LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour effectuer une étude sur les relations étrangères et le commerce international en général.
Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.
[Français]
Le président : Honorables sénateurs, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis le président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.
[Traduction]
J’invite les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui à se présenter.
Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Je suis le sénateur Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Coyle : Je suis Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.
La sénatrice Boniface : Gwen Boniface, de l’Ontario.
[Français]
Le président : Bienvenue à tous, chers collègues, ainsi qu’à tous les Canadiens et Canadiennes qui nous regardent maintenant. Madame la sénatrice, voulez-vous vous présenter?
La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec.
Le président : Merci.
[Traduction]
Je vous souhaite à tous la bienvenue, ainsi qu’à ceux qui nous regardent sur ParlVU du Sénat partout au pays.
Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui conformément à l’ordre de renvoi général pour poursuivre notre discussion sur la situation humanitaire à Gaza. Pour discuter de la question, nous sommes heureux d’accueillir notre premier groupe de témoins. Nous recevons les représentants de Médecins Sans Frontières: le directeur général, Joseph Belliveau, et le représentant humanitaire au Canada, Jason Nickerson. Nous recevons également par vidéoconférence la directrice suppléante des opérations d’urgence de l’UNICEF, Lana Wreikat.
Je vous remercie tous d’être avec nous.
Avant d’entendre vos discours préliminaires et de passer aux questions et réponses, je demanderais aux membres du comité et aux témoins présents dans la salle d’éviter de se pencher trop près de leur microphone ou de retirer leur écouteur quand ils le font. Cela évitera toute rétroaction sonore qui pourrait avoir une incidence négative sur le personnel du comité, en particulier les interprètes qui portent régulièrement des écouteurs.
Je tiens également à souligner que le sénateur Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse, vient de se joindre à nous.
[Français]
Nous sommes maintenant prêts pour vos remarques préliminaires. Ce sera suivi d’une période de questions des sénateurs. M. Belliveau, vous avez la parole.
[Traduction]
Joseph Belliveau, directeur général, Médecins Sans Frontières : Honorables sénateurs, bonjour. Je vous remercie de nous recevoir et de nous donner l’occasion d’échanger avec vous aujourd’hui.
Avant-hier, deux de mes collègues de Médecins Sans Frontières ont été tués de façon brutale lors d’une attaque contre l’hôpital Al Awda, dans le nord de Gaza. Ils prenaient soin de patients blessés dans l’un des derniers hôpitaux à peine fonctionnels de Gaza.
Le Dr Mahmoud Abu Nujaila avait récemment pris sous son aile trois enfants qui avaient perdu leurs parents, assassinés de manière impitoyable et sans discernement. Ces enfants sont tellement nombreux — des enfants terrorisés, souvent gravement blessés ou brûlés, qui sont seuls — que le personnel médical utilise un acronyme pour les désigner : WCNSF, qui signifie « wounded child, no surviving family » en anglais, ou enfant blessé, aucun membre de la famille survivant.
Les attaques contre les hôpitaux sont des attaques contre l’humanité. Il n’y a aucune justification — juridique ou morale — pour les frappes incessantes et violentes contre les civils et les hôpitaux, et il n’y a aucune justification non plus pour le siège complet de Gaza qui prive les civils des nécessités de survie : la nourriture, l’eau, les fournitures médicales, le carburant pour faire fonctionner les incubateurs et les machines de dialyse. Ce sont des formes de punition collective et ce sont des crimes qui sont explicitement interdits en vertu du droit international humanitaire.
Les établissements de soins de santé et le personnel sont explicitement protégés en vertu du droit international humanitaire. Pourtant, l’Organisation mondiale de la santé a enregistré 310 attaques contre ces établissements à Gaza et en Cisjordanie depuis le 7 octobre.
Les services de santé organisés sont pratiquement paralysés dans le nord de Gaza alors que les bâtiments sont détruits, que le personnel médical est tué et que les biens de consommation essentiels sont coupés: eau, oxygène, compresses de gaze, solutés intraveineux et analgésiques. Imaginez votre hôpital local qui essaierait de fonctionner sans ces éléments de base, tout en étant bombardé.
L’interruption des communications et l’impossibilité d’effectuer des déplacements sécuritaires ont aussi nui à la capacité de Médecins Sans Frontières de coordonner ses activités. En gros, mes collègues du domaine médical doivent travailler seuls. Le soutien organisationnel de Médecins Sans Frontières est réduit à la solidarité à l’autre bout du fil lors de nos rares appels ou messages téléphoniques.
Cet anéantissement brutal de tout le système de santé d’une population va au-delà des capacités de l’aide humanitaire. Les médecins ne peuvent pas arrêter les bombes.
La tendance relative à la violation du droit international humanitaire est tellement répétitive et le mépris à l’égard de la vie humaine est si évident que Médecins Sans Frontières a pris position pour demander un cessez-le-feu, ce que l’organisation faire rarement. Le Canada devrait faire de même.
Ce n’est pas le temps de tergiverser.
Les trêves sont peut-être un début encourageant, mais il faut un cessez-le-feu prolongé. Nous sommes déjà témoins d’une crise humanitaire dont les proportions sont catastrophiques, et la situation ne fera que s’empirer si ces attaques violentes reprennent. Un cessez-le-feu prolongé permettrait à Médecins Sans Frontières et à d’autres de rétablir des espaces humanitaires au milieu de la destruction.
Médecins Sans Frontières travaille en Palestine depuis 1989. À Gaza, 367 membres du personnel médical et de soutien prodiguaient des soins médicaux dans le cadre d’un système de santé fragilisé avant le conflit actuel, alors que le personnel et les fournitures étaient déjà insuffisants.
Ces collègues, les autres, sont maintenant en mode de survie. Ils ont besoin d’un répit. Nous avons des équipes prêtes à intervenir et des camions remplis de fournitures médicales. Le 14 novembre, une petite équipe de traumatologues a réussi à se rendre dans le sud de Gaza. Ils travaillent maintenant à l’hôpital Nasser.
Le 18 novembre, l’explosion d’une bombe à moins d’un kilomètre de cet hôpital a fait 122 victimes qui ont rempli l’urgence en quelques minutes. À Gaza, des dizaines de milliers de personnes ont été blessées par des éclats d’obus. Elles ont subi des brûlures, des fractures, des blessures internes et des amputations. Ce ne sont là que les résultats directs des bombes et des balles. Nous savons que 50 000 femmes enceintes sont également à risque, tout comme des bébés prématurés, des personnes atteintes du cancer, des diabétiques et bien d’autres.
Le traumatisme psychologique associé à des violences de cette ampleur est difficile à imaginer. Nous ne pouvons pas mettre sur pied une intervention humanitaire significative pendant que les civils, y compris les techniciens médicaux et les travailleurs humanitaires, sont la cible de tirs.
Comme tant de Canadiens, nous avons été outrés par l’attaque délibérée et inadmissible du Hamas contre les civils israéliens le 7 octobre. Nous sommes maintenant horrifiés par la réponse d’Israël.
Mes collègues ont été témoins d’un nombre accablant de décès et d’une destruction massive qui représentent des violations effrontées et répétées des principes fondamentaux du droit international humanitaire que sont la distinction, la proportionnalité et la précaution. Le droit international humanitaire demeure l’expression la plus claire de notre accord mondial visant à maintenir un espace pour l’humanité en temps de guerre. Cet espace s’effrite, mais il faut continuer à le défendre.
Nous ne demandons rien de moins au Canada que de défendre l’humanité. Nous demandons au Canada d’appuyer sans réserve et sans équivoque un cessez-le-feu prolongé.
Avant son décès mardi, mon collègue, le Dr Mahmoud, a écrit ce qui suit sur le tableau blanc de l’hôpital, qui était utilisé pour la planification des interventions chirurgicales : « Nous avons fait ce que nous avons pu. Souvenez-vous de nous. » Plutôt que de nous souvenir d’autres civils inutilement tués, y compris des médecins et des enfants, faisons tout ce que nous pouvons pour mettre fin à cette brutalité.
Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer. J’ai hâte d’entendre vos questions et vos commentaires.
Le président : Merci, monsieur Belliveau.
Nous allons maintenant entendre la déclaration de la directrice suppléante des opérations d’urgence de l’UNICEF, Lana Wreikat.
Madame Wreikat, vous avez la parole.
Lana Wreikat, directrice suppléante des opérations d’urgence, UNICEF : Merci. Honorables sénateurs, bonjour. Je vous remercie d’avoir invité l’UNICEF à parler de la situation difficile des enfants à Gaza.
L’UNICEF travaille dans l’État de la Palestine depuis 40 ans afin de défendre le droit de tous les enfants d’accéder aux services publics essentiels et à la protection.
Notre objectif est de veiller à ce que chaque enfant, peu importe ses origines ou sa situation, ait une chance égale de réaliser son potentiel, même en temps de conflit.
Avant de vous donner plus de détails sur la situation à Gaza, j’aimerais attirer votre attention sur le sort des enfants en Israël et en Cisjordanie.
Depuis le 7 octobre, 35 enfants israéliens auraient été tués, alors que plus de 30 autres sont tenus en otage à Gaza. Comme l’a dit le secrétaire général des Nations unies, l’accord de libération des otages est le bienvenu, mais il reste encore beaucoup à faire. L’UNICEF continuera d’exhorter les parties à libérer en toute sécurité tous les enfants enlevés.
Nous demeurons très préoccupés par la détérioration de la sécurité et des conditions humanitaires en Cisjordanie. Au cours des six dernières semaines, 56 enfants palestiniens ont été tués, et de nombreux autres ont été chassés de leur foyer.
Nous estimons que près de 450 000 enfants de la Cisjordanie ont besoin d’une aide humanitaire urgente.
À Gaza, alors que les effusions de sang atteignent de nouveaux sommets d’horreur chaque jour, le monde continue d’observer avec stupéfaction les écoles et les hôpitaux incendiés, des bébés prématurés meurent et toute une population est privée de services de base et de moyens de survie. De plus, il y a des pénuries d’eau et de carburant, des attaques contre les écoles et les hôpitaux, une insécurité alimentaire, des déplacements massifs — notamment d’enfants non accompagnés — et un large éventail de débris de guerre explosifs et de mines terrestres possibles, qui constitueront une menace mortelle inacceptable pour les enfants pendant des décennies.
Nous savons que le Canada comprend l’importance cruciale du programme sur les enfants et les conflits armés. Vous avez joué un rôle fondamental dans l’élaboration et le financement de ce programme depuis sa création, et vous êtes pleinement conscients des répercussions qu’il a eues pour prévenir les violations graves contre les enfants et y mettre fin.
Depuis l’adoption de la résolution 1612 du Conseil de sécurité en 2005, les Nations unies surveillent et signalent les violations graves commises contre les enfants israéliens et palestiniens. Pour faire une comparaison et comprendre l’ampleur des violations graves qui ont eu lieu pendant la crise actuelle, un total de 1 653 enfants ont été tués au cours de 17 années de surveillance et de signalement de violations graves entre 2005 et 2022, mais plus de 5 300 enfants palestiniens auraient été tués en seulement 46 jours. C’est plus de 115 par jour, tous les jours, pendant des semaines et des semaines.
Selon ces chiffres, les enfants comptent pour 40 % des décès à Gaza.
Autrement dit, aujourd’hui, la bande de Gaza est l’endroit le plus dangereux au monde pour un enfant.
Nous apprenons aussi que plus de 1 200 enfants sont enterrés sous les décombres de bâtiments bombardés ou ne sont pas retrouvés.
Il ne fait aucun doute que les parties au conflit commettent de façon flagrante de graves violations contre des enfants, y compris des meurtres, des mutilations, des enlèvements, des attaques contre des écoles et des hôpitaux et le refus d’accès à l’aide humanitaire.
L’UNICEF et ses partenaires, présents à Gaza depuis des décennies, sont déterminés à répondre à cette crise, guidés par les principes d’humanité, d’impartialité, de neutralité et d’indépendance. Nous avons l’expertise, le savoir-faire et, très certainement, la volonté nécessaires.
