LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 4 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 31 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Honorables sénateurs et sénatrices, je suis heureux de vous voir. Bonsoir. J’aimerais commencer en souhaitant la bienvenue aux membres du comité, à nos témoins et à ceux et celles qui regardent la réunion sur le Web. Je m’appelle Robert Black, sénateur de l’Ontario, et je suis le président du comité.
Ce soir, le comité tient sa quatrième réunion de suivi dans le cadre de l’étude visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Avant de céder la parole aux témoins, j’aimerais faire un tour de table et inviter chaque sénateur et sénatrice à se présenter, en commençant par notre vice-présidente.
La sénatrice Simons : Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, du territoire du Traité no 6.
La sénatrice Dupuis : Renée Dupuis, Laurentides, Québec.
Le sénateur Marwah : Sabi Marwah, de l’Ontario.
Le sénateur Oh : Victor Oh, sénateur de l’Ontario.
Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan. Bonsoir.
Le président : Merci beaucoup. Je conclus toujours avec ceci, mais d’entrée de jeu, je tiens à remercier tous les gens qui nous soutiennent, dans la salle : les gens à l’arrière, nos interprètes, ceux et celles qui transcrivent les documents que nous cherchons, les services multimédias, les techniciens, notre page, l’équipe de la diffusion et la DSI, qui nous soutiennent. Je tiens à remercier tout de suite ces personnes qui s’assurent que nous puissions bien faire notre travail.
Nos témoins de ce soir participent par vidéoconférence. Nous accueillons aujourd’hui M. Kier Miller et M. Tim Nerbas, respectivement président et ancien président du Conseil canadien de conservation des sols.
Nous accueillons aussi les représentants du Conseil canadien du compost : Mme Susan Antler, directrice générale et M. Glenn Munroe, gestionnaire, Projets spéciaux.
J’invite les témoins à nous présenter leurs exposés. Vous disposez de cinq minutes chacun.
Kier Miller, président, Conseil canadien de conservation des sols : Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de votre invitation à témoigner devant le comité aujourd’hui.
Le Conseil canadien de conservation des sols a été fondé en 1987 à la suite du rapport du sénateur Herb Sparrow intitulé Nos sols dégradés. Depuis, notre but a été de militer pour la conservation de la santé des sols à l’échelle nationale.
Le CCCS est le seul organisme national voué à la santé et à la conservation des sols dans le contexte général du paysage terrestre. Nous travaillons pour accroître les connaissances sur l’importance des sols en tant que ressource essentielle pour la société et, à cette fin, nous échangeons des informations avec tous les intervenants concernés.
Des sols en santé, c’est la base si nous voulons une production alimentaire durable, une plus grande biodiversité et de l’air et de l’eau propres pour les générations présentes et futures.
Notre but aujourd’hui est de présenter au comité des conseils concernant cinq éléments clés de la santé du sol et de vous demander d’en tenir compte dans le cadre de vos études. D’abord et avant tout, nous vous demandons d’explorer le rôle des sols en tant que fournisseurs de solutions à des problèmes locaux, régionaux, nationaux et mondiaux comme les changements climatiques, la sécurité alimentaire, la sécurité de l’eau, la biodiversité et la résilience.
Une meilleure santé des sols avantage à la fois l’environnement et la société. C’est un fait. Cependant, même si de nombreux agriculteurs le reconnaissent, cela est largement négligé par la société, et par conséquent, aucune valeur n’a été attribuée aux efforts visant à améliorer la santé des sols. Les agriculteurs, les forestiers et les propriétaires fonciers doivent être soulignés et reconnus pour leurs efforts et ils doivent être indemnisés pour avoir rendu possibles ces avantages.
Le CCCS et le Conseil canadien du compost ont récemment publié un rapport intitulé Recruiting Soil to Tackle Climate Change: A Roadmap for Canada, ce qui veut dire « Mettre le sol à contribution dans la lutte contre les changements climatiques : feuille de route pour le Canada ». Une conclusion majeure de cette étude concernait l’adoption de pratiques exemplaires de gestion, les PEG, pour soutenir la santé des sols et accroître le taux de séquestration de carbone dans les sols. Si les pratiques de gestion de la santé des sols étaient mises en œuvre intégralement dans toutes les terres agricoles du Canada, l’absorption de carbone dans nos sols pourrait atteindre jusqu’à 97,4 mégatonnes par année de gaz à effet de serre. Ce serait l’équivalent de 21 millions de voitures à essence de moins sur les routes. À titre indicatif, il y avait 35,7 millions de véhicules enregistrés au Canada en date de 2019.
Étant donné que l’agriculture canadienne contribue actuellement pour environ 73 millions de mégatonnes de gaz à effet de serre annuellement, même avec une mise en œuvre modérée des PEG de la santé du sol, notre étude porte à croire qu’il serait possible que les sols compensent entièrement l’empreinte carbonique du secteur agricole.
Pour mieux comprendre la façon d’élaborer et de mettre en œuvre les PEG, il est essentiel de mener des consultations exhaustives auprès des intervenants du domaine de l’agriculture. Voilà notre deuxième recommandation. Il faudrait inclure diverses organisations agricoles ainsi que des agriculteurs indépendants représentant tous les types de produits et toutes les régions et des exploitations agricoles de toutes les tailles. Il faudrait aussi inclure d’autres intervenants du paysage terrestre, par exemple des domaines de la foresterie, de la faune et des loisirs ainsi que des groupes des Premières Nations. Des ministres de l’Agriculture provinciaux influents, des leaders d’opinion agricoles indépendants et des agroentreprises devraient aussi être inclus. Nous savons que cette étude prendra du temps, et il est crucial de recueillir des données pertinentes pour orienter les actions futures. De nombreux intervenants comprennent déjà l’importance de la santé du sol et veulent agir dès aujourd’hui. C’est pourquoi nous proposons qu’une stratégie pour la santé des sols dirigée par l’industrie soit lancée; ce serait la première recommandation découlant de votre étude. Nous avons pour vision une stratégie inclusive fondée sur une large participation et dirigée par l’industrie. Cela est crucial si nous voulons nous assurer que la stratégie est déployée par les agriculteurs et les propriétaires fonciers canadiens.
Ce qui nous amène au prochain facteur de la santé des sols : la vulgarisation et le transfert des connaissances. Il peut être compliqué, coûteux et risqué d’adopter des PEG. Si nous voulons plus d’adaptation, nous devons fournir aux agriculteurs et aux propriétaires fonciers davantage de soutien professionnel et technique. Présentement, le soutien de la vulgarisation au Canada est incohérent, inégal et déconnecté.
Malgré tout, nous ne pouvons pas nous arrêter là. Ce n’est pas suffisant que les agriculteurs et les universitaires travaillent ensemble; nous devons faire en sorte que le public participe également à cette évolution. En éduquant le public sur les avantages sociaux et environnementaux potentiels de l’amélioration de la santé des sols, nous augmentons la sensibilisation et le soutien à l’égard de la santé des sols. Des Canadiennes et des Canadiens informés pourront aussi contribuer en favorisant l’absorption carbonique dans leurs sols, tout simplement grâce à la façon dont ils s’occupent de leurs pelouses, de leurs jardins et de leurs terrains de jeux. Les producteurs agricoles ne sont pas les seuls à pouvoir tirer des avantages des PEG de la santé du sol. Nous vous demandons de chercher à savoir, dans le cadre de votre étude, comment il serait possible d’accroître la sensibilisation à l’égard des avantages de la santé du sol et d’améliorer les mesures prises d’un bout à l’autre du Canada, d’un océan à l’autre. Je vous remercie de votre temps.
Le président : Merci beaucoup.
C’est maintenant au tour du Conseil canadien du compost. Madame Antler ou monsieur Munroe, est-ce que vous partagez votre temps?
Susan Antler, directrice générale, Conseil canadien du compost : Oui, monsieur le sénateur.
Le sol est un écosystème vivant. Les organismes vivants dans le sol remplissent des fonctions essentielles pour toute vie sur la planète. Sans eux, nous ne survivrions pas. Nos sols sont en vie, et nous ne devrions certainement pas les traiter comme si c’était de la poussière.
Depuis plus de 30 ans, le Conseil canadien du compost et ses membres d’un océan à l’autre ont travaillé sans relâche à l’élaboration et à la promotion d’une infrastructure qui permet de transformer ce qu’on considère autrement comme des déchets en une matière riche et vivante — le compost — et de rendre ces ressources à nos sols, où ils nourrissent et renforcent la vie.
Nous fondons nos activités sur des partenariats : nous sommes associés au Conseil canadien de conservation des sols dans le cadre d’un projet appuyé par la Metcalf Foundation, et nous avons lancé au printemps un appel à l’action dans notre rapport intitulé Recruiting Soil to Tackle Climate Change: A Roadmap for Canada.
