LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 11 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des sections 4, 5, 10 et 11 de la partie 4, et de la sous-section A de la section 3 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter M. Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis le président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
[Traduction]
J’invite maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant à ma gauche.
Le sénateur Ravalia : Bonjour et bienvenue. Je suis le sénateur Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice M. Deacon : Bonjour. Marty Deacon, de l’Ontario.
La sénatrice Duncan : Bonjour et merci d’être avec nous. Je suis la sénatrice Pat Duncan, du Yukon.
La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle‑Écosse.
Le président : Je vous remercie beaucoup, chers collègues. Je crois que nous aurons quelques autres sénateurs qui se joindront à nous sous peu.
Bienvenue à vous tous aujourd’hui et bienvenue à tous ceux qui nous regardent sur le site ParlVu du Sénat.
Nous poursuivons notre étude de la teneur du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023. Les éléments qui ont été renvoyés au comité du Sénat le 27 avril sont les sections 4, 5, 10 et 11 de la partie 4; et la sous-section A de la section 3 de la partie 4.
Nous allons nous concentrer aujourd’hui sur la section 10 de la partie 4, qui porte sur les sanctions économiques et les modifications à la Loi sur les mesures économiques spéciales, la Loi de Sergueï Magnitsky et la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes; et aussi sur la sous-section A de la section 3 de la partie 4, qui contient des modifications à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Chers collègues, à la suite du travail que nous avons fait lors des séances précédentes, nous connaissons maintenant tous assez bien ces instruments de sanctions.
Pour en discuter, nous avons le plaisir d’accueillir Erin Hunt, directrice générale, Division des crimes financiers et de la sécurité, au ministère des Finances Canada. C’est bien votre titre?
Erin Hunt, directrice générale, Division des crimes financiers et de la sécurité, ministère des Finances Canada : Oui, c’est mon titre.
Le président : J’y ai travaillé, mais cela fait un bon bout de temps, bien évidemment.
Nous accueillons aussi, du même ministère, Jeremy Weil, directeur principal par intérim, Gouvernance et opérations des crimes financiers; Oliver Kanter, analyste principal de la politique; Charlene Davidson, directrice, Politique des crimes financiers; et Anna Nawrotek, analyste principale de la politique. Nous accueillons aussi Marie-Josée Langlois, directrice générale, Secteur des politiques stratégiques, d’Affaires mondiales Canada, et Patricia Bennett, gestionnaire, Politiques stratégiques et révisions, du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE.
Je vous souhaite la bienvenue au comité et vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.
Avant de passer aux déclarations liminaires et aux questions, je vais mentionner un élément technique. Veuillez éviter de vous approcher trop près du micro ou d’enlever vos écouteurs en le faisant, afin d’éviter un retour du son qui pourrait nuire au personnel du comité, et en particulier à nos interprètes qui portent aussi des écouteurs.
Nous sommes prêts à écouter les déclarations liminaires, mais auparavant, j’aimerais mentionner que la sénatrice Gerba, du Québec, vient de se joindre à nous.
Vous disposez de cinq minutes pour vos déclarations liminaires, après quoi les sénateurs vous poseront des questions.
Madame Hunt, je crois que vous êtes la première. Allez-y, s’il vous plaît.
Mme Hunt : Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner au sujet des mesures prévues dans le projet de loi C-47 relativement au blanchiment d’argent, au financement du terrorisme et aux sanctions.
Je m’appelle Erin Hunt. Je suis directrice générale à la Division des crimes financiers et de la sécurité au ministère des Finances Canada. Je suis accompagnée aujourd’hui par Charlene Davidson et Jeremy Weil. Ils sont responsables des aspects nationaux et internationaux de notre programme de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Je suis accompagnée également par Patricia Bennett, du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada. Nous travaillons de concert dans le dossier de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, de même que celui des sanctions.
Je vais laisser Mme Langlois se présenter.
[Français]
Marie-Josée Langlois, directrice générale, Secteur des politiques stratégiques, Affaires mondiales Canada : Monsieur le président, j’aimerais commencer mes remarques en affirmant que le gouvernement du Canada prend au sérieux la criminalité financière et réexamine en permanence le Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes afin d’assurer qu’il est adapté aux risques émergents et nouveaux. La lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est un effort de collaboration qui nécessite une coordination entre tous les ordres de gouvernement, les secteurs public et privé, ainsi que nos partenaires internationaux.
Pour rester efficace, le régime doit continuellement s’adapter aux changements de son environnement opérationnel et doit s’assurer de mettre de l’avant des changements, des lois et des règlements qui suivent l’évolution des menaces et des nouvelles technologies.
[Traduction]
Mme Hunt : Cela m’amène donc à vous parler des mesures annoncées tout d’abord dans le budget de 2023 et maintenant proposées dans le projet de loi C-47. Ce projet de loi prévoit des modifications législatives à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes et au Code criminel pour renforcer la capacité du Canada de lutter contre les crimes financiers et d’autres risques pour notre système financier, comme l’ingérence étrangère.
Les mesures proposées concrétiseraient l’engagement pris dans le budget de 2022 de renforcer les outils liés à l’échange de renseignements, aux enquêtes et aux poursuites concernant le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui demeurent des défis opérationnels au Canada. Ces mesures contribuent à donner suite aux conclusions de la Commission d’enquête sur le blanchiment d’argent en Colombie-Britannique, aussi connue comme la commission Cullen, et à d’autres examens nationaux et internationaux du régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Les modifications proposées permettraient d’élargir la portée des mesures prévues dans le Code criminel pour faciliter les enquêtes et les poursuites liées à des crimes motivés par le profit en permettant aux procureurs généraux de demander une autorisation judiciaire pour procéder à la recherche et la saisie d’actifs numériques pouvant être confisqués comme produits de la criminalité, et d’accroître le nombre d’infractions pour lesquelles les procureurs généraux peuvent obtenir, avec une autorisation judiciaire préalable, la divulgation, par le ministre du Revenu national, de renseignements fiscaux aux fins d’enquêtes criminelles.