Nous accueillons favorablement l’accord de cessez-le-feu limité, et nous sommes en mesure d’accroître rapidement la prestation de l’aide humanitaire dont nous avons désespérément besoin à Gaza dans les domaines de la santé, de la nutrition, de l’eau et de l’hygiène, et dans d’autres domaines importants, notamment la protection de l’enfance. Nous faisons tout ce que nous pouvons pour aider les enfants à traverser cette épreuve, en collaboration avec nos partenaires comme l’UNRWA, l’OMS, la Société du Croissant-Rouge palestinien et d’autres ONG. Nous assurons l’approvisionnement en fournitures médicales et en vaccins urgents. Nous maintenons les centres de soins de santé primaires et les hôpitaux opérationnels. Nous intervenons avec nos partenaires pour veiller à ce que des millions de personnes aient accès à de l’eau potable et à des installations sanitaires, et nous fournissons des transferts de fonds d’urgence aux ménages tous les trimestres, ce qui profite à environ 200 000 personnes.
En collaboration avec nos partenaires, nous fournissons également du soutien en matière de santé mentale et de protection. Nous demandons au Canada de continuer à parler haut et fort de la protection des enfants et, plus précisément, d’influencer les parties au conflit pour qu’elles cessent immédiatement de commettre de graves violations contre les enfants. Nous vous demandons d’accroître vos engagements en vue de soutenir l’intervention à Gaza. Nos ressources ont atteint un niveau dangereusement bas, et 85 % des besoins ne sont pas financés à l’heure actuelle.
Nous demandons également au Canada de faire tout en son pouvoir pour inciter les parties à mettre fin à cette guerre. Chaque minute compte.
Les enfants de l’État de Palestine et d’Israël ont besoin d’un accord de paix global et durable. Les parties au conflit doivent s’efforcer de trouver une solution politique négociée, en accordant la priorité aux droits des enfants et en les défendant.
Je vous remercie et je suis prête à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, madame Wreikat. Merci de vous joindre à nous à partir de New York aujourd’hui.
[Français]
Chers collègues, j’aimerais préciser que vous disposez d’un maximum de quatre minutes chacun pour la première ronde de questions, incluant les questions et réponses.
[Traduction]
Par conséquent, je demanderais aux membres du comité et aux témoins d’être le plus concis que possible. Cela assurera un plus grand échange de renseignements et de points de vue. Si nous avons le temps, nous procéderons à une deuxième série de questions.
Avant de passer aux questions, il est important de se rappeler que le sujet dont nous discutons aujourd’hui est très délicat. Je m’attends donc à ce que les questions et les réponses soient abordées avec le plus grand respect. Le ton devrait être respectueux. Je veux que tout le monde fasse preuve de prudence dans ses déclarations, et n’oubliez pas que nous discutons de la situation humanitaire sur le terrain à Gaza, qui est très grave.
Le vice-président du comité est notre premier intervenant.
Le sénateur Harder : Je remercie les témoins d’être avec nous. Merci pour le travail que font vos organisations respectives. C’est impressionnant et admirable de voir que vous continuez d’offrir un tel niveau de services.
J’aimerais revenir aux commentaires que vous avez faits au sujet du droit international humanitaire. Vous avez parlé de nombreuses violations à cet égard. Est-ce que vous travaillez avec d’autres organisations pour documenter de façon légale et précise les violations du droit international humanitaire que vous observez?
M. Belliveau : En ce moment, la situation est tellement chaotique qu’il est difficile de communiquer régulièrement avec mes collègues. Nous essayons simplement de documenter le mieux possible la situation au fur et à mesure. Nous essayons également de faire un compte rendu public de ce qui se passe au fil de l’évolution de la situation.
Nos témoignages se fondent toujours sur ce que nos équipes vivent et ce dont elles sont témoins directement. C’est ce que nous essayons de partager du mieux que nous le pouvons.
Je sais que l’Organisation mondiale de la Santé et, je l’espère, d’autres organismes tentent de suivre la situation et de la documenter le mieux possible, mais c’est ainsi que nous avons abordé la question.
Le sénateur Harder : Qu’en est-il pour l’UNICEF? Pourriez‑vous nous parler de ce que fait votre organisation ou d’autres de la famille de l’ONU?
Mme Wreikat : Merci. Je peux certainement vous parler de ce que fait l’UNICEF.
Nous assurons le suivi et la déclaration des violations graves contre les enfants... En Israël, en Palestine et dans d’autres pays. Comme je l’ai dit plus tôt, il y a des enjeux en matière d’accès humanitaire et de sécurité; la situation est très difficile. Il faut du temps pour vérifier les données. Nous devrons attendre que la poussière retombe un peu avant de pouvoir effectuer le suivi et les vérifications nécessaires. C’est toutefois une partie importante de notre travail.
Nous effectuons aussi le suivi des attaques contre les écoles, les installations d’eau et les infrastructures clés en matière de services sociaux. Bien sûr, d’autres organismes des Nations unies ont un rôle à jouer dans la surveillance également. Merci.
Le sénateur Harder : Merci.
Je tenais à poser la question parce que je crois que la tenue de dossiers et la capacité d’effectuer un suivi après un conflit sont des éléments très importants pour l’intégrité du droit international humanitaire. Je vous remercie.
La sénatrice Coyle : Merci beaucoup à nos invités. Je suis heureuse de vous revoir, monsieur Nickerson. Je vous remercie pour votre travail. Je suis vraiment désolée de la perte de vos collègues et de ces enfants.
C’est une situation très grave que tout le monde ici nous a décrite. L’inhumanité que les deux témoins ont décrite est non seulement déchirante, mais enrageante... Ce mépris, comme vous l’avez dit, pour la vie humaine. Toute vie humaine est précieuse, en particulier celle des personnes innocentes qui n’ont rien à voir avec ce conflit, avec sa cause ou avec toute autre partie au conflit.
Je crois vous avoir entendu dire, monsieur Belliveau, que vous avez pris la position inhabituelle de demander un cessez-le-feu et que vous demandiez au Canada d’en faire autant. Est-ce bien ce que vous avez dit? Je crois que vous avez également dit qu’une pause ne suffisait pas. Pourriez-vous nous dire, tout d’abord, pourquoi vous pensez qu’un cessez-le-feu est absolument essentiel et qu’une pause est insuffisante? Quelle est la différence entre les deux, selon vous? Je sais qu’il n’y a pas de termes officiels à cet égard, alors qu’entendez-vous par là? Pourquoi estimez-vous qu’une pause de quelques jours ne soit pas suffisante pour vous permettre de faire ce que vous devez faire?
M. Belliveau : Je vous remercie pour vos commentaires et pour votre question.
Tout d’abord, la situation est inhabituelle parce qu’en règle générale, Médecins Sans Frontières accepte la réalité de la guerre. Nous nous rendons dans ces zones et essayons de défendre la place de l’humanité et, plus précisément, l’action médicale en temps de guerre. Nous demandons donc habituellement aux parties au conflit de respecter le droit humanitaire international et de nous donner l’espace et l’accès dont nous avons besoin.
Dans le cas présent, l’espace a été démoli et détruit à un point tel que nous ne sommes pas en mesure d’agir et d’intervenir de manière efficace. C’est pourquoi nous avons pris la mesure exceptionnelle de demander un cessez-le-feu.
Vous m’avez demandé quelle était la différence entre un cessez-le-feu prolongé et une pause à court terme. Si cette pause de quatre jours à laquelle on semble avoir consenti a lieu, nous n’aurons pas le temps de faire grand-chose. Nous espérons être en mesure d’évacuer des gens. Nous tentons d’évacuer des membres du personnel et des patients gravement blessés ou malades des hôpitaux depuis près de deux semaines et nous n’avons pas réussi à le faire. Il y a quelques jours, nous avons presque réussi, mais notre tentative a échoué. En fait, le convoi a été la cible de tirs lorsque nous avons dû revenir à la base. Nous espérons donc être en mesure de procéder à un certain nombre d’évacuations.
Nous espérons aussi qu’au cours de cette période, nous serons en mesure de fournir certains éléments essentiels comme les fournitures médicales de base, une certaine quantité d’eau, peut‑être un peu de nourriture, mais nous ne pouvons pas espérer établir une intervention humanitaire appropriée et offrir l’aide médicale qui est requise. Pour ce faire, il faudrait un cessez‑le‑feu prolongé... Parce que si nous nous attendons à une reprise des hostilités en quelques jours, surtout en raison de la façon de procéder actuelle, nous ne pouvons pas, en bonne conscience, placer d’autres personnes dans ce contexte et reprendre les activités médicales.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Belliveau.
Le sénateur Ravalia : Merci à vous tous pour le travail incroyable que vous faites.
Puisque, dans les faits, les possibilités d’un cessez-le-feu prolongé au lieu de ces pauses temporaires auxquelles nous nous attendons alors que l’on change les otages sont très faibles, pendant combien de temps votre organisation pourra-t-elle continuer de travailler dans ces conditions? Quels sont les risques de conséquences catastrophiques comme les maladies d’origine hydrique, le choléra, la malnutrition, les décès attribuables à un manque de médicaments, etc.?
M. Belliveau : Monsieur Nickerson, voulez-vous répondre à la dernière partie de la question?
Jason Nickerson, Jason Nickerson, représentant humanitaire au Canada, Médecins Sans Frontières : Nous sommes déjà dans une situation où les fournitures médicales manquent. Nos équipes ont connu une pénurie ou l’absence totale de médicaments comme la morphine, les analgésiques et d’autres. Nos équipes et d’autres confirment avoir pratiqué des interventions chirurgicales sans anesthésie parce qu’elle n’est tout simplement pas possible. Nous sommes à un point où le système de santé a connu une augmentation des besoins et une diminution massive du volume des fournitures.
Vous nous demandez pendant combien de temps nous pouvons continuer à fonctionner dans ces conditions. La réponse, c’est que nous ne sommes déjà pas en mesure de fonctionner dans les conditions actuelles. Ce dont nous avons besoin, c’est d’un accès continu à de grandes quantités de fournitures médicales à Gaza.
Nous répondons aux besoins médicaux aigus de centaines de patients chaque jour pour des traumatismes, des brûlures et ainsi de suite, mais nous répondons aussi aux besoins quotidiens des gens. À l’heure actuelle, nous n’arrivons tout simplement pas à le faire au niveau nécessaire.
Sur le plan de la santé publique, chaque fois que des personnes sont déplacées de force et qu’il y a de grands groupes de personnes dans une petite région, comme nous l’avons vu dans le Sud, les risques associés aux maladies d’origine hydrique et à d’autres augmentent. Cela augmente le risque de maladies transmises par l’eau, de propagation d’autres maladies infectieuses, etc. Ce risque existe et est crédible.
En ce qui concerne l’eau, nous avons entendu parler de personnes qui boivent de l’eau saumâtre, de l’eau salée, à défaut d’avoir d’autres options. Cela entraîne de nombreux problèmes de santé et j’en passe. Du point de vue de la santé publique et du système de santé, c’est une situation intenable.
Le sénateur Ravalia : Avec autant d’information, de mésinformation et de désinformation, il est parfois difficile de comprendre. On a maintes fois laissé entendre que le Hamas mène ses opérations à partir de votre hôpital ou de certains hôpitaux ou on a cherché à le prouver. Ceux parmi vous qui travaillent sur le terrain peuvent-ils nous dire s’il y a des preuves de cela ou si nous obtenons la bonne information? Dans quelle mesure pouvons-nous approfondir la question?
M. Belliveau : J’ai mentionné 367 collègues qui travaillaient dans la bande de Gaza, qui appuyaient trois hôpitaux avant le conflit en cours et qui dirigeaient aussi une clinique, et ce n’est pas ce que nous avons vu. Nous ne pouvons pas dire où le Hamas pourrait avoir des bases et où il n’en a pas, ni à quelle distance elles pourraient être des installations médicales.
Ce que nous pouvons toutefois dire avec certitude, c’est que les installations médicales que nous avons appuyées et avec lesquelles nous avons travaillé offraient des soins complets et comptaient des centaines de lits. Depuis les six dernières semaines, les corridors sont remplis de patients, de personnes blessées, des enfants et des femmes, des personnes qui étaient déjà dans les services d’oncologie et de dialyse. Ces installations médicales étaient donc pleinement fonctionnelles, et elles ont été détruites et ont cessé de fonctionner.
