LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 4 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, bonjour.
Je m’appelle Peter M. Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité des affaires étrangères et du commerce international.
Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.
[Traduction]
Sénateur MacDonald, vous pouvez commencer aujourd’hui, et c’est votre anniversaire, alors félicitations.
Le sénateur MacDonald : Merci. Il est toujours bon d’avoir un anniversaire de plus. Michael MacDonald, de la Nouvelle‑Écosse.
[Français]
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, en Nouvelle-Écosse.
Le sénateur Ravalia : Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Anderson : Dawn Anderson, des Territoires du Nord-Ouest. Je remplace le sénateur Harder.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
[Français]
Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.
[Traduction]
Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.
Le président : Merci beaucoup, honorables sénateurs. Bienvenue à tous, et bienvenue à tous ceux qui nous regardent partout au pays aujourd’hui.
Pour ce qui est du premier groupe de témoins, nous nous réunissons conformément à notre ordre de renvoi général pour continuer d’explorer le rôle que joue la diplomatie culturelle dans la promotion des intérêts du Canada dans le monde. Aujourd’hui, nous nous penchons plus particulièrement sur la façon dont la culture canadienne et les arts contribuent aux relations internationales du Canada.
Dans ce contexte, nous sommes très heureux d’accueillir l’honorable sénatrice Patricia Bovey, qui a mené la charge en tant qu’ancienne membre du comité pour étudier la diplomatie culturelle, en jouant un rôle essentiel dans la production du rapport de 2019 du comité intitulé La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada. Nous accueillons également, par vidéoconférence, Brian M. Levine, directeur général de la Fondation Glenn Gould; Mary Reid, directrice et conservatrice, ville de Woodstock; et William Huffman, gestionnaire du marketing, de la West Baffin Eskimo Cooperative.
Je remercie tous les témoins de s’être joints à nous. Avant d’entendre vos observations et de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander aux membres et aux témoins dans la salle de ne pas se pencher trop près de leur microphone, ou alors de retirer leur oreillette. Cela évitera toute rétroaction sonore qui pourrait nuire au personnel du comité et à nos interprètes qui porteront des écouteurs pour leurs tâches d’interprétation.
Nous sommes prêts à entendre les déclarations préliminaires, mais nous allons restructurer un peu le processus parce que la sénatrice Bovey doit se rendre à une autre réunion de comité. Comme vous le savez, honorables sénateurs, nous avons souvent des responsabilités multiples. Nous entendrons d’abord la sénatrice Bovey, puis nous lui poserons des questions pendant 10 minutes. La sénatrice Bovey nous quittera ensuite, et nous entendrons les autres témoins. J’espère que c’est acceptable dans les circonstances, chers collègues. Sénatrice Bovey, vous avez la parole.
L’honorable Patricia Bovey, à titre personnel : Merci, monsieur le président. Merci aux autres témoins. Merci, chers collègues. C’est vraiment un honneur pour moi de parler aujourd’hui du rapport du Sénat de juin 2019, La diplomatie culturelle à l’avant-scène de la politique étrangère du Canada, qui a été bien reçu.
Lorsque j’ai suggéré que le comité étudie la diplomatie culturelle, comme certains d’entre vous s’en souviendront, je croyais vraiment que la puissance douce de la culture était essentielle pour développer le profil international du Canada. Je le crois toujours. La culture représente qui nous sommes, nos valeurs nationales, nos racines et nos diversités. En transmettant les messages et les réalités du Canada à l’étranger, la culture dit aux autres ce qu’est le Canada, d’où nous venons et le courage que nous avons pour aller de l’avant. C’est extrêmement important pour notre pays. Nos partenaires internationaux doivent comprendre nos cultures, notre éthique et notre histoire.
Tout en préconisant une collaboration avec les provinces, les huit recommandations du rapport conféraient la responsabilité de la diplomatie culturelle à Affaires mondiales Canada, à Patrimoine canadien et au Conseil des arts du Canada, sous la houlette d’Affaires mondiales Canada. Affaires mondiales possède des biens immobiliers partout dans le monde, du personnel et des relations locales. Patrimoine canadien et le Conseil des arts ont une expertise en matière d’arts, de culture et de patrimoine.
Nous n’avons pas d’Institut Goethe, de British Council ou de Fondation du Japon, mais nous avons l’occasion de mettre en valeur nos créateurs et nos idées exceptionnels, et pour ce faire, nous avons besoin d’objectifs clairs, d’une formation culturelle pour le personnel de nos ambassades à l’étranger, de mécanismes de surveillance à court et à long terme et de l’éducation par l’entremise des études canadiennes à l’étranger.
Les premières étapes ont été encourageantes, mais tronquées par la COVID-19. Nous devons retrouver le profil de puissance douce perdu au début des années 2000, et avec les conflits internationaux d’aujourd’hui, la diplomatie culturelle est encore plus importante. Comme on le dit souvent, en période de difficultés politiques internationales, la culture peut garder les portes ouvertes.
L’UNESCO appelle :
[...] à un dialogue fondé sur la musique et les arts comme vecteur pour le renforcement d’une compréhension et d’une interaction mutuelles, ainsi que pour la construction d’une culture de paix et de respect de la diversité culturelle.
La publication de notre rapport a apporté des changements positifs. Le Conseil des arts du Canada a lancé un volet de financement spécial pour les activités artistiques internationales. Affaires mondiales a lancé un programme de formation préliminaire. Les organisations étaient prêtes.
Récemment, Mary Reid, de la Woodstock Art Gallery, a présenté les portraits d’auteurs canadiens de l’artiste John Hartman à la Maison du Canada, à Londres. William Huffman a montré l’art du Cape Dorset à Varsovie et en Corée. Les délégués des Premières Nations du Canada à la COP 27 ont présenté de façon experte les approches culturelles des Premières Nations en matière de solutions aux changements climatiques.
Comme je l’ai dit à la Chambre hier, les travaux vont bon train en vue de la participation du Canada au Musée du patrimoine panafricain du Ghana, qui ouvrira ses portes plus tard, en 2024. Le Canada prend maintenant la direction de ce projet à Accra. Lors de ma première réunion en tant que membre du conseil international des conservateurs du Musée du patrimoine panafricain, il y a trois ans, j’ai été surprise d’apprendre que beaucoup pensaient que le Canada faisait partie des États-Unis. Cette idée fausse est maintenant dissipée. Le comité directeur du contenu canadien pour nos participations virtuelles et réelles, présidé par l’artiste et poète britanno-colombienne Chantal Gibson, est considéré comme un modèle, en raison de son approche qui est interdisciplinaire et axée simultanément sur le passé, le présent et l’avenir. Notre rapport sur la diplomatie culturelle a été le catalyseur du financement d’Affaires mondiales Canada et du Conseil des arts du Canada, qui a permis l’embauche de six conservateurs noirs régionaux.
[Français]
Ces activités récentes sont encourageantes, mais elles sont rares puisque la politique de diplomatie culturelle du Canada n’a pas été officiellement adoptée. Elle n’est ni connue ni comprise, et n’est pas pleinement mise en œuvre par Affaires mondiales Canada, même si j’ai reçu de nombreux encouragements de la part des ambassadeurs et des responsables. Beaucoup, comme moi, pensent que la diplomatie culturelle a besoin d’une plus grande visibilité au sein du ministère lui-même pour être aussi efficace qu’elle pourrait et devrait l’être. Le résultat sera transformateur pour le Canada dans son ensemble, sa culture et sa place dans le monde.
[Traduction]
D’après mon expérience personnelle de la présentation des arts canadiens à l’étranger, et en tant que sénatrice, je peux affirmer qu’une forte présence diplomatique culturelle profitera au Canada, au pays et à l’étranger, à nos créateurs et à nos organismes culturels, et que les retombées financières pour le Canada seront importantes, comme elles l’étaient avant la suppression du programme, et qu’elles alimenteront notre industrie touristique. Aujourd’hui plus que jamais, nous avons besoin que nos alliés nous connaissent et, en tant que membre de l’UNESCO, nous avons la responsabilité d’aider à préserver la culture de la guerre et de la profanation du climat. La diplomatie culturelle est le véhicule approprié.
En parlant de la diplomatie culturelle, Simon Mark a écrit que :
[...] son pouvoir potentiel repose sur son intersection avec la culture nationale, les valeurs nationales, l’identité nationale et la fierté nationale, qu’elle montre la personnalité d’un État d’une manière qui établit un lien avec les gens et qu’il ne faut pas sous-estimer le pouvoir d’une prestation culturelle, d’un film ou d’une bourse d’études pour établir des liens.
[Français]
Je suis aussi très fière des jeunes personnes créatives du Québec qui ont créé les jeux virtuels. Ils ont obtenu de bons résultats, mais ils ont aussi donné au Canada une bonne réputation, à l’exception de certaines personnes qui pensent encore qu’ils étaient des Américains; ce qui est un problème si nous voulons un profil pour le Canada. La diplomatie culturelle peut corriger cette erreur.
[Traduction]
Nous ne devrions pas cacher nos créateurs qui disent au monde qui nous sommes. L’image du Canada à l’étranger repose en grande partie sur sa culture. Comme ce fut le cas pendant des décennies avant qu’il ne soit réduit, l’investissement de notre gouvernement dans le quatrième pilier de la diplomatie canadienne sera bien moindre que les multiples retombées positives qui en résulteront pour notre économie et notre image de marque. Grâce à la diplomatie culturelle, la fierté de nos créateurs de renommée internationale deviendra notre marque, une marque qui devrait être connue comme canadienne et non américaine.
Je demande l’adoption officielle de cette étude.
Merci, monsieur le président.
Le président : Merci, sénatrice Bovey. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous aurons 10 minutes pour poser des questions à la sénatrice Bovey. Je tiens à souligner que la sénatrice Marty Deacon, de l’Ontario, s’est jointe à la réunion.
Le sénateur Woo : Permettez-moi de rendre hommage à la sénatrice Bovey, qui nous a mis sur cette voie et qui l’a défendue fermement tout au long de son mandat au Sénat. C’est une grande partie de votre œuvre, si je peux m’exprimer ainsi. Même si nous n’avons pas accompli tout ce que vous voulez accomplir, je pense que nous y arriverons, et votre empreinte sera partout. Félicitations.
J’aimerais vous poser une question au sujet des ambassadeurs culturels canadiens qui ne se trouvent pas au Canada. Comme vous le savez, nous avons une importante population de citoyens canadiens à l’étranger, plus importante que la plupart des provinces. Il y a des producteurs culturels dans cette population. Il n’est pas clair pour moi que nous les célébrons, les reconnaissons et les honorons parce qu’ils ne sont pas ici dans notre géographie.
Pouvez-vous me dire ce que vous en pensez et si vous croyez qu’il y a une voie ou une modalité distincte que nous pouvons mettre en place pour reconnaître ces talents, les intégrer dans notre diplomatie culturelle de puissance douce et les déployer pour toutes les bonnes choses que vous voulez accomplir grâce à la culture canadienne?
Le président : Sénatrice Bovey, si vous me permettez de vous interrompre, j’ai oublié de mentionner que nous n’avons que trois minutes par sénateur pour la question et la réponse, parce que nous avons quatre témoins aujourd’hui. Vous avez deux minutes pour répondre.
La sénatrice Bovey : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Si j’avais disposé de plus de temps, j’aurais parlé de certaines de ces personnes et du travail qu’elles font.
Je crains que le Canada ne reconnaisse pas les artistes canadiens qui vivent à l’étranger. Je crois que vous avez une fille qui est sur le point de mettre à profit son expérience de la direction d’orchestre à l’étranger. J’ai une fille qui travaille à l’étranger. Ces artistes ne sont pas reconnus par le Canada, et ils pourraient et devraient l’être. Ils sont nos ambassadeurs et ils établissent des liens importants entre les nations, souvent dans des régions difficiles du monde.
