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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 4 octobre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Je m’appelle Peter Boehm. Je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Comme d’habitude, avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter.

Le sénateur Housakos : Sénateur Leo Housakos, du Québec.

La sénatrice Gerba : Sénatrice Amina Gerba, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Je suis le sénateur Mohamed-Iqbal Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice White : Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.

Le président : J’aimerais préciser qu’en plus de nos membres habituels, nous sommes ravis d’accueillir aujourd’hui la sénatrice Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Je souhaite la bienvenue aux témoins, à vous tous et aux gens de partout au Canada qui nous regardent présentement. Je signale également avant de commencer que notre greffière, Chantal Cardinal, ne peut pas se joindre à nous aujourd’hui. C’est donc Sébastien Payet qui va nous donner un coup de main.

Dans le cadre de notre plan de recevoir des mises à jour périodiques sur ce sujet important, nous nous réunissons aujourd’hui pour discuter de la situation en Ukraine. Il s’agit de la 10e réunion du comité depuis que nous avons commencé à examiner la question en mars 2022. Pour ce faire, nous sommes ravis d’accueillir trois témoins d’Affaires mondiales Canada : Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Europe, Arctique, Moyen-Orient et Maghreb; Alison Grant, directrice générale, Politique de sécurité internationale; Kati Csaba, directrice exécutive, Direction générale de l’Ukraine.

Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui.

Avant d’entendre l’exposé des témoins et de passer aux questions et réponses, je demanderais aux sénateurs et aux témoins dans la salle d’éviter de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette le cas échéant. Cela permettra de prévenir les effets Larsen qui pourraient blesser le personnel du comité et les interprètes qui portent des écouteurs.

Nous sommes maintenant prêts à entendre votre exposé liminaire, qui sera suivi de questions et de réponses. Les sénateurs Stephen Greene et Michael L. MacDonald, de la Nouvelle-Écosse, viennent d’arriver et se joignent à nous.

Tous les sénateurs du comité sont présents. Monsieur Lévêque, vous avez la parole.

Alexandre Lévêque, sous-ministre adjoint, Europe, Arctique, Moyen-Orient et Maghreb, Affaires mondiales Canada : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie beaucoup de nous avoir invités à témoigner devant vous aujourd’hui pour discuter du soutien que le Canada apporte à l’Ukraine. C’est un plaisir de vous retrouver.

Mes collègues et moi vous sommes reconnaissants d’avoir l’occasion de vous donner une mise à jour sur la situation sur le terrain et de vous présenter ce qui nous attend dans les mois à venir et au-delà. Je vais commencer par un énoncé assez cru. L’hiver s’en vient, et nous nous attendons à ce que la guerre continue de faire des ravages sur l’infrastructure et sur la santé mentale et physique de la population en Ukraine.

L’hiver dernier, la Russie a attaqué les centrales énergétiques et les transformateurs en Ukraine, laissant temporairement des millions de gens sans électricité. Pas plus tard que la semaine dernière, des journalistes ont souligné que les Russes avaient bombardé une centrale de chauffage et d’électricité dans le Sud de l’Ukraine. Nous nous attendons à ce que la Russie continue de cibler l’infrastructure civile et de compromettre la sécurité énergétique. L’Ukraine a fait de grands progrès dans la réparation des dommages que la Russie a infligés à son secteur énergétique, mais il est clair qu’elle aura besoin du soutien continu de la communauté internationale pour accroître sa résilience avant l’hiver.

Il est essentiel de maintenir les efforts canadiens et internationaux à ce moment-ci, car la Russie continue de miser sur la fatigue des alliés et des partenaires de l’Ukraine. Les Russes pensent que le soutien militaire, financier et politique à l’Ukraine va faiblir. C’est pourquoi, au Canada, nous nous concentrons non seulement sur les besoins immédiats, mais aussi sur le soutien pluriannuel.

[Français]

Le 22 septembre, nous avons accueilli le président de l’Ukraine, Volodimir Zelenski, et la première dame de l’Ukraine, Olena Zelenska, à Ottawa et à Toronto. Cette visite a été l’occasion de montrer les relations fortes que le Canada et l’Ukraine ont établies au fil des ans, ainsi que le soutien indéfectible du Canada envers l’Ukraine, qui continue de se défendre.

Au cours de la visite, le premier ministre a annoncé de nouvelles mesures d’aide, ce qui porte le total des engagements du Canada à plus de 9,5 milliards de dollars depuis le début de l’année 2022.

Les initiatives annoncées visent à renforcer la résilience de l’Ukraine dans des domaines essentiels, notamment la sécurité, les moyens de subsistance, la démocratie et la résilience sociale, et comprennent 650 millions de dollars sur trois ans pour des véhicules blindés produits au Canada afin de contribuer à la sécurité à long terme de l’Ukraine.

Afin de maintenir la pression sur le régime russe et sur les responsables de sa guerre d’agression, le premier ministre a également annoncé de nouvelles sanctions visant 63 personnes et entités russes complices du transfert et de la garde illégale d’enfants ukrainiens, des producteurs et diffuseurs de désinformation et de propagande et des intervenants dans le secteur nucléaire russe.

Le Canada et l’Ukraine ont convenu de collaborer avec des partenaires internationaux en vue de mettre sur pied un groupe de travail composé de personnalités éminentes qui aurait pour mandat de formuler des conseils à l’intention des décideurs concernant la saisie et la confiscation des avoirs russes, y compris ceux de la Banque centrale russe.

Ces résultats montrent clairement que le Canada ne succombera pas à la « fatigue ». Afin de renforcer une solide unité parmi les alliés et les donateurs, le Canada se concentre davantage sur le soutien à long terme et, notamment, sur l’amélioration d’une approche coordonnée du redressement et de la reconstruction.

[Traduction]

Le principal centre de coordination du soutien à un plan préparé et mené par l’Ukraine pour son redressement et sa reconstruction, c’est la plateforme de coordination des donateurs d’organisations multiples du Groupe des Sept. À sa dernière réunion, le 26 septembre, de réels progrès ont été accomplis pour renforcer la coordination entre les donateurs. Le Canada et les autres donateurs ont accompli trois choses. Les donateurs se sont engagés à harmoniser leur soutien au plan national de redressement et de reconstruction de l’Ukraine et à harmoniser leurs réformes et leurs conditions, y compris la hiérarchisation des priorités et les échéances. Le G7 a également examiné les priorités de l’Ukraine et ses besoins financiers pour assurer son redressement en 2023 et au-delà.

Les donateurs ont convenu que pour favoriser une reconstruction et un redressement inclusifs, il faudra accroître la coordination à tous les niveaux et mettre à contribution la société civile et le secteur privé. Les représentants du Canada et d’autres pays ont reconnu qu’il serait avantageux d’élargir la plateforme pour y inclure les donateurs non membres du G7 qui contribuent de façon importante à la reconstruction.

Il reste beaucoup à faire, et les besoins sont immenses, mais les discussions ont été franches et axées sur l’action. La coordination s’améliore, et les alliés de l’Ukraine sont résolus dans leur soutien au redressement.

[Français]

En conclusion, le Canada restera aux côtés de l’Ukraine face à la guerre d’agression injustifiée menée par la Russie. Nous ne relâcherons pas.

Le Canada est aux côtés de l’Ukraine et des Ukrainiens, qui se battent avec un courage extraordinaire pour leur pays, leurs communautés, leurs familles et leur liberté.

Je vous remercie de votre attention. Je serai heureux de répondre à vos questions en compagnie de mes collègues.

Le président : Merci, monsieur Lévêque. Chers collègues, j’aimerais préciser aux sénateurs que chacun dispose d’un maximum de quatre minutes pour la première ronde, y compris les questions et les réponses. Je demanderais donc aux sénateurs et aux témoins d’être concis, comme d’habitude. Nous pourrions alors tenir une troisième ronde de questions, si le temps le permet.

