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AEFA - Comité permanent

Affaires étrangères et commerce international


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES ET DU COMMERCE INTERNATIONAL

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 20 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), pour étudier la réponse gouvernementale au douzième rapport du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international, intitulé Plus qu’une vocation : le Canada doit se doter d’un service extérieur adapté au XXIe siècle, déposé auprès du greffier du Sénat le 6 décembre 2023.

Le sénateur Peter M. Boehm (président) occupe le fauteuil.

[Français]

Le président : Honorables sénateurs, je m’appelle Peter Boehm, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du Comité sénatorial permanent des affaires étrangères et du commerce international. Avant de commencer, j’inviterais maintenant les membres du comité présents aujourd’hui à se présenter, en commençant par ma gauche.

La sénatrice Gerba : Amina Gerba, du Québec

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Bonjour et bienvenue. Je suis Mohamed Ravalia, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Greene : Stephen Greene, de la Nouvelle-Écosse.

La sénatrice Busson : Je m’appelle Bev Busson. Je suis une sénatrice de la Colombie-Britannique. Bienvenue.

Le sénateur Woo : Bonjour. Yuen Pau Woo, de la Colombie‑Britannique.

Le sénateur Harder : Peter Harder, de l’Ontario.

La sénatrice M. Deacon : Bienvenue. Marty Deacon, de l’Ontario.

La sénatrice Coyle : Mary Coyle, d’Antigonish, en Nouvelle‑Écosse. Bienvenue.

Le président : Je souhaite la bienvenue à tous ceux qui nous regardent d’un bout à l’autre du pays sur SenParlVU.

Chers collègues, nous nous réunissons aujourd’hui pour discuter de la réponse du gouvernement au 12e rapport du comité, intitulé Plus qu’une vocation : le Canada doit se doter d’un service extérieur adapté au XXIe siècle, déposé auprès du greffier du Sénat le 6 décembre 2023. Comme vous vous en souviendrez, notre rapport a été adopté par le Sénat le 19 mars 2024, et le gouvernement a déposé sa réponse au Sénat le 13 juin, soit bien avant la date limite, ce dont je lui suis reconnaissant.

Aujourd’hui, pour discuter de la réponse du gouvernement, nous avons le plaisir d’accueillir, d’Affaires mondiales Canada, M. David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères; M. Antoine Chevrier, dirigeant principal de la transformation et sous-ministre adjoint, Direction générale de l’équipe de transformation; et Mme Vera Alexander, sous-ministre adjointe associée, Gestion des personnes et des talents.

Nous vous souhaitons la bienvenue. Je vous remercie d’être de retour devant le comité et de prendre le temps d’être avec nous aujourd’hui. Nous sommes prêts à entendre vos déclarations préliminaires. Comme d’habitude, les sénateurs vous poseront ensuite des questions.

Monsieur Morrison, vous avez la parole.

David Morrison, sous-ministre des Affaires étrangères, Affaires mondiales Canada : Merci, monsieur le président. Bonjour à tous.

[Français]

Permettez-moi tout d’abord de remercier ce comité d’avoir contribué à faire du ministère des Affaires étrangères du Canada le meilleur organisme possible pour les Canadiens dans un monde difficile, un monde qui s’avère plus difficile de jour en jour. Comme il est indiqué dans la réponse du gouvernement et de la ministre Joly, les conclusions et les recommandations du rapport de votre comité étaient bien alignées sur le programme de transformation d’Affaires mondiales Canada (AMC).

[Traduction]

Affaires mondiales Canada, ou AMC, est à l’avant-garde des politiques et des activités internationales du Canada. Doté d’un effectif dévoué, le ministère a une histoire dont il est fier, mais il doit relever le défi de servir les Canadiens dans un contexte international de plus en plus complexe et instable.

Comme vous le savez, à la suite du lancement du document de travail intitulé L’avenir de la diplomatie : Transformer Affaires mondiales Canada, le ministère a lancé un plan triennal de mise en œuvre de la transformation en septembre 2023. Le plan trace les grandes lignes d’un ambitieux programme visant à faire en sorte qu’AMC soit apte à relever les défis d’aujourd’hui et de demain.

[Français]

Aujourd’hui, je vais donner un aperçu de ce que le ministère a accompli jusqu’à présent et parler de la direction dans laquelle il se dirige. Affaires mondiales Canada a fait des progrès dans l’amélioration de sa culture organisationnelle et a notamment développé un énoncé servant de boussole au ministère. Cet énoncé définit notre aspiration commune, les valeurs et principes fondamentaux de notre organisation et la culture que nous voulons maintenir et renforcer. Le ministère publiera son troisième rapport sur le traitement des cas d’inconduites et d’actes répréhensibles au cours de 2025. Ce rapport est désormais un modèle en cours de mise en œuvre dans tous les ministères du gouvernement fédéral.

Le ministère a aussi lancé un nouveau sondage auprès du personnel sur le bien-être des employés et employées et sur l’efficacité du leadership.

[Traduction]

Pour constituer un effectif représentatif de la diversité du Canada, AMC a publié un plan d’action en matière d’équité, de diversité et d’inclusion, son premier plan d’action en matière d’accessibilité, en plus d’accueillir sa première cohorte du Programme de parrainage des sous-ministres. Cette démarche permet d’assurer un bassin de talents diversifiés jusqu’au niveau de la haute direction.

Le ministère a également lancé une nouvelle structure organisationnelle et un nouveau modèle de gouvernance qui aideront à éliminer le cloisonnement entre le commerce, la diplomatie et l’aide internationale et à améliorer la cohérence des politiques sur des questions transversales, comme l’intelligence artificielle, les changements climatiques, les minéraux critiques, et j’en passe. Dans la nouvelle structure de gouvernance, les sous-ministres président sept tables de haut niveau afin de favoriser un processus décisionnel plus efficace. De plus, nous mettrons bientôt sur pied deux organismes clés : un conseil consultatif des employés et un conseil des chefs de mission.

[Français]

AMC s’est engagé à investir dans le renouvellement de son service extérieur et il y parvient. Au cours des 18 derniers mois, le ministère a recruté plus de 415 nouveaux agents du service extérieur à tous les niveaux. Ce nombre devrait être d’environ 450 d’ici la fin de l’année. AMC a également lancé un nouveau programme de gestion des talents à l’échelle du ministère, renforcé sa capacité en matière de langues officielles et élargi son programme de formation en langues étrangères.

[Traduction]

Le ministère accroît son influence et son engagement à l’échelle mondiale, là où cela compte le plus. AMC met de l’avant une nouvelle approche axée sur les données pour aider à éclairer les décisions futures sur notre empreinte mondiale. Le ministère pourra ainsi mieux calibrer la représentation du Canada à l’étranger afin d’étendre plus efficacement son influence, de défendre les intérêts nationaux et de fournir des services de qualité aux Canadiens.

AMC a également procédé au lancement préliminaire — jusqu’à la semaine prochaine — d’un carrefour ouvert des analyses qui fera le pont entre l’élaboration des politiques et la recherche d’AMC et des experts canadiens et étrangers afin d’aider à prévoir les enjeux mondiaux d’intérêt national et d’y répondre. AMC a déjà organisé plusieurs activités dans le cadre du carrefour, notamment des tables rondes avec des universitaires et des fonctionnaires d’AMC sur des sujets comme la dynamique transatlantique. À la fin de novembre, AMC organisera pour la première fois les Journées d’analyses ouvertes, au cours desquelles des experts discuteront d’enjeux clés, comme les minéraux critiques, les changements climatiques, la sécurité, et cetera.

Nous sommes également en train de ressusciter la conférence commémorative O. D. Skelton, qui sera présentée par un expert en sécurité internationale de Brookings, Bruce Jones, qui est également canadien.

[Français]

Le ministère a également complété un examen de sa gestion de crise et identifié des façons d’améliorer ses réponses dans un monde de polycrise. En vue de mettre en œuvre ces résultats, il a créé un nouveau bureau de gestion des urgences, renforcé la coopération avec le Groupe des cinq et augmenté sa capacité à utiliser les données pour la gestion des crises et la prospective.

[Traduction]

Le ministère s’est engagé à devenir une organisation plus efficace et à rendement élevé. À cette fin, AMC a entrepris de réduire les formalités administratives à l’échelle du ministère et de moderniser certaines de ses procédures, l’objectif étant de réduire la lourdeur des processus et de la charge de travail à l’administration centrale et dans ses missions à l’étranger. À ce jour, 23 % des 61 initiatives prévues ont été menées à bien, libérant ainsi plus de 14 000 heures de travail par année pour le personnel.

