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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 11 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 12 h 33 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

Le président : Je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Avant de commencer, j’inviterais les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Bienvenue. Nous sommes ravis de vous accueillir. Je m’appelle Mohamed Ravalia et je représente la province de Terre-Neuve-et-Labrador.

[Français]

Le sénateur Cardozo : Je m’appelle Andrew Cardozo, de l’Ontario.

[Traduction]

La sénatrice M. Deacon : Bonjour. Marty Deacon, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Woo : Je suis Yuen Pau Woo, de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

La sénatrice Boniface : Bienvenue. Gwen Boniface, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Sénatrice Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle-Écosse.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Je vous remercie. Bienvenue à tous les sénateurs et à ceux qui suivent nos travaux aujourd’hui dans tout le pays sur ParlVu.

Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour poursuivre notre étude spéciale sur les intérêts et l’engagement du Canada en Afrique. Nous sommes très honorés d’accueillir, de la Commission de l’Union africaine, Son Excellence Bankole Adeoye, commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité.

Monsieur l’ambassadeur, bienvenue et merci d’être avec nous. Vous êtes accompagné de Patience Zanelie Chiradza, directrice de la Gouvernance et de la Prévention des conflits, et d’Issaka Garba Abdou, chef de division, Gouvernance et droits de l’homme.

Avant d’entendre vos déclarations et de passer aux questions et réponses, je voudrais demander aux membres et aux témoins présents dans la salle de bien vouloir éviter de se pencher trop près du microphone ou d’enlever l’écouteur lorsqu’ils le font. Cela évitera tout retour sonore qui pourrait avoir un impact négatif sur le personnel du comité et, en fait, sur nos interprètes dont la tâche est d’interpréter les débats.

Je demande également à toutes les personnes présentes de bien vouloir mettre en sourdine les notifications sur leurs appareils.

Je tiens à souligner que Mme Shelly Whitman, directrice générale de l’Institut Dallaire pour les enfants, la paix et la sécurité, est également présente dans la salle aujourd’hui.

Nous sommes maintenant prêts à entendre votre déclaration préliminaire, Votre Excellence, qui sera suivie des questions des sénateurs et, bien sûr, de vos réponses à ces questions. Ambassadeur Adeoye, à vous la parole.

Son Excellence Bankole Adeoye, commissaire aux affaires politiques, à la paix et à la sécurité, Commission de l’Union africaine : Merci, monsieur le président. Merci d’accueillir notre équipe. Je suis très honoré de m’adresser au Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international.

L’Afrique est un continent en pleine mutation. C’est le plus jeune et l’un des plus riches sur le plan des ressources, avec une population énorme et une démographie changeante, mais aussi avec des problèmes politiques et de sécurité turbulents. C’est un continent confronté au terrorisme, à l’extrémisme violent, à la criminalité transnationale organisée, à la rébellion, à l’insurrection et aux guerres civiles. Toutefois, l’Afrique est démocratique dans son essence même — démocratique dans le sens où les valeurs partagées du constitutionnalisme et de l’État de droit restent très enracinées dans ce que nous appelons l’Agenda 2063 : L’Afrique que nous voulons. Comment pouvons-nous faire la différence avec le Canada — avec des partenaires aux vues similaires ayant des liens avec notre continent — en veillant à ce que cette vague de jeunes bénéficie de leurs ressources, d’un continent fort et résilient?

Dans l’ensemble, nous tenons beaucoup à élargir nos partenariats et à nous concentrer sur nos priorités qui, à notre avis, sont très proches de celles que vous avez au Canada. Premièrement, la prévention des conflits, la médiation et la diplomatie préventive seront bénéfiques pour le domaine dans lequel nous travaillons : la gouvernance, la paix et la sécurité.

Deuxièmement, nous devons mettre en place une capacité intégrée pour relever les défis de l’insécurité sur l’ensemble du continent. Cinq régions sont inondées d’armes légères et de groupes armés non étatiques, mais l’engagement de construire des États forts et résilients reste très important.

Je suis sûr que les intérêts du Canada et votre engagement en Afrique constituent une priorité qui concerne le renforcement de la saine gouvernance et de la démocratie pour la sécurité humaine. Et surtout, il s’agit aussi de nouer des partenariats qui fonctionnent pour tout le monde — des partenariats gagnant-gagnant.

En ce qui concerne ces priorités, comment s’intègrent-elles aux intérêts canadiens et à votre engagement envers l’Afrique? Mesdames et messieurs les sénateurs, je dois dire clairement que depuis notre arrivée hier, nous avons rencontré des secrétaires parlementaires et des ministres, notamment des Affaires étrangères et du Développement international. Une chose est claire : le Canada peut jouer un rôle plus important sur ce nouveau continent en pleine transformation qu’est l’Afrique, tout en contribuant et en investissant pour relever les défis auxquels nous sommes actuellement confrontés.

Quels sont ces intérêts? Ils convergent certainement dans ce que nous voyons ensemble, et ce que nous pouvons faire ensemble, par l’intermédiaire de cette chambre de votre système bicaméral — sauver des vies, investir dans les liens économiques, investir dans les gens, investir dans la jeunesse, investir dans les femmes et investir dans l’ensemble du continent africain qui est maintenant animé par des solutions africaines à des problèmes africains.

Comment promouvoir le constitutionnalisme, l’État de droit et la démocratie de manière à ce que l’inclusion des jeunes et des femmes fasse partie de la transformation à laquelle nous aspirons?