J’ai eu l’occasion de passer un certain temps au Japon, par exemple, dans le cadre d’une de mes fonctions précédentes. Il est très important de voir les artistes canadiens qui travaillent là-bas avec leurs homologues japonais. Cela a contribué à créer certaines des villes sœurs du Canada à l’étranger. Alors oui, ce sont des portes ouvertes très importantes.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue, chère collègue, sénatrice Bovey. Je salue votre leadership dans le domaine de la diplomatie culturelle. Votre engagement dans le lancement du Pan African Heritage Museum à Accra, au Ghana, que vous avez annoncé hier, est un résultat important et majeur dans le domaine de la diplomatie culturelle, justement. J’ai compris que vous voulez qu’on adopte le rapport initié par ce comité et qui n’a toujours pas été mis en œuvre.
Ma question porte plutôt sur l’importance de la diversité culturelle canadienne. Nous avons la chance de vivre dans un pays qui rassemble des cultures multiples et diversifiées. Auriez-vous une recommandation à faire; par exemple, comme notre collègue l’a demandé, comment pouvons-nous utiliser ces différences culturelles? Pour nos Canadiens qui œuvrent dans ce domaine, qui vivent ici et qui vont à l’étranger ou qui vivent à l’étranger, si on devait les aider à promouvoir la culture, quelle serait l’approche à adopter?
[Traduction]
La sénatrice Bovey : Ce sont deux très bonnes questions.
Au pays, je pense que cela peut se faire par l’échange d’expositions, de festivals littéraires, la communauté de la danse et la communauté musicale. Je pense que c’est ce qui se passe, mais peut-être de façon plus limitée que je ne le voudrais.
Comme nous parlons vraiment aujourd’hui de diplomatie culturelle à l’étranger, je crois vraiment important, lorsqu’on forme des fonctionnaires du ministère avant qu’ils ne partent travailler à l’étranger, qu’ils puissent se rendre compte de la diversité multiculturelle de nos artistes autochtones et de nos artistes de toutes les origines et de toutes les disciplines.
D’une certaine façon, la participation du Canada au Musée mondial du patrimoine panafricain est exactement cela. Notre travail virtuel sera prêt à être examiné avant la fin de mai. Le vrai musée ouvrira ses portes à l’automne 2024. J’espère pouvoir m’y rendre. Les œuvres sont rassemblées par des artistes canadiens noirs de toutes les disciplines — danse, écriture, musique, arts visuels, cinéma — et tout le reste. Ils regardent le passé et la réalité de notre histoire, le présent, et ils créent une plateforme pour les jeunes. Les vidéos sont réalisées par de jeunes cinéastes noirs. Je pense que c’est important.
La sénatrice Gerba : Merci.
Le président : Merci beaucoup. Chers collègues, je sais que vous voulez tous poser des questions. Nous avons trois autres sénateurs. Étant donné que la sénatrice Bovey devra bientôt partir, je vais demander à chaque sénateur de poser sa question dans l’ordre. Cela donnera à la sénatrice Bovey l’occasion de terminer ses réponses.
La sénatrice Coyle : Merci, sénatrice Bovey. Je suis tout à fait pour l’adoption du rapport.
J’aimerais que vous nous parliez de la mesure des résultats. Vous avez mentionné son importance. Qui est efficace dans ce domaine? Que devons-nous vraiment faire pour soutenir cette cause? C’est aussi une question financière. Nous disons que la culture garde les portes ouvertes et fait toutes sortes de bonnes choses. Je le crois, mais comment le démontrons-nous?
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup, sénatrice Bovey, pour tout le travail que vous faites dans ce domaine.
Vous avez clairement indiqué que les arts sont la meilleure image de marque qu’un pays puisse avoir. Pouvez-vous nous donner un ou deux autres exemples de réussite de notre diplomatie culturelle à l’étranger? Merci.
La sénatrice M. Deacon : Merci, sénatrice, d’avoir témoigné deux fois cette semaine. Je vous en suis reconnaissante.
J’ai une question sur la culture, mais je m’éloigne un peu du domaine des arts. Dans notre mémoire, nous avons vu dans le rapport de 2019 que la science a été mentionnée à quelques reprises, mais toujours à la fin de la liste et qu’on n’en a jamais beaucoup parlé. J’aimerais avoir une meilleure idée de la façon dont la science s’inscrit dans la diplomatie culturelle. Au Canada, au cours des dernières années, nous avons joué un rôle important dans certains projets scientifiques internationaux comme le télescope spatial James Webb. Récemment, Jeremy Hansen a été l’un des astronautes sélectionnés pour voler autour de la Lune. Est-ce le genre de sciences dont nous parlons ici? À votre avis, devons-nous ces succès à la diplomatie culturelle?
Le président : Ce sont trois très bonnes questions. Sénatrice Bovey, vous avez la parole.
La sénatrice Bovey : La mesure des résultats peut se faire de plusieurs façons, sénatrice Coyle. Évidemment, il y a l’impact. Les organisations artistiques excellent dans leurs jeux de chiffres. La communauté artistique, comme les autres témoins vous le diront sans doute, peut mesurer le nombre de participants et l’argent, les fonds autogénérés, l’ensemble. Il faut aussi regarder l’impact du travail sur les gens. Je peux vous parler d’expositions et de concerts dans le monde entier qui ont vraiment suscité une réaction enthousiaste. Lorsque le Ballet national du Canada se produit à Londres, je peux vous dire que cela fait la une des journaux. Lorsque le Royal Winnipeg Ballet s’est rendu en Russie, qui s’ouvrait à la fin de la guerre froide, l’impact a été réel. Ces fonds sont là, mais les 11,9 millions de dollars qui étaient consacrés à la diplomatie culturelle — vous avez parlé d’argent — ont rapporté plus de 42 milliards de dollars. L’argent est énorme, mais il en va de même pour les discussions sur toutes sortes de sujets.
Sénateur Ravalia, vous avez demandé d’autres exemples de diplomatie culturelle. Je peux vous dire que l’exposition d’art inuit de la Winnipeg Art Gallery, à l’ambassade du Canada à Washington, D.C., a été très importante pour faire connaître au monde les mesures que notre pays tente de prendre en matière de réconciliation. La diplomatie culturelle consiste aussi, en partie, à essayer de récupérer une partie des œuvres autochtones qui se trouvent dans des collections internationales, et cela progresse bien. Certaines de ces œuvres commencent à revenir, peut-être pas aussi rapidement que les communautés autochtones le souhaiteraient, mais c’est une chose à laquelle nous consacrons de sérieux efforts également.
Sénatrice Deacon, vous avez posé une question sur la science. Comme le savent les gens qui me connaissent depuis longtemps, je dis souvent que ce sont nos scientifiques et nos artistes — qu’il s’agisse d’écrivains, d’artistes visuels ou de compositeurs — qui ont tendance à avoir 20 ans d’avance sur le reste d’entre nous. Ce sont eux qui nous proposent des idées et des expériences. Certaines échouent. Beaucoup d’autres réussissent. Je trouve intéressant, alors que nous célébrons le 101e anniversaire de la découverte de l’insuline, que l’un des membres de l’équipe était nul autre que Fred Banting, un artiste visuel canadien qui allait souvent peindre avec des membres du Groupe des Sept, et je pense que cela établit ce lien également. Pour ce qui est du télescope spatial James Webb, oui, absolument.
Cela se rapporte, je suppose, sénatrice Gerba, au Canada et à l’étranger. Je ne crois pas qu’il y ait un seul grand problème auquel notre pays est confronté, à l’intérieur ou à l’extérieur, qui ne puisse être abordé positivement avec la participation de nos penseurs créatifs — les scientifiques, les écrivains, les artistes visuels, les danseurs, tous ensemble, en raison de leur capacité à s’exprimer, par la science et l’art, à la fois dans le langage verbal et en son absence.
Le président : Merci beaucoup, et merci, sénatrice Bovey, de votre dévouement à l’égard de ce sujet. Merci de vous être jointe à nous.
La sénatrice Bovey : Merci, et je suis désolée de devoir vous quitter. Mes collègues savent que nous procédons à l’étude article par article du projet de loi C-22. Je souhaite bonne chance aux autres témoins et merci beaucoup à tous.
Le président : Merci, sénatrice.
Chers collègues, nous allons passer à M. Brian M. Levine, directeur général de la Fondation Glenn Gould.
Brian M. Levine, directeur général, Fondation Glenn Gould : Honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui.
La Fondation Glenn Gould décerne le Prix Glenn Gould, la distinction culturelle et artistique la plus importante du Canada à l’échelle internationale. Depuis notre fondation en 1983, nous avons aussi l’habitude de porter le flambeau de la culture canadienne partout dans le monde. Nous avons présenté, seuls ou en collaboration, et coproduit des événements, des concerts et d’autres présentations dans plus de 15 pays, alors je me sens qualifié pour parler de diplomatie culturelle, de puissance douce et de la façon dont les arts peuvent façonner la perception du Canada chez nos amis, nos adversaires et ceux qui n’ont pas encore pris position.
Lorsque notre fondation a été invitée à témoigner devant le comité, en 2018, j’avais bon espoir que la longue négligence du Canada à l’égard de la diplomatie culturelle finirait par prendre fin. Cinq ans plus tard, je ressens de la colère. Je suis en colère parce que, malgré les propos encourageants de la sénatrice Bovey, trop peu a changé et, en tant que fier Canadien, j’en ai assez de me sentir embarrassé pour le Canada.
Mon premier exemple, c’est qu’en 2014, la Fondation Glenn Gould a été appelée, un samedi matin, par le Cabinet du premier ministre, à présenter un concert mettant en vedette des jeunes musiciens canadiens pour accompagner notre délégation au sommet de la Coopération économique Asie-Pacifique, l’APEC, à Pékin. Le Cabinet du premier ministre m’a informé que le sommet aurait lieu le samedi suivant. Nous avions exactement sept jours pour organiser tout l’événement à l’autre bout du monde. Nous avons accepté de nous acquitter de cette mission impossible, mais le Cabinet du premier ministre nous a également informés qu’il n’avait pas de budget pour des événements culturels de ce genre, et que ce serait donc à nos frais. Soit dit en passant, nous l’avons fait, et avec succès.
Deuxièmement, en 2017, un important ensemble musical d’un autre pays de l’hémisphère a collaboré avec nous à l’organisation d’une série de quatre concerts pour célébrer le 85e anniversaire de Glenn Gould et le 150e anniversaire du Canada, qui coïncidaient cette année-là. L’ensemble se trouvant dans un pays pauvre, il s’agissait d’un engagement important de sa part, et en raison des difficultés liées aux transferts de devises, nous ne pouvions pas fournir de financement direct. Notre ambassade était au courant du projet et était enthousiaste, alors quand nous lui avons demandé si elle pouvait fournir 500 $ à l’ensemble pour qu’il puisse enregistrer le concert pour la postérité, eh bien, sa réponse a été un silence embarrassé. Mais on nous a dit que si nous attendions le deuxième concert quelques mois plus tard, on pourrait peut-être simplement trouver 75 $ pour payer l’accordage du piano. Ce que nous avons dit à ce pays à cette occasion, c’est qu’il était plus généreux que le Canada et que, aussi pauvre soit-il, nous étions plus pauvres.
La Fondation Glenn Gould décerne un prix dans le domaine des arts que des artistes internationaux ont comparé au prix Nobel. C’est un symbole de l’esprit de notre pays, une carte de visite qui annonce la générosité, l’innovation et la créativité du Canada en l’honneur de l’un de nos artistes les plus respectés à l’échelle internationale. Tout pays avancé considérerait comme une plume à son chapeau d’accueillir le symbole international de l’excellence dans n’importe quel domaine, tout comme c’est une source de fierté pour un pays d’accueillir les Jeux olympiques. Malheureusement, au cours de nos 40 années d’histoire, nous n’avons pas encore reçu du Canada le soutien qui nous aiderait à porter ce prix aux mêmes sommets que le prix Nobel ou même à assurer notre pérennité, même si le gouvernement du Canada a fait des investissements semblables pour des prix dans d’autres domaines.
Les artistes d’une nation sont les porte-parole les plus éloquents et les plus convaincants des idéaux les plus élevés de cette nation, c’est-à-dire sa conception de ce qui est bien et juste. Les échanges culturels transforment les étrangers en amis, apaisent les tensions et renforcent la confiance. Ils améliorent, influencent et, oui, renforcent même le commerce. C’est une gigantesque main tendue vers le monde.
