés à ce sujet. La donne est en train de changer et des formations sont en cours d’élaboration. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires de la police nationale ukrainienne ainsi qu’avec le personnel du ministère de l’Intérieur pour nous assurer que cette question est abordée et fait l’objet d’une enquête.
Il est important de veiller à ce que toutes les agences internationales et nationales qui font de la traite des personnes une priorité communiquent entre elles et partagent des renseignements et, je le répète, aident la police dans ses efforts.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui; vos témoignages sont très touchants. Monsieur Francis, merci.
Dans le mémoire que vous nous avez transmis, vous avez indiqué que la reconstruction de l’Ukraine nécessitera une gestion rigoureuse et un effort de reconstruction, en particulier pour ce qui est du retour des réfugiés dans leur pays, et que cette reconstruction devra être associée à un effort de financement international considérable. Vous avez indiqué également que le Canada pourrait jouer un rôle important dans la mobilisation et le soutien budgétaire à l’échelle internationale. Pourriez-vous nous décrire en détail le rôle que le Canada pourrait jouer dans la reconstruction de l’Ukraine? De quelle manière pourrait-il fédérer les efforts de soutien à l’échelle internationale?
[Traduction]
Mme Ammar : Je pense que la reconstruction est déjà sur toutes les lèvres. Cela peut sembler étrange étant donné qu’une guerre atroce à grande échelle sévit et cause beaucoup de destruction.
Si vous me le permettez, j’aimerais prendre un instant pour parler d’un village près de Kiev où M. Francis et moi sommes allés. Je ne le laisserai pas en parler aujourd’hui. Nous nous sommes rendus dans un petit village en périphérie de Kiev pour voir ce qui se passe avec l’un de nos projets où nous construisons un centre pour permettre aux enfants de la région d’aller à l’école. Les Russes ont occupé ce village pendant seulement trois semaines en mars dernier, il y a presque un an, et ils ont détruit de nombreuses parties du village. Ils ont surtout visé les écoles. Lorsque nous affirmons qu’ils mènent une guerre génocidaire, vous pouvez le constater en observant ce qu’ils détruisent. Ils ont détruit l’école et l’édifice de la maternelle. Ils ont pillé et ont terrorisé les gens du village.
La reconstruction comprend plusieurs facettes. Il s’agit, évidemment, de reconstruire. Cela est clair. Les enfants n’ont plus d’écoles. En ce moment, à l’aide de notre projet, nous apportons des solutions temporaires. Nous avons ouvert des centres d’enseignement à distance qui permettent aux enfants de se réunir dans une sorte d’école moderne qui ne compte qu’une seule classe. Nous leur donnons des ordinateurs portables et des ordinateurs et ils y apprennent ensemble. On y trouve des enfants de tous âges.
Dans ce seul village, 500 enfants ne peuvent pas aller à l’école. Les Russes ont également, soit dit en passant, brûlé les autobus scolaires afin que les enfants ne puissent pas être transportés dans un autre village pour aller à l’école. Ils voulaient s’assurer que leurs gestes font vraiment mal.
Je pense que ce qui se passe va plus loin et a une incidence plus profonde que ce que nous voyons. Nous devons examiner les répercussions sociales, bien sûr. Nous avons connu deux années de pandémie en Ukraine, comme tout le monde. Pendant cette période, les enfants n’ont pas pu aller à l’école et n’ont pas eu l’occasion de socialiser avec d’autres enfants. Nous devons aussi nous pencher sur l’incidence économique de cette guerre. La reconstruction concerne tous ces éléments. Elle doit englober non seulement la reconstruction physique, mais aussi les aspects sociaux. La reconstruction doit également faire une place à la guérison, car tout le monde a été touché par ce qui se passe. La reconstruction consiste à d’abord gagner cette guerre pour ensuite pouvoir reconstruire. Nous devons aussi nous assurer que nous disposerons de services. Il nous faut créer les services de santé et d’éducation qui nous permettront de rapatrier les Ukrainiens, car ils veulent tous rentrer chez eux. Certains d’entre eux reviennent même si la guerre fait rage. Nous devons nous assurer que le pays est un endroit sûr où ils peuvent enfin se sentir en sécurité et où leurs familles peuvent s’épanouir.