[Traduction]

Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie de votre présence ici aujourd’hui. Monsieur Lévêque, vous avez dit qu’il y a de plus en plus de scepticisme parmi nos alliés en réponse au soutien à l’Ukraine. Pensons au conflit récent sur les céréales entre la Pologne et l’Ukraine, à l’élection récente en Slovaquie, au chaos à la Chambre des représentants aux États-Unis et au basculement à droite de certains pays en Europe, comme l’Italie et la Suède. Dans quelle mesure ces facteurs pourraient-ils contrecarrer la coordination très étroite que nous avons à l’heure actuelle en soutien à l’Ukraine? Que pouvons-nous faire pour nous assurer que ce soutien ne vacille pas?

M. Lévêque : Je vous remercie, sénateur, et merci, monsieur le président. Vous avez bien raison de parler de ces signes, que nous surveillons et qui nous préoccupent. Cependant, je dirais que les gestes pèsent plus que les mots. Dans tous les groupes de travail dont nous faisons partie, nous constatons une détermination continue à aider sur tous les fronts, y compris sur les fronts militaire et humanitaire, à la reconstruction et au redressement à long terme. Les exemples que vous avez cités sont bien sûr très récents. Concernant la Pologne, nous avons vu depuis le blocage des céréales que ce pays a reculé. Des annonces fortes ont été faites, mais encore là, elles ont été infirmées quelques jours plus tard. En Slovaquie, l’élection a eu lieu cette fin de semaine seulement. Nous verrons si les engagements pris durant la campagne électorale se réalisent. Ce qui se produira avec cet allié de l’OTAN pourrait être bien différent. Pour ce qui est des États-Unis, nous avons déjà reçu de nombreux appels de nos partenaires américains, qui nous disent de ne pas nous en faire et que le pays est engagé dans une perspective à long terme.

Nous estimons que ces signes sont encourageants. Pour répondre à la dernière partie de votre question, je dirais que nous devons continuer de voir tout cela comme un projet à long terme, surtout pour ce qui est du redressement et des engagements pluriannuels, qui sont bien plus difficiles à annuler.

Le sénateur Ravalia : Sur un autre sujet, on parle de temps en temps de membres clés de l’équipe de M. Zelensky qui ont perdu leur poste. On craint qu’il y ait de la corruption. Surveillons-nous cet enjeu, et avons-nous de quoi nous inquiéter?

M. Lévêque : Nous surveillons cet enjeu sans l’ombre d’un doute, et ce n’est rien de nouveau. Il y a de la corruption en Ukraine depuis son indépendance. Nos programmes de développement et de soutien à l’Ukraine étaient fortement axés sur l’aide aux institutions avant la guerre, pour qu’elles deviennent solides, imputables et transparentes. Honnêtement, je préfère voir des scandales émerger, des gens être congédiés et des mesures correctives être apportées, plutôt que de ne jamais être mis au courant, alors que l’on sait qu’il y a de la corruption de toute façon. D’une certaine manière, cela démontre l’efficacité des institutions anticorruption en Ukraine. Cela témoigne de fondations plus solides qu’avant et montre que le pays et le gouvernement sont vraiment déterminés à lutter contre la corruption.

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie.

Le sénateur Housakos : Monsieur Lévêque, je vous remercie de votre comparution devant notre comité. Vous avez confirmé ce que les experts nous disent depuis longtemps : il ne semble pas y avoir de fin prévisible à ce conflit. Nous voyons à quel point les Russes sont déterminés à mener leurs opérations en Ukraine.

Notre gouvernement et nos alliés occidentaux utilisent trois outils. La diplomatie ne fonctionne pas. Les sanctions ont une incidence limitée. Et bien sûr, nous avons fourni une aide financière. Je pense que les Canadiens et tous les partis politiques restent solidaires avec l’Ukraine, car ce pays est clairement du bon côté de l’histoire. Mais comme vous le savez, ce n’est pas une raison suffisante pour prétendre que l’Ukraine sera victorieuse.

Les gens d’Affaires mondiales Canada ont-ils proposé au gouvernement — ou peut-être pouvez-vous proposer au Parlement — d’autres tactiques ou d’autres outils que nous pourrions employer, mis à part les sanctions économiques et l’aide financière? Comme vous le savez, l’aide financière ne peut pas se poursuivre indéfiniment; toute bonne chose a une fin.

M. Lévêque : Je vous remercie, monsieur le sénateur, et merci, monsieur le président. Vous avez parlé des trois principaux leviers à notre disposition. Je ne pense pas qu’il y ait de solution magique dans notre trousse d’outils. Toutefois, je dirai deux choses. D’abord, il y aurait moyen de mettre encore davantage ces trois outils à profit, mais surtout, nous devons non seulement maintenir l’unité entre les alliés et les pays amis, mais nous devons en faire plus. Nous devrions peut-être nous fixer comme priorité secondaire en matière de diplomatie de travailler bien davantage avec les pays du Sud, où les gens souffrent aussi du conflit. Ils n’en souffrent pas directement, car ils n’ont pas de frontières avec l’Ukraine ou la Russie, mais le conflit a des contrecoups économiques sur eux, surtout en matière de sécurité alimentaire et de prix des aliments.

Ce que nous faisons plus souvent dans le cadre de notre diplomatie, c’est d’élargir le cercle et de travailler avec les pays qui ont une influence régionale pour qu’ils deviennent des défenseurs de notre cause au lieu de tergiverser sans prendre parti. Nous voyons les représentants de divers pays changer de discours et, en coulisses, parler autrement de la Russie et d’autres alliés. Nous pourrions en faire un peu plus à ce chapitre.

Il faut aussi prévenir le contournement des sanctions le plus possible. Le Canada a jusqu’ici sanctionné plus de 2 600 personnes et entités à lui seul. Nous voyons certaines tendances se dessiner le long de certaines routes commerciales. Nous pouvons identifier les pays qui facilitent le contournement des sanctions. Nous pourrions aussi en faire plus à cet égard.

Concernant l’aide financière, vous avez raison. Nos moyens financiers ne sont pas infinis, mais nous devons maintenir la cadence avec les autres pays et nous assurer que l’unité ne se fracture pas.

La sénatrice Boniface : Je vous remercie beaucoup d’être ici. Je veux revenir à l’enjeu de la sécurité alimentaire et parler, en particulier, de l’Initiative céréalière de la mer Noire.

Y a-t-il des progrès vers le renouvellement de cette initiative? Que signifie-t-elle pour la sécurité alimentaire au Canada et ailleurs?

M. Lévêque : Merci, sénatrice. Pour répondre rapidement, je dirais qu’il n’y a pas de progrès importants en vue du renouvellement de l’Initiative céréalière de la mer Noire. Nous savons que la Turquie, qui a joué un rôle de premier plan dans la facilitation de l’accord la dernière fois, occupe une place importante dans les discussions. Nous savons aussi que quelques autres gouvernements y participent. Évidemment, nous n’y participons pas. Il semble que les demandes de la Russie soient tout simplement déraisonnables et que les alliés de l’Ukraine ne puissent y répondre.

Alors que l’hiver approche, les cultures risquent d’être gaspillées et nous cherchons tous désespérément d’autres voies pour les faire sortir du « grenier du monde », ce qui accentue les pressions. Pour revenir à ma réponse précédente, nous prévoyons que les pays qui vivent une plus grande insécurité alimentaire que nous — il n’est pas seulement question du prix des aliments, mais aussi de la sécurité alimentaire — intensifieront les pressions en ce sens. Tout cela fait partie du ballet diplomatique mondial, et des pressions accrues que nous devons imposer à la Russie.

Je ne représente pas le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada, alors je ne peux pas vous répondre avez une certitude absolue, mais nous ne croyons pas que la situation aura une incidence sur la sécurité alimentaire et le prix des aliments au Canada. Il s’agit toutefois de marchés mondiaux, donc les fluctuations auront des répercussions à l’échelle internationale.

La sénatrice Boniface : Pour faire suite à la question de la sénatrice Ravalia au sujet de la corruption, j’aimerais savoir s’il y a en place un mécanisme pour suivre le mouvement des groupes du crime organisé alors que la guerre se poursuit. Le marché regorge de possibilités, comme vous le savez.

M. Lévêque : Vous parlez de l’Ukraine? Premièrement, nous nous centrons sur les partenariats avec l’Ukraine et sur le renforcement de la capacité du gouvernement ukrainien, en collaboration avec d’autres alliés.

