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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 2 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité à se présenter.

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, sénatrice du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Bonjour et bienvenue. Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Busson : Bienvenue. Bev Busson, de la Colombie-Britannique.

La sénatrice R. Patterson : Rebecca Patterson, de l’Ontario.

Le sénateur Dean : Tony Dean, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse. Je suis Mi’kmaqi.

Le président : Je souhaite à tous la bienvenue ainsi qu’à ceux qui nous regardent aujourd’hui d’un peu partout au pays sur le site SenVu.

Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui, dans le cadre de notre ordre de renvoi général, pour poursuivre notre discussion débutée hier sur la question des femmes, de la paix et de la sécurité. Pour discuter de ce sujet, nous sommes heureux d’accueillir, d’Affaires mondiales Canada, Jacqueline O’Neill, ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité. Elle est accompagnée par Ulric Shannon, directeur général du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix. Bienvenue et merci de vous joindre à nous aujourd’hui.

Avant d’entendre votre déclaration liminaire et de passer aux questions et réponses, j’aimerais demander aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela permettra d’éviter tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité et, bien sûr, sur les interprètes, qui portent des casques d’écoute dans le cadre de leur travail.

Nous sommes maintenant prêts à écouter votre déclaration liminaire. Ensuite, nous passerons aux questions des sénateurs, comme à l’habitude. Ambassadrice O’Neill, la parole est à vous.

Jacqueline O’Neill, ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie, monsieur le président, et je remercie le comité de nous avoir invités à comparaître aujourd’hui et d’étudier la question des femmes, de la paix et de la sécurité. C’est une étude que nous voyons d’un bon œil et que nous trouvons très utile.

[Français]

Je suis accompagnée aujourd’hui d’Ulric Shannon, directeur général du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix, Affaires mondiales Canada. Son équipe est responsable de la politique relative aux femmes, à la paix et à la sécurité au sein d’Affaires mondiales Canada. M. Shannon est aussi représentant du Canada au sein du Réseau des points focaux pour les femmes, la paix et la sécurité, et il est le champion de ce programme à notre ministère.

Très brièvement, je vais décrire mon mandat et mes priorités. Je vais aussi vous parler de certains domaines où des progrès ont été réalisés dans le monde et d’autres domaines où il y a une absence de progrès.

M. Shannon et moi serons heureux de répondre à vos questions par la suite.

En 2019, j’ai été nommée par décret ambassadrice du Canada pour les femmes, la paix et la sécurité pour un mandat d’environ trois ans. Le premier ministre a ensuite prolongé mon mandat jusqu’en 2025. Il s’agit d’un poste demandé depuis longtemps par la société civile canadienne, et je suis extrêmement honorée d’avoir le privilège et la responsabilité d’occuper ce poste.

Ma principale responsabilité consiste à fournir des évaluations et des conseils confidentiels aux ministres participant à la mise en œuvre du Plan national d’action du Canada consacré aux femmes, à la paix et à la sécurité sur la façon dont le Canada peut continuer à faire preuve de leadership à l’échelle mondiale.

J’ai trois priorités : renforcer et étendre le réseau des partenaires de la mise en œuvre du plan d’action, le précédent et le prochain; appuyer la création d’outils, de ressources et de documents d’orientation personnalisés; promouvoir des initiatives canadiennes ambitieuses.

Depuis que le Canada a créé son premier plan national d’action en 2011, Affaires mondiales Canada est chargé de coordonner et de regrouper les rapports. Mon équipe à Affaires mondiales et moi sommes régulièrement en contact avec d’autres ministères, avec les Forces armées canadiennes et la GRC.

[Traduction]

C’est la première fois que je comparais devant le comité dans le cadre de mes fonctions actuelles. Toutefois, j’ai déjà comparu, dans le passé, devant plusieurs comités sénatoriaux à propos du même sujet. J’ai déjà travaillé pour un organisme sans but lucratif aux États-Unis, à savoir l’Institute for Inclusive Security. À cette époque, j’avais été invitée à témoigner devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne. Je dois souligner que j’ai témoigné à ce moment-là par vidéoconférence depuis Washington D.C. — c’était bien des années avant la pandémie — ce qui a amené plusieurs de mes collègues américains à s’émerveiller de l’esprit d’économie dont faisaient preuve les parlementaires canadiens en ayant recours à la vidéoconférence déjà à cette époque. Je suis ravie d’être ici aujourd’hui en personne. J’ai comparu devant le comité à au moins deux reprises, notamment en 2012 et en 2015.

En me préparant à la réunion d’aujourd’hui, j’ai revu certaines des déclarations que j’avais préparées pour ces comparutions antérieures. Certaines choses ont changé. En 2012, 23 pays dans le monde disposaient d’un plan national d’action sur les femmes, la paix et la sécurité. Ce nombre s’élève maintenant à environ 107. Plusieurs organismes multilatéraux disposent également de tels plans, dont l’OTAN, l’OSCE, l’ANASE et l’Union africaine. Le Canada venait de lancer son premier Plan national d’action du Canada consacré aux femmes, à la paix et à la sécurité, et nous sommes maintenant en train d’élaborer notre troisième plan d’action. À cette époque, les taux de participation des femmes à des missions de maintien de la paix de l’ONU étaient lamentables et stagnaient. Ils sont maintenant à la hausse.

Toutefois, beaucoup trop de choses n’ont pas changé dans le monde. Comme vous l’avez entendu hier, la société civile continue de réclamer une mise en œuvre bien plus uniforme du Programme sur les femmes, la paix et la sécurité. Le secrétaire général de l’ONU a publié la semaine dernière son rapport annuel sur le sujet. Il a souligné que la participation des femmes aux processus de paix est en baisse, y compris aux processus menés par l’ONU. En ce qui a trait à l’ensemble des processus menés par l’ONU au cours de la dernière année, en 2022, le taux de représentation des femmes s’élevait à 16 %, alors qu’en 2021, il était de 19 %, et de 23 % en 2020. En ce qui concerne les processus de paix menés par des gouvernements nationaux ou d’autres organisations, la participation des femmes était pratiquement inexistante.

Nous constatons une montée des attaques, en ligne et ailleurs, envers les femmes œuvrant pour la paix et les femmes défenseures des droits de la personne. Même dans le cadre de certains conflits et dans certaines régions, nous observons des tendances récurrentes, qui ont été jugées problématiques par leurs propres communautés. En 2012, par exemple, lors de ma comparution devant le comité, j’ai déploré le fait que, durant les négociations pour déterminer les modalités de la séparation entre le Soudan et le Soudan du Sud, les deux parties avaient chacune une équipe composée de six négociateurs principaux, qui étaient tous des hommes. Le groupe de haut niveau de facilitateurs de l’Union africaine qui était présent durant les pourparlers ne comptait aucune femme. La semaine dernière, une activiste soudanaise a expliqué en détail au Conseil de sécurité de l’ONU dans quelle mesure la guerre qui ravage actuellement son pays est le reflet de la tendance à continuer de faire fi des droits des femmes et à traiter les femmes comme des dommages collatéraux plutôt que comme des personnes capables d’agir dans leur propre vie.

Par ailleurs, nous continuons d’entendre des appels à reconnaître le leadership des femmes afghanes, haïtiennes, israéliennes, palestiniennes, sud-soudanaises, soudanaises, ukrainiennes, yéménites et de bien d’autres femmes qui œuvrent pour la paix, notamment des femmes du Myanmar et des femmes autochtones au Canada et partout dans le monde.

Des collègues d’Affaires mondiales et de l’ensemble du gouvernement du Canada, avec la contribution continue de représentants d’organisations de la société civile et des peuples autochtones, travaillent d’arrache-pied à la mise en œuvre complète du Plan national d’action du Canada consacré aux femmes, à la paix et à la sécurité en vue de le concrétiser. Comme je l’ai mentionné, nous sommes en train d’élaborer notre troisième plan, que nous espérons publier d’ici quelques mois.

Je vais m’arrêter là. M. Shannon et moi-même serons ravis de répondre à vos questions.

Le président : Je vous remercie beaucoup, madame l’ambassadrice, pour votre déclaration liminaire.

Chers collègues, comme à l’habitude, vous disposerez chacun de quatre minutes maximum pour vos questions, et ce temps inclut bien sûr les réponses. Veuillez faire preuve de concision en ce qui a trait à vos questions. J’encourage également les témoins à répondre avec concision. Nous allons procéder à un deuxième tour si le temps le permet.

La sénatrice R. Patterson : Merci, madame l’ambassadrice.