Maintenant, contrairement aux États-Unis, à la Grande-Bretagne, à l’Allemagne, à la France, au Japon et à la Chine, nous semblons nous considérer comme exceptionnels, mais pour une raison ou une autre, nous n’éprouvons pas le besoin de renforcer notre puissance douce. J’ai eu le privilège de passer du temps avec bon nombre d’ambassadeurs du Canada, et je sais qu’ils ressentent les inconvénients que leur cause ce refus ignorant de mettre en avant notre meilleur atout en utilisant l’outil vital qu’est notre secteur créatif. Ils sont trop diplomates pour le dire, mais j’ai aussi ressenti leur embarras.
Engageons-nous, en tant que grande nation, à faire de notre mieux et à transformer cette situation embarrassante en une véritable fierté.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Levine.
Notre prochain témoin est Mary Reid. Madame Reid, vous avez la parole.
Mary Reid, directrice/conservatrice, ville de Woodstock, Woodstock Art Gallery : Merci beaucoup, honorables sénateurs.
Je me joins à vous grâce à Zoom, à partir de la ville de Woodstock, située dans le Sud-Ouest de l’Ontario. J’ai le plaisir de vous parler de mon travail récent et continu de diplomatie culturelle depuis le lieu où je me trouve en dehors du centre d’un vaste environnement urbain.
Comme l’a mentionné la sénatrice Bovey, plus tôt cette année, en janvier, la Woodstock Art Gallery a présenté une exposition au haut-commissariat du Canada au Royaume-Uni, et nous avons eu l’honneur de présenter les portraits grand format peints par l’éminent artiste John Hartman, membre de l’Ordre du Canada.
Le maire de Woodstock, Jerry Acchione, s’est joint à moi lors de ce voyage au Royaume-Uni, et nous nous sommes assurés de tirer parti de notre temps au maximum en faisant activement la promotion de Woodstock, en Ontario. Nous avons rencontré plusieurs intervenants clés à la Maison du Canada, puis nous nous sommes rendus à Woodstock, à Oxfordshire, où le maire Acchione a été reçu par le conseil de district de comté, et j’ai rencontré le directeur des services muséaux du comté pour discuter de futurs partenariats potentiels.
Pour faire suite à la question de la sénatrice Coyle, nous avons eu le grand plaisir de constater l’impact direct de notre voyage. En quelques mois seulement, le service de développement économique de la Ville de Woodstock a observé une hausse directe des manifestations d’intérêt en provenance d’entreprises britanniques. Ces demandes émanent d’industries telles que l’agroalimentaire, les matériaux de construction et l’industrie manufacturière générale. En fait, la société britannique Younger Homes (northern) Ltd. a récemment acheté une installation de 13 000 pieds carrés à Woodstock dans le but d’introduire un nouveau concept de maisons modulaires sur le marché ontarien. Compte tenu de ces résultats directs et tangibles de notre travail en diplomatie culturelle, la Ville de Woodstock est en train de préparer une mission commerciale officielle au Royaume-Uni pour 2024.
Mon travail au Sister Cities Committee est un autre exemple de la puissance douce de la diplomatie culturelle. Ce comité a pour mandat de stimuler l’intérêt pour les activités récréatives, culturelles, économiques et éducatives dans les villes jumelées. Notre ville est jumelée avec celle de Sylvania, en Ohio, et pour souligner le 65e anniversaire de l’exposition annuelle de la Woodstock Art Gallery, nous nous associons au département des beaux-arts de l’Université Lourdes, à Sylvania, pour lancer l’appel aux artistes des deux communautés. Le résultat sera une exposition qui sera présentée ici, à Woodstock cet été, puis qui se rendra à Sylvania en octobre où elle fera partie de son populaire festival d’automne.
Ces initiatives passionnantes mettent en lumière quelques domaines où le Canada peut en faire plus grâce à la diplomatie culturelle.
Le rapport de juin 2019 sur la diplomatie culturelle mentionnait à maintes reprises que le manque de financement était un problème important. La Woodstock Art Gallery a eu la chance de tirer parti du soutien financier fourni par la Maison du Canada pour encourager les donateurs privés, ce qui a permis à l’exposition Hartman de voyager à l’étranger. Sans cet engagement de la Chambre des communes du Canada, cela n’aurait pas été possible.
En réponse à la recommandation no 2 du rapport sur la diplomatie culturelle, il est possible d’activer des liens avec les villes jumelées, qui sont plus d’une centaine au Canada. Il s’agit d’une ressource inexploitée qui pourrait être très fructueuse. Pour encourager et élargir davantage cette activité, le Canada pourrait s’inspirer du consulat américain, qui offre un financement pour la promotion de la culture américaine à l’étranger, dont peuvent se prévaloir les organisations non américaines.
Pour citer le maire de Woodstock, M. Acchione :
Ces récentes activités culturelles à l’étranger ont présenté un certain nombre de possibilités importantes qui continueront de procurer des avantages à notre ville amicale de Woodstock pendant de nombreuses années.
Même de l’extérieur du centre, la promotion des voix et des histoires canadiennes auprès d’un public mondial peut avoir un impact profond et positif.
Merci.
Le président : Merci beaucoup, madame Reid.
Nous allons maintenant entendre M. William Huffman.
William Huffman, gestionnaire du marketing, West Baffin Eskimo Cooperative : Je suis heureux d’être de retour au comité. Merci.
Notre organisation a été créée en 1959 par la communauté inuite de Kinngait, alors connue sous le nom de Cape Dorset. Je suis certain que chacun d’entre vous connaît les sculptures en pierre, les gravures et les dessins exquis qui sortent des studios de Kinngait, dont bon nombre d’artistes sont connus partout au Canada, mais surtout, la production créative des artistes de Kinngait a une empreinte considérable et enviable à l’étranger.
Une partie très importante de mon rôle à la West Baffin Cooperative est la promotion et la présentation de l’art inuit de Kinngait dans des territoires stratégiques au-delà de nos frontières. Au cours des huit années où j’ai eu le privilège de travailler dans notre organisation, nous avons renforcé notre présence dans les régions prioritaires, des États-Unis et de l’Amérique du Sud à l’Europe de l’Ouest et de l’Est et, plus récemment, jusqu’à l’Asie-Pacifique. En 2022-2023, mon organisation était responsable de la réalisation de projets à New York, Los Angeles, Varsovie et Paris, en plus de Busan et Gwangju, toutes deux en République de Corée. Nous avons appelé cette initiative, avec enthousiasme, « La tournée mondiale des studios Kinngait ».
Pour chaque exposition, initiative ou engagement général, nous avons bénéficié énormément des ressources et de l’expertise de nos partenaires et collaborateurs à Affaires mondiales. Nos ambassades et nos consulats nous ont fourni une aide inestimable pour la navigation sur le terrain et nous ont fourni une aide précieuse pour naviguer sur le terrain et nous orienter, nous permettant ainsi d’entrer en contact avec des parties prenantes nouvelles et de plus en plus nombreuses à l’étranger.
Je reviens tout juste d’un séjour de 11 jours en Europe et, avant cela, d’un mois en République de Corée, deux importants exercices de perfectionnement professionnel, mais j’aimerais vous parler du voyage en Corée.
À l’automne 2022, après une visite de recherche en Corée, la West Baffin Cooperative a été invitée à présenter un pavillon canadien à la Biennale de Gwangju, en 2023, un projet qui a été lancé il y a quelques semaines, et qui a reçu un très bon accueil de la part du public. En fait, nous avons entendu dire que 200 personnes par jour visitaient l’exposition.
Le projet met en vedette 91 œuvres d’art réalisées par 32 artistes kinngait, l’une des plus grandes rétrospectives jamais réalisées sur l’art inuit et la première du genre en Corée. Cette invitation à participer à la Biennale de 2023 a permis au projet de devenir un élément essentiel du programme d’Affaires mondiales Canada célébrant 60 ans de relations diplomatiques entre le Canada et la République de Corée. Les artistes de Kinngait ont eu l’importante responsabilité de fournir cette plateforme créative en témoignage des relations historiques entre deux nations.
Pendant la cérémonie d’ouverture, à laquelle un nombre extraordinaire de dirigeants politiques coréens nationaux, régionaux et municipaux étaient présents, l’ambassadrice désignée du Canada, Tamara Mawhinney, a fait remarquer que l’exposition témoignait de « liens durables entre les peuples », qu’elle renforçait davantage les échanges culturels en mettant en valeur les arts autochtones canadiens en Corée, et que le soutien international et la promotion de l’expression culturelle autochtone faisaient progresser les objectifs plus vastes de la vérité et de la réconciliation.
Je dirais aussi qu’au vu de l’énorme succès de cette initiative, non seulement avons-nous suscité un nouvel intérêt pour l’Arctique canadien, mais nous avons entamé le processus de création d’un tout nouveau marché de l’art entre l’Asie-Pacifique et les Inuits. Dans le domaine de la diplomatie culturelle, nos objectifs consistent toujours à partager les récits artistiques inuits importants tout en générant une capacité économique pour la communauté de Kinngait. Avec un pied dans un forum culturel et l’autre dans un contexte commercial, l’infrastructure diplomatique du Canada nous permet d’atteindre ces objectifs parallèles.
Cette initiative en Corée vient renforcer certaines de nos premières révélations. Dans le cadre de notre travail à l’étranger, nous avons découvert que la diplomatie était étroitement liée aux valeurs de l’art inuit, les deux mettant l’accent sur l’engagement à l’égard des conversations mondiales et des grands thèmes communs que sont l’innovation, la créativité et l’esprit d’entreprise. En même temps que nous pouvons raconter l’histoire d’une petite communauté de l’Arctique, cela peut aussi devenir l’occasion pour deux grandes nations de célébrer leurs croyances communes et leurs objectifs communs.
Je tiens à remercier nos collègues d’Affaires mondiales à l’étranger, qui ont aidé la West Baffin Cooperative à raconter son histoire, mais qui nous ont aussi donné, grâce au pouvoir de la diplomatie culturelle, une plateforme pour démontrer les forces uniques du Canada en matière de leadership dans le monde.
Mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Huffman.
Nous allons passer aux questions. Honorables sénateurs, veuillez manifester votre intérêt. Comme auparavant, nous aurons des tours de trois minutes.
La sénatrice M. Deacon : Merci d’être ici virtuellement aujourd’hui. Je ne peux m’empêcher de percevoir trois expériences très différentes, trois occasions très différentes, et vous êtes tous à des étapes différentes du parcours.
Si vous me le permettez, j’aimerais comprendre un peu mieux ce qui, à l’avenir pourrait être fait mieux, plus efficacement et de façon plus visible dans ce monde de la diplomatie culturelle, de votre point de vue. Vous avez fait des choses formidables, mais parlons de l’avenir, si vous le voulez bien. Je vais d’abord le demander à Mary — à Mme Reid. Comme je suis à Waterloo, je pensais pouvoir vous appeler par votre prénom. Désolée, madame Reid.
Mme Reid : Cela ne me pose aucun problème. Merci beaucoup, sénatrice Deacon.
Comme je l’ai mentionné, nous sommes dans une situation très particulière. Nous sommes en dehors du centre, mais nous essayons de tirer parti du jumelage des villes. Nous travaillons à ce projet avec la ville de Sylvania, en Ohio, à laquelle nous sommes jumelés et nous demandons des fonds au consulat américain pour le mener à bien. Il est malheureux qu’il n’y ait pas de fonds de réciprocité pour cela. On nous finance, tandis que notre ville jumelle, qui présentera les œuvres de nos artistes régionaux de Woodstock et du Sud-Ouest de l’Ontario, doit se tourner vers différentes régions pour pouvoir le faire. C’est un peu problématique. Son gouvernement appuie mon institution, mais nous ne sommes pas en mesure de lui rendre la pareille de l’autre côté de la frontière.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
M. Levine, Glenn Gould occupe une place extrêmement importante dans notre culture, absolument. À l’approche de 2024-2025, comment pouvons-nous faire les choses correctement, mieux et intentionnellement, de votre point de vue?
