LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 6 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour, honorables collègues. Je voudrais commencer en souhaitant la bienvenue aux membres du comité, aux témoins, ainsi qu’aux personnes qui suivent nos délibérations en ligne. Je m’appelle Robert Black, je suis sénateur de l’Ontario et président du comité.
Ce matin, le comité tient une autre séance publique dans le cadre de son étude visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Avant d’entendre les témoins, je voudrais demander aux sénateurs et sénatrices de se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons. Je représente l’Alberta et suis originaire du territoire visé par le Traité no 6.
La sénatrice Jaffer : Je suis la sénatrice Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur Marwah : Je suis le sénateur Sabi Marwah, de l’Ontario.
Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue parmi nous. Je suis le sénateur Marty Klyne, du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan.
La sénatrice Duncan : Bonjour et bienvenue. Je suis la sénatrice Pat Duncan, du Yukon.
Le sénateur Oh : Bonjour. Je suis le sénateur Victor Oh, de l’Ontario.
Le président : Je vous remercie infiniment d’être tous ici ce matin.
Nos témoins de ce matin comparaissent par vidéoconférence. Nous accueillons aujourd’hui Jason Lenz, président, et Susie Miller, directrice générale de la Table ronde canadienne sur les cultures durables. Nous accueillons également Asim Biswas, président, et Amanda Diochon, présidente élue de la Société canadienne de la science du sol. Je tiens à souligner que M. Biswas se joint à nous depuis l’Inde aujourd’hui, donc je vous remercie de faire l’effort d’être parmi nous, monsieur Biswas.
Je vous invite à nous présenter vos exposés. Nous commencerons par les représentants de la Table ronde canadienne sur les cultures durables, après quoi les représentants de la Société canadienne de la science du sol pourront enchaîner.
Jason Lenz, président, Table ronde canadienne sur les cultures durables : Bonjour à tous. Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de témoigner devant vous.
Je suis un producteur de céréales et de bétail de Bentley, en Alberta, et le président de la Table ronde canadienne sur les cultures durables, que nous appelons la TRCDD. Je suis accompagné ce matin de Susie Miller, notre excellente directrice générale. La table ronde est déterminée à saisir les occasions et à relever les défis d’une véritable durabilité dans la production de céréales, d’oléagineux et de légumineuses au Canada.
Nos membres comprennent des organisations dirigées par des céréaliers, des fournisseurs d’intrants, des exportateurs de céréales, des entreprises alimentaires, des associations de conservation et le milieu de la recherche dans son ensemble.
Vous avez déjà reçu beaucoup d’excellents conseils du Conseil de conservation des sols du Canada, l’un de nos membres, alors plutôt que de répéter ce que ses représentants ont dit, je vais axer mes observations sur ce que les céréaliers nous disent au sujet de la santé des sols et d’autres sujets liés à la durabilité.
Nous avons parlé à plus de 600 céréaliers d’un bout à l’autre du Canada en 2020 et en 2021.
D’abord et avant tout, ils veulent qu’on reconnaisse que la santé des sols a toujours été importante pour les agriculteurs et qu’ils ont déjà adopté des méthodes et investi dans des technologies qui améliorent la santé des sols, séquestrent le carbone dans le sol et réduisent les émissions de gaz à effet de serre.
Les céréaliers nous ont dit qu’il existe de nombreuses façons d’atteindre l’objectif final de la santé des sols; certaines méthodes ne devraient pas être arbitrairement rejetées et jugées inadéquates, comme on ne devrait pas en privilégier d’autres comme étant la seule solution.
Les céréaliers sont fiers du travail qu’ils font et veulent être reconnus comme des professionnels compétents pour gérer leurs terres de façon durable. Les moyens d’atteindre l’objectif final doivent être fondés sur la science, y compris pour le calcul des coûts, des avantages et de l’incidence sur les résultats, mais aussi, et peut-être surtout, pour assurer la viabilité à long terme des exploitations agricoles.
Pour les céréaliers, la recherche est essentielle, non seulement pour déterminer quelles sont les meilleures méthodes que les agriculteurs devraient adopter, mais aussi pour savoir comment limiter les risques liés à l’utilisation de nouvelles méthodes.
Les céréaliers considèrent qu’il importe de disposer d’un rapport actualisé sur l’état de santé des sols au Canada pour pouvoir établir quels sont les problèmes prioritaires et sur quelles régions il faudrait mettre l’accent.
Ils affirment également croire et comprendre que l’utilisation de nouvelles technologies peut fournir des réponses pour protéger la santé des sols à long terme en mettant en lumière que les méthodes les plus prisées aujourd’hui pourraient être remplacées par de meilleures encore demain.
Ils nous ont également dit que les différences agrométéorologiques entre les régions et entre les exploitations doivent être prises en compte. On entend à répétition qu’il n’y a pas de solution universelle. Par exemple, le semis direct est une technique privilégiée qui contribue grandement à la séquestration du carbone et à la santé des sols dans les Prairies et qui correspond bien aux objectifs de viabilité financière et de gestion des risques des producteurs. Cependant, les cultures de couverture ne sont pas aussi viables dans toutes les régions des Prairies, parce qu’il n’y a pas toujours assez de temps après la récolte pour que les plantes de couverture puissent germer et s’établir avant l’arrivée du gel automnal, ou parce que les conditions d’humidité ne sont pas toujours assez favorables dans le Sud du pays pour que la culture de couverture s’établisse.
Inversement, l’utilisation de cultures de couverture pour améliorer la santé de la matière organique dans le sol et aider la faune est viable dans les climats plus humides de l’Est du Canada et dans certaines parties du Manitoba, tandis que le semis direct peut y être difficile.
Les céréaliculteurs ont exprimé leur volonté de maintenir et d’améliorer la santé des sols et de contribuer ainsi aux objectifs gouvernementaux de réduction des gaz à effet de serre en plus de répondre aux exigences environnementales de leurs clients. Toutefois, ils constatent qu’il faudra peut-être faire des compromis entre les diverses priorités du gouvernement du Canada pour les exploitations agricoles, qui comprennent la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la production accrue de matières premières pour produire des carburants renouvelables, la contribution du Canada à la sécurité alimentaire mondiale et la contribution du secteur agricole à la croissance économique du Canada et de ses collectivités. Ils constatent que le marché ne valorise pas la contribution des céréaliers aux solutions climatiques par l’amélioration de la santé des sols ni ne tient compte des investissements que les agriculteurs doivent faire pour répondre aux attentes du marché. Ils craignent de ne plus pouvoir utiliser les pratiques agricoles modernes qui les aident à améliorer la santé de leurs sols, à séquestrer le carbone et à rester économiquement viables dans leurs activités agricoles. Par-dessus tout, ils veulent être des partenaires actifs du gouvernement et des clients pour décider de la meilleure façon d’assurer la santé des sols.
Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci beaucoup. Je crois que nos deux représentants de la Société canadienne de la science du sol feront un exposé conjoint. Je donnerai d’abord la parole à M. Biswas.
Asim Biswas, président, Société canadienne de la science du sol : Chi-meegwetch. Je vous remercie de m’offrir l’occasion de m’exprimer au nom de la Société canadienne de la science du sol au sujet de l’état de la santé des sols au Canada.
Je suis professeur agrégé à l’École des sciences de l’environnement de l’Université de Guelph et président de la Société canadienne de la science du sol.
Amanda Diochon, présidente élue, Société canadienne de la science du sol : Je suis professeure agrégée au département de géologie de l’Université Lakehead et présidente élue de la Société canadienne de la science du sol.
M. Biswas : Au cours des dernières semaines, vous avez entendu plusieurs de nos membres, notamment Laura Van Eerd, Angela Bedard-Haughn, David Lobb, Sean Smukler et Joann Whalen, qui vous ont éclairés de leurs connaissances poussées et vous ont présenté leurs recommandations sur la santé des sols au Canada. Nous souhaitons attirer votre attention sur le besoin très réel de sensibiliser et d’éduquer le grand public sur l’importance de la santé des sols et des sols en général.
Les sols jouent un rôle essentiel dans notre économie, notre environnement et notre société. Pour le public, les sols sont souvent synonymes de saleté, de nuisance et de désagrément. Ils sont tout sauf cela. Les sols sont vivants, et les sols donnent la vie. Ils nous fournissent de l’eau propre, plus de 95 % de nos aliments et de nos fibres, en plus d’abriter une vaste biodiversité et de nous rendre une multitude d’autres services. Nous dépendons des sols, mais plus précisément, nous dépendons de sols sains. La science du sol ne fait pas partie de la plupart des programmes d’enseignement de la maternelle à la 12e année au Canada, et au niveau postsecondaire, la science du sol ne fait partie que d’un nombre limité de programmes.
