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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 20 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui , avec vidéoconférence, à 9 heures (HE), pour étudier, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Honorables sénateurs, bonjour et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts.

J’aimerais tout d’abord souhaiter la bienvenue aux membres de ce comité et aux témoins, ainsi qu’à ceux qui nous regardent sur Internet. Je m’appelle Rob Black. Je suis un sénateur de l’Ontario et je préside ce comité. Le comité se réunit ce matin pour étudier pour en faire rapport l’état de la santé des sols au Canada.

Avant de céder la parole aux témoins, je demanderais aux sénateurs autour de la table de se présenter, en commençant par notre vice-présidente.

La sénatrice Simons : Bonjour, je m’appelle Paula Simons, et je suis une sénatrice de l’Alberta. Je viens du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Duncan : Bonjour, je m’appelle Pat Duncan, et je représente le Yukon.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Je m’appelle Brent Cotter, et je suis un sénateur de la Saskatchewan.

Le sénateur Mockler : Je m’appelle Percy Mockler, et je représente le Nouveau-Brunswick.

Le sénateur Oh : Je m’appelle Victor Oh, et je suis un sénateur de l’Ontario.

Le président : Merci beaucoup.

Nos témoins se joignent à nous par vidéoconférence aujourd’hui. J’aimerais souhaiter la bienvenue à David. L. Burton, professeur de recherche émérite, Brandon Heung, professeur agrégé, et Derek Lynch, professeur, qui représentent tous la Faculté de l’agriculture de l’Université Dalhousie. Je vous invite à livrer vos remarques liminaires. Nous allons commencer par M. Burton, puis ce sera au tour de MM. Heung et Lynch. Vous disposez chacun de cinq minutes pour vos remarques liminaires. Afin de maximiser notre temps, je vous ferai signe lorsqu’il vous restera une minute.

David Burton, professeur de recherche émérite, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateur Black. Je suis honoré d’avoir l’occasion de comparaître devant ce comité. Je tiens à vous féliciter d’avoir soulevé l’enjeu de la santé des sols devant la nation. Ce comité milite pour la conservation des sols depuis longtemps, et je vous en remercie.

Dans mon témoignage aujourd’hui, j’ai l’avantage de m’appuyer sur les témoignages que vous avez déjà entendus en tant que comité de la part d’un large éventail de pédologues compétents et accomplis. Je ne tenterai pas de répéter ce qui a déjà été dit, mais je soulignerai quelques points soulevés précédemment et offrirai une perspective légèrement différente sur certains d’entre eux. Je ne répéterai pas non plus l’information que j’ai déjà fournie au Comité permanent sur l’atténuation et l’adaptation au changement climatique sur une meilleure gestion des sols, le 3 octobre 2017, ou sur l’état de la santé des sols au Canada atlantique et la façon de l’améliorer, le 7 mai 2019.

Je m’adresse à vous aujourd’hui en tant que directeur du Centre for Sustainable Soil Management de l’Université Dalhousie. Ce centre réunit 35 pédologues et universitaires de disciplines connexes dans six provinces. Notre mission est de faire progresser l’érudition et la recherche dans le domaine de la science du sol, de fournir un point de convergence pour la science du sol, l’éducation et la formation dans le Canada atlantique, et de servir de centre de données national pour la cartographie, la compréhension et l’utilisation intensives des données sur les paysages pédologiques et l’impact de la gestion sur ces paysages. L’objectif du centre est d’encourager l’application des principes de la science du sol pour résoudre les problèmes actuels. Plusieurs de nos projets actuels sont pertinents pour le mandat de ce comité.

Aujourd’hui, je souhaite aborder trois points : premièrement, la nécessité de mesurer la santé des sols, deuxièmement, la nécessité de faire rapport de l’état de la santé des sols, et troisièmement, l’importance de créer une base de données pour héberger ces informations et les rendre accessibles aux gestionnaires des terres.

D’autres ont insisté sur la nécessité de mesurer la santé des sols pour obtenir une image plus complète de l’état actuel des sols et de l’impact de la gestion sur ces sols. Je tiens à souligner que ces mesures doivent être axées sur la santé des sols en tant que mesure de leur fonction. C’est ce qui distingue la santé des sols des mesures précédentes de l’état des sols.

