Aller au contenu
AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 22 novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour son étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario, et je suis président du comité des affaires étrangères et du commerce international.

[Traduction]

Avant de commencer, j’aimerais inviter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.

Le sénateur Ravalia : Soyez les bienvenus. Je m’appelle Mohamed Ravalia et je représente Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, Antigonish, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur MacDonald : Michael MacDonald, Cap-Breton, Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Woo : Yuen Pau Woo, Colombie-Britannique.

La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Soyez les bienvenus. Marty Deacon, Ontario.

Le sénateur Richards : Dave Richards, Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Greene : Steve Greene, Nouvelle-Écosse.

Le président : Merci, honorables sénateurs. Je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’à tous ceux qui, dans tous les coins du pays, nous regardent sur le ParlVU du Sénat.

Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui conformément à notre ordre de renvoi général pour débuter notre discussion sur la situation humanitaire à Gaza. Pour ce faire, nous accueillons avec plaisir Christopher MacLennan, sous-ministre du Développement international, Ann Flanagan Whalen, directrice générale, Afrique du Nord, Israël, Cisjordanie/Gaza, et Tara Carney, directrice, Assistance humanitaire internationale, tous d’Affaires mondiales Canada. Bienvenue et merci d’avoir accepté notre invitation.

Avant d’entendre votre déclaration et de passer aux questions-réponses, j’aimerais demander aux membres et aux témoins présents dans la salle de s’abstenir de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur oreillette lorsqu’ils le font. Cela évitera tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité et d’autres personnes dans la salle qui porteraient l’oreillette pour l’interprétation.

[Français]

Nous sommes maintenant prêts pour vos remarques préliminaires, qui seront suivies d’une période des questions des sénateurs.

Monsieur le sous-ministre, vous avez la parole.

Christopher MacLennan, sous-ministre du Développement international, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président. Comme chacun et chacune d’entre vous, nous sommes profondément préoccupés par la situation humanitaire désastreuse qui se détériore à Gaza de même que par ses conséquences immédiates et à long terme pour les civils.

Il y a seulement six semaines, l’attaque brutale du Hamas contre Israël a choqué le monde entier. Le gouvernement du Canada a depuis soutenu sans équivoque le droit d’Israël à l’autodéfense. Nous avons également défendu sans équivoque la position selon laquelle le droit humanitaire international doit être respecté.

[Traduction]

Selon le droit international humanitaire, il faut libérer les otages. Nous espérons que l’accord annoncé aujourd’hui facilitera la libération d’autres otages très bientôt. Le droit international humanitaire est clair également sur un autre point : le personnel et les installations médicaux et humanitaires ne doivent pas être la cible d’attaques et ne doivent pas servir à des fins militaires. Le premier ministre l’a dit, « même la guerre a ses règles », et il a demandé à Israël de faire preuve de la plus grande retenue.

Dans une perspective d’aide humanitaire, il est difficile d’exagérer l’ampleur de l’urgence en cours à Gaza. Nous savons qu’il y a eu au moins 11 000 morts, dont 4 500 enfants et 3 000 femmes. Et c’est sans compter plus de 6 500 personnes, dont 4 400 enfants, portées disparues et peut-être piégées sous les décombres.

En ce qui concerne les déplacements, les chiffres ne sont pas moins renversants : 65 % des habitants de Gaza ont été déplacés de leur foyer et plus de 813 000 personnes ont trouvé refuge dans seulement 154 abris d’urgence désignés que gère l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction, l’UNRRA. C’est presque trois fois ce à quoi ces refuges sont destinés. Cela veut dire qu’il n’y a pas assez d’installations sanitaires ni même d’endroits où dormir. Les femmes et les enfants dorment à l’intérieur, mais les hommes dorment à l’extérieur. Et l’hiver s’en vient. Le surpeuplement favorise la propagation de maladies comme les maladies respiratoires aiguës et la diarrhée, et nous courons le risque d’une catastrophe pour la santé publique. Si le surpeuplement est si grave, c’est en partie parce que des infrastructures essentielles ont été détruites. La guerre a causé la destruction de plus de 45 % des logements à Gaza et de plus de 300 écoles. Elle a détruit les réseaux d’aqueduc et d’eaux usées.

J’ai cité beaucoup de chiffres, mais il est important d’essayer de démontrer l’ampleur de la tragédie qui frappe Gaza en discutant des interventions sur le terrain et de la contribution du Canada à ces efforts.

[Français]

En ce qui concerne l’accès humanitaire, la situation reste très dangereuse et très difficile. Les fréquentes coupures de communication rendent les opérations humanitaires encore plus difficiles. Depuis le 21 octobre, en excluant le carburant, il n’y a que 1 320 camions qui sont entrés à Gaza par la frontière de Rafah. Les agences des Nations unies estiment que l’aide entrant dans la bande de Gaza ne représente qu’une petite fraction de ce qui est nécessaire.

Nous espérons que l’accord annoncé hier pour la libération des otages et la pause temporaire des combats vont permettre à une aide humanitaire plus essentielle d’atteindre les personnes vulnérables.

De nombreux problèmes persistent. Par exemple, avant qu’un camion ne soit autorisé à traverser la frontière à Rafah, il doit faire un long détour jusqu’à une installation mise en place pour l’inspection. Nous savons également qu’il y a de nombreux retards sur la route menant au Caire. Rafah est assez éloigné, ce qui pose des problèmes logistiques évidents.

[Traduction]

Il ne fait aucun doute que l’épine dorsale de la réponse humanitaire à Gaza est l’UNRRA, qui s’est révélée un partenaire d’expérience et de confiance ayant la capacité de travailler efficacement dans un environnement opérationnel extrêmement complexe. Le Canada, et d’autres donateurs d’optique commune, continueront de fournir un soutien indispensable à l’administration. Sur le terrain, des partenaires humanitaires chevronnés se joignent à l’UNRRA, notamment la Croix-Rouge, le Programme alimentaire mondial — dont vous entendrez parler, si j’ai bien compris — et l’Organisation mondiale de la santé. Leur travail s’articule sur les transferts d’argent, les trousses alimentaires, l’eau, les trousses d’hygiène et les articles non alimentaires pour aider les civils dans le besoin. Ces biens proviennent de fournitures prépositionnées à Gaza, car les fournitures dont on a un urgent besoin arrivent au compte-gouttes.

Il est crucial que nous soutenions les efforts continus des organismes humanitaires et que nous soyons à l’écoute de leurs conseils et attentifs à leurs besoins. Je souligne qu’avant le début de la guerre, le Canada était déjà l’un des plus importants donateurs bilatéraux d’aide humanitaire et d’aide au développement aux Palestiniens, et que nous étions en fait le premier pays occidental à annoncer une aide humanitaire supplémentaire. À ce jour, le Canada a annoncé l’octroi de 60 millions de dollars supplémentaires en aide humanitaire à des organismes d’expérience des Nations unies, de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, ainsi qu’à d’autres partenaires non gouvernementaux. Cela comprend un fonds de contrepartie avec la Coalition humanitaire ici au Canada, qui représente 12 ONG humanitaires canadiennes de premier plan. L’appel de la coalition a suscité des dons de 13,7 millions de dollars, que le gouvernement du Canada est heureux de doubler.

Cette aide est très importante, mais il est clair que les besoins globaux de financement demeurent incroyablement élevés. Cela ressort clairement de l’appel éclair lancé par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, le BCAH. Le 12 octobre, l’appel était à 294 millions de dollars américains, mais le 6 novembre, il était passé à 1,2 milliard de dollars américains, et nous nous attendons à ce qu’il augmente encore dans les semaines à venir.

Permettez-moi de souligner avant de terminer que le Canada travaille à cette crise sous tous les angles. Je me concentre sur l’aide humanitaire, mais nous collaborons aussi avec des partenaires de la collectivité internationale pour coordonner les efforts de consolidation de la paix après un conflit, de reconstruction et d’aide humanitaire. Nous avons de nombreux contacts avec les États-Unis, d’autres alliés clés et des partenaires régionaux, y compris Israël. La ministre Joly et le ministre Hussen se sont tous deux rendus dans la région pour plaider en faveur d’un meilleur accès et de l’élargissement de la portée de l’aide humanitaire grâce à l’ouverture d’un plus grand nombre de passages frontaliers vers Gaza. Nous continuons de réclamer un meilleur accès humanitaire, notamment par des pauses humanitaires, afin que l’aide dont nous avons tant besoin parvienne aux populations vulnérables de Gaza. Le Canada continuera de défendre vigoureusement le droit des peuples palestinien et israélien de vivre côte à côte dans la paix et la sécurité.

Merci.

Le président : Merci, monsieur MacLennan.

Chers collègues, je vous signale que le sénateur Don Plett, du Manitoba, et la sénatrice Amina Gerba, du Québec, se sont joints à nous.

J’aimerais préciser aux sénateurs que vous disposez d’un maximum de quatre minutes chacun pour la première ronde, incluant les questions et réponses. Par conséquent, j’invite les membres du comité et les témoins à être concis. Nous pourrons toujours tenir un deuxième tour si le temps le permet.

Avant de procéder, il est important de se rappeler que le sujet dont nous traitons aujourd’hui est très fluide et très sensible, et qu’il faut le garder dans les meilleures traditions de notre institution, et respecter tout le monde dans la formulation de nos questions. Je rappelle à tous — membres et témoins — ainsi que les Canadiens qui nous regardent, que le sujet des réunions de cette semaine est la situation humanitaire à Gaza. Sur ce, nous passons aux questions.

La sénatrice M. Deacon : Merci aux trois témoins d’être ici aujourd’hui. Le sujet est délicat, mais très important. Je suis heureuse de vous voir en personne. Nous vous en sommes très reconnaissants.

Ma première question concerne l’avenir des enfants de Gaza après ce conflit. Vous nous avez donné de l’information. Vous nous avez fourni des données très pertinentes. On estime qu’environ 40 % des victimes de l’offensive des Forces de défense d’Israël sont des enfants, ce qui n’a pas de quoi surprendre, vu que la moitié de la population de Gaza est formée de jeunes. De nombreux médecins sur le terrain décrivent un phénomène d’enfants blessés qui n’ont pas de proches survivants — des enfants qui ont survécu à une frappe, mais dont toute la famille élargie a été tuée. S’ils survivent à cette ronde de combats, ils seront orphelins, souvent handicapés à vie, sans aucun proche pour s’occuper d’eux. L’endroit où ils vivent, à toutes fins utiles, cessera de fonctionner comme ils le connaissaient jadis, et je ne peux penser à une position plus vulnérable pour les jeunes dont les souffrances ne s’arrêteront pas si rien n’est fait pour leur venir en aide. En gardant cela en tête et en regardant vers l’avenir — que nous espérons plus proche que plus loin, quelles mesures le Canada prend-il pour atténuer cet aspect de la tragédie?