Les mesures proposées amélioreraient aussi l’application de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes en renforçant le régime d’inscription des entreprises de services monétaires et en érigeant en infraction le fait d’exercer une activité sans être inscrites. Le recours à des entreprises de services monétaires qui ne sont pas inscrites est une technique utilisée par les blanchisseurs d’argent. On criminaliserait les transactions structurées de façon à éviter les déclarations au CANAFE, une autre technique de blanchiment d’argent. On améliorerait l’échange d’information tactique du CANAFE avec la police et son analyse du renseignement stratégique concernant des menaces à la sécurité nationale; on protégerait les employés dénonciateurs qui communiquent l’information au CANAFE; on exigerait des entreprises réglementées qu’elles déclarent l’information liée à des sanctions au CANAFE lorsqu’il existe un lien entre le contournement des sanctions et le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme. Ce type de renseignement peut contribuer à identifier les actifs des personnes sanctionnées. De plus, on permettrait l’utilisation des rapports de non-conformité par le CANAFE lors des enquêtes criminelles et on apporterait les modifications techniques nécessaires pour s’assurer que le programme de recouvrement des coûts à venir du CANAFE soit une réussite.
Le budget de 2023 prévoit aussi des mesures pour renforcer les pouvoirs d’échange de renseignements au sein du portefeuille des finances et permettre au CANAFE de mieux appuyer la prise de décisions, y compris au sujet des risques liés à la sécurité nationale. Il prévoit de plus des mesures de diligence raisonnable renforcée pour les entités qui sont déjà assujetties à la loi afin d’assurer la sécurité du système financier du Canada.
De plus, dans le but de soutenir la capacité d’Affaires mondiale Canada à prendre et à faire appliquer des décrets ou des règlements adoptés en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, on propose d’apporter une modification à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. On exigerait ainsi que le CANAFE divulgue l’information à Affaires mondiales Canada lorsqu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que le renseignement serait pertinent pour enquêter et intenter des poursuites concernant des activités de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes, et lorsque l’information serait pertinente dans le cadre du mandat du ministre des Affaires étrangères d’imposer des sanctions.
Ces mesures vont aider le Canada à faire face à une criminalité financière en perpétuelle évolution en veillant à ce que nos partenaires au sein du régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes puissent échanger des renseignements, en leur fournissant de nouveaux outils pour faciliter les enquêtes et les poursuites relatives à des crimes financiers, et en soutenant le régime de sanctions du Canada.
Nous savons que même avec ces mesures, il restera encore du travail à faire. C’est pourquoi, conformément aux exigences de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, le gouvernement fédéral entreprendra un examen parlementaire de la loi au cours de l’année. L’examen comprendra des consultations publiques sur les façons de continuer à améliorer le régime et de veiller à ce que le Canada lutte efficacement contre les flux financiers illicites.
Ces mesures et le prochain examen aideront le Canada à se positionner en vue de la prochaine évaluation mutuelle par le Groupe d’action financière, l’organisme international de normalisation en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui est prévue en 2025-2026.
Je vous remercie, monsieur le président. Mes collègues et moi serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Je vous remercie beaucoup, madame Hunt. Madame Langlois, c’est à vous.
Mme Langlois : Je vous remercie, honorables sénateurs, de l’invitation à venir vous parler des modifications législatives proposées au régime de sanctions du Canada dans la section 10 de la partie 4 du projet de loi d’exécution du budget. Je sais que vous connaissez déjà bien ce régime, puisque le comité vient de terminer son examen des lois canadiennes concernant le régime de sanctions autonomes.
Je suis heureuse d’être ici aujourd’hui pour vous donner un aperçu des dernières modifications proposées à la Loi sur les mesures économiques spéciales et à la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus.
Vous vous rappellerez qu’il y a presque un an, quelques mois à peine après le début de la guerre en Ukraine, nous avons modifié ces deux lois pour donner à la ministre des Affaires étrangères l’autorité de saisir et de confisquer les biens détenus au Canada appartenant à des individus sanctionnés, et lui permettre d’utiliser les fonds pour indemniser les victimes, soutenir les efforts de reconstruction et rétablir la paix et la sécurité internationales.
[Français]
Depuis, alors que l’agression de l’Ukraine par la Russie se poursuit, et en raison des tensions internes croissantes en Iran, en Haïti, au Myanmar, au Sri Lanka et ailleurs, le Canada et ses alliés ont élargi l’usage des sanctions. Alors que les cibles de ces sanctions y répondent par l’emploi de diverses tactiques de contournement, notamment en utilisant des personnes dans des États tiers, il est crucial pour le gouvernement du Canada de revoir, d’adapter et de renforcer son régime de sanctions de manière continuelle. C’est pourquoi nous souhaitons à présent apporter des modifications législatives additionnelles à nos deux lois de sanctions pour renforcer notre régime de sanctions, pour rendre les processus plus efficaces et pour clarifier certaines provisions.
J’aimerais maintenant vous exposer ces amendements, qui sont divisés en cinq groupes. Le premier groupe d’amendements que nous proposons précise les définitions de possession et de contrôle. L’objectif est ici de fournir davantage de certitude aux parties prenantes pour qu’elles puissent évaluer si elles ont affaire à des entités particulières, incluant des filiales, des sociétés affiliées et des entreprises liées à des personnes désignées.
Le deuxième amendement confirme que seuls les personnes ou les États étrangers qui sont désignés en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus peuvent voir leurs biens saisis ou confisqués.
Le troisième groupe d’amendements rationalise la façon dont les personnes situées dans les pays tiers qui se rendent complices ou soutiennent la conduite de l’État primaire sanctionné peuvent être désignées. Les amendements proposent que ces individus ou entités soient désignés directement dans le règlement concernant l’État primaire, plutôt qu’en créant un règlement séparé pour ce pays tiers.
Le quatrième amendement précise que, en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, le transfert de toute forme de biens à des personnes désignées est interdit, et que le régime de sanctions du Canada capture l’éventail le plus large de transferts.