J’aimerais vous poser une question d’ordre technique en ce qui a trait à l’orientation que prend le Canada relativement à la question des femmes, de la paix et de la sécurité. Le troisième plan national d’action du Canada qui s’en vient vise davantage, je crois, à mettre de l’ordre chez nous. Je me demande si vous pouviez nous dire dans quelle mesure cette orientation peut guider le travail du Sénat. Certes, pour moi et mes collègues, c’est un nouveau concept. L’analyse comparative entre les sexes plus est souvent quelque chose de secondaire, au lieu que cela fasse partie de notre façon de penser. Je me demande si vous pouviez nous en parler et nous expliquer dans quelle mesure cette orientation pourrait nous aider.

Mme O’Neill : Je vous remercie pour votre question.

Il serait sans doute utile, tout d’abord, de mettre en lumière la différence entre l’analyse comparative entre les sexes plus et le programme sur les femmes, la paix et la sécurité. Comme vous l’avez souligné, ils sont souvent confondus. Je dis souvent que l’analyse comparative entre les sexes plus est — je vais utiliser un terme non parlementaire — un sacré trésor national pour le Canada. Pardonnez-moi.

Le président : Je n’ai pas entendu ce mot, madame l’ambassadrice. Vous avez employé un langage diplomatique. Veuillez continuer.

Mme O’Neill : Merci.

Il s’agit d’un outil très utile pour analyser et comprendre les contextes, les situations et les possibilités associées à nos actions. C’est un outil qui favorise la compréhension.

Le programme sur les femmes, la paix et la sécurité est un cadre stratégique qui décrit l’état final que nous voulons atteindre, afin que nous puissions comprendre les enjeux et déterminer qui est exclu, qui est inclus, quels intérêts sont servis et qui sera désavantagé involontairement par une politique, mais il ne nous permet pas de savoir si nous essayons d’assurer une bonne représentation des femmes en particulier, par exemple, lors de négociations de paix.

S’agissant de notre prochain plan national d’action, on a souvent entendu dire au fil des ans que nous devons essayer de tirer des leçons des deux plans précédents pour bien planifier le prochain. Comme vous l’avez mentionné, nous espérons faire certaines choses un peu différemment. Je peux vous exposer brièvement les aspects qu’il sera important de modifier, d’après ce que nous avons entendu, et ceux que nous devrons veiller à maintenir. Tous ces aspects devront être mis en lumière par le Sénat.

Premièrement, le Canada est l’un des seuls pays au monde qui entretient, dans le cadre de son plan national d’action, des relations officielles avec des organisations de la société civile. Lorsqu’il s’agira pour vous d’inviter des témoins, de tenir des audiences, etc., sachez que nous avons un réseau d’activistes, de particuliers et de spécialistes au Canada provenant de la GRC, du ministère de la Défense et d’ailleurs.

Nous avons beaucoup entendu parler de l’importance de maintenir le financement et de l’importance des efforts et du leadership du Canada dans le domaine. Je sais qu’on vous a beaucoup parlé hier du recul des droits des femmes dans le monde. De nombreuses personnes nous disent qu’il est important que le Canada continue de parler du sujet, notamment les parlementaires des diverses chambres et l’ensemble des représentants du gouvernement. Ils doivent continuer d’en parler.

Comme vous y avez fait allusion, nous devons reconnaître les liens étroits qui existent entre les enjeux internationaux et nationaux. Nous ne vivons pas dans une logique de binarité. Nous reconnaissons qu’il y a des obstacles à la pleine participation des femmes au sein des organismes de sécurité et à leur contribution à la paix et à la sécurité dans leur propre vie. Nous devons porter une plus grande attention aux menaces transnationales, par exemple, aux menaces de certains gouvernements à l’endroit des défenseurs des droits de la personne de leurs propres pays. Ces gens viennent au Canada à titre de réfugiés, de demandeurs d’asile, d’immigrants ou autres. Ils continuent d’être ciblés, même par le gouvernement de leur pays d’origine. Il y a toutes sortes d’enjeux au Canada, notamment le traitement des femmes et des filles autochtones ainsi que des personnes de diverses origines et leur contribution à la paix et à la sécurité. Voilà quelques-uns des aspects.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins.

J’aimerais parler d’une belle réussite, dont je connais très bien l’histoire, c’est-à-dire celle de la Colombie. Je suis membre du comité exécutif de l’organisation ParlAmericas. J’ai représenté le Canada au conseil d’administration pendant un certain nombre d’années. Je me suis rendu à trois reprises en Colombie. Je connais très bien les Forces armées révolutionnaires de Colombie, les FARC. Nous avons rencontré des représentants de ces forces armées et des représentants du gouvernement. En 2016, le processus de paix en Colombie entre le gouvernement national et les FARC a été présenté comme étant une belle réussite du programme sur les femmes, la paix et la sécurité. Je suis d’accord. C’est incroyable de voir à quel point ce pays a progressé à cet égard sur une courte période. Il y a eu une très grande participation des femmes. Pouvez-vous nous en parler? Pourquoi s’agit-il d’une si belle réussite? S’agit-il d’un modèle qui pourrait être appliqué ailleurs dans le monde?

Mme O’Neill : Je vous remercie pour votre question.

Monsieur le président, je me discipline en surveillant mon temps.

Oui, tout à fait. Vous avez parfaitement raison. La Colombie est un modèle d’inclusion. J’aimerais parler du déroulement des pourparlers de paix entre les FARC et le gouvernement. Il y a eu des rondes de négociations, qui se sont déroulées généralement à La Havane. Il y avait une sorte de comité plénier officiel ainsi que différents sous-groupes de travail chargés de discuter des questions thématiques. Dans le cadre de ce processus de discussions en sous-groupes, les femmes colombiennes avaient demandé la création d’une table de discussion axée sur l’égalité des sexes à laquelle participeraient des femmes des FARC et des femmes du gouvernement, ainsi que des hommes des FARC et des hommes du gouvernement. Les participants à cette table ont passé en revue des propositions et ils ont formulé des commentaires concernant les prochains points à l’ordre du jour.

À titre d’exemple, lorsque les modalités des négociations ont été proposées, les participants à cette table de discussion sur l’égalité entre les sexes ont relevé des problèmes. Ils se sont penchés sur l’immunité accordée pour certains actes qui auraient pu être commis. On proposait d’accorder l’immunité pour des actes de violence sexuelle. Ils voulaient s’assurer qu’aucun membre des équipes de négociation ou des parties qui avaient commis des actes de violence sexuelle n’obtiendrait l’immunité parce que ces actes avaient été commis durant le cessez-le-feu ou pour d’autres raisons. Ils ont également veillé à ce que des femmes soient présentes à toutes les autres tables de discussion.

Les gens me demandent souvent quelle différence cela peut bien faire. La participation des femmes a eu une grande incidence sur l’accord de paix, car l’accord de paix final faisait mention des femmes et de l’égalité des sexes. Grâce aux femmes, c’était l’une des premières fois que les principales parties ont entendu directement les victimes du conflit. Les femmes ont demandé que des victimes des deux côtés s’adressent directement à l’ensemble des négociateurs.

Pour répondre à votre question, je dirais que c’est effectivement un modèle à suivre. Ce pays tente de procéder de la même manière dans le cadre des négociations actuelles avec l’Armée de libération nationale, qu’on appelle l’ELN. La Colombie s’inspire de ce modèle pour élaborer son premier plan d’action national sur les femmes, la paix et la sécurité. Elle s’assure de documenter ce qui s’est révélé utile et efficace dans le cadre de ce processus et de l’intégrer dans d’autres plans.

Je suis heureuse de dire que le Canada soutient la Colombie à cet égard. J’étais dans ce pays il y a un mois ou deux. Par exemple, le Canada aide les femmes autochtones de partout au pays à s’exprimer au sujet de cette stratégie nationale pour qu’elles puissent participer à ce processus national, qui pourrait être repris, comme vous l’avez dit, dans d’autres pays.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le sénateur Ravalia : Merci encore une fois pour votre présence.

Hier, la professeure Bouka a mentionné qu’il existe un dialogue et une coopération solides et efficaces au sein des femmes dans la région du Sahel en cette période de turbulences, marquée notamment par des coups d’État militaires. Elle a fait allusion aux dialogues informels entre des femmes du Mali, du Tchad, du Burkina Faso et du Niger. Elle a pratiquement qualifié cela de troisième voie.

Que fait le Canada pour s’assurer que nous écoutons les points de vue et répondons aux besoins de ces personnes qui sont, de toute évidence, vulnérables et qui n’ont pas nécessairement accès au soutien de première ligne? Est-ce que nous reconnaissons la valeur et le dynamisme de ce type de processus?

Mme O’Neill : Je vous remercie pour votre question.