C’est un continent magnifique, riche de toutes ses ressources — au nord, au sud, à l’est, au centre —, mais également confronté à des défis comme aucun autre continent. Il est nécessaire de travailler ensemble pour aider à construire le continent, en particulier dans l’ère post-conflit, où nous devons aller de l’avant avec ce dont nous parlons. D’une manière générale, la nécessité de promouvoir les meilleures pratiques en matière de reddition de comptes, d’intégrité et de transparence contribuera à construire cette Afrique démocratique dont nous sommes les témoins.

L’Union africaine est un organe intergouvernemental puissant composé de 55 États membres. Vingt-huit pour cent des membres de l’Assemblée générale des Nations unies représentent l’Afrique. Comment pouvons-nous nous mobiliser davantage en faveur du multilatéralisme? Comment pouvons-nous nous mobiliser davantage pour changer la perception de l’Afrique comme un continent sans espoir, mais plutôt comme un continent qui aspire au changement et au renouveau transformationnel?

Nous faisons tout en notre pouvoir pour travailler ensemble afin de faire taire les armes. Le Canada est historiquement et traditionnellement neutre. Il faut que la marque canadienne soit plus visible sur notre continent — un Canada qui puisse présenter le meilleur de la bonne gouvernance et de la démocratie sans condition à ses partenaires ou aux pays partenaires sur notre continent et un Canada qui puisse avoir un impact dans des domaines autres que l’exploitation minière, soit les infrastructures, les services de santé, les questions relatives aux femmes, la paix et la sécurité, la médiation, la diplomatie préventive et l’observation d’élections. Quinze pays du continent africain organiseront des élections en 2024. L’an dernier, 11 États membres ont tenu des élections malgré la COVID, et un seul a reporté les siennes, avant de finalement entrer en guerre.

La démocratie est profondément enracinée sur notre continent. Nous sommes le seul organe intergouvernemental à suspendre des États membres lorsqu’ils enfreignent les valeurs démocratiques partagées que nous avons adoptées.

Nous promouvons davantage l’alerte précoce, en veillant à ce que la prévention des conflits soit plus efficace que leur gestion. La directrice à ma gauche est chargée de la gouvernance et de la prévention des conflits. À ma droite, M. Garba, responsable de la gouvernance et des droits de la personne, veille à ce que tous les droits soient imbriqués, liés entre eux et considérés comme inaliénables. C’est pourquoi nous ne parlons pas seulement de droits politiques et civils au sein de l’Union africaine. Nous parlons également de droits économiques, sociaux et culturels, en particulier tous ancrés dans le droit au développement. C’est là que nous pensons que l’intérêt du Canada sera substantiel et significatif pour un changement dans la façon dont nous travaillons ensemble.

Je crois pouvoir répondre aux questions s’il y en a d’autres, mais le message le plus important pour nous — que j’ai dit à la ministre des Affaires étrangères ce matin — est que le Canada ne doit plus hésiter à travailler en Afrique. Dans tous les domaines que j’ai mentionnés, le Canada peut être un partenaire de premier plan, avec des résultats favorables pour toutes les parties, pour notre continent et pour vous. C’est le Canada dont nous avons besoin.

Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur, de votre éloquente déclaration.

Je tiens à souligner que le sénateur Stephen Greene et le sénateur Michael MacDonald — tous deux de la Nouvelle-Écosse — se sont joints à la réunion.

Chers collègues, comme vous le savez, nous prévoyons quatre minutes par sénateur. L’intervention inclut la question et la réponse. Veuillez prévoir suffisamment de temps pour que nous puissions obtenir une bonne réponse de la part de l’ambassadeur et de ses distingués collègues qui sont avec nous aujourd’hui.

La sénatrice M. Deacon : Merci à tous d’être présents aujourd’hui. C’est un privilège et un plaisir de vous avoir dans la même salle.

J’aimerais commencer par mieux comprendre le rôle de l’Union africaine dans le maintien de la paix. Je sais que l’Union africaine a dirigé une poignée de missions de maintien de la paix, comme la mission en Somalie. Dans les deux cas, les Nations unies ont été impliquées dans une certaine mesure, mais j’aimerais avoir une meilleure idée de la dynamique entre les Nations unies et l’Union africaine en ce qui concerne le maintien de la paix en Afrique, et j’aimerais savoir si l’Union africaine est en train d’assumer un rôle de leadership plus important à cet égard.

M. Adeoye : Merci, sénatrice, de cette excellente question. Permettez-moi de commencer par un concept. L’Union africaine considère aujourd’hui que le concept de maintien de la paix est obsolète. Dans certains cas, on peut dire qu’il est moribond. Pourquoi? Nous sommes en présence d’une architecture de paix et de sécurité qui s’inspire de la Charte des Nations unies signée à San Francisco en 1945 et qui ne tient pas compte du contexte actuel de l’Afrique — une architecture de soldats de la paix où de nombreux pays de notre continent, du Mali au Congo, et peut-être bientôt la République centrafricaine, diront que les Nations unies doivent partir parce qu’ils ne voient pas l’utilité du maintien de la paix pour relever leurs défis actuels.

Quel en est l’effet? Elle ouvre la porte aux mercenaires ou aux sociétés militaires privées et aggrave encore les défis auxquels notre continent est confronté.