Pour finir, le cinquième groupe d’amendements augmente et améliore les canaux de partage d’information du gouvernement en autorisant le partage d’informations avec d’autres ministres clés et entre le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) et la ministre des Affaires étrangères. Cela rendra le régime de sanctions autonome du Canada plus efficace.
Merci de votre attention. Nous sommes à votre disposition pour répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup.
[Traduction]
J’aimerais souligner que le sénateur Woo de la Colombie-Britannique vient aussi de se joindre à nous.
[Français]
Chers collègues, j’aimerais préciser que vous disposez de quatre minutes chacun pour la première ronde de questions, incluant les questions et les réponses.
Je demande donc aux sénateurs et aux témoins d’être concis. Nous pourrons toujours tenir une deuxième ronde, si le temps le permet.
[Traduction]
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie tous d’être ici aujourd’hui. J’ai des questions concernant l’article 254 du projet de loi, qui modifie le paragraphe 4(2) de la Loi sur les mesures économiques spéciales. On pourrait ainsi sanctionner des personnes dans un pays tiers qui sont complices des agissements du pays faisant l’objet de sanctions par la voie des règlements s’appliquant au pays, plutôt que par l’adoption de règlements distincts pour le pays tiers. J’espère que cela a du sens.
Dans le cas du citoyen d’un pays qui ne fait pas l’objet de sanctions en vertu de la Loi sur les mesures économiques spéciales, pourquoi ne peut-on pas utiliser la Loi de Sergueï Magnitski? Pourquoi est-il nécessaire d’apporter cette modification à la Loi sur les mesures économiques spéciales?
Mme Langlois : Je vous remercie de la question. Les deux lois sont assez différentes. La Loi sur les mesures économiques spéciales cible, comme vous le savez, des pays de même que les entités et les personnes physiques qui se trouvent dans ces pays. La Loi de Sergueï Magnitski cible directement des personnes physiques. Il y a des similarités, et les deux lois contiennent des éléments déclencheurs qui sont liés à des violations des droits de la personne et des actes de corruption graves. La Loi sur les mesures économiques spéciales a aussi des éléments déclencheurs qui s’étendent à une association d’États, dont le Canada fait partie, qui ont décidé de prendre des mesures. Cela comprend également les violations graves de la paix et de la sécurité internationales.
Donc, chaque fois que l’outil choisi pour remédier à un problème est d’imposer des sanctions, on évalue si l’imposition de sanctions est le bon outil à utiliser, mais aussi laquelle des deux lois convient le mieux à la situation. Lorsqu’il s’agit d’un citoyen qui se trouve dans un pays tiers, on se demande également quelle est la situation qui a mené à l’intention d’inscrire ce citoyen sur la liste. Par exemple, s’il s’agit d’une violation grave de la paix et de la sécurité internationales, on utiliserait sans doute la Loi sur les mesures économiques spéciales. S’il s’agit de violation des droits de la personne et de corruption, il y aurait alors des discussions sur le bon outil à utiliser dans ce cas.
Lorsqu’il s’agit d’une personne dans un pays tiers et d’une infraction grave, on peut maintenant utiliser, selon la Loi sur les mesures économiques spéciales, les règlements initiaux relativement au pays au lieu d’en créer de nouveaux. Si l’on a le choix d’utiliser la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus, ce serait différent et cela ne s’appliquerait pas.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie beaucoup. En parlant d’outils, je vais passer à un autre élément.
Les modifications prévues dans le projet de loi C-47 montrent clairement que la guerre en Ukraine a révélé que notre régime de sanctions avait besoin de rajustements. Ce n’est pas une mauvaise idée. C’est même une bonne chose d’être agile et d’apporter ces rajustements. Toutefois, on peut parfois avoir l’impression qu’on joue au chat et à la souris, car le secteur privé doit s’adapter et rester au fait des changements et de ses responsabilités.
D’après vous, que fait le gouvernement pour s’assurer que toutes les institutions — privées et publiques — sont au courant de leurs responsabilités à l’égard des nouveaux changements?
Mme Langlois : Je vous remercie de la question. Lorsque le gouvernement décide d’inscrire un nom sur la liste, toute l’information à ce sujet est publiée sur notre site Web. Divers outils sont à la disposition des intervenants au Canada ou des Canadiens à l’étranger sur le site Web du gouvernement pour qu’ils puissent vérifier avec qui ils font affaire. Nous avons préparé une liste globale des sanctions, et c’est un outil où l’on peut essentiellement inscrire le nom d’une personne et savoir si son nom apparaît sur une liste et sur quelles listes.
Chaque règlement s’appliquant à un pays et à un régime est mentionné sur le site Web. De plus, nous avons une section sur les questions fréquemment posées. L’information est donc disponible. Nous avons aussi, bien sûr, des outils qui permettent aux gens de nous joindre pour clarifier des éléments. Nous avons une boîte postale et un formulaire...
Le président : Je dois vous interrompre, car nous dépassons les quatre minutes pour cette partie. Sénatrice Deacon, aimeriez‑vous que j’inscrive votre nom pour la deuxième série de questions?
La sénatrice M. Deacon : Oui, s’il vous plaît.
Le président : Très bien.
La sénatrice Duncan : Je vous remercie encore une fois d’être avec nous aujourd’hui. Je remplace la sénatrice Boniface, alors je suis nouvelle au comité. J’aimerais reprendre le fil des questions de la sénatrice Deacon au sujet du travail de collaboration du gouvernement fédéral avec les autres intervenants et avec le secteur privé.
J’aimerais savoir le travail qui se fait en collaboration avec les provinces et les territoires au sujet de leurs lois sur les entreprises, des registres provinciaux, etc. À propos du jeu du chat et de la souris et des cloisonnements au sein du gouvernement, je mets vraiment les problèmes du blanchiment d’argent, des investissements étrangers et des sanctions dans le même panier, et non dans des paniers séparés. Je pense qu’il y a un lien entre ces éléments.
J’aimerais que vous nous parliez d’abord des interactions avec les provinces et les territoires.
Mme Hunt : Je vous remercie de la question. Je suis heureuse de commencer à y répondre, et je vais sans doute demander à mon collègue, M. Weil, de vous fournir plus d’information.