Il a également été mentionné que la matière organique s’avère être l’un des meilleurs indicateurs de la santé des sols. La composante organique des sols fait partie intégrante des fonctions physiques, chimiques et biologiques des sols. La production de cartes numériques du carbone organique de nos sols devrait être une priorité, mais nous devons également aller au-delà de la mesure de la matière organique du sol et passer à des mesures plus avancées qui nous permettent d’évaluer sa nature dynamique, l’état de la communauté biologique du sol et sa capacité métabolique. C’est précisément ce que notre groupe s’efforce de faire.

On a dit également que le rendement des cultures permet d’évaluer la santé des sols. À cet égard, je souhaite offrir un point de vue légèrement différent. Les efforts déployés pour éliminer toutes les contraintes à la croissance des cultures, pour accroître le rendement — la révolution verte, en quelque sorte — ont transformé notre système agricole et l’approvisionnement alimentaire mondial. Cependant, nous apprenons seulement maintenant que cela s’est fait au détriment de la santé de nos sols. Nous avons marchandisé notre système de production agricole, et les pratiques qui assurent cette productivité et la conservation de nos sols sont devenues une dépense trop souvent évitée. Le travail excessif du sol, la surfertilisation et la réduction de la diversité dans les rotations des cultures ont entraîné une détérioration de la santé de nos sols.

S’il est vrai que pour assurer la viabilité économique de nos systèmes de production, nous devons maintenir les rendements, nous ne devons pas le faire au détriment de la durabilité de nos sols, dont dépendent les rendements futurs. Le rendement des cultures n’est pas à lui seul un indicateur de la santé des sols. À mon avis, l’accent doit être mis sur la résilience et la capacité à long terme du système à produire une récolte. Ce sont là des indicateurs plus solides de la santé des sols, plutôt que le rendement maximal des cultures.

Nous ne nourrirons pas le monde en épuisant nos sols.

Lorsqu’il s’agit de mesurer la santé des sols, l’un des principaux problèmes est le coût de la quantification des nombreux aspects du sol qui est nécessaire pour obtenir une image complète de la santé des sols. À cet égard, nous avons la chance de disposer de technologies émergentes qui permettent une caractérisation spectrale rapide et peu coûteuse afin de fournir une caractérisation riche de l’état du sol. Ces technologies pourraient rendre l’évaluation de la santé des sols accessible et abordable, de sorte que la caractérisation de la santé des sols peut être construite à partir d’un riche ensemble de données de mesures, et nous pouvons utiliser ces mesures pour suivre nos progrès dans l’amélioration de la santé des sols. Encore une fois, c’est ce que notre groupe s’efforce de faire.

Ensuite, nous devons non seulement mesurer la santé des sols, mais aussi faire rapport sur l’état de la santé des sols et suivre les répercussions que nos pratiques agricoles et forestières ont sur la santé des sols. Agriculture et Agroalimentaire Canada a déjà publié un rapport, La santé de nos sols, dans le passé, et sa direction générale de l’environnement faisait rapport sur une série d’indicateurs agroenvironnementaux de façon périodique. Le gouvernement devrait être tenu de publier de tels rapports tous les ans et nous devons nous assurer que les indicateurs sont basés sur des mesures de l’état de la ressource du sol plutôt que d’être le produit d’un modèle mathématique basé sur les données du Recensement de l’agriculture.

La gestion durable de nos ressources en sols exige également que les décisions de gestion soient prises en fonction des mesures actuelles de l’état des sols. Nous sommes entrés dans l’ère des mégadonnées en agriculture, où nous disposons d’outils pour comprendre et appliquer une gestion de précision à nos paysages agricoles et forestiers. Nous devons donc non seulement mesurer la santé des sols et en faire rapport, mais aussi créer des bases de données accessibles qui permettent aux gestionnaires d’accéder à ces mesures à des échelles spatiales et temporelles pertinentes pour la gestion agricole et forestière. Encore une fois, notre groupe y travaille.