Le sol est sous-estimé et mal compris. Il faut que cela change. Nous avons besoin d’un défenseur national de la santé des sols, comme en Australie.
Mme Diochon : Maja Krzic, professeure à l’Université de la Colombie-Britannique, a fondé le Soil Education Committee of the Society en 2014. Maja Krzic est une pionnière. Elle a piloté la création de matériel pédagogique pour les enseignants du secondaire de l’ensemble du pays avec Soil 4 Youth, et nous avons relevé de grandes différences, d’une région à l’autre, dans l’offre de cours d’introduction à la science du sol au premier cycle universitaire et dans les techniques enseignées en science du sol. Ces travaux ont été publiés dans des articles évalués par des pairs en plus d’être cités dans la Stratégie pour la santé et la préservation des sols agricoles de l’Ontario, qui souligne aussi la nécessité d’une sensibilisation et d’une éducation accrues.
Notre société a par ailleurs récemment produit et publié un manuel axé sur la réalité canadienne à utiliser dans les cours d’introduction à la science du sol. Quiconque peut télécharger et utiliser gratuitement cet ouvrage, intitulé Digging Into Canadian Soils: An Introduction to Soil Science. Il comprend un chapitre sur la santé des sols. Il s’agit d’une ressource fabuleuse, je vous encourage à y jeter un coup d’œil.
Les sols sont incroyables; ils sont essentiels à notre qualité de vie. En tant que pays, le Canada doit agir pour s’assurer que notre société a une bonne compréhension de base de la science du sol et de la valeur de sols en santé.
M. Biswas : Pour éduquer nos générations actuelles et futures sur les sols, puis fixer les objectifs de gestion de demain, nous devons connaître l’état de cette ressource naturelle au Canada. Une meilleure gestion n’est possible que grâce à de meilleures mesures de l’état des sols, parce que nous avons besoin d’une meilleure base d’information.
Bien que diverses activités régionales permettent de recueillir et d’utiliser de l’information sur les sols pour éclairer la prise de décisions, il faut nous attaquer dès maintenant au manque d’information à l’échelle nationale afin de protéger les sols et notre avenir. Nous avons besoin d’activités d’envergure nationale pour évaluer l’état de base de nos sols et faire la synthèse des informations pour savoir où nous en sommes, puis pour suivre l’évolution de la situation.
Il faut également mettre l’accent sur l’importance de la recherche et reconnaître les différences régionales. Le groupe de travail canadien sur la cartographie numérique des sols, qui relève du sous-comité de pédologie de la Société canadienne de la science du sol, travaille avec un partenaire de l’industrie à l’élaboration d’un système qui permettra d’accéder aux renseignements disponibles sur les sols, sous la direction des professeurs Heung, Bedard-Haughn et de moi-même. Cependant, l’absence de données et de recherches harmonisées sur les sols à l’échelle nationale limite le succès de notre initiative.
Mme Diochon : Compte tenu de la nécessité de nous rassembler pour générer, partager et synthétiser des études sur la santé des sols, Derek MacKenzie, professeur à l’Université de l’Alberta, a proposé à notre réunion annuelle de cette année de créer le groupe de travail sur la santé des sols. Nous nous réunirons la semaine prochaine pour la première fois. Ce travail est profondément ancré dans notre désir et notre engagement, individuellement et collectivement, de faire la synthèse de nos connaissances sur la santé des sols au Canada. Nous sommes motivés à faire en sorte que les Canadiens disposent des meilleures informations qui existent sur les techniques de gestion des terres qui favorisent la santé des sols et par ricochet, qui profitent à l’économie, à l’environnement et à la société.
La collecte, l’analyse, l’interprétation et l’archivage de données sur la santé des sols au Canada n’est pas une mince affaire. Il existe un réel besoin pour ces activités. Nous avons besoin d’un institut national de la santé des sols.
M. Biswas : En conclusion, en tant que pays, nous devons coordonner nos recherches sur la santé des sols et sensibiliser le grand public à l’importance des sols et de leur santé.
Merci. Thank you. Meegwetch.
Le président : Je vous remercie beaucoup de vos exposés. Passons aux questions. J’en ai déjà quelques-unes en réserve. Pour la suite des choses, si mes collègues ont des questions à poser, je les prie de m’en aviser. Veuillez lever la main. Comme à l’habitude, nous vous accorderons sept minutes pour les questions et les réponses. Une minute avant la fin, je lèverai la main gauche. Lorsque la fin approchera, je vous demanderais de conclure d’ici à ce que j’aie les deux mains levées. Nous commencerons par notre vice-présidente, la sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, monsieur Lenz. Je vous salue d’Ottawa. Mon vol de retour passera juste au-dessus de chez vous plus tard ce soir.
Vous venez du cœur même de l’Alberta. Vous savez probablement mieux que quiconque à quel point il peut être difficile de mener une initiative nationale, une initiative perçue comme venant d’en haut, qui connaisse du succès auprès des agriculteurs.
Pouvez-vous nous donner votre avis sur le meilleur angle à donner à une stratégie nationale, à une chaire de recherche nationale ou à un groupe de réflexion national sur les sols, afin que les agriculteurs sur le terrain y adhèrent et n’aient pas l’impression que c’est quelque chose qui leur est imposé par un groupe de personnes en veston-cravate, à Ottawa, mais qu’ils aient plutôt le sentiment de participer à cette conversation importante?
M. Lenz : Merci beaucoup de cette question, sénatrice Simons. C’est une très bonne question. Le gouvernement propose un certain nombre d’initiatives que les agriculteurs doivent mieux comprendre. Il y a des organisations, comme la Table ronde canadienne sur les cultures durables, qui pourraient conseiller le gouvernement sur la meilleure façon d’accorder à la santé des sols l’importance qu’elle mérite au Canada.
Comme nous l’avons mentionné, et comme vous l’avez dit, le Canada est un pays très vaste, c’est certain. Il existe de nombreuses différences régionales dans les sols et les types de sols. Dans ma province, l’Alberta, je peux rouler une heure et probablement traverser trois zones de sol différentes.
Les agriculteurs mesurent rigoureusement ce qui se trouve dans leur sol. Ils effectuent des analyses de sol sur une base annuelle, parfois même dans différentes zones d’un même champ, pour évaluer la santé de leur sol. Ils mesurent les niveaux de nutriments, ils mesurent tout, dont le pH. Ils mesurent même l’humidité du sol en vue des prochaines récoltes. Il faut donc vraiment approfondir la recherche sur la santé des sols, mais comme je l’ai mentionné, il y a des organisations comme la Table ronde canadienne sur les cultures durables et des organisations nationales de produits agricoles comme Céréales Canada ou Pulse Canada qui sont plus que disposées à aider le gouvernement à trouver la meilleure façon de mesurer la santé des sols au pays. Merci.
La sénatrice Simons : Vous et moi attendons de savoir qui sera le nouveau premier ministre de l’Alberta. Nous le saurons ce soir. C’est tellement difficile en ce moment, tout est tellement polarisé dans ce pays. Je pense qu’il y a des gens qui se servent de ce sentiment de dislocation entre les zones rurales et les zones urbaines. Je veux vraiment m’assurer que tout ce que nous faisons et tout ce que nous recommandons à ce comité ne sera pas perçu comme l’œuvre d’une bande de bureaucrates moralisateurs de la capitale du mal de Justin Trudeau qui s’acharne sur les agriculteurs des Prairies. Je veux m’assurer que les agriculteurs des Prairies sentent qu’ils sont des leaders contribuant à orienter ces mesures et qu’elles ne leur sont pas platement imposées.
Je ne sais pas comment faire tomber ces barrières politiques qui font qu’il est actuellement très difficile d’avoir ce genre de conversation sur les politiques publiques.
Susie Miller, directrice générale, Table ronde canadienne sur les cultures durables : J’aimerais ajouter une chose ici. Ce que nous entendons de la part des agriculteurs, c’est que, tout d’abord, ils veulent que leur contribution soit reconnue et non dénigrée. Ce ton doit teinter absolument tout. Cette attitude créera beaucoup plus d’ouverture et de volonté d’écoute.