Le gouvernement va de l’avant avec la mise en place d’un registre fédéral de la propriété effective. Le projet de loi C-42 contient les dernières modifications législatives nécessaires pour le faire. Bien entendu, il ne s’agit que d’une partie de la question, car les entreprises sont enregistrées au niveau tant fédéral que provincial.
Le budget de 2023 montre clairement que le gouvernement continuera de travailler en étroite collaboration avec les provinces et les territoires pour mettre en place un registre de la propriété effective en adoptant une approche pancanadienne. Nous discutons régulièrement avec les provinces à ce sujet, et nous sommes en train de créer un registre fédéral qui permettra aux provinces de s’y joindre. Il est évolutif et consultable pour que les provinces puissent s’y joindre lorsqu’elles sont prêtes à le faire.
Nous sommes très actifs dans ce dossier et sommes conscients que pour arriver à avoir un registre pancanadien, nous devons mobiliser les provinces et les territoires.
La sénatrice Duncan : Je comprends que neuf provinces ont décidé de s’y joindre, mais pas l’Alberta ni les territoires. Ce qui m’inquiète au sujet des territoires, c’est que le rôle de la Couronne n’a été transféré à aucun des trois territoires, alors ils n’ont pas de directeur des poursuites pénales. La GRC est le seul organisme d’application de la loi. On leur confie de nouvelles responsabilités que les gouvernements territoriaux pourraient ne pas avoir la capacité d’assumer.
Qui va les aider? C’est une préoccupation dans ma région, en raison de notre proximité et de nos liens étroits avec la Colombie-Britannique et des problèmes de blanchiment d’argent dont vous avez parlé. Qui va s’en occuper? Est-ce un élément qui est pris en compte?
Mme Hunt : C’est une excellente question. Je vous remercie de la poser.
Au niveau fédéral, nous concentrons nos efforts pour nous assurer de créer un registre auquel les provinces et les territoires pourront se joindre. Les territoires auront la possibilité de s’y joindre lorsque le registre fédéral sera créé.
Le dialogue se poursuit. Nous sommes conscients de l’importance d’avoir une approche pancanadienne. La collaboration continue, et nous examinons les façons d’amener d’autres provinces et territoires à participer au registre conformément à cette approche.
Le président : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos témoins pour le travail accompli pour en arriver là et pour leur présence ici aujourd’hui afin de nous expliquer leur travail et sa raison d’être. Je pense que nous sommes tous heureux de voir ces mesures conçues pour améliorer l’efficacité de la Loi sur les mesures économiques spéciales et de la Loi de Sergueï Magnitski, ainsi que l’échange d’informations. Ce sont des choses que nous avons déjà approfondies ensemble.
J’ai une question courte à vous poser, puis une question un peu plus détaillée. La première est la suivante : pourquoi maintenant? Pourquoi cette mesure se trouve-t-elle dans la loi d’exécution du budget? Pouvez-vous répondre à cette question?
Mme Langlois : Certainement. Je vous remercie.
La dernière année a été une année difficile sur la scène internationale et du point de vue des sanctions, comme nous le savons tous. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, nous avons observé une multiplication des sanctions, mais la partie adverse multiplie aussi les efforts pour s’y soustraire.
Cela nous a donné l’occasion de répondre à certains commentaires et à certaines réactions que nous avons reçus et de renforcer notre régime afin de le maintenir à jour et de continuer à en optimiser l’effet.
La sénatrice Coyle : Merci.
La Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est là pour créer des mesures de protection, notamment pour les dénonciateurs. Je voudrais justement aborder la question des dénonciateurs. Cette disposition érige en infraction le fait pour un employeur de punir ou de menacer de punir un employé pour avoir rempli ses obligations en matière de dénonciation au titre de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes ou pour s’y être conformé.
S’il est reconnu coupable, l’employeur risque une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à cinq ans. Les protections existantes pour les dénonciateurs s’appliquent toujours, donc malgré cela, quelles actions seront entreprises pour protéger les dénonciateurs qui signalent des actes répréhensibles tels que des transactions commerciales illicites avec des personnes faisant l’objet de sanctions, et comment les employés seront-ils informés de l’existence des protections mises à leur disposition?
Charlene Davidson, directrice, Politique des crimes financiers, ministère des Finances Canada : Je vous remercie de cette question. Nous sommes heureux de proposer cette mesure dans le cadre du budget de 2023.
Les modifications proposées suivent de près ce qui existe déjà dans le Code criminel. Elles protégeront les employés qui tentent de respecter l’obligation de signaler les employeurs ou les propriétaires d’entreprises qui pourraient être impliqués dans des activités criminelles ou faire pression sur les employés pour qu’ils ne respectent pas leurs obligations réglementaires, comme celle de déclarer ces activités au CANAFE.
Nous pensons que ces mesures affaiblissent le risque qu’ils tentent de dissuader leurs employés d’agir et qu’elles offrent une protection aux employés et les encouragent à passer à l’action, parce que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes est là pour les protéger.
En ce qui concerne votre question sur la façon dont ces infractions seront mises en application, elle relève avant tout de l’application de la loi, comme pour tout ce qui touche les infractions pénales prévues par nos lois. Nous travaillerons avec l’industrie au cours de la prochaine année ou des deux prochaines années, dans le cadre du processus d’examen parlementaire et des consultations que nous menons régulièrement auprès du secteur privé, afin de diffuser l’information sur les nouvelles mesures contenues dans ce budget, ainsi que sur d’autres documents publiés en mars concernant les risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada et la stratégie du gouvernement pour lutter contre les crimes financiers.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci à nos invités pour leur présence ici. Ma question s’adresse probablement à Mme Hunt ou à Mme Bennett.
Le bulletin du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE) de mars 2022 mentionne que l’utilisation de certains canaux financiers comme les cryptomonnaies et d’autres technologies émergentes peut également jouer un rôle important dans les mouvements financiers illicites liés à la Russie et aux autres produits de la criminalité.
Selon vous, le projet de loi C-47 prend-il suffisamment en compte ces nouvelles technologies et de manière générale, quels sont les défis précis que posent ces innovations technologiques?