Nous devons repenser, reconceptualiser, réviser, remanier totalement le maintien de la paix pour aboutir à une nouvelle génération d’opérations de paix. Ces opérations devraient être ancrées dans ce que nous appelons l’imposition de la paix. L’imposition de la paix est le moyen cinétique de relever les défis auxquels nous sommes confrontés.

L’imposition de la paix ne se fera pas en vase clos. Le maintien de la paix ne sera pas totalement éliminé, mais plutôt recalibré pour montrer la nécessité d’une architecture capable d’assurer la défense souveraine de l’intégrité territoriale de chaque État membre attaqué par des groupes armés non étatiques.

Nous voulons continuer à travailler avec les Nations unies. Vous connaissez certainement la résolution 2719 des Nations unies qui vient de donner à l’Union africaine et aux Nations unies la possibilité de travailler ensemble avec 75 % des ressources provenant des contributions à verser aux Nations unies. Je sais que le Canada contribuera à cette résolution une fois que le processus sera terminé.

Toutefois, en réalité, nous voyons un monde — tout d’abord dans le Nouvel agenda pour la paix et dans le Sommet de l’avenir — où les Nations unies ont de grandes possibilités de faire la différence en considérant les opérations de paix comme des opérations qui auront deux approches.

Premièrement, il s’agit d’aider l’État à recouvrer sa souveraineté par des moyens cinétiques, ce qui signifie que le Canada et d’autres partenaires peuvent nous fournir les armes offensives nécessaires. Nous ne pouvons pas maintenir la paix là où il n’y a pas d’accord de paix. Nous ne pouvons pas maintenir la paix au Sahel, dans le bassin du lac Tchad, avec Boko Haram, ou dans la province d’Afrique de l’Ouest de l’État islamique, ou Al Chabaab, que ce soit au Mozambique ou en Somalie, sans accord de paix. La meilleure façon d’y parvenir est de donner à l’État les moyens d’agir et de l’investir des capacités nécessaires pour faire la différence.

Je suis intimement convaincu que nous pouvons travailler avec le Canada pour faire en sorte que le maintien de la paix soit totalement remanié pour la nouvelle génération de crises et de conflits à laquelle nous sommes confrontés. La différence sera d’aborder désormais la question dans le contexte de l’ensemble de la société où, bien entendu, quoique vous combattiez et contriez le terrorisme de manière plus efficace, vous vous adressez également à l’ensemble de la communauté pour rallier tout le monde — les femmes et les groupes vulnérables — et pour déradicaliser et veiller à ce que l’idéologie de la haine se transforme en idéologie de la paix, ainsi qu’en culture de la paix, de la réconciliation et de l’harmonie, et, bien sûr, de l’inclusion qui a conduit beaucoup de ces jeunes à se battre du point de vue de l’idéologie de la haine.

Le président : Merci beaucoup, monsieur l’ambassadeur. Nous avons un peu dépassé le temps imparti et nous n’avons pas abordé la deuxième partie. Je suppose, sénateur, que vous aimeriez l’inclure au cours de la deuxième série de questions.

Le sénateur Ravalia : Merci, Votre Excellence — et votre équipe — de votre présence.

L’Union africaine ayant récemment obtenu le statut de membre à part entière du G20 en septembre 2023, je pense que l’influence croissante de l’Afrique sur la scène mondiale a été reconnue. Comment envisagez-vous ce nouveau statut pour renforcer la voix et la représentation de l’Afrique dans les forums internationaux? Quelles mesures l’Union africaine a-t-elle l’intention de prendre pour faire en sorte que les divers points de vue et intérêts de l’Afrique et de ses nations soient efficacement communiqués et défendus au sein du G20?

M. Adeoye : Merci, monsieur le sénateur. La voix de l’Afrique sur la scène mondiale est critique. Il s’agit d’une réflexion de l’Agenda 2063, qui concerne l’aspiration 7 : « [...] un acteur et partenaire fort, uni et influent sur la scène mondiale ». Nous sommes reconnaissants au G20, dont fait partie le Canada, d’avoir accueilli à l’unanimité l’Union africaine en septembre 2023.

Toutefois, je dois vous dire franchement que nous ne nous arrêtons pas là. Il s’agit d’une plateforme [difficultés techniques], mais elle reste informelle. Ses résultats et ses décisions ne sont pas juridiquement contraignants pour le reste du monde.

Nous voyons deux domaines progresser dans notre programme de modification de l’architecture mondiale de sécurité et de développement : premièrement, Bretton Woods et, deuxièmement, le Conseil de sécurité des Nations unies. L’Afrique doit y être pleinement représentée, et sa voix doit être plus forte pour compléter ce qui se passe avec le G20. Nous accueillons favorablement le G20. Nous le considérons comme le premier groupement économique international au monde, et nous mettons l’accent sur nos propres capacités de coordination pour représenter les 55 États membres, y compris l’Afrique du Sud, qui est déjà membre du G20, mais le G20 ne résoudra pas à lui seul les problèmes auxquels nous sommes confrontés. Il nous aidera. Il facilitera les investissements. Il contribuera à mettre en lumière le continent africain. Toutefois, notre objectif est la refonte totale du système international afin de le rendre plus proafricain et plus présentable pour nos jeunes à la recherche de pâturages plus verts, là où les pâturages les plus verts se trouvent sur notre continent. Nous sommes bénis, et nous le savons, mais l’état de paix et de sécurité doit être complété par l’investissement qui fera bouger les choses.