Au cours des six prochains mois, le ministère se concentrera sur l’amélioration de son agilité organisationnelle, notamment en ce qui a trait aux interventions rapides en temps de crise et en réponse à de nouvelles priorités. Pour ce faire, le ministère entend adopter et promouvoir une approche, appelée « One GAC », qui vise à éliminer le travail en vase clos afin que les ressources puissent être consacrées aux enjeux les plus pressants. Pour appuyer cette approche, le ministère a entrepris un exercice complet de recensement des compétences qui permettra aux gestionnaires d’identifier rapidement les employés possédant les langues, l’expertise et l’expérience requises lorsqu’une capacité d’appoint s’avère nécessaire.

Cette approche signifie également que les chefs de mission doivent avoir la marge de manœuvre voulue pour atteindre des résultats à l’échelle nationale dans l’ensemble des programmes et rendre des comptes à cet égard.

[Français]

Le ministère prévoit de poursuivre le recrutement pour combler ses bassins d’agents du service extérieur, améliorer le soutien aux familles en poste à l’étranger et accompagner l’ensemble du personnel dans la planification de son cheminement de carrière. Le ministère travaille sur ses options d’apprentissage pour se concentrer sur les formations les plus importantes et les plus efficaces. Le ministère travaille d’arrache-pied aux dernières étapes des négociations sur la révision cyclique des directives sur le service extérieur, afin de créer davantage de flexibilité pour les employés et leurs familles ainsi que des conditions spéciales qui interviendront rapidement en cas de crise.

Je terminerai en remerciant encore une fois le comité de cette occasion d’échanger des points de vue et des idées sur la manière dont nous pouvons collectivement améliorer l’avenir de l’engagement mondial du Canada.

[Traduction]

Nous nous réjouissons à la perspective de continuer à contribuer aux travaux du comité. Merci beaucoup.

Le président : Merci, monsieur le sous-ministre. Je tiens à souligner que le sénateur Michael MacDonald, de la Nouvelle‑Écosse, et le sénateur Mohammad Al Zaibak, de l’Ontario, se sont joints à nous depuis le début de votre exposé.

[Français]

J’aimerais préciser aux sénateurs qu’ils disposent d’un maximum de quatre minutes chacun pour la première ronde, ce qui inclut les questions et les réponses.

[Traduction]

Le sénateur Ravalia : Je vous remercie encore une fois de votre présence et du travail que vous effectuez pour notre pays.

Dans sa réponse, le gouvernement a souligné l’importance de moderniser les outils et les processus d’Affaires mondiales Canada, y compris l’utilisation de l’intelligence artificielle et l’analyse des données pour améliorer ses capacités diplomatiques et opérationnelles. Compte tenu de la dépendance croissante à l’égard des technologies dans le domaine de la diplomatie mondiale, comment le ministère intègre-t-il l’intelligence artificielle dans ses activités, comme l’analyse des politiques, les interventions en situation de crise ou la prestation de programmes?

M. Morrison : Je vous remercie beaucoup de la question. Chaque semaine, une nouvelle invitation ou initiative liée à l’intelligence artificielle dans la fonction publique aboutit sur mon bureau et, bien entendu, je m’intéresse particulièrement au déploiement de l’intelligence artificielle dans le contexte d’un ministère des Affaires étrangères. J’étais en Europe la semaine dernière et j’en ai discuté avec mes homologues du ministère des Affaires étrangères de l’Italie, ainsi qu’avec mes collègues qui travaillent dans les institutions européennes à Bruxelles et à Londres. L’intelligence artificielle et son déploiement au service de la diplomatie étaient un thème récurrent.

En fait, pas plus tard qu’aujourd’hui, nous avons désigné l’un de nos sous-ministres comme point de contact principal pour l’intelligence artificielle au sein d’Affaires mondiales Canada. Nous l’avons fait à cet échelon en raison de l’importance que revêt l’intelligence artificielle non seulement pour nos activités internes, mais aussi pour la façon dont nous gérons nos programmes dans le monde entier. Je vais céder la parole à mon collègue, M. Chevrier, dans un instant. Jusqu’ici, nous avons assisté à un foisonnement d’idées, et certaines d’entre elles sont extrêmement créatives. Nous désignons maintenant quelqu’un au sommet de l’organisation pour nous assurer qu’il y a une cohérence entre ces idées et que nous interagissons avec le reste du monde afin de tirer le maximum de l’intelligence artificielle pour Affaires mondiales Canada.

Monsieur Chevrier, voulez-vous ajouter quelque chose?

Antoine Chevrier, dirigeant principal de la transformation et sous-ministre adjoint, Direction générale de l’équipe de la transformation, Affaires mondiales Canada : Je vous remercie de la question. Il y a, dans nos rangs, une immense volonté de faire avancer ce dossier. Nous avons organisé quelques activités qui en témoignent. Les gens en voient les avantages, notamment pour certaines des questions qui ont été soulevées — de la définition des politiques à la prestation des programmes —, mais aussi pour la simplification de nos processus.

Bien sûr, une discussion importante sera menée par le sous‑ministre qui agira comme point de contact, mais aussi en collaboration avec divers partenaires pour assurer l’équilibre des risques liés à l’intelligence artificielle et à d’autres technologies, car nous pouvons parler de la robotisation et de l’automatisation de l’information pour simplifier nos processus, des considérations en matière de sécurité, de l’empreinte environnementale de certaines de ces questions. En tout cas, l’occasion est là.

En plus de ce qui a été mentionné, nous nous rendons compte, tout comme certains des premiers utilisateurs au sein de nos rangs, qu’il pourrait être très important de redonner du temps à nos employés pour qu’ils fassent un travail à valeur ajoutée. Cela pourrait libérer du temps pour que les gens puissent se concentrer sur des messages clés et des considérations stratégiques en s’occupant de certains détails qui peuvent être générés par certains de ces outils. C’est un défi commun non seulement pour nous, mais aussi pour nos partenaires aux vues similaires qui ont un programme de transformation, comme l’a mentionné le sous-ministre. Je pense que nous sommes bien placés pour en tirer parti, mais de façon raisonnable et sécuritaire dans la mesure du possible. Les possibilités sont là, mais il y a des risques. Je pense qu’il s’agit d’équilibrer les risques à mesure que nous les aborderons, mais c’est un projet emballant.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie de comparaître à nouveau devant nous. C’est une expérience cathartique que de consulter le rapport et de pouvoir passer en revue les recommandations que nous avons présentées, de prendre connaissance de votre réponse et de vous avoir parmi nous aujourd’hui.

Il y a deux ou trois points auxquels j’ai réfléchi. Le premier concerne le mentorat. J’ai été très heureuse de voir que le gouvernement prend cette question au sérieux et que des démarches sont en cours.

Ce qui me préoccupe, c’est que nous avons entendu deux versions des faits dans le cadre des témoignages que nous avons reçus. Un cadre supérieur nous a dit que le ministère s’occupait de cette question et prenait vraiment à cœur le mentorat. Toutefois, un subalterne nous a confié que le mentorat faisait défaut, ce qui soulève beaucoup d’inquiétude. Dans l’élaboration de ces programmes de mentorat, je me demande quels efforts sont déployés pour faire participer de nouvelles recrues à l’élaboration des lignes directrices concernant le mentorat.

M. Morrison : Nous avons des programmes de mentorat. J’ai notamment mentionné le Programme de parrainage des sous‑ministres, qui est explicitement conçu pour intégrer les groupes sous-représentés dans les rangs de la haute direction. Nous nous apprêtons à entamer notre troisième année, si je ne m’abuse, et nous sommes passés d’un programme pilote à un programme complet que nous avons l’intention de poursuivre.

L’autre programme de mentorat est de portée plus vaste. D’ailleurs, je m’attire souvent des ennuis à cet égard, car j’estime que le mentorat fait partie de mes responsabilités fondamentales et je suis disposé à ouvrir ma porte aux membres de mon personnel qui veulent venir en discuter avec moi. Je crois que mes collègues sous-ministres adjoints travaillent selon les mêmes principes. Le ministère compte un réseau de jeunes très dynamiques qui n’hésitent pas à se faire entendre. À mon sens, si nous ne faisions pas les choses tout à fait correctement, nous le saurions. Bon nombre d’entre nous ici présents ont sans doute énormément profité d’un mentorat informel; c’est ainsi que les choses fonctionnent, et je sais que ces réseaux existent au sein d’Affaires mondiales Canada. Nous sommes en ce moment dans la période quelque peu amusante de l’automne, grâce au lancement de notre campagne de charité, qui offre de nombreuses possibilités de réseautage et de suivi.