Je crois qu’au cours de la prochaine décennie, nous allons transformer notre approche de l’information sur les sols et de la gestion des sols et accroître la résilience des paysages agricoles. Mesurer la santé des sols et en faire rapport sera au cœur de cette transformation. Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, monsieur Burton. Nous allons maintenant passer à notre prochain témoin.

Brandon Heung, professeur agrégé, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Honorables sénateurs, je vous remercie de mener l’étude sur la santé des sols et de nous permettre de comparaître devant vous aujourd’hui.

Mon témoignage est le résumé d’une déclaration écrite qui a été remise à la greffière du comité le 13 octobre.

Mon domaine de recherche est la cartographie numérique des sols, une discipline de la science des sols qui s’appuie sur l’analyse des mégadonnées, la télédétection et l’intelligence artificielle pour évaluer les indicateurs de la santé des sols. Je suis également coprésident du Groupe de travail canadien sur la cartographie numérique des sols, un réseau national qui regroupe plus de 70 chercheurs en cartographie des sols issus du gouvernement et du milieu universitaire.

Enfin, j’ai également été l’auteur principal d’un chapitre sur la cartographie numérique des sols du manuel Digging into Canadian Soils.

Laura L. Van Eerd a décrit la santé des sols comme la capacité du sol à faire des choses en fonction de sa capacité à fonctionner et à fournir des services écosystémiques, et mes recherches nous indiquent où le sol peut faire certaines choses.

Dans le contexte international, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ou FAO, a créé le Partenariat mondial sur les sols en 2012 et le Groupe technique intergouvernemental sur les sols en 2013. Dans ce cadre, la communauté scientifique a convenu que, malgré le fait que les connaissances et les données sur les sols dans le monde sont abondantes, elles sont souvent dispersées et partielles, elles sont non harmonisées et inaccessibles à un large éventail de parties prenantes. Compte tenu de ce large consensus, le quatrième pilier du Partenariat mondial sur les sols porte sur l’information et les données sur les sols.

De plus, comme l’exigent les Nations unies, le Canada est tenu de déclarer les puits et les sources de carbone dans les terres gérées. Ainsi, la disponibilité de données spatiales sur les sols est essentielle pour nous permettre de surveiller et de vérifier l’état de nos sols et d’en faire rapport et de respecter nos engagements internationaux.

Alors qu’une grande partie du monde développé a adopté l’utilisation des techniques de cartographie numérique des sols, il s’agit encore d’un domaine de recherche émergent au Canada, qui a pris racine vers 2010. En 1996, le Centre de recherches sur les terres et les ressources biologiques d’Agriculture Canada a été fermé. Les activités de levé pédologique ont été dissoutes et le personnel a été réaffecté, laissant de vastes étendues de terre non cartographiées. En fait, nous avons pris 15 ans de retard sur d’autres pays qui continuent d’appuyer leurs programmes liés à l’étude des sols. Une grande partie de notre pays s’appuie encore sur les cartes pédologiques provinciales, dont certaines n’ont pas été mises à jour depuis les années 1940.

Dans mon mémoire, j’ai inclus des exemples de l’Union européenne et de l’Australie, qui ont fait un travail phénoménal dans le développement et la gestion de leur infrastructure de données numériques sur les sols. Bien que nous ayons 15 ans de retard, nous avons fait de grands progrès et nous sommes en train de rattraper notre retard.

Avant 2010, seulement neuf documents de recherche ont été produits par des Canadiens sur la cartographie des sols canadiens. Depuis, ce nombre est passé à 52. Nous sommes également de plus en plus reconnus par la communauté internationale de cartographie des sols.

En outre, le Groupe de travail canadien sur la cartographie numérique des sols, sous les auspices de la Société canadienne de la science du sol, a été créé en 2016. À ce jour, nous avons élaboré et livré une carte nationale sur le carbone dans les sols pour contribuer au produit constitué par la FAO en 2017. Cependant, la portée et l’ampleur des activités et le manque de ressources centralisées, ainsi que l’énorme masse terrestre et à l’écosystème diversifié du Canada continuent de créer des défis supplémentaires pour les futures initiatives de cartographie.