Oui, tout à fait. Je vais demander à mon collègue, M. Shannon, de vous parler un peu de la façon dont non seulement nous reconnaissons le dynamisme de ces processus, mais aussi de la façon dont nous essayons de soutenir les femmes qui participent à ces processus, grâce à divers programmes.

J’ai remarqué qu’hier la professeure Bouka a parlé de FemWise, un réseau africain dont font partie des femmes, des bâtisseuses de la paix, des négociatrices et des médiatrices. Le Canada appuie ce réseau pour la même raison que Mme Bouka a mentionnée. Comme vous l’avez expliqué hier, la diplomatie officielle a tendance à être presque entièrement exclusive, malgré nos efforts constants pour la rendre plus ouverte. Ce sont la diplomatie de la voie 1.5, la diplomatie de la deuxième voie et parfois celle de la troisième voie qui permettent le plus aux organisations de la société civile et aux militants de se faire entendre et de faire voir leur efficacité. Encore une fois, il faut les écouter, mais il faut également tenter de les soutenir afin qu’ils puissent exercer le plus possible une influence sur la diplomatie officielle.

M. Shannon peut vous parler de certains programmes en particulier.

Ulric Shannon, directeur général du Programme pour la stabilisation et les opérations de paix, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie beaucoup pour votre question.

J’ajouterais que non seulement dans la région du Sahel, mais aussi dans les États fragiles et touchés par des conflits où le Canada met en œuvre des programmes, nous recherchons des occasions de soutenir la société civile, les femmes militantes et les dirigeantes communautaires pour tenter d’exercer des pressions venant de la base sur les processus officiels. Comme l’ambassadrice l’a mentionné, la participation des femmes à la diplomatie officielle est souvent inexistante. Bien sûr, nous ne pouvons pas garantir des résultats, mais nous adoptons cette approche dans le cadre de nos efforts.

Lorsque nous discutons avec des représentants de gouvernement — j’étais en Éthiopie, par exemple, plus tôt cette année, où, encore une fois, les femmes brillaient par leur absence dans le cadre du processus de cessation des hostilités —, nous faisons preuve de scepticisme, car nous faisons valoir que, selon nous, le gouvernement en question ne dispose pas des éléments de succès contrairement à la Colombie, par exemple, pour revenir à ce que vous disiez, où, dans le cadre du processus de négociation avec l’ELN, on tient compte de l’égalité entre les sexes. D’un point de vue analytique et diplomatique, nous constatons d’emblée que la Colombie dispose d’éléments de succès plus solides que l’Éthiopie.

Dans le cadre de nos efforts, nous ne faisons pas la leçon aux gouvernements, mais nous leur faisons comprendre qu’il ne manque pas de femmes compétentes qui cherchent à participer à ces processus. Le Canada a contribué à dresser des listes à cet égard. FemWise, par exemple, y figure. Nous avons bâti cette capacité; elle existe. Dans bien des cas, ces femmes disent que le téléphone ne sonne pas lorsque ces processus officiels sont organisés, alors nous travaillons à la fois du côté de l’offre et de la demande, si je puis m’exprimer ainsi.

La sénatrice M. Deacon : Je remercie nos invités de leur présence.

Hier, aujourd’hui et dans maints autres cadres, nous poursuivons deux objectifs : premièrement, garder nos affaires en ordre au Canada et veiller à nous acquitter de nos responsabilités à l’égard des femmes, de la paix et de la sécurité; et deuxièmement, tenir la situation mondiale à l’œil. Je veux poser une question à ce sujet.

De toute évidence, l’invasion de l’Ukraine par la Russie a eu l’effet immédiat de replacer l’OTAN dans une posture de dissuasion : des troupes ont été envoyées à la frontière orientale, et un débat a été soulevé sur l’état de préparation et les dépenses militaires. Dans vos discussions avec nos alliés de l’OTAN, le programme pour les femmes, la paix et la sécurité occupe-t-il encore une place significative? A-t-il atteint un seuil critique qui fait en sorte qu’on en tienne systématiquement compte dans les analyses de défense, ou y a-t-il un risque qu’il soit abandonné ou délaissé en raison des préoccupations de sécurité immédiates et plus communes qui émergent un peu partout?

Mme O’Neill : Merci. C’est une excellente question.

Vous avez demandé si l’on en tenait systématiquement compte. Souvent, le programme sur les femmes, la paix et la sécurité en tant que tel n’occupe pas une place significative, et la place qu’il occupe n’est jamais aussi importante que nombre d’entre nous le voudraient. Cependant, nous voyons la même chose en Ukraine que dans beaucoup de situations : la réalité sur le terrain et l’expérience du conflit font ressortir la valeur et l’importance des femmes, de la paix et de la sécurité. Je peux vous donner quelques exemples.

Depuis de nombreuses années, le service de police de l’Ukraine déploie des efforts en vue d’augmenter la représentation des femmes dans la police. Aujourd’hui, le taux se situe aux alentours de 25 %. Durant une visite récente au Canada, le commandant adjoint a déclaré que la raison pour laquelle les équipes du service de police avaient aussi efficacement réussi à entrer dans les zones récemment libérées, c’est qu’elles comptent un nombre important de femmes. Plus précisément, c’est grâce au fait que les équipes sont mixtes. Les policiers ukrainiens n’ont pas de formation théorique sur les violences sexuelles liées aux conflits et sur le viol comme arme de guerre. Ils sont en relation avec des personnes profondément traumatisées. Ils constatent que la grande majorité des personnes déplacées à l’intérieur du pays et au-delà des frontières sont des femmes et des enfants. Ces femmes et ces enfants courent divers risques majeurs, notamment celui de devenir victimes de la traite de personnes. Le service de police de l’Ukraine croit qu’il est mieux à même de servir la population parce qu’il commence à envisager le conflit et sa propre force du point de vue des deux genres.

J’ai entendu le même son de cloche du côté de la ministre de l’Intérieur de Moldova. Elle m’a dit qu’il y avait des discussions sur les femmes, la paix et la sécurité, et que le pays avait même une stratégie nationale. Cependant, c’est seulement quand les Ukrainiens ont commencé à traverser la frontière en grand nombre que c’est devenu un enjeu concret. Une foule de femmes et d’enfants se trouvait à la frontière. Les agents des services frontaliers n’étaient pas nécessairement formés pour les recevoir. Ils ont dû commencer à réfléchir sur-le-champ à la garde des enfants, aux besoins relatifs à la santé sexuelle et reproductive des femmes, ainsi qu’aux risques posés par les trafiquants de personnes qui cherchent à mettre le grappin sur les Ukrainiennes qui traversent la frontière. Selon eux, c’est leur responsabilité.

L’armée russe montre de nombreuses façons ce qui arrive quand on rejette des éléments du programme pour les femmes, la paix et la sécurité. Elle mène des campagnes de recrutement avec des slogans comme : « Fais un homme de toi : enrôle-toi. » Elle tente de gonfler ses rangs. Sa vision est très étroite et totalement contraire à celle du programme. Les conséquences se manifestent sur le champ de bataille; elles comprennent l’absence de structures de commandement et de contrôle, un moral bas et, dans de nombreux cas, des relations exécrables avec la population russe.

On n’en parle peut-être pas ainsi, et c’est correct, mais les expériences vécues mettent vraiment en relief l’importance du programme relatif aux femmes, à la paix et à la sécurité.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup aux deux témoins d’être ici.

Madame l’ambassadrice, je vous félicite pour votre Prix Vimy. C’est merveilleux. Nous sommes très fiers de vous. Nos liens remontent à Roméo Dallaire et au travail remarquable que vous avez accompli ensemble il y a de nombreuses années. Je crois comprendre que vous collaborez toujours aux efforts déployés à Dalhousie; je vous en remercie.

J’ai une question au sujet des discussions auxquelles nous cherchons à participer pour influencer le cours des événements. Je vais vous révéler l’étendue de mon ignorance. Vous avez parlé de la participation des femmes. J’ai trouvé très utiles l’exemple de la Colombie que mon collègue a soulevé et que vous avez élucidé, ainsi que les renseignements sur l’approche de la police et de l’armée en Ukraine, sur la participation des femmes à divers processus de paix et sur la représentation des femmes dans les opérations de maintien de la paix.

À l’heure actuelle, le monde est secoué par plusieurs conflits horrifiants. Le théâtre des combats entre Israël et la Palestine et les événements horribles qui s’y déroulent n’en sont qu’un exemple. Cherchons-nous à nous joindre aux personnes qui élaborent les stratégies et à influencer les discussions sur le coup? Je ne veux pas dire à la fin du conflit, quand on tente de rétablir la paix, de décider qui a droit au butin et de dresser un plan pour l’avenir; je veux dire aujourd’hui, en plein cœur du conflit, à un moment où les femmes pourraient avoir un apport précieux. Elles sont peut-être déjà présentes. Pouvez-vous nous dire à quelles discussions nous participons pour essayer d’influencer le cours des événements? Dans quelles tribunes sommes-nous représentées?