M. Levine : Excusez-moi, mais j’entends beaucoup d’écho. Je ne sais pas si on peut y remédier. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris la question. Pourriez-vous la répéter?
La sénatrice M. Deacon : Monsieur Levine, comme vous le savez, Glenn Gould joue un rôle très important dans nos expériences nationales et internationales pour le Canada. J’essaie de voir, de votre point de vue, à l’avenir, comment faire en sorte qu’une situation comme celle que vous avez vécue ne se reproduise plus jamais, ou que nous agissions de façon plus intentionnelle et ciblée. M’entendez-vous bien?
M. Levine : Oui. Le son a été souvent coupé, mais j’ai quand même compris cette fois-ci. Merci.
Je peux parler de notre cas particulier. Nous avons cherché à obtenir un soutien financier continu durant nos 37 ans histoire et, jusqu’à maintenant, nous avons rencontré des gens aux plus hauts niveaux du gouvernement. Nous entretenons d’excellentes relations avec nos ambassades, de sorte que lorsque nous avons un lauréat d’un pays donné, nous sommes en mesure de collaborer étroitement avec elles pour promouvoir le message de l’œuvre de ce lauréat et nos efforts pour l’honorer. Nos propres célébrations des prix ne se limitent pas à une simple soirée de remise de prix. Il s’agit habituellement d’un festival miniature qui incarne le travail et l’importance du lauréat, qu’il soit canadien ou non, et qui génère une quantité énorme de médias internationaux. Mais nous sommes encore limités par le manque de moyens et de budgets de nos ambassades et consulats à l’étranger pour vraiment générer et amplifier le message.
Notre plus récent lauréat — la cérémonie n’a pas encore eu lieu — sera le chef d’orchestre Gustavo Dudamel, dont on vient d’annoncer qu’il serait le prochain directeur musical de l’Orchestre philharmonique de New York. Il est originaire du Venezuela. Lorsque cette annonce a été faite, nous avons généré des centaines d’articles de presse partout dans le monde, et probablement des dizaines de millions d’impression médiatiques; cependant, la capacité de soutenir cela à long terme tout au long du cycle de prix est une contrainte financière.
Le président : Merci, monsieur Levine. Je suis désolé, mais je dois vous interrompre. Nous avons dépassé le temps accordé pour ce tour.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je vais probablement redonner la parole à M. Levine parce qu’il parle de ce qui est au cœur de la diplomatie culturelle : le financement.
Récemment, nous étions à Dakar avec l’Association parlementaire Canada-Afrique. Nous parlions de la diplomatie culturelle canadienne avec une autre ambassadrice et nous nous sommes rendu compte qu’il est devenu difficile pour les artistes canadiens de sortir du Canada pour assister à des festivals parce que le Canada n’a pas, comme les autres pays, de pavillon dans de grands événements comme la Biennale de Dakar, qui est un important événement culturel panafricain où les pays du G7 font venir leurs artistes dans des pavillons.
Comment peut-on faire en sorte de mieux accompagner nos artistes, nos ambassadeurs culturels, afin qu’ils prennent part à ce genre d’événements qui sont une plateforme importante pour la promotion de notre culture? La question s’adresse à tous, mais particulièrement à M. Levine, parce qu’il avait la parole juste avant.
[Traduction]
M. Levine : Merci. Encore une fois, toutes mes excuses. Le son était inégal, mais j’ai réussi à vous entendre. J’espère que vous m’entendez bien.
De toute évidence, il est très important d’avoir, pour les tournées, un financement plus élevé et durable à long terme. Nous avons une institution permanente à l’étranger qui agit comme une sorte d’incubateur et de diffuseur, et c’est le Centre culturel canadien à Paris. Il devrait y en avoir davantage. Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas avoir quelque chose d’équivalent à l’Institut Goethe, à l’Alliance française ou à l’Institut Français.
Nous avons toujours, à cet égard, de nombreuses occasions de faire des tournées à l’étranger. Par exemple, pour notre dernière lauréate, Alanis Obomsawin, l’une de nos plus grandes artistes autochtones, nous avons travaillé avec un cinéaste métis, Terril Calder, à la création d’un spectacle son et lumière qui a été présenté pendant deux semaines sur la façade du Musée royal de l’Ontario. C’est une œuvre gigantesque de 170 pieds sur 70 pieds. Nous voulons la présenter dans le monde entier. La Smithsonian Institution est intéressée, mais nous n’avons pas de fonds pour la lui envoyer. Sa présentation pourrait avoir un impact énorme. Nous avons constamment des opportunités pour lesquelles il faut du financement.
Deuxièmement, il faut vraiment qu’il y ait des institutions permanentes qui assurent une présence régulière afin que nous ne fonctionnions pas de façon occasionnelle. Tel un orchestre qui va au Carnegie Hall, mais il n’y retourne pas avant sept ou huit ans. Cela n’a pas nécessairement l’effet cumulatif de renforcer notre présence et notre réputation à l’étranger de la même façon que les institutions permanentes comme, pour utiliser mon analogie, le prix Nobel pour les pays scandinaves qui le décernent.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Coyle : Merci à tous nos témoins.
Ma question s’adresse à M. Huffman. Merci beaucoup de votre témoignage. J’ai une question rapide, puis j’en aurai une autre qui prendra peut-être un peu de temps.
Ma première question est la suivante : pourquoi votre coopérative utilise-t-elle toujours le mot « Esquimau »? Cela me dérange depuis des années que cela n’ait pas changé, surtout en raison de votre profil international et du fait que vous essayez de représenter les Inuits du Canada.
Ma question qui prendra plus de temps est la suivante : d’après votre expérience, particulièrement en ce qui concerne les Inuits, j’aimerais savoir ce que les artistes inuits de notre pays peuvent, à votre avis, apporter à la diplomatie culturelle du Canada dans son ensemble. Vous nous avez donné de merveilleux exemples de différentes expositions à différents endroits, etc., mais vous avez parlé de l’engagement à l’égard d’une conversation mondiale. Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet et nous expliquer cela un peu plus en détail? À quoi cela ressemble‑t‑il? Qu’est-ce que cela signifie? Comment pouvons-nous mieux favoriser cela?
M. Huffman : Pour ce qui est de votre première question, j’y travaille, croyez-moi. La discussion à ce sujet n’est pas la même dans le Nord, au sein de la communauté, que dans le Sud. Croyez-moi, je n’ai pas utilisé ce terme à propos de notre organisation, et il a été transféré de mes cartes professionnelles, alors telle est la réponse courte.
Pour ce qui est de la question plus générale, cela a été remarquable. La sénatrice Bovey a mentionné quelques-unes des opportunités que nous avons eues. Des artistes inuits ont mis en lumière le changement climatique de façon très significative à la COP 24, à Glasgow, ou à la COP 24, et vous savez de quoi je parle. Cela vient de l’observation et de l’expérience directe de l’environnement dans l’Arctique. Soudain, vous commencez à voir les récits intégrés dans ces œuvres, les choses que nous tenons presque pour acquis, parce que c’est l’art inuit que nous connaissons. Je travaille maintenant depuis huit ans. Quand on place ces œuvres sur des scènes internationales et que l’on se met à discuter avec ces communautés internationales, c’est là qu’on commence à se rendre compte de l’importance de ces observations dans l’œuvre.
C’est la même chose en ce qui concerne notre expérience récente en Corée. De quoi avons-nous parlé? Nous avons parlé du fait que la Corée a été, au cours de l’histoire, un pays vulnérable qui a connu de nombreuses occupations. C’est analogue à l’histoire des collectivités inuites et de l’Arctique canadien. Tout à coup, nous nous sommes mis à parler de résilience culturelle et de l’importance de la langue.
Ces récits intégrés sont vraiment universels, et ce n’est plus une surprise pour moi parce que j’ai vécu de plus en plus de ces expériences, mais quand j’ai commencé à travailler dans ce milieu, j’ai certainement été étonné de voir comment cela pouvait se traduire dans les communautés internationales.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Woo : Non loin du Haut-Commissariat du Canada, au milieu d’un carrefour giratoire, un inukshuk a été dévoilé par le gouverneur général, en 2014, je crois. L’empreinte du Canada est partout dans cette œuvre d’art témoin de notre culture. En passant, l’inukshuk a été créé par un artiste de Kinngait ou Cape Dorset. À ma connaissance, on le doit notamment à un don privé anonyme, et cela souligne le problème dont on entend beaucoup parler, à savoir la pingrerie du gouvernement canadien quand il s’agit de financer la diplomatie culturelle — son inclination marquée à s’attribuer le mérite de ce qui arrive, mais sa profonde réticence à le financer.
Je présume que nos fonctionnaires estiment qu’il y a de l’argent dans le secteur privé, peut-être un peu comme dans le modèle américain, où il y a de grandes fondations, des sociétés multinationales, etc. M. Huffman ou M. Levine pourraient-ils nous parler de la mentalité qui expliquerait le manque de financement gouvernemental? Est-ce que les gens supposent qu’il existe d’énormes ressources dans le secteur privé au Canada pour financer ce que le gouvernement n’est pas prêt à soutenir?
M. Huffman : Je viens du secteur sans but lucratif, et je pense que nous sommes devenus vraiment doués pour faire des choses avec très peu d’argent. Cela fait peu de temps que je fréquente le monde de la coopération avec West Baffin, qui s’occupe de financement. C’est un organisme aux revenus propres. Il appartient à la collectivité, et c’est un peu un modèle hybride, mais il dispose quand même de ressources. Je sympathise avec mes collègues du secteur sans but lucratif et du secteur public qui n’ont pas ces ressources. Ces revenus peuvent effectivement avoir pour source des dons. Mais ce n’est pas aussi simple dans le contexte d’un musée ou d’une fondation. Je suppose que j’ai de la chance, mais je travaille en étroite collaboration avec mes collègues qui n’ont pas, disons, les mêmes possibilités.
M. Levine : Premièrement, l’idée que les États-Unis fonctionnent selon un modèle purement privé est une impression un peu fausse. Le département d’État contribue largement à la diplomatie culturelle dans le cadre de divers programmes et, selon ses propres documents, il considère que cela joue un rôle central dans la politique étrangère et la sécurité nationale.
Par ailleurs, nous avons constaté à maintes reprises, comme organisme représentant le Canada, que les donateurs privés veulent connaître la position du gouvernement avant de s’engager. Nous aurions obtenu une offre de don dans les sept chiffres si le gouvernement fédéral avait offert une contrepartie. Mais il a décliné.
La sénatrice Anderson : Je viens d’arriver, et j’ai donc peut-être manqué quelque chose. Le 1er juin 1951, la Commission Massey, officiellement connue sous le nom de Commission royale d’enquête sur l’avancement des arts, des lettres et des sciences, a rendu compte de la situation des arts et de la culture au Canada. Pour ce faire, elle a organisé 114 réunions publiques dans 16 villes canadiennes et accueilli 1 200 témoins et 450 mémoires. Le rapport du 1er juin 1951 faisait état de l’influence de la culture canadienne sur les Canadiens et dans le monde. La commission plaidait en faveur du soutien de l’État aux arts. Elle recommandait le mécénat fédéral. L’un des témoins connaît-il l’influence du rapport de la Commission Massey et saurait-il si ce rapport historique pourrait servir à revigorer la diplomatie culturelle?
Le président : Madame Reid, auriez-vous un commentaire à ce sujet?
Mme Reid : Certainement.
Je crois que nous connaissons tous très bien le fameux rapport Massey. Je suppose que la question est de savoir où on en est en 2023 à cet égard. Certaines de ses recommandations semblent avoir été abandonnées, et il est évident que le financement de nos principaux organismes de financement, comme le Conseil des arts du Canada et, ici, en Ontario, le Conseil des arts de l’Ontario, n’a pas suivi le rythme de l’inflation et du coût de la vie. Des fonds importants étaient effectivement accordés dans les années 1950, mais ces niveaux de financement n’ont tout simplement pas été maintenus. J’aimerais beaucoup revenir à cette époque-là et en profiter, mais nous avons des décennies de retard pour pouvoir appuyer ce qui se fait aujourd’hui.