M. MacLennan : Voilà une très bonne question. Je pense que tout le monde a été très troublé et choqué par le nombre d’enfants qui ont été tués. Nous avons vu les chiffres. Plus d’enfants sont morts dans un conflit armé depuis un mois et demi que dans les trois années précédentes. La situation est vraiment grave.

La première priorité est la pause des hostilités aujourd’hui, qui permet l’entrée immédiate de l’aide humanitaire. C’est notre grande priorité, et ensuite, évidemment, nous demandons à toutes les parties au conflit de respecter le droit humanitaire.

Pour ce qui est de la suite des choses, je dirais que le gouvernement du Canada, de concert avec ses partenaires, a beaucoup d’expérience dans les zones de conflit, malheureusement. Cela comprend le type de programmes spécialisés dont les enfants ont besoin, tout ce qui va du maintien de l’éducation... Nous avons beaucoup appris, par exemple, pendant la crise syrienne. L’une des premières choses qui ont été identifiées dans la crise syrienne, c’est la génération perdue d’apprenants, si vous vous en souvenez, et la nécessité de trouver des moyens de mieux répondre à ce besoin immédiat pour les enfants qui ont survécu, qu’ils aient malheureusement perdu leurs parents ou non. C’est là qu’un certain nombre d’importantes organisations sont nées. Il y a tellement d’organisations qui travaillent dans les zones vulnérables, très honnêtement. Cela s’inscrit également dans la mouvance du G7 du Canada de 2018 et de l’Initiative de Charlevoix sur l’éducation, avec l’accent mis sur les besoins d’apprentissage des filles et des femmes dans les régions fragiles et ravagées par des conflits. Nous avons beaucoup d’expérience dans cet espace.

Pour ce qui est de ce que nous allons devoir faire, de toute évidence, dès l’instant où nous aurons un semblant de paix durable dans la région, il faudra mettre les besoins des enfants à l’avant-plan de ce qu’il faut faire pour la reconstruction. Cela comprend leur santé — on peut imaginer le traumatisme psychologique qu’ils ont vécu —, mais aussi les moyens de les remettre sur la bonne voie. Vous avez mentionné les bouleversements économiques très importants que cela aura causés dans la bande de Gaza. Pour leur donner un avenir, il faudra, bien honnêtement, une intervention à grande échelle de développement et de reconstruction.

Le président : Merci, monsieur le sous-ministre. Parliez-vous des Casques blancs?

M. MacLennan : Non. Je parle d’« Éviter une génération perdue » de l’UNICEF.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

Le sénateur Richards : Je remercie nos témoins de leur présence.

Vous avez répondu à ma question en répondant à celle de la sénatrice Deacon. Je vais donc vous en poser une qui concerne aujourd’hui, parce qu’il y avait tellement de monde qui devait être libéré aujourd’hui. Savons-nous combien de Canadiens sont au nombre des otages? Savons-nous combien d’enfants sont otages du Hamas?

M. MacLennan : Je n’ai pas les chiffres exacts. Ce n’est pas que j’aie quelque chose à cacher, mais seulement parce que ma responsabilité ne s’étend pas à cette partie du ministère. Je peux dire que la pause doit commencer demain. Il y a une bonne différence de fuseau horaire de sept ou huit heures.

Le sénateur Richards : Demain, d’accord. Très bien, d’accord.

M. MacLennan : D’après ce que j’ai compris, et c’est la même chose pour tous ceux qui ont suivi la négociation de l’entente dans les médias, on s’attend à la libération de 10 otages par jour. J’ignore à quoi ressemblent ces listes.

Le sénateur Richards : Je sais. Je me demande seulement si nous savons combien il y a de Canadiens là-bas et s’il y a des femmes et des enfants canadiens.

M. MacLennan : Vous le savez peut-être mieux que moi.

Ann Flanagan Whalen, directrice générale, Afrique du Nord, Israël, Cisjordanie/Gaza : La disparition d’une Canadienne a été confirmée. À notre connaissance, aucun enfant canadien n’est disparu. Nous savons qu’il y a au moins 40 enfants de nationalité israélienne qui sont pris en otage.

Le sénateur Richards : Merci.

Le sénateur Harder : Je remercie les témoins de leur présence.

Pourriez-vous nous donner plus de détails sur les personnes que vous avez sur le terrain et sur les endroits où vous surveillez la situation, à la fois du point de vue du ministère et pour les Canadiens qui travaillent dans la société civile ou participent aux efforts de secours d’autres organisations? Autrement dit, comment gérez-vous votre réseau?

M. MacLennan : Mme Flanagan Whalen est peut-être mieux placée que moi pour vous donner des détails.

Mme Flanagan Whalen : Nous avons un bureau de représentation à Ramallah, qui a une section de développement assez importante pour notre système. Un membre de cette équipe est allé au poste frontalier de Rafah, en Égypte, où il surveille ce qui se passe et garde un œil ouvert pour nous. Le reste de notre équipe de développement reste sur le terrain à Ramallah, à Jérusalem, pour interagir avec la collectivité internationale à partir de là. Nous ne sommes pas allés à Gaza depuis le début. Nous n’avons pas de bureau à Gaza normalement. Dans ce cas-ci, évidemment, les conditions ne sont pas telles que nous y enverrions notre personnel maintenant.

Le sénateur Harder : Savez-vous si des Canadiens travaillent à Gaza pour des organisations de secours?

Mme Flanagan Whalen : Non, je ne sais pas. Nous avons une liste de Canadiens qui ont levé la main pour diverses formes d’aide consulaire. Un Canadien travaillant pour une organisation internationale a réussi à sortir par Rafah dès les premiers jours.

Le sénateur Harder : Merci.

La sénatrice Boniface : Je remercie les témoins de leur présence.

Ma question fait suite à celle du sénateur Harder. Avec l’annonce d’hier, il y aura une pause de quatre jours, si tout le monde est d’accord et si cela ne change pas. Que fait le Canada pour profiter de cette pause? Comment cette planification fonctionne-t-elle? Avec qui travaillez-vous? J’essaie de me faire une idée de la stratégie, si vous pouvez m’aider.

M. MacLennan : Nous l’espérions depuis des semaines, et c’est tout à fait vrai. Le système humanitaire est un système très réseauté. Contrairement à l’aide au développement, le système humanitaire est relativement simple, mais, en même temps, très connecté.

Le prépositionnement des matériaux est l’un des principaux problèmes sur lesquels nous travaillons. Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, la situation s’est révélée très difficile pour diverses raisons. Si j’ai bonne mémoire, il y a typiquement quatre points d’accès à Gaza. À l’heure actuelle, un seul est ouvert, et c’est Rafah, celui dont nous avons tous entendu parler dans l’actualité et qui se trouve dans le Sinaï. Il a été convenu de permettre le transport de matières humanitaires à Gaza, mais à la condition que chaque camion soit inspecté. Comme vous pouvez l’imaginer, cela a mené à l’utilisation de tous les types de matières qui sont requises — l’eau, le carburant et tous les biens humanitaires qui font normalement partie d’une intervention humanitaire de ce genre.

Cela dit, nous essayons encore de tirer parti de la pause. Nous espérons trouver des moyens d’acheminer plus de matières à Gaza. Un certain nombre d’idées ont été lancées et mises sur la table, y compris un port portatif qui pourrait être construit rapidement. Pourrait-on ouvrir un autre point d’accès à cette fin? De concert avec nos alliés d’optique commune, nous préconisons un meilleur accès et l’ouverture de points d’accès, ce qui ferait une énorme différence pour l’acheminement des matières nécessaires aux gens qui en ont le plus besoin.

Le sénateur MacDonald : Merci aux témoins.

Monsieur MacLennan, vous avez mentionné que le Canada apporte une contribution importante aux secours là-bas. Je pense que tous les Canadiens sont d’accord. L’Égypte, le Liban, la Syrie et la Jordanie ont tous une frontière commune avec Israël. Ils sont tous très proches. J’y suis allé. C’est un très petit pays. Il y a des pays riches comme l’Arabie saoudite, le Qatar, les Émirats arabes unis et le Koweït. Comment leur contribution se compare-t-elle à celle du Canada? Que font-ils pour aider?

M. MacLennan : Mme Flanagan Whalen est probablement mieux placée que moi pour vous donner les détails, mais dans l’ensemble, la réponse a été rapide. Plusieurs pays voisins n’ont pas tardé à agir. L’Égypte n’a rien ménagé pour gérer une situation très difficile à sa frontière, et d’autres États du Golfe ont fourni des fonds pour soutenir la victoire contre la crise humanitaire. La vérité, c’est que l’appel qui a été rendu public, soit 1,2 milliard de dollars américains, n’a pas attiré les fonds escomptés. Il en est à peu près au tiers de son objectif. Le Canada a fait sa part. Il y en a d’autres que nous souhaiterions voir contribuer également, pas seulement dans la région, mais à l’échelle de la planète.

Mme Flanagan Whalen : Nous serions heureux de voir d’autres contributions de la région. Ce sera très important des points de vue de la légitimité, de l’aide humanitaire et de l’engagement. Oui, nous aimerions qu’il y en ait davantage.

Le sénateur MacDonald : Pourquoi ces riches États pétroliers et gaziers qui sont si proches et si bien connectés ne s’empresseraient-ils pas davantage de contribuer eux aussi?

Mme Flanagan Whalen : Ils l’ont fait à divers moments. Ce qu’ils nous disent maintenant et ce qu’ils disent publiquement, c’est qu’ils n’ont pas trop envie d’investir dans la reconstruction, ne sachant pas quelle sera la situation. Cela dit, je suis convaincue qu’ils vont s’avancer. Les frères palestiniens de ces États sont très inquiets. Je suis convaincue qu’ils vont payer.

Le sénateur MacDonald : Le nombre de morts et de personnes déplacées... Qui fournit ces chiffres et dans quelle mesure sont-ils fiables? Avez-vous confiance dans les chiffres qui nous sont envoyés et qui sont publiés?

M. MacLennan : Les chiffres proviennent de l’Administration des Nations unies pour le secours et la reconstruction, l’UNRRA, n’est-ce pas?

Mme Flanagan Whalen : Les chiffres typiquement cités proviennent du ministère palestinien de la Santé. Le ministère palestinien de la Santé est l’autorité locale à Gaza. C’est donc le Hamas. Ces chiffres ont provoqué un certain scepticisme.

Ce que nous disent les organisations humanitaires et les organisations internationales, c’est qu’elles peuvent certainement croire à l’ampleur des chiffres qui ont été publiés. Le ministère de la Santé a déjà publié une liste de noms et de numéros d’identité à un moment donné également. Ces derniers jours, je dois le dire, les chiffres ont été mal calculés simplement parce que les communications n’ont pas fonctionné, mais nous pouvons voir l’ampleur de la destruction et comprendre que c’est une catastrophe.

Le sénateur MacDonald : Merci.

Le sénateur Woo : Merci aux témoins.