Peu importe si le Hamas est près ou loin — et je répète que nous n’avons pas du tout observé sa présence —, cela ne libérerait certainement pas les forces de défense d’Israël et l’autre partie au conflit de leurs obligations en vertu du droit humanitaire international, selon lequel ils doivent faire une distinction entre les combattants et les non-combattants et explicitement protéger les milieux de soins médicaux.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Belliveau.
La sénatrice Boniface : Merci à vous tous d’être ici. Je vais commencer par une question pour l’UNICEF. Puisque la trêve approche, des témoins nous ont dit hier qu’il fallait être prêts à envoyer des fournitures sur place. Votre organisme a-t-il des fournitures prêtes à être livrées si la trêve a lieu? Quelle serait la différence s’il y avait plus d’un point d’entrée pour pouvoir les acheminer?
Mme Wreikat : Merci de votre question. L’UNICEF a des fournitures. Nous avons un réseau en place dans une grande région de l’Égypte pour entrer à partir de Rafah. Nous parlons d’un approvisionnement en eau, de trousses médicales et de soins de santé. Nous parlons aussi d’autres fournitures essentielles pour les gens déplacés. Il est surtout question de fournitures qui peuvent sauver des vies.
Le réseau ne pourra malheureusement faire passer que 200 camions par jour. Nous allons nous aussi apporter notre contribution aux fournitures d’une importance vitale qui seront acheminées sur place, mais les besoins sont énormes. De notre côté, je peux donner un exemple concernant l’eau. Il faut vraiment que les usines de traitement de l’eau du pays et les infrastructures d’approvisionnement en eau soient opérationnelles, car il est impossible de poursuivre l’approvisionnement par camions. Avec les camions, nous pouvons peut-être fournir de l’eau à 400 000 ou 500 000 personnes pendant quelques jours, mais nous devons veiller à ce que les gens aient l’eau courante grâce à ces usines. Il faut pour cela du carburant, des produits chimiques et des pièces de rechange. Nous nous penchons également sur la façon d’obtenir ces choses, y compris le carburant nécessaire pour faire circuler l’eau dans l’infrastructure.
De notre côté, l’opération ne se limite pas à l’approvisionnement en fournitures. Nous avons aussi 30 personnes sur le terrain. Ce sont des Palestiniens, mais nous avons aussi des gens venant d’ailleurs qui se sont rendus sur place pour coordonner notre intervention. Nous coordonnons les activités d’assainissement de l’eau et de promotion de l’hygiène dans le cadre du Global WASH Cluster, ainsi que d’une alimentation saine. La protection des enfants est également essentielle. La trêve nous donnera l’occasion de réunir les enfants non accompagnés et leurs familles.
Nous déployons aussi des efforts pour tenter d’évacuer les enfants blessés ou qui ont besoin de soins médicaux. Vous avez sûrement entendu parler de l’Organisation mondiale de la santé aux nouvelles. Nous avons réussi à évacuer les bébés prématurés de l’hôpital Al-Shifa dans le nord. Nous avons sans aucun doute besoin d’avoir accès à d’autres points d’entrée, à partir de la Cisjordanie. Nous exerçons de fortes pressions pour obtenir un accès maritime et aérien. Le transport routier ne suffit pas. Il y a deux millions de personnes, et nous devons également continuer de soutenir la population dans le nord.
La sénatrice Boniface : Merci.
La sénatrice M. Deacon : Merci à tous d’être ici. C’est un sujet déchirant, mais nous sommes reconnaissants des rôles que joue chacune de vos organisations, et vous pouvez en parler partiellement dans le cadre de l’audience d’aujourd’hui.
J’ai d’abord une question pour l’UNICEF. Elle donne suite à notre séance d’hier. Il y a quelques jours, le Conseil de sécurité des Nations unies a dit que Gaza est l’endroit le plus dangereux au monde pour les enfants.
J’ai abordé la question hier. Je sais que nous nous concentrons actuellement sur la souffrance des gens. Supposons toutefois que cette étape des combats prend fin — j’espère que ce sera plus tôt que tard. L’État n’aura plus ce qu’il faut pour s’occuper des enfants qui seront devenus orphelins. Quel est alors le risque pour eux, et que peut faire le Canada pour que ces enfants puissent, de préférence, rester chez eux?
Je vais d’abord poser la question à l’UNICEF. Merci.
Mme Wreikat : Merci de la question. Malheureusement, l’avenir paraît bien sombre. Sans cessez-le-feu, nous ne sommes vraiment pas en mesure de fournir les soins médicaux nécessaires aux enfants à Gaza en ce moment.
On a posé une question sur l’eau, et nous avons actuellement plus de 700 000 enfants qui ont dû quitter leurs maisons à Gaza. Ils sont nombreux à avoir été séparés de leurs familles, et ils se mettent à l’abri dans des endroits surpeuplés. Ils ne sont pas suffisamment protégés, ils n’ont pas assez l’eau potable et de nourriture, et ils n’ont pas accès aux produits d’hygiène et aux installations sanitaires de base. Cela signifie qu’il est même fort possible qu’ils deviennent gravement sous-alimentés, ce qui les rend également plus vulnérables. Leur survie n’est pas certaine.
On nous signale aussi un nombre accru de cas de diarrhée, de varicelle, d’infection respiratoire et d’autres maladies chez ces enfants. Le système de santé est presque en ruine, et même après cette crise, leur survie ne sera pas assurée — et hier, le coordonnateur des secours d’urgence a dit que nous avons vraiment arrêté de compter le nombre de personnes tuées. Il y en a déjà des milliers et encore beaucoup sous les décombres.
Bien entendu, s’il y a un cessez-le-feu, s’il y a la paix, c’est essentiellement là que notre force réside. L’UNICEF s’efforce d’établir des liens entre le développement humanitaire et la paix. Dans le cadre de cette approche, nous allons également travailler, de concert avec la communauté internationale, à la remise en état et à la reconstruction, et aussi offrir un soutien en santé mentale et un soutien psychosocial à ces enfants, les réunir avec leurs familles et leur assurer, dans la majorité des cas, une éducation.
Chaque fois que c’est possible, nous essayons vraiment d’organiser des activités récréatives ou même psychosociales dans le sud. Mais pour nous, l’éducation est essentielle.
Et Philippe Lazzarini, le commissaire général de l’Office de secours et de travaux des Nations unies, a dit que les enfants étaient privés d’éducation. L’éducation était le seul moyen pour ces enfants de Gaza d’avoir une meilleure vie. Si la situation se poursuit, l’absence d’éducation signifie que nous aurons perdu une génération. Ils risquent d’être victimes de la traite des personnes. Ils pourraient aussi être recrutés pour prendre part à un conflit armé. C’est aussi un grand risque.
Nous continuons de surveiller les violations commises contre les enfants afin de procéder à une vérification et d’aider ces groupes, mais c’est certainement très difficile pour nous dans ces conditions à cause des problèmes d’accès et de l’insécurité.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le président : Merci beaucoup. Nous avons un peu dépassé le temps, mais je vais entamer un deuxième tour.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins. Nous saluons ce que vos organisations font sur place dans le cadre de cette crise qui sévit à Gaza. Nous avons plus que jamais besoin de ces organisations du point de vue international pour agir sur place. Pourtant, depuis que la crise a commencé, de nombreux membres de vos organisations ont été tués.
Monsieur Belliveau, vous avez parlé de vos collègues qui ont perdu la vie. Nous en sommes très désolés, sincèrement désolés. Aucun travailleur humanitaire ne devrait perdre la vie en exerçant son métier, sa mission. Que devrait-il être fait pour que vos organisations et les membres de vos organisations soient mieux protégés sur place en sachant que le cessez-le-feu ne semble pas être à l’ordre du jour?
Personne n’en parle dans cette crise. Même si on parle d’une pause, je vous l’avais dit, ce n’est pas suffisant. Qu’est-ce qu’on peut faire pour mieux protéger les membres de vos organisations respectives?
[Traduction]
M. Belliveau : Merci beaucoup pour la question. C’est une chose qui est extrêmement difficile à gérer. Depuis les premiers jours du conflit, en tant qu’organisation, nous avons, comme tous les intervenants du secteur humanitaire, un devoir de diligence envers notre personnel. Depuis le tout début, c’est une de nos principales préoccupations.
Nous avons essayé d’envoyer des gens dans le sud. Nous avons pu évacuer 22 des 367 employés il y a quelques semaines. Un grand nombre d’entre eux, pour ne pas dire presque chacun d’eux, ont vraiment insisté pour rester derrière. Ils étaient vraiment déchirés. Dois-je essayer de me rendre dans une région relativement sécuritaire de la bande de Gaza pour être avec ma famille, et pour me protéger, ou dois-je faire mon devoir humanitaire et médical et rester là pour travailler autant que possible auprès des patients?
Ils sont donc nombreux à avoir choisi la deuxième option, mais au péril de leur vie. Nous savons maintenant que nous avons perdu des collègues ainsi.
À l’heure actuelle, en tant qu’organisation et alors que nous ne sommes pas sur place, il est extrêmement difficile de savoir que nous avons des collègues et d’autres professionnels de la santé qui sont exposés ainsi à de graves risques, dont certains qui perdent leur vie. Nous sommes relativement impuissants au moment de les aider, et c’est précisément la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd’hui, ce qui explique notre demande. Nous avons une demande pour le gouvernement du Canada — et c’est d’ailleurs ce que nous demandons partout dans le monde. Nous demandons aux gouvernements d’exercer le plus de pression possible. Les deux parties au conflit ont indiqué qu’elles allaient reprendre les hostilités après cette courte trêve. Nous savons que ce n’est pas assez, et c’est pourquoi nous demandons vraiment impérativement la fin des hostilités.
Le président : C’est la fin de notre premier tour, mais j’ai également une question. Je l’ai déjà un peu posée hier.
Il y a une approche traditionnelle à l’égard des campagnes humanitaires. Lorsqu’il y a une crise, l’appel provient de New York, la communauté de donateurs réagit, un critère de proportionnalité est rempli, des fonds sont détournés vers les différents organismes spécialisés et d’autres partenaires, et quelque chose de similaire se fait avec des partenaires de confiance. Nous allons en entendre certains dans le prochain groupe de témoins.
Nous assistons à une crise, probablement d’une ampleur sans précédent, et de toute évidence, ce n’est pas la seule région de la planète qui a besoin de l’intervention de l’UNICEF, de Médecins Sans Frontières et d’autres partenaires. Une des choses que je crains, c’est la lassitude des donateurs. Il existe une multitude de formules pour la participation en parts égales au financement, la participation des citoyens et ainsi de suite, mais je serais vraiment curieux de savoir quelles sont les préoccupations de Mme Wreikat au siège de l’UNICEF à New York en ce qui concerne le point de vue de la communauté des donateurs. Il y a les donateurs traditionnels et les donateurs non traditionnels, et certains d’entre eux sont des voisins dans le conflit et, à vrai dire, ils sont plutôt bien pourvus en ressources. Je serais heureux d’entendre des commentaires là-dessus.
Mme Wreikat : Merci, monsieur le sénateur. La situation actuelle est sans précédent sur le plan humanitaire. Nous observons de nombreuses crises. Les urgences deviennent plus fréquentes, plus intenses et plus importantes. Pendant que nous intervenons à Gaza, il y a aussi des crises au Soudan et dans des pays du sahel, comme le Mali, la République démocratique du Congo, le Burkina Faso ou la Somalie. Nous nous penchons sur les prévisions pour l’année prochaine dans la Corne de l’Afrique, au Yémen et en Syrie. Il y a aussi des risques de débordement de cette crise au Moyen-Orient, surtout au Liban et en Syrie.
Nous examinons tous ces risques, et nous intervenons dans tous ces pays. Nous dialoguons sans aucun doute avec les pays du Conseil de coopération du Golfe, et ils appuient un certain nombre d’initiatives. Je sais qu’un effort délibéré est déployé par le coordonnateur des secours d’urgence des Nations unies et par le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies pour tendre la main aux donateurs du Golfe.