En ce qui concerne les leaders, nous avons besoin de leaders de toutes les allégeances politiques, de dirigeants du milieu agricole, pour parler de ce qu’ils font et de la façon dont ils le font. Le Conseil de conservation des sols du Canada, par exemple, réunit beaucoup de dirigeants agricoles qui s’intéressent de près à cette question.
Si vous voulez mettre sur pied une sorte de groupe consultatif, demandez à des agriculteurs d’en faire partie. Les agriculteurs de partout au pays peuvent vous aider. C’est le message que nous entendons quand nous parlons de durabilité. D’abord et avant tout, il faut reconnaître qu’ils sont des experts et qu’ils font du bon travail. Merci.
La sénatrice Simons : J’ai une question pour nos deux autres témoins. Vous avez tous les deux parlé avec une grande éloquence de la nécessité de pouvoir compter sur une instance nationale — un défenseur ou un conseil consultatif pour la santé des sols en quelque sorte. C’est une recommandation que de nombreux témoins nous ont faite au cours des dernières semaines.
Qu’est-ce qui selon vous fait obstacle à une telle avancée? Qu’est-ce qui nous empêche d’aller de l’avant?
M. Biswas : Je peux commencer. Je crois qu’il y a différentes barrières, surtout si l’on pense à ces disparités régionales que l’on vient d’évoquer. Dans certains cas, ces disparités sont reconnues au titre des pratiques exemplaires utilisées par les agriculteurs.
Lorsque vient le temps d’établir une stratégie nationale, il faut se demander comment on peut éviter que les priorités d’une région donnée ne soient pas prises en compte.
Nous croyons qu’il existe des solutions mitoyennes en ce sens que vous pouvez mettre en place une stratégie en misant, comme l’indiquait Suzy Miller, sur la représentation des agriculteurs qui s’y connaissent bien en santé des sols. On fait ainsi montre de transparence en reconnaissant les bonnes pratiques en usage. C’est ce qui peut se faire à l’échelon régional. Il faut ensuite harnacher les résultats des différentes régions pour élaborer une stratégie nationale.
Je pense qu’il y a des stratégies de développement qui ont fait leurs preuves. Bien qu’il existe d’importantes disparités régionales, nous voulons conjuguer nos efforts pour établir une stratégie nationale à la lumière des problèmes vécus dans chaque région en tablant sur une action globale guidée par une réflexion locale. C’est sans doute la meilleure façon de concevoir une stratégie à l’échelle nationale. Il faut vraiment pour ce faire tenir compte de tous les enjeux à régler dans les différentes régions du pays.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Marwah : Merci aux témoins qui comparaissent devant nous aujourd’hui.
La question est pour M. Lenz. Vous nous avez dit fort éloquemment qu’il y a toujours des choix difficiles à faire entre les différentes actions que nous devons mener et les priorités du gouvernement du Canada. Vous avez notamment mentionné la réduction des émissions de gaz à effet de serre, la sécurité alimentaire, les solutions climatiques et les investissements en faveur de nos agriculteurs. Comme vous le savez, la vie est faite de choix difficiles.
Pour nous aider à régler la question afin de pouvoir aller de l’avant, pourriez-vous nous dire quelles seraient vos deux ou trois priorités et les façons de faire que vous préconiseriez pour l’avenir? Comment devons-nous aborder ces enjeux?
M. Lenz : Merci pour la question, sénateur Marwah. J’ai effectivement traité de ces choix importants. Je pense qu’il faut d’abord et avant tout que le gouvernement reconnaisse le bon travail déjà accompli par les agriculteurs canadiens pour la séquestration du carbone dans le sol de même que les investissements que nous avons consentis et les mesures que nous avons prises pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre. À mes yeux, c’est la grande priorité. Les agriculteurs se demandent sans cesse si l’on reconnaît vraiment la contribution qu’ils apportent depuis 10 ou 20 ans déjà. Il leur aura fallu investir énormément dans la technologie pour en arriver à certains de ces résultats.
Il importe aussi de pouvoir s’assurer que l’ensemble du pays pourra continuer à contribuer à la sécurité alimentaire à l’échelle planétaire. C’est certes une considération qui est au cœur des préoccupations avec les événements survenus en Ukraine au cours de la dernière année. Qui va pouvoir continuer d’approvisionner non seulement le Canada, mais aussi le reste du monde, en aliments sains et salubres?
Les producteurs canadiens de céréales, d’oléagineux et de légumineuses sont reconnus de par le monde pour leur capacité à produire des denrées de la meilleure qualité qui soit. C’est attribuable aux conditions de culture, à la qualité du sol et à l’environnement dont nous bénéficions pour nos activités agricoles. Ce serait donc les deux éléments prioritaires à mon avis.
Si l’on me demandait mes trois recommandations principales, ce serait de mieux reconnaître la contribution de l’agriculture, d’assurer la stabilité de notre secteur agricole et de veiller à ce que nous puissions continuer à alimenter la croissance économique du Canada et de nos collectivités. Vous savez que l’on met beaucoup l’accent sur le pétrole et le gaz en Alberta, mais l’agriculture est, dans toutes les Prairies comme dans l’ensemble du pays en fait, un moteur économique stable sur lequel le Canada peut compter année après année. Le travail des agriculteurs doit être reconnu. Même si nous formons un petit pourcentage de la population, nous contribuons dans une mesure exceptionnelle à la croissance du pays et au maintien du Canada à la hauteur de son plein potentiel de puissance économique. Merci.
Le sénateur Marwah : J’ai une question de suivi que j’adresse à tous les témoins. Pourriez-vous nous citer l’exemple d’un autre pays qui serait vraiment parvenu à opérer cette transition, pour utiliser votre expression? Les gaz à effet de serre ont des répercussions partout sur la planète. Est-ce qu’un pays a réussi cette transition avec un succès si grand qu’il pourrait nous servir de modèle?
Mme Miller : Je peux répondre à cette question. Les approches utilisées peuvent différer d’un pays à l’autre, mais je crois que personne n’y est encore parvenu. Nous nous concentrons bien évidemment sur le secteur agricole et plus particulièrement, bien que pas exclusivement, sur la production céréalière. Nous voyons l’Australie consacrer beaucoup de temps aux mesures et aux évaluations. L’Australie est bien sûr un environnement à haut risque pour l’agriculture, une situation exacerbée par les changements climatiques. C’est un exemple qu’il serait bon de considérer selon nous.
Pour sa part, l’Union européenne a imposé des solutions arbitraires qui ne sont pas nécessairement applicables dans tous les pays. Nous préférons miser sur un processus de mobilisation faisant appel à tous les intervenants de la société, y compris les universitaires et les agriculteurs. Merci.
Le sénateur Marwah : Merci. Est-ce que nos autres témoins auraient d’autres suggestions à nous faire?
M. Biswas : Je voudrais ajouter brièvement quelque chose. Il est certain que les différents pays ne procèdent pas tous de la même manière, et qu’aucun n’a encore réussi totalement cette transition. Cependant, le milieu de la recherche en France collecte de grandes quantités de données pour étudier la santé des sols. Il faut en effet savoir où nous en sommes si nous voulons élaborer une stratégie et comprendre les différents choix à faire.
Pour ce qui est des données à générer et à collecter, il est certes primordial de bien comprendre la situation des sols et leur état de santé dans un pays ou une région pour pouvoir aller de l’avant. En effet, si l’on veut saisir toute l’ampleur des compromis à consentir, il faut avoir une bonne idée de la situation actuelle. Si un changement est envisagé, on saura ainsi dans quelle mesure il sera concrètement possible de le mettre en œuvre. De cette manière, nous saurons mieux à quoi nous en tenir quant aux différents enjeux à concilier en sachant, à la lumière de l’information disponible, quelles concessions viendront avec l’adoption de telle ou telle pratique. C’est dans ce contexte que pourrait être utile une collaboration à tous les niveaux avec tous les intervenants — universitaires, chercheurs et agriculteurs. Comme ce sont les agriculteurs qui effectuent le travail sur le terrain, ils peuvent jouer un rôle important dans ce processus. La société canadienne, qui réussit à bien coaliser l’apport des chercheurs, des étudiants et de la communauté, pourrait grandement contribuer à l’établissement d’une connexion semblable pour que tous puissent conjuguer leurs efforts.
Le sénateur Marwah : Merci.