Pour ce qui est de ce que le Canada peut faire, je vous dirais que le soutien continu du Canada est inestimable; il donne de l’espoir aux gens. Je pense que nous devons continuer à investir comme nous le faisons. En tant que contribuable canadienne, j’appuie pleinement cette initiative. Nous devons également travailler sur le développement. Il ne s’agit pas seulement d’armes. Nous parlons d’armes en ce moment, mais nous devons aussi nous assurer de pouvoir reconstruire en entier des municipalités, des villages et des villes qui offrent tous les services dont les gens ont besoin. Cela représente l’autre partie du travail de développement que nous et d’autres entreprenons au nom du Canada.
La sénatrice Coyle : Je tiens à vous remercier pour vos témoignages, mais aussi et surtout pour le travail que vous faites au nom des Canadiens et pour la solidarité que nous souhaitons voir de la part du Canada et des Canadiens à l’égard de l’Ukraine et des Ukrainiens. Je vous en remercie.
Certains d’entre vous étaient là pour le témoignage du sous-ministre, tout à l’heure. Le sous-ministre Melnyk a dit qu’il souhaitait que le Parlement du Canada, dont nous formons une chambre, adopte une motion de soutien à l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. C’est l’une des demandes qu’il nous a adressées.
Monsieur Francis, dans votre témoignage, vous avez mentionné que votre entreprise aide l’Ukraine à réaliser les réformes que le pays a amorcées avant cette horrible guerre génocidaire et poursuit, ce qui l’aide à se conformer davantage aux principes et aux normes de l’OTAN et de l’Union européenne. Nous savons que l’Ukraine souhaite désespérément être membre de l’Union européenne ainsi que de l’OTAN. Comme l’a dit le vice-ministre Melnyk, si l’Ukraine n’y parvient pas, notamment en ce qui concerne l’adhésion à l’OTAN, elle n’a pas d’avenir; elle sera une cible facile. Je pense que c’est à peu près ce qu’il essayait de nous dire.
Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur le point où en est le pays d’après vous, par rapport à ces normes et principes? Est-ce qu’il existe des points de référence explicites que vous aidez l’Ukraine à atteindre? Quel genre de progrès constatez-vous à cet égard, et quel genre de répercussions la guerre a-t-elle sur ce travail?
M. Francis : Je vais demander à mes collègues de répondre, mais je voudrais d’abord dire que ce que nous faisons concerne le développement, et que le développement passe par la réforme. En réformant son gouvernement de manière à améliorer les processus et les systèmes, l’Ukraine va pouvoir s’aligner sur l’OTAN et rejoindre l’Union européenne. En ce qui concerne les types de choses que nous l’avons aidée à faire, je vais laisser la parole à mes collègues.
Mme Osadcha : Merci beaucoup de votre question. C’est en effet un point essentiel, et comme vous l’avez très bien dit, l’adhésion à l’OTAN est inscrite dans la constitution ukrainienne. C’est également la volonté du peuple. Selon les résultats des derniers questionnaires de recherche sociale, le degré de soutien à l’adhésion à l’OTAN n’a probablement jamais été aussi élevé dans toute l’histoire de l’Ukraine.
Nous avons en ce moment, à Kiev, une équipe de 16 personnes qui travaille à ce dossier particulier, soit l’intégration des principes de l’OTAN — j’aimerais utiliser le mot « normes » — et des valeurs fondamentales que les alliés ont en commun dans les lois ukrainiennes relatives à la gouvernance de la défense, au contrôle civil et à la surveillance démocratique. Je m’occupe également d’aspects plus pratiques en veillant notamment à fournir à l’Ukraine les armes et les systèmes de type OTAN.