Je tiens à vous assurer que nous nous réjouissons de ce qui se passe au sein du G20. Nous participons activement à ses activités et mobilisations socioéconomiques. Nous considérons qu’il s’agit du premier pas vers un changement radical pour l’Afrique. Je dois dire que je salue l’histoire du Canada au sein du G7, où, au début des années 2000, vous avez joué un véritable rôle — lors de la réunion à Kananaskis, en Alberta — dans l’élaboration des perspectives de partenariat et du dialogue avec l’Afrique. Nous pensons que le Canada devrait jouer un rôle plus important au sein du G20 pour soutenir les aspirations africaines, car notre objectif est la croissance et le développement inclusifs. Globalement, nous devons nous pencher sur l’efficacité du développement. L’aide est chose du passé. L’Afrique a besoin d’investir dans sa population, qui constitue un atout unique pour réaliser la transformation.

Le sénateur Ravalia : Merci.

Le sénateur Cardozo : Bienvenue à nos invités. J’ai deux questions. La première est au nom de la sénatrice Amina Gerba, qui joue un rôle majeur au sein de ce comité et qui a lancé l’idée de cette étude que nous réalisons sur les relations entre le Canada et l’Afrique.

La deuxième question est la mienne. Je ne sais pas si cela me donne deux fois plus de temps. Je suppose que non.

Le président : Non, mais cela fonctionne parfois si vous les posez toutes les deux très rapidement.

Le sénateur Cardozo : La sénatrice Gerba est une fervente partisane du travail que vous réalisez. La question est la suivante : dans l’exercice de votre mandat de maintien et de rétablissement de la paix et de la sécurité sur le continent africain, quels sont les principaux obstacles que vous rencontrez et quelles sont les mesures importantes à prendre? Ces obstacles sont-ils divers, systémiques, historiques ou cycliques?

Ma question, qui est quelque peu liée, est la suivante : Le Canada et l’Occident démocratique devraient-ils s’inquiéter de la présence croissante de la Chine et de la Russie en Afrique?

M. Adeoye : Merci beaucoup. Je commencerai par la deuxième question, qui est très directe. Là où il y a un vide, d’autres en profitent. La Chine contribue énormément à la transformation de l’Afrique grâce à un développement des infrastructures sans pareil. La Chine dispose d’un instrument de partenariat viable, le Forum sur la coopération sino-africaine, ou FCSA, qui est régulier, qui s’engage auprès des dirigeants africains et qui a fait la différence pour que les choses fonctionnent. Nombre de nos États membres voient deux poids deux mesures de la part de l’Occident démocratique, comme vous l’appelez — deux poids deux mesures pour l’Ukraine et la Russie, et deux poids deux mesures pour Israël et Gaza. Il ne sera donc pas facile de transformer ces systèmes de deux poids deux mesures en partenariats plus solides, à moins que la sincérité — l’ouverture — ne compte.

Je ne peux pas parler pour la Chine et la Russie, mais ce que je peux dire catégoriquement, c’est que l’Afrique a besoin de tous ses amis, à condition qu’ils viennent les mains propres et qu’ils assimilent nos priorités clés — les sept aspirations et le deuxième plan décennal de mise en œuvre. L’Union africaine a déjà plus de 60 ans. Son organe, le Conseil de paix et de sécurité, a plus de 20 ans. C’est un continent qui mûrit et qui n’a plus rien à voir avec le passé. L’ère de l’Afrique est arrivée, et cette ère laissera à nos États membres individuels le soin de déterminer leurs amis.

Ce que nous voyons au Canada, c’est un partenaire intelligent potentiel — un partenaire sans condition, et un partenaire qui aidera à promouvoir et à consolider la démocratie. C’est ce dont nous avons besoin. Ce que nous obtenons actuellement de la Chine, c’est le développement d’infrastructures — un partenariat gagnant-gagnant pour de nombreux pays africains. C’est ce que le Canada devrait faire pour nous. Le Canada ne devrait pas être en mode deux poids deux mesures.

La deuxième question porte sur les obstacles. Il s’agit d’une question très difficile.

Le président : Je vais vous interrompre parce qu’il n’y a pas assez de temps pour la deuxième question. Si le sénateur est d’accord, la question pourrait être transférée à la deuxième série de questions, à condition que nous ayons le temps.

La sénatrice Coyle : Merci d’être avec nous, monsieur l’ambassadeur — vous et votre merveilleuse équipe.

Je suis très curieuse d’en savoir plus sur la question de la prévention des conflits, sur ce que vous entendez par là et sur ce que vous faites en matière de prévention des conflits en général et en particulier en ce qui concerne la protection des enfants, des jeunes filles et des femmes. Quelqu’un pourrait-il en parler?

M. Adeoye : Merci. Je serai très bref sur ce point, car la prévention des conflits est ce que nous souhaitons, mais nous n’avons pas été en mesure de l’obtenir dans tous les cas. Nous utilisons deux mécanismes.

Tout d’abord, il y a le Système continental d’alerte précoce que nous avons mis en place, qui fonctionne dans certains cas, mais pas dans beaucoup d’autres, et ensuite l’utilisation du contexte des conflits que nous avons vus. Par exemple, dans beaucoup de nos pays africains, les élections sont devenues une autre source de conflit. Nous avons donc recours à la diplomatie préventive pour pouvoir aborder les problèmes avant qu’ils ne dégénèrent. Lorsque nous observons des élections dans des pays où elles sont très disputées — en Zambie en 2021 —, nous commençons à mettre en place un système de réponse solide et d’approfondissement de la démocratie par le biais des différents mécanismes dont nous disposons.