Pour faire avancer les choses, je propose une série de cinq défis liés aux données pédologiques.

Premièrement : la communication des données. La communauté de la science des sols devra élaborer un cadre d’échange de données qui répond aux exigences du milieu universitaire, du gouvernement et de l’industrie, tout en respectant le droit à la vie privée. Il faut concevoir des outils de politique pour encourager la communication des données et cela devrait être exploré.

Deuxièmement : la participation de l’industrie. L’industrie est un important détenteur de données et ses données constituent une ressource précieuse si nous voulons améliorer nos produits cartographiques.

Troisièmement : la mise à jour et l’harmonisation des bases de données sur les sols. Nos ensembles de données doivent avoir une structure commune, être accessibles aux chercheurs, être faciles à mettre à jour et être compatibles avec les dépôts de données internationaux.

Quatrièmement : la gestion des données à long terme. Les données doivent être conservées et mises à jour et, idéalement, gérées par un organisme indépendant composé de chercheurs du monde universitaire et du gouvernement. L’institut national de la santé des sols, dont il est question, pourrait servir de foyer pour ces données. L’indépendance est essentielle pour garantir que notre infrastructure nationale de données ne soit pas menacée par les changements de gouvernement.

Cinquièmement : le financement durable. Nous n’avons pas les ressources financières qu’il faut pour maintenir nos efforts et pourtant, la communauté des sciences des sols et le Sénat ont indiqué que la modernisation de l’information sur les sols constitue une question hautement prioritaire. Nous pouvons utiliser un financement typique à court terme d’un à cinq ans comme tremplin pour créer une plateforme de données sur les sols, mais il sera impossible de la soutenir à long terme.

Le groupe de travail sera en mesure de se conformer aux normes établies par l’Australie et l’Union européenne, mais il faut des ressources substantielles pour le faire.

Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé.

Le président : Merci beaucoup.

Derek Lynch, professeur, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Honorables sénateurs, je tiens à remercier le comité de son invitation et de l’occasion qui m’est donnée de contribuer à cette initiative très importante sur la santé des sols. Depuis presque 20 ans, mes recherches en agronomie et en science des sols portent sur la conception de systèmes agricoles et de systèmes de culture et sont axées sur la productivité, la gestion des éléments nutritifs et la santé des sols. Une grande partie de ces recherches ont été menées dans des fermes commerciales, principalement dans l’Est du Canada.

Plus récemment, nous avons commencé à explorer de nouveaux outils, la cartographie numérique des sols et les approches spectrales. Aujourd’hui, j’aimerais vous parler un peu plus de la matière organique du sol en ce qui concerne la santé du sol, puis souligner quelques points à retenir des études menées dans le Canada atlantique.

Comme on l’a dit, la matière organique du sol est l’élément clé de la santé du sol. En fait, lorsque nous incorporons des résidus de culture dans le sol, 60 ou 70 % sont utilisés et décomposés au cours de la première année par le biote du sol. Il y a de nombreux bienfaits pour la santé du sol, notamment la libération d’éléments nutritifs et d’autres fonctions ou services écosystémiques. Il est important de noter que le carbone dans le sol existe dans différents réservoirs ou différentes fractions. Dans certains cas, il est très dynamique et dans d’autres, il est stocké. Il y a les qualifications « mort-vivant » ou « très mort ». On peut également l’imaginer sous la forme d’un compte de chèques ou d’épargne. Une très petite partie de notre carbone ajouté se retrouve dans la fraction stockée, ou « d’épargne », ce qui constitue un défi par rapport à notre objectif de séquestration du carbone en agriculture.

En outre, certaines cultures ont très peu de résidus, comme les pommes de terre, le soja, le maïs à ensilage et les cultures en rangs comme les légumes. Ainsi, leur fréquence accrue constitue un défi pour le maintien de la santé des sols.