Le sénateur Klyne : Merci, monsieur le président, et bienvenue à nos invités. Ma première question s’adresse aux représentants de la Table ronde canadienne sur les cultures durables. Dans vos observations préliminaires, vous avez indiqué que les agriculteurs avaient déjà adopté des pratiques afin d’améliorer ou de rétablir la santé des sols, et nous le savons très bien. Je veux revenir à un commentaire que vous avez fait, simplement pour m’assurer que nous l’avons tous bien entendu. Vous disiez que nous devrions nous baser sur la science pour atteindre notre objectif ultime. Je suis entièrement d’accord avec vous à ce sujet. Nous avons déjà adopté bien des pratiques novatrices et différentes solutions technologiques, et j’aimerais simplement connaître votre évaluation de nos résultats en matière de séquestration du carbone dans le milieu agricole.
M. Lenz : Merci pour la question, sénateur Klyne. Il est bien certain que les agriculteurs reconnaissent l’importance de la science, une conviction qui a guidé l’adoption de bon nombre de nos pratiques.
Pour ce qui est de la séquestration du carbone, je pense que nous misons surtout dans ce contexte sur la culture sans labour. Il s’agit de réduire le nombre de passages dans nos champs chaque année de manière à maintenir le carbone dans le sol.
Année après année, les agriculteurs plantent différents types de cultures qui mènent à une meilleure santé des sols. Ils accroissent ainsi la séquestration du carbone dans nos sols, une amélioration très importante, non seulement pour la croissance des cultures sur une longue période, mais aussi pour la viabilité à long terme de nos exploitations agricoles.
La séquestration du carbone est une autre contribution des agriculteurs dont le travail des 20 dernières années doit être reconnu. La culture sans labour est pratiquée pour ainsi dire depuis mes débuts en agriculture, soit il y a 30 ans, et est reconnue comme une pratique bénéfique pour la gestion des sols.
Le sénateur Klyne : Vous venez de nous parler de la culture sans labour et de la réduction du nombre de passages dans les champs, et il y a d’autres pratiques, comme la couverture végétale permanente et les brise-vent, qui peuvent contribuer à l’amélioration ou au rétablissement de la santé des sols. On nous a indiqué qu’environ 50 % des agriculteurs n’ont toujours pas adopté de telles pratiques. Pensez-vous que cette proportion est conforme à la réalité, et comment pourrions-nous convaincre ces récalcitrants d’emboîter le pas à leurs collègues?
Mme Miller : Les agriculteurs avec lesquels nous avons eu la chance de discuter au cours des deux dernières années nous ont notamment parlé d’un manque d’information quant aux risques encourus. À titre d’exemple, lorsqu’il est question d’utiliser des barrières, qu’il s’agisse d’arbres, de brise-vent ou de buissons, les gens ont l’impression — une impression confirmée par les scientifiques auxquels j’ai parlé — que cela aura pour effet d’enlever de l’humidité aux cultures elles-mêmes dans les sols secs.
D’excellentes recherches ont été menées à ce sujet, mais nous devons nous employer en priorité à offrir aux agriculteurs la possibilité d’adopter ces pratiques sur leur ferme en n’ayant pas à faire les frais des risques ainsi encourus.
Si on prend l’exemple de la culture sans labour, les agriculteurs l’ont adoptée au fil des ans parce qu’il était logique pour eux de le faire, et non parce qu’on leur a dit qu’il fallait qu’ils le fassent. C’est plutôt parce qu’on pouvait en constater les avantages dans chaque exploitation agricole. L’adoption de cette pratique dépend plus des agriculteurs eux-mêmes dans le cadre de leurs activités courantes que du travail d’une ferme expérimentale ou d’une université. Nous devons en tenir compte dans notre approche.
Le sénateur Klyne : C’est une excellente réponse, et je vous en remercie. Je crois comprendre que les choses auraient été différentes si l’on avait présenté aux agriculteurs qui étaient réticents ou qui ont tardé à adopter ces pratiques un dossier d’analyse — et on revient à l’importance de s’en remettre à la science — établi sans doute à partir d’une modélisation effectuée sur une ferme expérimentale pour mettre en valeur une partie des avantages. À partir du moment où les agriculteurs peuvent voir qu’il leur est possible d’accroître leurs rendements et d’améliorer leur bilan en conséquence, ils deviennent moins hésitants à se lancer dans l’aventure. Merci pour ces précisions.
Cela m’amène à ma prochaine question que je veux adresser aux représentants de la Société canadienne de la science du sol. Comme l’indiquait la sénatrice Simons, on se plaint sans cesse du manque de données et de recherches ainsi que de l’incapacité à collecter, synthétiser et mettre en commun cette information afin d’améliorer nos stratégies. Si mon souvenir est exact, Mme Diochon a été la première à parler de l’établissement d’une entité nationale qui en serait aux premières étapes de sa constitution — en espérant que la constitution ne sera pas problématique dans ce cas particulier. Vous n’avez sans doute pas progressé suffisamment dans cette démarche pour pouvoir nous dire que vous avez une charte et un plan de travail ou que vous savez comment vous allez vous y prendre pour mobiliser les intervenants à l’échelle nationale. J’ose espérer que vous envisagez d’organiser une conférence au sommet réunissant nos principales instances gouvernementales.
Comme nous le savons, il existe de nombreuses disparités régionales. Comment pourrez-vous mobiliser tout le monde à l’échelle nationale? Je sais que vous allez sans doute commencer par un genre de congrès réunissant des experts de l’industrie, des gens capables de vous dire comment les choses se passent dans les champs et un large éventail d’universitaires. Pensez-vous qu’il vous sera possible un jour d’organiser une véritable conférence au sommet? Où les gouvernements provinciaux et territoriaux se situent-ils dans ce dossier? Est-ce que certains d’entre eux ont mis en place des stratégies pour la santé des sols alors que d’autres ne l’ont pas fait?
Mme Diochon : Merci beaucoup, sénateur Klyne. Vous avez raison de dire que nous en sommes encore aux premières étapes de la mobilisation à l’échelle nationale. Nous profiterons de notre réunion de la semaine prochaine pour établir un plan de travail à cette fin. Je peux toutefois vous dire que nos membres viennent de toutes les régions du pays, si ce n’est un manque de représentation de celles situées plus au nord. Nous sommes tous conscients de la grande diversité caractérisant les types de sols et les pratiques de gestion agricole en usage au Canada, mais nous avons maintenant l’occasion de concerter nos efforts. Comme vous le suggériez, nous allons chercher à obtenir l’engagement de partenaires gouvernementaux, et certaines provinces, comme l’Ontario, ont déjà une stratégie pour la santé des sols.
Le sénateur Klyne : Merci.
La sénatrice Jaffer : Un grand merci à vous tous. Vos exposés ont été des plus intéressants et nous ont donné amplement matière à réflexion. J’ai une question pour vous, madame Miller. Vous avez indiqué que l’on dénigre les agriculteurs. Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez exactement par là? Je veux que vous sachiez que je suis moi-même productrice d’œufs et de poulet. Je voudrais donc mieux comprendre cette affirmation, après quoi j’aurai une autre question pour vous.
Mme Miller : Les agriculteurs nous ont dit comment ils se sentent lorsque leurs concitoyens parlent des émissions de gaz à effet de serre. On fait alors très souvent valoir que l’agriculture est l’une de nos principales émettrices de gaz à effet de serre et notre plus grande consommatrice d’eau. Les agriculteurs ont donc l’impression que les gens et les instances gouvernementales estiment qu’ils n’agissent pas correctement. Dans une certaine mesure, ils se sentent pris à partie. Ils sont conscients du problème et souhaitent contribuer à la recherche de solutions, mais ils veulent que l’on s’appuie sur ce qu’ils font déjà de bien pour apporter des améliorations, plutôt que de s’attaquer d’emblée aux choses qu’ils ne font pas correctement.
La sénatrice Jaffer : Je vais vous revenir, mais je veux d’abord poser une question à M. Biswas. Vous avez parlé d’un président ou d’une instance nationale quelconque. Êtes-vous en train de nous dire qu’il nous faut désigner quelqu’un qui va se concentrer sur ces enjeux à l’échelle nationale? Vous me corrigerez si j’ai tort, mais je suppose que vous parlez du gouvernement. Souhaitez-vous voir quelqu’un orienter le travail des agriculteurs et des autres intervenants en mettant l’accent sur les questions liées à la santé des sols?
M. Biswas : Nous attendons effectivement une initiative du gouvernement en ce sens. Nous sommes à la recherche d’un dirigeant, d’un champion ou d’un défenseur — quel que soit le nom qu’on lui donne — qui pourra nous aider à faire tous les rapprochements qui s’imposent.