Comme le titre le laisse deviner, nous devons recruter et mobiliser absolument toutes les Canadiennes et tous les Canadiens pour aider à prendre soin de nos sols. Après tout, chacune et chacun en sortira gagnant : de la nourriture plus saine, de l’eau plus propre, un climat plus stable et la préservation des nombreux et magnifiques écosystèmes de notre planète.
Glenn Munroe, gestionnaire, Projets spéciaux, Conseil canadien du compost : Nous ferons valoir cinq points importants aujourd’hui. Il s’agit de cinq domaines d’enquête qui, selon nous, devraient être fondamentaux pour votre travail et votre rapport final.
Je vais commencer par le plus fondamental : nous devons encourager une approche écosystémique de la gestion du sol. Nous devons tous comprendre, de façon encore plus globale, la complexité et la nature dynamique des écosystèmes vivants du sol. En tant que société, nous devons mettre à contribution tous les gestionnaires des terres : nos agriculteurs, nos jardiniers amateurs et nos paysagistes sont tous importants.
Tout comme les Canadiens comprennent maintenant les trois R de la gestion des déchets — réduire, réutiliser et recycler —, il faut qu’ils comprennent et appliquent tous les principes scientifiques qui soutiennent la santé des sols, tel qu’expliqué dans la feuille de route. Ces principes sont la représentation concrète d’une approche écosystémique.
À ce sujet, nous avons beaucoup aimé le témoignage que Mme Laura Van Eerd a présenté récemment et sa version pratique et facile à retenir de ces principes. Elle a appelé cela les six C : le travail de conservation du sol, la réduction de la compaction, la diversité des cultures et des animaux, le compost et l’amendement du sol, la continuité des plantes vivaces et les cultures de couverture.
Chaque exploitation agricole, chaque paysage terrestre et chaque jardin sont différents, et il faudra des pratiques exemplaires de gestion de la santé du sol spécifiques pour chacun d’eux, mais ces principes sont toujours les mêmes. En faire la norme en matière de gestion du sol, ce sera la clé si nous voulons que nos sols soient plus en santé et absorbent davantage de carbone.
Deuxièmement, il faut absolument sensibiliser davantage les intervenants pour qu’ils comprennent mieux les sols et la santé des sols. Pour faire des six C la norme au Canada, nous devons déployer des efforts substantiels pour sensibiliser et motiver les intervenants à tous les échelons.
Troisièmement, nous avons aussi grandement besoin d’une stratégie canadienne sur la santé des sols. Nous croyons que, si nous voulons assurer une cohérence et une crédibilité scientifiques, le Canada a besoin d’une stratégie sur la santé des sols, une stratégie qui aurait été élaborée avec la participation complète de tous les intervenants pertinents.
Notre quatrième point, c’est que nous ne pouvons pas attendre. Nous devons agir maintenant. La recherche est et sera toujours importante, mais nous avons déjà suffisamment d’informations pour savoir que les principes reflétés dans les six C sont efficaces. Maintenant, nous devons abattre les obstacles à leur adoption, y compris les coûts à court terme, les risques financiers liés aux changements, l’adaptation de nos technologies et, enfin et surtout, changer nos mentalités.
Mme Antler : Cinquièmement, nous voyons un rôle clé pour le compost. Le compost a la capacité unique d’inoculer les sols, en constituant ou en régénérant le microbiome essentiel du sol. Essentiellement, le compost un probiotique général pour nos sols. C’est pour cette raison que notre conseil travaille sur de nombreux aspects de la santé des sols. Tout d’abord, il y a la recherche. Nous participons au nouveau projet de laboratoires vivants, au Nouveau-Brunswick. Nous avons notre propre ferme expérimentale de 46 acres à Utopia, en Ontario. Nous avons aussi mené des études sur la nutrition et la productivité dans le cadre d’un projet financé par le provincial à Brandon, au Manitoba.
Deuxièmement, il y a l’éducation. Nous offrons un programme unique, pratique et interactif d’éducation sur les sols, que nous avons appelé Soil Safari, ou le Safari des sols. Nous aimerions beaucoup inviter les membres du comité à venir faire leur propre safari des sols avec nous.
Troisièmement, les partenariats. En plus de notre travail avec le Conseil canadien de conservation des sols, nous avons des projets avec des organisations de paysagement et de jardinage d’un bout à l’autre du Canada, par exemple Landscape New Brunswick, Landscape P.E.I. et Landscape Ontario ainsi que Collectivités en fleurs.
Enfin, l’amélioration du compost en tant que produit. La qualité et la maturité du compost sont des éléments clés, et c’est pourquoi notre conseil offre le programme Alliance de la qualité du compost, un programme d’assurance de la qualité et d’étiquetage pour les produits du compost et les utilisateurs.
Nous vous remercions énormément de votre initiative, vu son importance vitale. Nous vous souhaitons la plus rapide des enquêtes. Nous sommes à votre service en tout temps, et nous sommes ici ce soir pour répondre à toutes vos questions. Merci.
Le président : Merci beaucoup aux témoins du premier groupe. Nous allons passer aux questions.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, monsieur le président. Je voulais m’adresser d’abord à nos experts du compost, étant donné que je viens d’Edmonton, une ville qui s’est longtemps enorgueillie d’avoir un excellent programme de compostage, jusqu’à ce que le ciel lui tombe sur la tête, à cause du méthane venant du compost. Nous avons construit un nouveau composteur d’une valeur de 42 millions de dollars, seulement pour nous faire dire que le compost était contaminé par des toxines, de petits morceaux de micro et de macro-plastiques. Je crois que c’est très difficile pour les gens de continuer de bonne foi à remplir leurs bacs verts avec leurs pelures de banane et leurs feuilles mortes, puisqu’ils savent que le compost ne sera pas utilisé pour du compost; on l’utilise plutôt, je pense, pour remplir le dépotoir.
Quelles mesures faut-il prendre pour veiller à ce que les villes et les municipalités, petites et grandes, ne jettent pas des dizaines de milliards de dollars par les fenêtres en construisant des composteurs géants, qui promettent tant, mais qui ne livrent pas la marchandise?
Mme Antler : Avant tout, nous sommes très fiers de la ville d’Edmonton. Assurément, il a fallu trois grandes étapes pour faire progresser le recyclage des matières organiques au Canada : premièrement, à l’Île-du-Prince-Édouard, une petite collectivité a décidé de s’occuper des déchets organiques; puis il y a eu Guelph, avec ses 100 000 habitants; enfin, la ville d’Edmonton, d’une population d’un million de personnes. Mais comme avec tout changement, il y a toujours des gens réticents qui vont trouver toutes sortes d’excuses. La Ville d’Edmonton a décidé de s’engager et est essentiellement partie de rien, parce que, il y a 30 ans, il n’existait aucune infrastructure pour le recyclage des déchets organiques. Durant tout le processus d’élaboration d’une infrastructure de recyclage des matières organiques, très peu de soutien financier a été offert, et les municipalités et le secteur privé ont dû, en résumé, tout faire seuls.
Tout à fait, tout changement apporte des leçons en cours de route. On peut dire que c’est l’histoire du verre à moitié plein ou à moitié vide. Quand vous allez de l’avant et que vous êtes sous les projecteurs, il peut être très difficile de continuer en étant attentif aux choses qu’il faut corriger.
Une chose est sûre, et c’est fondamental, nous devons cesser de voir le recyclage des matières organiques comme faisant partie de l’industrie de la gestion des déchets et faire en sorte que les gens comprennent qu’ils ont tous un rôle à jouer pour retourner la matière organique, riche et précieuse, au sol.
La première étape, c’est absolument de nous assurer que nous comprenions tous que le sol est important et que le travail que nous faisons pour recycler la matière organique se fait dans nos collectivités pour nos collectivités. Ce n’est pas quelque chose que nous expédions. Ce n’est pas quelque chose que nous pouvons expédier ailleurs dans le monde, pour que d’autres s’en occupent. C’est tout de même passionnant, parce que le travail que nous faisons individuellement nous permettra d’avancer et de changer magnifiquement les choses, par rapport à ce que nous devrions tous laisser aux générations futures, en prenant soin de notre planète.
Les gens commencent à apprendre. Encore une fois, il faut voir cela comme un verre à moitié vide ou à moitié plein. Quand le bac à déchets organiques se retrouve au bord du chemin, ce n’est pas le jour des poubelles. Plutôt, c’est le jour où on contribue à rendre cette précieuse matière organique au sol. Bien évidemment, l’infrastructure doit être robuste et bien pensée, parce que c’est très difficile d’exploiter une installation de compostage ou de digestion anaérobie.
Nous devrions applaudir Edmonton. C’est une épreuve à surmonter, tout comme nous devons tous surmonter les épreuves de la vie. Cette affaire a attiré l’attention du public, mais certainement, grâce à l’intégrité des gens concernés et au soutien que la Ville d’Edmonton ne cesse de donner, je crois sincèrement que nous allons être capables de surmonter l’épreuve.