Pour faire suite à mes deux collègues concernant la question précédente, si je n’avais pas eu la petite contribution de la Maison du Canada pour l’exposition John Hartman, je n’aurais pas pu attirer de donateurs — et il ne s’agissait pas de sociétés. Ce sont des collectionneurs privés et des aficionados de l’artiste qui ont permis que cela se produise. Il est quelque peu problématique que des particuliers doivent financer ce qui, en réalité, fait la promotion du Canada dans le monde. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
J’ai une question qui s’adresse à vous trois. Nous avons tous traversé quelques années difficiles en raison des répercussions de la pandémie. Cela a-t-il eu une incidence sur vos démarches pour obtenir du financement et, de fait, pour continuer votre travail? Nous pourrions peut-être commencer par M. Huffman, puis entendre les deux autres témoins.
M. Huffman : Nous avons vécu ce qui est arrivé aux galeries d’art contemporaines — sur le plan commercial, le monde entier s’est arrêté, et le marché s’est arrêté pendant près d’un an. Nous avons également dû prendre des décisions très difficiles pour passer au virtuel. Nous n’avions jamais envisagé d’avoir besoin de ce genre de capacité, et nous avions vraiment besoin de ressources, d’expertise et de mentorat numériques. Nous en avons d’ailleurs encore largement besoin.
La reprise ne se fera pas sur deux, trois ou cinq ans. Elle s’étendra sur de nombreuses années. C’est un peu comme essayer de rattraper des décennies de relégation du rapport Massey. Il nous faudra beaucoup de temps pour revenir au point de départ et même pour être plus prospères qu’alors.
Le président : Merci beaucoup.
Monsieur Levine, un commentaire?
M. Levine : Oui. La COVID-19 a été un vrai coup dur pour nous, en ce sens que nous étions extrêmement heureux de présenter notre prix à Alanis Obomsawin, l’un des véritables trésors nationaux et l’une des personnalités inspirantes de l’histoire de notre pays, mais nous ne pouvions pas faire ce que nous aurions fait en temps normal, c’est-à-dire organiser un festival avec des symposiums, des occasions d’enseignement et des concerts en direct. Tout cela était impossible. C’est pourquoi nous avons dû faire un virage spectaculaire vers le monde numérique en créant un projet extérieur à grande échelle, un spectacle son et lumière dont les gens pourraient profiter sans risque d’infection. Imaginez notre déception de ne pas pouvoir faire le tour du monde, bien que cette tournée soit toujours possible si nous obtenions le financement nécessaire.
Cette transition durera longtemps et nous amène tous à nous engager dans le monde numérique. Même si nous croyons passionnément aux événements en direct avec des êtres humains présents qui vivent le moment ensemble, nous devons tous, pour ainsi dire, diversifier nos portefeuilles pour offrir des productions virtuelles.
Le président : Merci beaucoup.
Madame Reid, vous aurez le dernier mot.
Mme Reid : Tout comme mes collègues, nous avons été fermés très longtemps. Toutes nos sources de revenus propres se sont taries, et, même si nous sommes ouverts depuis un peu plus d’un an, les habitudes des gens ont changé. Les taux de participation ne sont plus les mêmes. Les gens hésitent encore à se réunir en grands groupes et à suivre des cours, qui sont un moyen primordial de produire des revenus.
Il y a aussi eu la transition au numérique. Aujourd’hui, nous avons très peu de personnel et de ressources pour poursuivre ce projet numérique et nous commençons à essayer d’augmenter nos programmes en présentiel.
Le président : Merci beaucoup.
Au nom du comité, je remercie les témoins d’être venus nous voir. Nous vous sommes reconnaissants de vos sages propos et de vos commentaires, qui, bien entendu, seront pris en compte dans nos propres délibérations.
Chers collègues, si vous êtes d’accord, durant la séance de cet après-midi, je présenterai un avis de motion visant à renvoyer le rapport sur la diplomatie culturelle au Sénat. Comme nous le savons tous, il y a eu une élection entretemps, mais elle n’a jamais été officiellement approuvée. Il faut donc que le gouvernement réagisse. Je crois vraiment que c’est ce qu’il convient de faire, avec votre accord.
Des voix : D’accord.
Le président : Merci beaucoup.
Chers collègues, dans le cadre de notre plan visant à recevoir des mises à jour régulières sur la question, nous discuterons de la situation en Ukraine. Il s’agit de la huitième réunion du comité sur le sujet depuis mars 2022.
Pour faire le point, nous sommes très honorés d’accueillir aujourd’hui Son Excellence Yuliya Kovaliv, ambassadrice de l’Ukraine au Canada, probablement l’ambassadrice la plus occupée de notre ville et de notre pays.
Madame l’ambassadrice, nous sommes heureux de vous revoir. C’est votre deuxième comparution. Vous étiez parmi nous le 2 juin 2022. Nous sommes ravis de vous recevoir en personne et non à l’écran. Vous serez notre seule témoin. Nous sommes prêts à entendre votre exposé préliminaire, puis nous passerons aux questions. Vous avez la parole.
Son Excellence Yuliya Kovaliv, ambassadrice, Ambassade de l’Ukraine au Canada, à titre personnel : Monsieur le président et honorables sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole ici aujourd’hui. C’est un grand honneur pour moi. L’Ukraine est reconnaissante du solide soutien du Parlement canadien, du gouvernement canadien et du peuple canadien.
Malgré tout ce qui se passe, la Russie a déjà perdu sur le plan stratégique dans sa guerre d’agression contre l’Ukraine. Voilà plus d’un an que la Fédération de Russie agresse l’Ukraine sans justification et sans y avoir été provoquée, mais notre pays se tient debout et reste fort dans la coalition de nos partenaires.
La Russie continue de terroriser les Ukrainiens en bombardant nos villes. [mots prononcés en ukrainien] À Kherson, ils ont complètement détruit des maisons et des immeubles d’habitation. Des enfants ont été tués dans leur lit. Depuis le début de l’agression à grande échelle, la Russie a tiré plus de 4 700 missiles sur le territoire ukrainien. Le nombre confirmé de victimes civiles dépasse les 10 000, dont 478 enfants.
Voici quelques exemples de la barbarie des crimes commis par la Russie au cours des derniers jours. Hier, 23 civils sont morts à Kherson, dans une quincaillerie et dans une épicerie. Vendredi dernier, dans un immeuble résidentiel d’Uman, 23 personnes ont été tuées, dont six enfants, tôt le matin, pendant qu’elles dormaient. Dans un village d’une autre région, au nord, plus près de la frontière, les Russes ont détruit une autre école ukrainienne. Malheureusement, cette attaque a aussi coûté la vie à un adolescent de 14 ans. Il se trouvait tout près.
Il y a aussi le chantage nucléaire auquel se livre la Fédération de Russie. Les Russes ont placé du matériel et des munitions sur le territoire de la plus grande centrale nucléaire d’Europe, à Zaporijjia. De là, ils ont également bombardé des villes et des collectivités.
Au cours de l’hiver le plus rigoureux de l’histoire moderne de l’Ukraine, nous avons été témoins de pannes d’électricité et de la destruction massive de l’infrastructure électrique, qui ont causé des dommages de plus de 411 milliards de dollars au pays et à son infrastructure. C’est une évaluation de la Banque mondiale. Elle a été publiée il y a à peine quelques semaines.
Ces actes ne sont-ils pas du pur terrorisme? Nous en sommes convaincus et nous invitons instamment nos partenaires à reconnaître la Russie comme un État soutenant le terrorisme et à considérer les forces armées russes et le groupe Wagner comme des organisations terroristes.
Il est très important que la Russie reçoive des messages lui faisant clairement comprendre que le monde ne pardonnera pas tous ces crimes et actes d’agression. Le rôle du Sénat et des comités est très important, et nous sommes reconnaissants envers le Sénat du Canada d’avoir adopté des résolutions visant à reconnaître les crimes commis par la Russie en Ukraine comme un génocide contre le peuple ukrainien, et envers le gouvernement de considérer le groupe Wagner comme une organisation terroriste. Nous sommes également reconnaissants envers les sénateurs d’avoir fermement défendu le retour des athlètes russes et biélorusses aux Jeux olympiques.
Les crimes d’agression et les crimes de guerre ne doivent pas échapper au bras de la justice. Les forces de l’ordre ukrainiennes enquêtent actuellement sur 84 000 crimes de guerre, crimes sexuels et crimes d’agression. Plus de 19 500 enfants ukrainiens ont été illégalement enlevés et déportés en Russie, et, malheureusement, seulement 328 d’entre eux sont rentrés chez eux. Selon les données probantes, ils ont été forcés d’apprendre la langue russe et une histoire révisée. Beaucoup d’entre eux ont été filmés au bénéfice de campagnes de propagande russes.
La justice n’est pas seulement nécessaire pour les familles qui ont perdu un être cher, elle servira les intérêts cruciaux de la justice mondiale pour empêcher d’autres dictateurs de commettre ce genre de crimes. Nous sommes reconnaissants envers le Canada de sa contribution importante à la justice au regard de tous ces crimes. Le soutien du Canada aux mesures prises par la CPI, la Cour pénale internationale, dans le cadre des enquêtes sur les crimes de guerre et, en particulier, sur les crimes contre les femmes et les enfants, a précisément cet effet. Le mandat d’arrestation mondial contre Poutine et contre son soi-disant commissaire aux droits de l’enfant est un premier pas très important vers la justice. Nous apprécions également la participation du Canada au groupe central qui travaille à la création du tribunal spécial international pour le crime d’agression, qui est le crime fondamental que Poutine et son régime ont commis contre l’Ukraine.
L’invasion russe a consolidé l’unité euro-atlantique. Cette unité sera consolidée par l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Nous escomptons que le Canada adoptera une position ferme en accueillant favorablement la demande de l’Ukraine. Vous savez que nous avons déjà obtenu le statut de nouveau membre, et nous attendons avec impatience le sommet de l’OTAN à Vilnius avec l’appui solide des membres de l’OTAN. À ce jour, 17 membres de l’OTAN ont déjà signé, avec l’Ukraine, une déclaration politique appuyant le processus d’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Chaque jour, le nombre de pays membres qui appuient l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN augmente. Nous espérons que le Canada appuiera la contribution de l’Ukraine à la sécurité euro-atlantique. Le fait que l’Ukraine en soit membre après la guerre renforcera l’OTAN. Elle aura l’une des armées les plus fortes, formée selon les normes de l’OTAN à l’aide d’armes conformes aux normes de l’OTAN, dans le cadre de la sécurité euro-atlantique.
Il faut aussi continuer à intensifier les sanctions, aussi bien sur le secteur nucléaire russe que sur le contrôle et la prévention du contournement des sanctions quelles qu’elles soient. Je vous ai parlé des énormes pertes causées par l’agression russe en Ukraine. Les actifs souverains russes et les actifs des oligarques sanctionnés doivent servir à la reconstruction de l’Ukraine. Nous sommes très reconnaissants envers le Canada d’avoir pris les devants en adoptant une loi permettant de saisir des biens russes et en appuyant les efforts de reconstruction de l’Ukraine. Ces mesures sont importantes et soutiennent nos efforts de reconstruction.
Du côté militaire, les combats les plus intenses se déroulent aujourd’hui à Bakhmout. Depuis janvier, la Russie a essuyé d’énormes pertes en hommes et en armes lourdes en tentant de s’emparer de la ville. C’est une ville de 30 000 habitants désormais complètement détruite. Mais l’Ukraine maintient la ligne de front à Bakhmout et se bat pour chaque mètre carré de son territoire.
La Russie attaque aussi constamment par voie aérienne. C’est pourquoi nous avons absolument besoin de défense aérienne et de chasseurs pour fermer le ciel et pour garantir la sécurité de millions de civils et éviter les terribles pertes dont nous avons été témoins la semaine dernière.
À l’heure actuelle, la ligne de front active s’étend sur 1 300 kilomètres. Cela équivaut à peu près à la frontière canado-américaine le long de l’Alberta, de la Saskatchewan et du Manitoba. Nos courageux soldats, hommes et femmes, continuent de se battre, et plus de 35 000 d’entre eux ont été formés dans le cadre de l’opération Unifier. Je tiens à remercier tous les instructeurs canadiens de leur dévouement.