J’ignore si nous avons autant de programmes officiels, outre celui que j’ai mentionné — Mme Vera Alexander le saura peut‑être —, mais je dirais que je connais assez bien la culture. Il y a beaucoup de mentorat informel qui a lieu tous les jours. Encore une fois, je sais que notre réseau de jeunes nous en parlerait si nous n’étions pas à la hauteur.

La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie. Voilà donc pour le mentorat. L’autre point dont nous avons entendu parler dans les témoignages concerne les échanges et les commentaires pour les employés d’Affaires mondiales Canada. Des témoins nous ont parlé de l’importance de cette question, compte tenu de l’approche pangouvernementale en matière d’affaires étrangères; elle ne relève plus exclusivement d’Affaires mondiales. Dans sa réponse, le gouvernement a dit qu’il était d’accord, mais que cela se faisait déjà. Le problème, c’est que nous avons entendu dire que, même si les employés d’Affaires mondiales Canada sont au courant de ces possibilités, ils craignent que, s’ils partent, ils soient oubliés et que leur carrière au ministère stagne. Je n’ai pas eu l’impression, en lisant la réponse du gouvernement, que des efforts seraient déployés pour remédier à cette situation ou adopter une nouvelle approche à cet égard; le gouvernement est satisfait de ce qui existe déjà. Avez-vous reçu des directives du gouvernement pour encourager les employés à acquérir plus d’expérience interministérielle?

Le président : Je suis désolé de vous interrompre. Le temps est écoulé. Gardons cette question en tête, et nous y reviendrons plus tard, sénatrice, si nous le pouvons.

La sénatrice Coyle : Je vous remercie d’être avec nous cet après-midi. Je suis curieuse d’en savoir plus sur le recrutement — pas seulement l’équité, la diversité et l’inclusion, principes que vous avez bien expliqués, mais aussi le recrutement sur le plan géographique au Canada, le recrutement de personnes qui n’ont peut-être pas d’expérience bilingue et le recrutement selon des méthodes qui sortent des sentiers battus, ainsi que le recrutement dans tous les secteurs de la fonction publique et à l’extérieur de celle-ci, à d’autres points d’entrée. Pourriez-vous nous parler de ces différentes facettes du recrutement?

M. Morrison : Absolument. Je vous remercie de la question. Mme Alexander pourra m’aider dans un instant, car elle sait à quel point j’ai insisté sur ces questions au sein de l’organisation, y compris sur la nécessité de doter le service extérieur de Canadiens de toutes les régions du pays, comme c’était le cas à mes débuts au ministère.

Pour répondre à la dernière question, la deuxième fois que je me suis joint au ministère, c’était dans le cadre d’un échange. Je crois fermement en un ministère qui ne prétend pas que le seul point d’entrée se trouve au bas de l’échelle, parce que ce n’est tout simplement plus le monde dans lequel nous vivons.

Au cours de la dernière décennie, nous n’avons pas recruté aussi régulièrement que nous aurions dû le faire. Nous avons réglé ce problème, en grande partie, grâce aux efforts du groupe de Mme Alexander, mais il est très inefficace d’embaucher 415 personnes en même temps. Il serait nettement préférable d’en recruter 40 ou 50 par année. C’est ce que nous voulons faire. Je sais qu’à l’automne 2025, pour la première fois depuis — disons — une décennie ou peut-être un peu moins, sauf erreur, nous allons procéder à un recrutement axé sur Affaires mondiales Canada, au lieu de participer au recrutement dans l’ensemble de la fonction publique, justement pour répondre aux préoccupations que vous avez soulevées.

Vera Alexander, sous-ministre adjointe associée, Gestion des personnes et des talents, Affaires mondiales Canada : Nous avons mené beaucoup de recherches et de consultations jusqu’ici sur la meilleure façon d’atteindre certains des groupes atypiques. D’habitude, les candidats viennent de certaines des plus grandes universités du pays, lesquelles offrent, par exemple, certains des programmes les plus établis en matière de relations internationales, mais comment pouvons-nous cibler les groupes moins évidents pour accroître la diversité et la force de notre organisation? Nous menons ces consultations en prévision du grand lancement qui aura lieu à l’automne 2025. Dans ce contexte, nous veillons également à établir des plans financiers pour soutenir la formation en langues officielles, car tout le monde au pays n’aura pas le même accès que les gens de la région de la capitale nationale.

Au cours des dernières années, en raison des lacunes dans nos réserves en personnel pour le service extérieur, nous avons également fait venir des gens d’autres ministères à différents échelons, et non pas au niveau d’entrée. Nous avons participé à des efforts de recrutement surtout dans la région de la capitale nationale, tout en assurant la diversité au sein des divers groupes d’employés.

Le sénateur Woo : Je vous remercie de votre présence. Je voudrais revenir sur certains enjeux liés aux processus de dotation. Comment tenir compte de la diversité, non seulement en matière d’origines culturelles et ethniques, mais également en matière de diversité cognitive? Par ailleurs, avez-vous un moyen d’encourager les personnes qui ont des points de vue divergents concernant notre histoire, nos politiques étrangères, et notre place dans le monde de manière plus générale?

Y a-t-il de la place pour eux, et l’encouragez-vous? Ne voulez‑vous pas qu’ils soient présents? Existe-t-il un moyen pour eux de trouver une place dans la construction de l’avenir du Canada, parce qu’ils font également partie du tissu social?

M. Morrison : Je dirais que oui, absolument. Je sais qu’il y a une place pour eux au sein du ministère. J’aurais un peu de mal à savoir comment les recruter. Les processus de dotation actuels laissent place à une grande diversité de candidats. Je dirais que notre personnel a un éventail d’opinions sur la plupart des sujets, et nous nous sommes heurtés à cela récemment. Depuis des années, nous encourageons les gens à s’exprimer au travail, même s’ils ont une vision différente sur tel ou tel enjeu de politique étrangère. Néanmoins, nous travaillons également au sein d’un service public, et nous devons nous plier à ses exigences.

Lorsque le greffier du Conseil privé, un ancien agent du service extérieur, a lancé son initiative phare, celle-ci portait sur les valeurs et l’éthique du service public. Cela s’explique par le fait que nous avons recruté de nombreuses personnes dans le service public au cours des six ou sept dernières années, incluant la période pandémique, et que beaucoup d’entre nous ont été assis au début de leur carrière et on leur a dit que nous n’allions pas devenir riches ou célèbres, mais que nous pouvions avoir un impact. « Il y a des règles. On ne peut pas poser une pancarte sur une pelouse pendant une campagne électorale ».

Prenez l’exemple des réseaux sociaux. Le Moyen-Orient est la question la plus conflictuelle que j’ai rencontrée au cours de mon parcours dans ce métier, à où se trouve votre moi privé et votre moi public. Nous devons tenir compte de la diversité des opinions des gens sur des sujets aussi délicats. En fin de compte, il y a des règles à respecter pour travailler dans le service public. Dans le cadre de ces règles, à Affaires mondiales Canada, nous sommes très ouverts et nous nous enrichissons d’un large éventail de façons de voir le monde.

Le sénateur Woo : Il y a des ex-ambassadeurs concurrents qui tweetent des points de vue différents sur un certain nombre de questions très importantes, et je suis sûr que cela reflète une certaine diversité de points de vue au sein d’Affaires mondiales Canada.

Comment permettre l’expression de points de vue alternatifs et peut-être moins courants, tout en respectant les règles et en permettant un certain développement et une certaine maturation? En effet, ces idées peuvent atteindre un stade où elles ont un certain sens, mais elles ne le feront pas si vous vous interdisez de continuer dans la même veine.

M. Morrison : J’allais également parler de la diversité des points de vue de nos anciens ambassadeurs, car j’en entends beaucoup parler.

Nous sommes sur le point de lancer un canal de dissidence à Affaires mondiales Canada, lequel permettra aux personnes ayant des opinions réfléchies allant à l’encontre de la politique gouvernementale d’exprimer ces opinions et de les voir prises au sérieux. Il s’agit d’une initiative inspirée par une politique qu’avait lancée le département d’État américain pendant la guerre du Vietnam.

Le président : Je vous remercie. Je suppose qu’il s’agit d’un équilibre avec l’Open Insights Hub à l’externe.

[Français]

La sénatrice Gerba : Merci, monsieur le président.

[Traduction]

Je vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui.

[Français]

J’ai été vraiment ravie de constater que la réponse reçue tient compte de la recommandation no 22 du rapport, qui conseillait à Affaires mondiales Canada de reconnaître la valeur des employés recrutés sur place, les ERP, et à veiller à leur épanouissement. Parmi les mesures annoncées, on peut déjà constater qu’il y a un approvisionnement de 47,6 millions de dollars sur cinq ans et 9 millions de dollars pour les années subséquentes qui seront versés pour soutenir un salaire concurrentiel.