La sénatrice Simons : Ensuite, j’ai une question pour M. Nerbas. Un problème dont on ne cesse d’entendre parler — et nous n’avons eu que quelques réunions dans le cadre de cette étude —, concerne le manque de coordination de l’information. Excusez-moi, la question s’adresse à M. Miller. Mes excuses. Quoique j’imagine que vous pourriez tous les deux répondre.
Il ne semble y avoir aucun guichet unique où les gens qui s’intéressent à ce sujet, les agriculteurs, les universitaires ou les chercheurs du gouvernement, peuvent trouver un endroit unique où l’information est mise en commun, aucun endroit unique qui pourrait être une sorte de guichet central pour toutes les études et les discussions pertinentes.
Je me demandais, selon vous, quel serait l’endroit approprié pour ce genre de guichet central? Devrait-on confier cela aux universités, au gouvernement ou davantage à la communauté agricole?
M. Miller : Je vais répondre, monsieur Nerbas. Je suis un agriculteur, et je crois personnellement qu’on devait confier cela à la communauté agricole. Malgré tout, en même temps, nous devons faire tomber les clôtures qui empêchent l’information de circuler et faire en sorte qu’elle circule. Il reste à voir comment cela va se faire. Peut-être que vous pourriez trouver une solution dans le cadre de votre étude.
La sénatrice Simons : Je suis sûre que les agriculteurs connaissent aussi bien les clôtures que n’importe qui d’autre.
Le président : Merci, sénatrice Simons.
Le sénateur Klyne : Merci, monsieur le président, et bienvenue à nos invités, à nos témoins. J’avais un peu de retard. Je m’appelle Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan.
Ma première question s’adresse au Conseil canadien de conservation des sols. Nous avons entendu dire, et nous le reconnaissons, qu’il y a des différences régionales entre les sols de notre pays, peut-être pas d’une province à l’autre, mais certainement d’une région à l’autre.
Compte tenu de toutes ces différences, je me dis que vous, qui êtes le visage et la voix de la conservation et de la santé des sols au Canada, vous devez travailler avec d’énormes ensembles de données, des mégadonnées et peut-être même des chaînes de blocs. Je me demandais tout simplement, comment faites-vous pour synthétiser toutes ces données afin de pouvoir les communiquer? À ce chapitre, est-ce que vous vous butez aux clôtures dont on vient tout juste de parler; essayez-vous de franchir les clôtures entre les divers échelons des ministères ou des gouvernements provinciaux? J’aurai une autre question pour vous ensuite.
Tim Nerbas, ancien président, Conseil canadien de conservation des sols : Je vais essayer de répondre, monsieur Miller. Le CCCS n’a pas la capacité d’examiner de gros ensembles de données. Cela dépasse notre portée actuellement, mais il ne fait aucun doute que nous avons besoin d’une structure ou d’une autre au Canada qui pourrait le faire.
Notre organisation n’a pas la capacité d’examiner ces données massives, et en raison de notre capacité, nous devons avoir un point de vue beaucoup plus général.
Le sénateur Klyne : Si ces données vous étaient accessibles, s’il y a quelqu’un qui les recueille et qui pourrait vous les fournir, si vous n’avez pas cette capacité, pourriez-vous les interpréter et les synthétiser?
M. Nerbas : Eh bien, il y a beaucoup d’informations dans tout le pays, mais ce qu’il faut, c’est réunir l’information afin de comprendre ce que les divers groupes font ou étudient à l’échelle du pays, pour nous assurer que nous ne dupliquons pas les efforts dans certains domaines.
Il ne fait aucun doute, vu le type de pays que nous avons, avec beaucoup de diversité d’un bout à l’autre, que ce qui fonctionne dans l’Ouest ne va évidemment pas nécessairement fonctionner dans les provinces centrales ou dans la vallée du Fraser; c’est le genre de chose dont il faut tenir compte. Il faut donc bien sûr que nous adoptions une approche qui soit adaptée aux besoins de chaque région climatique.
Le sénateur Klyne : D’accord, merci. J’ai une deuxième question, et peut-être que j’interviendrai aussi au deuxième tour.
Rapidement, j’ai une question pour le Conseil canadien du compost. Je dois admettre que je ne suis qu’un dilettante dans votre secteur d’activité, alors je vous prie d’excuser ma naïveté. Si vous n’étiez pas là, est-ce que votre travail irait à la gestion des déchets, ou peut-être à autre chose qui a à voir avec le méthane, et peut-être même à la conversion du méthane en énergie? Est-ce que votre travail et le travail de vos membres, d’une façon ou d’une autre, constituent une occasion ou une solution partielle dans la lutte contre les changements climatiques?
Mme Antler : Absolument. Le Conseil canadien du compost est un organisme national à but non lucratif dont les membres sont des bénévoles. Nous comptons des membres dans les villes de la côte Est jusqu’à la côte Ouest ainsi que dans le Nord du Canada, et nous avons des partenariats dans le monde entier, et notre but à tous est de nous assurer que les déchets organiques sont considérés comme une ressource précieuse et qu’ils soient transformés selon divers processus. Nous n’avons pas pris de position spécifique là-dessus. Il faut que ça convienne à la collectivité et à l’endroit donné, mais nous appuyons le compostage domestique et le compostage sur le terrain. Par exemple, nous avons créé un programme avec la banque alimentaire de Cambridge. Nous y avons installé un composteur, alors, quand les produits reçus en dons ne sont pas appropriés, ils peuvent être retournés à la terre par le compost. Nous appuyons le recyclage de matières organiques à grande échelle, que ce soit par le compostage ou par la digestion anaérobique ou, dans le meilleur des deux mondes, les deux ensemble.
À cause des matières organiques, les dépotoirs sont le deuxième émetteur de méthane au Canada, et ce n’est pas vraiment acceptable, parce que cela revient au choix individuel. Tous les ménages et toutes les entreprises ont le choix quand il s’agit de jeter les déchets organiques inévitables, par exemple les pelures de banane, les feuilles mortes et les produits de jardinage. Ce sont vraiment des choses précieuses. Vous pouvez les envoyer au dépotoir, où ils vont émettre 23 % des émissions de méthane. Le méthane est 86 fois plus puissant que le dioxyde de carbone, les 20 premières années. C’est le deuxième gaz en importance. C’est une solution facile pour la société, si nous voulons prendre des mesures pour faire baisser la température. Ensuite, il y a un avantage supplémentaire que nous essayons de mettre en place : nous ne produisons pas des déchets; nous produisons un produit, comme une entreprise produit de la marchandise qu’on va placer sur les tablettes d’une épicerie.
Le sénateur Klyne : Merci. J’aurai une autre question pour vous au deuxième tour, et vous pourrez terminer votre réponse à ce moment-là.
Le sénateur Oh : Merci d’être présents. J’aimerais discuter de l’aspect économique des pratiques de la santé du sol. Améliorer la santé des sols agricoles, cela procurera beaucoup d’avantages, mais cela suppose aussi que des milliers d’agriculteurs vont devoir changer leurs pratiques de gestion des sols. Quels sont les coûts et les avantages, en chiffres, des cultures de couverture, sans labour, de la rotation des cultures et des pratiques de gestion des nutriments, par exemple l’utilisation d’engrais ou de compost? Je pose la question à qui veut répondre, s’il vous plaît.
Mme Antler : Monsieur Munroe, en attendant de pouvoir parler de la conservation des sols, essayez de glisser un mot sur la terre agricole à Utopia.
M. Munroe : Nous menons un projet actuellement, comme nous l’avons brièvement dit dans notre déclaration, à Utopia, en Ontario, où nous essayons d’examiner justement ce genre de choses. Nous avons un terrain de 46 acres où des méthodes de gestion traditionnelles ont été utilisées pendant de nombreuses années. Ce que nous faisons, c’est que, graduellement, petit à petit chaque année, nous convertissons le terrain en adoptant une approche axée sur la santé du sol. Nous avons commencé par les techniques culturales sans labour, la première année. Cette année, nous avons introduit des cultures de couverture, et nous faisons aussi des expériences, sur certaines bandes de terre, pour savoir comment le compost pourrait aider un agriculteur à adopter cette approche, à adopter ce qu’on appelle le modèle régénérateur au lieu du modèle traditionnel.
Une partie de nos efforts consiste à recueillir de l’information économique. Combien d’argent de plus cela coûte-t-il pour faire certaines choses? Est-ce que cela permet de faire des économies? Mais nous venons tout juste de commencer. Nous venons tout juste de terminer notre deuxième année, mais c’est effectivement le genre d’informations que nous devons recueillir. Je sais que les laboratoires vivants, à l’échelle du pays, commencent à s’y intéresser eux aussi, alors je pense que la réponse la plus simple à votre question, c’est que nous ne savons pas tout pour l’instant, mais nous devons vraiment le savoir et nous y travaillons.
Le président : Est-ce que M. Miller ou M. Nerbas souhaitent ajouter quelque chose?