Cela implique également de délaisser la logistique de type soviétique et d’assurer la durabilité. C’est un travail de grande envergure qui nécessite incontestablement les efforts et le soutien de toute la communauté internationale à cet égard. Nous nous concentrons sur quelques points et domaines particuliers, et nous aidons également les Ukrainiens à mettre en œuvre ces changements dans l’ensemble du système de gestion et de gouvernance de la défense.
Le Comité de la sécurité nationale, de la défense et du renseignement qui revoit la Loi sur la sécurité nationale tient en ce moment même des audiences. L’un des principaux aspects est que, depuis le début de l’invasion à grande échelle — car la guerre n’a pas commencé en février de l’année dernière, mais en 2013 —, les unités militaires formées selon les normes de l’OTAN, bilatéralement par le Canada et le Royaume-Uni, se sont révélées plus efficaces que celles qui ne l’ont pas été. La conception des normes et des principes de l’OTAN ne concerne pas seulement l’adhésion, mais aussi l’efficacité des forces armées, et je pense que c’est désormais le cas pour la majorité des forces armées ukrainiennes.
Le sénateur MacDonald : Je pense bien que nous allons parler de corruption, même si nous n’aimons pas le faire. Le mois dernier, nous avons découvert que des prix gonflés avaient été facturés pour la nourriture destinée aux soldats ukrainiens, mais que la différence avait été empochée par des fonctionnaires de haut rang. Dix fonctionnaires ont été contraints de démissionner, ainsi qu’un chef de cabinet adjoint du président. De toute évidence, cela affecte le moral des Ukrainiens, de même que celui des Occidentaux qui soutiennent l’Ukraine. C’est aussi une trahison envers les personnes qui se battent pour leur vie là-bas.
Quels ont été les effets de la corruption sur votre travail dans le cadre des projets auxquels vous participiez? Qu’avez-vous fait ou que pouvez-vous faire pour réagir à la corruption et l’enrayer?
M. Francis : Nous intervenons en ce moment dans une soixantaine de pays dans le monde, et rares sont les pays où nous n’avons pas à faire face à une certaine corruption. Nous avons des systèmes de contrôle et de surveillance en place et des moyens de nous assurer que les gens n’ont pas l’occasion d’exploiter les possibilités de corruption. Il y a aussi le facteur risque.
En Ukraine, nous les aidons à mettre en place des systèmes et des processus qui empêchent les gens de profiter de telles occasions. C’est une façon de mettre fin au phénomène de corruption. Ce que nous faisons avec le Canada est très efficace à cet égard.
J’aimerais céder la parole à Mme Ammar, qui pourra vous donner des exemples et des précisions.
Mme Ammar : C’est vrai. Nous entendons souvent parler de la corruption en même temps que de l’Ukraine, souvent en parallèle, mais la lutte contre la corruption a beaucoup progressé dans ce pays.
Quand j’y suis retournée pour la première fois en 2009, après y avoir vécu pendant de nombreuses années auparavant, le pays était très différent. Vous ne pouviez pas circuler sur la route sans qu’on vous extorque un pot-de-vin. Je conduisais une voiture étrangère, ce qui faisait de moi une cible, et ce n’était pas parce que je conduisais mal. Cela faisait partie de la vie. Si vous voyiez un agent de police, vous saviez que vous auriez à payer un pot-de-vin. Toutes les démarches étaient incroyablement difficiles, que ce soit pour simplement obtenir un passeport, faire immatriculer votre voiture, ou obtenir un certificat de naissance pour votre enfant. Il n’y avait aucune information nulle part. Il n’y avait pas de processus ou de procédures. Vous alliez au bureau des passeports, et il n’y avait aucun formulaire de demande. Pour en obtenir un, vous deviez payer quelqu’un.
Tout part de là : de l’absence de systèmes en place.