[Traduction]
Mme Hunt : Les mesures proposées changent un peu les règles régissant les monnaies virtuelles, et les modifications apportées au Code criminel permettront à la police de saisir plus facilement des monnaies virtuelles dans le contexte actuel.
Nous avons également veillé à ce que les modifications apportées à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes soient telles que les versions précédentes de la loi s’appliquent aux monnaies virtuelles. Mme Davidson pourra peut-être vous fournir un peu plus de détails à ce sujet, au besoin.
Mme Davidson : Bien sûr.
Il faut ajouter que la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes a été modifiée ces dernières années par l’adoption d’un règlement sur les fournisseurs de services d’actifs virtuels, qu’ils soient basés au pays ou à l’étranger.
En outre, dans le budget de 2019, le gouvernement a consenti des fonds supplémentaires au CANAFE pour l’aider à gérer les monnaies virtuelles et à repérer les actifs virtuels dans le cadre de son programme de renseignement.
[Français]
La sénatrice Gerba : J’aimerais revenir à la question de la sénatrice Duncan sur l’aide procurée aux entreprises et la formation donnée aux PME. Y a-t-il un soutien juridique pour que ces entreprises puissent se conformer aux nouvelles sanctions?
Mme Langlois : Merci beaucoup pour la question.
Le ministère, le gouvernement met beaucoup d’information à la disposition des PME et des entreprises de façon générale. Le groupe des sanctions avait un programme de rayonnement auprès des différentes parties prenantes partout au Canada. Évidemment, la COVID-19 a affecté le tout et nous avons dû passer au mode virtuel. La dernière année a aussi été très occupée, mais on continue de discuter avec nos parties prenantes et de regarder ce qu’on peut faire pour les appuyer. On répond à leurs questions le plus diligemment possible lorsqu’on les reçoit.
En matière d’aide juridique en particulier, on ne peut pas donner de conseils juridiques au public canadien, malheureusement. Les gens doivent donc obtenir leurs propres conseils juridiques, mais nous donnons tous les renseignements que l’on peut et nous les rendons accessibles pour appuyer leurs efforts en matière de conformité. Nous serons heureux de continuer ces discussions à l’avenir.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie tous de comparaître aujourd’hui.
Pourriez-vous nous en dire plus sur la proposition actuelle du gouvernement du Canada d’élargir la liste des ministres qui pourraient aider la ministre des Affaires étrangères à administrer et à appliquer une ordonnance de réglementation prise en vertu de la Loi de Sergueï Magnitski? Par ailleurs, le fait que seule la ministre des Affaires étrangères puisse le faire a-t-il causé des problèmes à ce jour?
Mme Langlois : Merci beaucoup pour cette question. Bien que la ministre des Affaires étrangères soit la ministre responsable selon la loi et l’administratrice de la loi, telle que celle-ci le prévoit, l’imposition de sanctions est vraiment un effort pangouvernemental. Différentes personnes et différents ministères participent à la mise en œuvre des sanctions. Il y avait déjà une liste des ministres qui pouvaient échanger de l’information avec la ministre des Affaires étrangères dans le cadre de notre travail sur les sanctions. Nous avons élargi cette liste à la lumière de notre expérience des dernières années. Nous l’avons élargie par souci d’efficacité. Bien entendu, toute information communiquée le sera dans le respect des règles et des procédures applicables à l’échange d’informations au sein du gouvernement. C’est la raison pour laquelle nous procédons à ce changement maintenant.
Je m’excuse, il y avait une deuxième partie à votre question, n’est-ce pas?
Le sénateur Ravalia : À ce jour, le fait que seule la ministre des Affaires étrangères s’occupe de ce dossier a-t-il eu des répercussions sur la participation potentielle des autres ministres?
Mme Langlois : Comme je l’ai mentionné, il s’agit vraiment d’un effort pangouvernemental. Il y a beaucoup de collaboration entre les différents ministères et les différents ministres, au besoin, dans les discussions.
Le sénateur Ravalia : Ces discussions peuvent donc avoir lieu au Cabinet, par exemple.
Mme Langlois : Oui.
Le sénateur Ravalia : D’accord. Dans la même ligne de pensée, il est évident qu’on parle beaucoup de l’invasion illégale de l’Ukraine par la Russie dans les médias et ailleurs. Est-ce que le fait de nous concentrer autant sur les élites russes, les oligarques et les autres nous fait perdre de vue d’autres parties du monde où des sanctions imposées par le Canada ne seraient pas respectées?
Mme Langlois : Merci pour cette question. Comme vous le savez, un certain nombre de sanctions ont été prises l’année dernière, non seulement à l’encontre de la Russie, mais aussi d’autres pays. Haïti et l’Iran me viennent à l’esprit parmi les pays contre lesquels des sanctions ont été prises, ainsi que le Myanmar et le Sri Lanka.
Pour ce qui est de la mise en œuvre de sanctions et de leur application, c’est la même chose pour tous les régimes. Nous utilisons la même approche pour toutes les sanctions mises en place, afin qu’elles aient le maximum d’effet pour susciter un changement.
Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.
Le président : J’aimerais souligner que le sénateur Harder, notre vice-président, vient de se joindre à la réunion.
Le sénateur MacDonald : Il s’agit d’un enjeu très complexe, et il doit être difficile de retracer certaines choses. C’est un peu comme un jeu du chat et de la souris, de toute évidence, pour retrouver les contrevenants. Je serais curieux de savoir quelles tendances vous voyez émerger dans les comportements des personnes qui s’adonnent au blanchiment d’argent et au recyclage des produits de la criminalité? Quels sont les secteurs les plus vulnérables? Quelle est la voie la plus susceptible d’être empruntée par les personnes qui veulent blanchir de l’argent? De quelles régions du monde viennent les personnes les plus susceptibles de tenter de blanchir de l’argent au Canada?
Mme Hunt : Merci pour cette question. Elle est très complexe, et je ne pense pas avoir le temps d’y répondre de façon exhaustive aujourd’hui, malheureusement. Nous avons récemment publié, en même temps que le budget de 2023, l’évaluation nationale des risques inhérents au Canada. On y décrit en détail les secteurs et les domaines de notre économie où les risques de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes sont les plus grands.