Je vous remercie également de votre solide soutien militaire. Les chars Leopard canadiens ont été parmi les premiers à être livrés en Pologne, puis en Ukraine, pour nous aider à avoir les moyens d’une contre-offensive. Le succès de la contre-offensive ukrainienne repose en grande partie sur des troupes bien équipées, appuyées par des chars, des véhicules blindés, de l’artillerie, des munitions, de la défense aérienne et des avions de chasse. Nous avons absolument besoin d’un soutien militaire pour libérer d’autres territoires.
Le programme pluriannuel de soutien militaire à l’Ukraine nous aidera également à accroître la production de défense au Canada et dans tous les pays membres de l’OTAN. Cela nous aidera également à obtenir le soutien militaire nécessaire, puisque la Russie, même après la guerre, continuera d’être notre voisin.
L’Ukraine n’oubliera jamais le courage des braves combattants, notamment des volontaires canadiens — Joseph Hildeband, Grygorii Tsekhmistrenko, Kyle Porter et Cole Zelenco — qui ont donné leur vie dans la bataille contre l’agression russe. Que la victoire de l’Ukraine dans cette guerre honore également leur mémoire.
Honorables sénateurs, l’Ukraine est reconnaissante de votre leadership, de vos prises de position et de vos efforts pour continuer de lutter contre les horreurs de l’invasion russe et de dénoncer tous les crimes commis par la Russie en Ukraine. Pour libérer nos territoires, nous devons rester unis, raffermir les sanctions et aider nos soldats à obtenir le soutien militaire dont ils ont besoin.
L’Ukraine est plus que jamais — plus que quiconque — en quête de paix, mais d’une paix stable. Une paix stable passe par le retour à nos frontières souveraines et repose sur la garantie de tous les éléments de cette paix. C’est ce que le président Zelenski a présenté comme formule de paix en 10 points, dont le rétablissement des frontières souveraines, la justice, la sécurité alimentaire, la sécurité nucléaire, le déminage et beaucoup d’autres aspects auxquels nous travaillons actuellement ensemble.
Merci de votre soutien.
Le président : Merci beaucoup de votre exposé, madame l’ambassadrice. Nous allons passer immédiatement aux questions. Chers collègues, vous avez quatre minutes par intervention.
Le sénateur MacDonald : Votre Excellence, je suis heureux de vous revoir. Merci d’être parmi nous aujourd’hui.
Le président Zelenski et le président chinois Xi Jinping ont eu récemment un entretien pour la première fois et ont discuté des moyens de mettre fin à la guerre. Pourriez-vous nous dire si vous êtes au courant d’une aide militaire directe que la Chine aurait pu fournir à la Russie, notamment en munitions? Cette question a‑t‑elle été abordée pendant cet entretien? Le savez-vous?
Mme Kovaliv : Merci.
En effet, le 26 avril, les deux dirigeants se sont parlé pour la première fois depuis le début de la guerre. L’Ukraine cherche à obtenir un soutien pour la formule de paix proposée par le président Zelenski. Il est important que chaque pays appuie les 10 points de la formule de paix. Il en a été question pendant l’entretien, notamment d’éléments essentiels comme le rétablissement des frontières souveraines.
Il y a aussi la sécurité nucléaire, dont la sécurité de la centrale nucléaire de Zaporijjia, et celle des enfants ukrainiens déportés illégalement par la Russie.
Enfin, et c’est important pour l’Ukraine, il faut priver la Russie de ses moyens de faire la guerre, notamment en imposant des sanctions et en empêchant que des pays tiers lui fournissent un soutien militaire. C’est pourquoi l’Ukraine cherchait aussi à obtenir ce soutien pour priver la Russie d’aide militaire.
Le sénateur MacDonald : Dans quelle mesure craignez‑vous, vous et vos collègues, si la guerre se prolonge, que la Chine fournisse une aide militaire directe à la Russie? Avez-vous des garanties que cela ne se produira pas? Est-ce que la question a été abordée?
Mme Kovaliv : L’Ukraine déploie tous les efforts nécessaires pour isoler la Russie et pour la priver de l’aide militaire d’autres pays. Nous sommes reconnaissants des récentes sanctions imposées par le gouvernement canadien à l’Iran, notamment aux entreprises iraniennes qui fabriquent des drones. C’est très important.
Sur le terrain, la Russie est en perte de vitesse dans la production d’armes et de missiles à cause des sanctions occidentales et du fait qu’elle a moins de possibilités d’importer des composantes. C’est pourquoi tous nos efforts diplomatiques visent à consolider cette coalition de sanctions et à discuter avec d’autres pays pour les convaincre de ne pas fournir de soutien militaire à la Russie.
Le sénateur MacDonald : Merci.
La sénatrice M. Deacon : Merci beaucoup d’être revenue nous voir aujourd’hui. Nous sommes vraiment heureux de vous avoir parmi nous en personne.
L’an dernier, nous avons parlé des armes fournies par l’Occident à l’Ukraine. La dernière fois que vous avez comparu devant nous, vous avez dit que le calendrier de livraison des armes est tout aussi important que les armes proprement dites. À l’heure actuelle et tandis que la guerre s’éternise, est-ce que les alliés de l’OTAN, comme le Canada, fournissent des livraisons plus fiables lorsque des armes sont promises?
Mme Kovaliv : Merci de cette question. C’est un sujet important.
Je voudrais d’abord vous remercier. J’ai parlé dans mon exposé de la livraison rapide des chars Leopard par le gouvernement canadien. Le calendrier est essentiel dans l’acheminement de ces armes sur le champ de bataille pour équiper les soldats formés dans le cadre de l’opération Unifier et d’autres opérations se déroulant en Europe.
Il y a une autre dimension, qui est la nécessité de produire davantage d’armes. Il en va de même pour nos alliés de l’OTAN, qui doivent remplacer leurs stocks et maintenir ce soutien à long terme. C’est pourquoi j’ai parlé dans mon exposé d’un programme de soutien à plus long terme ou à moyen terme. L’Ukraine a déjà ce genre d’entente, par exemple, avec la Norvège, qui s’est engagée à nous aider sur les plans humanitaire et militaire dans le cadre d’un programme quinquennal.
Quand on parle d’aide militaire, on parle aussi d’expansion du secteur de la défense ici, au Canada. Nous discutons aussi avec d’autres partenaires de différents pays pour accroître la production, non seulement pour l’Ukraine, mais aussi pour eux-mêmes dans un monde où les questions de sécurité se posent de plus en plus. Tout le monde pourrait y gagner — en nous fournissant un soutien militaire, des blindés et des munitions, mais aussi en augmentant la capacité de répondre aux besoins des armées de tous les pays de l’alliance.
Les pays de l’Union européenne déploient des efforts, collectivement, pour fournir à l’Ukraine les obus d’artillerie dont elle a grandement besoin. Cette coalition a été créée au sein de l’Union européenne. Nous serions évidemment reconnaissants que le Canada nous fournisse également des obus d’artillerie, des véhicules blindés et des systèmes de défense aérienne, qui sont produits ici par le secteur de la défense. Ce serait une solution avantageuse pour vous comme pour nous.
La sénatrice Coyle : Merci d’être venue nous voir, madame l’ambassadrice, et merci de votre compte rendu complet et clair. J’avais beaucoup de questions, et vous avez répondu à la plupart d’entre elles.
En dehors de la guerre, qui est évidemment la question centrale, pourriez-vous nous parler de la situation en Ukraine? J’ai eu la chance de visiter le pavillon de l’Ukraine à la COP 27 et de constater que votre pays reste engagé et actif à l’égard de questions importantes comme le climat. Quelle est la situation intérieure en Ukraine, en quoi la guerre y exerce-t-elle des pressions, comme je l’imagine, et comment le pays s’en sort-il?
Mme Kovaliv : Merci.
La résilience de l’Ukraine se manifeste non seulement sur le champ de bataille, mais aussi dans la vie de millions de civils. Grâce au solide soutien du Canada, nous avons réussi à survivre à un hiver très rigoureux. Il y a eu des jours sans lumière, ni électricité ni chauffage. Les gens étaient installés dans les centres de résilience. J’étais à Kiev en décembre. Ce n’était pas facile, surtout dans les grands immeubles d’habitation sans chauffage, sans éclairage, où vivaient des familles avec de jeunes enfants. Nous avons survécu. Nous sommes restés forts. Grâce au solide soutien financier du Canada, nous avons réussi à fournir aux personnes vulnérables que sont les PDIP le soutien social nécessaire pour qu’elles puissent continuer à vivre, par exemple en leur fournissant des génératrices au diésel. Le Canada a également aidé l’Ukraine en lui accordant un prêt pour acheter du gaz naturel pour l’hiver. Nous avons réussi à traverser cette saison de chauffage. Le degré de résilience est élevé.
Malgré la guerre, l’Ukraine a réussi à obtenir tout le financement nécessaire pour couvrir le déficit budgétaire grâce à l’importante contribution du Canada, de 2,4 milliards de dollars, et grâce au tout premier programme mondial du FMI qui a lui fourni un financement sur quatre ans. C’est la première fois qu’un pays en guerre a droit à ce programme. Je tiens à préciser que ce programme ne concerne pas seulement les ressources financières, mais aussi les réformes structurelles. Le gouvernement continue de réformer ses structures. Le principal moteur de ces changements est notre nouveau statut de candidat à l’Union européenne. Tous les efforts du gouvernement portent maintenant sur la mise en œuvre des règlements de l’Union européenne. Nous faisons rapidement nos devoirs malgré la guerre.
Quant à la résilience de la population, plus de 90 % des Ukrainiens — des sondages différents indiquent des chiffres différents — croient en la victoire totale de l’Ukraine et au rétablissement des frontières souveraines et ils sont prêts à continuer de se battre. Le moral est bon. L’appui solide du président, du gouvernement et de l’armée est tangible sur le terrain. Beaucoup de gens reviennent en Ukraine. Je vous invite à visiter Kiev. Il y a des voitures dans les rues. Les enfants vont à l’école. Nous avons réussi à leur fournir des installations souterraines sécuritaires pour les périodes d’alerte aérienne. Les enfants continuent d’étudier au sous-sol. Le degré de résilience des gens est élevé.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup.
Le sénateur Ravalia : Merci d’être parmi nous, Votre Excellence. Nous sommes tous d’accord avec vous. Nous prenons respectueusement acte de votre résilience.
Concernant l’aide militaire et humanitaire, 14 mois après le début de la guerre, craignez-vous que certains éléments de la communauté internationale relâchent leurs liens avec l’Ukraine? Y a-t-il, dans cet ordre international, des lacunes qui permettent encore à la Russie d’éviter certaines des sanctions les plus strictes? Dans quelle mesure cela vous inquiète-t-il dans la situation actuelle? Vous avez l’appui inconditionnel de l’OTAN et de l’Union européenne, qui sont vos alliés occidentaux historiques. À l’échelle mondiale, des lacunes inquiétantes commencent-elles à apparaître, et cela pourrait-il avoir une incidence à long terme?
Mme Kovaliv : Merci de cette excellente question.
Différents pays, certains pays ne fournissent pas d’aide militaire à l’Ukraine, mais lui fournissent de l’aide humanitaire, tandis que d’autres, de continents différents, se joignent en ce moment au groupe central qui travaille à la création d’un tribunal international pour le crime d’agression. Nous sommes reconnaissants envers ces pays, surtout les pays du Sud, de l’Amérique latine, qui se joignent maintenant à nous.
Nous travaillons avec ses partenaires, avec le Canada, avec les autres pays, les pays du Sud notamment, pour les sensibiliser à ce qui se passe en Ukraine. Il y a beaucoup de désinformation dans le monde. Je dirais que c’est un danger ou une arme au même titre que les missiles, parce que cette arme vise les gens, les esprits, dans le but manifeste de briser l’unité. Qu’est-ce qui nous rend tous plus forts? C’est l’unité. La Russie essaie de briser cette unité par la désinformation. Nous devons travailler ensemble pour lutter contre la désinformation, surtout dans les pays où elle est très présente.