La corruption n’est habituellement pas associée au crime organisé. Elle est plus sournoise que cela. Le crime organisé est probablement un peu plus facile à suivre que les représentants des gouvernements qui travaillent au sein du système. Nous nous centrons sur les partenariats avec les organisations. L’aide au développement et le renforcement de la capacité se font en collaboration avec les organisations qui ont fait leurs preuves et ont d’excellents antécédents. Nous avons recours à nos propres processus d’analyse et d’atténuation des risques avant de fournir des subventions aux organisations. Nous savons que les organisations comme l’ONU et le FMI — dans le cas des prêts souverains — ont en place d’excellentes pratiques de gestion et d’atténuation des risques.

La sénatrice Boniface : Merci.

La sénatrice M. Deacon : Nous remercions tous les témoins d’être avec nous aujourd’hui. Je remercie ma collègue, la sénatrice Boniface, pour sa question. Monsieur Lévêque, lorsque nous avons participé au Forum stratégique de Bled, en Slovénie, nous avons réalisé que le ton avait changé. Vous avez dit qu’il ne s’agissait que de discussions. Toutefois, en juillet, en août et au début de septembre, les discussions ont pris un autre tournant.

On parle beaucoup de l’adhésion de l’Ukraine à l’OTAN. Sa demande auprès de l’Union européenne a été accélérée depuis le début de la guerre. Aussi, en raison de l’article 5, on se demande si l’Ukraine pourra se joindre à l’OTAN alors que le pays est en guerre. Je me demande si l’adhésion à l’Union européenne peut être une possibilité réaliste. Quelle serait l’incidence, sur le plan logistique, de l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne, alors que le pays est en guerre contre la Russie?

M. Lévêque : C’est une question importante et complexe, sénatrice. Vous avez raison : certains de ces enjeux ont été abordés dans le cadre de la conférence sur la sécurité de Bled, en Slovénie. Je vais faire quelques observations au sujet de l’élargissement de l’Union européenne et de l’adhésion, puis je céderai la parole à ma collègue, Alison Grant, qui est spécialiste des questions de sécurité et de l’OTAN.

Premièrement, de façon générale, nous sommes témoins d’un changement dans la conception de l’élargissement de l’Union européenne. Nous en avons entendu parler dans le cadre du forum de Bled sur la sécurité également. Au cours de la dernière décennie, les discussions visaient plutôt la protection des frontières, la trop grande liberté de mouvement à l’intérieur de l’Union européenne, la protection des emplois, etc. On se préoccupait davantage des questions économiques que des questions sociales. On se préoccupe maintenant des pays qui ont la plus grande influence, et des sphères d’influence des candidats ou des membres de l’Union européenne. C’est le cas de l’Albanie et de la Macédoine du Nord. L’Ukraine fait partie de cette catégorie. Les leaders de l’Union européenne tiennent aujourd’hui davantage compte des considérations d’ordre géopolitiques lorsqu’ils prennent des décisions au sujet de l’adhésion.

Il faudra beaucoup de temps à l’Ukraine pour qu’elle devienne membre de l’Union européenne parce qu’elle devra répondre à plusieurs conditions, semblables à celles de l’OTAN, en matière de corruption, de transparence, de reddition de comptes et d’administration du système judiciaire. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais nous observons une certaine tendance et une transition.

Alison Grant, directrice générale, Politique de sécurité internationale, Affaires mondiales Canada : Merci beaucoup. Merci, sénatrice et monsieur le président. Lors du sommet de l’OTAN à Vilnius, il était évident que l’Ukraine s’était rapprochée de son objectif d’adhésion à l’OTAN. Après le sommet, le secrétaire général Stoltenberg a fait valoir que Kiev s’était rapprochée de l’OTAN.

Nous y avons pris des décisions importantes. Nous nous sommes entendus sur le libellé de la déclaration de Vilnius et avons établi clairement que l’adhésion à l’OTAN se ferait lorsque les alliés s’entendraient et que les conditions seraient respectées. Nous considérons que la formulation a été améliorée. Nous avons aussi pris trois mesures concrètes : nous avons premièrement retiré l’obligation pour l’Ukraine de présenter un plan d’action, ce qui est une bonne nouvelle pour le pays; nous avons aussi établi un nouvel organe politique de haut niveau, le Conseil OTAN-Ukraine, dont l’objectif est de renforcer les relations politiques entre l’OTAN et l’Ukraine; enfin, nous nous sommes entendus au sujet d’un ensemble de documents visant à améliorer l’interopérabilité entre l’Ukraine et l’OTAN, ce qui représente un pas important vers l’adhésion à l’alliance. On peut dire que l’Ukraine fait des progrès en vue d’accéder à l’OTAN.

Le président : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Lévêque. La majorité de la population mondiale vit dans des pays qui ont choisi d’observer une certaine neutralité face à l’invasion russe en Ukraine. On peut penser à l’Inde, à la Chine, au Brésil, au Nigeria et à l’Afrique du Sud. Il y a quelques semaines, le Canada a répondu « présent » pour aider l’Ukraine à proposer un plan de paix avec la Russie aux pays en développement qui ont défendu cette position de neutralité.

De quelle manière le Canada entend-il entreprendre ses efforts? Compte-t-il mettre ses efforts en pratique pour rallier ces pays qui sont, disons, neutres ou non alliés? C’est ma première question.

De plus, quelles sont les mesures concrètes qui ont déjà été prises en ce sens?

M. Lévêque : Merci, madame la sénatrice.

C’est une question complexe. Je vais peut-être toucher rapidement la question de la neutralité de certains pays et parler ensuite des propositions de plans de paix, parce qu’en effet, il y en a quelques-uns.

Sur le plan de la neutralité, je vous ramène à la toute première résolution des Nations unies, où la grande majorité des pays — 141 pays, je crois — s’étaient prononcés en position de dénonciation de la Russie. Donc, la neutralité, c’est un peu difficile à définir, parce qu’une majorité de pays ont dénoncé le geste, soit l’agression unilatérale de la Russie. Depuis, vous avez raison de dire que bien des pays ont adouci leur langage.

Par contre, au fur et à mesure qu’ils ont commencé à ressentir certaines des implications pour eux-mêmes — je parlais plus tôt de la sécurité alimentaire ou des prix des aliments —, on a vu que de plus en plus de pays se sont joints aux tables de concertation où un plan de paix est discuté. Le meilleur exemple de cela — et cela m’amène au deuxième élément de ma réponse —, c’est le plan de paix ou la formule de paix, comme on l’a appelée, qu’a mise de l’avant l’Ukraine, qui est une formule de paix en 10 points.

L’évolution de cette initiative intéresse un nombre croissant de pays, qui souhaitent y participer. La première réunion, qui avait eu lieu à Kiev, avait attiré un petit nombre de pays ne faisant pas partie du G7 et de l’Union européenne. La deuxième, qui a eu lieu à Djeddah, en Arabie saoudite au mois d’août, a attiré plus de 40 pays, dont certains qui se disent plus neutres dans le conflit. On voit encore une progression, ici.

En ce qui concerne les plans de paix qui sont mis de l’avant, je dirais qu’il faut évidemment respecter les souhaits du pays qui a été agressé et envahi. Le principe fondamental de l’Ukraine, que nous partageons absolument, est de respecter la Charte des Nations Unies, soit de respecter l’intégrité territoriale et la souveraineté des pays en question.

Quand un pays est envahi et que plusieurs parties de son territoire sont occupées par une puissance étrangère, c’est très difficile de dire qu’on gèle le tout et qu’on commence les négociations sur la base de l’occupation territoriale. Donc, les conditions ne sont pas encore présentes — et les deux parties le disent — pour entamer de réelles négociations de paix. Cependant, il y a un plan qui est en place et que nous soutenons, soit celui de l’Ukraine, auquel un nombre croissant de pays est en train d’adhérer.

La sénatrice Gerba : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Nous vous remercions une fois de plus de témoigner devant nous.

Plusieurs thèmes ont déjà été abordés aujourd’hui. J’aimerais vous poser d’autres questions au sujet du travail diplomatique du Canada auprès des pays qui n’ont pas pleinement adopté l’approche souhaitée.