On nous dit que les pratiques des agriculteurs sont bonnes, mais quelqu’un d’autre arrive pour les remettre en question, ce qui ne manque pas de semer la grogne dans nos rangs. C’est ainsi qu’on se retrouve avec un problème de communication. Des données de recherche sont disponibles, mais certains agriculteurs sont hésitants à les mettre en pratique. Il y a donc un rapprochement à faire. Les choses pourraient devenir plus faciles si l’on désignait à l’échelle nationale quelqu’un qui comprend bien la situation et qui peut réunir les différents intervenants pour leur indiquer comment ces rapprochements peuvent devenir possibles.
Je pense que la désignation d’un dirigeant ou d’un champion national pourrait nous permettre de tenir un discours commun. C’est une initiative gouvernementale qui arriverait à point nommé pour nous aider à corriger les lacunes actuelles.
La sénatrice Jaffer : Monsieur Biswas, lorsque vous parlez d’une initiative gouvernementale — et je mets ici mon chapeau d’agricultrice —, vous me rendez nerveuse. Dès qu’il est question du gouvernement, nous pouvons nous attendre à un plus grand nombre de formulaires à remplir et de dépenses à engager. Du point de vue des agriculteurs, c’est davantage un fardeau qu’on leur impose qu’une aide qu’on leur apporte.
Je m’adresse maintenant à M. Lenz et à Mme Miller. Que pensez-vous de l’établissement d’une autorité nationale? Je suis peut-être dans l’erreur, mais j’ai l’impression que toutes les fois que le gouvernement intervient, cela se traduit uniquement par un surcroît de formulaires à remplir et de dépenses à engager, plutôt que par une aide gouvernementale véritable. C’est à l’agriculteur qu’incombe alors la totalité du fardeau administratif.
M. Lenz : C’est une excellente question. Les organisations internationales dont la mission est de soutenir les agriculteurs aident également le gouvernement à comprendre ce que font ces derniers. C’est là, à mon avis, que résiderait la véritable utilité d’une organisation nationale sur la santé des sols. Cela nous ramène à la question que vous avez posée précédemment et à la question du sénateur Klyne.
Madame Miller a aussi affirmé que les agriculteurs se sentaient dépréciés. Je pense que ce sentiment découle du manque de compréhension de la situation des sols à l’échelle du Canada, autant pour les maraîchers dans le Sud de l’Ontario ou les producteurs de blé, comme moi, dans les Prairies. J’encourage toujours mes proches et mes collègues qui travaillent dans les organisations nationales de venir voir ma ferme et les activités qui y sont menées, entre autres l’analyse du sol en vue de produire des cultures saines.
Il a été question de la gestion de l’eau, qui est une ressource de première importance dans la production des cultures et des légumes. Les gens ne savent pas à quel point les districts d’irrigation dans le Sud de l’Alberta sont efficaces, notamment les pompes et les mécanismes permettant de mesurer l’utilisation de l’eau. Ce sont des choses que les fonctionnaires ne voient pas nécessairement dans leurs bureaux à Ottawa ou de chez eux. Ils devraient sortir et aller parler aux agriculteurs, qui ne demandent pas mieux que de montrer aux gens ce qu’ils font sur la ferme. La mise en place d’une organisation nationale à l’écoute des agriculteurs et ayant des agriculteurs parmi ses membres, qui collaborerait avec le gouvernement et d’autres associations, aiderait beaucoup toutes les parties à se comprendre mutuellement.
La sénatrice Jaffer : Je voulais vous poser une question, monsieur Biswas. Au comité, nous comprenons que la santé des sols est vitale non seulement pour la lutte contre les changements climatiques, mais aussi pour le maintien des systèmes alimentaires. Selon vous, à quel point le gouvernement est-il conscient de l’importance de la santé des sols? Qu’avez-vous trouvé dans le cadre de vos recherches et de vos travaux? J’ai tendance à croire que les agriculteurs connaissent l’état de leur sol. Peut-on dire la même chose du gouvernement?
Je ne suis pas contre la création d’un organisme national, mais je suis contre une approche hiérarchique qui mettrait encore tout le fardeau sur le dos des agriculteurs.
Le président : Sénatrice Jaffer, vous pourrez revenir là-dessus à la deuxième série de questions, car vos sept minutes sont écoulées. Nous nous assurerons de vous donner le temps nécessaire.
Le sénateur Oh : Je remercie les témoins de comparaître devant le comité aujourd’hui.
Quels mécanismes politiques encourageraient les agriculteurs à séquestrer du carbone dans les terres agricoles? À quelle vitesse le carbone est-il absorbé par le sol et quelles sont les meilleures méthodes pour y parvenir?
Mme Miller : Merci pour les questions. Je vais amorcer une réponse, puis je laisserai le volet technique aux scientifiques.
À propos de la séquestration de carbone, comme l’a fait remarquer M. Lenz, il y a deux méthodes qui y contribuent ou qui y ont contribué de façon importante. La première est la préservation des prairies, qui se fait surtout dans l’élevage de bovins, du côté du bétail. La seconde est la culture sans labours.
Les données produites par le gouvernement révèlent une diminution de la quantité de carbone séquestré d’une année à l’autre dans le cadre de la culture sans labours pratiquée pendant un certain nombre d’années. Ce sol ne peut pas absorber une grande quantité supplémentaire de carbone, car il a atteint sa limite. Il a atteint ou atteindra sa capacité physique.
Un autre domaine sur lequel on ne s’est pas encore penché est l’utilisation des sols qui ne servent pas à la culture. Une grande partie de la superficie des exploitations agricoles n’est pas exploitée, que ce soit autour des habitations, en bordure des champs ou dans les milieux humides. Les politiques publiques ne tiennent pas vraiment compte de la contribution que peuvent apporter les agriculteurs à la séquestration du carbone dans ces parcelles de terre. Aucun incitatif n’est en place à l’intention des agriculteurs; il y a même des facteurs dissuasifs. Préserver ce que nous avons devrait être aussi important que d’accroître ce que nous pourrions avoir.
M. Biswas : Je vais vous donner une explication scientifique. Comme l’a souligné Mme Miller, le taux de séquestration du carbone diminue parce que le sol a une capacité de stockage limitée. En adoptant la culture sans labour, nous faisons augmenter la quantité de carbone dans le sol. Le taux de séquestration de carbone est élevé au début, mais il diminue progressivement.
En outre, il faut savoir que lorsque nous perturbons ensuite ce sol, le carbone qui y était stocké peut s’échapper dans l’atmosphère. Nous devons maintenir les pratiques exemplaires et préserver cette terre, et non pas seulement les parcelles cultivées. Comme l’a dit Mme Miller, les terres non agricoles constituent une proportion importante de la superficie totale de l’exploitation. Même si cette superficie n’est pas entièrement utilisée pour les cultures, elle permettrait la séquestration d’une quantité beaucoup plus élevée de carbone.
Il faut accorder une importance non seulement aux pratiques agricoles, mais aussi à l’utilisation des autres parcelles de terre qui permettent de séquestrer du carbone et de le réintégrer dans le sol. Nous devons reconnaître ces autres pratiques et trouver une manière de les rétribuer. En reconnaissant et en récompensant ces pratiques exemplaires, nous encouragerons leur adoption pour qu’elles perdurent encore longtemps.
Les terres agricoles ont un énorme potentiel de stockage de carbone, mais il faut que ce soit fait sur une longue période, car lorsque nous retournons à la culture dans le cadre d’un système sans labour sur 5 ou 10 ans, nous provoquons une ouverture dans le sol qui permet au carbone et au dioxyde de carbone de s’échapper. Or, ces gaz retournent dans l’air à un rythme beaucoup plus rapide que la vitesse à laquelle ils sont stockés dans le sol.
Nous devons adopter cette pratique exemplaire, ainsi que la reconnaître et la récompenser à l’avenir.
Le sénateur Oh : Merci.
Le président : Mes questions s’adressent à tous les témoins. Tout d’abord, j’aimerais que M. Biswas nous parle de la cartographie des sols.
Il existe un document sur la cartographie du sol à la ferme où j’ai grandi, mais il date de 1954. Les cartes et les profils des sols changent-ils au fil du temps? Doit-on mettre à jour les cartes des sols un peu partout au Canada, ou sont-elles encore valides?