Les relations entre les Nations unies et Israël sont très mauvaises, en partie parce qu’Israël s’est offusqué des propos du secrétaire général. Je crois savoir qu’Israël ne délivre pas de visas qui permettraient au personnel de l’ONU d’entrer au pays. Comment cela a-t-il nui au travail de l’UNRRA, qui est, selon votre description, le principal mécanisme d’aide aux Palestiniens à Gaza? Est-ce que cela change la façon dont vous pensez que le Canada fournit son aide par l’entremise de l’ONU ou d’autres canaux qui pourraient être accessibles pour aider les Palestiniens?

Mme Flanagan Whalen : Le sous-ministre a bien expliqué que l’UNRRA est l’épine dorsale de l’effort humanitaire de secours en Palestine. Il est important de garder cela à l’esprit. Je pense que nous devons aussi compter sur l’UNRRA pour l’avenir. Nous ne savons pas à quoi ressemblera la gouvernance palestinienne, quel que soit le nom que nous voulons lui donner. Nous devons déterminer qui a la capacité d’assurer ces services. C’est l’UNRRA. Nous faisons confiance à l’UNRRA. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec l’UNRRA sur des questions comme la neutralité lorsqu’il y a eu des préoccupations au sujet du matériel pédagogique présenté. Nous exerçons une diligence raisonnable accrue à l’égard de toute l’aide que nous apportons dans les régions palestiniennes. C’est une chose importante qui se poursuivra. Nous travaillons de près avec l’UNRRA, nous lui faisons confiance et nous continuerons de le faire. L’UNRRA est indispensable dans cet effort.

Le sénateur Woo : Je suppose que je vous demande si l’intransigeance israélienne envers l’ONU a nui à la capacité de l’UNRRA de faire son travail. Je comprends qu’elle est le seul acteur en ville, celui avec lequel nous devrions probablement travailler dans un avenir prévisible.

M. MacLennan : La situation est extrêmement chargée aujourd’hui. Je suis très au courant de l’incident dont vous parlez; nous l’avons vu se dérouler. Pour l’instant, par contre, la principale raison pour laquelle l’UNRRA a du mal à travailler est la situation sur le terrain. Il y aura beaucoup de travail à faire en ce qui concerne les relations des Nations unies dans ce théâtre pour ce qui est de l’avenir des mesures de soutien au peuple palestinien. Pour le moment, cependant, c’est fondamentalement la situation sur le terrain qui constitue le plus grand obstacle. Comme vous le savez probablement, le nombre de travailleurs de l’ONU qui ont été tués est plus élevé que dans tout autre conflit. À l’heure actuelle, l’acheminement des approvisionnements à l’UNRRA pour lui permettre de déployer ses efforts est l’un des plus gros problèmes. Mais c’est un très bon point.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos témoins d’être venus nous aider à comprendre la gravité de la situation et ce que fait le Canada. Je vous remercie du travail que vous faites, j’en suis sûre, et dont nous prenons le temps pour vous permettre d’être avec nous.

La semaine dernière, des membres de la coalition humanitaire sont venus parler dans un de nos groupes au Sénat. Médecins sans frontières et Care Canada représentaient la coalition. Je ne suis pas une experte en droit international humanitaire, mais ils ont fait référence à la quatrième Convention de Genève, celle qui assure la protection des civils, y compris dans les territoires occupés. « Des civils » en l’occurrence, en Israël, qui étaient clairement... Il doit y avoir un problème avec ce qui s’est passé. C’est une attaque terroriste absolument horrible qui s’est produite là-bas. Mais maintenant, il y a aussi la protection des civils à Gaza et en Cisjordanie, en fait, en ce moment, dans cette atmosphère chargée et avec cette guerre qui fait rage. Nous sommes signataires de cette convention, et l’une des choses qu’ils ont mentionnées, c’est la disposition concernant le témoin, qui dit que le signataire a une responsabilité. Je n’en sais pas assez à ce sujet. Pourriez-vous nous parler un peu de ce que cela signifie pour le Canada et de ce que cela pourrait signifier dans la situation que nous examinons ici?

M. MacLennan : Merci beaucoup, sénatrice.

Je vais être honnête avec vous aussi : Je ne suis pas un expert en droit international humanitaire. Je connais très bien le domaine de l’aide humanitaire internationale, mais le droit international humanitaire, c’est un tout autre domaine.

Cependant, je sais que, dès le premier jour, le gouvernement du Canada, et notamment le premier ministre, ont indiqué qu’en droit international, Israël a le droit de se défendre, surtout après l’attaque terroriste qui a mis fin au cessez-le-feu précédent, mais cette défense ne doit pas déborder les règles humanitaires, ce qui veut dire que les lois doivent être respectées. Je pense que le gouvernement a été on ne peut plus clair dès le départ : nous avons demandé aux deux parties de respecter le droit international humanitaire. À l’évidence, la situation sur le terrain est telle qu’il est difficile d’évaluer ce qui se passe. Il existe des moyens appropriés pour effectuer ces évaluations, mais, entretemps, le Canada a toujours demandé aux deux parties de respecter le droit international humanitaire. Nous reconnaissons évidemment qu’il ne faut pas cibler les civils et les infrastructures civiles. Ce sont des éléments clés que le gouvernement a répétés à maintes reprises. Nous tous, y compris les pays d’optique commune avec lesquels nous travaillons, trouvons la situation pénible, mais nous continuons de faire pression pour que le droit international humanitaire soit respecté.

Le sénateur Plett : Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Coyle. Je vais vous faire part de deux déclarations. La première est celle du premier ministre, dont les propos ont été rapportés dans les médias, notamment le 15 novembre par CTV News.

J’ai dit clairement que le prix de la justice ne peut pas être la souffrance continue de tous les civils palestiniens. Même les guerres ont des règles.

Quant au premier ministre Nétanyahou, il déclarait essentiellement ceci le 19 novembre :

Israël fait tout pour garder les civils hors de danger dans les corridors humanitaires et les zones de sécurité de Gaza, mais le Hamas les empêche de partir sous la menace des armes. C’est le Hamas, et non Israël, qui devrait être tenu responsable d’avoir commis un double crime de guerre : cibler des civils tout en se cachant derrière des civils. Les forces de la civilisation doivent soutenir Israël pour vaincre la barbarie du Hamas.

Si Affaires mondiales Canada considère le Hamas comme une organisation terroriste — et c’est le cas —, pourquoi le gouvernement a-t-il donné l’impression qu’il s’agit d’une guerre conventionnelle assortie de règles? Je suis sûr que personne ici ne conteste le fait que les règles d’engagement doivent être conformes au droit international, mais est-ce la position d’Affaires mondiales Canada que le Hamas est une armée régulière qui suit les règles de la guerre? Le Hamas est une organisation terroriste. Ce n’est pas une armée régulière.

M. MacLennan : Vous avez tout à fait raison. C’est ce qui figure dans la loi canadienne. Le Hamas est reconnu comme une organisation terroriste. Toutefois, le gouvernement du Canada demande à toutes les parties à un conflit de respecter le droit international humanitaire.

Le sénateur Plett : Y compris en s’attendant à ce qu’une organisation terroriste l’écoute?

M. MacLennan : En s’y attendant, non, mais en appelant à le faire, oui. Comme vous l’avez dit, il est entendu qu’il ne s’agit pas d’une guerre conventionnelle. Nous comprenons cela, mais le gouvernement du Canada est surtout préoccupé par le ciblage de civils, la destruction des infrastructures civiles et toutes les activités absolument brutales menées par le Hamas, y compris la prise d’otages. Tout cela est contraire au droit international humanitaire.

Le sénateur Plett : Depuis plusieurs semaines, le Hezbollah lance des roquettes dans le nord d’Israël, ce qui entraîne l’évacuation massive de civils israéliens. Encore une fois, on cible des civils. Que fait le Canada pour désamorcer cet autre front de la guerre par procuration de l’Iran contre Israël, et pouvez-vous me dire quand le Canada a explicitement condamné le Hezbollah pour ses actions?

M. MacLennan : Je ne suis pas au courant. Comme je l’ai dit, je suis responsable de l’aide humanitaire, et non de la politique gouvernementale générale au Liban.

Mme Flanagan Whalen : Je ne suis pas moi-même responsable du Liban, mais nous avons exprimé beaucoup de préoccupations au sujet de l’activité à la frontière nord d’Israël. Nous reconnaissons que le Hezbollah est un acteur très problématique dans la région. Nous nous sommes engagés à tous les niveaux, y compris par l’entremise de nos ministres, qui se sont rendus dans la région, afin de parler aux acteurs régionaux, de tenter de calmer les choses et de favoriser le désengagement, avec ceux qui ont une influence sur le Hezbollah.

Le sénateur Plett : Merci.

[Français]

La sénatrice Gerba : Bienvenue à tous nos témoins. Comme le disait notre collègue, nous sommes vraiment reconnaissants de vous avoir ici pendant cette crise qui vous occupe très certainement.

Dans cette crise humanitaire qui sévit à Gaza, on sait à quel point on a vraiment besoin des organisations internationales capables d’agir sur place. Pourtant, depuis le début des hostilités, de nombreux travailleurs humanitaires ont été tués. Pas plus tard qu’hier, trois docteurs de Médecins sans frontières ont été tués lors d’une frappe sur l’hôpital Al Awda.

De quelle manière le Canada agit-il pour protéger ce personnel essentiel? Que devrions-nous faire pour aider à mettre ces gens à l’abri de la guerre pendant qu’ils essaient d’aider les gens qui en ont le plus besoin?

M. MacLennan : Merci, sénatrice, pour la question.

Évidemment, depuis très longtemps, Gaza a besoin d’aide humanitaire. Ces travailleurs humanitaires, depuis plusieurs années, se sont intégrés à la vie de Gaza; ils font partie du système de la santé et du système d’éducation, et ce sont souvent des Palestiniens.

Depuis le début de ce conflit, le Canada a toujours demandé de respecter le droit international humanitaire, y compris de respecter le travail des travailleurs humanitaires. C’est aussi la raison pour laquelle le gouvernement du Canada, comme d’autres de nos alliés, y compris les États-Unis, la France et l’Allemagne, a demandé des pauses humanitaires, justement pour laisser passer non seulement les biens et les services humanitaires, mais aussi pour laisser les organisations sur le terrain mieux travailler et mieux s’installer physiquement.

La sénatrice Gerba : Concrètement, comment protégez-vous ces gens qui sont sur le terrain? Lors de bombardements, est-ce qu’il y a une façon de les protéger, parce qu’il n’y a aucun filtre?