Vous nous avez donné une réponse positive, que j’accepte évidemment, mais il y a aussi un côté négatif que j’aimerais aborder. Je parle ici de la déclaration du Groupe des Vingt — ou du G20 —, qui n’était pas à la hauteur de la déclaration précédente. J’aimerais que vous nous parliez des efforts que nous déployons en ce sens. Je présume que ces efforts sont coordonnés, du moins pour le G7, sinon de façon plus importante. Est-ce que l’on harmonise ou réharmonise l’aide au développement international afin de répondre aux besoins des pays qui ont des problèmes de sécurité alimentaire d’une manière qui correspond à leur position politique au sujet du conflit?

M. Lévêque : Merci, sénateur. Premièrement, on a dit et écrit beaucoup de choses au sujet de la déclaration du G20. Je crois que les divers présidents auront une approche différente en matière de négociations multilatérales. Le premier ministre a dit officiellement que le libellé n’était pas celui que nous aurions choisi, mais c’était celui pour lequel nous avons pu atteindre le consensus.

Toutefois, bien que la déclaration ne soit pas aussi sévère que celle faite à Bali l’année précédente, elle insiste tout de même sur la souffrance des gens et le besoin de mettre fin rapidement à la guerre. La déclaration a une connotation différente — l’approche n’était pas la même —, mais elle n’est pas complètement vide d’accusations contre la Russie.

Cela étant dit, pour répondre à votre question au sujet de l’aide au développement, nous avons tout d’abord veillé à ce qu’aucune des sanctions ou des mesures de restriction des exportations n’affecte la chaîne de production alimentaire. Nous avons éliminé complètement les droits d’importation et d’exportation des aliments. Nous nous sommes assurés de n’imposer aucune sanction sur les engrais, afin de veiller à ce que la Russie ne puisse pas invoquer les sanctions de l’Occident à titre de cause du problème.

En ce qui a trait à la fluidité de l’aide au développement, je crois qu’il est important de souligner que le Canada n’a détourné aucun financement pour aider l’Ukraine. Il s’agissait dans tous les cas de nouveaux fonds. Ce n’est pas le cas de tous les pays, mais la plupart des grands donateurs font partie de cette catégorie. Nous surveillons la situation relative à la sécurité alimentaire et nous aidons les pays les plus touchés, par l’entremise du Programme alimentaire mondial.

Le sénateur Woo : Bonjour. Nous avons récemment nommé une nouvelle ambassadrice en Ukraine. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur notre présence diplomatique en Ukraine et la nature du travail de notre équipe à Kiev?

M. Lévêque : Je vous remercie pour votre question, sénateur. Cette situation me rappelle celle où nous avions accru notre présence en Afghanistan. En tant que gestionnaires des relations dans ces pays, nous nous demandons toujours comment nous allons trouver des gens qui accepteront de se rendre dans ces zones de guerre. Je peux vous assurer que ce ne sont pas les volontaires qui manquent. Ils sont nombreux à vouloir une dose d’adrénaline et à vouloir changer les choses.

Natalka Cmoc, notre nouvelle ambassadrice, n’a pas perdu de temps. Elle est revenue au pays après quelques semaines, bien sûr, pour la visite du président Zelensky. Nous avons une grande équipe à Kiev, qui travaille dans tous les secteurs imaginables. Nous avons une équipe commerciale, une équipe de relations politiques qui travaille avec tous les ordres et segments du gouvernement et de la société civile et nous avons bien sûr une importante équipe de développement qui est responsable du déploiement de l’aide au développement et qui nous aide à trouver des partenaires en ce sens. Je dirais qu’il s’agit d’une ambassade de taille moyenne, qui n’a rien à envier à celles des autres pays dont la présence est similaire à la nôtre. Nous sommes aussi bien présents sur le terrain et très actifs dans tous les secteurs, et nous évaluons la situation à court, moyen et long terme. C’est particulièrement important pour déterminer les efforts de rétablissement et de reconstruction qui seront nécessaires à long terme. Nous ne savons pas quand, mais la guerre prendra fin un jour et il faut planifier la suite. Nous le faisons par l’entremise de diverses tribunes multilatérales. J’ai parlé de la plateforme de coordination des donateurs d’organisations multiples tout à l’heure; la coordination sur le terrain est tout à fait essentielle.

J’aimerais aborder un autre secteur d’activité unique et très important pour notre ambassade. Il s’agit de la formule de paix en 10 points élaborée par l’Ukraine. Ce sont 10 groupes de travail distincts, coprésidés par un haut fonctionnaire du gouvernement ukrainien et plusieurs pays donateurs. Cette formule est très exigeante en temps et en ressources et le Canada participe à tous ces groupes de travail. Il assure un rôle de premier plan au sein de certains d’entre eux.

Le sénateur MacDonald : J’aimerais revenir aux questions de la sénatrice M. Deacon au sujet de l’OTAN, de l’article 5 et du sommet des dirigeants en Lituanie.

Comme vous l’avez dit, on a adopté un communiqué pour permettre à l’OTAN d’inviter l’Ukraine à se joindre à l’alliance lorsque les conditions seraient réunies et que les alliés l’auraient décidé. Le président Zelensky, qui participait au sommet, a critiqué l’OTAN parce qu’elle n’avait pas établi d’échéance pour l’accession de l’Ukraine à l’alliance. Nous savons que le pays est notre partenaire et nous collaborons avec lui, mais comme il n’est pas visé par l’article 5, il n’est pas un partenaire à part entière.

Quel délai raisonnable et réaliste pourrait établir l’alliance de l’OTAN? Pourquoi ne le fait-elle pas? Quelles sont les conditions essentielles qui doivent être réunies pour que le pays soit membre à part entière?

M. Lévêque : Merci, sénateur. Si vous le permettez, je demanderais à Mme Grant de répondre à cette question.

Mme Grant : Nous vous remercions pour votre question, sénateur. C’était en effet une question brûlante surtout au cours de la période précédant le sommet de l’OTAN à Vilnius. Il est vrai que le message du président Zelensky sur Twitter avait attiré l’attention et qu’il y a eu des discussions actives sur le sujet, notamment lors du sommet. Il y a aussi eu d’importantes discussions privées pendant ce sommet. Je crois qu’au bout du compte, l’Ukraine était satisfaite de ce qui avait été proposé; elle a même réagi de façon positive en ce qui a trait à certaines questions que j’ai évoquées la dernière fois.

Pour ce qui est de l’échéance, il s’agit d’une question difficile. Il est difficile d’établir un délai pour un tel type d’accession. Il n’y avait pas d’échéance pour l’adhésion des autres pays membres de l’OTAN. Il faut respecter certaines conditions, mais il n’y a pas de liste de vérification en tant que telle. Il faut qu’il y ait des réformes démocratiques, des réformes militaires et une réforme des normes en matière d’interopérabilité. Il faut aussi qu’il y ait consensus parmi les membres quant à l’ajout d’un pays.

Je crois qu’il y a des risques associés à l’établissement d’un échéancier. Il y a des risques pour l’Ukraine et pour les alliés. Le délai pourrait être trop court ou trop long. Comme je l’ai dit plus tôt, la situation est sans précédent. Pour toutes ces raisons, il y a une certaine résistance face à l’idée d’une échéance.

Le sénateur MacDonald : Je suppose que le président Zelensky veut être membre à part entière. Est-ce que l’OTAN lui a fourni une liste des conditions qui doivent être respectées et une date limite à laquelle il doit le faire?

Mme Grant : Merci, sénateur. Oui, il y a un dialogue important entre l’Ukraine et les alliés de l’OTAN — à titre d’organisation — au sujet des normes qui doivent être respectées et du travail à faire d’ici là. Nous collaborons de diverses façons avec l’Ukraine en ce sens. Nous avons ce qu’on appelle le programme national annuel de l’Ukraine, qui représente un ensemble de normes à court et à long terme ou une sorte d’engagement de l’Ukraine à l’égard de l’OTAN au sujet des réformes. Les discussions sont en cours. Nous y faisons référence dans la déclaration de Vilnius et nous considérons qu’il s’agit d’un programme modifié, puisque l’Ukraine a déjà réalisé d’importants progrès. C’est toujours en cours.