Mme O’Neill : Votre question est fort avisée, pour plusieurs raisons.

Nombre de tribunes disparaissent. C’est ce qu’on entend souvent lorsqu’il est question de la mobilisation de la jeunesse. Beaucoup de jeunes s’organisent tout à fait différemment, surtout ceux qui descendent dans la rue et mènent des révolutions. Ils ne fondent pas des organisations avec une charte, un secrétariat, ni même des adresses électroniques et tout le reste. Ils n’ont pas nécessairement accès aux mêmes sources de financement. Ils déclarent : « Nous n’allons pas attendre une tribune ou une invitation. Nous allons descendre dans la rue. Nous allons nous mobiliser et manifester. » Ces efforts tendent vers la paix. C’est une approche très différente de celle où les camps se réunissent autour d’une table pour discuter. Le modèle est en pleine évolution. Il faut en tenir compte.

Comme M. Shannon l’a souligné tout à l’heure, la dernière chose qu’on veut faire, c’est tenter d’insérer une femme ou deux ici et là, pour pouvoir dire que les femmes font partie du processus, et donc que la question est réglée. Nous cherchons à adopter une approche holistique, qui comprend la prévention des conflits et la création de réseaux reliant non seulement les femmes, mais aussi les femmes et les décideurs. Il s’agit d’aider les groupes à s’organiser, à militer et à se mobiliser avant que les crises n’éclatent. C’est une grande partie du travail que fait M. Shannon dans les États fragiles et touchés par le conflit.

La dernière chose que je vais dire à ce sujet, c’est qu’aux Philippines — un autre endroit ayant adopté de bonnes pratiques liées à la représentation des femmes —, le gouvernement a confié le poste de médiateur en chef à une femme. De plus, trois des cinq négociateurs en chef étaient des femmes. À leur avis, ces réussites sont attribuables aux investissements et à l’activisme faits par les femmes de la société civile longtemps avant que les groupes de négociation officiels soient mis sur pied.

Le président : Merci. Je suis désolé de ne pas pouvoir vous donner la parole maintenant, monsieur Shannon. L’occasion se présentera peut-être plus tard, durant la deuxième série de questions.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue à vous tous.

Madame l’ambassadrice, vous avez indiqué que 105 pays ont déjà instauré des plans d’action nationaux dans le cadre du programme pour les femmes, la paix et la sécurité et vous avez même indiqué qu’il y a des organisations, dont l’Union africaine, qui en ont instauré également.

De quelle manière le plan d’action du Canada se compare-t-il aux autres? Qu’est-ce que le nôtre a de particulier? Y a-t-il d’autres plans dont on pourrait s’inspirer?

Mme O’Neill : Certainement. Je peux répondre à votre question. Je vais répondre en anglais pour être plus précise.

[Traduction]

Plusieurs éléments rendent notre plan particulier. Comme je l’ai déjà dit, nous sommes l’un des seuls pays au monde à avoir intégré officiellement la société civile dans notre plan. Un groupe consultatif entrera bientôt en fonction. Ce groupe est coprésidé par un réseau de la société civile, le Réseau Femmes, paix et sécurité — Canada. Ainsi, la relation entre la société civile et le gouvernement est prévisible : les intervenants savent quand ils recevront de nouvelles informations, ils savent à qui poser leurs questions, ils savent qui est responsable de quels dossiers et ils savent à qui donner directement leur avis.

Comme la sénatrice l’a mentionné tout à l’heure, notre plan d’action national regroupe une vaste gamme de partenaires. Plus précisément, huit ministères y participent, en plus de la GRC. Ces partenaires sont Affaires mondiales Canada; la Défense nationale; la GRC; le ministère de la Justice du Canada; Sécurité publique Canada; Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada; Femmes et Égalité des genres Canada; et — fait très important pour le Canada — Services aux Autochtones Canada et Relations Couronne-Autochtones et Affaires du Nord Canada. La participation de ces derniers partenaires est cruciale parce que le Canada reconnaît qu’il a bien du travail à faire sur son propre territoire.

Notre plan d’action comprend beaucoup d’éléments dont nous sommes fiers, mais pour répondre à votre question, nous pouvons nous inspirer de nombre d’autres pays. Nous consacrons beaucoup de temps à cela. Nous maintenons depuis de nombreuses années que dans ce domaine et en ce qui concerne les plans d’action nationaux, chaque pays a des leçons et à donner et à recevoir. Nous ne voulons pas nous inspirer uniquement de nos alliés aux vues similaires, ni des autres pays du Nord, ni de nos collaborateurs habituels; nous voulons vraiment ouvrir les yeux sur les bonnes pratiques développées partout dans le monde.

Je vous donne quelques exemples. En fait, l’intégration de la société civile est inspirée de l’Afghanistan. L’Afghanistan a mis sur pied un comité directeur responsable du plan d’action national, et ce comité comprenait des femmes. Les Pays-Bas ont fait quelque chose de semblable. Par ailleurs, de nouveaux thèmes sont proposés. La Jordanie a été le premier pays à accorder une attention particulière à l’extrémisme violent dans son plan d’action national. Les États-Unis sont le seul pays au monde à avoir promulgué une loi rendant obligatoire la création d’un plan d’action national. De son côté, la Colombie souligne explicitement dans son plan d’action national l’importance de reconnaître les approches traditionnelles des femmes autochtones à l’égard de la paix et de la sécurité. Le Bangladesh fait face depuis longtemps à des catastrophes naturelles et à des urgences climatiques, et il comprend l’importance de mobiliser les femmes à l’échelle communautaire pour détecter les signes avant-coureurs. Aujourd’hui, des pays partout dans le monde envisagent la possibilité de faire davantage appel aux forces militaires et aux forces de sécurité pour intervenir en cas de crises nationales, y compris celles provoquées par les conflits. Il y a toutes sortes d’éléments.

Quelles leçons tirons-nous de tout cela? Je vois que le président a la main sur le bouton. Je pourrais parler encore longuement, mais l’essentiel, c’est qu’il y a beaucoup à apprendre et que nous cherchons continuellement à nous adapter et à nous inspirer surtout des pays qui font les choses autrement.

La sénatrice Gerba : Je vous remercie.

Le sénateur Dean : J’aimerais vous donner la possibilité d’en dire plus à ce sujet. Vous avez fait allusion aux forces contraires qui prennent de l’expansion en même temps que vous essayez d’avancer. Le Citizen Lab de l’École Munk des affaires internationales et des politiques publiques a publié une étude sur la répression transnationale au Canada. Nous savons que l’Iran en particulier cible les Iraniennes expatriées. Du côté positif, y a-t-il d’autres progrès dont vous aimeriez parler? Je m’intéresse particulièrement aux activités spontanées qui s’organisent par elles-mêmes.

Mme O’Neill : Merci de m’offrir la possibilité d’en dire plus là-dessus.

Une des raisons pour lesquelles nous voulons nous inspirer d’autres pays et découvrir de nouvelles pratiques, c’est que les opposants à notre travail s’adaptent rapidement. Vous avez mentionné que les femmes se font cibler et harceler, y compris au Canada. À l’échelle mondiale, des efforts sont déployés pour lutter contre la violence en ligne et la cyberviolence envers les femmes. Les femmes, dont les Canadiennes, sont constamment la cible de violence en ligne. Les attaques touchent les politiciennes, les femmes parlementaires, les artisanes de la paix, les défenseuses des droits de la personne, les défenseuses des droits territoriaux et les femmes autochtones. Nous cherchons les meilleurs moyens d’intégrer cette lutte dans des mesures comme notre stratégie nationale.

Il faut d’abord reconnaître que ces enjeux comprennent souvent une dimension liée au genre. Par exemple, nous en savons de plus en plus sur la cyberviolence et les cybermenaces. Généralement, l’escalade des menaces qui commencent par de la cyberviolence comprend plusieurs étapes : d’abord, la déshumanisation du contact; ensuite, la désinformation; et finalement, les menaces physiques. Partout dans le monde, les gens ont tendance à franchir ces étapes beaucoup plus rapidement ou même à sauter des étapes lorsqu’ils s’en prennent à des femmes. Nous examinons des campagnes de désinformation genrée. Dans de nombreux cas, les attaques contre les femmes sont axées sur des facteurs comme leur sexualité ou leurs compétences de mères. Est-ce immoral pour une femme de participer aux activités d’une organisation internationale? Nous tentons de comprendre ces enjeux, ainsi que les mesures prises par d’autres pays, pour revenir à la question de la sénatrice.