M. Miller : J’aimerais faire un commentaire. Pour commencer, M. Nerbas et moi-même sommes des agriculteurs. Notre occupation principale, c’est de gérer une exploitation agricole. Pour revenir à ce que M. Munroe a dit à propos des cultures sans labour, j’ai adopté la méthode de culture sans labour il y a presque 20 ans maintenant, et, pour parler économie, j’ai économisé entre 5 et 10 $ l’acre simplement grâce à cela, même si je n’ai pas pu quantifier tous les autres avantages pour la santé des sols, pour la séquestration du carbone, etc., qui pourraient y être associés.
Ce que j’ai économisé le plus, c’est du temps. Cela prend simplement moins de temps. Je n’ai pas à aller dans les champs pour les labourer, je n’ai pas à sortir la herse et à ramasser les roches. Je peux tout simplement aller ensemencer les champs et continuer mon travail.
M. Nerbas : L’autre commentaire que je ferais, c’est que, quand nous essayons d’adopter une approche qui améliore la santé du sol, certaines des méthodes coûtent effectivement de l’argent, mais d’autres non; parfois, c’est simplement une question de sensibilisation, de vulgariser quelques-unes des études qui ont été menées partout au Canada et de les faire connaître aux agriculteurs afin qu’ils puissent les mettre en œuvre dans leurs propres exploitations. La vulgarisation a un rôle très important.
Le président : Merci.
Le sénateur Marwah : Merci aux témoins. Madame Antler et monsieur Munroe, cette question vous est adressée, mais j’aimerais que M. Miller et M. Nerbas interviennent aussi, si c’est approprié.
Je voulais vous remercier d’avoir résumé les cinq domaines qui méritent notre attention, selon vous. Vous avez présenté cela de façon très succincte, et je ne vais pas répéter les cinq domaines, mais j’ai tout de même trois questions à cet égard.
Premièrement, qui pourrait et qui devrait gérer le processus et s’assurer que nous réalisons des progrès dans ces cinq domaines? Comme vous le savez, rien ne se passe sans leadership. Donc, comment faire en sorte qu’il y ait un leader, pour que ce soit fait?
Deuxièmement, avez-vous une idée de ce que cela coûterait pour accomplir tout cela? Il faudrait probablement le déterminer sur une base annuelle, parce qu’il n’y a pas de solution ponctuelle; probablement qu’il faudrait des années avant que nous puissions tirer des avantages de cet investissement.
Troisièmement, avez-vous une idée de ce que pourrait être un plan d’exploitation ou un plan d’exécution, pour chacun des cinq domaines, qui détaillerait ce qui est nécessaire pour atteindre les buts fixés? J’ai posé beaucoup de questions en même temps, alors sentez-vous à l’aise de répondre aux plus appropriées, selon vous.
Mme Antler : Allez-y, monsieur Munroe.
M. Munroe : D’accord. En ce qui concerne votre question sur le leadership, il est évident que le gouvernement fédéral va devoir assumer un certain rôle de leadership pour cela, du moins à une échelle très générale.
Une chose dont nous avons parlé et que nous avons inscrite dans notre feuille de route, c’est qu’il devrait y avoir peut-être une sorte d’organisation multipartite pour remplir ce rôle. Quelques personnes ont soulevé l’idée d’un carrefour, d’un endroit où l’information est recueillie et où elle serait accessible à tous. Ce genre d’endroit ne semble pas exister pour la santé des sols.
Aux États-Unis, le Soil Health Institute, le NRCS, c’est-à-dire le Natural Resources Conservation Service, et d’autres organismes remplissent ce rôle, mais nous n’avons pas vraiment d’organisation ici qui peut faire cela. C’est quelque chose qu’on pourrait étudier : qu’il s’agisse d’une direction générale au gouvernement ou — ce que nous préférerions — d’un organisme multipartite qui pourrait orienter les politiques, recueillir de l’information et fournir des conseils et peut-être même réaliser des études scientifiques.
Mme Antler : Pour compléter, je suis à peu près certaine que vous allez recevoir une députation de Mme Odette Ménard, du Québec, du ministère de l’Agriculture du Québec. Elle explique qu’elle travaille depuis de nombreuses années avec des agriculteurs, et il faut effectivement du temps pour que le sol guérisse et pour réparer les dommages qu’il a subis au fil des ans, mais, passé un certain point, les avantages économiques surpassent l’investissement initial.
Il y a divers enjeux. Je sais que vous avez déjà accueilli la députation de M. Don Lobb. Pour parler précisément de ces enjeux, une chose avec laquelle nous avons de la difficulté, c’est le fait qu’une très grande partie des terres agricoles n’appartiennent pas aux agriculteurs qui en assurent la gestion. Comment voulez-vous investir dans le sol si vous n’avez aucun intérêt dans les plans à long terme pour la terre?
Donc, c’est un problème auquel il faut s’attaquer d’un point de vue financier. C’est l’une des raisons pour lesquelles nous disons qu’il faut commencer maintenant. Clairement, il faut plus de délibérations et de discussions, mais il faut aussi du temps pour que le sol guérisse et se répare et pour qu’il commence à donner des résultats fasse tout ce que nous voulons qu’il fasse, en particulier devenir une banque de carbone pour notre pays et pour le monde.
Le sénateur Marwah : Avez-vous une idée du prix, pour faire cela efficacement? S’agit-il de dizaines de millions de dollars, de centaines de millions ou de milliards de dollars? Je n’ai aucune idée de l’ampleur de ce dont il est question ici.
Mme Antler : D’après notre expérience, selon notre travail à la terre agricole, à Utopia, une difficulté consiste à nous assurer de savoir où se trouve l’équipement et de quel équipement nous avons besoin. Pour répondre à votre dernière question, nous n’avons pas de montant absolu à vous donner. Le fait est que cela demande probablement un investissement initial, qui va donner des avantages à long terme. Je demanderais au Conseil canadien de la conservation des sols et à M. Munroe de compléter.
Le sénateur Cotter : Merci aux témoins de nous avoir présenté vos exposés et aussi de votre enthousiasme quand vous répondez aux questions.
Je vais poser une question plutôt difficile, en lien avec celle du sénateur Marwah. Laissez-moi situer le contexte. Dans votre exposé, monsieur Miller, vous avez affirmé que cette initiative, vu son ampleur et son importance, devrait être dirigée par l’industrie. Vous avez fait observer que de nombreux agriculteurs sont intéressés à y donner suite.
J’ai trouvé très intéressant votre rapport sur la mise à contribution des sols pour lutter contre les changements climatiques, et j’ai essayé de l’assimiler aussi rapidement que je le pouvais. Je constate qu’il y a une foule d’excellentes propositions. L’une d’entre elles serait, essentiellement, de laisser les agriculteurs de se prononcer là-dessus.
Quelques-uns des témoins précédents avec qui nous avons discuté ont dit que les agriculteurs adoptent ces pratiques soit tout de suite, soit après un certain temps, soit après tout le monde, et que ce dernier groupe représente peut-être la moitié des agriculteurs, ceux qui ont souvent de très grandes fermes, comme celles dont vous avez parlé, madame Antler, à propos des gens qui louent de grandes parcelles de terrain.
Si on laisse faire l’industrie, et je crois que c’est ce que vous avez fait depuis votre création, il va peut-être falloir attendre longtemps avant d’arriver où nous devons être. Je vous pose vraiment la question difficile. Comme avec le compostage à Edmonton, on fait en sorte que les gens participent, n’est-ce pas? Je ne posais pas la question à la sénatrice Simons, mais elle veut répondre. Voici ce que je demande, j’imagine : devrait-on employer autant le bâton que la carotte, pour arriver où nous devons être?
M. Miller : Cela a déjà été proposé, mais, si vous vous souvenez des vieilles fables, on dit qu’on attire davantage la conformité ou l’attention avec du miel qu’avec un bâton.
Vous avez parlé de l’adoption rapide, à moyen terme et tardive des pratiques. À mon avis, beaucoup de ceux qui les ont adoptées rapidement avaient de grosses exploitations agricoles, parce qu’ils pouvaient concrètement voir les avantages d’adopter ces pratiques. C’est avec les petites exploitations agricoles familiales que nous avons de la difficulté.
J’ai des voisins qui me regardent faire, avec mes méthodes de culture sans labour, et eux sont dans les champs avec leur charrue et leur herse pendant que nous sommes en train de récolter nos cultures. La différence n’est pas énorme, mais les miennes coûtent moins cher à cultiver. Si vous leur en parlez, ils vous diront : « Eh bien, c’est comme ça que mon père le faisait, et c’est comme ça que son père à lui le faisait. » C’est donc ce plafond, cette résistance, que nous devons trouver une façon de percer, et je ne pense pas que c’est avec un bâton que nous y arriverons.
M. Nerbas : Je suis d’accord. J’aime beaucoup la carotte pour ce qui est d’attirer les gens et de les convaincre d’adopter une pratique. Avec un bâton, il y a toujours une levée de boucliers, alors je suis davantage en faveur d’amener les gens à améliorer la santé des sols, plutôt que de les forcer à le faire. Cela dit, un bâton est parfois nécessaire pour faire bouger les gens, même si je préférerais de beaucoup la carotte.