L’Ukraine a radicalement changé depuis. Elle a fait un grand bond en avant par rapport aux bases de données papier et au manque de renseignements sur les services. Nous avons maintenant nos permis de conduire sur nos téléphones, dans des applications créées par le ministère de la Transformation numérique.
Il y a encore beaucoup à faire, notamment créer des systèmes autour de tout ce que nous faisons. Que ce soit pour apporter de l’aide humanitaire ou pour reconstruire le pays, nous devons disposer de systèmes solides.
Nous devons également donner de la formation en matière d’éthique et veiller à ce qu’il y ait également un élément de contrôle. Je ne sais pas s’il reste assez de temps pour que Mme Hardy en parle, mais la formation à l’éthique fait partie du travail que nous faisons avec la police.
Encore une fois, nous avons embauché les bonnes personnes pour les patrouilles. Nous avons renversé complètement la situation au cours des 10 dernières années.
Le vice-président : Nous avons le temps d’entendre Mme Hardy. J’aimerais notamment que vous parliez de la formation de la police de Kiev, à laquelle le Canada participe activement depuis au moins 10 ans.
Mme Hardy : Oui, sénateur. Je vous remercie. Depuis que nous avons commencé à travailler avec le corps de police en 2015, ils ont fait beaucoup de progrès dans la lutte contre les comportements contraires à l’éthique. L’intégrité et la confiance sont les principes fondateurs de la mise en place de ce nouveau service de police.
Ils ont un code de déontologie très solide qui repose sur la primauté du droit, l’honnêteté et l’intégrité. Les efforts de réforme déployés par le Canada ont contribué à ce changement.
Encore une fois, l’un des objectifs de la police nationale de l’Ukraine est d’instaurer un service de police digne de confiance et d’éradiquer la corruption. Cela ne se fait pas du jour au lendemain, mais ils ont appris des expériences d’autres pays, dont le Canada.
L’objectif est de réduire la vulnérabilité à la corruption et de vivre selon ces valeurs fondamentales. Nous avons vu que des agents de police sont prêts à dénoncer la corruption lorsqu’ils en sont témoins, qu’ils sont déterminés à demander des comptes aux agents et qu’ils veulent protéger la confiance fragile et durement gagnée des Ukrainiens.
Grâce à l’augmentation des salaires et à l’amélioration des prestations sociales, les pots-de-vin deviennent moins attrayants. Je pense que tous les efforts de réforme déployés à ce jour les ont rendus moins vulnérables à la corruption.
Je repense à mes 34 années de service dans la GRC, et j’ai rencontré de nombreux agents ukrainiens dans tout le pays qui m’ont inspirée par leur dévouement et leur professionnalisme. Cela constitue un témoignage vraiment positif sur notre profession.
Piloter de telles réformes n’est pas une tâche facile, et je crois que ces réformes se poursuivent malgré les épreuves causées par l’invasion russe. Je vous remercie.
La sénatrice M. Deacon : J’écoute les témoignages, et les paroles de Whitney Houston me reviennent en tête : « Je crois que les enfants sont notre avenir. Éduquez-les bien, puis laissez-les tracer la voie. » Dans le contexte de l’Ukraine, les enfants sont omniprésents.
Vous avez parlé du travail accompli avec la police ukrainienne en ce qui concerne les violences sexuelles liées au conflit ainsi que la traite de personnes. Je m’interroge sur l’organisation qui travaille avec les autorités ukrainiennes sur la question des enlèvements d’enfants ukrainiens envoyés en Russie dont on a parlé. Si vous avez quelque chose à nous dire à ce sujet, je vous en remercie vivement.
Mme Ammar : Merci. C’est franchement un sujet très important et troublant. Cela nous ramène également à la question que le sénateur MacDonald a soulevée il y a un moment à propos des réfugiés en Russie.