Récemment, l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est, l’ANASE, a mis en place sa propre stratégie régionale relative aux femmes, à la paix et à la sécurité, en portant une attention particulière à la cyberviolence et aux cyberattaques fondées sur le genre. C’est un autre exemple que nous examinons pour comprendre l’évolution de la nature des menaces visant les femmes et les activistes.

Le sénateur Dean : Du côté positif, pouvez-vous nous donner d’autres exemples de progrès ou de pas dans la bonne direction? Nous avons parlé des défis et des difficultés.

Mme O’Neill : Certainement. Beaucoup de groupes s’organisent, y compris parmi les jeunes, ce qui est excellent. Beaucoup de jeunes fondent des mouvements regroupant un grand nombre d’hommes, notamment de jeunes hommes. Avant, ce qu’on entendait constamment de la part des jeunes femmes, c’est que dans le contexte de l’extrémisme violent, les hommes étaient considérés comme des cibles potentielles parce qu’ils formaient une masse sans emploi pouvant être radicalisée et transformée en terroristes. Par conséquent, les jeunes femmes étaient souvent exclues des discussions. Aujourd’hui, les mouvements de jeunes sont beaucoup plus inclusifs, et les jeunes femmes activistes jouent un bien plus grand rôle qu’avant.

Le président : M. Shannon a levé la main. Le temps est écoulé, mais je vais vous donner une minute pour répondre.

M. Shannon : Je voulais juste ajouter, à propos des menaces en ligne et en personne visant les femmes activistes, voire les activistes de la société civile partout dans le monde, qu’il est devenu pratique courante pour le Canada d’affecter des fonds à la protection des activistes dans les budgets des programmes menés dans les milieux en question. Cela comprend la protection en ligne, qui passe par l’autodéfense numérique et les saines habitudes numériques. J’ai été ambassadeur auprès de l’Irak pendant deux ans. J’ai vu des activistes être ciblés, et parfois même tués, parce qu’ils étaient associés à des ambassades étrangères — heureusement, pas celle du Canada. Néanmoins, il convient de poursuivre la discussion d’éthique sur les mesures à prendre pour fournir aux activistes les outils nécessaires pour se protéger. Merci.

La sénatrice Busson : Je vous remercie de votre présence.

Je m’intéresse particulièrement au troisième plan d’action national. De mon point de vue, la présence des femmes a tendance à modifier la dynamique de la résolution de conflits. C’est ce que j’ai constaté personnellement, et je crois que c’est aussi la conclusion qu’on peut tirer des expériences dont vous avez parlé. Pouvez-vous m’en dire plus sur les intervenants qui participeront au processus de consultation en vue de l’élaboration du nouveau plan? Comment évaluez-vous les résultats du travail accompli jusqu’à maintenant? Vous fondez-vous sur la participation, sur des critères d’évaluation prédéfinis ou sur une combinaison de mesures? Vu que les pays avec lesquels vous travaillez ont différents points de départ, je soupçonne que vous avez différentes façons de mesurer le succès. J’aimerais vous entendre là-dessus.

Mme O’Neill : Je vous remercie de la question.

Concernant les intervenants et le processus de consultation pour la rédaction de notre troisième plan, qui est en cours, comme je l’ai mentionné, nous entretenons une relation continue avec le Réseau Femmes, paix et sécurité — Canada. Cela représente donc quelque 87 membres, particuliers et organismes, avec lesquels nous avons un dialogue constant. Ils nous présentent des recommandations et des mémoires contenant des suggestions en vue de notre prochain plan. Nous avons aussi l’occasion de dialoguer directement lors de réunions périodiques, et on nous envoie des renseignements de façon régulière.

Nous avons aidé le réseau à lancer une consultation nationale il y a environ un an et demi. Divers groupes de discussion en ligne ont été mis en place; les gens pouvaient présenter des observations et répondre à des sondages. Divers moyens ont été employés pour rejoindre la population — y compris les groupes et les particuliers qui ignorent en quoi consiste le programme sur les femmes, la paix et la sécurité, mais qui y contribuent toutefois de maintes façons — dans le but d’élargir le bassin de personnes attentives à ces questions. Les gens ont présenté une multitude d’observations.

Nous avons aussi fait une évaluation à mi-parcours de notre deuxième plan d’action national. Nous avons aussi retenu les services d’un expert-conseil indépendant pour évaluer ce que nous avons fait de bien, et de moins bien. Il a consulté un certain nombre de personnes pour discuter des relations que nous entretenons, en tant que pays, avec les femmes de la société civile et d’autres régions du monde. Quelle est leur expérience du travail avec nos ambassades? Quelle est leur expérience par rapport au financement, et cetera? Qu’est-ce qui fonctionne, pour elles? Qu’est-ce qui ne fonctionne pas et qu’est-ce qu’elles souhaiteraient voir changer? Ces activités, ainsi que diverses collaborations continues avec d’autres partenaires internationaux visant à connaître les pratiques exemplaires et à obtenir des observations, notamment, ont réellement été utiles dans nos consultations.

En outre, nous avons transmis des éléments de réflexion au sujet du plan avec des personnes et organismes ciblés, tant au Canada qu’à l’étranger, y compris avec des organismes autochtones nationaux dirigés par des femmes, comme l’Association des femmes autochtones du Canada et Pauktuutit, qui ont apporté de très précieuses contributions jusqu’à maintenant.

Je pense que mon temps est écoulé.

Le président : Presque, mais pas tout à fait.

Mme O’Neill : Une des observations les plus importantes que nous avons reçues était la nécessité de réduire la portée du suivi et d’examiner les effets de manière beaucoup plus holistique. Nous tentons d’avoir moins d’indicateurs et de nous concentrer sur les plus importants, tout en recueillant plus de témoignages sur les effets à long terme. Actuellement, nous produisons des rapports annuels. Nous tâchons de faire comprendre les importants changements que nous apportons en peu de temps tout en reconnaissant — comme beaucoup de femmes nous le font constamment remarquer — que la paix n’est pas un projet qu’on peut décrire comme ayant un début et une fin. Nous cherchons donc aussi diverses façons de modifier notre façon d’expliquer les effets de ce travail.

Le sénateur Dean : Merci encore une fois.

Le président : Je vais me prévaloir de mon privilège de président pour poser une question. J’ai été inspiré par les questions précédentes du sénateur MacDonald et de la sénatrice Coyle.

Il y a une vingtaine d’années, lorsque j’étais le représentant permanent à l’Organisation des États américains, le Canada participait à un important exercice de médiation au Pérou. Au début, c’était une première voie, en ce sens que cette médiation était imposée par une résolution de l’assemblée générale qui, incidemment, a eu lieu à Windsor, en Ontario, de sorte que nous avons pu nous l’approprier, en partie. Toutefois, cela s’est rapidement transformé en une table ronde qu’on pourrait appeler une voie semi-officielle ou une voie officieuse. En effet, étant donné la nature de la politique péruvienne à l’époque, des groupes de femmes et de la société civile se sont aussi joints à l’exercice de façon tout à fait naturelle. Nous nous sommes donc retrouvés dans une situation plutôt intéressante, jouant presque un rôle de médiateurs.

Grâce à d’autres travaux de ce comité, ce qui comprend nos discussions avec nos homologues norvégiens, à Oslo, nous savons que la médiation et la facilitation d’initiatives officielles ou officieuses sont une longue tradition en Norvège.

Ma question s’adresse à vous deux. Intrinsèquement, le Canada procède-t-il ainsi? Pouvons-nous le faire? Cela me semble possible, étant donné la façon dont le programme sur les femmes, la paix et la sécurité a évolué ou s’est officialisé, d’une certaine manière. Encourageons-nous les initiatives officieuses dans d’autres parties du monde? J’aimerais avoir vos commentaires à ce sujet, ainsi que les vôtres, monsieur Shannon, étant donné votre vaste expérience au Moyen-Orient.

M. Shannon : Merci, monsieur le président.

Vous avez mis le doigt sur une question très actuelle au sein de notre ministère et de mon propre bureau. Nous sommes en train d’élaborer une stratégie de médiation. En fait, nous avons créé, au cours des deux dernières années, un conseil consultatif de médiation constitué d’universitaires, de diplomates à la retraite, d’ambassadeurs en poste et d’autres hauts fonctionnaires du ministère, afin d’examiner cette question précise. Ils se penchent sur la façon dont nous utilisons — ou non — l’expertise en médiation que nous avons acquise et renforcée au fil de nombreuses années, parfois de manière naturelle, et peut-être de façon ponctuelle.