Il s’agit d’un rapport très important utilisé par nos entités déclarantes, en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, pour vraiment comprendre les risques auxquels elles sont confrontées, ainsi que le cadre sur lequel elles peuvent s’appuyer pour prendre des mesures d’atténuation. Certains types de crimes sont plus répandus au Canada et plus susceptibles de conduire au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes.
Je vais faire de mon mieux pour résumer tout cela en quelques phrases. Il existe de nombreux types de fraudes et de trafic de stupéfiants, et ils restent parmi les crimes les plus susceptibles de favoriser le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Pour ce qui est des secteurs à haut risque, notre secteur bancaire est l’un de ceux qui présentent le plus de risques, tout simplement parce qu’il est très concentré, de grande taille et offre une multitude de produits dans cet espace. De même, nous considérons que les entreprises de services monétaires sont souvent à haut risque. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous proposons des mesures visant à renforcer le cadre régissant les entreprises de services monétaires dans le budget de 2023 et la Loi d’exécution du budget.
Le sénateur MacDonald : Le profilage a toujours été un sujet controversé. Je suis passé par l’aéroport de Tel-Aviv. On établit le profil de tout le monde à l’aéroport de Tel-Aviv. C’est aussi l’aéroport le plus sûr au monde. Le profilage fonctionne.
Disposons-nous d’une méthode de profilage à des fins de dépistage? Est-ce qu’il y a quelqu’un qui établit un profil en amont pour nous aider à repérer les personnes les plus susceptibles de s’adonner au blanchiment d’argent?
Mme Hunt : Je vous remercie de cette question, qui est très pertinente.
L’une des forces du Canada est sa société multiculturelle. Il y a chez nous de nombreuses personnes qui viennent de différents endroits du monde et qui ont des liens avec les endroits du monde qu’ils ont quittés pour venir s’installer au Canada. Il s’agit donc d’une considération très importante et d’un point fort de notre système.
Nous avons une approche globale de la lutte contre la criminalité financière qui favorise l’intégrité de notre système financier et la sécurité de tous les Canadiens. Bien que notre évaluation nationale des risques mette l’accent sur certains groupes — dont les groupes terroristes à travers le monde et d’autres éléments qui représentent un risque pour le Canada —, elle ne doit en aucun cas justifier une quelconque discrimination. Les mesures prises par le gouvernement ou le secteur privé pour atténuer les risques de recyclage des produits de la criminalité et de financement des activités terroristes doivent être examinées au cas par cas. Elles ne doivent en aucun cas cibler un groupe en particulier ou justifier de la discrimination.
Le sénateur MacDonald : Bref, il n’y a pas de politique de profilage? Je voudrais juste mettre cela au clair.
Mme Hunt : Ce n’est pas l’un des principes qui sous-tendent le régime de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Le sénateur Woo : Merci aux témoins. Pour répondre à la question du sénateur MacDonald sur les principales sources de blanchiment d’argent, je pourrais lui conseiller, ainsi qu’à vous tous, le rapport de 2019 de la Colombie-Britannique sur le blanchiment d’argent, selon lequel les principales sources de blanchiment d’argent sont l’Amérique du Nord et l’Europe.
Ensuite, madame Langlois, je voulais vous interroger sur la liste des personnes faisant l’objet de sanctions. Je crois vous avoir entendue dire qu’elles sont classées en fonction des pays où elles se trouvent.
Or, selon cette nouvelle disposition, une personne peut faire l’objet de sanctions établies en vertu du règlement applicable au pays ciblé plutôt qu’au pays d’où elle vient. Ainsi, le pays associé à la personne sera-t-il le pays ciblé ou celui où elle réside?
Mme Langlois : Merci beaucoup pour cette question. L’amendement proposé nous permettrait d’inscrire à la liste des personnes se trouvant dans des pays tiers et contribuant, par exemple, à une grave atteinte à la paix et à la sécurité internationales dans le pays initialement visé par la réglementation, mentionné dans le règlement.
Selon le système actuel, il faudrait préciser que la personne se trouve dans un pays tiers, ce qui entraînerait la création d’un règlement pour le pays tiers, où le premier pays concerné serait mentionné. Dans le cas présent, nous ne ferions rien de tel. Nous inscririons la personne à la liste du pays initial. L’amendement proposé permettrait au gouvernement de mener les deux types de processus réglementaires. Aucun des règlements applicables ne serait modifié, mais le gouvernement aurait la possibilité de préciser où la personne se trouve s’il le souhaite, une fois que tous les pouvoirs nécessaires seront en place.
Le sénateur Woo : Il pourrait donc procéder d’une façon ou de l’autre. Il pourrait inscrire la personne à la liste du pays tiers, en vertu des dispositions existantes, ou l’inscrire à la liste de son pays d’origine, c’est bien cela? Qu’est-ce qui le pousserait à choisir l’une ou l’autre des deux options?
Mme Langlois : Je vous remercie de cette question. Lorsque l’amendement entrera en vigueur, cela fera partie de l’évaluation effectuée lorsqu’on décide d’inscrire une personne à la liste. Nous choisirons à quel pays associer la personne ou l’entité dans les circonstances selon l’outil de politique étrangère ou de sanctions le mieux adapté.
Le sénateur Woo : Si on associe explicitement une personne à un pays tiers, on peut supposer que certains pays tiers ne font habituellement pas l’objet de sanctions. Il s’avère simplement que l’individu s’y trouve. Ce type d’inscription pose-t-il des problèmes diplomatiques particuliers? Il s’agit essentiellement de cibler une personne qui est un ressortissant ou un résident d’un pays qui ne ferait normalement pas l’objet de sanctions et qui pourrait respecter les règles pour le reste.
Mme Langlois : Merci beaucoup. Comme vous le savez, il y a déjà des personnes qui sont inscrites aux listes de pays tiers, par exemple, et on en discute alors avec les autorités des pays en question. Il y a toujours beaucoup de collaboration sur le plan diplomatique entre les pays.