Nous savons que pas moins de 7 000 enfants ont été déportés de force en Russie. J’utilise ce mot, car il s’agit d’une guerre génocidaire et la déportation en fait partie. Ils prennent tous les enfants d’orphelinats et les déportent. Dans les territoires occupés, des enfants envoyés en camp d’été ne sont jamais rentrés chez eux. Il y a des histoires déchirantes.
Notre projet consiste à travailler avec le gouvernement, car notre mode de fonctionnement est d’aider le ministère à mettre en œuvre les réformes dont il a besoin. Pour l’instant, nous mettons sur pied des systèmes pour retrouver ces enfants. Ce n’est que la première étape. Le chemin à parcourir pour les récupérer sera long et semé d’embûches. Beaucoup de ces enfants, d’après ce que nous savons, ont déjà été adoptés par des familles russes. Avec le temps qui passe, il sera de plus en plus dur de les ramener chez eux, comme vous pouvez l’imaginer.
Fait intéressant — et vous allez entendre des chiffres différents —, la Russie affirme avoir sauvé plus de 100 000 enfants. Les autorités ukrainiennes contestent ce chiffre, car, bien sûr, du point de vue des Russes, ils les ont fait sortir d’Ukraine pour les emmener dans un lieu plus sûr, mais selon nos constatations, on est loin de ce nombre. Malgré tout, chaque enfant est très important, et nous estimons qu’il y a plus de 7 000 enfants dans cette situation.
La sénatrice Boniface : Je pose ma question à Tracy Hardy, mais je serai heureuse d’entendre d’autres avis.
Je fais un peu de travail sur le crime organisé. Je m’intéresse au type de travail accompli avec les pays voisins pour empêcher le crime organisé de combler le vide qui existera dans le pays, ainsi qu’à la manière dont ce problème est abordé, que ce soit avec l’aide de l’Union européenne ou d’autres pays. Pouvez-vous m’éclairer à ce sujet?
Mme Hardy : Nous n’avons pas fait beaucoup de travail à cet égard, car nous nous concentrons principalement sur la réponse des agents de première ligne et le renforcement de leurs capacités, mais je sais que l’Union européenne elle-même fait un travail incroyable. Je sais que la police nationale est en contact avec ses homologues, notamment dans les pays voisins.
Dans le cadre de notre projet, nous prévoyons de fournir de la formation et du soutien à l’élaboration du programme canadien connu sous le nom d’Opération Pipeline. Nous nous préoccupons du trafic de drogues, des victimes de la traite de personnes et de l’armement militaire. C’est en fait quelque chose que nous sommes en train de mettre au point pour aider les services de police qui patrouillent sur les routes à lutter contre la contrebande qui entre en Ukraine et en sort. C’est un élément.
La sénatrice Boniface : En ce qui concerne les capacités de la police ukrainienne, sachant tous les autres problèmes qu’elle avait, est-ce qu’elle aurait eu, à votre arrivée là-bas, la capacité de faire face à ces problèmes? Est-ce qu’il fallait un programme de formation?
Mme Hardy : Il existait une certaine capacité, mais il faut absolument moderniser les approches, et c’est sur ce plan que la mission de la police canadienne en Ukraine et la mission de l’Union européenne ont apporté leur soutien. Nos partenaires américains ont également mis l’accent sur cet enjeu.
La sénatrice Boniface : Je vous remercie du travail que vous faites là-bas, madame Hardy.
La sénatrice Gerba : Dans votre mémoire, vous avez indiqué que vous soutenez la croissance économique en Ukraine depuis plusieurs années, et vous avez notamment favorisé la création de bureaux régionaux qui investissent en Ukraine, ainsi que la mise sur pied d’une entité destinée à accroître les investissements dans le pays.
Comment parvenez-vous à soutenir l’économie ukrainienne en ces temps difficiles, et comment peut-on stimuler l’investissement en Ukraine?