Jusqu’à maintenant, nous avons notamment conclu que nous possédons cette expertise, mais sans nécessairement faire un suivi. Le problème, c’est que nous ne la considérons pas comme une discipline au sein de l’organisation. Nous examinons les possibilités de créer un genre de centre d’excellence à l’interne, pour ainsi dire, simplement pour regrouper ce savoir et réfléchir à l’intégration d’autres aspects que nous considérons comme très importants, notamment le Programme sur les femmes, la paix et la sécurité, dans ce travail. Je parle ici d’un travail qui est encore aux étapes préliminaires, mais il s’agit d’une véritable reconnaissance de l’existence de cette capacité.

Quant à savoir si l’intention sera nécessairement toujours présente et s’il convient que le Canada joue ce rôle en toutes circonstances, cela reste à voir.

Le président : Madame l’ambassadrice, avez-vous un commentaire à ce sujet?

Mme O’Neill : Je pense que sa réponse est des plus complètes.

Le président : Merci beaucoup.

Nous passons au deuxième tour. Techniquement, nous devons terminer à 12 h 30, mais puisque nous n’avons pas un deuxième groupe de témoins, nous pourrions dépasser légèrement l’heure prévue, avec la permission de nos témoins, s’ils peuvent rester un peu plus longtemps. Le comité semble très enthousiaste à l’idée de poser plus de questions, ce qui est toujours une bonne chose.

La sénatrice R. Patterson : Je reviens à une perspective d’ensemble pour me concentrer sur les aspects du programme liés à la sécurité. Nous savons que le Canada doit se concentrer sur la sécurité nationale. Traditionnellement, même à l’échelle mondiale, l’accent est mis sur la sécurité de l’État et la façon de protéger nos frontières, mais je constate que le programme sur les femmes, la paix et la sécurité est davantage axé sur la sécurité humaine. Quelle que soit la frontière où l’on se trouve, la sécurité humaine fait partie intégrante de ce programme. Je vais vous donner beaucoup de latitude pour répondre à cette question : en quoi le programme sur les femmes, la paix et la sécurité est-il le début d’une contribution à la discussion sur la définition de « sécurité humaine »? Comme nous le savons, il y a la définition de l’ONU et la définition de l’OTAN, mais en fin de compte, si votre population ne se sent pas en sécurité là où elle vit, cela aura une incidence sur votre position sur la scène mondiale. Bonne chance.

Mme O’Neill : Le programme sur les femmes, la paix et la sécurité a été officialisé en 2000, à peu près au moment où le programme sur la sécurité humaine a été présenté ou a fait l’objet de discussions plus officielles. Si je m’abstiens de dire que c’est une chose qui est apparue à cette époque-là, c’est parce que pendant des milliers d’années, comme nous le savons, les femmes du monde entier, y compris les femmes autochtones, ont joué un rôle primordial, mais non officiel, dans la résolution — au sens large — de conflits entre les communautés, en encourageant les parties à discuter et en redéfinissant, essentiellement, les normes de sécurité.

Selon moi, cela s’inscrit dans le même esprit que ce que vous venez d’évoquer, et la raison pour laquelle le Conseil de sécurité a été saisi de la question des femmes, de la paix et de la sécurité, c’est que les femmes estimaient que c’était une question de sécurité à laquelle elles ne participaient pas, alors qu’elles étaient confrontées à l’insécurité liée au genre jusque dans leurs propres foyers. Nos enfants sont recrutés par des groupes armés ou des gangs. Il y a la question de la justice transitionnelle et la façon dont les communautés se relèvent de la guerre. Ces enjeux sont directement liés à notre paix et notre sécurité, et non aux conflits interétatiques ou conflits armés intraétatiques au sens traditionnel du terme. On a affirmé que la question relevait du Conseil de sécurité de l’ONU parce que cela avait fait l’objet de discussions dans d’autres instances de l’ONU, mais l’adoption de cette résolution représentait la première fois que la plus haute instance des Nations unies chargée de la sécurité déclarait que les femmes ne sont pas seulement des victimes des conflits, mais aussi d’essentiels et puissants agents de changement dont la sécurité est, en soi, aussi pertinente et importante.

Quant à l’incidence ou l’influence que cela peut avoir, je pense que les deux s’influencent et se façonnent mutuellement depuis leur création et leur lancement. D’ailleurs, c’est une chose que les femmes et les militants pour la paix et la sécurité ne cessent de répéter : nous devons élargir notre perspective concernant les créateurs de la sécurité et la définition de la sécurité, ainsi que sur l’efficacité de certaines approches que nous avons utilisées.

M. Shannon peut maintenant l’exprimer de bien meilleure façon.

M. Shannon : Non, c’est parfait ainsi.

Le président : Il vous reste environ 40 secondes.

M. Shannon : J’ajouterais que la plupart de nos programmes dans les États fragiles et touchés par des conflits sont centrés sur l’humain. Nous travaillons de l’intérieur vers l’extérieur, aux côtés de nos collègues qui œuvrent au développement et à l’aide humanitaire et qui ont tous une approche centrée sur la victime dans les cas liés à la violence sexuelle et fondée sur le genre, mais tournée vers l’extérieur, à savoir les institutions et, à terme, les gouvernements. Dans la plupart des cas, nous ne travaillons pas en partenariat avec les gouvernements des États fragiles et touchés par un conflit, étant donné leur nature, mais nous essayons d’influencer les institutions et les organisations qui ont un rôle dans les questions liées à la justice, par exemple, ainsi qu’aux droits de la personne et à la protection des civils.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : J’aimerais revenir sur la situation en Colombie, que je connais très bien. Il était fort intéressant de voir réunis autour d’une même table des guérilleros des Forces armées révolutionnaires de Colombie, ou FARC, des représentants du gouvernement et des membres de la population générale et de constater le chemin parcouru en si peu de temps. Nous nous souvenons tous de l’époque où la Colombie était l’un des pays les plus dangereux du monde. C’était un pays extrêmement dangereux, avec la présence des cartels jumelée à la guérilla des FARC, au sud. J’y suis allé trois fois, et j’ai adoré le pays à chacune de mes visites. En fait, j’ai trouvé que c’était un endroit formidable. J’ai aimé ce pays, mais avec certaines réserves, je suppose. Vous avez connu du succès dans ce pays. Pouvez-vous donner d’autres exemples de vos réussites? Quelles sont les similitudes et les différences dans vos approches pour obtenir du succès? Pouvez-vous citer d’autres régions où vous avez eu du succès?

Mme O’Neill : Oui. Comme pour les plans d’action nationaux, certains éléments de divers programmes ont connu du succès et donné des résultats. Je dirais que le processus de négociation avec les FARC était parmi les approches les plus traditionnelles, comme nous l’avons dit, avec des négociations officielles et la signature d’un accord de paix. La reconnaissance de la présence de femmes combattantes dans les groupes armés et les forces de sécurité est une caractéristique propre à ce processus.

Comme vous le savez très bien, les femmes combattantes représentaient plus de 40 % de l’effectif des FARC. Une des difficultés et une des erreurs récurrentes dans les programmes de démobilisation et de réintégration dans les communautés ont été de supposer que la très grande majorité des combattants étaient des hommes et que les femmes auraient, au moment de leur réintégration dans la communauté, les mêmes besoins et un intérêt pour le même genre de professions, et cetera.

Un des constats importants par rapport au processus entre le gouvernement et les FARC en Colombie est la nécessité de collecter des données et de supposer que l’on comptera environ 30 % de femmes combattantes parmi les personnes qui devront être intégrées, démobilisées et réintégrées. Durant les premières séries de négociations avec les FARC, certains programmes de démobilisation prévoyaient que les femmes deviendraient coiffeuses ou couturières, ou qu’elles vivraient la même chose que les hommes, à savoir qu’elles seraient réintégrées dans la communauté, mais sans l’appui d’un quelconque réseau, et cetera. Prenons le cas de femmes qui ont été commandantes d’unités comme exemples des réussites obtenues grâce à ce processus. On parle de femmes qui ont commandé des équipes de logistique et qui ont fait partie du personnel médical d’urgence, et cetera. Comment peuvent-elles utiliser ces compétences à l’extérieur du groupe armé, de façon à s’assurer qu’elles soient beaucoup moins susceptibles de vouloir y retourner parce que cela leur donne une raison d’être, un sentiment de dignité et d’accomplissement?