Sur le plan politique, nous avons établi le Conseil OTAN‑Ukraine. Nous avons tenu la première réunion des premiers ministres il y a quelques jours. Nous pouvons ainsi discuter avec les représentants de l’Ukraine non seulement de la crise, mais aussi des capacités du pays et de ce que l’alliance peut lui donner, de même que des normes militaires de haut niveau. Nous avons divers mécanismes et voies de communication avec l’Ukraine.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le sénateur Richards : Je vous remercie. Cette question porte sur un terrible faux pas que nous avons commis il y a quelques semaines dans l’autre enceinte. A-t-on une idée de l’ampleur des dégâts qui ont été causés, non seulement dans les relations entre le Canada et l’Ukraine, mais aussi dans ce qui est peut-être le mouvement anti-guerre au sein de la Russie? Vladimir Poutine s’en sert comme d’une véritable réussite. Je me demande à quel point c’est désastreux. Il y avait un mouvement anti-guerre assez important en Russie. Il doit être atténué par cette chose flagrante qui s’est produite à l’autre bout du monde.

M. Lévêque : Merci de la question, sénateur. Premièrement, la machine de désinformation russe s’est emparée de l’affaire pour jeter de l’huile sur le feu. Cependant, les partenaires sérieux, y compris ceux qui font partie du mouvement anti‑guerre, ont rapidement vu — quand ils se sont appuyés sur des renseignements fiables — qu’il s’agissait d’une erreur. C’était une erreur monumentale; vous avez raison. Mais c’était une erreur. Le gouvernement a présenté ses excuses et le Président de la Chambre s’est excusé et a démissionné, ce qui a permis à tout le monde de conclure qu’il ne s’agissait que d’une erreur, aussi grave soit-elle.

On me demande souvent si cela a eu une incidence sur nos relations avec l’Ukraine. Ce n’est pas le cas. Il est entendu qu’il s’agit d’une regrettable erreur. Il en va de même pour nos alliés et pour les personnes qui suivent des sources d’information fiables. Le fait de prendre conscience qu’il s’agissait d’un accident, d’une erreur, n’a pas fondamentalement changé la façon dont les gens perçoivent le conflit.

Le président : Je vous remercie. Je veux également remercier le sénateur Richards d’avoir parlé de l’éléphant dans la pièce car j’allais poser la question. Je crains qu’il y ait encore des retombées du côté russe. Bien sûr, cela alimente les campagnes de désinformation qu’il faut contrecarrer.

J’allais également poser une question — et nous avons abordé ce sujet à plusieurs reprises — sur la centrale nucléaire de Zaporijjia qui est, bien sûr, l’une des plus grandes au monde. Des préoccupations persistent quant à sa sécurité et à sa gestion car elle est contrôlée par les Russes. Y a-t-il de nouveaux renseignements dont vous pourriez nous faire part sur les inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique, ou l’AIEA, ou sur le niveau de risque que nous voyons — qui augmentera de plus en plus si la Russie devient un peu plus désespérée dans l’effort de guerre et si les alliés de notre gouvernement s’inquiètent à ce sujet?

M. Lévêque : Merci, monsieur le président. Je vais demander à Mme Grant d’aborder la partie technique de votre question et je parlerai de quelques-unes des annonces qui ont été faites lors de la visite du président Zelensky.

Mme Grant : Pour ce qui est de la situation à la centrale nucléaire de Zaporijjia, le rapport de septembre de l’AIEA du directeur général Grossi a qualifié la situation de difficile et précaire. Il a signalé que le personnel à la centrale nucléaire continuait de travailler dans des conditions difficiles. Il a dit qu’il y a régulièrement des détonations et des tirs à proximité de la centrale, ainsi qu’une présence militaire continue sur le site, ce que vous avez déjà mentionné. En outre, il a dit que bien que les experts de l’AIEA aient accès à certaines zones, ils ont besoin d’un accès beaucoup plus libre et rapide aux différentes parties de la centrale.

L’un des rapports précédents de l’AIEA a fait également état qu’on n’avait pas observé d’attaques en provenance de la centrale ou ciblant la centrale et qu’il n’y a pas eu d’impact sur les six réacteurs ou sur les installations de stockage des combustibles ou de déchets radioactifs.

En ce qui concerne la surveillance de l’AIEA, des rotations régulières d’experts de l’AIEA ont eu lieu dans la centrale. Cela s’est fait avec le soutien direct du gouvernement canadien. Nous avons soutenu les activités de l’AIEA en Ukraine, à hauteur de 2 millions de dollars à ce jour, non seulement à Zaporijjia, mais aussi autour de la centrale de Tchernobyl.

M. Lévêque : Mme Grant vient d’en parler. Je tenais à souligner qu’il s’agit d’une reconnaissance du sérieux avec lequel le Canada évalue les questions nucléaires en Ukraine.

Une partie des annonces qui ont été faites dans le cadre de la visite du président Zelensky consistait à annoncer un peu plus de 4 millions de dollars pour renforcer les mesures de sécurité nucléaire dans les zones d’exclusion de Tchernobyl et, une fois encore, à marquer clairement notre désaccord et notre mécontentement à l’égard des autorités russes et des personnes qui travaillent à assurer la sécurité autour des centrales nucléaires. L’un des trois trains de sanctions annoncés dans le cadre de la visite de M. Zelensky visait les acteurs du secteur nucléaire en Russie.

Le président : Puis-je poser une brève question complémentaire, car cela me rappelle mon passé lointain où je travaillais à la question du Fonds pour le sarcophage de Tchernobyl par l’entremise du G7 : ce fonds existe-t-il toujours et la BERD, la Banque européenne pour la reconstruction et le développement, l’appuie-t-il toujours?

M. Lévêque : Je sais exactement de quoi vous parlez et je me rappelle les sommets du G7, que nous prolongions.

Kati Csaba, directrice exécutive, Direction générale de l’Ukraine, Affaires mondiales Canada : Je crois comprendre que le fonds est terminé car les travaux sur le sarcophage ont été achevés.

Le sénateur Housakos : Affaires mondiales et le gouvernement ont-ils envisagé d’étendre nos sanctions aux pays tiers — les nations qui ont tacitement, ou même plus ouvertement, trouvé des moyens de soutenir la Russie, et les nombreux pays qui était trop heureux de supplanter le Canada, les États-Unis et d’autres pays qui ont mis en œuvre des sanctions économiques contre la Russie? Avons-nous dressé une liste de ces pays et avons-nous envisagé de les sanctionner?

M. Lévêque : Merci, sénateur. C’est une excellente question. Vous vous souviendrez que j’ai dit, dans mes comparutions précédentes, que j’ai déjà participé activement à l’imposition de sanctions, alors je suis toujours ravi de discuter des sanctions.

Nous sommes limités au cadre législatif lorsqu’il est question de sanctions. La façon dont il est structuré ne nous permet pas actuellement d’imposer des sanctions à l’encontre de tiers. Quand un train de sanctions réglementaires est créé, c’est pour un pays, et ce sont les habitants et les entités de ce pays qui peuvent être visés par les règlements.

Cela dit, nous surveillons ce que vous signalez avec raison, à savoir l’évasion des sanctions. J’ai mentionné plus tôt que nous pouvons détecter certaines voies commerciales et certaines anomalies commerciales.

Par exemple, si une marchandise à double usage est interdite dans le cadre de nos sanctions et que, tout à coup, nous constatons que le montant exact — ou presque — qui a été réduit en échanges commerciaux avec la Russie, nous constatons un gain équivalent dans les Émirats arabes unis ou en Turquie ou dans un certain nombre d’autres pays, cela nous met la puce à l’oreille.

Lorsque nous comparons les données avec celles d’autres pays qui ont peut-être des volumes plus importants de marchandises à double usage, mais qui sont confrontés aux mêmes obstacles, nous nous adressons collectivement aux autorités de ces pays pour les alerter sur ce que nous constatons. Ce peut être un oubli honnête et innocent de la part de ces gouvernements. Nous portons cela à leur attention afin de nous assurer qu’ils peuvent sévir contre ce qui équivaut à un contournement des sanctions. Nous n’avons pas de lois en place, mais certains pays en ont, comme les États-Unis.