M. MacLennan : Pour le Canada, la seule façon est de demander aux parties impliquées de respecter la loi internationale, y compris de respecter le travail des travailleurs humanitaires.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Compte tenu de l’évolution de la situation et de l’espoir d’une trêve et d’un échange d’otages, dans quelle mesure avons-nous les moyens de nous assurer qu’une partie de l’aide qui se trouve au poste frontière de Rafah peut être acheminée plus rapidement dans des régions qui sont littéralement aux prises avec une catastrophe sanitaire? Il est important de reconnaître que de nombreux Palestiniens innocents sont pris dans ce piège. D’après l’information que nous recevons — j’ai des liens avec Médecins sans frontières —, la situation est plus que tragique, selon ceux qui sont là pour essayer d’aider les véritables victimes de cette terrible situation, des gens comme vous et moi.

De plus, y a-t-il moyen de s’assurer que les communications sont maintenues? Les communications dépendent entièrement du carburant qui entre dans la bande de Gaza. Si cet approvisionnement est interrompu, tous ceux qui sont là, y compris les organismes internationaux, sont totalement incapables d’informer le monde de ce qui se passe.

M. MacLennan : Merci, sénateur.

Comme je l’ai mentionné, cette trêve de quatre jours — et il convient de souligner qu’il y a lieu de croire qu’elle pourrait être prolongée — était exactement le genre de chose que nous attendions. Le Canada, de concert avec tous ses alliés et avec l’ensemble du réseau humanitaire, y compris les ONG, les organismes des Nations unies et tous les principaux partenaires, a régulièrement fait pression pour obtenir un meilleur accès pour les approvisionnements humanitaires, afin de pouvoir les faire entrer dans la bande de Gaza pour répondre aux besoins du peuple palestinien. Nous espérons que cette trêve nous permettra de nous concentrer sur cette question. Je sais que les ministres ont exercé des pressions directes pour obtenir un meilleur accès, y compris grâce à l’ouverture d’un autre point d’accès. Le point de passage qui est disponible, Kerem Shalom, est en fait celui qui est le mieux conçu pour permettre l’entrée importante de fournitures et de camions à Gaza, ce qui serait utile. J’espère que cette trêve nous donnera l’occasion de nous concentrer sur la façon dont nous pouvons acheminer plus de fournitures. En plus de tous les autres défis liés à un plus grand approvisionnement — les fournitures devant être inspectées, arriver à un aéroport et être acheminées assez loin au sud en direction d’Israël, puis revenir à Rafah — il y a la question du conflit en cours et de la capacité de transporter des marchandises à l’intérieur de la bande de Gaza. Nous espérons que cette trêve nous fournira l’effet de levier dont nous avons besoin, l’occasion d’exercer davantage de pressions pour trouver des façons d’en faire plus pendant que cela est possible.

Le sénateur Ravalia : Serait-il possible de mettre en place une force ou une initiative de maintien de la paix des Nations unies pour contrer cette situation humanitaire désastreuse?

M. MacLennan : Je m’attends à ce que nombreux soient ceux qui réfléchiront très sérieusement aux options qui s’offrent. La question de la sécurité est au cœur de nombreux défis dans cette région. Nous savons que toute voie vers une paix durable devra s’accompagner de garanties de sécurité adéquates de part et d’autre. Quant à savoir si les Nations unies ont un rôle à jouer ou si elles ont d’autres plans, nous ne sommes pas tout à fait certains de la façon dont les choses pourraient se dérouler, mais je pense que ce sera un grand défi pour elles de jouer ce rôle.

Le président : Avant de passer au deuxième tour, j’aimerais vous poser deux brèves questions, monsieur le sous-ministre MacLennan.

Vous avez abordé la question de la coordination avec des parties aux visées similaires, et certains collègues ont parlé de la façon de faire pression sur les autres. Vous êtes également le représentant personnel du premier ministre auprès du G20. Je crois qu’il y aura bientôt une réunion virtuelle de ses dirigeants. Nous ne sommes pas en très bons termes avec le président du G20, l’Inde, mais y a-t-il une occasion dans ce contexte, et pour les pays qui pensent comme nous, de faire preuve d’un peu de persuasion auprès de ceux dont les opinions diffèrent?

M. MacLennan : Absolument. En fait, en plus de ma comparution ici aujourd’hui, que j’attendais avec beaucoup d’impatience, j’ai participé à la conférence téléphonique des dirigeants du G20 qui a eu lieu ce matin à 6 h 30. Fait intéressant, pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, le G20 n’est pas un groupe de pays aux vues similaires, mais plutôt la réunion des 20 plus grandes économies du monde. Il s’agit de démocraties et d’autocraties très différentes, qui se réunissent pour essayer de déterminer comment travailler sur les questions économiques et comment mieux coordonner la politique macroéconomique et le commerce international pour améliorer l’économie mondiale.

L’arrivée des conflits a en fait été un énorme défi pour le G20, à commencer par celui en Ukraine et, maintenant, celui-ci. C’est une question qui a été soulevée par la plupart des dirigeants, sinon tous, qui sont intervenus aujourd’hui. Il est reconnu que rien n’est pire que les conflits et la confusion et l’instabilité qu’ils créent pour nuire à l’économie mondiale. Nous l’avons vu avec l’agression russe en Ukraine et les répercussions qu’elle a eues sur l’énergie et la sécurité alimentaire. Même s’il y a eu beaucoup de réticence à accepter que des questions de politique ou de sécurité soient soulevées à cette table, parce qu’en toute honnêteté, il ne s’agit pas d’un groupe de personnes aux vues similaires, j’ai eu l’impression qu’il y a eu aujourd’hui beaucoup de discussions à ce sujet, ainsi qu’un appel clair à une paix durable comme seule issue.

Le président : Merci.

Ma deuxième question est brève et concerne l’aide humanitaire et les appels internationaux. Je soupçonne que les choses n’ont pas beaucoup changé depuis que j’occupais votre poste, il y a sept ans, mais les besoins sont encore plus grands qu’à l’époque. Il s’agit d’une crise sans précédent. Y a-t-il des changements à apporter à cette méthode, ou est-ce la méthode éprouvée qui consiste à répondre aux appels en fonction de la proportionnalité de nos contributions habituelles ou de notre poids économique et de toutes ces choses qui entrent en ligne de compte? Y a-t-il lieu d’envisager la question sous un angle différent?

M. MacLennan : La réponse courte à cette question est que, dans la crise actuelle, ce sont les mécanismes traditionnels qui sont entrés en jeu immédiatement après l’appel éclair de 1,2 milliard de dollars. Cela dit, la réponse plus exhaustive — et je serais heureux de revenir vous en parler de cela à un autre moment — est que l’augmentation des besoins humanitaires au cours des cinq à dix dernières années a largement dépassé les ressources disponibles pour y répondre. Le nombre de personnes ayant besoin d’aide humanitaire a triplé au cours des huit dernières années, et la quantité d’appels de fonds a également triplé au cours des... combien d’années déjà?

Tara Carney, directrice, Assistance humanitaire internationale, Affaires mondiales Canada : Je dirais cinq.

M. MacLennan : Cinq. Cela a évidemment un effet néfaste sur les budgets. D’une part, il y a les changements climatiques et, d’autre part, il y a les crises humanitaires, et ce qui est coincé entre les deux, c’est notre aide traditionnelle au développement qui était destinée à sortir les pays de la pauvreté. Il est difficile de ne pas tenir compte des besoins immédiats.

Le président : Il y a beaucoup d’idées sur la façon de tirer parti du secteur privé et d’autres choses. Nous pourrons en discuter une autre fois.

Chers collègues, nous allons maintenant passer au deuxième tour, avec des segments de trois minutes.

La sénatrice M. Deacon : J’aimerais réfléchir à la vision qu’a le Canada pour Gaza après ce conflit. Je vais le faire dans une perspective humanitaire. On peut présumer que le Hamas ne sera plus un gouvernement fonctionnel. On a laissé entendre qu’on demanderait à l’Autorité palestinienne de diriger la bande de Gaza, et la question de sa légitimité qui se pose en Cisjordanie est beaucoup moins présente à Gaza. Il y a aussi la question du déplacement massif des Palestiniens vers le sud de la bande de Gaza — dont nous sommes témoins —, qui a doublé depuis le début de la guerre, et j’imagine que le Nord sera inhabitable pendant longtemps, comme nous le voyons. Il se pourrait que cet abandon suscite davantage de ressentiment et de conflits. Les conditions sont propices. Le Canada participe-t-il aux discussions sur ce à quoi pourrait ressembler la bande de Gaza après la guerre? Est-il possible que la communauté internationale soit invitée à collaborer à la reconstruction?

Le président : Vous avez deux minutes pour répondre à cette question.

M. MacLennan : Il est évident que la priorité à court terme est la trêve humanitaire et l’acheminement de l’aide humanitaire immédiate qui est nécessaire. À plus long terme, je crois comprendre que ce qui domine les discussions, c’est simplement d’essayer de saisir ce à quoi devrait ressembler une paix initiale durable. Que faut-il pour en arriver à un point où il n’y a plus de conflit et, à partir de là, comment créer cette stabilité?

Sur le plan humanitaire, on peut s’attendre à ce que cela prenne des années. La démarche sera très traditionnelle, passant d’une intervention humanitaire immédiate, où l’on se concentre uniquement sur la satisfaction des besoins humanitaires initiaux, aux étapes initiales de reconstruction et de rétablissement des infrastructures de base. Les soins de santé et l’éducation viennent en premier lieu. Ils font partie des premières choses que nous essayons de rétablir. L’Éducation pour toutes et tous est le nom de l’organisation qui se consacre à l’éducation dans les États fragiles et en conflit. Cela se fera étape par étape, dans une large mesure, et le chemin sera incroyablement difficile parce qu’il dépendra en grande partie de la capacité de créer une paix durable et juste dans la région, en vue de permettre la reconstruction.

Le sénateur Harder : J’aimerais poursuivre sur ce thème. Il me semble que nous sommes loin d’une paix durable. L’un des problèmes auxquels font face Gaza et la Cisjordanie est la légitimité de l’Autorité palestinienne, de même que la régénération des dirigeants politiques, si je peux m’exprimer ainsi. Le président Biden a dit que le cadre de paix durable ultime doit comprendre une solution à deux États, ce avec quoi je suis certainement d’accord. Dans le travail que vous faites avec des gens qui partagent des vues similaires sur la capacité de gouvernance, où voyez-vous l’espoir, le cas échéant, de la mise en place d’une autorité de gouvernance qui couvre la région et qui est à la fois légitime et engagée à l’égard d’une paix durable?

M. MacLennan : J’ai encore deux minutes?

Le président : En fait, un peu moins.

M. MacLennan : C’est la question à un million de dollars. Il est très évident que les événements des six dernières semaines ont ravivé l’argument selon lequel un effort international plus soutenu est nécessaire pour trouver une solution à deux États. De nombreux dirigeants ont déclaré que c’était la seule véritable voie à suivre dans ce dossier.