M. Munroe : J’ajouterai rapidement quelque chose. La carotte est probablement la meilleure approche dans ce contexte. Une des bonnes choses avec la santé des sols — et cela a été démontré encore et encore par ceux qui s’en occupent depuis longtemps —, c’est qu’une fois que vous avez commencé à utiliser ces pratiques et que vous arrivez à un certain point où vous êtes à l’aise avec, cela se paie tout seul, et amplement, comme M. Miller le disait.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. J’aimerais vous poser une question, parce que tout le monde a fait référence à des collaborations que vous avez avec différentes organisations. Ma question rejoint celle qui a déjà été posée : qui peut ou doit prendre le leadership? Avez-vous déjà établi des liens avec le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG)? En principe, ce dernier subventionne des organismes ou des chercheurs. Y a-t-il des liens entre vos deux organisations et le conseil? Pourrait-il ou devrait-il y en avoir plus? Est-ce que le CRSNG devrait avoir la responsabilité de rejoindre des organisations comme les vôtres pour soutenir vos travaux?
[Traduction]
Mme Antler : Pas directement, mais ce serait certainement possible. Pour parler de l’investissement que le Conseil canadien de conservation des sols et le Conseil canadien du compost ont fait pour tracer une nouvelle voie, pour sensibiliser les gens à l’importance et à la vitalité des sols au moyen de notre rapport, nous avons seulement reçu du financement de la Metcalf Foundation, pour être honnête, et j’irais même jusqu’à dire que nos deux organisations sont très petites, en comparaison de notre vision. Le défi, c’est aller de l’avant et de mobiliser tout le monde.
Pour parler de l’intégrité de nos deux organisations et de la crédibilité des résultats attendus et des membres que nous représentons, je dirais qu’il n’y a absolument aucune raison pour laquelle nous ne pourrions pas — si ce n’est pas déjà commencé — aller de l’avant pour établir cela.
Nous avons fait un choix conscient, quand nous avons rédigé le rapport. Nous sommes en guerre, maintenant. Pas une guerre qui oppose un pays à un autre, mais un combat pour la santé et la vitalité de notre planète, pour ce que nous représentons et défendons collectivement. Nous pouvons certainement mobiliser les gens pour atteindre un but commun. Vous le savez, dès qu’il y a un but commun et une vision unique, les gens s’y rallient et contribuent comme ils le peuvent.
C’est pour cela que nous sommes emballés par le travail de votre comité et pour sa capacité de mobiliser et de recruter tout le monde. Il y a beaucoup de Canadiens qui ont admis que nous avons des problèmes, mais qui ne savent pas quoi faire.
Ce qui est passionnant, avec les sols, c’est qu’il n’y a pas de limite. Ce n’est pas « D’accord, je fais une chose », puis j’obtiens une récompense. Si vous êtes un agriculteur, au fil du temps, les pratiques vont vous aider à améliorer votre productivité, votre rentabilité et la qualité nutritionnelle. Si vous regardez le travail que nous avons accompli à Brandon, il y a eu une nette amélioration après qu’on a décidé d’ajouter du compost dans le sol. On est énormément récompensé, et à de nombreux égards.
Incontestablement, un seul groupe ne peut pas tout faire. Nous sommes en guerre, et nous devons recruter une équipe, une équipe qui comprend des Canadiennes et des Canadiens de tous les milieux. Pour faire un lien avec ce que la sénatrice a dit à propos d’Edmonton, c’est une course à relais. Nous devons passer le témoin. Ce que vous mettez dans votre bac vert, inévitablement, va avoir une incidence sur la qualité du compost qui est retourné au sol.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Est-ce que les témoins du Conseil canadien de conservation des sols peuvent ajouter leurs commentaires?
[Traduction]
M. Nerbas : Je dirais que, oui, la santé des sols est extrêmement vitale. Je sais que si vous demandez à des agriculteurs ce dont ils sont le plus fiers, beaucoup vous répondront que c’est de la couleur de leurs machines. Pour moi, la partie la plus importante de nos exploitations, c’est le sol. Tout tourne autour du sol, et s’il faut travailler en conditions de sécheresse, nous verrons que cela donne de bien meilleurs résultats et que c’est beaucoup plus rentable. Merci.
Le président : Merci beaucoup. J’ai une question, très rapidement. Je pose la question à chacune des organisations : si vous étiez les auteurs de notre rapport final, quelle serait la première recommandation dans le rapport? Monsieur Miller, qu’est-ce que le Conseil canadien de la conservation des sols recommanderait en premier dans notre rapport?
M. Miller : Je dirais, le transfert des connaissances. Il faut que l’information circule. Il faut montrer à Joe au bout de la rue que ce que son père faisait il y a 20 ans n’est pas ce qu’il faut faire maintenant. Il y a 40 ans, tout le monde sortait de l’école à midi pour fumer une cigarette, et, même s’il y a encore des gens qui font cela, il y en a beaucoup moins. Les temps changent, et nous devons changer avec eux.
Le président : Merci.
M. Munroe : La sensibilisation du public relativement à ce sujet est très, très importante. Si le public ne comprend pas les avantages, les problèmes et la nature du sol — même si ce n’est qu’une compréhension de base —, il ne va pas soutenir les programmes ni les agriculteurs dans leurs efforts pour changer ni les grandes entreprises qui commencent à s’intéresser à la santé des sols. Ces entreprises commencent à s’intéresser aux problèmes, parce qu’elles pensent que le public les soutient. Nous espérons que le public les soutient, mais, si nous voulons que le soutien du public dure, nous allons devoir travailler pour sensibiliser le public et l’éduquer à propos de ces questions.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Simons : Pour ce qui est de la politique de la carotte et du bâton, il y a une réponse dont nous n’avons pas encore discuté, et c’est l’idée de mettre en place des marchés du carbone. J’ai eu l’occasion de rencontrer cet été des gens de Biological Carbon Canada, qui m’ont expliqué que l’un des obstacles est l’absence de marché du carbone réglementé permettant aux agriculteurs de vendre et d’obtenir des crédits pour le carbone qu’ils séquestrent. Pensez-vous que cela contribuerait à susciter la motivation qui, selon le sénateur Cotter, serait nécessaire?
Mme Antler : Selon nous, les agriculteurs et les propriétaires terriens doivent absolument être en mesure de tirer parti de la valeur du carbone de leurs sols. Ce n’est plus seulement une ressource privée. C’est pour le bien public, et ceux qui vont gérer la santé des sols pour le bien commun devraient être en mesure d’aller de l’avant et d’obtenir un excellent prix pour la séquestration du carbone. Madame la sénatrice, avoir un marché de ce genre serait donc extrêmement utile.
M. Nerbas : Du point de vue des producteurs, je dirais que le marché du carbone et le paiement de services écologiques vont de pair.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Cette question s’adresse aux représentants du Conseil canadien du compost. J’ai une petite déclaration rapide à faire. Tout d’abord — je m’adresse à madame Antler —, ce que vous avez décrit était une approche pannationale : tout le monde met la main à la pâte. À monsieur Munroe, je dirais que ce qu’il faut faire ici, c’est dire au public ce qui se passe si l’on ne fait pas ce qu’il faut, parce que l’esprit est fait pour éviter la douleur, et ce sera très douloureux.
Ma question est la suivante : combien de tonnes de carbone pensez-vous avoir séquestrées pour optimiser l’empreinte carbone? Je voudrais simplement avoir un chiffre.
M. Munroe : Je ne suis pas certain de comprendre la question. Combien de tonnes de carbone avons-nous séquestrées? Voulez-vous dire...
Le sénateur Klyne : Grâce à votre programme.
M. Munroe : Grâce notre programme. Oh, wow! C’est une question difficile, mais je dirais une grande quantité. Quand on réfléchit à combien...
Le sénateur Klyne : C’est une réponse.
M. Munroe : Oui, beaucoup, et il y a encore beaucoup de potentiel.
Le sénateur Klyne : Merci. Ce n’est pas vraiment une question pour le Conseil canadien de conservation des sols. C’est une déclaration en vue d’obtenir une réponse, et si vous devez fournir une réponse écrite, je souhaiterais vraiment que vous le fassiez, compte tenu du temps. Quand on commence à parler du gouvernement à haut niveau avec une organisation centrale qui met en commun la recherche et les nouvelles technologies et qui collabore avec de multiples intervenants, je me souviens de l’époque de l’Administration du rétablissement agricole des Prairies. Quelle est votre réponse? Je vous le demande en votre qualité d’agriculteurs et de porte-parole du Canada pour la santé des sols.
Le président : Monsieur Miller, vous avez 30 secondes, après cela, je vous invite à répondre par écrit également.
M. Miller : Je n’ai aucune expérience avec l’Administration du rétablissement agricole des Prairies, étant donné que je demeure dans le Sud du Nouveau-Brunswick. Cependant, j’avais des contacts avec cette organisation quand elle était en activité, et je pense qu’il faut de nouveau quelque chose de ce genre. C’est seulement mon opinion de personne de l’Est.