La conférence sur les changements climatiques se déroule actuellement dans les Émirats arabes unis. En ce qui nous concerne, nous allons lancer notre appel humanitaire à partir du Qatar, pour demander une aide à tous les États membres. Nous avons sans aucun doute besoin du soutien et de la contribution de tout le monde, y compris les donateurs traditionnels et les donateurs non traditionnels. Nous avons aussi nos comités nationaux qui mobilisent un financement du secteur privé.
Il ne fait aucun doute que la situation est vraiment très difficile. Nous nous penchons également sur une enveloppe humanitaire pour maintenir les interventions partout dans le monde, ce qui sera très difficile.
J’ai parlé de l’approche axée sur l’établissement de liens. De notre point de vue, c’est la raison pour laquelle la mise en place de systèmes et le recours à des solutions durables sont si importants. J’ai dit que le transport de l’eau par camions est une des options à Gaza, mais que c’est peut-être seulement pour quelques semaines. Nous devons ensuite veiller à ce que les systèmes et les usines de traitement soient remis en état pour pouvoir fournir de l’eau.
Toujours en ce qui nous concerne, comme la communauté des Nations unies, nous aurons essentiellement besoin d’investir davantage dans l’établissement de systèmes et le maintien de ces systèmes pour éviter qu’ils cessent de fonctionner pendant les conflits et les crises, ce qui serait une solution rentable et durable.
Nous sommes à l’écoute, et nous tendons la main à tous les États membres qui peuvent apporter un soutien pendant cette crise, car nous sommes gravement sous-financés.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Coyle : J’ai deux questions, une pour chaque témoin.
Je remercie encore une fois Mme Wreikat, de l’UNICEF, de s’être jointe à nous. Vous avez parlé au début des enfants israéliens touchés par le conflit, tant ceux qui sont tués que ceux qui sont pris en otages. Quelqu’un a-t-il de l’information crédible sur ce qu’il advient de ces 30 enfants détenus comme otages?
Comme question complémentaire pour M. Belliveau, alors qu’on demande un cessez-le-feu durable, je me demande ce que cela signifie, si vous avez ou si une autre personne qui demande un cessez-le-feu durable a une raison de croire que le Hamas peut être influencé et peut participer? Nous pensons surtout aux forces de défense israélienne, mais nous entendons aussi qu’Israël ne va pas décréter un cessez-le-feu puisque le Hamas ne va pas le respecter. C’est une des choses que nous entendons.
Mme Wreikat : Merci. À propos des enfants qu’on a pris en otages, nous avons rencontré leurs familles, et nous sommes sans aucun doute déterminés à plaider auprès des parties qui participent aux négociations en faveur de la libération inconditionnelle de ces enfants détenus à Gaza. Nous espérons qu’ils feront essentiellement partie de l’entente conclue pour cette trêve et qu’ils seront relâchés. Nous n’avons pas plus d’information à ce stade-ci au sujet de leur libération et sur le nombre d’enfants qui auraient pu être relâchés. Chose certaine, nous avons rencontré leurs familles et nous suivons la situation.
M. Belliveau : Quant à savoir si les parties au conflit vont respecter ce cessez-le-feu ou même une trêve, si elles respecteraient un cessez-le-feu durable, nous ne le savons pas. Nous ne pouvons pas en parler.
Encore une fois, je reviens au fait qu’il est inhabituel pour nous de faire un tel appel et de tout simplement demander aux parties au conflit de déposer leurs armes. Nous avons été en mesure de fonctionner dans ce contexte pendant des décennies, en fait, et depuis le 7 octobre, ce n’est plus possible. Il n’y a tout simplement plus d’endroits pour intervenir. Le système de santé a été rayé de la carte. Il n’y a plus d’endroits pour offrir l’aide humanitaire. C’est à cause de cette réalité que nous leur demandons de déposer leurs armes.
Je répète que nous demandons un cessez-le-feu durable parce que nous ne pourrons autrement pas retourner sur place pour reprendre les activités médicales.
La sénatrice M. Deacon : J’aimerais revenir à Mme Wreikat pour faire un suivi de la première partie de la question que j’ai posée tout à l’heure. En ce qui concerne les conditions liées aux otages et à l’échange de prisonniers pour la trêve, j’ai été surprise d’entendre que des mineurs palestiniens font partie de l’échange et sont détenus en Israël.
Depuis combien de temps ces enfants sont-ils en prison? Savons-nous pourquoi ils sont détenus ou quel rôle l’UNICEF pourrait jouer lors de leur libération?
Mme Wreikat : Merci de la question. Pour ce qui est des enfants détenus en Israël, il y en a plus de 100, et le cas de chacun d’eux est différent.
À propos des négociations, nous ne jouons pas vraiment de rôle direct, sauf pour nos efforts auprès des États membres en ce moment. Nous savons toutefois que si des otages ou des enfants détenus dans une prison israélienne pour des motifs de sécurité sont libérés, le Comité international de la Croix-Rouge pourrait être autorisé à les rencontrer, mais à part cela, nous n’avons pas, moi y compris, le moindre détail là-dessus en ce moment.
Le président : J’aimerais demander une précision à Mme Wreikat. Lorsque vous employez le mot « enfant », quelle limite d’âge utilisez-vous?
Mme Wreikat : La limite d’âge est de 18 ans.
Le président : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Gerba : En fait, je voulais juste continuer avec ma question de tantôt. Est-ce que vous êtes en contact avec le gouvernement canadien et les autorités canadiennes? Qu’est-ce que le Canada peut faire, justement, pour mieux protéger les membres de vos organisations respectives sur le terrain?
[Traduction]
M. Nickerson : Oui. Nous communiquons régulièrement avec le gouvernement canadien. En toute franchise, nous avons fait un certain nombre de déclarations publiques pour essayer de présenter ce que nos équipes voient sur le terrain. Nous fournissons régulièrement des mises à jour, très axées sur la situation humanitaire.
Comme nous l’avons mentionné, nous assistons à une crise, et la communauté internationale doit demander un cessez-le-feu et faire pression pour assurer un accès durable à l’aide humanitaire. À titre de pays influent qui siège à de nombreuses tribunes, le Canada doit faire pression en ce sens. Au bout du compte, nous avons besoin d’assurer la sécurité de notre personnel et de nos patients, et il nous faut un accès durable non seulement pour pouvoir acheminer des fournitures médicales et humanitaires, mais aussi pour permettre la rotation de nos équipes. Nous avons l’intention de fournir des soins médicaux lorsque les conditions s’y prêtent et d’intensifier l’intervention humanitaire. Des pays comme le Canada doivent continuer à faire pression pour que ces conditions soient réunies.
Le président : Voilà qui met fin à notre discussion avec ce groupe de témoins. Au nom du comité, je tiens à remercier Joseph Belliveau, Jason Nickerson et Lana Wreikat de s’être joints à nous aujourd’hui. C’est un sujet très difficile, très lourd, et nous vous sommes reconnaissants de vos efforts et de ceux de vos organisations. J’ose dire qu’il n’y a pas de solution rapide à cette situation. Il est donc fort probable que le comité revienne sur le sujet et fasse de nouveau appel à vous. Je vous remercie infiniment.
Chers collègues, nous passons maintenant à notre deuxième groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir Dalia Al‑Awqati, responsable des affaires humanitaires, Aide à l’enfance Canada; Patrick Robitaille, conseiller principal, Politique et relations gouvernementales, Aide à l’enfance Canada; Barbara Grantham, présidente et cheffe de la direction, CARE Canada; Julie McKinlay, directrice adjointe, Programmes humanitaires et de résilience, CARE Canada; Béatrice Vaugrante, directrice générale, Oxfam-Québec; et Céline Füri, coordonnatrice humanitaire, Oxfam-Québec.
Chers collègues, ce sont toutes des organisations partenaires très bien établies. Je peux le dire en connaissance de cause pour avoir travaillé avec elles dans un passé lointain. Je suis sûr qu’elles nous donneront une perspective intéressante sur la situation à Gaza.
Dalia Al-Awqati, responsable des affaires humanitaires, Aide à l’enfance Canada : Bonjour. Je supervise les programmes humanitaires d’Aide à l’enfance Canada, et mon collègue M. Robitaille travaille sans relâche pour défendre les droits et la protection des enfants, y compris ceux des enfants de Gaza, qui vivent aujourd’hui sous la menace constante de la violence. Le temps presse. D’ici la fin de ma déclaration, un autre enfant aura été tué à Gaza.
Depuis la dernière escalade du conflit, Aide à l’enfance et les autres organisations ici présentes travaillent ensemble, au Canada et à l’échelle mondiale, pour réclamer l’instauration urgente d’un cessez-le-feu durable. Mes propos d’aujourd’hui s’appuient sur l’expérience d’Aide à l’enfance, qui travaille depuis 100 ans à défendre les besoins et les droits des enfants. Chaque année, nous répondons à des situations d’urgence dans 120 pays.
Aide à l’enfance Canada travaille dans le territoire palestinien occupé depuis près de 70 ans. Comme vous le savez, nous sommes témoins d’une violence sans précédent à Gaza, et nous, au Canada, devons faire tout en notre pouvoir pour y mettre fin. Il faut protéger la vie et le bien-être des enfants qui y sont actuellement coincés. La bande de Gaza est plus petite que l’île de Montréal et abrite plus de deux millions de Palestiniens, dont près de la moitié sont des enfants. C’est l’un des endroits les plus densément peuplés de la planète. Plus d’un million d’enfants vivent dans une zone qui subit des bombardements incessants. Au cours des six dernières semaines, un enfant est mort toutes les dix minutes, ce qui représente environ six classes d’élèves canadiens tués chaque jour.
Permettez-moi de vous faire part des paroles d’Amir, un membre du personnel de notre organisation à Gaza et père d’une fillette de 7 ans. Voici ce qu’il nous a dit récemment :
La petite Nana a couru vers moi, comme d’habitude, parce qu’elle se sentait en sécurité. Mais le vacarme des frappes meurtrières dans le ciel planait sur nous comme un cauchemar terrifiant.
En l’espace d’un instant, tout s’illumine autour de nous. Nous tombons par terre, blottis l’un contre l’autre, cherchant à écouter nos respirations pour éviter d’entendre le bruit ambiant. Nana me dit : « Je t’aime, papa. »
L’obscurité se transforme en enfer. L’odeur de la poudre à canon et du sang emplit nos narines.
Ma petite fille me dit d’une voix tremblante, feignant la confiance : « Papa, je n’ai pas peur; je suis juste nerveuse. »
Après une vague de bombardements violents, Nana fait un dessin montrant une maison, un jardin, un beau soleil et un ciel clair sans aucune tache. Elle n’a pas dessiné d’oiseaux dans le ciel; peut-être a-t-elle commencé à avoir peur même des oiseaux.
Elle s’est mise à parler de ses projets : « Si nous restons en vie, nous resterons toujours ensemble et nous irons chez ma tante et chez mon grand-père. » Mais Nana ne sait pas que la maison de sa tante s’est évaporée, emportant avec elle les souvenirs, le réconfort, les réunions de famille, nos joies et nos larmes, parce que c’est maintenant un tas de décombres.
Les gens qui ont réussi à survivre ont été catégoriquement privés de nourriture, d’eau potable et de services de santé, et cette guerre prive les enfants de leur sentiment de sécurité, de l’affection de leurs parents et de leurs proches, ainsi que des mécanismes d’adaptation nécessaires pour endurer un traumatisme cyclique où la mort n’est pas la seule conséquence.
L’année dernière, les recherches menées par notre organisation à Gaza ont révélé que la santé mentale des enfants, des jeunes et des personnes qui s’occupent d’eux avait atteint un point de rupture. Les enfants ont dit vivre dans un état perpétuel de peur, d’inquiétude et de tristesse, et nombre d’entre eux ont partagé des souvenirs très nets des bombardements dont ils ont été témoins, se rappelant comment leurs maisons et leurs écoles avaient été détruites et leurs proches tués. Aujourd’hui, les enfants vivent dans une peur constante pour leur propre vie et celle de leur famille, et dans l’angoisse de ne pas savoir quand le prochain bombardement viendra les séparer.
Au cours des trois premières semaines de cette escalade, 580 familles palestiniennes ont perdu entre 2 et 9 de leurs membres, et 192 autres familles palestiniennes ont perdu 10 personnes ou plus, selon le ministère palestinien de la Santé à Gaza.