Nous avons mis en place ces mécanismes de prévention des conflits. Il y a d’abord le Groupe des sages, qui remonte à l’époque de l’ancienne Union africaine et qui existe toujours, composé de cinq membres — des personnalités africaines de haut niveau, d’anciens chefs d’État, d’anciens ministres des Affaires étrangères — qui interviennent dans les pays où l’on constate des signes de fracture.

Deuxièmement, nous avons créé ce que l’on appelle le réseau « FemWise-Afrique », une plateforme dédiée aux femmes médiatrices où elles peuvent intervenir, et où la structure doit être sur le terrain.

Troisièmement, il y a tout juste deux ans, nous avons mis en place le programme WiseYouth. Nous avons le Groupe des sages de haut niveau, composé d’hommes et de femmes expérimentés, nous avons le groupe des femmes seules, puis nous avons WiseYouth.

Ces mécanismes ont besoin de soutien. Ils ont besoin de ressources qui peuvent, bien sûr, faire changer les choses. En ce qui a trait à la prévention des conflits, nous investissons dans nos propres ressources. Le Fonds pour la paix a été mis sur pied par l’Union africaine — un fonds de dotation de 400 millions de dollars, dont 388 millions ont été atteints il y a environ un mois. Je crois qu’avec ces ressources, nous pouvons aussi parler de solutions africaines aux problèmes africains, mais nous avons encore besoin de plus de soutien de la part de nos partenaires comme le Tchad et le Canada.

La sénatrice Boniface : Merci beaucoup d’être ici. Je pense qu’il s’agissait d’une très bonne conversation.

Je voudrais m’attarder sur deux points que vous avez soulevés, en particulier dans votre réponse à la question du sénateur sur le maintien de la paix. Vous avez parlé de l’imposition de la paix. J’aimerais comprendre cela un peu mieux.

Ma deuxième question est la suivante : vous avez évoqué les possibilités de partenariat gagnant-gagnant avec le Canada, et j’aimerais savoir si vous avez des priorités à cet égard. Quelles seraient les trois premières?

M. Adeoye : Merci, madame la sénatrice. Oui, l’imposition de la paix, dans nos termes, signifie simplement la lutte contre le terrorisme, la lutte contre la radicalisation et la réponse cinétique — ce que nous appelons une réponse robuste. Nos chefs d’État se sont réunis à Malabo en mai 2022 et ont défini trois domaines essentiels : une réponse solide, l’approfondissement de la démocratie et la sécurité collective. Comment parvenir à la sécurité collective à partir de la faiblesse? Ce ne serait pas bon pour nous, car nous sommes confrontés à une guerre asymétrique sans nom, où nous ne connaissons même pas notre ennemi. Il n’est pas facile de combattre des gens sans uniforme dans la vaste région du bassin du lac Tchad ou du Sahel, sans connaître leur position. Aujourd’hui, ils sont sur le marché, mais demain, ils seront dans les écoles. Alors, comment renforcer cette résilience et cette capacité? C’est pourquoi nous allons rencontrer tout à l’heure le ministre de la Défense nationale pour réfléchir à la manière dont nous pouvons résoudre ce problème.

Comme vous le savez, le concept de maintien de la paix est de maintenir la paix et non d’être offensif, mais ces types ne sont pas en paix, et l’idée est que notre stratégie de lutte contre le terrorisme est forte. Nous travaillons avec les communautés économiques régionales sur l’ensemble du continent, de la Communauté de développement de l’Afrique australe, ou SADC, à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, ou CEDEAO, et nous pensons que c’est ce qui fera la différence.

Le deuxième point concerne les possibilités gagnant-gagnant. Oui, elles sont nombreuses, et je suis sûr que le président ne m’accordera pas assez de temps, mais permettez-moi de commencer rapidement en disant qu’essentiellement...

Le président : Vous avez appris à me connaître.

M. Adeoye : Essentiellement, le Canada fait preuve d’une très bonne et très grande volonté sur le continent africain — des contacts de personne à personne. Nous avons tous des familles ou des amis là-bas depuis des générations. Il faut en tirer parti. C’est le partenariat gagnant-gagnant dont je parle — un partenariat gagnant-gagnant sans intentions cachées, un partenariat gagnant-gagnant de respect et de bonne volonté dans le système international et un partenariat gagnant-gagnant qui témoigne d’un pays démocratique et stable qui peut avoir un impact sur le continent africain. C’est l’avantage de faire partie à la fois du Commonwealth et de la Francophonie, et d’avoir une immense économie, à la fois au sein du G7 et du G20. C’est énorme.

En ce qui concerne la paix et la sécurité, nous nous appuyons sur la médiation, la diplomatie préventive et la capacité institutionnelle. Bien entendu, en ce qui a trait aux opérations de paix, que j’appelle l’imposition de la paix, nous n’avons pas besoin de troupes canadiennes sur le terrain. Nous demandons des ressources canadiennes sous la forme de matériel de défense et d’équipement pour que ces missions puissent se dérouler sans heurts. En même temps, vous verrez des résultats parce que nous finirons à la table des négociations. Nous finirons par changer les choses.

Le maintien de la paix n’est donc qu’une promenade de santé, car il ne permet pas de gagner la bataille. Nous devons gagner le cœur et l’esprit des Africains qui ont été traumatisés, en particulier les enfants.