Le président : Merci beaucoup, à tous, de votre temps, aujourd’hui. Monsieur Miller, monsieur Nerbas, madame Antler et monsieur Munroe, merci de votre participation ce soir. Comme vous le savez bien, votre participation est très appréciée. Nous avons pu voir la passion avec laquelle chacun d’entre vous a répondu aux questions. Donc, merci beaucoup. Nous vous demandons d’éteindre vos caméras. N’hésitez pas à continuer de nous écouter, et nous allons poursuivre maintenant avec le deuxième groupe de témoins.
Pour le second groupe de témoins, nous allons entendre M. Paul Thoroughgood, directeur national, Agriculture durable, de Canards Illimités Canada.
Paul Thoroughgood, directeur national, Agriculture durable, Canards Illimités Canada : Merci, monsieur le président.
Mesdames et messieurs les sénateurs, je m’appelle Paul Thoroughgood, et je suis le directeur national d’Agriculture durable de Canards Illimités Canada. Au nom de notre communauté de la conservation comptant plus de 100 000 supporteurs, nous tenons à vous remercier de nous donner l’occasion de contribuer à cette étude importante. Nous aimerions également féliciter et remercier le sénateur Black de son leadership, au nom des sols du Canada.
Des sols, des eaux et un air sains sont à la base de toute vie sur terre, et la façon dont ces ressources sont gérées influence la productivité agricole. C’est une réalité qu’on a apprise et réapprise tout au long du développement de l’agriculture.
L’héritage du Canada en matière de pureté de l’air, de l’eau et des sols est souvent tenu pour acquis. L’étude et la publication sur les sols en danger menée par le sénateur Sparrow dans les années 1980 était, et est toujours le document de référence le plus récent et celui qui fait le plus autorité sur les sols du Canada. Il a non seulement changé la façon de réfléchir à la protection des sols contre la dégradation, mais il a également positionné le Canada en tant que chef de file mondial à cet égard.
Canards Illimités Canada est encouragé de constater les progrès de l’agriculture intelligente, qui aide les agriculteurs et leurs conseillers en agronomie à prendre de meilleures décisions en matière de gestion des sols. Dans certains cas, on estime que ces pratiques exemplaires en matière de gestion comprennent également la réorientation de certaines zones marginales sur le plan économique et environnemental vers d’autres usages. Au fur et à mesure que le marché des biens et services environnementaux se développe au Canada et dans le monde, nous avons bon espoir que les produits issus de l’aménagement du territoire agricole, comme le carbone et la biodiversité, contribueront à l’optimisation de l’utilisation des terres au Canada. Cette optimisation doit viser à augmenter la production des produits agricoles traditionnels de nos sols, pour aujourd’hui et pour demain, tout en convertissant les régions qui conviennent davantage à la production d’autres biens environnementaux.
Un des éléments essentiels pour une stratégie globale en matière de sols, qui nécessite une discussion approfondie, est l’utilisation des terres. Il s’agit de l’une des principales recommandations que Canards Illimités Canada et un grand nombre de nos partenaires de l’industrie ont formulées plus tôt cette année au ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire. Les décisions relatives à l’utilisation des terres sont prises à différents échelons des administrations gouvernementales, ce qui peut poser des problèmes, quand on essaie de travailler de manière cohésive et stratégique. Aujourd’hui, nous constatons que certaines des terres agricoles les plus productives du Canada sont perdues au profit de l’expansion et du développement urbains. Parallèlement, nous voyons que les prairies indigènes, les terres humides et les forêts caroliniennes sont perdues au profit de l’intensification de l’agriculture.
Aux yeux de Canards Illimités Canada, cette bataille pour les terres signifie que les villes gagnent. L’agriculture peut atteindre le seuil de rentabilité, et l’environnement y perd. Ce n’est pas une tendance durable à long terme. Même si réunir ces divers intervenants de tout le Canada qui jouent un rôle dans la planification de l’utilisation des terres semble être une tâche colossale, en tant qu’organisation qui aide au remplacement des habitats perdus, nous pouvons garantir à tout le monde que le coût de l’inaction aujourd’hui sera beaucoup plus élevé demain.
Pour terminer, Canards Illimités Canada est un grand défenseur de la gestion et de la production des ressources que sont les sols, l’air et l’eau du Canada. Nous sommes fiers de notre partenariat de 84 ans avec le gouvernement, l’industrie et les agriculteurs et éleveurs du Canada pour soutenir la santé continue du capital naturel du Canada.
Nous entretenons une relation de longue date avec le Conseil canadien de conservation des sols et nous sommes fiers que l’un de nos pionniers au sein de l’organisation ait été reconnu comme un membre du Temple de la renommée de la conservation. Il s’appelle Bill Poole.
Nous soutenons respectueusement que le Conseil canadien de conservation des sols est bien positionné pour jouer un rôle de chef de file dans l’élaboration d’une stratégie en matière de santé des sols pour le Canada. Canards Illimités Canada se tient prêt à participer à l’élaboration de la stratégie et invite le Sénat à inclure la planification de l’utilisation des terres dans le cadre de ce processus.
Comme le sait très bien le sénateur Black, Canards Illimités Canada et bon nombre de nos partenaires du secteur ont insisté sur la nécessité de passer à l’étape suivante, au-delà du document intitulé Nos sols dégradés, et d’établir la nouvelle déclaration définitive du Canada en matière de sols. Nous avons hâte de voir et de soutenir le prochain chapitre qu’écrira le Canada en tant que chef de file en matière de conservation et de santé des sols. Merci beaucoup. J’ai hâte que nous en discutions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Thoroughgood.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, monsieur le président. Monsieur Thoroughgood, quand je pense à Canards Illimités, je pense avant tout à la préservation des terres humides et au travail que vous avez fait pour les protéger de l’expansion urbaine et agricole.
Y a-t-il une relation qui se crée quand il y a une zone humide saine dans une zone agricole? La présence d’un terrain marécageux, d’une tourbière ou d’un muskeg près des endroits où les gens pratiquent l’agriculture contribue-t-elle à enrichir les sols à proximité d’une manière ou d’une autre?
M. Thoroughgood : C’est une excellente question, madame la sénatrice. Je vais y répondre de deux points de vue différents, si vous êtes d’accord. Je vais parler du point de vue d’un producteur de bœuf, puis d’un producteur agricole.
Pendant longtemps, les producteurs de bœuf ont reconnu la valeur des terres humides pour leur système de production, car le bétail boit de l’eau. De plus, le microclimat dans une zone riveraine est également une zone de production alimentaire pour le bétail. C’est une relation qui existe depuis longtemps.
Une recherche nouvelle, ou relativement nouvelle — certainement menée depuis que j’ai obtenu mon diplôme en agriculture — consiste à étudier les avantages des zones naturelles dans les systèmes de production agricole. Il y a eu des travaux très intéressants. Un des chercheurs que je voudrais citer est M. Paul Galpern de l’Université de Calgary. Il a étudié l’effet de halo, non seulement des microclimats pour les zones humides, parce qu’elles ont un effet rafraîchissant, mais aussi parce qu’elles procurent un habitat pour les insectes bénéfiques.
On est de plus en plus conscients du fait qu’il est également avantageux d’avoir des zones non cultivées dans des zones cultivées. J’espère que cela répond à votre question.
La sénatrice Simons : C’est vraiment intéressant. Étant donné que nous faisons face au réchauffement climatique et à un climat plus sec, surtout dans les prairies d’où je viens, quelle est l’importance de maintenir ces écosystèmes riverains parallèlement aux terres agricoles? Comment convaincre les agriculteurs que garder le marécage est en fait avantageux? Je parle des milieux humides riverains; dans ma région, on les appelle marécages.
M. Thoroughgood : En plus de mon travail à Canards Illimités, je suis agriculteur dans le sud de Moose Jaw, en Saskatchewan; on les appelle également marécages.
J’ai parlé du développement des marchés d’écosystèmes. Je pense que c’est une chose très importante, et Canards Illimités a longtemps soutenu l’idée que les agriculteurs sont en mesure de monétiser les biens qu’ils produisent dans leurs fermes au-delà des céréales et du bœuf et ce genre de chose.
Et je pense que si nous changeons la perception à l’égard des marécages comme vous et moi avons convenu qu’ils étaient appelés, pour qu’ils passent d’un passif sur la ferme, qui ne produit pas de valeur, à quelque chose dont je peux tirer un avantage monétaire, parce que je les ai préservés et maintenus, cela changerait complètement la discussion. Je pense qu’il s’agit d’une véritable occasion, alors que le marché du carbone commence à se développer au Canada. Je crois que c’est vous qui avez posé la question sur les protocoles en place pour faciliter ce marché. Je pense que c’est important.