L’année dernière, les enfants de Gaza ont parlé de leur désir de connaître la joie, le calme, la sécurité, l’amour et l’optimisme. Ces désirs semblent impossibles à réaliser dans le contexte actuel. Aujourd’hui, ils aspirent simplement à retrouver leurs maisons — dont beaucoup ont été endommagées ou détruites —, leurs écoles et leurs jouets, des conforts que tous les enfants, y compris les nôtres, veulent avoir. Beaucoup pleurent aussi leurs parents, leurs frères et sœurs, leurs amis et leurs proches qu’ils ne reverront jamais.
Au moment où je vous parle, les enfants de Gaza subissent de graves violations de leurs droits, au sens de la résolution adoptée en 1999 par le Conseil de sécurité des Nations unies. Ne vous y trompez pas, il s’agit d’une guerre contre les enfants. Elle aura des conséquences durables, qui dépassent la mort, les maladies, la faim et les traumatismes que nous observons aujourd’hui. Aide à l’enfance Canada, ainsi que les organisations ici présentes et d’innombrables autres partout au Canada et dans le monde, exigent un cessez-le-feu immédiat et durable pour protéger tous les civils. Honorables sénateurs, nous vous demandons de vous servir de vos voix éminentes pour veiller à ce que le Canada fasse tout en son pouvoir pour protéger les enfants de Gaza. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup pour cette puissante déclaration.
Barbara Grantham, présidente et cheffe de la direction, CARE Canada : Je vous remercie tous de nous accueillir aujourd’hui. Je tiens également à remercier mes collègues ici présents, car je sais que nous vivons tous une période stressante sans précédent. Nous nous réveillons tous chaque matin en espérant que nos collègues partout dans le monde, surtout ceux qui se trouvent à Gaza, sont en sécurité.
CARE mène des activités en Cisjordanie et à Gaza depuis 1948 pour permettre aux gens de répondre à leurs besoins alimentaires de base en améliorant les pratiques agricoles, en favorisant le leadership des femmes et en améliorant les résultats en matière de santé adaptés en fonction du sexe et la santé mentale des enfants. Les femmes et les filles sont au cœur de tout ce que nous faisons.
Il y a un an ce mois-ci, j’ai eu le privilège de me rendre sur place pour observer le travail de CARE dans la bande de Gaza, ainsi que l’incroyable résilience de notre équipe sur le terrain. Depuis le début du mois d’octobre, je me réveille chaque matin en me demandant si nos collègues du domaine humanitaire et mes amis sont encore vivants et s’ils seront en mesure de nourrir leurs enfants ou de trouver suffisamment d’eau pour tenir le coup. Soyons clairs : les membres de notre équipe survivent dans les mêmes conditions précaires que tout le monde, étant déplacés de leur foyer, mais malgré tout, ils essaient courageusement de mener à bien notre mission humanitaire et font de leur mieux pour aider les plus vulnérables.
CARE a pu distribuer des fournitures médicales d’urgence, des trousses d’hygiène et de l’eau potable à des milliers de personnes, en dépit de difficultés considérables. Pour apporter de l’aide médicale, nous soutenons des cliniques mobiles, mais l’intensité sans précédent des combats met en danger la vie de chaque habitant de la bande de Gaza, y compris celle des personnes qui fournissent de l’aide. En tant que membres de la communauté humanitaire, nous sommes profondément préoccupés par les conséquences de cette violence et, dans le cas de CARE, par les répercussions sur les femmes, les filles, les enfants et les personnes âgées, qui sont particulièrement vulnérables.
À l’heure actuelle, les femmes enceintes n’ont pas accès aux soins prénatals et postnatals de base, ni aux soins obstétriques d’urgence dont elles ont besoin pour accoucher en toute sécurité. En fait, plus de 180 femmes accouchent chaque jour à Gaza. Pour le moment, elles le font sans aucune assistance médicale, parfois dans des abris surpeuplés ou dans les rues au milieu des décombres, où elles risquent des complications médicales et des infections pour elles-mêmes et pour leurs nouveau-nés.
Au début du mois, on a commencé à nous signaler des cas de femmes ayant subi des césariennes sans anesthésie appropriée, de jeunes mères incapables d’allaiter, faute de nutrition adéquate, et obligées d’utiliser de l’eau contaminée pour préparer du lait maternisé, un produit qui est en soi très rare.
Alors que les hommes, les femmes, les filles et les garçons sont contraints de se réfugier dans des abris surpeuplés, notre équipe nous dit que les risques d’agression et de violence fondée sur le sexe sont à la hausse. L’accès aux installations sanitaires et aux produits d’hygiène est très limité, ce qui expose les femmes à des risques de maladies et d’infections cutanées. Imaginez une douche pour 700 personnes et une toilette pour 150 personnes. Imaginez une jeune femme ou une fille qui doit s’occuper de son hygiène menstruelle dans un tel contexte. Il n’y a pas d’intimité. La dignité humaine n’a plus sa place.
De concert avec nos organisations sœurs du domaine humanitaire au Canada et dans le monde entier, nous vous prions instamment d’ajouter vos voix aux nôtres pour demander un cessez-le-feu immédiat et prolongé. Il faut un cessez-le-feu durable pour permettre l’acheminement complet, sûr et sans entrave de l’aide humanitaire. Pour venir en aide aux gens qui vivent des souffrances inimaginables, pour améliorer le sort des femmes, des filles et des autres personnes vulnérables, nous avons besoin d’un cessez-le-feu afin de pouvoir accéder au territoire et sauver des vies. Nous avons également besoin de rétablir, de toute urgence, l’approvisionnement en eau et en électricité, ainsi que l’accès à Internet dans la bande de Gaza. Par ailleurs, il faut la libération inconditionnelle des otages civils et l’évacuation des patients et d’autres personnes vulnérables afin qu’ils puissent recevoir l’aide et les soins dont ils ont besoin.
En cette période sombre, je me souviens chaque jour de l’espoir que j’ai ressenti lorsque j’ai visité l’une des régions les plus pauvres de Gaza il y a tout juste un an. Cette zone située à l’extrémité nord de Gaza, près du point de passage d’Erez, affichait des taux très élevés de violence fondée sur le sexe, mais la coopérative de femmes que j’ai visitée était une plaque tournante et une lueur d’espoir. Ainsi, 14 petites entreprises, employant chacune 30 à 40 femmes, préparaient des plats et des pâtisseries pour les boulangeries, les commerces de détail, les restaurants et les marchés de Gaza, ainsi que pour les programmes d’alimentation scolaire, les hôpitaux et d’autres besoins sociaux.
C’était très inspirant de voir comment ces femmes douées et entreprenantes subvenaient aux besoins de leur famille et amélioraient leurs conditions de vie, en dépit de difficultés inimaginables.
Ce souvenir met en évidence, pour moi, la raison pour laquelle nous avons besoin d’un cessez-le-feu durable : pour sauver le plus possible de vies, pour appuyer la ténacité et la force de femmes comme celles que j’ai rencontrées — des femmes pleines d’espoir, de courage et de force. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, madame Grantham.
[Français]
Nous entendrons maintenant Béatrice Vaugrante, directrice générale d’Oxfam-Québec.
Béatrice Vaugrante, directrice générale, Oxfam-Québec : Monsieur le sénateur, je vais partager mon temps de parole avec ma collègue. C’est ma collègue qui va commencer.
Le président : Comme vous voulez. Merci beaucoup.
Céline Füri, coordonnatrice humanitaire, Oxfam-Québec : Merci. Bonjour à tous et à toutes. Je suis Céline Füri et je coordonne le travail humanitaire chez Oxfam-Québec.
Nos expertises et expériences sont complémentaires à celles des organisations que vous avez entendues aujourd’hui, mais nos observations, notre consternation et nos demandes à votre endroit se rejoignent.
Parlons d’abord de l’eau, au sujet de laquelle Oxfam mène un travail de fond à Gaza depuis 2006. Aujourd’hui, seulement 17 % de l’eau d’avant-guerre est disponible dans toute la bande. Plus de la moitié des puits et des stations de traitement et de pompage d’eau ont été détruits. Dans tout le nord de Gaza, ce siège dans le siège, plus aucun ne fonctionne.
La ville de Gaza est inondée par les eaux usées à cause des égouts endommagés par les frappes aériennes et du manque de carburant pour les usines de traitement. Dans les abris surpeuplés, on nous a rapporté des chiffres encore pires qu’à ma collègue de CARE. On nous parle de 300 à 600 personnes qui partagent la même toilette et en moyenne 4 500 personnes utilisent une même douche.
Dans les territoires du Nord, il n’y a pas d’eau potable du tout. Il faut se tourner vers l’eau de mer salée et polluée pour boire. On nous rapporte que plusieurs jeunes mères, dans tout le territoire de Gaza, ont arrêté de produire le lait nécessaire pour nourrir leur nouveau-né, faute d’eau.
Rétablir l’eau et l’électricité à Gaza n’est pas seulement un problème d’infrastructure. C’est absolument essentiel pour prévenir une crise de santé publique imminente, comme l’indique le nombre sans précédent de cas de gastro-entérites signalés par les hôpitaux.
Comme l’électricité à Gaza dépend en grande partie du carburant, la réouverture des oléoducs pour un approvisionnement régulier en carburant est absolument essentielle pour assurer que l’eau potable soit accessible. Car les maigres quantités de carburant livrées depuis quelques jours par camion sont vastement insuffisantes pour faire fonctionner les usines de pompage, de dessalement et de traitement de l’eau.
Parlons maintenant rapidement de la sécurité alimentaire, que nous soutenons en temps normal aussi, à Gaza. Depuis un mois et demi, les équipes d’Oxfam constatent en direct les réserves alimentaires qui s’épuisent ou auxquelles on ne peut pas accéder faute de carburant, les moulins à farine et les boulangeries détruits les uns après les autres, et l’interdiction totale pour les marchés et épiceries d’importer des aliments.
En plus, l’aide alimentaire depuis un mois n’est permise qu’au compte compte-gouttes par le seul point de passage de Rafah, alors qu’il en existe d’autres, mieux équipés, notamment celui de Kerem Shalom. Elle n’atteint pour l’heure que le sud de Gaza, après des heures d’entraves logistiques et bureaucratiques. Le résultat est que la nourriture disponible est catastrophiquement insuffisante. Elle répond à un dixième des besoins alimentaires de la population.
Cette situation est évitable et revient, selon Oxfam, à utiliser la famine comme arme de guerre, une pratique totalement contraire au droit international humanitaire.
Depuis plus d’un mois, nous sommes nombreux parmi les organisations humanitaires à interpeller sans relâche les États à utiliser leur influence diplomatique pour que cesse cette agonie imposée à plus de 2 millions de personnes. Ici, au Canada, le mutisme du gouvernement en ce qui concerne le siège total qui bloque l’entrée fluide d’eau, d’électricité, d’aliments et de médicaments à Gaza nous préoccupe.
Mme Vaugrante : La pause des hostilités annoncée permettra, et nous nous en réjouissons, la libération d’un certain nombre d’otages israéliens et étrangers et de détenus palestiniens, ce qui faisait partie des demandes des organisations humanitaires dès le départ. Cette pause dans les bombardements et les destructions incessants, qui font souffrir la population, est un répit bienvenu qui lui permettra peut-être, pendant un certain temps et avec un peu de dignité, de faire le deuil de ses proches perdus.
Le deuil est important aussi. Or, on ne peut pas le faire en ce moment. Il s’agit quand même d’un pansement sur une plaie profonde, qui sera arraché dans quatre jours. C’est une pause.
Dans le contexte exceptionnel de la destruction massive de Gaza, ces quatre jours sont comme tuer l’espoir pour chaque Gazaoui. Des semaines seront nécessaires pour acheminer l’aide dans toutes les parties de la bande de Gaza qui en ont besoin. Pour reconstituer des stocks alimentaires ou médicaux, réparer des systèmes d’eau ou reconstruire des maisons, il faut du temps pour la logistique, mais aussi du temps pour la confiance des donateurs, la confiance et la sécurité du personnel humanitaire, la confiance et la sécurité de la population, à l’idée que la réparation est possible.