Permettez-moi d’évoquer rapidement la question de la protection des enfants, qui a déjà été posée. C’est notre priorité absolue. Une plateforme d’ambassadeurs africains a été mise en place à Addis-Abeba, où nous nous mobilisons contre les six violations énoncées par le Conseil de sécurité des Nations unies. Notre plus grand besoin est la Charte africaine des droits et du bien-être de l’enfant, mais, bien sûr, nombre de nos États membres ont besoin de soutien dans ce domaine.

Vous connaissez les cas des lycéennes de Chibok au Nigeria qui ont été enlevées, et il faut faire davantage pour protéger les écoles dans le cadre du processus de la Déclaration sur la sécurité des écoles, et nombre d’entre nous ont continué d’y travailler.

Nous disposons des normes, ainsi que du cadre juridique. Dans certains cas, nous avons besoin des ressources, mais nous devons fondamentalement prioriser ces faits : médiation, capacité institutionnelle et opérations de soutien de la paix.

Le sénateur Woo : Votre Excellence, j’ai été frappé par votre insistance sur l’indivisibilité de la Déclaration universelle des droits de l’homme, et en particulier par votre accent mis sur les droits économiques, sociaux et culturels, en plus des droits probablement politiques et civils. L’Occident soi-disant démocratique a eu tendance à se concentrer sur ces droits.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur ce que cela signifierait pour le Canada de mettre davantage l’accent sur les droits économiques, culturels et sociaux?

M. Adeoye : C’est une très bonne question, sénateur, parce qu’il s’agit d’une faiblesse du système de soutien international — dans l’organisme international des droits de la personne. Nous nous concentrons tous sur les droits politiques et civils. Permettez-moi de porter le chapeau de mon pays où nous disons, honorables sénateurs, que la démocratie n’a jamais nourri personne. La démocratie seule ne peut pas mettre de la nourriture sur la table. Il faut d’abord livrer la nourriture. Vous avez besoin du secteur de la fabrication pour la sécurité alimentaire. Vous avez besoin des chaînes de production. Vous avez besoin d’investissements.

Les pays qui ne sont pas démocratiques — six d’entre eux — ont été suspendus par l’Union africaine, et non par les Nations unies. L’Union africaine n’autorise pas, comme nous le disons, l’interaction ou la participation officielle du Soudan, du Gabon, du Niger, du Burkina Faso, du Mali et de la Guinée. Six ont été suspendus pour les droits politiques et civils qui leur sont refusés, pour avoir voté. Mais quand ils restaurent le constitutionnalisme et quand ils rétablissent l’État de droit, comment pouvons-nous nous assurer que la démocratie facilite le développement? C’est pourquoi nous parlons du lien entre la paix, la sécurité et le développement. C’est pourquoi les droits économiques, sociaux et culturels demeurent notre priorité numéro un.

Nous ne pouvons pas nous passer des libertés fondamentales. Nous ne pouvons pas nous passer de ces droits politiques fondamentaux — le droit à la libre réunion, le droit à la liberté d’expression et les droits des journalistes. Mais nous devons faire plus. Nous voulons que le Canada se joigne à nous dans cette entreprise. Nous devons vraiment transformer l’espace des droits de la personne, parce que pour l’instant, nous voyons beaucoup de discrimination contre ce droit. Cela fait plus de 30 ans, et il s’agit d’un acte non reconnu par l’ONU.

Nous avons eu une fonction à Genève il y a trois mois. Honorables sénateurs, nous ne pouvions obtenir l’appui d’aucun partenaire. Nous sommes allés seuls avec le Groupe africain. Ce droit existe : le droit au développement, le droit à l’air pur et le droit à la lutte contre la corruption. Tous ces droits sont également inscrits dans le cadre de la Déclaration universelle des droits de l’homme, qui a eu 75 ans l’an dernier. Où sommes-nous? Pourquoi est-ce que c’est seulement l’Afrique qui a besoin de ces droits? Non, nous avons tous besoin de ces droits. Nous acceptons ces droits qui sont de nature politique et civile, et nous contestons cela à notre mouvement de la société civile. Nous avons créé un nouveau mouvement qui travaille avec nous, le mouvement panafricain pour les droits civils. Nous espérons qu’ils seront en mesure de faire une différence en s’assurant que ces droits obtiennent le bon soutien, mais aussi sur notre continent. Merci.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Merci, ambassadeur. Vos remarques m’amènent à ma question pour vous. Vous avez mentionné les six pays qui ont été suspendus de toutes les activités de l’Union africaine, et nous applaudissons certainement cela.

Je suis curieux de savoir quel rôle précis l’Union africaine joue dans la réponse à ces crises en termes d’aide au rétablissement de la paix et de la sécurité dans ces régions. Ma deuxième question est la suivante : La Commission de l’Union africaine a-t-elle pris des mesures stratégiques pour empêcher de futures tentatives de coup d’État dans d’autres États d’Afrique?

M. Adeoye : Merci beaucoup. Il est certain que l’Union africaine ne tolère aucune modification inconstitutionnelle du gouvernement, que ce soit par l’entremise d’un régime militaire ou par l’utilisation de mercenaires, dans tous les domaines où nous avons défini ce que nous appelons la Déclaration de Lomé et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance. Nous avons des règles claires qui ont été signées par ces six pays, et nous continuerons certainement à promouvoir et à préconiser un retour rapide à la démocratie.