En ce qui concerne les études menées dans le Canada atlantique, il y a environ 15 ans, nous avons fait des travaux sur quatre exploitations de pommes de terre différentes à l’Île-du-Prince-Édouard dont les rotations étaient très longues. Nous avons montré que la teneur totale en carbone changeait très peu, mais que la santé du sol se détériorait pendant la phase de culture de la pomme de terre en raison de la perturbation et des faibles résidus. Or, cette situation s’est rétablie au cours des trois à quatre années plus longues de culture de céréales et de plantes fourragères, ce qui montre les avantages que procure une rotation diversifiée.

Or, plus récemment, à l’Île-du-Prince-Édouard, Mme Judith Nyiraneza, d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, a montré, en suivant la rotation minimale de trois ans dans des exploitations de pommes de terre, où des céréales et des plantes fourragères étaient aussi cultivées, que la teneur en carbone dans le sol continuait à diminuer parce que même si la rotation était diversifiée, les résidus — la paille et le foin — étaient déplacés hors de l’exploitation.

Dans des travaux plus récents portant sur des exploitations agricoles très différentes, nous avons montré les avantages que procuraient l’amendement du sol et le travail réduit du sol pour améliorer la santé des sols dans le Canada atlantique.

En résumé, nous avons les quatre piliers du piégeage du carbone : rotations, résidus, retour du fumier et intensité du travail du sol. Presque parallèlement aux quatre piliers de la gestion de l’azote, il y a les quatre piliers de base de la gestion du carbone ou, comme l’a décrit Laura Van Eerd, les six pratiques de la gestion du carbone. Or, l’inclusion de plantes fourragères ou la conservation de résidus dans les exploitations agricoles représentent probablement un coût pour le producteur. Nos recherches doivent peaufiner l’approche pour chaque exploitation agricole sur les plans techniques et agronomiques, mais il doit également s’agir de recherches socioéconomiques.

Quelle est la place des cultures de couverture? Dans l’Est du Canada, nous avons beaucoup de preuves solides de leurs avantages agronomiques pour la culture commerciale suivante, mais beaucoup moins de preuves de leurs avantages pour ce qui est du carbone dans le sol et de la santé du sol.

En conclusion, j’aimerais faire écho aux recommandations des témoins précédents et de mes collègues concernant la nécessité d’un leadership national, d’un institut et d’une base de données nationale pour définir des points de référence concernant l’état des sols et leur santé. J’insiste également sur la nécessité de mener des recherches agronomiques et socioéconomiques locales afin de trouver des solutions de gestion intégrée pour améliorer la santé des sols et le carbone du sol. Merci beaucoup.

Le président : Merci beaucoup. Merci à tous nos témoins. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. C’est notre vice-présidente qui commence.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, monsieur le président. Mes questions s’adressent à M. Heung. Je suis fascinée par la technologie que vous décrivez. Je me demande si vous pouvez profiter de cette occasion pour nous en dire plus sur la façon dont la cartographie numérique des sols fonctionne concrètement. Ensuite, à l’heure où nous parlons de séquestration de carbone et où nous souhaitons peut-être créer des marchés du carbone viables, votre technologie peut-elle confirmer la quantité de carbone qui est séquestrée par une exploitation agricole?

M. Heung : Oui. Je vous remercie de la question.

Tout d’abord, je vous renvoie à notre chapitre, que j’ai inclus dans les documents que je vous ai soumis. Pour résumer la cartographie des sols en quelque chose de très simple, elle se compose de trois éléments.

Le premier est l’observation des sols géoréférencés. Quelqu’un sort. Il a un GPS. Il prend une mesure. Il fait une analyse en laboratoire. C’est le premier élément. C’est celui qui est le plus difficile à réaliser, car sortir, recueillir des échantillons et faire des analyses en laboratoire coûte très cher.

Le deuxième élément, ce sont les prédicteurs environnementaux. Ils peuvent être tirés de données de télédétection, mais aussi de données de modèles climatiques. Ces données sont de plus en plus accessibles à la communauté de la modélisation.

Enfin, il y a une sorte de mégadonnées ou d’algorithme d’apprentissage automatique qui lie la relation entre nos observations du sol et les variables environnementales, les cartes, la couche que nous utilisons pour faire ces prédictions.