On voit cela de plus en plus fréquemment dans les programmes de désarmement, de démobilisation et de réintégration intégrés aux accords de paix, ce qui témoigne de la nécessité de supposer que le nombre de femmes est beaucoup plus élevé qu’on le pense, même pour des choses comme la remise des armes. Pendant longtemps, le processus se résumait à offrir une trousse de réintégration, en espèces ou autre, au moment de la remise des armes. On voyait souvent des hommes obliger les femmes des forces à leur donner leur arme. Même des femmes qui avaient combattu se retrouvaient sans trousse. Les réussites découlent d’une attention accrue à ce genre de détails.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Ravalia : Le Fonds des Nations unies pour la population a récemment mené une enquête sur l’égalité des sexes, dont une des conclusions est que les progrès en matière d’égalité des sexes sont au point mort à l’échelle mondiale. Les jeunes hommes ont rarement une meilleure attitude à l’égard de l’égalité entre les sexes que les hommes plus âgés. Quelle incidence cette constatation a-t-elle sur notre travail à l’avenir?

Mme O’Neill : Je vous remercie de la question.

C’est une affirmation très troublante. Je pense qu’on tend souvent à supposer que les jeunes générations seront plus inclusives ou qu’elles transformeront automatiquement les institutions dans lesquelles elles travaillent ou avec lesquelles elles travaillent. Ce qu’on observe chez les jeunes est le reflet de la résistance qu’on observe à l’échelle mondiale et dont vous avez beaucoup entendu parler. Il est peut-être utile d’analyser ce que je viens de dire. Je vais donc demander à l’homme qui m’accompagne de répondre à cette question. Je suis consciente de ce que je fais. En fait, voulez-vous commencer?

M. Shannon : Non.

Mme O’Neill : Désolée.

Il y a plusieurs choses. On constate que la montée de l’autoritarisme et le recul de la démocratie s’accompagnent d’une attaque en règle contre les droits des femmes. Je pense que cela tient en partie du fait que les gens prennent beaucoup plus au sérieux les efforts des femmes pour s’organiser. Au début, la mentalité, c’était « Oui, vous pouvez avoir une résolution et vous pouvez vous organiser. Pas de problème. Faites ce que vous avez à faire, ». Aujourd’hui, on assiste à une réelle remise en question du pouvoir et des structures de pouvoir traditionnelles, et les institutions traditionnelles se voient obligées de devenir beaucoup plus transparentes et inclusives. À mon avis, cela explique en partie pourquoi nous assistons à une telle résistance.

Nous voyons également beaucoup de messages qui ciblent les jeunes, et ce, pour un certain nombre de raisons. Je pense qu’il est important de comprendre pourquoi. La Russie est l’un des principaux messagers dans ce domaine. Dans une certaine mesure, il y a un engagement véritable et profond à l’interne à maintenir les structures de pouvoir de la famille dite traditionnelle qui en dépendent. Je pense que la Russie constate également des clivages au sein des alliances traditionnelles et qu’elle est en mesure d’utiliser les idées — qu’elle appelle l’idéologie du genre ou les notions d’égalité des sexes — pour diviser les alliés traditionnels et, par conséquent, affaiblir leur opposition. Il s’agit autant d’une tactique que d’une démarche potentiellement motivée par des questions ou des demandes réelles. Il y a aussi la Chine. En utilisant des approches différentes, la Chine mine les efforts déployés sur des questions telles que les femmes, la paix et la sécurité, qui font l’objet d’analyses et de compréhensions différentes. L’universitaire canadienne Anne Marie Goetz a écrit sur la façon dont les femmes, la paix et la sécurité constituent une approche qui sape fortement les approches chinoises traditionnelles pour développer des influences à l’échelle mondiale. Il s’agit d’une transparence sur l’ouverture, et même si ce n’est pas sur l’aide conditionnelle, c’est sur l’aide qui accompagne le développement qui accompagne certaines normes en matière de respect des droits de la personne, d’ouverture, etc.

Je dis cela parce que je ne pense pas qu’il soit naturel qu’une jeune génération considère les femmes comme étant inférieures. Les adversaires de ce travail préparent des messages très puissants et des approches très délibérées, stratégiques et ciblées à l’intention des jeunes hommes et des jeunes femmes, mais plus particulièrement des jeunes hommes.

M. Shannon : En tant que diplomate, j’ai passé beaucoup de temps à réfléchir à la manière dont nous communiquons nos valeurs à l’étranger. J’ai mentionné que j’avais passé deux ans en Irak où, pour être franc, je pense que la façon dont nous avions parlé de Femmes, paix et sécurité, FPS, par exemple, dans ce contexte était maladroite et pas particulièrement bien adaptée à l’environnement local.

J’ai eu le privilège, au cours de ma première année, de travailler aux côtés du général Carignan, qui commandait la mission de l’OTAN en Irak. J’ai pu constater qu’elle était capable d’expliquer l’importance de ce programme, même sur le plan opérationnel, en décrivrant le type d’analphabétisme sur ces questions que l’armée irakienne a connu lors de la perte de Mossoul et d’un tiers de son territoire. Il y avait une composante de genre à cela, comme l’incapacité à travailler avec les communautés locales et les femmes locales, à recueillir des renseignements et à penser dans une optique opérationnelle à la manière de travailler avec les femmes de cette population. Elle a été capable d’expliquer cela de façon compréhensible. Elle ne faisait pas la morale. C’était présenté comme une question d’intérêt personnel et d’efficacité pour la force.

Pour répondre à votre question, la démographie ne nous sauvera pas. Nous devons personnaliser et adapter notre message dans chaque pays où nous nous engageons.

La sénatrice Coyle : Nous pourrions discuter toute la journée avec vous deux. Je vous remercie encore une fois.

Il s’agit d’une nouvelle fonction pour le Canada, bien que nous ayons déjà eu ces projets auparavant. Je sais que votre mandat est confirmé jusqu’en 2025, mais je ne parle pas seulement du reste de votre mandat, qui peut être renouvelé, ou que vous ne souhaitez pas renouveler, qui sait. Je parle de cette fonction. Je pense qu’il est important pour le Canada d’assumer cette fonction. Si vous deviez conseiller le gouvernement sur la manière de renforcer l’incidence potentielle de cette fonction, dites-nous ce que vous lui diriez.

Mme O’Neill : Merci de cette question.

Comme vous l’avez mentionné, le Canada est le premier pays au monde à avoir un ambassadeur pour les femmes, la paix et la sécurité. Je signale souvent que nous avons, comme j’ai l’habitude de le dire, volé l’idée — mes collègues ont dit que nous nous sommes inspirés et je devrais adapter ma formulation — de l’Union africaine. Le chef de l’Union africaine a un représentant envoyé spécial pour les femmes, la paix et la sécurité. De nombreux pays disposent d’un tel représentant, comme l’a mentionné M. Shannon. Il est le défenseur des femmes, de la paix et de la sécurité pour le Canada. Il est également notre point central dans ce réseau international. De nombreux pays ont un tel représentant.

Le Canada est le seul pays à l’avoir élevé au rang d’ambassadeur. Je dois dire que c’est une ouverture exceptionnelle. C’est un titre qui est reconnu. Nous nous débattons beaucoup avec le jargon et les termes qui ne signifient pas nécessairement quelque chose pour les gens ou qui ne sont tout simplement pas accessibles. Les gens connaissent le terme « ambassadeur », et il permet d’ouvrir beaucoup de portes. Je dirais qu’il est très important de conserver ce titre pour ceux qui me suivront.

Dans le cadre de mon mandat, je conseille directement les ministres. J’essaie de faire en sorte que les gens entendent des conseils directs et non filtrés, tout en travaillant dans le cadre de nos systèmes pour intégrer ce travail. La chose la plus inutile que je pourrais faire serait d’essayer de regrouper les travaux sur ce sujet et d’essayer de tout faire moi-même à partir de mon petit bureau ou de réorienter les choses. M. Shannon est très généreux en matière de coordination, car nous voulons nous assurer que là où il y a un système en place pour les équipes et les systèmes qui existent pour traiter des femmes, de la paix et de la sécurité, pour en parler lors des témoignages, pour préparer des rapports à ce sujet et pour traiter les crises et les problèmes, cela devrait être intégré partout ailleurs. Chaque fois que je reçois une demande, si quelqu’un d’autre peut faire le travail ou s’il n’y a pas besoin de titre, alors distribuons-le autant qu’il est humainement possible de le faire.

Je pense que j’ai le meilleur travail du monde. C’est merveilleux d’avoir ce poste, mais nous essayons toujours de nous assurer, avec beaucoup d’ouverture, qu’il est aussi effectivement, pour utiliser un terme de jargon, intégré dans le reste de notre gouvernement.

La sénatrice Coyle : Me reste-t-il encore du temps?

Le président : Non, mais merci beaucoup de cette excellente question.

[Français]

La sénatrice Gerba : Madame l’ambassadrice, vous avez indiqué que l’Union africaine avait un plan, et je comprends que vous vous êtes aussi inspirée de ce plan.