Mais si on regarde au-delà du carbone, le prochain élément est la biodiversité, et l’on sait que ces terres humides sont essentielles pour la biodiversité, tout comme les prairies naturelles et les zones boisées, dans l’Est du Canada. Je pense que ces habitats sont tous importants.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à notre invité. Vous ne pouvez pas passer autant de temps que moi en Saskatchewan sans savoir ce qu’est Canards Illimités Canada. Grâce à M. Doug Chekay et à M. Bob Poley, c’est très connu.
J’allais à peu près poser les mêmes questions que la sénatrice Simons. Je peux peut-être résumer votre réponse. C’est un écosystème symbiotique, mais la diversité entre également en cause.
Maintenant que je sais que vous connaissez la Saskatchewan, il y un grand delta autour de Cumberland qui peut être le théâtre de déluge de pluie, de ruissellement et d’inondations, mais d’autres fois, le niveau d’eau est trop bas. Il semble que le projet d’irrigation du lac Diefenbaker aiderait à ce chapitre, s’il y avait un déversoir pour retenir l’eau et la renvoyer. Cela contribue-t-il à préserver la santé des sols et à prévenir leur dégradation?
M. Thoroughgood : La gestion de l’eau dans un système agricole a certainement une incidence sur la manière dont le sol réagit. Notre histoire, qui remonte à certains de nos premiers projets, particulièrement dans le Sud de l’Alberta, portait sur des projets d’irrigation et sur la recherche de cobénéfices que vous avez mentionnés.
Certainement, quand vous pensez qu’un sol sain est riche en vie et en matières organiques, soit en racines et en matières végétales en décomposition, lorsque vous ajoutez de l’eau, vous générez davantage de matières organiques. L’accumulation de cette matière organique dans le sol, faite correctement — malheureusement, il nous est arrivé de voir une irrigation incorrecte qui a fini par avoir un impact sur la qualité du sol — peut aider à renforcer la santé du sol.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci, monsieur Thoroughgood. Vous avez parlé, au tout début, des meilleures pratiques de gestion en ce qui concerne la conservation des sols et la santé des sols. Est-ce que dans le milieu agricole, à votre connaissance, il y a un consensus sur ce que sont ces meilleures pratiques de gestion des sols?
Est-ce qu’il y a un consensus assez important sur ce que sont ces pratiques? Reste-t-il encore du travail à faire pour convaincre les gens de la nécessité de mettre ces pratiques en place?
[Traduction]
M. Thoroughgood : C’est une excellente question, et je crois que nos amis au Conseil de conservation des sols du Canada aimeraient aussi se prononcer là-dessus. Je vais vous donner mon point de vue, puisque je suis membre du conseil depuis longtemps.
La pratique diffère d’un bout à l’autre du pays, car les zones climatiques et les cultures sont très différentes. Il faut faire preuve d’une certaine capacité d’adaptation, comme dans l’Est du Canada, où l’on cultive beaucoup de pommes de terre. Il n’est pas possible de cultiver une pomme de terre dans un environnement sans labour, sans aucun travail du sol, puisque les pommes de terre sont sous terre. Or, des principes comme réduire au minimum le travail du sol, garder le sol couvert, réduire l’intensité et la fréquence du travail du sol, sont tous des principes qui s’appliquent d’un océan à l’autre. L’application de ces principes en pratique varie probablement davantage d’une région à l’autre en raison du climat, des cultures, et de ce genre de chose.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci pour votre réponse. Si vous me permettez de poser une question complémentaire, est-ce que cela veut dire que vous croyez qu’il serait possible de développer des pratiques qui se recoupent? Ce serait des pratiques qui seraient reconnues si on fait un tel type de culture, d’un bout à l’autre du Canada. Cela tiendrait compte des variations de climat, et les pratiques recouperaient l’ensemble d’une industrie ou l’ensemble d’un type d’élevage. Est-ce que les différentes réalités géographiques provinciales sont si ancrées qu’on pourrait avoir de la difficulté à trouver des points communs et des pratiques communes?
[Traduction]
M. Thoroughgood : Je recommande de différencier les principes des pratiques. Lorsque vous pensez au principe de garder votre sol couvert autant que possible, peu importe si je suis un producteur de blé et de canola de la Saskatchewan ou un producteur maraîcher du Sud de l’Ontario, ce même principe peut être employé dans n’importe laquelle de ces exploitations agricoles. Si je suis un éleveur de bétail, c’est la même chose. Je peux maintenir une bonne couverture résiduelle d’herbe sur mes terres.
Les principes sont importants, et c’est pourquoi nous les proposons. Nous avons besoin d’une stratégie afin que nous n’ayons pas une série d’actions isolées. Nous avons besoin d’un plan cohérent. Comme pour tout dans la vie, si vous n’avez pas de plan, vous pouvez être animé de bonnes intentions, mais vous risquez de ne pas atteindre votre objectif.
Le président : Merci beaucoup. Mes excuses, sénateur Cotter. Je vous accorde deux minutes supplémentaires pour votre première série de questions, simplement en raison de mon erreur.
Le sénateur Cotter : Ce qu’il sait aussi, monsieur Thoroughgood, c’est que je suis de Moose Jaw, donc discuter avec vous, c’est comme discuter à la maison en prenant un café.
J’ai deux questions. Ma première question concerne vos observations quant à l’avenir de l’utilisation des sols. D’une certaine manière, avec tout le respect que je vous dois, j’ai l’impression que nous ne sommes pas les bonnes personnes pour avoir cette discussion entre nous, car, comme vous le savez, l’agriculture est une compétence partagée entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et l’utilisation des sols est sans aucun doute une compétence provinciale. Nous pouvons dire de bonnes choses à ce sujet, mais nous n’avons pas beaucoup d’outils pour le vérifier.
Pour ce qui est de ma deuxième question, il me semble qu’en ce qui concerne la question de l’utilisation des sols, les carottes peuvent être une solution potentielle, mais les bâtons sont également essentiels. Laissez-moi vous donner quelques exemples.
Prenons par exemple un agriculteur qui veut vendre sa terre située juste à l’extérieur de Moose Jaw parce que quelqu’un veut y construire un lotissement urbain, à moins que nous n’ayons des lois et des règlements qui stipulent que les terres agricoles ne peuvent pas être converties, les gens se serviront de leur propre jugement économique et ils vendront souvent leur terre.
Dans certaines régions particulièrement où, disons, Canards Illimités Canada travaille, il y a des gens qui exploitent des terres marginales à des fins agricoles, alors que celles-ci devraient être transformées en prairies ou libérées pour les types de marécages et autres que la sénatrice Simons a décrits; un cadre réglementaire sera souvent nécessaire.
Devons-nous parler avec un ensemble de gouvernements en vue d’aborder la question de l’utilisation des sols? Ensuite, avons-nous besoin d’un cadre réglementaire pour atteindre les objectifs que vous avez décrits?
M. Thoroughgood : Voilà deux très bonnes questions. Je vais commencer par la dimension intergouvernementale.
Dans mes commentaires, j’ai mentionné que j’inclurais également les administrations municipales. Si « nous » sommes collectivement d’accord pour dire que nous avons besoin d’une meilleure stratégie que celle d’aujourd’hui, il faut que quelqu’un commence. Nous estimons que le gouvernement fédéral devrait être le point de départ de ce leadership.
Il est probable que ce soit une discussion difficile. Notre système d’évaluation des sols au Canada, comme vous l’avez mentionné, reconnaît ce que nous considérons comme l’utilisation la plus élevée et la meilleure. Si je vends un terrain, un stationnement de Walmart est probablement le plus valorisé d’un point de vue monétaire, mais d’un point de vue environnemental, et du point de vue de la production alimentaire, il ne l’est pas. Nous devons donc réunir toutes les parties prenantes pour régler ce problème, puisque nous sommes tous d’accord pour dire que l’étalement urbain au rythme actuel n’est probablement pas durable, surtout lorsqu’il absorbe une partie de nos terres de classe 1, dont l’offre est très limitée.
Nous ne pouvons sans doute pas répondre à la question, mais je crois que nous sommes d’accord.
Je vais passer au deuxième point concernant les carottes et les bâtons. Je crois qu’il existe une place pour les deux. L’une des choses que j’ai observées, autant dans mon rôle en tant qu’agriculteur que dans mon rôle au sein de Canards Illimités Canada, c’est que nous avons une défaillance partielle du marché dans la manière dont nous vendons les produits, car la façon dont le bien est produit n’est pas récompensée. Un boisseau de blé produit de la manière la plus durable par rapport à un boisseau de blé produit de la manière la moins durable ont la même valeur quand vous les apportez au silo.
Nous avons vu certaines des premières démarches. Certains des programmes d’approvisionnement durable ont commencé à récompenser la production durable. J’espère qu’il s’agit de quelque chose qui va continuer à se répandre.
Le sénateur Cotter : Je crois que les membres du groupe de témoins précédent sont en ligne. D’une certaine manière, c’est une question qui s’adresse à eux autant qu’à vous, monsieur Thoroughgood.