Pourriez-vous nous en dire davantage sur ses mesures, notamment la manière dont ces fonds seront déployés?

M. Morrison : Merci pour la question. Comme vous l’avez constaté, les employés recrutés sur place sont d’une importance primordiale pour nos missions autour du monde. Ils sont là depuis beaucoup plus longtemps que nos employés canadiens, alors ils représentent la continuité dans nos ambassades et hauts-commissariats.

[Traduction]

La majeure partie des fonds dont dispose notre programme de transformation sera investie dans notre personnel. Nous avons réussi à accumuler environ 160 millions de dollars, et l’essentiel de cette somme sera investi dans notre personnel.

Je passerai à Mme Alexander dans un instant. Une partie de ces mesures, au moins, s’adresse directement à notre personnel recruté sur place.

Pour être honnête, ces mesures risquent de ne pas être suffisantes. Il y a eu une recommandation selon laquelle nous devrions simplement aller plus loin que ce que nous faisons actuellement, c’est-à-dire que nous essayons d’être à 50 % en matière de marchés du travail locaux dans notre rémunération totale. Nous estimons que l’atteinte d’une cible fixée entre 65 % à 70 % nous permettrait de résoudre beaucoup de problèmes. Nos investissements bénéficient à notre personnel recruté sur place, et ce, partout dans le monde.

J’en entends parler à chaque fois que je voyage parce que je m’entretiens avec nos employés recrutés sur place, je l’ai fait lors de trois missions différentes la semaine dernière. Il s’agit donc de travaux et de projets en cours.

[Français]

Mme Alexander : Merci pour la question. La plupart des fonds pour les ERP visent à augmenter les bénéfices sociaux et médicaux. Il y a quatre phases; la première est déjà complétée et est destinée à tous les pays d’Afrique et à plusieurs autres pays. Nous avons procédé de cette façon parce qu’il y a une grande différence entre les bénéfices de nos employés recrutés sur place et les bénéfices que nous sommes habitués à avoir au Canada. Cela va se poursuivre avec tous les autres pays et tous les autres ERP. Nous avons investi dans la formation pour les ERP.

Le président : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Monsieur le sous-ministre, je tiens à vous féliciter, vous et toute votre équipe. Je tiens à saluer le travail que vous accomplissez. C’est très important pour le renouvellement et la revitalisation d’une institution aussi importante que la fonction publique fédérale.

Vous avez mentionné dans votre déclaration deux points qui ont attiré mon attention en ce qui concerne les chefs de mission. Le premier concerne la création d’un conseil des chefs de mission. J’aimerais savoir quel est leur rôle et comment vous les sélectionnez. S’agit-il d’une politique? S’agit-il d’une question de gestion? Comment allez-vous procéder à une rotation pour laisser place à de nouvelles recrues? J’aimerais vous entendre sur ces points.

L’autre est un message très explicite selon lequel nos chefs de mission sont les chefs de mission du Canada et que, par conséquent, tous les atouts du Canada dans la mission doivent être unis ou au moins cohérents. Cela a été un véritable défi. Je me demande quelle a été votre recette pour réussir.

M. Morrison : Comme je l’ai évoqué, il s’agit d’un travail en cours. En ce qui concerne la première question sur le conseil, je m’adresserai dans un instant à M. Chevrier. Nous sommes en train de mettre en place ces conseils, comme j’ai déjà essayé de le dire en plaisantant. Nos chefs de mission sont très actifs, qu’il s’agisse de chefs de mission actuels ou d’anciens chefs de mission. Il est possible d’acquérir beaucoup de connaissances et de sagesse, et c’est pourquoi nous cherchons à initier les chefs de mission à notre mode de fonctionnement.

En ce qui concerne la responsabilisation des chefs de mission à l’échelle nationale, nous commençons par le GAC. J’ai ce concept appelé « One GAC », et c’est pourquoi nous avons commencé par une déclaration exposant notre vision et nos valeurs. Avant cela, lorsque nous voulions parler de GAC, nous devions parler de diplomatie, de développement, de services consulaires. Quel genre d’organisation sérieuse se décrit en matière de lignes de services? Cela semblait être un point de départ insolite, mais j’étais catégorique sur le fait que nous devions parler de ce qui nous unissait en tant que force de travail plutôt que des différentes parties auxquelles nous appartenions. C’est ainsi que nous avons commencé, et cette même réflexion doit imprégner la manière de mener nos activités à l’échelle nationale.

Depuis trop longtemps, nous avons été témoins de mesures contradictoires en ce qui concerne l’obligation de rendre des comptes. Si vous ne savez pas qui est responsable des résultats, vous ne pouvez pas savoir qui est chargé de fixer vos priorités. Je voyage dans le monde entier, et force est de constater que, 11 ans après l’intégration de l’Accord économique et commercial global entre le Canada et l’Union européenne, ou AECG, nous avons toujours des divergences de vues quant à la question de savoir qui est réellement responsable à l’échelle nationale. C’était censé être le chef de mission. Cela nécessite un degré de planification conjointe qui ne convient pas à tout le monde, mais sur lequel nous allons revenir. Par ailleurs, il en va de même pour différents enjeux liés au commerce.

Nous nous apprêtons à lancer le programme « One GAC ». Vous avez tout à fait raison de dire que les chefs de mission à l’échelle internationale représentent l’ensemble du Canada. Cela prendra davantage de temps.

M. Chevrier : Je vous remercie pour votre question. En ce qui concerne les deux conseils, qui serviront réellement de caisse de résonance pour la table de gestion, comme l’a dit le député, nous constatons, en participant à ces conversations, des différences matérielles en matière de qualité de la conversation et de la nouvelle structure de gouvernance. Les conseils serviront de caisse de résonance. La composition de ces conseils est très importante, comme vous l’avez mentionné, et nous cherchons donc à promouvoir la diversité.

Dans le contexte du conseil des chefs de mission, vous pouvez envisager la diversité du point de vue de la démographie, de la provenance, etc. J’ai eu le privilège d’être chef de mission à deux reprises, et je suis donc moi-même un ancien chef de mission. Une mission plus petite aura des problèmes et des défis différents et des points de vue différents à exprimer pour guider la prise de décisions. Il sera important, lorsque nous créerons ce conseil de chef de mission, ainsi que le conseil consultatif du personnel, d’apporter cette diversité. S’il n’y a que 12 grandes missions, la diversité des points de vue ne sera pas utile, car la gouvernance soutient la responsabilité du sous-ministre. Cela fait partie du plan.

M. Morrison : Je dirai simplement qu’ils sont tous dans le même groupe de discussion sur l’application WhatsApp. L’émergence de nouvelles technologies a permis des conversations qui n’auraient jamais pu avoir lieu. Nous en entendrons parler si la composition du conseil des chefs de mission n’est pas correcte. Ils participent pleinement à ce que nous faisons, croyez-moi.

Le président : Merci beaucoup. Si vous me permettez d’ajouter un commentaire de la présidence, quelque chose de similaire a été tenté il y a quelque temps. Je pense, comme vous le savez, que les chefs de mission ont été associés à divers comités de gestion. Je pense que les résultats ont été mitigés; c’est du moins le souvenir que j’en ai, car j’y ai participé à l’époque.

La sénatrice Busson : Je vous remercie tous pour les précieux renseignements que vous nous avez fournis aujourd’hui. Il est certainement inspirant d’entendre que vous êtes résolument engagés dans la mise en œuvre de certains changements majeurs.

Je voudrais faire remarquer que dans le type de changements majeurs que vous vous efforcez d’accomplir, la résistance au changement est également un problème dans les départements traditionnels, en particulier les ministères. Je pense que vous espérez également la mise en place d’un modèle qui diffère de la conception traditionnelle des ministères. Vous avez parlé de briser les silos et de procéder à de nouveaux recrutements, etc. Il est certain que le type d’organisation unique et complexe vers lequel vous voulez continuer à évoluer a besoin de ce type de changements, je crois.

L’une des recommandations formulées par le comité était d’évaluer le statut d’employeur distinct afin de contourner certains enjeux qui touchent les ministères. Pourriez-vous nous dire si les choses ont avancé? Le gouvernement s’est engagé, et je cite, à « prendre note » de cette recommandation. J’aimerais vous entendre là-dessus, s’il vous plaît.

M. Morrison : Je vous remercie de votre question. En fait, nous étions en train d’étudier la question avant même la publication de votre rapport. C’est une solution qui m’a séduit, car elle nous permettrait de résoudre certains de nos problèmes de ressources humaines les plus épineux. Nous sommes également une grande société de gestion immobilière, ce qui, à première vue, n’a pas grand-chose à voir avec la diplomatie. Plusieurs personnes présentes dans cette salle ont déjà essayé de solutionner ces problèmes, et pourront confirmer qu’il s’agit d’un défi de taille.