Ce soulagement symbolique ne doit pas nous distraire de la seule solution humanitaire qui compte vraiment : celle d’un cessez-le-feu. Le Canada doit d’urgence plaider pour que cette trêve se transforme en un cessez-le-feu durable rapidement, avant l’hiver, pour garantir la libre circulation de l’aide humanitaire à travers les points de passage en Égypte et en Israël, y compris l’approvisionnement en carburant, qui est d’une importance vitale, tout en garantissant la libération de tous les otages.
Le Sénat est un espace fondamental pour nourrir la politique étrangère du Canada à partir d’une réflexion indépendante et de positions de principes. Nous demandons votre concours pour soulever l’impératif d’un cessez-le-feu et la levée du siège total sur Gaza au nom du droit international humanitaire et du respect de la vie par toutes les parties.
Au-delà de la nécessité opérationnelle d’un cessez-le-feu pour acheminer l’aide à laquelle contribue le gouvernement canadien, il y a les principes qui font la force de ce qu’est le Canada sur la scène internationale et qui doivent d’autant plus prévaloir, même dans ce monde qui devient de plus en plus complexe. Les droits de la personne, c’est dans les situations difficiles qu’il faut les appliquer. La crédibilité morale du Canada est en jeu pour le futur.
Si après 15 000 pertes de vies innocentes palestiniennes et israéliennes, dont 70 % de femmes et d’enfants, le Canada ne montre pas le courage d’exiger la protection des civils dans ce conflit, comment pourra-t-il le faire de façon crédible lors de crises futures? Comment pourra-t-il participer au processus de paix? Comment pourra-t-il défendre le droit international si cela reste un exercice de menu à la carte?
L’application de doubles standards par les gouvernements du monde occidental mine notre place dans le monde auprès des populations. Nous devons redonner de l’espoir. Nous devons briser le cycle perpétuel de conflit-trêve-reconstruction.
Merci beaucoup de nous avoir invitées.
Le président : Merci.
[Traduction]
Chers collègues, nous venons d’entendre quatre déclarations très importantes et très puissantes. Nous allons entamer la période des questions, et chaque intervenant disposera de quatre minutes. Tâchez d’être aussi concis que possible.
Le sénateur Harder : Je vous remercie, chers témoins, non seulement de vos déclarations, mais aussi du travail que vous et vos collègues faites sur le terrain.
Vous avez évoqué des situations très tragiques et très émouvantes. Votre appel à un cessez-le-feu en est un qui, je le reconnais volontiers, doit être entendu.
Ce matin, j’ai reçu un message d’un groupe de fonctionnaires britanniques issus des communautés musulmane et juive. Ils ont publié une déclaration commune pour exprimer leurs inquiétudes et réclamer le genre de mesures dont vous parlez.
Vos organisations sont profondément enracinées dans les communautés canadiennes partout au pays. Avez-vous envisagé de collaborer, ou collaborez-vous déjà, avec les diasporas du Canada pour faire cause commune face aux enjeux que vous décrivez, surtout en ce qui concerne le sort des enfants, afin que nous puissions renforcer la voix des Canadiens à cet égard?
Le président : Permettez-moi d’intervenir rapidement. Nous n’avons pas l’habitude de recevoir un groupe de six témoins. La discussion promet donc d’être assez intéressante. Je demande aux sénateurs de préciser, dans la mesure du possible, à qui s’adressent leurs questions. S’il reste du temps, nous essaierons d’entendre autant que possible l’avis des autres témoins.
Sénateur Harder, à qui voulez-vous poser votre question?
Le sénateur Harder : Aux trois organisations.
[Français]
Mme Füri : Dès les premiers jours de l’escalade actuelle, on a trouvé important de sortir de la bulle humanitaire et de s’allier à d’autres secteurs de la société civile qui avaient les mêmes objectifs. Beaucoup de nos organisations ont cosigné une pétition qui demande le cessez-le-feu. Vous pouvez la trouver à ceasefirenow.ca et c’est désormais une coalition large d’organisations syndicales, d’organisations pour le climat, d’organisations de droits de la personne, d’organisations communautaires, d’organisations humanitaires et aussi d’organisations professionnelles juives, musulmanes et chrétiennes, entre autres choses.
Il y en a environ 250 qui ont cosigné aujourd’hui et justement, le but est de montrer qu’on fait vraiment front commun, qu’on soutient les mêmes demandes dans toute la population, partout au Canada, et que ce n’est pas une question de confession, ce n’est pas une question corporative, ce n’est pas une question partisane ni même politique.
Comme le disait notre collègue de Médecins sans frontières, c’est au nom de la vie humaine qu’il faut le faire. Oui, on a ratissé large et on travaille de concert avec Voix juives indépendantes Canada, le Conseil national des musulmans canadiens (CNMC) et d’autres organisations, notamment juives et musulmanes.
[Traduction]
Patrick Robitaille, conseiller principal, Politique et relations gouvernementales, Aide à l’enfance Canada : Nous avons travaillé fort avec Oxfam ici, au Canada, et avec beaucoup d’autres organisations. Il s’agit d’une crise sans précédent, et nous avons uni nos efforts partout dans le monde comme jamais auparavant. Le mouvement en faveur d’un cessez-le-feu est maintenant coordonné conjointement avec des représentants et des membres des communautés musulmane et juive dans plus de 60 pays. Nous nous joignons vraiment à toutes les communautés pour réclamer le cessez-le-feu, et ce, pour les raisons que vous avez entendues aujourd’hui. Nous continuerons de travailler en ce sens au Canada et dans le monde entier.
Julie McKinlay, directrice adjointe, Programmes humanitaires et de résilience, CARE Canada : La difficulté du contexte n’a rien de nouveau. Nous savons qu’il y a beaucoup d’opinions divergentes et d’autres questions de ce genre, comme l’ont expliqué mes collègues. Un nombre considérable d’organisations se sont mobilisées dans ce contexte, surtout en raison de la gravité de la situation dont nous sommes témoins. La réalité, c’est qu’à titre de travailleurs humanitaires, nous devons nous concentrer sur les besoins immédiats pour sauver des vies. C’est pour cela que nous devons continuer de militer chaque jour pour des choses comme l’instauration d’un cessez-le-feu. Nos organisations pourront ainsi poursuivre le travail qu’elles font pour littéralement sauver des vies sur le terrain.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Coyle : Je vous remercie tous de vos témoignages cet après-midi. Je tiens aussi à vous remercier du travail que vous accomplissez.
J’ai deux questions à poser, dont l’une fait suite à la question du sénateur Harder. Monsieur Robitaille, vous avez commencé à en parler un peu.
Chacune de vos organisations appartient à des réseaux internationaux — CARE, Aide à l’enfance, Oxfam. Est-ce que certains de vos partenaires dans d’autres pays — et je ne parle pas des pays du Sud, mais de l’Europe, par exemple, ou des États-Unis — parviennent à attirer l’attention de leurs gouvernements sur la nécessité d’un cessez-le-feu? Si j’ai le temps, j’aurai ensuite une autre question sur la situation à l’approche de l’hiver.
[Français]
Mme Vaugrante : Oxfam a joint toutes les autorités gouvernementales des pays là où elle est présente, dont ceux du G7, entre autres, et les portes sont ouvertes. On arrive à entrer assez facilement et on nous écoute. Pour le moment, on nous écoute. Il n’y a pas de position claire quant à ce qu’un cessez‑le‑feu peut amener. Ce dont on a peur maintenant — la situation est déjà intenable — est le nombre de décès qui ne peut aller qu’en augmentant exponentiellement à partir de maintenant, à cause de l’hiver, à cause des étagères vides et à cause de tout ce qu’on vous a dit ce matin. C’est pour cela que c’est d’autant plus urgent maintenant, mais oui, on atteint assez facilement les autorités gouvernementales.
[Traduction]
M. Robitaille : Nous constatons que cela suscite une certaine attention. Bien sûr, les communautés et les gouvernements au pouvoir diffèrent d’un pays à l’autre. La situation est difficile, mais nous pouvons dire qu’en ce moment, chacun observe les autres. Qui va bouger et qui va dire quoi?
Le gouvernement canadien a annoncé une aide financière, ce qui a incité les Européens à dire : « D’accord. Il est clair qu’à Gaza, il y a des besoins et nous allons continuer. » Il en va de même pour certaines formulations. Un cessez-le-feu est quelque chose qui va se produire. À la fin de chaque escalade, toutes les parties s’arrêtent et concluent un cessez-le-feu. Cela se fera d’une manière ou d’une autre. La France a commencé à en réclamer un. C’est à cela qu’on en viendra, mais à quelle vitesse? Nous travaillons sans relâche, tous ensemble, nous rencontrons les gouvernements, nous essayons de rencontrer les ministres. Merci de nous donner la chance de vous rencontrer aujourd’hui.
Mme Grantham : Permettez-moi d’ajouter quelques courtes observations à celles déjà très éloquentes de mes collègues. À l’instar des deux autres organismes présents à cette table, CARE est une confédération internationale. Nous avons 22 membres, dont 8 sont des pays du Sud. Les quatorze autres se trouvent dans ce que nous appellerions le Nord. Encore une fois, comme mes collègues, nos pairs aux États-Unis, au Royaume-Uni, en Australie et dans toute l’Europe font à peu près la même chose que nous ici aujourd’hui. Ils demandent à leurs décideurs, à leurs parlementaires, de prendre la même mesure. Les résultats de ces représentations varient.
Je me permets également de penser que nous sommes conscients de la mesure dans laquelle cette crise a suscité des questions et des conversations déchirantes au sein de nos organismes respectifs. Les échanges qui se déroulent à l’échelle du pays se déroulent aussi dans nos organismes respectifs. C’est quelque chose que nous ressentons de manière particulièrement forte. Je tiens à ce que cela se sache.
J’aimerais aussi broder un peu sur ce qu’a dit M. Robitaille. Dans deux cas, le courage moral sans équivoque du Canada n’est pas passé inaperçu, tant au sein de notre communauté qu’au sein de la communauté mondiale au sens large. Dès les premiers jours de cette crise, il y a eu deux exemples précis. Le premier a été cet engagement immédiat de 10 millions de dollars pour l’aide humanitaire. Le Canada a été le premier à faire un pas en ce sens. Le second a été l’engagement de la part du Canada de ne pas réduire le financement accordé aux organismes humanitaires canadiens qui œuvrent à Gaza. Ces deux éléments étaient importants pour nous permettre de prendre l’initiative dans une perspective mondiale.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice M. Deacon : L’audience d’aujourd’hui m’a rappelé qu’il arrive parfois que nous « cuisinons » nos témoins. Parfois, le simple fait d’écouter et d’apprendre des points de vue de chacun est d’une efficacité redoutable. La journée d’aujourd’hui fournit un bon exemple de cela. Le personnel et l’environnement ont été mentionnés il y a quelques instants par Mme Grantham. Je regarde autour de moi. Vous devez avoir collectivement 160 ans d’expérience en matière d’aide humanitaire, et je ne pourrai jamais vous remercier assez de ce que vous faites.
Ma question s’adresse à Aide à l’enfance Canada. Comme nous le savons, avant la guerre, deux tiers des camions qui pouvaient entrer à Gaza le faisaient par l’accès de Kerem Shalom. Depuis l’attaque, comme nous le savons tous, ce poste frontalier a été fermé et toute aide entrante doit passer par Rafah. Ce nouveau trajet constitue un détour de 100 kilomètres pour les inspections et une difficulté supplémentaire pour tout ce qui se fait à partir de l’Égypte.
Je suis curieux de savoir comment un organisme comme le vôtre s’y prend pour acheminer l’aide. Nous savons qu’il y a une pause. J’essaie de comprendre comment vous vous y prenez pour acheminer l’aide. Vos réseaux vous ont-ils permis de déceler un peu d’espoir ou quelques bribes concernant la possibilité que l’entrée de Kerem Shalom soit rouverte pendant cette pause?
Mme Al-Awqati : Nous avons franchi cette barrière particulière. À l’instar de beaucoup de nos collègues, nous avons fourni de l’aide à partir de réserves épuisées, de ce qui reste à l’intérieur de Gaza.