Mme Ammar : Je vous remercie de votre question. Je sais qu’il semble un peu contradictoire d’investir dans un pays en guerre, mais comme on l’a dit précédemment, le contexte dans le pays offre de multiples facettes. Il est certain que le front est très étendu. La population entière est touchée par la guerre d’une manière ou d’une autre.
Mais il y a aussi une vie normale, et ce n’est pas un hasard. Les Ukrainiens fréquentent les cafés et les restaurants, vont au cinéma et achètent des sacs à main en signe de résistance. Voici ce qu’ils disent : « Savez-vous quoi? Vous ne nous arrêterez pas. Nous allons gagner cette guerre, et la victoire, c’est d’acheter du café, de fêter les anniversaires et de vivre en dépit de la guerre. » Nous pouvons appuyer les Ukrainiens en investissant en Ukraine, car de nouvelles entreprises incroyables se sont formées, et les occasions d’investissement sont nombreuses.
Avec UkraineInvest, nous avons notamment contribué à faire connaître aux investisseurs certaines des occasions qui s’offrent à eux en ce qui concerne les usines, de même que la formidable main-d’œuvre très instruite et hautement qualifiée de l’Ukraine. La vie continue, et les gens se refont une vie même si la guerre se poursuit.
La sénatrice Gerba : Merci.
La sénatrice Coyle : Vous avez mentionné que les 3,5 millions de dollars de financement pour vos projets ont entraîné une aide de 25 millions de dollars de la part d’autres partenaires internationaux. Pourriez-vous, d’abord, dresser pour nous un portrait de l’écosystème canadien du développement et de votre place au sein de ce système relativement à l’Ukraine? D’où provient cette aide internationale supplémentaire? Qui sont ces autres partenaires internationaux qui vous ont permis d’obtenir ce levier?
Ensuite — si je change un peu de sujet, car vous êtes présents dans de si nombreux pays —, y a-t-il des leçons à tirer? La situation en Ukraine me paraît sans précédent; néanmoins, y a-t-il des leçons à tirer d’autres interventions que vous avez faites ailleurs, qui vous aideront dans votre partenariat relatif à l’effort de reconstruction?
M. Francis : Voilà une question intéressante. D’abord, nous ne sommes pas une société d’aide humanitaire. Nous n’en remplissons pas les critères. Nous sommes une société privée. Ainsi, nous menons des projets de développement pour aider nos clients à renforcer leurs capacités en matière d’aide gouvernementale, et j’espère que vous conviendrez que nous sommes assez compétents en la matière.
En Ukraine, le gouvernement canadien nous a immédiatement donné son approbation pour que nous puisions des fonds dans nos projets techniques. J’en ai été très impressionné. Il nous a donné le pouvoir de dépenser des fonds de nos projets de développement et a approuvé nos demandes, pas en quelques jours; en quelques heures à peine.
Mme Ammar : À mon avis, c’était l’une des décisions les plus rapides et potentiellement les plus courageuses qu’Affaires mondiales ait jamais prises, et je crois que cette décision a littéralement sauvé des vies. Ces 3,5 millions de dollars nous ont permis, en quelques heures, d’appeler des entreprises pour leur dire que nous avions besoin d’eau et de couvertures, et de mettre en place des refuges pour les personnes déplacées à l’intérieur du pays. Nous avons ravitaillé des abris antibombes et acheté des médicaments livrés directement à Marioupol. De plus, puisque nous étions sur le terrain juste avant que la guerre ne se déclenche pour de bon, nous avions renvoyé tous nos employés vers des endroits qu’ils considéraient comme sûrs. Nous avions 200 employés dans l’ensemble du pays, et la décision de nous permettre d’utiliser nos fonds leur a donné les ressources sur le terrain pour travailler avec le gouvernement local pour mettre sur pied des refuges pour les personnes déplacées. Ainsi, quand elles sont arrivées, nos employés étaient prêts. Nous savons que ces sommes modestes — uniquement ces sommes-là — ont probablement aidé 110 000 personnes.