Mais voici la grande question : comment empêcher cela? C’est par la diplomatie préventive, en veillant à ce que les élections ne soient plus si controversées que ceux qui perdent finissent dans la brousse et commencent à se battre pour revenir au pouvoir — pour nous assurer que lorsque les choses tournent mal, nous nouons rapidement le dialogue avec les États membres afin de les prévenir, et pour assurer en fin de compte une stabilisation de la démocratie.

Plus important encore, c’est de bâtir des institutions solides et résilientes. Nous avons vu au Sénégal que le constitutionnalisme a triomphé récemment. La chose à faire est de poursuivre sur cette voie où l’Afrique est considérée comme un continent qui respecte et promeut le constitutionnalisme, mais elle a besoin d’institutions fortes. Je pense que c’est l’ancien président Obama qui a dit une fois que l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts; l’Afrique a besoin d’institutions fortes. Et je crois qu’il voulait dire des institutions démocratiques fortes. Merci.

Le sénateur Richards : Merci, monsieur, de votre présence. À la suite des questions du sénateur MacDonald, je sais que c’est une question à laquelle on ne peut pas répondre de façon précise, mais comment y parviendrez-vous? Comment parvenez-vous à une sorte de vue d’ensemble de la paix et de la démocratie quand il y a des milliers et des milliers de combattants en Afrique qui ne feront probablement pas attention à ce que vous voulez accomplir en ce moment? Comment faisons-nous cela sur le terrain?

Je sais que les idées dont vous avez parlé et discouru ici sont merveilleuses, mais comment faites-vous cela sur le terrain dans des endroits comme le Nigeria et d’autres où il y a des conflits presque constamment?

M. Adeoye : C’est une très bonne question, sénateur. Nous ne faisons pas cela seuls. L’Union africaine a différents niveaux d’engagement. La première couche est les États membres. La deuxième couche est les Communautés économiques régionales et les mécanismes régionaux; il y en a 10. La troisième est l’Union africaine elle-même, et la quatrième couche est composée des partenaires comme le Canada.

Comment travaillons-nous, par exemple, pour la paix au Soudan? Dans trois jours, cela fera exactement un an que les hostilités ont commencé. Nous travaillons déjà avec les États arabes du Golfe. Nous travaillons avec la Communauté économique régionale de l’Autorité intergouvernementale pour le développement. Nous travaillons avec les États-Unis et avec l’Arabie saoudite, et nous espérons travailler avec le Canada, si la volonté est là.

Sur le terrain, nous mettons nos ressources en commun. Laissez-moi vous donner un exemple. Avec le processus du Tigré en Éthiopie après la guerre brutale, nous l’avons fait avec les Nations unies, avec les États-Unis et avec l’Autorité intergouvernementale pour le développement, sur le terrain à Pretoria pendant trois semaines — un record pour la signature d’un accord de paix, et cet accord de paix, comme je l’ai dit, est maintenu. Les armes ont été réduites au silence à 99 % depuis cet accord de paix. Après une guerre amère où les gens ont dit que des centaines de milliers de personnes avaient été tuées, nous sommes en train de promouvoir la réconciliation. Nous travaillons sur les leçons apprises. Nous sommes en train de mettre en place les mécanismes de surveillance, de vérification et de conformité nécessaires. Nous avons des forces sur le terrain, civiles et militaires, qui surveillent le processus de paix. Nous assurons la surveillance avec les États membres. Nous avons dans l’équipe le Nigeria, l’Afrique du Sud et le Kenya, en plus des deux anciens belligérants, l’État — le gouvernement de l’Éthiopie — et le Front populaire de libération du Tigré.

Nous pouvons donc le faire sur le terrain. Et qui a financé, sénateur, ce processus de paix? La Banque africaine de développement. Une banque qui investit dans la résolution des conflits.

Nous avons l’expérience. Au cours des 20 dernières années de l’Union africaine, nous avons pu démontrer notre capacité dans certains domaines. Nous construisons nos propres ressources par l’intermédiaire du Fonds pour la paix, comme je l’ai mentionné. Nous avons besoin de fonds complémentaires de la part des partenaires comme le Canada.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup, monsieur. Personne ne vous souhaite la meilleure des chances comme moi.

Le président : Merci, ambassadeur. Je vais utiliser ma prérogative de président pour poser une question.

Monsieur l’ambassadeur, dans vos remarques, vous avez mentionné en passant le Commonwealth et l’Organisation internationale de la Francophonie. Ces deux organisations ont bénéficié de l’adhésion du Canada depuis le début, et je pense que nous sommes le deuxième contributeur en importance pour les cotisations d’adhésion, et je pense que nos fonds volontaires ont également été au premier rang. Mais ils remontent à une autre période, et bien qu’ils aient été utiles pour que le Commonwealth mette fin à l’apartheid en Afrique du Sud — et dans d’autres initiatives —, ils ont, bien sûr, un passé qui remonte à la période coloniale.

Ces institutions sont-elles encore utiles? Ont-elles suffisamment changé? Alors que vous allez de l’avant avec une approche panafricaine, peuvent-elles changer suffisamment pour soutenir vos objectifs?

M. Adeoye : Absolument, monsieur le président. Elles restent utiles pour les consultations, la coordination et la cohérence de l’action dans tout ce que nous faisons sur le continent.

Comme vous l’avez dit, le Commonwealth a joué un rôle de premier plan pour mettre fin à l’apartheid, et nous en voyons davantage dans cette structure de gouvernance mondiale.