L’idée d’un statut d’employeur distinct avait été avancée par des groupes aux intérêts variés. Nous avons demandé à un collègue très expérimenté de se pencher sur la question et de rédiger un rapport. Comme dans tout dossier complexe, il y a des avantages et des inconvénients. Je dirais que même si l’objectif final paraît attrayant, il faut également tenir compte des coûts supplémentaires, et notamment des coûts de renonciation.

Dans ma propre vie, nous avons connu la guerre au Moyen-Orient, la poursuite de la guerre en Ukraine, et ainsi de suite. Nous n’avons pas levé le pied, mais nous avons dû reconnaître qu’il serait très difficile de franchir cette étape alors que nous sommes déjà en train d’effectuer la transformation. Au lieu de cela, j’ai essayé de repousser les limites de ce qui est possible dans le cadre du régime actuel, et j’ai eu un certain succès à cet égard. Je me suis appuyé personnellement sur l’examen cyclique des directives sur le service extérieur, sur des éléments que je sais importants pour nos familles à l’étranger, et je pense que cela a contribué à faire avancer les choses.

Je me suis personnellement penché sur certaines des choses que le Secrétariat du Conseil du Trésor nous avait dit ne pas pouvoir faire. Je les ai poussées et, en fait, nous avons pu les faire. Un an après le début de la mise en œuvre de notre plan, je me sens assez bien sur la voie qui consiste à repousser les limites du système actuel, mais je n’ai certainement pas renoncé à explorer davantage le statut d’employeur distinct. Je ne sais plus combien de groupes professionnels différents nous avons, mais il y en a plus de dix. C’est la raison pour laquelle c’est compliqué; il ne suffit pas de changer un groupe de ceci à quelque chose que l’on invente. Cette transition serait très coûteuse et prendrait beaucoup de temps. Je pense que nous réussissons assez bien, du moins dans cette phase du plan de transformation, à repousser les limites actuelles.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur MacDonald : Je souhaite d’abord remercier nos témoins pour leur présence aujourd’hui. J’ai quelques questions à leur poser. Le Plan de mise en œuvre de la transformation d’Affaires mondiales Canada stipule ce qui suit:

Aux prises avec des pressions similaires, de nombreux alliés et partenaires du Canada réinvestissent dans leurs capacités diplomatiques. Le Canada doit aussi le faire maintenant, sinon il risque de perdre du terrain face à ses partenaires et à ses concurrents.

Quels sont les progrès réalisés par nos alliés et partenaires à cet égard? Comment nous situons-nous actuellement par rapport à eux? Par ailleurs, y a-t-il des domaines spécifiques dans lesquels nous avons pris du retard par rapport à nos alliés et partenaires? Et comment remédier à ce genre de lacunes?

M. Morrison : Je vous remercie pour votre question. Dans notre rapport initial, intitulé L’avenir de la diplomatie, nous disposons de données comparatives que je vais tenter de résumer. Je dirais que nos alliés investissent actuellement davantage. Le plan de transformation français s’est accompagné d’une augmentation budgétaire de 10 % dans tous les domaines, ainsi que l’embauche de 900 à 1 000 nouveaux diplomates. Nos chiffres sont modestes en comparaison. Le département d’État américain, qui dispose de ressources considérables, investit lui aussi dans ses capacités diplomatiques. Il s’agit évidemment d’une initiative beaucoup plus importante que celle entreprise par le gouvernement du Canada.

Dans le budget de 2024, nous avons reçu, tout bien considéré, une somme d’argent crédible qui nous aidera à réaliser les parties les plus importantes de notre parcours de transformation. La technologie doit faire partie de la clé de l’avenir de tous les ministères des Affaires étrangères, et elle est très coûteuse. Déployer des diplomates canadiens à l’étranger nécessite en effet des moyens financiers considérables.

La deuxième partie de votre question était de savoir ce que nous faisons à ce sujet. Eh bien, nous examinons chaque élément de nos opérations et nous voyons ce que nous pourrions faire mieux avec les mêmes modestes ressources. Les administrations publiques ne sont pas très douées pour arrêter les choses. Je reste convaincu que cela est possible. Après tout, je suis un enfant du système des Nations unies, qui dispose de beaucoup moins de ressources financières que le gouvernement canadien, et qui a donc une façon différente d’envisager les problèmes en fonction des enveloppes existantes. C’est ce que nous essayons de faire actuellement, c’est-à-dire mettre fin aux activités qui n’apportent pas de valeur ajoutée, déployer l’intelligence artificielle là où nous le pouvons et veiller à ce que chaque Canadien à l’étranger se trouve au bon endroit et soit utilisé à bon escient.

Dans ma déclaration liminaire, j’ai parlé d’un outil d’évaluation axé sur les données qui nous permet de nous assurer que la majorité de nos employés se trouvent dans les endroits où cela compte le plus. Aux termes de la politique étrangère du Canada, tous les pays ne sont pas égaux. Nous avons une idée de la manière d’établir où se situent réellement les intérêts du Canada à l’étranger et de nous assurer que c’est là que nous avons notre personnel, et ce, quitte à réduire les effectifs dans d’autres pays où il est sans doute agréable d’avoir du personnel coûteux, mais pas aussi nécessaire que dans d’autres pays. L’agilité et la capacité de redéployer les ressources vers les priorités les plus urgentes sont une façon pour le secteur privé de régler certains problèmes semblables.

Le sénateur Greene : Merci beaucoup. Je voudrais poser une question simple. J’espère qu’elle n’est pas simpliste. La voici : quelle est la relation entre l’intelligence artificielle et la diplomatie? Sommes-nous dans une situation ou arriverons-nous à un moment dans l’avenir où l’intelligence artificielle rendra la diplomatie obsolète? Si vous le voulez bien, j’aimerais vous entendre à ce propos. Je vais vous demander de répondre dans un langage très clair, non seulement pour moi, mais aussi pour les personnes qui nous regardent.

M. Morrison : Je vais devoir rester clair dans mes réponses, car ce n’est pas un sujet auquel j’ai beaucoup réfléchi. Il y a quelques semaines, nous avons été critiqués en tant que groupe de sous-ministres pour avoir appliqué un modèle mental à l’intelligence artificielle avec pour objectif d’améliorer l’efficacité de nos activités actuelles plutôt que de les repenser.

Le sénateur Greene : Dans quel contexte?

M. Morrison : Dans mon organisation actuelle, le personnel produit beaucoup de notes d’information. Disons que nous demandons à l’intelligence artificielle de produire un texte de 800 mots sur l’économie cubaine parce que nous sommes sur le point de rencontrer le ministre cubain de l’Économie. Avec les façons de faire actuelle, il faudra qu’une personne rédige une note, et que cette note soit vérifiée et réécrite avant de m’être envoyée. Cela prend au moins un jour, généralement deux, alors que vous pouvez simplement poser la question à ChatGPT et obtenir une bonne réponse. Voilà un exemple d’une utilisation de l’intelligence artificielle apte à rendre un processus plus efficace.

J’ai du mal à imaginer comment l’intelligence artificielle pourrait faire les choses de manière totalement différente, mais imaginez une négociation commerciale où les différents éléments en jeu seraient en quelque sorte introduits dans une machine à penser, et où l’on obtiendrait le meilleur résultat en quelques secondes. Si vous pouviez déployer l’intelligence artificielle dans des négociations commerciales complexes, vous élimineriez des mois, voire des années de négociation. Si vous pouviez déployer l’intelligence artificielle dans le cadre d’un règlement en Ukraine ou au Moyen-Orient en ce moment même, vous élimineriez une grande partie du travail que des êtres humains auraient à déployer pour en arriver là, du travail qui, en fin de compte, serait presque assurément gaspillé.

Voilà comment l’intelligence artificielle pourrait révolutionner la diplomatie. Vous aurez toujours besoin de diplomates pour vérifier. Je n’ai aucun doute là-dessus. Sauf que vous aurez peut‑être moins besoin de conférences internationales. Vous aurez peut-être moins besoin de prendre l’avion pour vous rendre à des séances de négociation.

Le sénateur Greene : N’est-ce pas comme encourager les machines à prendre le contrôle?

M. Morrison : Pas du tout. Je pense qu’en fin de compte, les diplomates représentent les pays, et que nos pays, du moins le Canada, sont dirigés par des gens qui sont élus et qui font partie d’un processus participatif. Je pense que ces personnes resteront dans leur rôle de responsables. Je l’espère. Je pense que cela nous ramène à la question précédente et aux ressources. Je pense que le fait de déployer l’intelligence artificielle de manière appropriée et avec les bonnes garanties nous aidera à mieux faire notre travail.