Nous avons été en mesure d’offrir un soutien pour presque 100 abris antibombes, et environ 60 refuges pour personnes déplacées.
Parce que nous sommes intervenus tôt — il a fallu apprendre rapidement et nous avons travaillé 24 heures par jour pour y arriver —, les gens ont remarqué notre travail et ont compris ce que nous étions en mesure d’accomplir. Nous avons commencé à recevoir des appels et avons reçu des dons de partenaires aux États-Unis, comme l’Afya Foundation, le Congrès des Ukrainiens Canadiens, des groupes de la diaspora ukrainienne que nous appelons les « Texans ukrainiens », et des Ukrainiens d’une autre ville aux États-Unis. Nous avons reçu des dons de partout. Aujourd’hui, malheureusement, les besoins ont changé : des fauteuils roulants, des béquilles et de l’équipement médical sont des objets que nous recherchons.
Les organismes humanitaires sont présents en ce moment, mais l’Ukraine a toujours besoin de soutien médical et d’équipement pour les personnes ayant perdu un membre et, plus triste encore, pour les enfants qui ont perdu un membre. Il y a tant d’enfants amputés, maintenant, et de grands brûlés. Voilà le type d’équipement dont l’Ukraine aura beaucoup plus besoin à l’avenir.
Le vice-président : Ma question, madame Sanford Ammar, fait suite à votre commentaire au sujet des personnes qui travaillent pour vous en Ukraine. L’obligation de diligence compte beaucoup pour notre comité, qui est celui du service extérieur, où qu’il se trouve, et des organismes humanitaires. Pourriez-vous nous expliquer comment, même dans ces circonstances, vous arrivez à la fois à travailler en Ukraine et à vous acquitter de votre obligation de diligence envers vos employés?
Mme Ammar : Je vous remercie pour cette question avec laquelle nous composons quotidiennement depuis un an. À titre de contexte, je dirai que tout le monde en Ukraine subit des conséquences. Vous avez devant vous deux personnes qui ont été déplacées par cette guerre. Mme Osadcha et moi vivons toutes deux en Pologne en ce moment, parce que nous voulons assurer la sécurité de nos enfants et les éloigner des sirènes.
Déjà avant la guerre, nous nous assurions du versement des salaires. Nous avons présumé que les communications et les opérations bancaires seraient interrompues, alors nous avons fait beaucoup de planification à l’avance sur des aspects que nous n’aurions jamais pu imaginer. Nous avons évacué notre personnel. Certains de nos employés sont partis dans des endroits comme Irpin et Boutcha, croyant qu’ils y seraient en sécurité, parce qu’il s’agissait de villages, et pas de villes. Nous avons ensuite dû les évacuer.
Ainsi, toute personne qui travaille pour nous a subi des conséquences qu’il est très difficile de mesurer.
Fait intéressant, j’ai remarqué que nos employés sont très motivés par leur capacité à poursuivre leur travail. Les gens étaient très reconnaissants de l’aide humanitaire et de l’aide d’urgence que nous avons obtenues au début de la guerre, et pas uniquement en raison du grand nombre de personnes qu’il était possible d’aider. Leur travail leur donnait aussi l’impression qu’ils avaient un rôle à jouer dans ce combat. Ces employés n’étaient pas en première ligne — ce qui pouvait être le cas de leurs conjoints —, mais ils étaient en mesure de lutter là où ils se trouvaient, en prenant soin d’autres Ukrainiens et en offrant de l’aide humanitaire. Ils ont exprimé maintes fois leur reconnaissance pour cette possibilité et leur reconnaissance envers le Canada pour la souplesse dont il a fait preuve en leur permettant d’intervenir de cette façon.