Le sénateur Housakos : Bien entendu, le gouvernement peut facilement modifier les lois, et assez rapidement, surtout lorsqu’il a le contrôle de la Chambre des communes et le plein contrôle du Sénat. Ma question mérite au moins d’être posée : le gouvernement a-t-il pris en considération ces mesures en tant qu’outils possibles pour intensifier les pressions sur la Russie?

M. Lévêque : De toute évidence, je ne peux pas commenter ce que le gouvernement pourrait envisager de faire. Ce que je peux vous dire, c’est qu’à l’heure actuelle, il n’envisage pas de modifier les lois sur le régime de sanctions autonome.

Le sénateur Housakos : D’après votre opinion professionnelle et votre expérience, l’Ukraine risque-t-elle de devenir la Chypre des temps modernes pour le monde occidental? Dans 30 ans, continuerons-nous à déchirer nos chemises d’indignation dans les tribunes diplomatiques et aux Nations unies, à envoyer des lettres de condamnation, sans jamais réaliser de progrès?

Le président : Répondez en 30 secondes, je vous prie.

M. Lévêque : Je peux seulement répondre en étant optimiste, car je sais que, tout d’abord, nous essayons de tirer des leçons du passé et d’appliquer différentes techniques et des outils à différentes situations, et que nous continuons de détecter une unité sans précédent parmi les alliés et les pays amis pour apporter des changements dans une certaine direction historique.

[Français]

La sénatrice Gerba : Je vais revenir à l’accord de la mer Noire qui a été suspendu par la Russie. Cette entente a permis d’exporter plus de 33 millions de tonnes de céréales, notamment dans les pays en développement. Depuis lors, les navires ukrainiens essaient de braver l’accord en utilisant des voies très coûteuses pour essayer de s’en sortir.

À votre avis, est-ce que cet accord sera renouvelé un jour? Quels efforts le Canada fait-il en ce sens?

M. Lévêque : Je vous remercie de la question. C’est une grande préoccupation pour nous, particulièrement à l’approche de l’hiver, et étant donné les impacts terrifiants que cela peut avoir sur les civils. Évidemment, ce sont toujours les plus vulnérables qui en paient le prix. Je demeure relativement optimiste parce que je crois qu’il y aura de la pression à l’échelle mondiale, pas seulement de la part des alliés de l’Ukraine.

Il ne s’agit plus d’une question de prendre parti dans la guerre ici, mais d’une question humanitaire, et je vois un mouvement croissant de pressions provenant des pays du Sud, des pays de l’Afrique subsaharienne en particulier, qui souffrent énormément de cette privation de grains. Je crois que les pressions diplomatiques feront en sorte qu’ultimement, la Russie devra négocier une entente qui sera acceptable. On sait qu’il y a plusieurs pays qui ont l’oreille de la Russie — j’ai parlé de la Turquie un peu plus tôt — et qui sont très impliqués dans ces négociations.

Comme je l’ai mentionné, le Canada n’est pas à la table, on n’a pas d’influence directe là-dessus, mais s’il s’agit de divulguer, de diffuser des faits et des statistiques dans des forums multilatéraux, comme le G20 ou les Nations unies, c’est quelque chose qu’on peut faire et qu’on fait en compagnie de nos alliés.

La sénatrice Gerba : Je vous remercie pour la réponse. Je comprends qu’on ne peut pas faire grand-chose et on espère que la pression viendra des pays qui en souffrent. Quelle est la conséquence du départ du terroriste qui a été assassiné?

M. Lévêque : Faites-vous allusion à M. Prigojine, de la compagnie Wagner?

La sénatrice Gerba : Oui. Y a-t-il des répercussions, aujourd’hui en Ukraine, à la suite de son départ?

M. Lévêque : En gros, la conséquence va de minime à inexistante. La raison principale en est que les troupes de Wagner avaient déjà été grandement retirées de l’Ukraine avant la très courte mutinerie du mois de juin, qui s’est passée justement en raison d’une lutte intestine entre Prigojine et le ministère de la Défense russe. Donc, la grande majorité des troupes de Wagner s’était déjà retirée de l’Ukraine.

En ce qui concerne la différence de répercussions sur le terrain, non; son décès et la dissolution de Wagner n’auront probablement pas de répercussions immédiates sur le terrain.

La sénatrice Gerba : Pourtant, on a appris il y a quelques semaines que le groupe Wagner est retourné en Ukraine.

M. Lévêque : Ce n’est pas tant qu’il y est retourné, c’est qu’évidemment, il y a l’organisation Wagner, et il y a les soldats associés à l’organisation. Certains d’entre eux ont été réintégrés aux forces régulières russes, et certains font partie des forces d’élite. Donc, ce n’est pas impossible que certains individus qui autrefois ont été embauchés par Wagner demeurent sur le terrain, mais ils y sont en tant que force organisationnelle embauchée par le gouvernement russe pour poursuivre certaines opérations sur le terrain. C’est minime, maintenant.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Je voudrais approfondir un peu la question des pays du BRICS. BRICS+ inclut des invitations à l’Arabie saoudite, aux Émirats arabes unis, à l’Iran, à l’Argentine, à l’Égypte et à l’Éthiopie. Quatorze autres pays ont exprimé une volonté. Sommes-nous en train de voir une alliance qui a une certaine cohésion pour une relation avec la Russie qui pourrait créer une divergence dans notre communauté mondiale, une sorte de nous contre eux, une nouvelle guerre froide? Si l’on met de côté toutes les questions relatives à l’Ukraine et le sentiment général que nous avons que le Sud réagira à cette activité très flagrante de la Russie, d’après les conversations que j’ai avec des personnes que je connais bien dans le Sud, il semble qu’il s’agisse d’une indifférence relative, et non d’un « oui, nous devons faire quelque chose à ce sujet ».

M. Lévêque : Merci, sénateur, de la question. De toute évidence, nous avons suivi cette affaire avec beaucoup d’intérêt. Tout d’abord, je dirais qu’à première vue, le fait que des pays se réunissent pour parler de questions qu’ils ont en commun n’a rien de nouveau ni de très alarmant. Nous avons vu de tels regroupements dans le passé, qu’il s’agisse du Groupe de 77 ou du Mouvement des pays non alignés. Les regroupements se sont formés et ont disparu. Je pense qu’il y a un nombre légitime de problèmes que certains pays qui font partie de ce groupe élargi ont avec les institutions internationales qui, selon eux, n’ont pas répondu à leurs besoins, à leurs objectifs ou à leurs préoccupations. Certaines de ces organisations sont les institutions de Bretton Woods qui ont été définies ou conçues à une autre époque. Nous sommes en fait d’accord sur un certain nombre de problèmes auxquels ils sont confrontés avec ces institutions, et nous avons appelé à leur réforme afin qu’elles reflètent davantage les centres de pouvoir, les besoins économiques, les besoins humains, etc.

Cela dit, je n’ai toujours pas vu d’analyse qui me révèle pour quoi ce groupe se bat. Tout ce que nous savons, c’est ce contre quoi il se bat. Ce qui le regroupe vraiment reste une question en suspens, et je ne veux pas tout dénigrer ce que les membres de ce groupe pourraient essayer d’accomplir ensemble, mais je ne vois toujours pas clairement ce pour quoi ils se battent, et non pas ce contre quoi ils se battent.

Le sénateur Woo : Quel est le point de vue du Canada sur les élections qui se tiendront en Ukraine l’année prochaine? Discutons-nous avec les partis de l’opposition pour nous faire une idée de leur niveau de confort par rapport à la tenue d’une élection l’année prochaine, de la volonté qu’une élection ait lieu, etc.?

M. Lévêque : C’est une excellente question, merci, sénateur. Il revient, d’abord et avant tout, évidemment, à l’Ukraine de prendre une décision à ce sujet, et nous savons qu’en vertu de la loi martiale, qui a désormais été renouvelée, la tenue d’élections n’est pas possible.