M. Biswas : Je vais commencer par une analogie. Si vous consultez votre médecin, celui-ci vous fera passer des tests avant de vous dire de quoi il en retourne. Par contre, si vous retournez à la clinique six mois plus tard pour recevoir des recommandations, le médecin vous renverra avant toute chose passer des tests pour obtenir un bilan à jour de votre état de santé.
C’est exactement la même chose pour les sols. Les sols évoluent au gré du climat dans le cadre d’un processus naturel et des changements anthropiques. Dans la gestion des sols et des pratiques de culture, tout se modifie au fil du temps. Ces données doivent être conservées. Avec un peu de discipline, nous cumulerons énormément d’informations. Si en 1954, nous avions développé une carte et que nous examinions l’état du sol ou du taux de carbone actuel, nous verrions un changement de deux points ou trois autres éléments d’information qui nous aideraient à mieux planifier la suite des choses. Nous pourrions déterminer si nous faisons les bonnes choses ou, dans le cas contraire, comment modifier nos pratiques et notre approche. Donc, nous devons actualiser ces cartes; les informations à jour nous aideront à développer une stratégie et à gérer celle-ci efficacement.
Le président : L’initiative serait-elle à l’échelle nationale, ou devrions-nous convaincre chaque province d’y participer?
M. Biswas : Cette stratégie serait appliquée à tous les niveaux de gouvernement. Je ne vois pas comment pourrait fonctionner une stratégie nationale qui viendrait d’en haut; les activités devraient être menées sur le terrain. Nous avons besoin d’informations communes; nous devons agir de façon synchronisée et harmonisée.
Même aujourd’hui, si vous regardez un comté dans le Sud de l’Ontario et que vous le comparez à un autre comté, vous verrez que les cartes ne se ressemblent pas. Si vous essayez de les faire correspondre, vous verrez que leurs lignes de jonction sont complètement différentes, tout comme leur conception, leur échelle et l’époque à laquelle elles ont été dessinées.
Pour mettre au point une stratégie et des pratiques au niveau national pour ensuite les mettre en œuvre à plus petite échelle, que ce soit au niveau de la province ou du comté, nous devrons développer et actualiser cette carte pour qu’il soit facile de revenir plus tard à la carte nationale afin de prendre des décisions judicieuses pour tout le pays.
Le président : Merci.
Madame Diochon, je sais que votre groupe de travail vient tout juste d’être mis sur pied. Pensez-vous qu’il sera en mesure de réunir des informations nationales et harmonisées sur les sols?
Mme Diochon : Je crois que notre groupe sera tout à fait en mesure de le faire, ou au moins d’entreprendre les étapes initiales. Les membres du groupe travaillent chacun dans leur province au sein d’organismes gouvernementaux. En Ontario, nous collaborons avec des groupes de producteurs. Asim, qui est à Guelph, a établi un solide partenariat avec le ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario. Pour ma part, je réalise un projet avec Grain Farmers of Ontario. Une grande partie de nos membres entretiennent ce genre de liens. Nous coopérons avec des organismes provinciaux et fédéraux et avec des groupes de producteurs. Nous sommes nombreux à avoir des contacts et à faire des travaux à la ferme. Je pense que nous avons une base assez solide pour au moins démarrer le processus.
Comme tous ceux qui travaillent dans une organisation, nous trouvons vraiment utile d’avoir des ressources sur place pour appuyer nos projets, y compris sur le plan administratif et de la coordination pour assurer une certaine fluidité. Je suis persuadée que nous avons rallié tous les joueurs importants, c’est-à-dire ceux qui sont en contact avec les groupes de producteurs et les représentants du gouvernement qui peuvent activer les bons leviers.
Le président : Merci beaucoup.
Monsieur Lenz et madame Miller, cette réunion et les réunions antérieures du comité constituent une sorte d’introduction au domaine. Si vous deviez élaborer notre plan de travail, quels enjeux, à votre avis, mériteraient qu’on y consacre du temps de qualité?
Dans ma deuxième série de questions, je vais poser à nos amis de la Société canadienne de la science du sol la même question.
M. Lenz : Merci pour la question, sénateur Black. Je vais parler en premier.
Un domaine dont nous avons très peu parlé aujourd’hui, mais qui se rattache à la santé des sols, est le souci constant des agriculteurs un peu partout au pays d’améliorer le sol. Nous avons beaucoup parlé du carbone ce matin. Toutefois, je pense qu’une part très importante de la composition des sols est l’amélioration de la matière organique. Cette composante contribue à retenir l’humidité et aide les bactéries qui vivent dans le sol à faire ce qu’elles doivent faire. Les caractéristiques des sols varient énormément d’une province à l’autre.
Les agriculteurs connaissent le rôle important de la matière organique dans le sol et la nécessité d’en produire. Selon moi, cet aspect mériterait davantage d’attention. Heureusement, le sol où se trouve ma ferme renferme une concentration assez élevée de matière organique, soit jusqu’à 8 ou 10 %; mes terres sont donc très saines et productives.
Quant à la mise au point d’une carte nationale des sols, la tâche serait titanesque. Soulignons que bon nombre des provinces canadiennes sont aussi vastes que certains pays d’Europe. Cela donne une idée de l’ampleur de la tâche.
Mme Miller : Pour ajouter quelque chose rapidement à l’intervention de M. Lenz, je pense qu’un aspect à considérer est assurément l’analyse des sols, mais il y a d’autres moyens.
Selon une enquête de Statistique Canada, 70 % des agriculteurs analysent leur sol au moins une fois tous les cinq ans. Ces données pourraient-elles complémenter le travail accompli par le gouvernement? Ces informations proviennent d’organisations privées, mais pouvons-nous faire en sorte d’obtenir cette somme de connaissances sans que les agriculteurs se sentent menacés?
Merci.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Simons : Monsieur Lenz, faites attention à ce que vous dites, car je pourrais prendre au sérieux votre invitation et aller visiter votre ferme. Ce ne sera pas ce week-end, mais j’aimerais bien y aller un jour.
Je serais curieuse de savoir la différence entre les cultures durables et l’agriculture traditionnelle. Quelles cultures durables produisez-vous et quels sont les effets de la culture durable sur la préservation de la santé des sols et sur les terres que vous exploitez?
M. Lenz : Merci pour la question, sénatrice. Vous n’êtes pas la première parlementaire que j’invite à la ferme. J’ai une politique portes ouvertes. Le sénateur Black était en Alberta assez récemment, et je pense lui avoir lancé une invitation à lui aussi. Ce sera peut-être pour une prochaine fois.
La durabilité que je pratique à la ferme n’est pas très différente de la durabilité pratiquée dans bon nombre d’autres fermes au Canada. Ce type de culture repose sur le long terme plutôt que sur le court terme. Une partie de la durabilité réside dans la variété des cultures que je produis.
Je produis quatre types de cultures en rotation, car c’est ce qui est le mieux non seulement pour le sol, mais aussi pour ces types de cultures en particulier. Nous fonctionnons selon un horizon à long terme et non pas selon un horizon d’un an. Dans trois à cinq ans, je pense maintenir une exploitation agricole durable sur les plans économique et environnemental.
La plupart des agriculteurs suivent ce modèle. Voilà pourquoi nous effectuons des analyses du sol. Nous voulons connaître sa composition pour utiliser efficacement les engrais et les autres intrants des cultures.
Mon épouse me répète souvent que je fais plus attention à ce que je donne aux cultures qu’à ce que je mange. C’est très vrai. Je recherche activement la durabilité pour les piliers économique, environnemental et social.
La sénatrice Simons : Quelles sont les quatre cultures que vous produisez en rotation?
M. Lenz : Comme bien d’autres agriculteurs albertains, je produis de l’orge brassicole, du canola, du blé et de la féverole.
La sénatrice Simons : La féverole, comme toutes les légumineuses, aide à refertiliser le sol. Je n’emploie pas les termes exacts, mais vous savez ce que je veux dire. Le cycle de vie des légumineuses...
M. Lenz : Oui. Comme la plupart des légumineuses, la féverole est une fixatrice d’azote.
La sénatrice Simons : Ma prochaine question est un peu plus philosophique. Au Canada, les ressources nationales relèvent des provinces. Le gouvernement fédéral réglemente l’eau et l’air parce que ces ressources traversent les frontières, mais traditionnellement, nous permettons aux provinces de réglementer les ressources naturelles qui se trouvent dans leur territoire.