Ce n’est pas peu dire qu’ils travaillent aux réformes depuis longtemps. Nous avons des employés incroyables qui se consacrent à leur pays et veulent le voir devenir ce qu’ils qualifieraient de pays normal — un pays aux valeurs européennes, occidentales, canadiennes — et ils mettent tout leur cœur et toute leur âme dans leur travail. En plus de tout le reste — les missiles, les sirènes, et cetera —, les gens s’inquiétaient évidemment pour leur travail. Nous sommes ravis que le gouvernement canadien nous ait permis à nouveau de leur enlever cette pression et de leur dire : « Ça ira. Vous pouvez offrir de l’aide d’urgence pour un certain temps. » Nous sommes revenus au travail sur les réformes, et ce travail doit se poursuivre. Ce soutien constant est plus important que vous ne le croyez. Il donne de l’espoir à ces personnes, et l’espoir leur donne le courage de continuer la lutte.
Le sénateur MacDonald : Merci.
Comme vous êtes vous-même réfugiée, j’ai pensé vous poser une question au sujet des réfugiés qui viennent au Canada. Plus de 700 000 personnes ont fait une demande pour venir, et 420 000 demandes ont été approuvées, mais seulement 130 000 personnes sont effectivement arrivées au Canada. Est-ce que vous savez ce qui explique ces délais et ce qui est fait pour les réduire? Avez-vous des conseils pour accélérer le processus?
Mme Ammar : Votre question ne relève pas tout à fait de mon domaine, et ce que je peux vous dire est anecdotique.
D’abord, les Ukrainiens adorent le Canada. Ils ont une affinité particulière avec le Canada. La sénatrice Simons l’a affirmé au sujet de l’Alberta, et je pense qu’il est difficile de rencontrer un Canadien qui n’a pas une part d’ascendance ukrainienne.
Ce n’est pas que les Ukrainiens ne veulent pas venir au Canada; les Ukrainiens veulent être chez eux. Si nous pouvions faire tout en notre pouvoir pour leur permettre d’être en sécurité chez eux — et cela requiert d’arrêter la guerre, d’abord, et de les aider à rebâtir leur pays —, ce serait fantastique.
En ce qui concerne le processus, j’ai entendu de la part de plusieurs parties prenantes que, particulièrement pour les personnes plus âgées qui ne peuvent voyager pour obtenir leurs données biométriques, le processus est très lent. Peut-être est-ce là un aspect qui pourrait être examiné. Pour les personnes plus jeunes qui ont leurs données biométriques, apparemment le processus est très rapide.
Je sais également que bien des personnes qui sont venues au Canada veulent, je le répète, retourner chez elles un jour. Il est fantastique que le Canada ait offert un refuge sûr et sécuritaire pour cette période, ce qui, espérons-le, renforcera les liens. Nous aurons une génération d’Ukrainiens qui auront mis leurs enfants dans des écoles canadiennes, qui seront retournés en Ukraine et qui se seront faits ici des amis et des proches qu’ils considéreront comme de la famille.
Mme Osadcha : En tant que citoyenne ukrainienne, j’aimerais féliciter le gouvernement canadien pour ses efforts, particulièrement pour avoir lancé ce programme spécial pour les Ukrainiens. J’ai fait une demande pour venir au Canada pour cinq jours par l’entremise de ce programme, parce que c’était le moyen le plus rapide et, honnêtement, bien des employés des services d’immigration à Montréal ont été surpris quand je leur ai dit que je n’étais pas là pour immigrer, mais simplement en visite. Néanmoins, je souhaite transmettre de sincères remerciements au peuple et au gouvernement canadiens pour leur ouverture envers les Ukrainiens et pour avoir pris soin d’un grand nombre de mes compatriotes dans leur magnifique pays.
Le vice-président : Merci. Notre séance tire à sa fin, mais avant de conclure, j’aimerais, au nom du comité, vous remercier pour vos témoignages et, plus important encore, pour votre travail accompli, qu’il soit passé, présent ou à venir, afin d’accompagner l’Ukraine, grâce à notre aide et à notre attention constantes.
Je vous remercie à nouveau et, au nom du comité, je vous souhaite bonne chance.
(La séance est levée.)