Il est intéressant de lire les rapports d’experts sur les avantages et les inconvénients de tenir des élections en pleine guerre. De toute évidence, la démocratie ne se résume pas uniquement à aller voter. Quels sont les risques quand il y a un déplacement massif de populations, quand la grande majorité des hommes en bonne santé sont au front pour combattre la guerre, et quand énormément de désinformation est diffusée dans tout le pays? Il y a une incapacité d’avoir des débats appropriés sur des questions pertinentes en raison de la distraction — cela fait partie des principes démocratiques. La tenue d’élections pour le plaisir de tenir des élections est-elle la meilleure chose à faire? Les experts sont encore en train d’évaluer la question. En ce qui nous concerne, nous ferons ce que nous pourrons pour les soutenir. La première date pour les élections parlementaires était fixée à la fin du mois d’octobre; elles n’auront clairement pas lieu. Je pense que la date suivante pour l’élection présidentielle était prévue en mars. Nous verrons comment la situation évoluera d’ici là. Le gouvernement n’a pas pris position sur cette question en tant que telle. Nous voulons aider le gouvernement de l’Ukraine et le peuple ukrainien à prendre la meilleure décision pour ce qui serait un événement véritablement démocratique.

Mme Csaba : Nous travaillons actuellement avec l’un de nos partenaires en Ukraine, la Fondation internationale pour les systèmes électoraux, ou l’IFES, pour offrir du soutien technique afin que lorsque l’Ukraine sera prête à tenir des élections, elle soit en mesure de tenir des élections inclusives, libres et justes.

Le sénateur Woo : Nous ne soulèverions pas de problème si le gouvernement ukrainien actuel choisissait de ne pas tenir d’élections l’année prochaine, et nos alliés ne le feraient pas non plus. Ai-je raison?

M. Lévêque : Compte tenu des circonstances, ce serait une évaluation juste.

Le sénateur Woo : Merci.

Le président : J’ai une question pour Mme Csaba, car c’est en lien avec une étude que nous avons presque achevée ici à ce comité sur la pertinence d’Affaires mondiales Canada en tant que ministère. Vous aviez une direction qui est, à mon avis, assez intégrée. Vous avez, je suppose, des experts en sécurité, et vous avez des experts en développement également. Je ne veux pas poser cette question facile, mais cette structure fonctionne-t-elle bien pour vous? Nous avons également reçu à ce comité des témoins d’organisations partenaires qui cherchent évidemment à obtenir davantage de fonds pour les projets. Vous avez des travaux axés sur des projets, des travaux sont réalisés par l’entremise d’organisations multilatérales et une coordination existe avec les alliés et par l’entremise du G7.

Pourriez-vous nous expliquer comment votre direction fonctionne? Elle est opérationnelle depuis un certain temps déjà, et nous espérons qu’il y aura une période de caducité à l’avenir, mais comment voyez-vous son fonctionnement et son avenir?

Mme Csaba : Merci, monsieur le président, de cette question et je me ferai un plaisir de discuter du travail de notre direction.

Nous avons été créés non seulement pour diriger nos relations avec l’Ukraine, mais aussi pour coordonner les efforts de l’ensemble du gouvernement du Canada. Je pense que les équipes que nous avons mises en place aujourd’hui comprennent une équipe politique, qui se concentre sur nos relations bilatérales avec l’Ukraine et sur nos relations multilatérales pour soutenir l’Ukraine, ainsi qu’une équipe de développement qui gère notre aide au développement pour aider l’Ukraine.

Nous ne disposons pas à l’heure actuelle de ressources commerciales au sein de notre équipe, mais nous les avons dans la direction voisine et nous travaillons en étroite collaboration avec l’équipe de cette direction. Nous avons récemment fait l’objet d’une évaluation de la cohérence à notre direction, et nous pouvons certainement considérer la Direction générale de l’Ukraine comme étant une direction étroitement intégrée, où il y a beaucoup d’interaction entre le travail de développement et les relations plus générales avec l’Ukraine et avec d’autres partenaires en soutien à l’Ukraine. Nous travaillons donc tous, d’une certaine manière, pour atteindre les mêmes objectifs et les mêmes buts quant à la manière dont nous soutenons l’Ukraine.

En ce qui concerne la durée d’existence, c’est une question ouverte. Comme vous le savez, les besoins liés au rétablissement de l’Ukraine étaient estimés à plus de 400 milliards de dollars américains plus tôt cette année. Le besoin de soutien et d’assistance se fera sentir pendant des années, ce qui déterminera en partie la durée d’existence de notre direction et la forme de soutien que nous continuerons à apporter.

Le président : Merci. Gérez-vous également la sensibilisation de la communauté canado-ukrainienne?

Mme Csaba : Oui. Nous avons un membre de notre équipe qui est responsable d’assurer la liaison avec la communauté canado-ukrainienne, et nous tenons des réunions régulières avec eux.

Le président : Existe-t-il une coordination avec nos alliés les plus proches qui, dans certains cas, disposent de bureaux spéciaux similaires ou de groupes de travail?

Mme Csaba : Oui, il y en a une. Dans le cadre de la Plateforme multi-agences de coordination des donateurs que M. Lévêque a mentionnée plus tôt, c’est l’une des fonctions, à tout le moins au sein de la communauté du G7. Nous travaillons étroitement avec nos homologues. Nous avons des réunions préparatoires avec mes homologues d’autres pays où nous préparons les questions que nous voulons faire avancer, comment nous voulons soutenir l’Ukraine et les façons dont nous pouvons assurer la meilleure coordination possible, pour fournir ce soutien.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice M. Deacon : C’est un cadeau de vous avoir tous les trois ici ce soir. Je réfléchis tout en vous écoutant, au cas où il y aurait autre chose que nous voudrions savoir avant de terminer la séance et de sortir de la salle.

Nous avons parlé du soutien financier que le Canada apporte. Nous avons discuté d’autres types de soutien différents qui ont été offerts et qui continueront d’être offerts. Y a-t-il quoi que ce soit d’autre, tandis que nous tenons cette conversation aujourd’hui, que le Canada pourrait faire pour soutenir plus précisément l’économie ukrainienne ou ses infrastructures dans le cadre d’un conflit prolongé comme celui-ci? Je pense à l’équipement. Les Canadiens doivent-ils aider à la reconstruction ou à l’entretien du réseau énergétique ukrainien? Y a-t-il une avenue que nous n’avons pas encore explorée et qu’il serait judicieux d’envisager?

M. Lévêque : Merci, sénatrice. Quand le Conseil du Trésor a déjà dépensé 9,5 milliards de dollars pour soutenir un pays pendant un an et demi, il est difficile de penser à ce que nous avons fait. Pourtant, le conflit n’est pas terminé et il faut poursuivre le soutien. Au lieu de dire que nous pouvons faire plus de la même chose, il y a des moyens de le faire. À titre d’exemple — et j’inviterais mes collègues à s’exprimer également, puisqu’il s’agit d’une question ouverte —, je pense qu’il existe de nombreuses possibilités de faire participer le secteur privé, en particulier dans les efforts futurs de reconstruction. Nous avons déjà commencé à le faire. Des réunions mondiales ont été organisées pour inviter le secteur privé. Lorsque le premier ministre ukrainien, M. Chmyhal, s’est rendu à Toronto il y a quelques mois, c’était le thème principal de sa visite. Le président Zelensky a participé à une table ronde à Toronto il y a une dizaine de jours. C’est déjà le cas.

Collectivement, en tant que gouvernements, nous trouverons des façons d’atténuer les risques associés aux investissements du secteur privé. Les outils existent pour offrir des garanties souveraines, mais ils ne sont pas toujours là pour fournir une assurance en temps de guerre. C’est un domaine où je vois une occasion pour les gouvernements et le secteur privé de travailler plus profondément ensemble et de débloquer beaucoup de capitaux.