De ces trois éléments, c’est le premier qui est le plus difficile à réaliser. C’est sur ce point que nous devrions concentrer notre attention. Nous avons fait un certain travail en ce qui concerne l’harmonisation des données à l’échelle nationale, mais c’est encore un processus très difficile parce que nous essayons toujours de trouver tous les ensembles de données.

Nous savons assez bien où trouver les données des universités et des gouvernements. Mais je pense que ce sont les intervenants de l’industrie qui détiennent la plus grande quantité de données et nous devrions donc en parler avec eux.

En ce qui concerne votre deuxième question sur la séquestration du carbone dans le sol, il existe effectivement des outils que les cartographes qui produisent des cartes numériques du sol peuvent utiliser pour cartographier le potentiel de séquestration dans nos sols. Dans l’ensemble, la cartographie du potentiel de séquestration du carbone est une activité importante, car elle nous permet de hiérarchiser nos stratégies d’atténuation du changement climatique et de répartir nos ressources adéquatement.

Pour estimer le potentiel de séquestration, nous avons besoin d’un répertoire de données sur les sols, que ce soit au niveau des exploitations agricoles ou au niveau national. Les échantillons doivent provenir de partout au pays. Une fois que nous disposerons de ces renseignements, nous pourrons estimer la quantité de carbone présente dans le sol et la quantité maximale de carbone qui pourrait être séquestrée dans le sol. Bref, la différence entre les deux représente notre potentiel de séquestration du carbone.

De manière générale, nous pouvons effectivement tirer parti de certaines technologies à l’échelle de l’exploitation agricole en utilisant des outils tels que des drones et des détecteurs. Mais, encore une fois, on doit trouver un moyen rentable de faire l’échantillonnage du sol et d’en faire l’analyse.

La sénatrice Simons : J’aimerais connaître les répercussions de tout cela sur la protection de la vie privée. Est-il possible d’utiliser des drones, la technologie des satellites et de l’équipement de détection pour estimer la santé des sols sans la permission des propriétaires ou faut-il d’abord se rendre sur le terrain pour prendre des mesures de base?

M. Heung : Cela dépend de l’étendue du territoire à cartographier. Si on cartographie une exploitation agricole individuelle, on doit obtenir l’autorisation du propriétaire pour utiliser ses données.

À l’échelon national, nous pouvons utiliser l’imagerie satellitaire et d’autres techniques semblables. Mais, encore une fois, il faut obtenir beaucoup de données provenant de tous les coins du pays pour être en mesure de faire ces types d’évaluations.

Il est absolument essentiel d’avoir un répertoire national, car plus nous en savons sur les sols de nos voisins ou de la province voisine, plus nous comprenons les nôtres. Seul un effort national coordonné en la matière permettra de concrétiser ce projet.

Le sénateur Klyne : Je trouve aussi que c’est un sujet fascinant. Il est intéressant d’en arriver là après tous les témoins que nous avons entendus. Un enjeu qui revient souvent concerne justement le manque de collecte de mégadonnées et la capacité de synthétiser ces données.

Certains efforts sont en cours pour commencer à élaborer une stratégie nationale et un plan de travail qui permettraient de collecter ces données. D’une certaine manière, il me semble que c’est une occasion de collaborer avec les personnes qui ont de la difficulté à obtenir des données. Il faut certainement éviter le chevauchement, mais il me semble qu’il existe une possibilité de s’aider mutuellement.

Je dois présumer que la cartographie pédologique numérique n’est pas qu’une simple image virtuelle qui donne une représentation précise d’une zone donnée. Je présume qu’il s’agit d’une combinaison d’inspections sur le terrain, comme vous le disiez, d’extrapolations et, bien entendu, de connaissances spécialisées. Visiblement, ces compétences ne font pas défaut à nos trois témoins.

Les prévisions et leur application m’intéressent beaucoup. Prélevez-vous des échantillons sur le terrain des sols que vous cartographiez? Y a-t-il une possibilité de collaborer et de tirer parti de ces deux éléments, c’est-à-dire les personnes qui tentent d’obtenir des résultats de recherche et les nombreuses recherches que vous semblez avoir déjà menées?