Les gens parlent d’un nouvel ordre imaginé. J’ai toujours répondu que tout ordre imaginé qui n’est pas axé sur les Africains ne survivrait pas. En effet, l’un des vice-présidents de la Banque mondiale de l’époque a déclaré que toute entreprise qui n’a pas de stratégie africaine aujourd’hui ne durera pas.

L’Afrique est un continent de l’avenir. Il en va de même pour le Commonwealth et l’Organisation internationale de la Francophonie. Les deux sont gouvernés par des personnes, en ce moment — à la direction —, d’ascendance africaine. C’est pourquoi il est si important pour nous de continuer à nous engager davantage.

Ce que je voudrais qu’ils fassent, c’est d’être plus actifs sur la scène internationale. Je suis très heureux que l’Organisation internationale de la Francophonie ait pris une initiative concernant Haïti. Le Commonwealth doit travailler davantage avec nous. Nous planifions une formation conjointe pour les jeunes en observation électorale. Nous devons voir plus d’activité. Nous devons entendre plus souvent la voix du Canada dans ces deux organisations, car je ne connais aucune autre super économie qui est membre des deux, ce qui est vraiment une bonne chose.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice M. Deacon : Je pense que le sénateur Woo a abordé ce sujet dans l’une de ses questions — et vous avez commencé à en parler de plusieurs façons —, alors la question que je vais rapidement vous poser est la suivante : où le Canada se place-t-il actuellement avec l’Union africaine si vous le classiez et le compariez avec d’autres pays de puissance moyenne, mais, peut-être plus précisément, si vous étiez le patron de la politique étrangère du Canada pour l’Afrique, où pensez-vous que notre pays est le mieux placé pour croître dans nos relations avec l’Union africaine?

M. Adeoye : J’aimerais que nous le soyons. Sérieusement, le Canada a le potentiel, la bonne volonté d’entretenir des contacts de peuple à peuple et la diaspora. Trente-cinq pour cent de votre population vient de la diaspora, et je suis sûr qu’une grande partie de cette population est africaine.

Tout d’abord, je crois que vous pouvez nous aider à investir pour qu’il n’y ait plus de conflit en Afrique. Comment peut-on procéder pour y parvenir? On peut faire les choses différemment des puissances occidentales traditionnelles, si on suit son propre chemin. J’ai parlé hier et aujourd’hui aux ministres de l’exemple des Scandinaves. Créez votre propre parcours sans dévier de vos valeurs.

Comme je l’ai dit au secrétaire parlementaire à Affaires mondiales ce matin, regardez-les [difficultés techniques], et le Canada fera une différence. Votre identité est mondiale, ce qui signifie qu’elle est en harmonie avec l’Afrique.

Deuxièmement, nous partageons les mêmes valeurs de démocratie. C’est pourquoi je viens de dire aujourd’hui au Canada que vous avez ces six pays qui vivent ici, qui travaillent ici, qui s’engagent avec vous, mais qui ne peuvent participer à aucune activité de l’Union africaine parce qu’ils sont devenus non démocratiques. Nous partageons des valeurs en matière de démocratie et de protection des droits de la personne.

Troisièmement, nous communiquons les leçons apprises. Nous avons des leçons que nous pouvons apprendre ensemble compte tenu de votre rôle dans la lutte contre l’apartheid, du soutien à la position africaine et du soutien ferme du Comité spécial des Nations unies contre l’apartheid pendant des décennies jusqu’à ce que l’apartheid soit aboli. C’est votre expérience mondiale. Nous avons maintenant besoin d’une action mondiale commune.

Merci.

Le président : Sénateur Cardozo, pourriez-vous relire la question de la sénatrice Gerba?

Le sénateur Cardozo : Je vais vous donner une version sommaire.

J’aimerais que vous nous parliez des principaux obstacles à la restauration de la paix et de la sécurité que vous relevez.

M. Adeoye : Le premier est les ressources, mais les ressources, non seulement financières, mais aussi matérielles.

Le deuxième est que nous voyons parfois l’intransigeance des belligérants — les parties au conflit.

Le troisième est l’ingérence externe. Certains de nos pays partenaires ne sont pas sincères. Ils jouent un double jeu. Ils dressent un camp contre l’autre, et ils exploitent les ressources de ces pays. Comme vous le savez très bien, les mercenaires ne sont pas payés en espèces. Ils sont payés en minéraux et en ressources de la terre.

Bien sûr, nous avons nos propres problèmes sur le continent sans les [difficultés techniques], mais ces facteurs sont vraiment liés à cela. Que faisons-nous pour aider à créer, par exemple, des transitions inclusives? Nous avons mis sur pied la Facilité africaine de soutien aux transitions inclusives avec le Programme des Nations unies pour le développement, et nous savons que notre propre Fonds pour la paix ne sera pas suffisant. Nous devons sensibiliser davantage, et je crois que plus pourrait être réalisé si nous parvenons à faire ce qui est juste.

Le président : Je tiens à remercier Son Excellence Bankole Adeoye de sa déclaration d’aujourd’hui et de son ouverture à nos questions. Nous avons eu un dialogue très riche.

Monsieur l’ambassadeur, je vous remercie, ainsi que vos collègues, la directrice Chiradza et le directeur Garba Abdou, d’être ici avec nous et d’avoir entrepris ce long voyage de l’Afrique. Je pense que ce que vous nous avez donné nous aidera énormément dans notre étude. Nous vous souhaitons un succès continu, de la chance, de bonnes rencontres et un retour à la maison en toute sécurité.

(La séance est levée.)

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