Le président : Merci beaucoup. En ma qualité de président, je vais m’éloigner de ce moment orwellien — merci, sénateur Greene — pour poser deux questions. Tout d’abord, je vous remercie d’avoir répondu à ces questions. Elles sont très pertinentes. Elles sont en phase avec notre rapport et, de toute évidence, avec la réflexion que vous avez menée pour y répondre au nom de votre ministère.

J’ai deux questions. Elles renvoient à nos 29 recommandations. Voici la première. Durant cette période de recrutement frugal ou quasi famélique qui a duré presque une décennie, de nombreux candidats ont été recrutés par le ministère pour pourvoir des postes au service extérieur, mais ils n’étaient pas des agents du service extérieur. L’une de nos recommandations était de voir comment ces personnes pourraient trouver une voie pour devenir des agents du service extérieur et donc se qualifier pour ces affectations. En effet, l’une des choses que nous avons entendues, c’est que, dans l’état actuel des choses, ces personnes seraient prises en considération pour ces affectations si aucun agent du service extérieur ne se montrait intéressé, autrement dit, pour les postes qui n’auraient pas encore été pourvus. Voilà pour la première question.

Je poserai également la deuxième question. Il s’agit d’une recommandation pour laquelle la réponse du ministère a été de prendre note, c’est-à-dire sur la question de la mobilité à tous les paliers, mais de préférence au niveau de la direction dans l’ensemble du gouvernement, et de voir s’il y aurait une adhésion d’autres ministères et organismes à la demande du greffier. Il ne s’agit donc pas d’une démarche unilatérale, mais de faciliter une partie de ce mouvement qui permet aux personnes de progresser dans leur domaine de spécialisation et de revenir. Cela permet d’accroître la base de connaissances à la fois au sein du ministère en ce qui concerne ce que font les ministères nationaux ayant un intérêt international et, bien sûr, au sein des ministères nationaux en ce qui concerne le mandat du ministère des Affaires mondiales.

M. Morrison : Je vous remercie de ces deux questions. Pour la deuxième, j’aurai peut-être besoin d’un peu d’aide de la part de Mme Alexander. Je lui demanderai de vous répondre, mais un grand nombre de nos nouvelles recrues — 415 à ce jour et 450 d’ici la fin de l’année — sont des personnes qui travaillaient déjà au sein du ministère. Elles ont rejoint le service, et le fait d’avoir été à l’intérieur pendant quelques années leur a donné une longueur d’avance en ce qui concerne les concours que nous avons organisés pour constituer nos réserves en personnel pour le service extérieur.

Il y a forcément une différence entre un emploi permutant et un emploi non-permutant. Je suis résolu à renforcer la différence entre un emploi traditionnel et un emploi permutant en donnant un sens à la permutabilité en disant : « Vous avez signé pour aller d’une ambassade à l’autre, et c’est ce que nous exigerons de vous ». Chaque nouvelle recrue doit signer une lettre d’offre stipulant que l’une de ses deux premières affectations se fera dans un pays de catégorie IV ou V. Nous disposons donc de certains leviers, et nous nous en servons. Tout le monde aime la partie « extérieur », mais il s’agit bien du service extérieur, et nous allons remettre la notion de « service » dans le « service extérieur ». Cela permettra d’atténuer un peu le sentiment d’avoir des citoyens de première classe et des citoyens de deuxième classe.

En ce qui concerne la mobilité, 359 personnes d’autres ministères travaillent actuellement à Affaires mondiales, et 0,5 % de nos effectifs sont actuellement dans d’autres ministères. Il ne s’agit pas de comparer des pommes avec des pommes, mais nous nous sommes beaucoup améliorés au chapitre de la mobilité à l’interne et à l’externe. Ce doit être l’avenir. La première chose dont nos partenaires étrangers veulent parler avec le Canada en ce moment, ce sont les minéraux critiques, et c’est Ressources naturelles Canada, ou RNCan, qui possède l’expertise dans ce domaine. Pour ce qui est des changements climatiques, c’est Environnement et Changement climatique Canada, ou ECCC, qu’il faut voir; pour l’intelligence artificielle, c’est Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISED. Nous devons donc être plus perméables que nous ne l’avons été, et nous y parvenons.

Le président : Merci beaucoup. J’aime ce que j’entends. Avec votre première réponse, j’ai eu un moment de nostalgie parce que chaque année, je devais cocher une case disant « Je reste entièrement permutable », sinon...

La sénatrice M. Deacon : Je voudrais revenir sur la question, mais sans trop m’y attarder. Vous avez commencé à y répondre en fonction de votre propre expérience. Il s’agit de l’orientation prise en faveur de l’expérience interministérielle pour les employés d’Affaires mondiales Canada et de l’encouragement fourni à cet égard. Vous en avez parlé, mais si vous souhaitez ajouter quelque chose, ce serait formidable.

M. Morrison : J’y suis revenu à la fin de la dernière question. Nous n’avons pas le choix. C’est l’avenir. L’ancienne distinction qu’on faisait entre les questions internationales et les questions nationales a disparu. Il n’est tout simplement pas possible ou souhaitable d’essayer de faire en sorte qu’Affaires mondiales Canada exerce un monopole sur la partie internationale des dossiers nationaux. Nous devons miser beaucoup plus sur le détachement de personnel et sur le potentiel d’enrichissement mutuel avec, par exemple, des délégations conjointes, etc. Selon les statistiques que je consultais avec Mme Alexander, il y en a de plus en plus. Je crois qu’il y a 359 ou 355 personnes d’autres ministères qui sont actuellement à Affaires mondiales. Cela va continuer.

La sénatrice M. Deacon : C’est une bonne nouvelle. Bien sûr, nous devons le faire. C’était écrit dans le ciel et c’est une bonne chose qu’il en soit ainsi. Croyez-vous qu’il faudra apporter quelque changement structurel et fonctionnel pour y parvenir?

M. Morrison : Cela fait partie de votre première question. Je pense que nous pourrions faire plus. C’est un marché libre aujourd’hui. Nous pourrions faire plus pour soutenir les gens lorsqu’ils sortent. Nous avons des gens qui partent à l’étranger. Certains sont détachés. D’autres, franchement, partent parce qu’ils sont frustrés de ne pas avoir obtenu la promotion qu’ils attendaient. Ils partent et passent beaucoup de temps à essayer de revenir. Certains sont tout simplement des anciens. D’autres sont « en visite » ailleurs. Pour ceux qui sont en visite ailleurs, nous pourrions probablement faire mieux pour garder le contact et voir quand et comment ils vont revenir.

J’ai assisté à une réunion hebdomadaire de sous-ministres plus tôt aujourd’hui et, en regardant autour de la table, j’ai été encouragé de voir le nombre d’anciens d’Affaires mondiales Canada qui sont devenus sous-ministres un peu partout, car cela signifie que toutes les décisions prises au Canada en matière de politique étrangère sont meilleures. Le directeur de l’Agence de la santé publique du Canada, le sous-ministre du ministère des Transports, le sous-ministre de la Défense nationale, les agents du service extérieur sont tous des anciens d’Affaires mondiales Canada.

La sénatrice Coyle : C’est une excellente discussion. Il est très encourageant de voir que les choses sont en marche. On a l’impression qu’il y a beaucoup de choses qui bougent, et qui bougent dans de bonnes directions. Je vous félicite du travail que vous avez fait. Il est facile pour nous d’étudier diverses questions et de faire des recommandations, mais c’est vous qui travaillez et qui faites avancer les choses.

Je suis toujours curieux — et nous en avons parlé ici dans notre rapport — de voir comment vous interagissez avec l’expertise canadienne, non pas dans d’autres ministères, mais dans le vaste monde et partout au Canada : dans les universités, les groupes de réflexion, les organismes de la société civile, les entreprises et partout où cette expertise pourrait être importante pour répondre aux priorités du jour. Vous avez parlé du carrefour ouvert des analyses comme d’un mécanisme. Vous serait-il possible de nous en dire plus à ce sujet, mais aussi en ce qui concerne les autres efforts quotidiens ou ponctuels que vous déployez pour concrétiser ce mécanisme?

M. Morrison : Bien sûr. Le carrefour ouvert des analyses est l’appellation particulière qui a été donnée à ce qui aurait pu être une simple unité organisationnelle. Dans notre rapport, nous nous sommes engagés à faire en sorte qu’Affaires mondiales Canada soit davantage en contact avec les Canadiens et le reste du monde. La bonne nouvelle, c’est que la technologie nous permet de le faire. Vous pouvez littéralement demander à n’importe qui d’avoir une discussion sur Zoom.