En ce qui concerne la situation que vous décrivez, il y a beaucoup de collaboration et beaucoup d’engagements de divers pays partageant les mêmes vues que nous sur l’importance de s’attaquer aux tactiques d’évitement ou de contournement des sanctions. Je suppose que cela fera partie des discussions qui auront lieu le cas échéant.
La décision d’inscrire une personne ou une entité à la liste se fonde sur les critères prévus par la loi. Elle doit avoir participé à une grave atteinte à la paix et à la sécurité internationales, à des violations des droits de la personne ou à des actes de corruption graves. On exposerait donc clairement pour quelle raison la personne serait inscrite à la liste, et ce serait pris en compte dans les discussions.
Le président : Merci beaucoup. Je vais utiliser ma prérogative de présidente pour poser une question à la fois à Mme Hunt et à Mme Langlois.
Nous avons entendu des témoignages intéressants dans le passé, nous avons également lu divers documents concernant l’évitement des sanctions, en particulier par des Russes ou des personnes russes. Un groupe de travail a été mis sur pied, le Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, et dans son rapport publié en mars dernier, on peut lire que si des dizaines de milliards de dollars font l’objet de sanctions ou de gel d’actifs, il y a encore beaucoup d’évitement qui se fait.
Lorsque les grands argentiers du monde se réunissent, en marge des réunions des institutions financières internationales ou dans d’autres contextes, est-il question d’accentuer les pressions exercées sur les pays qui servent de refuge à ces fonds?
Mme Hunt : Merci pour cette question. Elle est excellente, et je peux vous répondre par l’affirmative.
Le Canada est très actif au sein du Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes, et dans le cadre de ces conversations, nous discutons avec nos partenaires internationaux des moyens d’essayer de limiter l’évitement des sanctions à la fois au sein du système financier, mais aussi d’autres façons, comme par le contrôle des exportations et des autres méthodes utilisées pour échapper aux sanctions.
Pour vous donner une idée des outils utilisés, d’autres pays peuvent permettre à des exportations de passer par un pays tiers pour pouvoir entrer en Russie, par exemple. Cet engagement consiste donc entre autres à mettre tous les partenaires du Groupe de travail sur les élites, les mandataires et les oligarques russes à contribution pour dissuader ces autres pays de permettre ce genre de tactique pour éviter des sanctions.
Le président : Merci.
Madame Langlois, on vous a donné le mandat de constituer un bureau au sein d’Affaires mondiales Canada. Notre comité a reçu des témoignages en ce sens. Le domaine des sanctions n’est pas vraiment nouveau, mais l’intensité de l’activité, au cours des dernières années, a vraiment augmenté, et tout le monde est en train d’élaborer de nouvelles méthodes et de former son personnel.
Faites-vous de même? Êtes-vous en discussions avec d’autres pays qui mettent en place leurs propres structures — que ce soit un groupe de travail ou un bureau — et font leurs propres expériences? Je pense en particulier au G7 et à d’autres proches partenaires comme l’Australie, par exemple.
Mme Langlois : Merci beaucoup pour la question. Oui, c’est aussi une très bonne question. Comme vous le savez, il y a beaucoup de discussions et de collaboration à l’échelle internationale sur la question des sanctions de manière générale. Cette collaboration englobe aussi les structures administratives qui sont mises en place pour gérer les pressions qui s’exercent et les questions qui surgissent à l’échelle internationale. Dans ce contexte, oui, nous discutons avec d’autres pays sur le processus qui les a menés à choisir leur structure administrative ou sur la manière selon laquelle ils ont choisi de fonctionner. Nous examinons les pratiques exemplaires, bien sûr, et tout cela est une source d’inspiration pour nous quant aux moyens à prendre pour établir un bureau qui sera aussi adapté que possible aux objectifs et pour tirer le maximum de nos ressources.
Le président : Je présume que la formation est une priorité, car les agents du commerce extérieur n’ont pas trop eu affaire à ce sujet. Est-ce juste?
Mme Langlois : En effet. Il s’agit d’un processus réglementaire. Il y a beaucoup de ressources offertes aux personnes chargées de la réglementation à l’échelle pangouvernementale, dont nous profitons, bien sûr, et nous poursuivons les discussions, comme je l’ai mentionné, avec nos partenaires aux vues similaires sur leur manière de fonctionner. Cela n’est pas de la formation à proprement parler, mais il s’agit d’une très bonne expérience d’apprentissage et d’une occasion en or d’échanger.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Duncan : J’ai deux questions. La première s’adresse sans doute à Mme Bennett. Il a été question de collaboration entre les provinces et territoires et les sociétés. Je me demande si l’on n’est pas en train d’agir trop tard. La question est peut-être difficile. Je parle de la coopération interprovinciale. Quand les provinces sont en mesure d’échanger des renseignements et d’en tirer des conclusions, une fois la structure établie et en marche, il est peut-être déjà trop tard.
Patricia Bennett, gestionnaire, Politiques stratégiques et révisions, Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada : À mon avis, il faudra certainement suivre la mise en œuvre du registre et voir quels seront les renseignements que nous serons en mesure d’en tirer lorsqu’il sera en place. Au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, nous avons déjà des liens exhaustifs avec les organismes d’application de la loi et les organismes réglementaires des provinces. Nous travaillons sur cet enjeu constamment, même avant la création du registre de propriété effective.
La sénatrice Duncan : Merci. C’est ce que j’espérais entendre.
Mon autre question concerne la disposition 58.1(2). L’abrogation de cet article a-t-elle des répercussions sur le respect de la confidentialité? À titre de rappel, la disposition prévoit que le Centre « ne peut communiquer, au titre du paragraphe (1) [...] » — c’est-à-dire, dans une communication du CANAFE au ministre — « des renseignements qui permettraient d’identifier, même indirectement, une personne ou entité [...] » Cet article est abrogé. Cela permettra-t-il au ministre de recevoir de l’information, même indirectement? L’abrogation a-t-elle des répercussions sur la confidentialité?
Mme Davidson : Puis-je vous demander de nous indiquer l’article que vous citez?