Quelle est votre collaboration avec l’Union africaine et, plus particulièrement, comment le Canada appuie-t-il l’Union africaine pour assurer une meilleure représentation des femmes africaines dans les négociations de paix?

Mme O’Neill : Merci pour les deux questions. Mon collègue répondra à la deuxième partie de votre question.

M. Shannon : Dans la foulée du dernier sommet avec l’Union africaine qui a eu lieu l’automne dernier, il existe chez nous une volonté d’engager un dialogue avec l’Union africaine sur le maintien de la paix.

Vous comprenez sans doute que le problème, c’est que le maintien de la paix au sein de l’Union africaine n’est pas financé comme le maintien de la paix au sein des Nations unies. C’est un enjeu qui est débattu depuis bon nombre d’années, mais on veut quand même engager une discussion avec l’Union africaine pour partager les pratiques exemplaires qu’on a développées, notamment par l’entremise de l’Initiative Elsie pour la participation des femmes aux opérations de paix.

On veut voir s’il pourrait y avoir une admissibilité pour créer des partenariats avec des pays membres de l’Union africaine et l’Union africaine elle-même, pour inclure les pays contributeurs de militaires et de policiers dans nos activités. C’est un enjeu qui est en cours. Évidemment, par l’entremise du bureau du nouvel observateur permanent du Canada auprès de l’Union africaine, Ben Marc Diendéré, ce sera l’un des enjeux sur lesquels on souhaite travailler ensemble.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

Mme O’Neill : Pour répondre à votre première question sur le soutien apporté à l’Union africaine, le Canada a soutenu le bureau de mon homologue, la représentante spéciale de la présidente pour les femmes, la paix et la sécurité. Par l’entremise de son bureau, et le Canada a appuyé ce travail, un cadre continental des résultats a été élaboré. Grâce à l’engagement des femmes et des hommes dans les pays d’Afrique, ils ont cerné des buts ou des objectifs communs ou partagés, ce qui facilite les comparaisons et les contrastes entre les pays africains. Cela donne un mouvement plus commun aux Africains qui s’organisent autour des femmes, de la paix et de la sécurité et donne une idée de ce que cela ressemble précisément sur le continent. Notre travail a porté à la fois sur la défense des droits sur le plan politique et sur la résolution des conflits et le soutien à la paix, ainsi que sur le soutien à l’institution de l’Union africaine pour, encore une fois, intégrer ces travaux dans l’ensemble de ses propres fonctions.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

Nous sommes arrivés à la fin, et il ne nous reste peut-être qu’un moment ou deux. Je me demande si l’un d’entre vous souhaite faire des observations supplémentaires. Comme l’a dit la sénatrice Coyle, nous pourrions rester ici pendant des heures à discuter avec vous. Y a-t-il d’autres questions ou observations que vous souhaiteriez aborder? Je vais vous accorder quelques instants chacun, si vous le voulez bien.

M. Shannon : S’il y a une chose à retenir de mes observations, je voudrais vous assurer que lorsque nous parlons de l’intégration du programme des femmes, de la paix et de la sécurité dans le travail d’Affaires mondiales Canada, il ne s’agit pas d’une simple expression à la mode. C’est quelque chose sur lequel nous travaillons. Avec mes collègues des secteurs du développement, de l’aide humanitaire et de la paix et de la sécurité, dont je suis responsable, nous cherchons tous des moyens de ne plus considérer les femmes, la paix et la sécurité comme une sorte de niche politique. Ce n’est pas quelque chose que l’on ajoute ou que l’on injecte à mi-chemin dans une situation de conflit. Ils doivent être présents, au haut de la liste des priorités, dès qu’une crise éclate. C’est l’une des questions les plus difficiles à résoudre actuellement. Nous sommes dans un environnement de polycrise. Nous jonglons avec de multiples crises intenses qui sévissent en même temps.

Veiller à sensibiliser les gens à la perspective sexospécifique est quelque chose que nous faisons concrètement et qui est assez récent, par exemple en la rendant obligatoire dans le cadre de notre programme de formation pour nos chefs de missions sortants, de même que pour les gestionnaires de programmes dans tous ces programmes — développement humanitaire et paix et sécurité. Elle doit faire partie de la trousse à outils de base de tous nos diplomates, de sorte qu’inconsciemment, même lorsqu’une crise éclate ou commence, cette perspective sexospécifique est présente et fait donc automatiquement partie de nos réponses dans le cadre de nos programmes, de la défense des droits, de la diplomatie et de toutes les trousses à outils que nous déployons pour obtenir des résultats.

Mme O’Neill : Je vous remercie de cette occasion. Il y a un certain nombre de choses que j’aimerais que les parlementaires continuent à faire.

Ces audiences sur le sujet sont très utiles en tant qu’exercices pour se concentrer sur une question, mais, pour répondre exactement à la remarque de M. Shannon, ne mettez pas seulement l’accent sur les femmes, la paix et la sécurité. Lors de la comparution de témoins et d’audiences, entendez-vous directement des femmes? Plus particulièrement, entendez-vous des femmes de la société civile, de multiples groupes différents — celles qui représentent le plus l’ACS Plus ainsi que les différences en ce qui concerne les milieux urbains et ruraux, l’âge, etc.?

Il y a les questions que l’on pose aux gens. Il y a peu de choses qui forcent davantage à l’action que la préparation d’un témoignage devant une entité parlementaire. Les personnes qui témoignent doivent s’attendre à ce qu’on leur pose des questions liées au programme des femmes, de la paix et de la sécurité, et des questions éclairées, pas seulement, « Avez-vous effectué une analyse comparative entre les sexes plus à ce sujet? », mais plutôt, « Quelles sont les principales conclusions de l’analyse comparative entre les sexes plus, et comment avez-vous adapté votre approche en conséquence? » Et il ne faut pas seulement poser ces questions aux personnes dont le titre comporte « femmes, paix et sécurité » ou « paix et sécurité », mais à tout le monde, jusqu’à l’intégration de M. Shannon, et à l’évaluation de la recherche que vous effectuez afin d’être constamment informé de ce travail.

Il y a aussi la diplomatie parlementaire ou la façon dont vous vous engagez avec d’autres parlementaires dans le monde. Nous avons parlé des réactions négatives et des menaces. Il y a des idées néfastes et extrêmement fausses selon lesquelles il s’agit d’un programme dicté par l’Occident qui émane de pays comme le Canada. C’est faux et insultant pour les femmes du monde entier qui ont risqué leur vie pour défendre cette cause. Lorsque vous parlez de ce que le Canada fait, encouragez les autres pays et reconnaissez les grandes contributions qu’ils apportent. Faites-nous-en part. Il est très utile pour notre message que nous en fassions part. Admettre que nous avons des défis à relever chez nous est une source de force. Il faut admettre que nos forces armées et la GRC sont confrontées à divers problèmes. C’est quelque chose que nous faisons en tant que pays, car cela montre à quel point nous attachons de l’importance à la question et voulons nous améliorer. Dans vos relations avec d’autres parlementaires, en particulier ceux qui ne font pas partie des « suspects habituels », gardez cette question à l’ordre du jour et cherchez vraiment à savoir comment ils nous guident et nous répondent.

Je vous remercie.

Le président : Merci de ces conseils.

Au nom du comité, j’aimerais remercier l’ambassadrice O’Neill et le directeur général Shannon de leur présence parmi nous. La discussion a été riche. Je pense que nous en avons tiré de très bonnes conclusions. Je tiens à vous remercier, vos équipes et vous. Merci de tout le travail que vous accomplissez pour le Canada dans ce que M. Shannon vient de qualifier d’environnement polycrise. Nous en sommes conscients.

Chers collègues, il y a deux points à aborder avant que je lève la séance. Je serais reconnaissant aux sénateurs invités d’en informer les membres permanents.

Premièrement, je tiens à vous informer que l’ébauche du rapport de l’étude du comité sur le service extérieur du Canada sera distribuée demain par courriel. Il est important de prendre le temps d’examiner ce document, car le comité se réunira mercredi prochain à huis clos pour étudier le projet de rapport en vue de le déposer au Sénat au cours de la semaine du 20 novembre.

Deuxièmement, jeudi prochain, nous nous réunirons à huis clos pour discuter de la portée et de l’orientation de notre étude sur l’engagement du Canada envers l’Afrique, l’ordre de renvoi que le Sénat a approuvé la semaine dernière. Nous allons envoyer des questions pour orienter la discussion sur l’étude de l’Afrique, alors surveillez cela aussi. Cela facilitera notre discussion lorsque nous l’aurons également.

S’il n’y a aucun autre point à l’ordre du jour, chers collègues, nous allons ajourner la séance. Je vous remercie.

(La séance est levée.)

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