Nous parlions en chemin de l’énergie que cela a apportée à nos collègues des Affaires mondiales, alors que nous nous préparons à cette période de deux semaines qui, je le crois bien, sera tout à fait formidable. Nous allons mettre au point de bons produits de connaissance. Je disais à M. Chevrier que ces produits ne devraient pas rester sur notre site SharePoint. Ils devraient être mis à la disposition de l’ensemble de la communauté au Canada et à l’étranger, et notre façon de mesurer leur succès devrait être le nombre de fois qu’ils sont téléchargés par des étudiants des universités et des écoles secondaires.

Je suis obsédé par notre gestion des connaissances et par notre capacité à nous connecter avec mes collègues très intelligents. Le travail qu’ils font est de plus en plus étayé par tout ce qui se passe dans le monde. J’accorde aussi beaucoup d’importance à notre façon de relayer cela aux universités, non seulement au Canada, mais dans le monde entier.

Le carrefour n’est pas seulement un groupe de personnes, mais un concept. J’y participerai avec d’autres au cours de ces deux semaines. Nous ressuscitons une vieille façon de faire avec cette idée de discours principal; nous en ferons d’autres. Ce qui est formidable, c’est que vous n’avez plus à payer les billets d’avion des gens pour qu’ils viennent sur place et communiquent leurs idées.

La sénatrice Coyle : Faire connaître ce que vous faites aux Canadiens — voulez-vous dire quelque chose à ce sujet?

M. Morrison : Au sein du groupe qui s’occupe du carrefour ouvert des analyses, nous avons entre autres une nouvelle fonction de sensibilisation pour établir un lien direct avec les universités canadiennes. Oui, ils voyagent, mais les voyages sont très coûteux, alors nous utilisons la technologie pour nous assurer que nous sommes en lien avec l’écosystème canadien et pas seulement avec deux ou trois universités du centre du Canada.

Le président : Je vous remercie.

Le sénateur Woo : Le sujet de ma prochaine question ne faisait pas partie de notre rapport, mais je pense qu’il s’inscrit dans l’objectif plus vaste de la transformation, en particulier en ce qui concerne la façon de vous organiser. Il s’agit du Programme d’établissement de rapports sur la sécurité mondiale, ou PERSM. J’aimerais savoir quels progrès vous avez réalisés pour répondre aux préoccupations soulevées par l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement, ou OSSNR. Pour ceux qui ne sont pas familiers avec le jargon, il s’agit de la fonction renseignement-humain que pilote Affaires mondiales Canada. Le commentaire de l’OSSNR était que certaines des activités du PERSM n’étaient peut-être pas conformes à la Convention de Vienne, comme certains officiers auraient pu le penser. Si c’est le cas, il s’agit d’un manquement assez grave, et j’aimerais savoir ce que fait le ministère pour remédier à cela.

M. Morrison : Je vous remercie de votre question. J’encourage tout le monde à lire non seulement le rapport du Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement, mais aussi la réponse au rapport rédigé par Marta Morgan, ma prédécesseure immédiate, dans laquelle elle conteste franchement la caractérisation du Programme d’établissement de rapports sur la sécurité mondiale, ou PERSM, par rapport à la Convention de Vienne.

Le fait est que le programme a été créé après le 11 septembre. À ma connaissance, aucun gouvernement étranger ne s’est jamais plaint d’aucun membre du personnel du PERSM. Nous considérons que c’est un programme d’établissement de rapports diplomatiques. Ce programme n’existait pas lorsque j’étais un agent du service extérieur débutant, mais la nature des rapports politiques que je produisais lorsque j’étais en poste à Cuba était identique à ce que les membres du PERSM à Cuba ont rapporté par la suite.

Le Programme d’établissement de rapports sur la sécurité mondiale est un programme qui rend compte des questions de sécurité. Les diplomates en poste à l’étranger sont souvent légèrement jaloux de leurs collègues du PERSM, parce qu’ils sont bien financés, qu’ils voyagent fréquemment à l’intérieur du pays où ils travaillent, et que lorsque la ministre visite ce pays, ils ne vont pas à l’aéroport, parce qu’ils font partie de leur propre programme. Je serais très heureux de discuter de ce programme avec vous ou avec toute autre personne à un autre moment.

Nous avons apporté quelques changements à ce programme. Certaines de ses pratiques, qui sont en fait assez anciennes, ne seraient plus acceptées aujourd’hui, selon moi. Nous avons également transféré ce programme, franchement, hors de la Direction générale de la sécurité et du renseignement, juste pour renforcer l’idée selon laquelle aucun de ses membres ne fait rien de clandestin ou de coercitif. Il ne s’agit pas du tout d’un programme de renseignement. C’est un programme d’établissement de rapports diplomatiques portant sur des questions délicates. Si je m’exprime ainsi, c’est parce que je suis convaincu que ce programme a été déformé dans les grands médias de notre pays, et ma prédécesseure s’est élevée contre les conclusions du rapport Comité des parlementaires sur la sécurité nationale et le renseignement. Ma prédécesseure et moi-même avons apporté certains changements au programme, afin d’éliminer même l’impression d’ambiguïté qui pourrait entourer ce programme.

Le président : Je vous remercie beaucoup de vos réponses. Je crois que le sous-ministre qui a mis le programme en place est également assis à la table aujourd’hui, et ce n’est ni le président ni le témoin principal.

[Français]

La sénatrice Gerba : J’aimerais revenir à la collaboration transversale. Je crois que c’est le sénateur Harder qui en a parlé plus tôt. Dans la recommandation no 2 du rapport, on invite le ministère à accroître la collaboration et la cohérence des politiques pour s’assurer que le commerce, la diplomatie et la coopération de développement ne travaillent pas en vase clos. Dans sa réponse, la ministre nous a assuré que la fusion du ministère des Affaires étrangères et du Commerce international avec l’ACDI, en 2013, a participé à cet effort d’efficacité qui a été mis en place. Cela a été mis en œuvre dans l’élaboration de la stratégie indopacifique.

Cette collaboration transversale et cette recherche de cohérence s’appliquent-elles aussi aujourd’hui dans l’élaboration de la stratégie sur l’Afrique, qui est actuellement en phase de préparation?

M. Morrison : Merci pour la question. J’ai indiqué auparavant qu’on a une stratégie que j’ai appelée « One GAC ». Il reste donc du travail à faire pour assurer la cohérence, surtout à l’échelle du pays. La stratégie indopacifique est un bon exemple, car il ne s’agissait pas uniquement de cohérence au sein d’Affaires mondiales Canada, mais bien de cohérence dans une quinzaine d’entités du gouvernement fédéral. Je préside un comité de sous-ministres responsables d’assurer cette cohérence et c’est quelque chose d’extraordinaire, à mon avis, parce que l’argent réservé à cette stratégie est divisé entre une quinzaine d’entités. La manière de gérer la stratégie est biaisée pour ce qui est de la cohérence, ce qui est nouveau pour le gouvernement.

Ce même esprit et ces mêmes outils seront utilisés pour la stratégie sur l’Afrique qui est en cours de préparation. La stratégie a déjà été endossée par Mme Joly, ministre des Affaires étrangères, mais aussi par M. Hussein, ministre du Développement international, et même par Mme Ng, ministre du Commerce international. C’est donc la même vision de cohérence.

[Traduction]

Le sénateur Harder : Je voudrais revenir sur votre allusion aux Directives sur le service extérieur, ou DSE, et sur votre précédente allusion à la réduction des formalités administratives. La réduction des formalités administratives concerne-t-elle les DSE?

M. Morrison : Comme Mme Alexander le sait bien, ma proposition de départ était d’anéantir les DSE. Je n’arrêtais pas d’entendre parler d’elles et du fait qu’il s’agissait d’un ensemble de règles désuètes consignées dans un livre très épais, des règles qui ne répondaient pas aux besoins des familles modernes du service extérieur.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, je grandis avec le système des Nations unies, et leur approche à l’égard de l’administration de leur personnel à l’étranger est beaucoup plus moderne, parce qu’ils ne peuvent pas se permettre d’avoir un livre de règlements aussi épais. Par exemple, ils se contentent d’accorder des avances de déplacement non justifiées, et vous devez simplement conserver vos cartes d’embarquement pendant un an, un point c’est tout. Ils offrent aussi une série de privilèges. Si vous avez droit à 300 $ pour chaque nuit passée à Paris, vous pouvez accepter ces 300 $ et être dans l’obligation de soumettre tous les documents requis, ou vous pouvez accepter 80 % de cette somme, sans qu’on vous pose aucune question. Du jour au lendemain, l’ONU a réduit ses frais de voyage de 20 % et n’a plus eu besoin d’une foule de gens pour vérifier ses demandes.