La sénatrice Duncan : Il s’agit du 58.1(2).
Mme Davidson : Est-ce là le numéro de l’article?
La sénatrice Duncan : En fait, je serais satisfaite si vous répondiez par écrit, si cela est préférable. Cela vous donnera plus de temps et si vous avez besoin de précisions, je vous les donnerai.
Le président : Nous devons avancer assez rapidement sur la question, car cela concerne la loi d’exécution du budget — vous l’avez? Excellent.
Mme Davidson : Je veux confirmer que vous parlez de l’article 197. Cet article élimine la restriction relative à l’identification d’entités étrangères dans les renseignements qui sont communiqués.
Les personnes ou entités étrangères ne disposent pas des mêmes mesures de protection au Canada que les personnes et entités canadiennes. Voilà un élément de réponse.
De plus, pour l’ensemble de ces modifications, nous avons minutieusement consulté le ministère de la Justice au sujet des répercussions relatives à la Charte des droits et libertés et à la confidentialité.
Le président : Merci.
[Français]
La sénatrice Gerba : On sait que le partage d’informations est vraiment la clé du succès du projet de loi C-47. Comment envisagez-vous le partage d’informations avec les régimes de sanctions de nos alliés? Avez-vous prévu une façon de faire qui permettrait vraiment de mieux partager l’information?
Mme Langlois : Merci pour la question.
Il y a beaucoup de discussions en cours entre le Canada et les pays alliés au sujet de la situation actuelle, mais aussi de différentes situations. Je pense à l’Iran ou à Haïti, ou à d’autres situations. Il y a une collaboration sur le plan des sanctions, mais les régimes de chaque pays sont un peu différents.
Le partage d’information se fait de façon plus générale, plus concentrée sur les intérêts et sur les objectifs à atteindre, parce qu’on a des objectifs semblables même si nos régimes sont différents. Ces discussions continuent et on constate souvent, aussi, que lorsqu’il y a des annonces, on essaie de collaborer pour maximiser l’impact de nos sanctions et avoir plus d’effet afin d’essayer d’inciter à un changement de comportements ou à un respect des lois et des normes internationales.
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
Le président : D’autres sénateurs souhaitent-ils poser des questions? Il nous reste du temps.
[Français]
La sénatrice Gerba : Je sais que vous avez dit que le profilage ne faisait pas partie de ce projet, mais j’aimerais savoir quand même s’il y a des dispositions qui sont prises pour que les immigrants, de manière générale — et ils sont nombreux au pays puisque le Canada est un pays d’immigration —, qui sont exportateurs, qui sont dans les affaires, certains dont la famille est restée dans leur pays ne soient pas visés par ce projet de loi.
[Traduction]
Mme Hunt : Merci pour la question. Comme je l’ai déjà précisé, le régime n’a pas pour principe de permettre que l’on cible des communautés. De nombreux Canadiens ont des liens avec des communautés partout dans le monde, et ces liens seuls n’indiquent pas qu’il y a des risques de financement d’activités terroristes et de recyclage des produits de la criminalité. Ce principe très important est respecté dans l’ensemble du régime. Nos évaluations de risques et nos autres documents, à l’échelle nationale, tiennent tous compte de cet aspect. Nous enjoignons à nos entités déclarantes et nos partenaires au sein des gouvernements fédéral et provinciaux d’examiner tout cas éventuel sur une base individuelle pour s’assurer de ne pas créer un motif de discrimination dans l’ensemble du régime.
Aucune des mesures proposées ne cible ce type de critères. Elles suivent des méthodes plus larges pour améliorer le partage de renseignements afin d’être en mesure de tenir compte des facteurs individuels.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Woo : Votre intervention m’a fait penser à la situation d’une personne qui est réputée par un autre pays avoir reçu les produits de sa fortune de manière illégale, par la corruption ou autre, et qui vit possiblement aujourd’hui au Canada. Or, le Canada n’accepte pas nécessairement cette évaluation menée par un gouvernement étranger légitime. Que se passe-t-il dans une telle situation? Ce n’est pas un cas hypothétique, soit dit en passant. S’il n’y a pas de réponse, aucun problème.
Mme Hunt : Je crois que nous devrons vous répondre plus tard. Il vaudrait mieux que nous consultions nos collègues. Les principes et la politique du régime ne tiennent pas compte de ce type de considérations. Il faudrait examiner le cas particulier de cette personne.
Mme Bennett : Si l’on examinait la situation du point de vue opérationnel, il est certain que la coopération internationale est essentielle à l’efficacité des activités. Nous avons des liens avec nos homologues étrangers partout dans le monde. Ils sont en mesure de nous renseigner sur les doutes qui planent sur certaines personnes dans leur pays. Ces renseignements nourrissent nos analyses, et nous constituons des réseaux afin d’évaluer si l’on atteint le seuil du CANAFE pour communiquer ces renseignements aux services policiers. Nous en tiendrions certainement compte, mais les renseignements ne mèneraient pas nécessairement à un signalement aux services policiers. Cela dépendrait de l’analyse complète des renseignements.
Le sénateur Woo : Si un gouvernement étranger prétend ou communique des renseignements indiquant qu’une personne au pays a obtenu des fonds illégalement à l’extérieur du pays, en toute impunité, ces renseignements vous sont communiqués? Vous n’intervenez pas nécessairement, à moins que tous les critères et la réglementation soient respectés? Oui? Merci.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons donné un avant‑goût du rapport que publiera notre comité — bientôt, espérons‑le — et qui contiendra certaines recommandations sur les deux projets de loi. S’il n’y a plus de questions, chers collègues, j’aimerais que nous passions à huis clos, après le départ de nos témoins, pour un court instant seulement.
Je transmets les remerciements de notre comité à nos témoins pour leurs réponses franches sur un sujet très complexe. Nous vous sommes reconnaissants pour votre présence parmi nous et pour le travail que vous accomplissez comme fonctionnaires au service des Canadiens. Merci beaucoup.
Nous suspendrons brièvement la séance, puis reprendrons.
(La séance se poursuit à huis clos.)