Nous avons pu faire passer des camions par le poste-frontière de Rafah; cinq camions au total. Nous en avons beaucoup d’autres qui attendent en ce moment même. Cela a été rendu possible, tout d’abord, grâce à notre présence en Égypte, où nous avons prépositionné des fournitures, puis à notre présence dans la région.
Tout cela est le fruit d’efforts considérables. Nous avons dû mettre les bouchées triples. Le travail nécessaire pour faire en sorte que nous puissions acheminer l’aide à Rafah par voie terrestre ou via El-Arich s’est fait dans plusieurs pays.
Trois des cinq camions qui étaient là sont restés à la frontière pendant 10 jours avant que le premier ne puisse entrer. Les camions que nous voyons aujourd’hui, qu’ils soient 10, 20 ou 100, sont certes soumis à des inspections, mais ils font aussi l’objet de calculs quotidiens. Les ONG ou les agences des Nations unies sont constamment en train d’évaluer et d’établir ce qui doit être acheminé sur-le-champ. Les gens ont-ils de l’eau à boire ou du savon? Devons-nous acheminer du carburant — que nous, en tant qu’ONG, n’avons pas obtenu — pour alimenter une petite partie des besoins médicaux, ou devons-nous fournir une aide pour l’eau et les fournitures sanitaires? Devons-nous prêter main-forte aux personnes qui sont parties les mains vides? Ce sont des choses, des considérations que nous devons négocier sur une base quotidienne. Ce sont des conséquences manifestes et sans équivoque des restrictions imposées à l’accès de l’aide humanitaire.
Donc, oui, nous avons absolument besoin de l’ouverture du deuxième poste-frontière. Nous n’avons aucune idée de l’état d’avancement de ces pourparlers, mais à l’heure actuelle, cette possibilité semble très lointaine.
Nous continuons à travailler avec nos équipes à Gaza, en Cisjordanie, en Égypte et dans toute la région pour nous assurer qu’une fois la frontière ouverte, nous pourrons effectivement faire entrer plus de camions.
À l’heure actuelle, nous avons au moins 10 camions qui sont prêts à partir, qui attendent de franchir la frontière avec des couvertures thermiques, de l’eau. Pas de la nourriture, mais de l’eau, des trousses récréatives, des trousses d’hygiène, des trousses de dignité — ce sont des trousses d’hygiène menstruelle — et bien d’autres choses encore.
Nous continuerons à le faire, mais il faut que ce soit à grande échelle. Avant cette dernière escalade du conflit, 80 % de la population de Gaza dépendaient de l’aide; 80 %.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Gerba : Bienvenue à nos témoins et merci beaucoup pour ces témoignages très puissants et touchants.
Ma question s’adresse à Mme Füri. Comme vous l’avez mentionné, le carburant est l’une des denrées qui manquent le plus à Gaza à l’heure actuelle. Pourtant, cette source d’énergie est essentielle pour le fonctionnement des génératrices dans les hôpitaux et pour la stabilité des télécommunications. Récemment, il semblerait qu’il ait été décidé d’alléger quelque peu ces restrictions sur le carburant.
Est-ce que vous avez constaté que cet allégement a changé quelque chose sur le terrain?
Mme Füri : Je vous remercie de votre question. Selon ce qu’on nous rapporte, le carburant, qui est absolument essentiel à la production d’une grande partie de l’électricité, notamment celle qui sert au fonctionnement des infrastructures d’assainissement de l’eau, est largement insuffisant. Ces derniers jours, environ 70 000 litres par jour sont entrés. Je ne parle même pas de l’eau et de l’assainissement, mais seulement de façon générale, pour les camions d’aide qui entrent, pour les acheminer à leur destination.
Cela ne suffit même pas à la moitié des besoins de livraison d’aide. Sur ces 70 000 litres, je crois qu’une vingtaine de milliers de litres sont allés précisément vers le sud de Gaza, pour alimenter les infrastructures d’eau et d’assainissement.
Selon nos observations, c’est largement insuffisant, car cela sert à faire fonctionner pendant environ 24 heures certaines des infrastructures, mais pas toutes. On ne parle même pas du nord de Gaza qui demeure inaccessible pour le moment.
Cela me permet de revenir sur le fait que oui, le cessez-le-feu est l’une de nos demandes, et probablement la principale demande. Par ailleurs, il ne faut pas oublier la demande très importante que devrait faire le gouvernement canadien, soit le rétablissement de ce service essentiel qu’est le carburant ainsi qu’un deuxième point d’entrée au minimum, si on veut fournir une aide humanitaire significative.
On ne peut pas appuyer l’aide et la financer sans en même temps faire ces deux autres demandes.
Pour revenir à la question qui a été posée plus tôt —
[Traduction]
Cela a suscité une certaine attention. La question a été posée en anglais. Nos collègues américains d’Oxfam nous ont dit que la coalition de la société civile plaidant auprès du gouvernement américain avait fait des avancées très concrètes, en ce sens que le gouvernement américain a commencé à faire pression sur les autorités israéliennes de manière un peu plus ferme en ce qui a trait à l’entrée du carburant. Nous sommes d’avis qu’il s’agit là d’un progrès très important. Nous espérons qu’il en sera de même ici.
[Français]
La sénatrice Gerba : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Boniface : Je vous remercie de votre présence et de vos exposés, ainsi que de tout le travail que vous et vos organismes accomplissez dans le monde entier. Vos témoignages nous donnent une image très concrète de ce à quoi vous êtes confrontés.
Dans ce contexte, nous avons entendu hier et aujourd’hui des mots comme « sans précédent », « catastrophique ». Je suis curieuse de savoir comment vous équilibrez les responsabilités de vos organismes relativement au devoir de diligence dans le contexte de ce que vous avez à gérer pour votre propre personnel. Pour peu qu’il y ait suffisamment de temps, j’aimerais vous entendre tous les trois à ce sujet.
[Français]
Mme Vaugrante : Effectivement, c’est une immense responsabilité. Nous avons 30 personnes d’Oxfam en ce moment à Gaza et, évidemment, tous les matins, notre premier geste est de vérifier s’ils sont toujours en vie. Ils se sont déplacés avec leurs familles à de nombreuses reprises et la moitié d’entre eux n’ont déjà plus de maison.
Effectivement, tous les matins nous sommes extrêmement craintifs. Il faut vraiment les applaudir. On leur transmettra les mots, parce qu’ils continuent vaillamment à informer les médias comme ils le peuvent. Ils sont encore présents sur le terrain et continuent d’apporter tout le soutien possible avec nos partenaires locaux, qui sont tout aussi vaillants.
Il y a une énorme responsabilité de protéger nos employés, je dirais même ici au Canada, bien sûr à une bien moins large échelle. Cela bouscule nos agendas et nos plans opérationnels. On n’attendait pas la situation à Gaza pour faire notre travail, évidemment. Même ici, au Canada, beaucoup de gens sont angoissés en voyant leurs collègues.
Chaque jour, il faut porter attention, communiquer, offrir des services de soutien. Souvent, certains employés nous disent qu’il faut en faire plus à tel endroit ou à un autre. Il faut rassurer et évaluer les risques et en ce moment, c’est vraiment un travail épuisant, mais jamais aussi épuisant que pour ceux qui sont là‑bas.
[Traduction]
Mme Al-Awqati : Si je peux ajouter quelque chose brièvement, pour nos collègues du territoire palestinien occupé où l’escalade de la violence a eu lieu, il est très difficile de parler, encore, d’un devoir de diligence. Or, leur devoir de diligence est intrinsèquement lié à l’obligation qu’a la communauté internationale de demander le respect du droit humanitaire international, d’exiger qu’on ne prenne pas les civils pour cible et d’appeler à la protection des travailleurs humanitaires, y compris notre propre personnel, les travailleurs de la santé, etc. Leur devoir de diligence est étroitement lié aux appels à un cessez-le-feu durable. Ces choses sont indissociables. Notre propre personnel, nos partenaires palestiniens, sont les bénéficiaires que nous devons maintenant servir. Ils doivent eux‑mêmes prendre des décisions difficiles. Comme beaucoup d’entre eux nous l’ont dit : « Devons-nous aider nos familles ou devons-nous aider la personne déplacée à l’intérieur du pays qui nous a reconnus à cause de l’aide que nous lui avons apportée il y a deux mois? » Voilà à quoi ressemble leur lutte au quotidien.
Leur devoir de diligence est donc étroitement lié aux gestes que nous posons ici, au Canada, et dans le monde entier.
Mme McKinlay : Pour ajouter le point de vue de CARE Canada, je vous dirai que je suis en communication avec notre directrice pour la Palestine, qui est basée à Ramallah. Elle commence toutes ses journées par une série d’appels téléphoniques. Elle tente de joindre ses collègues en Cisjordanie — ou à Gaza, excusez-moi, afin de vérifier s’ils ont survécu à la nuit. Elle termine sa journée par une autre série d’appels téléphoniques pour savoir s’ils ont survécu à la journée. Il s’agit d’un devoir de diligence tout à fait différent de celui qu’on imagine.
Nous travaillons dans des contextes difficiles partout dans le monde. La situation là-bas n’est pas comme les autres et, comme mes collègues l’ont dit, sachant que nos gens poursuivent leur travail dans ce contexte, nous devons mettre l’épaule à la roue et assumer notre responsabilité en faisant tout ce qu’il nous est possible de faire dans les pays et les capitales où nous siégeons pour favoriser un cessez-le-feu. Un cessez-le-feu ferait en sorte de diminuer la peur et l’inquiétude que nous avons lorsque nous nous demandons si nos collègues seront encore en vie demain matin.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Greene : Je me sens dépassé par l’information que vous nous présentez. J’aimerais vous demander : que voulez‑vous que nous fassions en tant que comité et que voulez‑vous que nous fassions sur une base individuelle?
M. Robitaille : Nous nous posions la même question en venant vous voir. En tant que comité et individuellement, vous savez mieux que nous quel est votre propre pouvoir. Lorsque nous disons que c’est une situation sans précédent, cela signifie que nous devons tous prendre des mesures sans précédent.
Nous avons demandé d’écrire des lettres aux membres du Parlement. Des milliers de personnes qui n’avaient jamais fait cela de leur vie l’ont fait cette fois-ci.
En tant que comité, vous avez le pouvoir de faire prendre conscience au gouvernement de l’importance de cette question et de jouer un rôle plus courageux dans cette crise lorsque, sept semaines plus tard, vous entendez dire que des organismes n’ont toujours pas été en mesure de se rendre sur les lieux. Nous ne demandons qu’à aller aider nos collègues qui sont là. Nous ne pouvons même pas y aller.
Nous devons tous avoir des échanges très courageux avec des personnes qui peuvent avoir des opinions différentes des nôtres. Nous sommes tous préoccupés par une situation très complexe qui suscite beaucoup d’émotions, et cela se comprend, mais nous devons faire respecter nos valeurs, nos normes — et nous avons réclamé un cessez-le-feu — et faire tout ce qui est possible d’un point de vue canadien. Vous devez faire jouer toutes vos relations, y compris sur le plan international, pour réagir avec plus de fermeté et préserver la dignité du genre humain.
Mme Grantham : Vous avez posé une question très importante, sénateur. Vous voulez savoir ce que nous voulons que vous fassiez en tant que comité et sur une base individuelle? Nous avons été très clairs sur ce que nous vous demandons de faire en tant que comité. Nous avons été très clairs. En fait, notre message n’a pas changé depuis des semaines en ce qui concerne ce que nous voulons que le gouvernement fasse et ce sur quoi nous souhaitons que chaque parlementaire de ce pays réfléchisse — quotidiennement, je suppose — en fonction de ses affiliations et de ses valeurs personnelles. Je m’en remets à votre expertise pour savoir comment répondre à l’appel à l’action que nous vous demandons de lancer.
Je vous demanderai également de réfléchir au pouvoir que vous avez en tant qu’individu. Je vais demander à chacun d’entre vous de s’asseoir ce soir et d’écrire une lettre sur quelque chose que vous avez entendu aujourd’hui et qui vous a touché et fait réfléchir, puis de faire part de ces réflexions à des personnes que vous connaissez, que vous aimez et que vous respectez. C’est ce que je vous demande de faire.
Le président : Merci. Est-ce que quelqu’un d’autre souhaite dire quelque chose à ce sujet?