Quant au soutien militaire, il y a une grande unité entre les membres de ce qu’on appelle le groupe Ramstein. Il n’y a pas que les pays de l’OTAN. Le nombre de pays qui participent régulièrement à ce groupe de coordination augmente, et cela représente une coalition encore plus vaste que celle des membres de l’OTAN. Il y a évidemment des dissensions, notamment au sujet des avions de chasse demandés par l’Ukraine. Nous réussirons, j’en suis sûre, à convaincre nos partenaires de la nécessité de ces avions. Je pense que les terribles crimes dont je vous ai parlé depuis seulement une semaine sont une preuve suffisante que l’Ukraine a besoin de soutien aérien. Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci, Excellence. Merci, madame l’ambassadrice.
Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les échanges commerciaux entre la Russie et la Chine ont augmenté de 34 %, passant ainsi à 190 000 milliards de dollars. C’est un chiffre record. La Chine a significativement augmenté ses importations d’hydrocarbures en provenance de la Russie tout en exportant en échange des technologies. À quel point la diversification de cette relation sino-russe est-elle une menace pour l’issue de ce conflit?
[Traduction]
Mme Kovaliv : Merci de la question.
Cela me semble être une preuve évidente de l’affaiblissement de l’économie russe, compte tenu de ce qui s’est passé du côté des revenus d’exportation de la Russie. Depuis que le G7 et l’ensemble de la coalition ont imposé un plafond sur le prix du pétrole, ce dernier a considérablement diminué. La Russie utilise ses revenus pétroliers pour essayer de stabiliser la situation économique, mais elle a une trajectoire différente. En 2021 et en 2022, elle a profité des prix records du pétrole et du gaz. Cela lui a permis d’amortir ses difficultés. Avec le plafonnement des prix, nous constatons maintenant que, malgré son itinéraire commercial différent, la Russie voit ses revenus d’exportation de pétrole et de gaz diminuer.
La technologie compte également. Il est important, en effet, que l’Ukraine travaille avec tous ses partenaires pour leur expliquer qu’il faut absolument priver la Russie de technologie, surtout de celle qui peut servir à la production militaire.
L’important ici, comme je l’ai dit tout à l’heure, est d’empêcher le contournement des sanctions, c’est-à-dire d’empêcher la Russie de faire appel à des entreprises de pays tiers pour obtenir des pièces de rechange et des technologies pendant qu’elle est sous le coup de sanctions. Beaucoup d’entreprises qui tentaient de contourner les sanctions ont fait l’objet de sanctions secondaires.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup de votre présence parmi nous.
Je m’interroge sur la puissance aérienne. Je sais que l’Ukraine en a désespérément besoin, qu’elle en a fait la demande, qu’elle l’a sollicitée et qu’elle a plaidé pour l’obtenir, mais, jusqu’à maintenant, elle n’a pas obtenu ce qu’elle demandait. Une contre-offensive peut-elle réussir au printemps ou plus tard cette année sans cela? Obtenez-vous des avions d’autres pays? Je crois que la Hongrie vous en a offert, mais ce ne sont pas les appareils que vous voulez. Pouvez-vous tenir sans puissance aérienne? Pensez-vous que votre plaidoyer portera ses fruits et que les gens décideront que vous avez besoin d’avions pour gagner la guerre?
Mme Kovaliv : Merci de cette question.
Il y a eu un virage important dans le processus décisionnel visant à fournir à l’Ukraine le soutien militaire dont elle avait grandement besoin. En février 2022, il y a eu une grande discussion sur la question de savoir si des armes conformes aux normes de l’OTAN pourraient être fournies à l’Ukraine. Nous sommes maintenant à une autre étape, où, notamment, des systèmes de défense antiaérienne Patriot ont déjà été livrés à l’Ukraine. Cette semaine, autour de Kiev, les Russes ont essayé d’attaquer la capitale. Tous les missiles et drones ont été abattus, et il n’y a pas eu de victimes. Cela démontre clairement combien ce système de défense aérienne peut sauver des vies. Malheureusement, ce n’est toujours pas suffisant pour couvrir le vaste territoire de l’Ukraine.
Évidemment que la puissance aérienne est importante. Nous sommes reconnaissants envers ceux de nos partenaires européens qui nous ont fourni des chasseurs MiG. Mais, techniquement parlant, ces avions ont une portée beaucoup plus courte que les avions de combat standard de l’OTAN et peuvent moins bien protéger l’Ukraine que ces derniers. L’Ukraine a besoin de ces avions.
Vous avez posé une question sur la contre-offensive. Tout le soutien militaire annoncé pour l’Ukraine est plus que jamais nécessaire. Il doit être livré rapidement pour équiper les brigades là où on en a besoin.
La sénatrice Boniface : Je voudrais parler des issues possibles. J’ai entendu la position ferme du président Zelenski sur le plan en 10 points. Sa position a toujours été la même. Vous étiez ici il y a un an. Avez-vous l’impression qu’une issue négociée soit plus probable aujourd’hui? À votre avis, la perspective d’une issue positive pour tous les Ukrainiens s’est‑elle plutôt détériorée ou améliorée?
Mme Kovaliv : L’Ukraine veut la paix, c’est vrai, mais elle veut une paix stable et juste.
En 2014 et 2015, lorsque la Russie a occupé la Crimée et une partie de nos territoires de l’est, dans les régions de Lougansk et de Donetsk, il y a eu un accord de cessez-le-feu — l’accord de Minsk. Même publiquement, certains Russes ayant participé à ces accords ont déclaré qu’ils ne s’y étaient jamais engagés dans la pratique. C’est pourquoi le plan de paix de l’Ukraine et du président Zelenski pourrait donner lieu à une paix stable, nous en sommes convaincus. Le pire, c’est le cessez-le-feu. Sur le terrain, le moral des soldats russes est bas. De jour en jour, ils sont de plus en plus mal équipés. La Russie pourrait demander un cessez-le-feu. Et l’histoire se répéterait. Cela lui permettrait, en l’occurrence, de regrouper ses forces, de former plus de soldats, d’obtenir plus d’armes, d’essayer d’alléger les sanctions, puis, dans quelques années, de les faire supprimer.
Sur une note personnelle, j’ai deux enfants. Je ne veux pas que mes enfants affrontent une autre guerre.
Le président : Il vous reste du temps, sénatrice Boniface.
La sénatrice Boniface : C’est bon. C’était une réponse sans équivoque.
Le président : Chers collègues, avant de passer au deuxième tour, j’aimerais poser une question à l’ambassadrice.
J’ai trouvé intéressant de vous entendre dire que des Ukrainiens reviennent chez eux. Cela soulève la question de la reconstruction. Vous avez parlé des institutions financières internationales. Je suis au courant d’une grande partie du travail qui se fait dans ce cadre. Mais il y a aussi une population qui pourrait réaugmenter, mais qui est encore touchée par la guerre. Il y a là des éléments sociaux importants. Je pense au trouble de stress post-traumatique, ou TSPT, et à la santé mentale de tous, des enfants notamment. Estimez-vous que, parmi les pays qui appuient l’Ukraine, comme le Canada, on en fait assez pour offrir ces mesures de soutien tandis qu’on envisage un avenir meilleur placé sous le signe de la reconstruction et des réformes dont vous avez parlé et qui étayent votre candidature à l’Union européenne?
Mme Kovaliv : Merci de la question.
Notre premier ministre, Denys Shmyhal, est venu au Canada au début d’avril, et il a beaucoup été question de la reconstruction de l’Ukraine. Nous avons terminé la négociation de la modernisation de notre Accord de libre-échange Canada-Ukraine, qui constitue une excellente base de collaboration entre nos entreprises. Malgré la guerre, les sociétés d’État nucléaires de l’Ukraine ont signé un contrat stratégique de 10 ans avec des entreprises canadiennes pour nous approvisionner en matières premières pour le combustible nucléaire. Cela nous aidera à nous affranchir de la dépendance à l’égard de la Russie. C’est très précieux pour nous et pour la sécurité énergétique du pays.
Nous invitons également les entreprises canadiennes à participer à la reconstruction de l’Ukraine. Ce sera la reconstruction la plus importante et la plus massive du continent européen. Nous saluons le travail de tous les organismes de développement des exportations des pays du G7, qui aident le secteur privé et lui fournissent plus de garanties. C’est ce dont le secteur privé a besoin pour pouvoir travailler en Ukraine, nous a-t-on dit. Nous travaillons également avec de nombreuses institutions financières internationales pour utiliser les instruments qui aideront le secteur privé en lui fournissant le financement et les garanties nécessaires à sa contribution à la reconstruction. L’Ukraine envisage la reconstruction dans des conditions favorables au climat, au développement régional, au soutien des collectivités, mais aussi au soutien des personnes vulnérables.
Nous savons que, après la victoire, nous aurons beaucoup de travail à faire avec les nombreux Ukrainiens qui auront vécu l’horreur de la guerre. La santé mentale est notre priorité absolue — pour les civils qui auront vécu l’horreur de l’occupation et pour les soldats qui auront combattu pendant plus d’un an. Nous comptons sur le soutien du Canada pour nous aider à bâtir un système qui permettra de répondre aux besoins en santé mentale pour l’ensemble de la population ukrainienne, car chacun d’entre nous aura été touché par la guerre et aura besoin de ce soutien. Merci.
Le président : Merci, madame l’ambassadrice.
Il me reste encore un peu de temps et je vais donc poser une question complémentaire. Avez-vous quelque chose à dire au sujet de la prétendue frappe de drones contre le Kremlin?
Mme Kovaliv : Oui. Et je vais répéter les paroles du président. L’Ukraine n’y est pour rien.
Le président : Merci. Voilà qui est parfaitement clair.
Chers collègues, nous allons passer au deuxième tour.
La sénatrice M. Deacon : J’aimerais que nous portions maintenant notre attention sur les répercussions de la guerre sur les Ukrainiens qui vivent ici au Canada. Il va sans dire que le Canada a le privilège d’avoir l’une des plus nombreuses communautés ukrainiennes au monde. Nous en sommes conscients. Par contre, j’ai lu plusieurs commentaires faisant état de harcèlement et d’intimidation à l’encontre d’étudiants et de groupes d’étudiants ukrainiens dans au moins une de nos universités canadiennes. Les tactiques d’intimidation de la Russie dans le monde sont certes bien connues. J’aimerais savoir ce que vous disent les Canadiens d’origine ukrainienne au sujet de l’intimidation qu’ils subissent dans leur vie quotidienne, en particulier ceux qui dénoncent ouvertement la guerre ou ceux qui ont des proches en Ukraine qui se battent contre la Russie.
Mme Kovaliv : Je vous remercie.
Tout d’abord, je vous signale que je n’ai pas eu d’échos de la totalité des quelque 200 000 Ukrainiens établis ici, mais j’ai rencontré beaucoup d’Ukrainiens qui ont déménagé au Canada. Ils sont très reconnaissants envers le gouvernement pour le soutien qu’ils ont reçu dans le cadre de son programme spécial d’aide aux Ukrainiens, mais également envers la population canadienne qui a accueilli des familles ukrainiennes et envers tous les Canadiens qui ont aidé des Ukrainiens à trouver du travail et leur ont offert leur aide. Je tiens à vous remercier, vous et tous les Canadiens, de votre générosité et de votre aide.
Malheureusement, des Ukrainiens ont été la cible d’actes répétés de harcèlement, notamment à l’université que vous avez mentionnée. Par exemple, la lettre Z et d’autres lettres russes ont été peintes dans des sites et sur des monuments historiques et il y a aussi eu des attaques personnelles. Dans les médias sociaux, de nombreux Ukrainiens parlent de haine et de danger. Dans ma déclaration, j’ai mentionné la guerre de désinformation russe qui se déroule dans les médias sociaux. C’est très inquiétant et il est important que nous nous attaquions à ce problème.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.
La sénatrice Coyle : Je veux également parler des Ukrainiens qui ont trouvé refuge au Canada et dans d’autres pays. Je pense que vous avez dit avoir constaté que des gens commençaient à rentrer chez eux. J’aimerais connaître les raisons de cette vague de retours au pays.