Je suis en train de digérer le rapport que vous avez rédigé conjointement. Je lis dans ce rapport que presque tout le carbone organique qui a été séquestré dans le sol, ce qui, selon moi, est un facteur clé de la santé du sol et un des principaux avantages de la séquestration du carbone, a eu lieu dans les Prairies au cours des 40 dernières années. Bien franchement, rien de tout cela ne s’est produit dans le reste du pays.
Mon inquiétude est que si nous élaborons un système qui récompense le succès ici, nous récompenserons les adopteurs tardifs de ce système et punirons les gens qui ont été progressistes. Pour être franc, quand je regarde le tableau du Conseil de conservation des sols du Canada et du Conseil canadien du compostage, je remarque que les chiffres sont sidérants en ce qui concerne ce qui a été réalisé dans les Prairies et qui ne l’a pas été dans le reste du pays. Comment régler ce problème à l’avenir si nous nous tournons vers les marchés du carbone?
M. Thoroughgood : C’est une excellente question. J’irais même un peu plus loin, sénateur, et je dirais aussi que si l’on tient compte des éleveurs de bétail qui ont maintenu des prairies naturelles, ils sont encore moins en mesure d’en tirer profit si nous ne récompensons que les changements que beaucoup ont déjà mis en œuvre.
Encore une fois, je reviens sur le commentaire selon lequel nous avons besoin d’une stratégie et d’un plan. Nous savons que certains des marchés internationaux du carbone ne récompensent pas les adopteurs précoces ou les tenants du statu quo. Au Canada, nous devons penser à la manière de récompenser adéquatement les « bons comportements » ou les adopteurs précoces et ceux qui gèrent les prairies naturelles depuis des générations sur leur ferme.
Le sénateur Cotter : Je vous remercie, monsieur le président. Ces sept minutes ont été passionnantes, du moins à écouter M. Thoroughgood.
Le président : Merci beaucoup. Sénatrice Simons, vous disposez de trois minutes cette fois.
La sénatrice Simons : Très bien. Je vais faire suite rapidement au point soulevé par le sénateur Cotter.
En fait, l’utilisation des sols dans notre pays est régie non pas par les provinces, mais par les municipalités et les comtés. L’une des choses sur lesquelles je travaille ici au Sénat est une grande enquête sénatoriale concernant le rôle des municipalités au pays, et l’une des choses intéressantes est que très souvent, il faut que le gouvernement fédéral fasse cause commune avec les municipalités quand la province se tient au milieu du chemin.
Je suppose alors que la question qui se pose est de savoir, d’après vos années d’expérience au sein de Canards Illimités, si ce sont les municipalités et les comtés qui prennent la plupart des décisions en matière d’aménagement du territoire. Que pensez-vous que le gouvernement fédéral pourrait faire pour encourager les comtés et les municipalités à prendre des décisions intelligentes, afin de veiller à ce que nous ne recouvrions pas de bitume toutes les meilleures terres?
M. Thoroughgood : Ouf, c’est une excellente question. Selon moi, l’un des rôles que les instances du gouvernement fédéral pourraient jouer est de peindre collectivement un tableau de ce que nous voulons que le Canada soit pour nos petits-enfants, afin que nous n’ayons pas de ville qui touche des villes qui jouxtent d’autres villes. Je ne crois pas que beaucoup d’entre nous souhaitent cela pour nos petits-enfants. Nous voulons construire nos villes aussi intelligemment que possible pour avoir un développement urbain viable.
Je suis d’avis que c’est le rôle que le gouvernement pourrait potentiellement jouer, de réunir les intervenants et de rassembler des idées et des stratégies pour construire intelligemment.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Je sais que Canards Illimités Canada est engagé dans des actions dans plusieurs provinces canadiennes. Pourrions-nous apprendre du système québécois de protection des terres agricoles?
Je ne veux pas vous mêler à des questions politiques, mais il y a un système qui a été mis en place pour la vente des terres agricoles, où, pour vendre les terres, il faut passer par une commission qui s’occupe de la protection des terres. Pourrait-on tirer des leçons de ce système, à votre avis? Est-ce un moyen de progresser vers une meilleure conservation des sols?
[Traduction]
M. Thoroughgood : J’ai bien peur, sénatrice, que je ne connaissse pas suffisament le système québécois. Je m’en excuse. J’en connais juste assez sur le sujet pour être probablement dangereux, alors je ne pense pas pouvoir formuler un commentaire intelligent à ce sujet. Je peux certainement consulter mes collègues au Québec qui connaissent mieux le système, si vous le souhaitez.
[Français]
La sénatrice Dupuis : Merci.
[Traduction]
Le président : Monsieur Thoroughgood, si vous voulez répondre à cette question après avoir consulté vos collègues du Québec, n’hésitez pas à transmettre votre réponse à notre greffier également.
M. Thoroughgood : Je vous remercie.
Le président : J’ai une dernière question. Comme personne d’autre ne souhaite poser des questions, j’ai une dernière question. En tant qu’agriculteur, pourquoi avez-vous adopté des pratiques de conservation du sol dans votre exploitation?
M. Thoroughgood : Notre famille a commencé à exploiter la terre sur laquelle nous sommes en 1903, ce qui ne semble pas être une longue période dans de nombreuses régions du monde, mais c’est le cas dans les Prairies. Notre ferme d’origine a une couche de dépôt sédimentaire qui est plus grande que moi. Vous ne pouvez pas le voir par vidéoconférence Zoom, mais je mesure six pieds six. Cette accumulation de terre a été mise en place en utilisant les meilleures pratiques de gestion du moment, ce qui nécessitait une charrue et quelques chevaux.
Quand je songe à ce que je veux laisser en héritage à mes petits-enfants, qui, je l’espère, regarderont notre ferme en se demandant « pourquoi Paul a-t-il fait ce qu’il a fait? » Je souhaite pouvoir au moins dire que j’ai suivi les meilleures pratiques de gestion de l’époque.
Quand je vois à quel point notre sol s’est amélioré depuis 1997, date à laquelle nous avons commencé à pratiquer sans labour, je suis plutôt satisfait de ce que nous avons fait jusqu’à maintenant. Ce qui compte, c’est de protéger le sol, de le rendre plus productif et, si possible, plus rentable pour la prochaine génération ou les suivantes.
Le président : Merci beaucoup. Y a-t-il une dernière question?
[Français]
La sénatrice Dupuis : Monsieur le président, est-ce que je peux vous inviter à poser la même question que vous avez posée à nos témoins, soit quelle est la priorité dans le rapport du comité?
[Traduction]
Le président : J’ai le temps, et je dispose de la prérogative du président.
Si vous étiez l’auteur de notre rapport final, quelle serait votre première recommandation?
M. Thoroughgood : Je crois l’avoir exprimée dans mes derniers commentaires. Il est important, selon moi, d’investir dans l’élaboration d’une stratégie en matière de sol pour le Canada. Je pense qu’il s’agit d’une première étape importante, sinon nous nous exposons au risque d’avoir un tas de mesures bien intentionnées qui ne mèneront pas à un résultat cohérent et ne maximiseront pas l’occasion qui s’offre à nous : le fait que les gens du monde entier s’intéressent réellement à la santé des sols; depuis longtemps, les gens ont pensé que c’était rien que de la terre. Je suis d’avis qu’il s’agit d’une période et d’une occasion exaltantes. Je crois qu’avoir un plan avant de se lancer est l’étape la plus importante.
Le président : Merci beaucoup.
M. Thoroughgood : Merci d’avoir posé la question.
Le sénateur Cotter : C’est plus une observation qu’autre chose, monsieur Thoroughgood; je ne sais pas si vous êtes un golfeur. Je fais référence à mon frère, qui est un professionnel du golf à la retraite à Moose Jaw, en fait, et je pose cette question un peu en plaisantant.
Je constate, en regardant l’étude de sols menée par les personnes précédentes, que les études réalisées sur les terrains de golf révèlent une contribution importante à la santé des sols et à la modération des gaz à effet de serre, ce qui est plutôt encourageant, je présume. Les gens ont habituellement une vision négative des terrains de golf. Je ne sais pas si vous avez envisagé de transformer votre ferme en terrain de golf, mais c’est là une idée.
M. Thoroughgood : Je ne l’ai pas envisagé, sénateur, et je dirais que je joue au golf comme si j’avais une pelle à grain dans la main.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup.
Le président : Je vous remercie, monsieur Thoroughgood, de votre participation aujourd’hui. Encore une fois, nous pouvons voir votre passion, qui se reflète dans vos réponses et dans vos commentaires préliminaires, et nous apprécions vraiment votre participation ce soir, et je sais que vous resterez en contact.
M. Thoroughgood : Merci de m’avoir donné l’occasion de participer.
Le président : Sur ce, chers collègues, j’aimerais remercier chacun d’entre vous de sa participation active et de ses questions réfléchies. J’aimerais suspendre la séance et passer à huis clos avec l’ensemble du comité pour un court moment.
(La séance se poursuit à huis clos.)