[Français]
Mme Vaugrante : Je vais citer Mahmoud Darwich : « Nous souffrons d’un mal incurable : l’espoir. » Ce qui manque en ce moment pour ces 2,3 millions de personnes, c’est l’espoir. L’idée que cela recommence après quatre jours, c’est insoutenable comme pensée.
[Traduction]
Le sénateur Ravalia : Je vous remercie sincèrement et du fond du cœur, vous et vos équipes, pour tout ce que vous faites. Ce qui m’a vraiment déconcerté au cours des sept dernières semaines, c’est la polarisation que nous constatons dans nos sociétés, dans les villes du monde entier. Il y a des manifestations, une montée horrible de l’antisémitisme et de l’islamophobie, des voisins qui deviennent des ennemis, des injures et des divisions à l’échelle planétaire. Cela se voit dans la simple tenue d’un vote aux Nations unies ou en observant les pays qui tentent en quelque sorte de régler leurs comptes dans le contexte de cette crise.
J’ai l’impression qu’à cause de cela, le monde qui était déjà polarisé est devenu encore plus divisé. J’entends tout ce que vous dites, mais la question que moi je me pose, c’est comment faire en sorte que ces camps fortement opposés parviennent à une sorte d’appréciation rationnelle du bien-fondé de la nécessité de faire preuve de courage moral, comme vous y avez fait allusion? Il faut qu’il y ait un tant soit peu de respect envers le droit humanitaire international pour qu’un bébé de 18 mois ne se fasse pas déchiqueter les membres et qu’il n’ait pas ensuite à subir une intervention chirurgicale sans analgésiques.
Vos groupes, par l’intermédiaire de vos réseaux internationaux, peuvent-ils mettre en œuvre quelque moyen pour travailler à la recherche d’une solution avant que nous n’assistions à un carnage encore plus grand? Je suis désolé. C’est une vue aérienne peut-être un peu philosophique, mais je pense que nous avons tous passablement de difficulté à accepter ce qui se passe.
[Français]
Mme Vaugrante : Comme je l’ai mentionné dans mon introduction, les doubles standards et les références au droit international humanitaire ou aux droits de la personne à la carte n’aident pas. La solution qui prévaut dans cette région du monde, c’est, entre autres, d’attaquer les sources de l’impunité.
Quand on a une situation d’occupation depuis 56 ans, de blocus depuis 16 ans, d’insécurité pour les Palestiniens comme pour les Israéliens, il faut que la communauté internationale soit assez courageuse pour dire qu’on a des systèmes de justice internationale. Il faut documenter, bien évidemment, comme vous avez posé la question, avoir des enquêteurs sur le terrain qui documentent ce qui se passe. Ils ne peuvent même pas entrer. Il faut ensuite porter les causes en justice.
Tant qu’il y a impunité, ce cycle continuera.
[Traduction]
M. Robitaille : Je vous remercie. Nous sommes nous aussi inquiets lorsque nous voyons un monde divisé. Nous étions également très inquiets pour nous-mêmes. Dans quelle arène nous trouvons-nous lorsque nous parlons à la télévision pour la première fois dans un contexte très intimidant? Ce que j’ai appris, c’est que tout le monde se soucie des enfants qui souffrent à l’heure actuelle. En tant qu’organismes, nous l’avons dit ensemble, les organismes des Nations unies ont pris des engagements sans précédent pour déclarer qu’un cessez-le-feu humanitaire était nécessaire.
Le Conseil de sécurité des Nations unies a récemment adopté une résolution — il était temps — avec des personnes qui ne sont généralement pas d’accord entre elles. Cette unité doit engendrer une responsabilité envers, fondamentalement, comme je l’ai dit, les enfants et les personnes innocentes. Nous voulons tous la paix. En définitive, des deux côtés des frontières, tout le monde veut la paix.
Nous devons prendre les mots et le sens du droit international qui existe et que tout le monde reconnaît, et faire une pause pour nous assurer que ce droit est appliqué, parce que c’est l’ordre mondial que nous espérons préserver.
Mme McKinlay : En outre et pour faire écho à cela, cela revient à l’humanité de chacun. Des femmes subissent des césariennes sans anesthésie. Un enfant meurt toutes les 10 minutes. Il ne devrait pas s’agir de questions polarisantes. Le contexte lui-même présente des complexités et des enjeux polarisants, mais en fin de compte, lorsque nous regarderons ce moment de l’histoire, nous voudrons savoir que nous avons collectivement agi avec humanité pour protéger les femmes, les enfants et les populations vulnérables.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Coyle : Merci à tous pour tout ce que nous avons entendu. Je voulais vous poser une question, à l’approche de l’hiver.
Je sais que vous ne connaissez pas le même genre d’hiver que nous, ici, mais je crois comprendre qu’il y aura de la pluie et du froid bientôt, et l’humidité et le froid font mauvais ménage. Il y a aussi toute la question de l’eau. L’un d’entre vous pourrait-il nous en parler?
Nous avons entendu parler de la situation déjà catastrophique, qui est sans précédent. Mais que signifie l’arrivée de l’hiver? Que prévoyez-vous?
Mme Al-Awqati : Je peux commencer.
Les personnes qui ont dû quitter leur maison, qu’elles soient dans des refuges surpeuplés, dans des maisons surpeuplées ou qu’elles dorment dans la rue, n’ont pas de ressources adéquates pour se protéger du froid. C’est bien sûr un hiver différent d’ici. Je suis originaire du Moyen-Orient. C’est là où j’ai passé la plus grande partie de ma vie, et c’est un froid qui vous transperce. En arabe, on dit qu’on a « froid jusqu’aux os ».
Ces gens n’ont pas de protection, pas d’infrastructures, de vêtements ni de couvertures. Ils n’ont pas de gaz, ce qui signifie qu’ils n’ont pas de chauffage. Beaucoup d’entre eux n’ont même pas de bâches pour se couvrir. Pour ceux qui dorment dans la rue, c’est ce que nous avons déjà vu le week-end dernier. La semaine dernière, il y a eu de fortes pluies à Gaza.
Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie que les gens sont exposés à toutes sortes de risques. Cela signifie une augmentation des problèmes de santé. Cela signifie de nouvelles épidémies. Je suppose qu’il faut aussi mettre les choses en perspective et préciser qu’il s’agit de régions qui ont subi de nombreuses destructions, donc ce n’est pas comme d’entendre la pluie depuis le confort de son foyer. Ce n’est même pas comparable à du camping sous la pluie; c’est bien pire.
Ils n’ont pas accès à suffisamment de nourriture. Ils n’ont pas l’apport calorique nécessaire pour maintenir leur chaleur corporelle. Voilà la situation, et ce n’est que la partie émergée de l’iceberg.
Mme McKinlay : C’est à ce moment-là qu’on voit des gens faire des choix désespérés, outre ceux qu’ils font déjà. Comme l’a indiqué ma collègue, ils n’ont pas d’options, donc c’est là qu’ils commencent à faire des choix qui les mettent encore plus en danger. On voit des gens choisir des stratégies d’adaptation néfastes. On voit en particulier des femmes se rendre encore plus vulnérables en choisissant de rester dans un endroit dangereux pour elles; on en voit faire d’autres choix pour obtenir de la nourriture et de l’eau. Les gens feront des choix différents pour leur propre survie et pour la survie de leur famille, et l’hiver qui s’en vient ne fera qu’aggraver les choses pour tout le monde.
Le président : Merci.
Le sénateur Harder : Vous avez tous mentionné le droit international humanitaire et l’impunité. Pouvez-vous nous dire si et de quelle façon les organisations sur le terrain chez vous consignent, de manière organisée et systématique, les violations du droit international humanitaire qui surviennent, en vue de démarches judiciaires après le conflit?
Mme McKinlay : Oui, comme nous l’avons dit dans la première heure, c’est compliqué en ce moment. Il est difficile d’avoir accès à des systèmes d’information, à l’information elle‑même. Je pense que chaque fois que nous avons l’occasion d’en parler dans des contextes comme celui-ci ou ailleurs, pour véhiculer le message, c’est vraiment l’effort à faire. De nombreux mécanismes de coordination sont mis en place sur le terrain. Des mécanismes de coordination sont mis en place en Égypte et au Liban pour essayer de faire tout cela. Ce n’est probablement pas parfait, mais nous savons aussi que bien souvent, dans ce genre de situation, d’après le volume des violations dont nous entendons parler, on peut supposer qu’il y en a bien plus encore. Ce n’est probablement pas aussi précis et détaillé que nous le souhaiterions, mais, encore une fois, nous déployons tous les efforts possibles dans le contexte.
Mme Füri : Certaines violations du droit international humanitaire sont plus évidentes que d’autres. Il faudra du temps et une enquête indépendante, ce qui ne relève pas de notre rôle d’ONG humanitaire non plus, même si nous communiquons et sommes en contact avec la commission d’enquête des Nations unies qui s’est rendue récemment à Ottawa, par exemple.
Bien sûr, notre personnel sur le terrain est témoin d’incidents et de situations qui présentent des éléments très clairs de violation du droit international humanitaire, comme je l’ai déjà mentionné, dont l’utilisation de la famine comme arme de guerre, ou le transfert forcé, ne serait-ce que par l’ordre d’évacuation qui a été donné le 13 octobre. Cet ordre a poussé au moins un million d’habitants de Gaza vers le sud. Ce sont là des exemples évidents dont nous parlons déjà, et il y en a d’autres qu’il faudra prendre le temps d’examiner plus en profondeur.
Mme Al-Awqati : Il n’y a rien d’organisé dans tout ce qui se passe à Gaza aujourd’hui, et la seule chose qui soit systémique est la violence, qui est perpétuelle.
Parmi les choses qu’il faut documenter, il y a la nécessité de rendre des comptes et nos communications, qui sont grandement limitées, nous le savons. Les déplacements sont également limités. Nous savons qu’il reste des centaines de milliers de personnes dans le Nord de Gaza, mais ces violations se produisent partout dans la bande de Gaza. Il y en a également en Cisjordanie.
Il y a de nombreuses entraves aux déplacements. Nous entendons parler de passages sûrs et de corridors humanitaires du nord de la bande de Gaza vers le sud de la bande de Gaza. Il ne s’agit pas de corridors humanitaires, et il n’y a pas non plus de passage sûr.
Les Nations unies ont récemment rapporté que des personnes fuyant le conflit avaient été séparées, y compris des femmes qui ont été forcées de laisser leurs enfants derrière elles.
Mais pour ce qui est de consigner tout cela de manière organisée et systématique, il faut, une fois de plus, mettre les choses en perspective. Encore faut-il pouvoir joindre les gens, par téléphone ou en personne — de préférence les deux —, et il faut pouvoir les joindre à plusieurs reprises, parce qu’il y a encore des déplacements de population en ce moment même. Les gens sont forcés de partir, que ce soit du Nord de Gaza ou du Sud de Gaza.
En fin de compte, cette responsabilité repose en fait sur les épaules des personnes que nous avons déjà mentionnées, elle incombe au personnel qui a un devoir de diligence que nous ne pouvons pas négliger. Les gens doivent déclarer les violations qu’ils ont subies. Nous devons être en mesure de les joindre, et nous avons besoin de pouvoir joindre diverses autres personnes, notre personnel et nos partenaires en général.
Le président : Merci beaucoup.
Nous arrivons au terme de la réunion. Au nom du comité, je voudrais donc remercier Julie McKinlay, Barbara Grantham, Céline Füri, Béatrice Vaugrante, Dalia Al-Awqati et Patrick Robitaille pour leur présence, ici, au nom de leur organisation, et pour le travail que vous et vos organisations accomplissez dans le monde entier, en particulier à Gaza en ce moment. Vous nous avez donné beaucoup de matière à réflexion. Au nom de mes collègues, je vous dirai que nous vous en sommes tous reconnaissants.
Comme vous l’avez peut-être entendu pendant les témoignages de la première heure, ou même hier soir lorsque nous nous sommes entretenus avec des représentants du gouvernement et des Nations unies, je pense que c’est une question sur laquelle nous allons revenir encore et encore, c’est pourquoi je crois que le comité serait ravi que vous acceptiez de comparaître à nouveau ultérieurement.
(La séance est levée.)