Ce que je dirais — en parlant du peuple palestinien, évidemment —, c’est que l’une des choses dans lesquelles des pays comme le Canada excellent, c’est appuyer la gouvernance. Si l’on peut s’entendre sur les structures appropriées et sur les garanties de sécurité — et ce sont là des questions très vastes —, cela pourrait mener à la création d’un État palestinien. C’est un domaine dans lequel le Canada a beaucoup d’expérience et d’expertise, à savoir aider à mettre en place l’appareil de base d’un État et la formation nécessaire pour assurer la neutralité de la fonction publique et répondre aux besoins des citoyens, ainsi que la formation des parlementaires et celle des juges et du système judiciaire. Je pense que la route sera très longue.

Le sénateur Richards : J’aimerais être aussi optimiste que vous. Israël est entouré d’ennemis et armé jusqu’aux dents. Je ne les blâme pas d’être armés jusqu’aux dents. Malgré la dévastation en Palestine, qu’il me répugne à voir, ils ont un homme fort à la barre parce qu’ils voulaient un homme fort à la barre. S’il n’y a pas d’homme fort à la barre, c’est la guerre constante. Depuis que ces événements se sont produits, lui et le ministère israélien de la Défense doivent faire leurs preuves devant le peuple israélien. C’est un bourbier; un véritable gâchis. Il y a le droit de retour, un territoire qui s’étend de la montagne à la mer, et ces personnes et les établissements occidentaux construits par les colons israéliens. Je ne vois pas d’autre issue à cela qu’un conflit perpétuel. Si le Hamas disparaît, il sera remplacé, jusqu’à ce que la philosophie de cohabitation change. À l’heure actuelle, je ne suis pas trop optimiste.

Le président : Je pense que c’était une déclaration.

Le sénateur Richards : Je suppose que c’était une déclaration.

Le président : Voulez-vous répondre? Je pense que nous ressentons tous la même chose.

M. MacLennan : Je comprends certainement ce sentiment. La triste vérité, c’est que les attentats du 7 octobre, qui étaient horribles, ont donné une justification à bien des gens qui considèrent qu’ils sont carrément entourés d’ennemis.

Le sénateur Richards : Oui, et des ennemis qui se réjouissent silencieusement que cela se passe sans qu’ils s’engagent eux-mêmes, y compris l’Iran.

Le président : Nous avons deux sénateurs qui souhaitent poser des questions et il ne reste que trois minutes à ce groupe de témoins. Je vous demanderais d’y aller avec parcimonie dans vos questions.

La sénatrice Coyle : Je veux poursuivre sur la lancée des sénateurs Deacon et Harder.

J’aimerais revenir à votre expérience antérieure. Le Canada est actif dans cette partie du monde depuis un certain temps. Malheureusement, il a dû jouer un rôle humanitaire important pendant un certain temps dans cette région, même avant cette crise, mais nous avons aussi participé au développement et à la paix. Évidemment, à l’heure actuelle, il faut mettre l’accent sur l’accès à l’aide humanitaire, à 100 %, mais vous avez parlé de la consolidation de la paix après le conflit. Quel genre de structures, d’organisations et d’expertise avons-nous en Israël et dans les diverses régions où vivent les Palestiniens? Y a-t-il des relations là-bas qui pourraient nous aider à commencer à établir des bases lorsque viendra le moment?

Le président : Attendez un instant. Nous allons permettre à la sénatrice Gerba de poser sa question, puis vous pourrez répondre aux deux.

[Français]

La sénatrice Gerba : Vous avez mentionné qu’on était rendu à 60 millions de dollars en financement. J’aimerais que vous nous expliquiez comment ces fonds sont distribués et où nous en sommes rendus, aujourd’hui, en ce qui a trait à la distribution de ces fonds.

[Traduction]

Mme Flanagan Whalen : Permettez-moi de vous parler un peu de ce que nous faisons pour le rétablissement de la paix après un conflit. Je pense que nous pouvons nous appuyer sur ce que nous avons fait. Nous avons un excellent réseau à notre bureau de représentation et à notre ambassade à Tel-Aviv. Les mouvements de paix des deux côtés ne vont pas très bien en ce moment, malheureusement. Cela dit, le travail que nous faisons auprès des femmes et des enfants nous permet de garder la porte ouverte. Nous faisons également de l’excellent travail en ce qui concerne les moyens de subsistance durables, ce qui, à mon avis, nous donne une longueur d’avance et donne aux gens un peu d’espoir quant à ce que l’avenir leur réserve. Nous pouvons nous appuyer là-dessus. J’écoutais certains des commentaires sur le renforcement des institutions et la démocratie. Nous avons beaucoup travaillé à la réforme du secteur de la justice et du secteur de la sécurité. Ce sont des aspects concrets et abstraits dont nous pouvons tirer parti pour ce qui est du rétablissement de la paix après le conflit. Il ne peut pas vraiment y avoir de paix s’il n’y a pas de confiance. Il est très important d’établir cette confiance, et nous y avons beaucoup travaillé.

Le président : Merci beaucoup. Notre temps est écoulé.

Au nom du comité, je tiens à remercier Christopher MacLennan, Ann Flanagan Whalen et Tara Carney de s’être joints à nous aujourd’hui. Compte tenu de la nature de la crise, je soupçonne que nous vous réinviterons à un moment donné. Je pense que ce serait une bonne chose. Je vous remercie de l’information que vous nous avez fournie aujourd’hui.

Pour la deuxième partie de notre réunion de cet après-midi, nous accueillons Carl Skau, directeur exécutif adjoint et chef des opérations au Programme alimentaire mondial. Je suis très heureux qu’il soit ici comme témoin ce soir. Il est beaucoup plus tard à Rome qu’ici. Merci beaucoup de vous joindre à nous, monsieur Skau. Nous savons que vous êtes très occupé. Nous sommes ravis que vous soyez avec nous. Si vous pouviez faire votre déclaration préliminaire, nous passerons ensuite aux questions des sénateurs.

Carl Skau, directeur exécutif adjoint et chef des opérations, Programme alimentaire mondial : Merci beaucoup, sénateur, et merci de me donner l’occasion de m’adresser à vous. Je me suis joint à vous quelques minutes avant la fin de la première séance, ce qui m’a permis de me rendre compte que vous êtes déjà allés très loin dans la discussion. Je vais toutefois essayer d’ajouter des renseignements de notre point de vue.

Premièrement, je voulais parler de la trêve. Il s’agit du dernier développement et de la chose la plus urgente que nous ayons devant nous. Je vais vous parler un peu de la situation de la sécurité alimentaire, qui est notre priorité, comme vous le savez. Je vous décrirai ce que nous faisons, ce que nous demandons et où votre appui serait utile.

Bien sûr, nous nous réjouissons de cette trêve qui, nous l’espérons, commencera demain à 6 heures, heure locale. Nous nous efforcerons d’en tirer le meilleur parti possible lorsqu’elle entrera en vigueur. Nous avons déjà plus de 100 camions chargés à Rafah qui sont prêts à entrer, et nous avons 100 autres camions qui arriveront au cours des prochains jours. Pour ce qui est des quotas que nous nous attendons à avoir dans les volumes convenus, nous sommes prêts à les respecter. Nous avons déjà terminé les achats et les préparatifs.

Il y a maintenant trois éléments sur lesquels nous voudrions attirer votre attention. Tout d’abord, nous devons faire en sorte que la plaque tournante d’El-Arich, dans le nord de l’Égypte, fonctionne, ce qui représente une priorité de premier plan. Nous avons du personnel là-bas, mais nous n’avons pas atteint le niveau nécessaire pour saisir cette occasion. C’est un effort qui doit se poursuivre.

Deuxièmement, pour que ces volumes puissent entrer et être vérifiés, nous croyons qu’il faut accroître la capacité. Par conséquent, nous insistons pour ouvrir également le passage de Kerem Shalom, y compris pour la capacité de vérification.

Troisièmement, nous devons nous assurer que le carburant entre. Nous accueillons favorablement l’entente. Le carburant est essentiel pour que nous puissions assurer la distribution et les livraisons à l’intérieur de Gaza. Il faut vraiment que cela se concrétise.

Encore une fois, nous sommes déterminés à tirer le meilleur parti de cette trêve. Bien sûr, il y a un risque que la situation se détériore davantage si la trêve n’est pas prolongée. Par conséquent, j’espère que nous allons tous mettre l’épaule à la roue pour prolonger cette trêve, afin d’être en mesure de soutenir davantage de civils.

Pour ce qui est de la sécurité alimentaire, la situation était déjà difficile avant cette guerre. Plus de la moitié de la population avait besoin d’aide alimentaire. Le taux général de pauvreté était de plus de 60 %. À l’heure actuelle, bien sûr, la situation est désastreuse. La production alimentaire s’est complètement effondrée. Les pêcheurs n’ont pas accès à la mer. Les agriculteurs n’ont pas accès à leurs champs. Les fournitures commerciales ne sont pas autorisées à entrer. Les tablettes sont complètement vides dans les magasins. Nous estimons que toute la population de Gaza, soit 2,2 millions de personnes, a maintenant besoin d’aide alimentaire. Nous entendons dire que des parents risquent leur vie pour faire la queue pendant des heures, afin d’apporter du pain à leur famille, mais qu’ils reviennent souvent les mains vides. Avant le conflit, nous collaborions avec 23 boulangers pour fournir du pain frais. Aujourd’hui, aucune de ces boulangeries n’est encore opérationnelle.

Comme vous le savez, 1,7 million de personnes sont déplacées. Beaucoup cherchent refuge dans des camps déjà surpeuplés. Pour vous donner une idée, dans certains des refuges où nous avons également notre propre personnel, il y a en moyenne une douche pour quelque 700 personnes et une toilette pour quelque 150 personnes. La situation est vraiment désastreuse dans ces refuges, encore une fois, où nous sommes avec notre personnel local. À l’approche de l’hiver, dans ces refuges insalubres et surpeuplés, il y a un manque d’eau potable, et nous entrevoyons vraiment un risque de famine.

Nous faisons tout ce que nous pouvons pour réagir, et ce, depuis le début de la crise. Nous avons pu rejoindre près de 800 000 personnes grâce à l’aide alimentaire dans ces refuges et dans les collectivités. Nous avons également fourni du pain, du thon en conserve et des barres fortifiées aux dattes aux personnes et aux familles qui y vivent.

Nous cherchons à adapter nos programmes et à trouver de nouvelles façons de fournir l’aide nécessaire. Pour vous donner un exemple, nous utilisons maintenant une plateforme électronique qui était déjà en place pour fournir de l’argent comptant ou des bons, et qui nous sert maintenant pour distribuer des aliments. Ceux-ci pourront désormais être recueillis dans les sites de distribution nouvellement établis ou dans les magasins de détail privés que nous utilisions auparavant, qui sont maintenant vides, mais qui serviront de points de distribution. En interagissant directement avec ces détaillants privés locaux, notre objectif est également de les maintenir en activité jusqu’à ce que les activités commerciales puissent reprendre. Cela facilitera ou accélérera grandement la reprise de ces activités commerciales.