En ce qui concerne le partenariat trilatéral, nous devons penser à notre ensemble d’outils traditionnels, mais un ambassadeur européen d’un petit pays m’a récemment pressenti et a dit : « Nous fabriquons de l’équipement de déminage. Si vous êtes à court d’approvisionnements et que vous avez du financement à y consacrer, essayons de faire collaborer les deux pays. » Il s’agit d’un pays proche de l’Ukraine. Il existe une coopération trilatérale de ce type. Nous pouvons peut-être sortir un peu de nos zones de confort et explorer ce à quoi les partenariats peuvent ressembler. Voilà quelques réflexions.

Le dernier serait plus du côté diplomatique. Nous devons continuer le travail et redoubler d’efforts pour communiquer avec des partenaires non traditionnels afin de leur dire que plus le conflit perdure, plus les pays comme le Brésil, la Turquie, l’Arabie saoudite et l’Indonésie, les économies de taille moyenne en croissance, ou les puissances régionales, seront touchés par les effets secondaires et tertiaires de la guerre et seront amenés à jouer un rôle utile, qu’il s’agisse d’un rôle de médiation, d’une participation directe dans les négociations ou d’un changement de position de ce que l’on appelle les pays de l’hémisphère Sud.

Nous pourrions envisager de multiplier nos efforts en nous adressant aux pays du G7 et de l’Union européenne et en les faisant vraiment participer à cet enjeu mondial.

Le président : Je vous remercie. Je suis ravi de dire cela aux témoins car, à la demande générale, nous allons procéder à une courte troisième série de questions.

[Français]

La sénatrice Gerba : J’ai une question contextuelle qui a quand même son importance. Depuis le début du conflit, l’Ukraine a reçu quelque 100 milliards de dollars d’aide militaire envoyée par ses alliés, dont la moitié provenait des États-Unis. Or, récemment, l’octroi d’une aide américaine supplémentaire de 24 milliards de dollars a été suspendu alors que la Russie, de son côté, a annoncé l’augmentation de son budget militaire de 68 % pour 2024.

Étant donné ce qui se passe et ce que nous observons dans la politique américaine aujourd’hui, est-ce que les alliés ont une idée de ce qui va se passer si jamais l’administration venait à changer aux États-Unis?

M. Lévêque : Merci beaucoup pour la question, madame la sénatrice et monsieur le président. On peut toujours tomber dans l’hypothétique et évidemment, il faut penser à toutes les circonstances et les séries de circonstances qui pourraient mener à de nouvelles avenues. Je peux vous dire que pour l’instant, malgré ce qu’on a vu dans les derniers jours au Congrès américain, les assurances que nous recevons dans les plus hautes instances américaines continuent à indiquer que l’engagement des États-Unis n’est pas remis en question ni à court terme ni à long terme. Ce sera évidemment aux Américains de préciser comment ils pourront offrir ces assurances. Dans l’immédiat et à moyen terme, on ne prévoit pas de changement important du côté de l’administration américaine.

Je sais que ma collègue Mme Grant a aussi plusieurs discussions en matière de sécurité, surtout avec les pays du G7; je vais lui céder la parole.

[Traduction]

Mme Grant : Pour ajouter à ce que M. Lévêque a dit, en ce qui concerne les États-Unis, nous avons vu du soutien bipartisan pour accroître l’aide militaire fournie à l’Ukraine, même en cette période d’évolution rapide de la situation à Washington. Récemment, le président Biden a déclaré qu’il a un plan pour renforcer le soutien militaire à l’Ukraine.

Au sommet de l’OTAN à Vilnius — j’y fais référence souvent, mais d’importantes décisions y ont été prises —, le Canada a travaillé fort pour qu’une déclaration conjointe soit signée par le G7 afin de s’engager à offrir du soutien militaire et de l’aide à la sécurité à long terme à l’Ukraine pour qu’elle puisse se défendre. Il s’agit d’un soutien pluriannuel à long terme. Depuis le mois de juillet, à Vilnius, 20 pays ont adhéré à la déclaration conjointe du G7 sur le soutien à l’Ukraine. Durant la visite du président Zelensky, vous avez vu que le premier ministre Trudeau a déclaré que nous faisions des démarches pour apporter un soutien pluriannuel. Il existe une trajectoire politique solide pour commencer à envisager un soutien soutenu sur plusieurs années. Il s’agit principalement d’un soutien militaire et d’aide à la sécurité. Bien entendu, les États-Unis et d’autres pays membres du G7 ont joué un rôle central pour que cette déclaration conjointe soit signée. Nous travaillons fort pour la concrétiser au sein du G7 et des plus de 20 pays qui y adhèrent. Nous nous attendons à ce qu’un certain nombre d’accords bilatéraux de sécurité soient signés par des membres de cette déclaration avec l’Ukraine, y compris le Canada, qui s’engagera à fournir un soutien pluriannuel en matière de sécurité. Ces accords permettront de réaffirmer et de renforcer cet engagement. Je vous remercie.

Le président : Je vais poser la dernière question. Elle fait suite à une question soulevée plus tôt par le sénateur Woo et plus récemment par la sénatrice M. Deacon.

Bon nombre d’entre nous avons eu l’occasion de rencontrer des législateurs ukrainiens — à savoir les membres de leur assemblée législative — à la fois dans un cadre bilatéral et plus récemment à l’Assemblée parlementaire de l’OSCE à Vancouver au début de juillet. Ces rencontres ont été positives, mais l’Ukraine est encore une démocratie qui n’en est qu’à ses débuts et qui a besoin de soutien. En ce qui concerne les conseils que nous pourrions vous donner en tant que comité, le gouvernement devrait peut-être se pencher sur cette question, à savoir comment soutenir les contacts législatifs. Nous le faisons, mais ce sont surtout eux qui viennent à nous. Cela pourrait peut-être s’inscrire dans les travaux en cours. Si vous avez des conseils à nous donner — vous êtes dans une tribune publique — sur la façon de nous y prendre, nous serions ravis de les entendre.

M. Lévêque : Premièrement, merci. Nous n’avons pas l’habitude de venir ici et de recevoir des conseils de votre part. Nous vous remercions de vos conseils. Nous vous en sommes sincèrement reconnaissants car vous avez plus de contacts que nous avec les parlementaires du monde entier.

J’aimerais céder la parole à ma collègue, Mme Csaba. Une part importante de notre programme consiste à soutenir le développement démocratique en Ukraine. Je vais lui céder la parole pour qu’elle puisse nous fournir plus de détails.

Je retiens vos sages paroles à ce sujet, et je pense que c’est un point sur lequel il faut se concentrer. Comme vous le dites, c’est une démocratie encore assez jeune et nous voulons trouver tous les leviers de l’espace démocratique. Je répète qu’il n’est pas seulement question des élections; il faut créer un écosystème qui favorise un environnement démocratique plus riche. Cela signifie d’avoir des institutions parlementaires solides, de la transparence, des médias libres, une société civile solide, etc. C’est vraiment un ensemble d’éléments.

Mme Csaba : Comme j’ai été impliquée dans notre aide au développement en Ukraine à plusieurs périodes de ma carrière, je peux dire que nous travaillons avec l’Ukraine sur les réformes démocratiques depuis les premiers jours de son indépendance en 1991, de diverses manières, y compris par l’entremise de divers processus de réforme. Nous avons beaucoup travaillé sur la réforme judiciaire, la réforme électorale, etc.

En ce qui concerne votre remarque sur le renforcement des contacts entre les parlementaires du Canada et de l’Ukraine, l’une des annonces qui ont été faites durant la visite du président Zelensky est que 2 millions de dollars ont récemment été accordés au Centre parlementaire pour continuer à offrir une aide technique et du soutien au Parlement ukrainien. Cela permettra, bien sûr, d’établir d’autres contacts au cours des prochaines années. Ce sont des domaines que nous continuerons à explorer et nous comprenons l’importance des contacts entre les assemblées législatives.

Le président : Merci beaucoup de ces observations. Au nom du comité, j’aimerais remercier Alexandre Lévêque, Alison Grant et Kati Csaba de se joindre à nous aujourd’hui. Nous avons eu une discussion très riche et nous vous sommes reconnaissants de votre franchise, à l’instar de tous les Canadiens, j’en suis sûr.

Chers collègues, nous reprendrons nos travaux demain à 11 h 30 dans cette salle pour une réunion sur la situation en Haïti.

(La séance est levée.)

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