Je suis curieuse de savoir — cette question est peut-être pour le professeur Biswas ou pour Mme Diochon — si ce serait plus compliqué d’avoir une sorte d’organisme national qui analyserait les sols au niveau gouvernemental. En faisant faire ces analyses par les universités, nous éviterions les complications constitutionnelles.
Mme Miller : Puis-je répondre à votre question...
La sénatrice Simons : Bien sûr. Allez-y.
Mme Miller : C’est une question fort pertinente. En agriculture, à peu près toutes nos activités tombent dans un domaine de compétences fédérales-provinciales. C’est une façon un peu spéciale de travailler, mais ce pourrait être pire. En fait, la présence de représentants nationaux et provinciaux à la table ne fait que bonifier les résultats. Nous devons, certes, modifier notre approche, mais il n’y a aucune barrière.
Merci d’avoir donné votre point de vue.
M. Biswas : Merci, madame Miller. Je pense la même chose, car évidemment, le milieu de la recherche est beaucoup moins compliqué, puisqu’il n’est pas restrictif de nature. L’air et l’eau traversent les frontières, mais la formation du sol ne tient pas compte non plus des frontières provinciales. Le sol se constitue naturellement. Il provient de la même matière naturelle de base. Le climat et l’eau influent sur le sol. Par conséquent, la formation et le développement du sol ne sont pas tributaires des frontières politiques ou administratives. La formation du sol se fait à travers le pays.
Malgré les défis logistiques, ces informations devraient être diffusées au-delà de nos organismes pour favoriser une prise de décision plus éclairée pour tout le pays.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Monsieur le président, j’ai une question pour la Société canadienne de la science du sol. Avant cela, cependant, Mme Miller a fait référence à Statistique Canada et au prélèvement d’échantillons de terre. Cela représente une partie de ma question. Je me demandais si Mme Diochon avait quelque chose à ajouter à ce propos.
Mme Diochon : Voulez-vous dire incorporer les résultats du travail à la ferme?
Le sénateur Klyne : Mme Miller nous a expliqué que les agriculteurs prélevaient régulièrement des échantillons de terre et que cela passait par Statistique Canada. Comment peut-on les prélever, les synthétiser et les transmettre en vue d’améliorer les stratégies?
Mme Diochon : En ce qui me concerne, j’aime cette idée parce que les agriculteurs recueillent des données sur leurs propres terres. Pour ce qui est de savoir comment ces données pourraient être transmises, on pourrait mettre au point des dépôts en ligne où les agriculteurs pourraient eux-mêmes les déposer.
Est-ce que ma réponse va bien dans le sens de votre question?
Le sénateur Klyne : Je crois bien, oui.
Mme Diochon : Je voulais en être sûre. D’une certaine façon, cela protège leur identité et leur vie privée — j’imagine que là où je veux en venir —, ils pourraient peut-être y ajouter une forme de GPS ou de coordonnées géographiques et nous pourrions en faire le suivi sur une période donnée. Ce serait une ressource tout à fait extraordinaire.
Dans bien des cas, lorsque les agriculteurs envoient leurs échantillons au laboratoire, ils ont été prélevés en respectant un protocole donné, souvent par un conseiller en cultures agréé ou quelqu’un qui donne des recommandations en matière de gestion des éléments nutritifs. Il existe une forme de normalisation dans le prélèvement des échantillons dans les différents champs. De par mon expérience personnelle en Ontario, les échantillons sont généralement transmis à des laboratoires agréés. Je crois que ce serait une façon extraordinaire d’obtenir davantage d’informations sur les producteurs, sur ce qu’ils font dans leur exploitation. Du point de vue des agriculteurs, il faudrait qu’ils donnent quelques informations. Toutefois, si l’on protégeait leur vie privée, ils seraient, je l’espère, prêts à participer, et nous pourrions aller beaucoup plus loin, au-delà de la ferme de recherche.
Le sénateur Klyne : Merci de votre réponse. Je vous laisse en discuter hors ligne.
Je me réfère à ce que vous proposez comme « assemblée nationale ». Je voudrais y revenir. Je voudrais que vous gardiez le but visé à l’esprit. Je reconnais qu’il existe sans doute une dualité dans les compétences fédérale-provinciales, mais quels sont le but visé, la portée et les objectifs de cette entreprise? Est-ce de s’attaquer à l’idée qu’il n’existe pas, à l’échelle nationale, de données de recherche recueillies, synthétisées et transmises pour améliorer les stratégies? Est-ce là le but visé?
Mme Diochon : Je dirais que c’est pour répondre à certaines différences régionales. Nous avons une bonne idée de la santé des sols. Nous pouvons la définir. Comment nous la mesurons et ce que nous devrions mesurer vont différer d’une partie du pays à l’autre parce que nous avons des sols très différents. Nous avons des systèmes de gestion très différents — comme vous l’avez déjà entendu et comme nous l’avons entendu aujourd’hui —, alors je crois qu’il s’agit de saisir ces différences. Il s’agit de trouver comment progresser de manière constructive. Je vais laisser la parole à M. Biwas.
M. Biswas : Oui, par synthèse, nous entendons que nous voulons le comprendre dans l’ensemble du pays, mais les différences régionales et les gestions régionales pourraient aussi nous aider à établir une meilleure stratégie pour l’avenir. C’est ce que je veux dire par collecte et synthèse. Par la suite, nous communiquerons tout cela afin de répondre aux différences régionales et à l’adoption régionale de pratiques. Comme l’a mentionné M. Lenz, prenez la route pendant une heure et vous pouvez voir trois types de terres différentes — c’est tout à fait vrai. Toutes les terres sont différentes, tout comme la santé ou le corps de chaque être humain sont différents. Chaque terre est différente. Elle devrait être travaillée différemment. Il nous faut comprendre ces différences.
À l’échelle nationale, bien sûr, nous devons comprendre toutes les terres avec la même vision. Mais nous avons aussi besoin de comprendre ce qui se fait à l’échelle locale. Ce sera absolument nécessaire pour avancer. C’est ce que nous voulons dire par synthèse et communication.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Jaffer : Je ne me rappelle plus tout à fait ma question, alors je vais recommencer au début. Je ne l’avais pas notée.
Monsieur Biswas, ce que vous avez dit sur l’organisation nationale m’intéresse beaucoup. J’imagine que, selon vous, ce serait mené par le gouvernement. D’abord, à quoi pensiez-vous exactement?
M. Biswas : Ce ne sera pas une organisation gouvernementale qui dictera l’ensemble du processus. Ce n’est pas ce que nous voulons dire.
Nous pensons à une organisation, à une personne ou à un organisme qui nous aiderait à communiquer. Que nous puissions voir de haut ce qui se passe dans l’ensemble du pays. C’est ce que nous voulons dire par échelle nationale, quelqu’un qui puisse prendre du recul. Quels sont les défis dans l’ensemble du pays, dans les différentes régions, dans les différentes provinces? Comment y trouver des solutions? Prendre un point de vue sur tout le pays, en y incluant le climat, les terres, les différents degrés de disponibilité de l’eau et d’autres informations, et se demander comment ces informations pourraient donner forme à la gestion? Être dans cet espace et travailler uniquement dans une région pourrait être difficile. L’idée n’est pas qu’un organisme dicte ce que vous devriez faire, mais qu’un organisme puisse dans les faits nous aider à communiquer. Il pourrait défendre ce qu’on pourrait faire, mais pas dire quoi faire, parce que toutes les pratiques se font à la base par les agriculteurs et ils appliquent les meilleures pratiques.
Je sais que dès qu’on dit qu’une personne devrait venir leur dire quoi faire, cela devient impossible, car ils sont les meilleurs protecteurs de leurs terres. Ce sont eux qui connaissent le mieux leurs terres. Dans ce cas, nous voulons comprendre l’échelle régionale, mais il pourrait y avoir une instance qui pourrait entendre tout le monde et faire le lien. Elle ne serait pas là pour leur dire quoi faire. C’est ce que je voulais dire lorsque je parlais de communication et de synthèse à l’échelle nationale. Un défenseur, champion ou chef pourrait le faire. C’est la différence que je voulais vous exposer : je ne parle pas de quelqu’un qui vous dirait que vous devriez faire ceci ou cela ou que vous êtes censés faire ceci ou cela. Il s’agit de comprendre ce qui se passe et d’aider à synthétiser les données à l’échelle nationale afin d’améliorer les stratégies. Cela peut se faire, mais nous avons besoin de ressources pour trouver cette personne, ce champion ou un groupe de la sorte. C’est ce que je voulais dire.