Nous permettrons également à d’autres acteurs d’utiliser ce système maintenant, y compris des trousses de santé et de dignité pour les femmes et les filles. Nous travaillons avec le Fonds des Nations unies pour la population à cet égard, car il n’a pas la même capacité. Comme vous le savez peut-être, nous dirigeons la logistique d’urgence pour l’ensemble du système de l’ONU et de l’aide humanitaire, en assurant la configuration logistique. Nous avons maintenant établi un corridor routier et maritime en Égypte et en Jordanie. Avec cela, nous pourrons rejoindre un million de personnes en décembre, si l’accès est ouvert. Nous pouvons également utiliser cette plateforme et ce corridor pour d’autres types d’aide humanitaire.

Afin d’atteindre ce million de personnes que nous avons prévu pour les quatre prochaines semaines, il y a trois choses que nous avons demandées au cours des deux dernières semaines et qui continuent d’être pertinentes.

Le premier est la stabilisation des couloirs d’approvisionnement vers Gaza et l’augmentation des volumes transportés. Comme je l’ai dit, nous sommes prêts à livrer à Gaza des denrées alimentaires qui pourraient sauver des vies, mais pour disposer de telles denrées, il y a encore des progrès à faire du côté d’El-Arich, en Égypte. Il s’agit non seulement d’établir des priorités au chargement, de sorte que ce que nous recevons corresponde vraiment à ce dont nous avons le plus besoin de l’autre côté de la frontière, mais aussi d’améliorer le conditionnement, soit la palettisation, pour que la vérification se fasse sans heurts. Nous estimons toujours qu’un seul point de franchissement de la frontière à Rafah ne suffira pas. Il ne nous permettra pas de monter en puissance. Nous avons vraiment besoin d’un deuxième poste frontalier, et celui de Kerem Shalom serait l’option la plus raisonnable.

Deuxièmement, nous avons besoin d’un soutien pour nos opérations à l’intérieur de Gaza. Il faut assurer la sécurité et la fluidité de nos déplacements pour nous permettre d’atteindre les gens dans le besoin, peu importe où ils se trouvent. Et puis, il faut assurer la sécurité de notre personnel et celle de nos partenaires qui, comme vous pouvez l’imaginer, sont épuisés, même s’ils sont toujours aussi résilients et déterminés à contribuer. Nos collègues de Gaza ne cessent de nous dire qu’aucun lieu n’est sûr. Comme vous le savez, 108 membres du personnel de l’UNRRA ont été tués jusqu’à présent, beaucoup dans le Sud censément sûr, ce qui prouve qu’aucun lieu n’est sûr à Gaza. Cependant, la semaine dernière, nous avons réussi à faire venir un collègue qui a installé des unités de stockage pour nous aider à redoubler d’effort pendant la pause qui vient d’être annoncée. Ce matin, nous avons accueilli trois autres collègues de l’aide internationale qui vont nous aider à renforcer notre capacité dans les prochains jours, pendant la trêve. Comme je l’ai dit, nous avons également besoin de carburant et de gaz pour que nos camions puissent se déplacer à l’intérieur de Gaza, et nous en avons aussi besoin pour que les boulangeries recommencent à fonctionner. Enfin, nous devons pouvoir mieux communiquer avec nos employés pour voir s’ils sont en sécurité, mais aussi parce que les communications sont un élément essentiel de l’exécution de nos programmes. Nous avons besoin d’une connectivité stable, laquelle dépend en grande partie de l’approvisionnement en carburant.

Troisièmement, nous avons toujours besoin du soutien des donateurs. Comme je l’ai entendu dire par les témoins précédents, nous accusons déjà un déficit au chapitre du financement humanitaire dans le monde, et de nombreuses situations d’urgence sont sous-financées. Il est donc important que des ressources supplémentaires soient affectées à la situation de la Palestine pour permettre une montée en puissance. Dans l’environnement chaotique caractéristique d’un conflit actif, il y a certes toujours des risques, mais pour les atténuer dans toute la mesure du possible, nous avons renforcé nos mécanismes d’assurance d’avant-guerre qui étaient déjà très solides.

Le Canada a toujours été l’un des bailleurs de fonds les plus généreux du Programme alimentaire mondial, notamment en Palestine. Nous comptons donc utiliser la contribution supplémentaire prévue de 5 millions de dollars canadiens de la façon la plus efficace qui soit pour répondre à certains besoins urgents. Nous continuons de compter sur votre soutien, tant politique que financier, pour faire face à une situation sans précédent.

Je vous remercie de m’avoir invité à m’adresser à vous.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Skau, pour votre aperçu complet des défis que vous devez relever dans le cadre du Programme alimentaire mondial mis en œuvre dans la bande de Gaza.

J’ai assisté au Forum d’Halifax sur la sécurité internationale, le week-end dernier. Cindy McCain, votre directrice générale, nous a donné une bonne idée de l’énorme défi que cela représente.

Je tiens à souligner que la sénatrice Omidvar, de l’Ontario, vient de se joindre à nous.

Chers collègues, nous allons passer aux questions et reprendre des tours de quatre minutes chacun. Je vous invite à poser des questions claires et précises appelant des réponses complètes.

Le sénateur Harder : Merci pour cet excellent exposé. Le Programme alimentaire mondial est très important, et votre contribution est très appréciée par les Canadiens.

Pourriez-vous nous en dire plus au sujet de votre seconde demande, c’est-à-dire le soutien aux opérations internes. Pouvez-vous nous dire combien de personnes se trouvent actuellement à Gaza et de quoi vous avez besoin pour mener à bien le genre de mission que vous envisagez? Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur la façon dont vous assurez la sécurité sur place et dont vous travaillez avec l’UNRRA?

M. Skau : Nous comptons quelque 25 employés dans la bande de Gaza et nous en aurons sans doute une trentaine d’ici la fin de la semaine.

Nous travaillons en réseau sur trois plans. D’abord, nous alimentons les refuges regroupés dans les installations que gère ou administre l’UNRRA. Ensuite, nos partenaires de l’UNRRA nous aident à distribuer l’aide dans ces refuges. Nous avons en effet quelques partenaires opérationnels, des ONG américaines, ayant été homologués avant la crise et vers qui nous nous tournons pour effectuer des livraisons en des points convenus, comme des centres de distribution communautaires qui ne sont pas gérés par l’UNRRA. Enfin, nous comptons sur un réseau de 24 revendeurs que nous voudrions étendre. Ce sont essentiellement des établissements commerciaux qui, jusqu’à maintenant, ont servi à remettre de l’argent comptant ou qui acceptent des bons d’échange contre lesquels les bénéficiaires peuvent obtenir des denrées alimentaires. Nous distribuons maintenant directement les aliments livrés à ces magasins et nous utilisons le même système. Au lieu d’acheter commercialement les produits avec un bon, les bénéficiaires reçoivent une boîte contenant deux semaines d’aliments prêts à consommer.

Ce que nous appelons la « déconfliction » sera essentielle à la poursuite de nos opérations. Essentiellement, nous informons les Forces de défense israéliennes de l’endroit où nous nous rendons pour assurer la distribution. Il faut donc que la déconfliction donne des résultats et soit fiable. La trêve de la semaine dernière n’a pas été respectée, mais nous avons été rassurés ce week-end en constatant que des éléments de la mission de l’OMS ont pu se déplacer dans le Nord de manière ordonnée et en sécurité. Le risque augmente considérablement quand le système de notification laisse à désirer.

La situation est catastrophique. Il se trouve que notre personnel local, le personnel d’origine gazaouie, vit dans des refuges, tout comme les personnes déplacées à l’intérieur, les PDIP. Le personnel de l’aide internationale doit apporter sa propre nourriture, ses propres moyens de communication, bien sûr, et son eau pour subvenir à ses besoins pendant quelques semaines, parce que nous ne savons pas non plus exactement quand ils pourront sortir de Gaza. En principe nous aurions dû faire des rotations aux deux ou trois semaines, mais nous ne pouvons rien garantir. C’est un environnement très difficile, du jamais vu.

Si la trêve devait cesser...

Le président : Merci.

Le sénateur Plett : Merci pour votre présence, monsieur.

Un de mes collègues a posé une question à notre leader du gouvernement au Sénat. Nous n’avons pas obtenu la réponse que nous voulions, mais la question concernait la surveillance des missions d’assistance humanitaire. Je crois vous avoir entendu dire que le Canada a débloqué 5 millions de dollars. Quelles mesures ont été adoptées pour empêcher le détournement de l’aide du Canada ou des autres pays après livraison de la nourriture? Nous sommes nombreux ici à connaître différents organismes de secours qui s’occupent eux-mêmes de la distribution de l’aide plutôt que de s’en remettre à des intermédiaires. Le Programme alimentaire mondial a-t-il une politique semblable nous assurant que l’aide n’est pas détournée?

M. Skau : Nous avons notre propre personnel de chaque côté de la frontière qui s’occupe de l’approvisionnement de nos sites de distribution. Comme je l’ai dit, les refuges sont administrés par des employés de l’UNRRA. À l’heure actuelle, la situation est tellement désastreuse que nous allons directement de la frontière aux refuges, et que les dons sont faits directement aux personnes qui vivent dans ces refuges.

J’ai aussi indiqué que l’autre façon de faire consiste à passer par des ONG homologuées. Ce sont actuellement des ONG américaines. Nous cherchons des moyens d’accroître notre capacité d’intervention. Ces mêmes ONG participent également à la prestation directe de services aux bénéficiaires.

Le troisième mode de distribution est assuré par le réseau de détaillants grâce à des cartes numériques qui sont la meilleure façon d’identifier les bénéficiaires qui prennent possession des paniers alimentaires. Nous savons où et quand les paniers sont ramassés, et nous savons quand les bénéficiaires reviennent chez les marchands, par exemple au bout de deux semaines, après expiration normale de leur réserve de nourriture.

Soyons clairs : pour le moment, nous contrôlons tout l’approvisionnement jusqu’aux points de distribution. Les besoins sont d’ailleurs si grands qu’il n’est pas nécessaire de faire du ciblage plus précis. Pour le moment, nous devons offrir une aide générale parce que toutes les PDIP, qui sont plus d’un million, souffrent d’insécurité alimentaire. Ce n’est pas le ciblage normal que nous ferions autrement pour identifier les personnes les plus vulnérables. À l’heure actuelle, nous devons ravitailler absolument tout le monde.

Le sénateur Plett : Je vais vous parler d’une chose qui ne relève pas de vos responsabilités, mais je suis certain que vous avez des renseignements à ce sujet. Je suppose qu’une grande partie des gens dont vous vous occupez aimerait franchir la frontière pour aller en Égypte. Que savez-vous au sujet du poste frontière de Rafah? Quand celui-ci devrait-il être ouvert de façon plus régulière? Il semble l’être une journée, puis il est fermé durant une semaine. Avez-vous des renseignements à ce sujet?