Vendredi dernier, j’ai hébergé un jeune Ukrainien à mon appartement d’Ottawa, parce qu’il venait chercher le passeport de son fils à l’ambassade. Il travaille dans la région du Cap‑Breton. En Nouvelle-Écosse, dans la petite ville de 5 000 habitants où j’habite, nous avons accueilli de nombreuses familles ukrainiennes. Bon nombre de ces Ukrainiens ont un emploi — bien rémunéré pour certains, moins bien pour d’autres — et il y en a même qui lancent des entreprises dans ma ville.
Je suis curieuse de savoir ce que vous savez du flux de gens qui quittent l’Ukraine et y retournent. J’aimerais aussi savoir s’il s’agit là d’une stratégie — je suis certaine que oui — de la part de la nation ukrainienne pour rapatrier ses citoyens, dans la mesure du possible?
Mme Kovaliv : Merci. C’est là un sujet très important.
Le pays, ce n’est pas seulement le territoire. Le cœur du pays, ce sont les gens. Nous parlons des gens qui ont quitté l’Ukraine — surtout des femmes et des enfants — pour vivre dans un endroit plus sûr, mais il ne faut pas oublier les personnes détenues en captivité et les enfants qui ont été déportés de force. La stratégie de l’Ukraine, c’est de rapatrier ces personnes. Il y a plusieurs stratégies en place.
En ce qui concerne les prisonniers de guerre, nous faisons des échanges. Les gens racontent ce qu’ils ont vécu en captivité. La semaine dernière, une photo très émouvante a été diffusée, celle d’un soldat ukrainien en pleurs qui tenait une pomme dans la main — après un an de captivité, il réalisait qu’il était de retour chez lui auprès de sa famille.
Notre priorité s’articule autour des histoires horribles des enfants ukrainiens qui ont été emmenés de force en Russie. Ce sont des victimes du génocide, des crimes contre l’humanité.
Parmi les Ukrainiens qui sont partis à l’étranger, nombreux sont ceux qui souhaitent rentrer au pays et qui le font. Au fur et à mesure que l’Ukraine renforce sa défense aérienne et que nous arrivons à mieux protéger et adapter notre infrastructure à cette réalité, les Ukrainiens sont de plus en plus nombreux à vouloir revenir dans leur pays. Les hommes sont partis se battre sur le front et les femmes et les enfants quittent le pays. Nous avons constaté cette vague d’Ukrainiens revenir au pays, surtout en provenance de pays européens. Il est maintenant beaucoup plus facile et moins coûteux de revenir ou de faire des allers-retours. Durant le congé de Pâques, il y avait des files d’attente à la frontière. Des gens ont attendu plus d’une dizaine d’heures dans leur voiture pour rentrer chez eux.
Le grand défi de l’après-guerre, ce sera la reprise et la capacité des gens à trouver un emploi décent en Ukraine pour reconstruire le pays. Ce sera là un point d’ancrage important pour les gens qui reviennent au pays. De plus, les liens solides qu’ils ont tissés avec le Canada et l’expérience professionnelle qu’ils ont acquise dans les pays occidentaux seront un grand avantage pour eux et contribueront à resserrer les liens entre nos deux pays.
Le sénateur Richards : Merci encore, madame l’ambassadrice.
Il y a quelques années, la Russie a annexé la Crimée. Y a-t-il un espoir de paix durable si l’annexion de la Crimée est toujours contestée? Peut-il y avoir la paix si la Crimée fait toujours objet de litige? La guerre va-t-elle durer jusqu’à ce que la Crimée revienne dans le giron de l’Ukraine?
Mme Kovaliv : Merci.
La situation en Crimée depuis 2014, et bien avant, est le résultat de l’intérêt stratégique de la Russie d’essayer de faire croire que la Crimée faisait partie de la Russie avant d’être cédée à l’Ukraine. La Russie essaie de faire croire qu’elle a des droits sur la Crimée. Sur le plan historique et en vertu du droit international, ce n’est pas vrai. C’est de la manipulation de la part des Russes.
Bien avant que l’Ukraine n’acquière son indépendance, l’agression russe contre le peuple indigène de la Crimée, les Tatars, pour les expulser de force du territoire était déjà très connue. De nombreux Russes ont été envoyés vivre en Crimée.
Les Russes essaient également de faire croire que la Crimée est russe parce que sa population est russophone. Ce n’est pas vrai. Aujourd’hui, sur le champ de bataille, des combattants de plus de 40 langues différentes se battent pour l’Ukraine et pour notre intégrité territoriale.
Voici ce que fait la Russie en Crimée. Elle emprisonne des gens, surtout des Tatars de Crimée, le peuple indigène, ainsi que des activistes qui dénoncent la Russie. Les Russes les enrôlent de force pour qu’ils aillent se battre contre l’Ukraine. Les Russes essaient de déporter des enfants ukrainiens de la Crimée et de repeupler ce territoire en y envoyant encore plus de Russes.
L’histoire nous apprend toutefois qu’en 1991, quand tous les Ukrainiens ont voté pour l’indépendance de leur pays, les habitants de la Crimée ont, eux aussi, voté majoritairement pour l’indépendance de l’Ukraine. La Crimée fait partie de notre territoire souverain et il sera important, au moment du rétablissement des frontières souveraines, d’y inclure la Crimée.
Le sénateur Richards : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Gerba : Excellence, depuis la signature de l’Initiative céréalière de la mer Noire, 25 millions de tonnes de céréales et de denrées alimentaires ont été acheminées dans 45 pays. Cependant, cet accord a été renouvelé in extremis récemment, pour 120 jours seulement.
Êtes-vous optimiste par rapport au prochain renouvellement? Que peut faire le Canada pour rendre cet accord, cette initiative, pérenne?
[Traduction]
Mme Kovaliv : C’est vrai. Au printemps dernier, la Russie a commencé à utiliser la nourriture comme arme. Après l’énergie, les armes physiques et nucléaires, voilà qu’elle utilise la nourriture comme arme, au moment où les prix des aliments atteignent des niveaux inégalés et sont une cause d’inflation dans de nombreux pays. Pire encore, cette tactique a causé d’énormes souffrances aux populations de pays à faible revenu qui ne peuvent pas satisfaire leur besoin fondamental de nourriture.
Comme les Ukrainiens, qui ont a survécu à la famine de 1932-1933, nous savons tous ce qui se passe quand des gens meurent de faim. Depuis les tous débuts, l’Ukraine a été la plus ardente défenseure de l’initiative céréalière. Depuis le lancement de celle-ci, 28 millions de tonnes de denrées alimentaires ukrainiennes ont été exportées par la mer.
Que s’est-il passé? Depuis le 10 avril, la Russie a lancé une nouvelle opération pour saboter l’inspection des navires qui arrivent aux ports ukrainiens de la mer Noire pour y charger les céréales destinées à l’exportation. L’Ukraine est ouverte, prête et plus qu’intéressée à ce que cette initiative soit reconduite pour les 120 prochains jours, voire pour une plus longue période, parce que nous avons des stocks de céréales que nous devons exporter sur le marché mondial. La nouvelle récolte approche et nous devrons également exporter ces céréales.
Nous avons aussi lancé le programme Céréales en provenance d’Ukraine et nous remercions le Canada de son soutien à cet égard. Grâce à ce programme, 170 000 tonnes de blé ont été livrées gratuitement à la Somalie, au Yémen, à l’Éthiopie et au Kenya, des pays durement frappés par la crise alimentaire. Avec le soutien du Canada, du Royaume-Uni, du Japon, des États‑Unis, du Qatar et des pays de l’Union européenne, l’Ukraine a pu livrer des céréales ukrainiennes à ces pays où les besoins alimentaires sont les plus criants.
Nous travaillons avec détermination pour rétablir le programme, mais le problème vient, comme d’habitude, du côté russe. Nous poursuivons notre collaboration avec les Nations unies et la Turquie afin de reconduire l’initiative céréalière.
Le sénateur MacDonald : J’aimerais me tourner vers une autre région du pays dont nous ne parlons pas beaucoup, la Transnistrie. Il s’agit d’une enclave séparatiste en Moldavie, près du port d’Odessa. Pouvez-vous nous expliquer le contexte? Quelle est l’origine de ce mouvement séparatiste près d’Odessa? Dans quelle mesure cette enclave est-elle sous le contrôle du gouvernement ukrainien? Et le contrôle du port est-il menacé?
Mme Kovaliv : Pour le moment, cette menace ne se fait pas sentir, mais cela demeure évidemment une zone grise. Concernant la protection du littoral, en particulier, les systèmes de défense aérienne sont très importants pour nous. Comme nous l’avons vu l’été dernier, le port a subi des attaques qui ont notamment causé la destruction des silos à grain. Les armes nous ont permis de protéger la côte. C’est le plus important enjeu de sécurité pour l’Ukraine dans la région.
Le sénateur MacDonald : D’où proviennent leurs armes? Je suppose que ce sont les Russes qui les arment.
Mme Kovaliv : La Russie est présente là-bas depuis des décennies. Mais je vous le répète, nous ne croyons pas que les menaces à la sécurité soient en hausse dans cette région.
En toute honnêteté, quand nous voyons la Russie utiliser de vieux engins datant de la Seconde Guerre mondiale sur les lignes de front dans les régions orientales de l’Ukraine, ces vieux chars de modèle T, c’est un signe évident que la capacité de défense de la Russie est en déclin. Elle n’est pas en mesure de progresser sur le champ de bataille dans la partie est de l’Ukraine.
Le président : Je vous remercie.
Depuis quelques années, j’observe avec admiration comment votre gouvernement se comporte dans les médias sociaux et comment il réagit aux campagnes de désinformation menées par la Fédération de Russie. Une importante plateforme de médias sociaux vient de passer sous une nouvelle administration il y a quelques mois. Êtes-vous inquiète ou votre gouvernement s’inquiète-t-il du traitement réservé dans le monde à ce flux incessant de fausses nouvelles? Avez-vous des stratégies particulières à cet égard?
Mme Kovaliv : Honnêtement, c’est une question difficile, pour chacun de nous. La désinformation est une arme très dangereuse. Ce n’est pas quelque chose que nous voyons ou que nous sentons. Ce n’est pas un char ou un missile qui peut vous frapper et causer des dommages visibles. Quant à savoir s’il existe une solution facile pour contrer cette campagne de désinformation, malheureusement, je voudrais bien vous donner une réponse claire, qui serait facile à appliquer pour nous tous.
Hier, c’était la Journée mondiale de la liberté de la presse qui souligne l’importance de la liberté de la presse et du travail des journalistes, notamment de ceux qui travaillent en Ukraine et nous informent des événements qui s’y déroulent. C’était le tout premier jour où l’Ukraine a ouvert ses portes aux journalistes. Cela fait partie de l’histoire. Nous devons soutenir les journalistes. Nous devons soutenir leur capacité professionnelle de rendre compte des événements et leur compétence à vérifier les faits dans le respect des codes d’éthique. Les médias sociaux ne pourront jamais remplacer l’information véridique et vérifiée.
Le deuxième outil, c’est l’éducation, l’éducation de chacun d’entre nous, qui commence à l’école. C’est ce qui nous permet de consommer l’information de façon saine, de comprendre pourquoi nous devons vérifier les faits et d’éviter toute émotivité excessive.
Nous communiquons activement, mais pas seulement en tant que gouvernement. C’est toute la société ukrainienne qui communique. Vous voyez sans doute des messages provenant d’Ukrainiens sur Twitter, cela ne fait même pas partie d’une politique gouvernementale. Les gens montrent leur résilience dans cette guerre de l’information.
Il n’y a malheureusement pas de réponse courte et simple à cette question, mais nous devons y réfléchir.
Le président : Je trouve que vous avez donné une excellente réponse. Je vous remercie, madame l’ambassadrice.
Au nom du comité, je tiens à vous remercier de votre présence aujourd’hui, de votre honnêteté et de vos observations. De l’avis de tous, vous faites un excellent travail à titre de représentante de l’Ukraine dans notre pays. J’ose espérer que vous serez de retour parmi nous très bientôt.
(La séance est levée.)