En tant que société nationale, les universitaires se rassemblent pour comprendre le problème et essayer de voir ce qui se passe. Dans bien des cas, nous sommes limités en termes de ressources. Nous ne pouvons pas avancer et essayons de faire beaucoup de choses. C’est là que le financement et les ressources nous aideront à mener ce projet.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie. Je ne vais pas m’éterniser là-dessus, mais nous avons peut-être des idées différentes sur tout cela. Je reviens à ma question. Selon vous, que sait le gouvernement de la santé des terres à l’échelle nationale ou provinciale?
M. Biswas : Je crois qu’il a des informations limitées, parce qu’un protecteur de la terre, un agriculteur, connaît quand même mieux sa terre. Lorsque nous essayons de communiquer — chaque exploitation agricole est une entreprise et une organisation —, souvent la communication ne marche pas. Dans bien des cas, et je parle à partir des coulisses, je crois qu’il y a peu de compréhension et qu’il faut l’améliorer. La communication est un sujet qui a été mentionné dans la discussion de ce matin. Il faut parler aux agriculteurs, car ils connaissent le mieux leur terre. Ils appliquent les pratiques exemplaires. Je crois que la compréhension se fait mal, qu’il y a des lacunes. Il faut l’améliorer pour avancer.
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie.
Le sénateur Marwah : J’ai une question relative aux finances que je pose à tous les témoins. Alors que nous continuons à gérer les différentes contreparties, comme le disait M. Lenz, des incitatifs ont-ils été offerts à ce secteur pour les encourager à faire les investissements qui sont nécessaires? Y a-t-il d’autres incitatifs que, selon vous, le gouvernement devrait envisager?
Mme Miller : Je vous remercie de votre question. Je crois que notre analyse nous a démontré que c’était limité.
Les incitatifs ne sont pas nécessairement ce qui marche. J’ai eu l’occasion de parler à tous les minotiers de l’est des États-Unis et du Canada. Nous parlions de l’adoption de la culture sans labour. Ils demandaient, « Comment avez-vous fait? Qu’a fait le gouvernement? », et j’ai répondu, « En fait, le gouvernement n’a rien fait du tout ». Elle a été adoptée parce que cela tombait sous le sens.
Une des choses, pour ce qui est d’en mesurer l’incidence, est d’examiner combien cela ajoutera aux revenus de l’exploitation et combien cela en soustraira. Sans savoir cela, mettre des instruments en place, ce que nous avons entendu, c’est que les instruments sont déjà là maintenant — il y a quelques instruments en place. Il y a la possibilité de services de diversification des modes d’occupation des sols. Ils recherchent des solutions fondées sur la nature. Toutefois, on ne peut s’engager à long terme sans savoir ni comprendre l’incidence que cela aura sur toute l’exploitation.
Ainsi, c’est une bonne idée de fournir du financement, mais il doit s’appuyer sur la réalité et sur la différence que cela va faire lorsque l’agriculteur prendra sa décision. Par conséquent, passer un certain temps à examiner les approches décisionnelles sur une ferme et travailler avec des groupes d’exploitants qui travaillent là-dessus serait extrêmement utile avant de lancer un programme à grande échelle. Je vous remercie.
Le sénateur Marwah : Je vous remercie. Je suis d’accord que toute décision ou tout incitatif doit être axé sur la science, mais nous devons déjà certainement savoir, même à l’heure actuelle, que c’est là qu’il faut investir : ce sont les meilleurs résultats que l’on peut obtenir d’ici un, deux ou trois ans. Est-ce qu’il n’y a rien qu’on puisse mettre en place pour encourager ce secteur ou l’industrie à accélérer les investissements nécessaires?
M. Lenz : Pour compléter les commentaires de Mme Miller, avant que le gouvernement ne lance des programmes, il a besoin de travailler de façon plus directe avec les agriculteurs et les organisations agricoles en vue de leur développement. Des programmes récents ont été lancés et leur portée est très limitée en ce qui concerne la région et la façon de fournir des incitatifs aux agriculteurs.
Je reviens encore aux cultures de couverture. Oui, nous comprenons tous bien ce que les cultures de couverture peuvent apporter aux terres et à l’exploitation, mais dans ma province, là où j’ai mon exploitation, les cultures de couverture ne sont pas viables parce qu’il faut les semer à l’automne après la récolte. Très souvent, dans ces endroits de notre pays situés un peu plus au nord, nous n’avons pas le temps de planter ni de faire partir ces cultures de couverture avant que la neige ne tombe ou que la terre ne soit trop froide pour qu’elles germent et partent. Selon moi, il faut davantage d’engagements de la part du gouvernement et, en particulier, de la part du ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, pour encourager davantage et donner des conseils aux agriculteurs pour la mise en place de ces programmes.
Le sénateur Marwah : Monsieur Biswas et madame Diochon, avez-vous des suggestions à partir de ce que vous avez constaté dans votre travail?
M. Biswas : J’allais ajouter un commentaire. Comme l’a dit M. Lenz, cela fait 30 ans qu’il pratique la culture sans labour, aussi longtemps qu’il a pratiqué l’agriculture. À l’époque, il n’y avait pas d’incitatifs, mais les agriculteurs voulaient l’adopter et cette adoption s’est faite peu à peu parce qu’ils le faisaient pour sauver leur terre, pour le bien de leur terre.
Maintenant, à mesure que nous progressons, nous devons reconnaître ces pratiques. Bien sûr, une politique de financement, une reconnaissance pécuniaire et d’autres choses pourraient aider, mais en même temps, comme Mme Miller l’a dit tout à l’heure, ce que j’ai bien aimé, nous devrions commencer par ce qui est bénéfique et par ce qui serait une meilleure pratique, pas par ce qui ne va pas. Cette reconnaissance pourrait être un financement quelconque à l’avenir. Nous pourrions reconnaître les bonnes pratiques et fournir de l’aide pour qu’ils les continuent.
Le sénateur Marwah : Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup. J’ai une dernière question. Nous n’avons plus d’autres questions sur la liste ni de personnes souhaitant en poser. Alors je m’adresse à vous, monsieur Biswas et madame Diochon, si nous pensons à cette réunion et à celles d’avant, et au fait que ce groupe commence à cerner cet enjeu, quels sont les angles que nous devons approfondir et sur lesquels nous devons passer du temps de qualité lors des réunions du comité et avec les témoins? Quels sont les domaines que nous devrions explorer?
M. Biswas : En ce qui concerne cette réunion et celles d’avant, l’un des aspects importants serait, comme nous l’avons mentionné dans notre exposé, l’éducation concernant la santé de la terre. En même temps, il nous faut comprendre l’état de la terre. À moins que nous ne le connaissions, nous ne pourrons pas prendre de décision pour la suite. Donc, si vous voulez les ajouter, l’éducation et l’information. Je pense que Mme Diochon va peut-être ajouter quelque chose.
Mme Diochon : Oui, je dirais l’éducation, comme l’a dit M. Biswas. Nous nous sommes occupés des terres et de la santé de la terre dans cette réunion. Cependant, pour que le public en général prenne le sujet à cœur et pour que les étudiants de la prochaine génération pensent réellement à la terre et au rôle important que jouent la terre et les terres saines pour créer un environnement prospère, du point de vue de l’économie et de la société, c’est tout autre chose. Avec un climat en évolution, les terres joueront un rôle de plus en plus important.
Le président : Étant donné qu’il n’y a plus de questions, monsieur Lenz, madame Miller, monsieur Biswas et madame Diochon, merci beaucoup de vos exposés et de vos témoignages aujourd’hui. Nous ressentons et nous entendons votre passion pour ce sujet et pour cet enjeu. Votre aide dans le cadre de l’avancement de notre étude est très appréciée. Je voudrais remercier les membres du comité, mes collègues, de leur participation active aujourd’hui encore et de leurs questions judicieuses. Encore une fois, je voudrais remercier ceux qui nous soutiennent dans les coulisses. Nous ne pourrions pas faire ce que nous faisons sans votre aide.
À moins qu’il n’y ait autre chose pour le bien de notre comdité — nous n’avons pas de réunion la semaine prochaine —, la prochaine réunion aura lieu le mardi 18 octobre à 18 h 30 et nous continuerons d’entendre les témoignages de spécialistes dans le cadre de cette étude. Puisqu’il n’y a plus rien, chers collègues, la séance est levée.
(La séance est levée.)