M. Skau : Non, mais les autorités égyptiennes ont clairement dit qu’elles n’ont pas l’intention d’ouvrir la frontière à la circulation générale des personnes. Jusqu’à présent, seuls les citoyens étrangers ou les personnes ayant la double citoyenneté ont pu sortir de Gaza. Toutefois, nous avons des collègues possédant la double citoyenneté qui n’ont pas pu franchir la frontière, et nous ne nous attendons pas à ce que cela change.

Le sénateur Plett : Vous vous concentrez entièrement sur l’aide aux gens à l’intérieur de la bande de Gaza?

M. Skau : Oui.

Le sénateur Plett : Merci beaucoup, monsieur.

Le sénateur Ravalia : Merci à vous et à votre équipe pour le travail incroyable que vous accomplissez dans des circonstances évidemment très difficiles.

Vous avez fait allusion au fait que les dons reçus au titre de l’aide ne sont pas à la hauteur des besoins. Pourriez-vous décrire les facteurs qui, selon vous, entravent la capacité à recueillir des fonds dans cette situation critique?

M. Skau : Nous n’avons pas été en mesure d’obtenir toutes les promesses de dons dont nous aurions besoin. Nous en sommes quand même à environ 50 %, mais toutes les promesses ne se sont pas concrétisées. Les promesses sont une chose, mais encore faut-il récupérer l’argent.

Le problème tient sans doute en partie à l’attitude des assurances et au phénomène de détournement de fonds. C’est pourquoi nous avons investi massivement dans de solides systèmes de transactions fondés sur ceux que nous avions déjà. Il convient aussi de souligner que le travail durant un conflit actif est particulièrement chaotique, et qu’il y a toujours des risques. Sur le plan des approvisionnement alimentaires, il existe peu de risques de double utilisation, pourrait-on dire, du point de vue militaire. Nous sommes convaincus d’avoir les systèmes nécessaires pour assurer l’intégrité de nos programmes.

Nous voulons aussi demander aux pays de la région du Golfe de contribuer. Jusqu’à maintenant, les donateurs du Golfe se sont montrés très généreux dans les dons bilatéraux, mais ceux-ci ne répondent pas toujours à la demande, ils sont plutôt fonction des disponibilités et de ce qui peut être partagé. C’est pourquoi il a été difficile — à El-Arich, en Égypte — d’amener les sommes encaissées au niveau des efforts déployés sur le terrain, notamment sous les auspices du Croissant-Rouge égyptien. Les camions qui sont arrivés à destination jusqu’à présent n’étaient pas tous chargés de ce dont nous avions le plus besoin. C’est pourquoi nous préférerions que le financement soit versé aux organismes humanitaires dans le cadre du système humanitaire plutôt que de l’être sous la forme de dons bilatéraux qui sont difficiles à administrer et qui ne répondent pas toujours aux besoins. Ce pourrait être une solution.

C’est grâce à des donateurs comme le Canada, qui nous ont fourni un financement souple pour alimenter nos caisses — en partie sous la forme de prêts remboursables — qu’il nous a été possible d’assurer l’approvisionnement jusqu’ici, un approvisionnement que nous pourrions porter à un niveau nettement supérieur dans les prochaines semaines à condition d’avoir accès aux fonds promis.

Le sénateur Ravalia : Permettez-moi de poursuivre dans la même veine. Comment allez-vous vous y prendre pendant que nous espérons que la trêve annoncée de quatre jours soit maintenue afin que certains de vos camions parviennent à livrer ce qui correspond à votre objectif premier, soit l’aide alimentaire, plutôt que du matériel destiné aux infrastructures, par exemple? Avez-vous la capacité d’exercer des pressions pour éviter une famine massive et la propagation de maladies?

M. Skau : Cinq membres de notre personnel de l’aide internationale à El-Arich travaillent en liaison avec le Croissant-Rouge égyptien. Le problème tient en partie au manque de capacité. Les donateurs exercent des pressions de leur côté pour que leurs camions entrent, parce que c’est aussi une question de visibilité. Nous aurions préféré avoir plus de contrôle ou que l’ONU ait plus de contrôle pour faire en sorte que les livraisons correspondent aux besoins. Tel n’a pas été le cas jusqu’à maintenant. C’est la raison pour laquelle j’ai fait de cette question une priorité, c’est afin que nous puissions utiliser cette fenêtre qui, nous l’espérons, s’ouvrira demain.

Le sénateur Ravalia : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Merci beaucoup, monsieur Skau.

À propos de la création de corridors sûrs pour votre personnel et pour les véhicules qui circulent dans la bande de Gaza, vous avez dit que vous coordonnez votre travail avec les Forces de défense israéliennes. Êtes-vous aussi en contact avec le Hamas ou assurez-vous une coordination avec cette organisation?

M. Skau : Non.

La sénatrice Coyle : Cela obéit-il à une politique?

M. Skau : Les travailleurs humanitaires parlent avec des interlocuteurs susceptibles de leur donner accès à la population. Le contact avec le Hamas n’a pas été jugé nécessaire dans les circonstances.

La sénatrice Coyle : Nous essayons de nous faire une idée des conditions dans lesquelles vous travaillez. Le système que vous avez décrit, qui semble vraiment ingénieux — c’est-à-dire les bons électroniques qui sont échangés dans les établissements commerciaux où vous livrez des boîtes d’aliments pour les familles, etc. — a-t-il été testé dans d’autres situations?

M. Skau : Pas à ma connaissance, pour vous dire franchement. Normalement, nous livrons des aliments en nature de façon plus traditionnelle, c’est-à-dire que nous avons des partenaires qui les acheminent jusqu’aux sites de distribution. Il peut s’agir d’écoles ou de bâtiments communautaires où nos bénéficiaires viennent ramasser les paniers alimentaires. Une fois la situation suffisamment stable, nous favorisons généralement les bons d’échange, puis nous offrons un soutien financier direct dès que les marchés le permettent. À ma connaissance, nous n’avons jamais utilisé le système actuel, soit cette plateforme et ce réseau, pour faire des contributions en nature. En fait, je ne peux l’affirmer, mais quand nous avons envisagé cette façon de faire, nous ne nous sommes pas fondés sur des leçons antérieures.

La sénatrice Coyle : Il serait donc intéressant d’en tirer des leçons.

Vous avez dit qu’à cause du grand nombre de personnes déplacées, plus personne ne pratique la pêche ou l’agriculture locales. La sécurité alimentaire, qui laissait déjà à désirer et qui faisait l’objet d’un soutien à l’échelle locale, n’est plus assurée du tout. Je m’intéresse à la Cisjordanie qui peut compter sur des ressources, comme des terres agricoles, et qui produit des denrées dont certains sont exportées. Je ne pense pas que cela fasse partie des principaux corridors que vous avez mentionnés, mais le Programme alimentaire mondial essaie-t-il de s’alimenter dans un territoire palestinien pour soutenir son voisin?

M. Skau : Comme nous sommes en présence d’une grande crise en Cisjordanie, nous ne cherchons pas à nous approvisionner auprès de ce secteur pour alimenter Gaza. Nous cherchons davantage à régler ce qui risque de devenir une grave situation d’insécurité alimentaire en Cisjordanie, essentiellement due à deux choses. Premièrement, quelque 200 000 personnes qui travaillaient en Israël ont maintenant été remerciées et ne reçoivent donc plus de salaire. Cela aura un impact énorme sur la situation économique de la Cisjordanie où les déplacements sont actuellement fortement limités. Cette situation a perturbé le dysfonctionnement des systèmes d’approvisionnement alimentaire, notamment parce que les agriculteurs n’ont plus accès à leurs terres, et cela en pleine saison de récolte des olives, un produit phare en Cisjordanie. Nous constatons plutôt dans ce territoire une insécurité alimentaire croissante, sans égal. La Jordanie pourrait être une source d’approvisionnement à condition que le poste frontière israélien de Kerem Shalom soit ouvert. Sinon, il y aura trop de frontières à traverser. Cependant, si Kerem Shalom pouvait ouvrir, la Jordanie deviendrait un autre chaînon d’approvisionnement.

La sénatrice Coyle : Merci.

La sénatrice M. Deacon : Merci de votre présence. Je dirais que vous nous aidez à mieux comprendre ce qui se passe sur le terrain, et que vous avez en partie répondu aux questions que je me posais et que je vais maintenant vous soumettre.

Nous savons tous que les gens affamés sont des gens désespérés qui font tout ce qu’ils peuvent pour se sauver et pour nourrir leur famille. Vous avez parlé de certains défis sur le terrain. Ce n’est que vendredi dernier que des camions chargés de deux semaines de nourriture d’urgence destinée à 23 000 personnes ont pu entrer en sécurité dans Gaza. Dans votre description détaillée de la situation, vous avez mentionné un certain nombre de choses à faire dans l’urgence, comme l’approvisionnement en carburant et en gaz, l’augmentation du nombre de donateurs et l’amélioration de la connectivité. C’est ce que vous réclamez. Dans quelle mesure espérez-vous obtenir ce dont vous avez besoin? Certains de ces besoins sont-ils en voie d’être comblés ou estimez-vous que ces cinq entraves vous empêchent encore de faire votre travail?

M. Skau : Je dirai d’emblée — et j’aurais dû le faire plus tôt — que l’équipe américaine a été très utile. Bien sûr, nous travaillons aussi en étroite collaboration avec vos diplomates sur le terrain. J’ai conclu en disant que votre appui financier est apprécié, de même que votre appui politique. La boîte à outils diplomatique n’est pas négligeable. Les États-Unis nous ont aidés à conclure les ententes que nous avons conclues.

Le problème tient à ce que tous ces éléments sont liés. Si nous ne parvenons pas à faire ouvrir le poste frontière d’El-Arich, nous ne pourrons pas intensifier nos vérifications et notre desserte de la bande de Gaza. On peut même parler du risque d’entrer dans Gaza sans pouvoir assurer la distribution. Nous ne pouvons pas nous permettre de laisser des camions attendre à la frontière. Tous les éléments mentionnés sont importants. On ne peut pas se concentrer sur un ou deux seulement, parce qu’ils sont tous imbriqués.

Permettez-moi de revenir sur ce que vous avez dit au sujet de l’insécurité alimentaire qui est source de tensions et de frustrations. Si nous ne sommes pas en mesure de répondre comme il se doit à la demande, il devient très dangereux de parvenir à faire quoi que ce soit. On ne peut pas se rendre dans un refuge de 15 000 personnes avec des provisions pour un millier seulement, parce qu’on risque de provoquer des émeutes. Notre propre personnel est menacé. C’est pourquoi il est si important d’atteindre un niveau d’approvisionnement raisonnable. Bien sûr, mieux vaut faire peu que rien, mais franchement, comme les questions alimentaires sont très émotives, nous savons d’après notre expérience de crises antérieures que nous ne pouvons pas livrer des quantités trop faibles. Sinon, nous menacerons la sécurité de nos gens et nous risquerons de provoquer des émeutes et d’accroître les tensions et les frustrations. Voilà pourquoi nous sommes impatients de passer à la vitesse supérieure. Tous les éléments que j’ai mentionnés sont importants pour y parvenir.