C’était ma proposition de départ, mais je me suis ensuite heurté au fait que les DSE ne nous appartiennent pas. Nous sommes les principaux utilisateurs des DSE, mais d’autres ministères s’en servent également. Bien entendu, cela fait partie des négociations collectives que le Conseil du Trésor supervise, et il y a beaucoup de variables dans l’univers de cette organisation. Je m’accorderais la note B moins en ce qui concerne le résultat que je pensais obtenir et celui que j’ai obtenu, et franchement, c’est là une énorme source de frustration parce que les DSE importent pour nos familles à l’étranger. Cependant, je pense que nous avons réussi à faire valoir que le prochain cycle devrait commencer presque immédiatement. Nous allons donc parvenir à un cycle où nous pourrons nous assurer que nos familles bénéficient d’un ensemble de mesures de soutien aussi moderne que possible.

M. Chevrier m’a raconté hier une anecdote intéressante à propos d’un type, quelque part en Amérique du Sud, qui a utilisé ChatGPT pour démystifier les DSE et qui a obtenu des résultats remarquables en matière d’explication de ce à quoi les gens ont réellement droit. Pour établir un lien entre deux ou trois parties de notre discussion, je préciserais que j’entrevois un monde meilleur sur le plan des DSE, mais nous ne sommes toujours pas tout à fait là pour le moment.

Le sénateur MacDonald : L’un des aspects que nous avons remarqués au cours de notre étude, c’est le problème de rétention du personnel dans nos missions à l’étranger et les répercussions que cela a sur le rendement de la mission. Il est gratifiant de constater que 47 des quelque 160 millions de dollars prévus sont actuellement affectés au soutien d’une rémunération compétitive pour le personnel recruté localement.

Je suis curieux de savoir quelles mesures particulières vous utiliserez pour vérifier si cet investissement améliore la rétention du personnel et, par conséquent, le rendement de la mission.

M. Morrison : Je vous remercie de votre question. C’est une question à laquelle je n’ai pas réfléchi. La première chose à rechercher est une réduction du taux d’attrition. Comme toutes les statistiques, nos statistiques révèlent que nous éprouvons des difficultés dans certains pays, mais pas dans d’autres. Nous avons 182 missions dans 112 pays différents à l’échelle mondiale. Nous avons une bonne idée des endroits où se situent les points sensibles.

Dans certains pays, où les salaires que nous offrons correspondent à ceux de 50 % du marché du travail local, nous n’avons aucun problème de rétention. Dans d’autres pays, c’est le contraire. Il nous faut donc examiner de plus près les endroits où nous rencontrons des problèmes de rétention.

En ce qui concerne les avantages sociaux, qui sont la cible des fonds affectés, nous espérons que la bonification de ces avantages contribuera à améliorer la rétention du personnel, mais il est très difficile de faire des généralisations, parce que chaque pays est très différent.

Le sénateur MacDonald : Ces problèmes sont-ils plutôt liés au coût de la vie ou plutôt liés à la société dans laquelle ils exercent leurs activités dans le cadre d’une mission particulière?

M. Morrison : Je crois que les deux cas existent. À l’heure actuelle, nous avons une mission en Cisjordanie. Le contexte là‑bas est totalement différent de celui de Copenhague ou de l’hyperinflation en Argentine, par exemple. Nous disposons de toutes sortes de mécanismes pour tenter de suivre le rythme. Le coût de la vie post-COVID est un véritable problème partout. Les Canadiens, les Américains et tous les autres habitants de la planète sont aux prises avec ce problème.

La semaine dernière, j’étais à Rome, et j’ai remis des médailles d’ancienneté à des personnes qui étaient au service de la mission depuis 40 ans. La rétention du personnel est grandement liée au contexte. Je précise encore une fois que, pour résoudre de nombreux problèmes liés aux employés recrutés sur place, ou ERP, nous avons recommandé de dépasser les 50 %, mais nous n’avons tout simplement pas les ressources nécessaires pour le faire. Voilà pourquoi nous mettons en place des ensembles d’avantages sociaux légèrement plus attrayants, comme l’a mentionné Mme Alexander. Nous commencerons par l’Afrique, mais ils seront mis en place dans le monde entier.

Le sénateur Al Zaibak : Je vous remercie de votre présence. Ma question est peut-être éloignée du rapport, mais il se peut qu’elle y soit liée en quelque sorte. Historiquement parlant, le Canada a la réputation de jouer un rôle majeur dans l’élaboration des politiques mondiales. Je peux citer des exemples qui remontent à l’époque de Lester B. Pearson et à la résolution de la crise de Suez. Un autre exemple est celui de notre gouvernement qui, pendant le mandat de Brian Mulroney, a pris la tête de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud. Plus récemment encore, lorsque Lloyd Axworthy était ministre des Affaires étrangères, il a dirigé la création de la Cour pénale internationale, ou CPI. Les Canadiens continuent d’attendre de leurs gouvernements et du Canada qu’ils affirment leur rôle de chefs de file. Dans toutes ces situations passées, le Canada était en désaccord avec ses principaux alliés, mais il a réussi à les persuader de changer d’avis.

Je ne sais pas si c’est dû au fait qu’il n’y a plus d’infrastructure ou de système de soutien aujourd’hui ou au fait qu’il y a une pénurie de ressources ou un besoin de disposer de ressources supplémentaires, ou d’expertise régionale ainsi qu’humaine, et j’ignore si nous pouvons espérer que le Canada puisse réaffirmer le rôle qu’il jouait dans la résolution de conflits partout dans le monde et reprendre son rôle de chef de file en tant qu’artisan de la paix et intermédiaire impartial, indépendamment de la volonté de nos partenaires commerciaux ou de nos alliés stratégiques.

M. Morrison : Votre question comporte de nombreux aspects. Je l’aborderais de la manière suivante : on a besoin de différents ministères des Affaires étrangères à différents moments, en fonction de ce qu’un gouvernement considère comme le plus important pour servir l’intérêt national.

Je dirais — et nous l’avons fait dans le document de travail intitulé L’avenir de la diplomatie — que le Canada a vécu dans un environnement mondial enviable depuis la chute du mur de Berlin jusqu’à l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Dans cet environnement, le Canada n’a pas accordé la priorité à la résolution de conflits. Je dirais plutôt qu’il a donné la priorité aux négociations commerciales, car c’était l’ère de la mondialisation. Le Canada est un pays exportateur, et j’estime que notre leadership en matière de politique commerciale a été inégalé au cours de cette période de 30 ans. C’est un fait moins connu et un peu plus difficile à comprendre que la crise de Suez et les deux ou trois autres questions que vous avez soulevées, mais quand on regarde qui a rédigé les règles qui ont aidé le Canada à rester prospère dans une économie mondiale, dans bon nombre de cas, il s’agissait de négociateurs commerciaux canadiens très intelligents qui travaillaient à l’Organisation mondiale du commerce, ou OMC, ou ailleurs. C’était certainement le cas pour l’ALENA, qui était en quelque sorte le premier grand pas du Canada dans cette direction.

Je crois que le monde a changé et que nous sommes de nouveau dans un monde où, franchement, des conflits font rage en Europe et au Moyen-Orient. Il existe de nombreuses menaces hybrides. Si vous suivez l’actualité de près, vous savez que la Russie a commis toutes sortes de méfaits. Deux câbles de communication sous-marins ont été coupés ces deux derniers jours. Nous entrons dans une nouvelle ère. Et oui, j’estime que, pendant cette nouvelle période, le Canada aura la possibilité de jouer le rôle qu’il jouait avant la mondialisation. On nous fait confiance. Nous sommes rarement perçus comme ayant des intentions cachées. Je pense que, pendant la période à venir, ce rôle caractérisera notre diplomatie plus que cela a été le cas au cours des 30 dernières années.

Le président : Nous terminons sur une note positive sur le plan politique et stratégique. Au nom du comité, je voudrais remercier nos témoins d’aujourd’hui, c’est-à-dire le sous‑ministre David Morrison, le sous-ministre adjoint Antoine Chevrier et la sous-ministre adjointe déléguée Vera Alexander, des réponses franches qu’ils ont données à nos questions parfois pénétrantes. Je pense que nous avons eu une bonne discussion, qui méritera d’être répétée à l’avenir.

Chers collègues, nous nous réunirons à nouveau demain à 11 h 30, dans la même salle, pour entendre des représentants d’Affaires mondiales Canada faire le point sur la situation au Soudan et au Myanmar.

(La séance est levée.)

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