La sénatrice M. Deacon : Merci.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup de vous joindre à nous, surtout qu’il est si tard pour vous. Merci pour le travail de vos gens sur le terrain. J’imagine à peine vos difficultés.

Ma question fait suite à celle de la sénatrice Deacon. Vous avez dit que les points d’accès et les corridors vers Gaza sont les principaux obstacles à surmonter. S’il y avait plus de points d’accès, qu’obtiendriez-vous à terme, à supposer que toutes les étapes du processus vous permettent d’accomplir votre mission? Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet?

M. Skau : Nous avons conclu divers marchés pour être en mesure d’approvisionner un million de personnes, selon l’échelle que nous pourrons atteindre. Nous pourrions parvenir à ce niveau en deux ou trois semaines. Disons qu’à plein régime, nous pourrions atteindre le million de bénéficiaires. Nous remettons à chaque bénéficiaire des paniers alimentaires contenant deux semaines de provision. Cela signifie que, d’ici la fin décembre, nous parviendrons à servir essentiellement le même nombre de personnes déplacées à l’intérieur, les PDIP. Si l’on ajoute à cela la capacité de l’UNRRA — qui fait aussi de la distribution alimentaire —, je dirais que nous assurons une bonne couverture. Voilà pourquoi, nous avons besoin d’un vrai soutien, parce que nous ne sommes pas en mesure d’aider ce million de personnes cinq jours de suite. Nous pourrions atteindre 200 camions — ce qui est difficile à évaluer —, mais nous espérons en faire entrer un tiers seulement. Voilà ce que nous pourrions faire si nous avions un accès illimité à Gaza. Cela aurait un impact majeur sur la situation.

Ce qui nous inquiète, comme je l’ai dit, c’est qu’en cas de non-prolongation de la trêve, la situation pourrait s’aggraver par la suite, surtout si notre opération se déplace vers le sud. Pour le moment, notre seul point d’accès est Rafah. Si le conflit s’intensifiait et que notre opération se déplace dans le Sud, près de notre actuel point de passage, nous serions alors confrontés à une détérioration encore plus dramatique et encore plus grave de la situation humanitaire, et cela dans la semaine qui suivrait.

La sénatrice Boniface : Merci.

Le président : Monsieur Skau, moi aussi j’ai une question concernant l’approvisionnement et les inventaires. Il y a une autre guerre qui semble avoir été quelque peu éclipsée par ce conflit, mais qui se poursuit quand même. Je parle de l’Ukraine. Je crois savoir qu’au Moyen-Orient, la majeure partie du pain produit est à base de blé venant d’Ukraine et de Russie. Il semble que cette céréale ne puisse plus passer par la mer Noire. Certes, nous sommes maintenant en hiver, mais j’aimerais savoir où en sont vos stocks et ce qu’il advient de la sécurité des approvisionnements, étant donné que vous faites face à une crise majeure, bien que celle-ci ne soit pas exclusive, parce que le Programme alimentaire mondial fonctionne à l’échelle planétaire. Avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Skau : Oui. Malheureusement, l’an dernier, nous avons acheté 50 % de notre grain en Ukraine. Jusqu’en juin dernier, nous faisions venir environ 80 % de notre blé d’Ukraine, mais quand la Russie s’est retirée de l’initiative de la mer Noire, nos approvisionnements ont été remis en question. Quelques navires ont pu passer, mais nous n’avons pas encore été en mesure de profiter de la nouvelle route, qui est en quelque sorte barrée, parce qu’aux yeux de la compagnie d’assurance et de nos partenaires, celle-ci n’est pas assez sûre. Cela étant, nous n’avons pas été en mesure de nous approvisionner en produits ukrainiens. Vous avez raison de dire que l’Ukraine représentait une solution idéale en ce sens qu’elle livrait non seulement un très bon produit à bon prix, mais que son emplacement était parfait pour nos opérations au Moyen-Orient. C’était notre principale source d’opérations en Syrie, au Yémen, en Somalie, au Liban et en Irak. C’est un défi.

Jusqu’ici, c’est principalement avec l’Égypte et la Turquie que nous avons un consul des marchés publics. Nous avons aussi un important inventaire en Jordanie dans lequel nous espérions pouvoir puiser à condition que la voie d’approvisionnement jordanienne soit ouverte. Jusqu’ici, la Turquie et l’Égypte sont nos sources d’approvisionnement. Elles ne sont pas toutes pleinement exploitées, du moins pas dans le cas de l’Égypte, même si nous achetons à ce pays.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Coyle : Pour faire suite à la question que vous venez de poser, sénateur Boehm, et pour revenir à quelque chose que vous avez dit plus tôt, monsieur Skau, vous avez dit que les camions ne sont pas tous remplis exactement de ce dont vous avez besoin. Pourriez-vous nous expliquer ce qui ne répond pas à votre principal besoin et pourquoi? Pourriez-vous nous en parler?

M. Skau : Non. Je ne serais pas en mesure d’entrer dans les détails.

Il est juste de dire que les choses ont été plutôt chaotiques à El-Arich. Il y a des vols. Loin de moi l’idée de blâmer les Égyptiens pour cela, d’autant que cette situation aurait été épouvantable pour n’importe quel pays. Dans le Sinaï aussi, la sécurité pose problème. Il n’existe plus aucune capacité civile pour assurer la gestion. Sur place, nous avons constaté que des vols en provenance de divers pays se posaient toutes les demi‑heures. Ils transportent des produits de dons bilatéraux venant de divers pays et étant destinés au Croissant-Rouge égyptien, mais la coordination n’est pas toujours optimale avec les acteurs internes aptes à assurer la livraison.

Idéalement, comme je l’ai dit, il faudrait que l’aide soit versée en argent sonnant et trébuchant plutôt que sous la forme de contributions en nature; c’est à cette fin que le système humanitaire a été mis sur pied. Dans les années 1990, il était difficile d’amener tous les pays à contribuer, puis, après une crise majeure, nous avons vu surgir un énorme problème de coordination. Alors nous avons convenu du système d’aide humanitaire que nous connaissons maintenant au centre avec le Bureau des Nations unies pour la coordination de l’aide humanitaire, et des différents mécanismes de financement qui l’accompagnent. Des pays, à l’instar du Canada et de bon nombre de pays européens, comme l’Allemagne, investissent dans ce système plutôt que d’agir par le biais d’accords bilatéraux, mais de nombreux pays transigent maintenant de façon bilatérale parce qu’ils veulent que leur action soit visible. Cela pose un problème au passage frontière d’El-Arich, un problème qui se répercute de l’autre côté de la frontière après l’arrivée des camions qui ne transportent pas des denrées de première nécessité.

Je ne veux pas voir là la principale conclusion à tirer de cette réunion, mais c’est certainement l’une des priorités sur lesquelles nous travaillons. Autrement dit, nous devons renforcer la capacité d’El-Arich pour établir les priorités en fonction de la situation présente, et nous devons nous assurer que l’approvisionnement passant par El-Arich répond à nos plus grands besoins. La meilleure façon d’y parvenir consiste à financer les organismes humanitaires, qu’il s’agisse d’ONG internationales ou de l’ONU, plutôt que de passer par des dons en nature.

La sénatrice Coyle : Merci.

La sénatrice Omidvar : Si cette question a déjà été abordée, veuillez me le faire savoir. Je suis arrivé en plein milieu de votre témoignage. Veuillez m’en excuser. Merci pour le travail que vous faites.

Ma question concerne vos travailleurs. Nous avons appris avec consternation que de nombreuses personnes sont mortes à Gaza, mais aussi que des travailleurs humanitaires ont perdu la vie. Qu’en pensez-vous?

M. Skau : J’ai mentionné au passage que peu de nos employés dits nationaux ont été... en fait, nous n’avons pas eu à déplorer de pertes parmi nos employés. En revanche, des parents de ce personnel ont été tués. Tous nos employés nationaux vivent maintenant dans des refuges, et quelques-uns d’entre eux dans nos entrepôts où ils passent leurs nuits avec leur famille, à même le sol. Ils vivent dans les mêmes conditions que toutes les autres PDIP. C’est impressionnant de constater qu’ils demeurent actifs et parviennent encore à exécuter leur travail. Cela tient aussi au fait qu’ils trouvent un sens à la capacité d’aider autrui et de faire le travail. Ils vivent dans les mêmes conditions très difficiles que les réfugiés.

Nous avons été très inquiets et contrariés chaque fois qu’il nous arrivait de ne pas pouvoir communiquer avec eux, de ne pas pouvoir vérifier où ils étaient et comment ils se portaient. Nous espérons que la situation s’améliorera.

Nous commençons à louer des chambres dans le Sud, mais il est très difficile d’en trouver. Nous avons commencé à affecter du personnel international supplémentaire afin d’alléger la pression sur le personnel national. Comme je l’ai dit, ces employés se présentent maintenant avec de gros seaux d’eau, de la nourriture et des médicaments. Ils apportent aussi des médicaments à notre personnel national. Nous avons des collègues qui souffrent de diabète, par exemple, et qui ne reçoivent pas leur insuline depuis quelques semaines.

Nous faisons absolument tout ce que nous pouvons. Ce qui est essentiel, bien sûr, et j’en ai parlé tout à l’heure, c’est que la déconfliction soit maintenue là où ils sont, où ils déménagent et où ils assurent la distribution. Comme je l’ai dit, cela ne s’est jamais produit. Nous espérons avoir franchi une étape charnière ce week-end, avec la mission menée par l’OMS dans le secteur nord. Cela nous a donné l’assurance que c’est possible. Nous espérons que cela a créé un précédent sur lequel nous pourrons nous appuyer à l’avenir.

La sénatrice Omidvar : Merci.

M. Skau : Je dois dire que ce sont ces gens de terrain nos véritables héros. Vous me remerciez pour ce que je fais, mais j’estime que les vrais héros sont celles et ceux qui sont sur le terrain. Nous travaillons 24 heures sur 24, sept jours sur sept pour parvenir à mieux les soutenir.

Merci de m’avoir écouté.

La sénatrice Omidvar : Merci. Nous sommes conscients de tout cela.

Le président : Monsieur Carl Skau, directeur exécutif adjoint et chef des opérations du Programme alimentaire mondial des Nations unies, je vous remercie de nous avoir consacré du temps. Vous êtes à Rome où il est minuit passé et nous en sommes conscients. Nous vous en sommes reconnaissants. Nous apprécions le travail que vous faites, et celui de votre équipe. Je me risquerai à dire que nous vous inviterons peut-être à nouveau dans l’avenir. Merci beaucoup.

Chers collègues, nous nous réunirons de nouveau demain matin à 11 h 30 pour poursuivre notre discussion sur ce sujet très important. Merci beaucoup. Bonne fin de soirée.

(La séance est levée.)

Haut de page