J’aimerais que vous me précisiez si vous collectez des données sur les sols ou si vous utilisez les données sur les sols déjà collectées par Statistique Canada. Comment tout cela fonctionne-t-il? Comment collaborez-vous avec les chercheurs qui travaillent sur les sols?

M. Heung : Oui. À titre de coprésident du groupe de travail, j’ai l’occasion de collaborer avec des chercheurs du gouvernement et des chercheurs universitaires de tout le pays. Grâce à ce processus, plusieurs programmes liés à l’étude des sols sont en cours un peu partout au pays. L’Ontario, par exemple, a pris les devants à cet égard, tout comme la Colombie-Britannique.

En Ontario, par exemple, il y a le programme lié à l’étude des sols d’Ottawa-Peterborough, dans le cadre duquel des personnes collectent une densité assez élevée d’échantillons et les utilisent ensuite pour cartographier les sols et faire des prévisions sur leurs propriétés. Il est ensuite possible de faire évoluer ces modèles de prévisions, mais aussi de les confirmer et d’évaluer leur rendement.

Enfin, en plus d’obtenir une mesure de précision indiquant que nos prévisions liées au carbone dans le sol sont exactes à 70 %, nous fournissons également des estimations de l’incertitude. C’est une exigence mondiale qui a été mise en place par l’organisme international GlobalSoilMap.Net.

Le sénateur Klyne : Est-ce que les autres témoins ont le temps de faire des commentaires à ce sujet?

Le président : D’autres témoins souhaitent-ils faire des commentaires?

M. Lynch : Oui, j’aimerais formuler quelques commentaires.

M. Heung et moi-même avons récemment collaboré à un projet de cartographie. La question est un outil très utile pour ceux d’entre nous qui aiment aller sur le terrain, recueillir des échantillons et prendre des mesures directes.

L’un des défis qui se posent dans la séquestration du carbone dans le sol, c’est qu’il faut gérer une grande quantité de carbone. On utilisera donc une nouvelle pratique de gestion pour tenter d’avoir une idée de la variabilité à laquelle on fait face. Il faut séparer les éléments pertinents des données générales, en quelque sorte, puisqu’on a introduit une nouvelle pratique plus efficace. Peut-on détecter les variations? Quels sont les défis posés par cette variabilité?

Dans le cas, par exemple, des projets de laboratoires vivants en cours à l’échelle du pays, c’est-à-dire les projets sur les exploitations agricoles qui visent à examiner les pratiques exemplaires en matière de gestion qui permettent d’accroître la quantité de carbone séquestrée dans le sol, la cartographie pédologique numérique est une application très utile pour aider à effectuer une analyse comparative entre les stocks de carbone et les variations sur les exploitations agricoles. Grâce à cet outil d’interpolation, on n’a plus besoin de recueillir un nombre si élevé d’échantillons.

Le sénateur Cotter : J’aimerais remercier les témoins. Leurs réponses nous aident à comprendre les enjeux relatifs à la santé des sols.

Le sol est différent de l’air et, dans une certaine mesure, différent de l’eau, c’est-à-dire que les sols particulièrement productifs ont tendance à appartenir à des intérêts privés. Il est donc beaucoup plus facile de prendre des mesures relatives à l’air que d’obtenir l’accès nécessaire pour prendre des mesures relatives aux sols.

Voici donc ma question. Si nous cherchons à obtenir des données exhaustives à des fins diverses, y compris pour des enjeux liés à la séquestration dans les sols, quels sont les mécanismes par lesquels nous pouvons inciter ou obliger les producteurs à participer à la collecte du type de renseignements que vous jugez essentiels?

Cette question s’adresse peut-être à chacun des trois témoins, car il me semble qu’elle influence vos travaux actuels et les travaux qui devraient, à votre avis, être menés à l’avenir.

M. Burton : La clé du succès consiste à expliquer aux collaborateurs ce qu’ils gagnent à participer à un tel projet. En effet, si nous pouvons démontrer aux producteurs qu’en collaborant à la mise sur pied d’une base de données plus grande, ils obtiendront en retour de meilleurs renseignements pour leurs propres systèmes, ils seront beaucoup plus motivés. Lorsque les producteurs ou les intervenants de l’industrie ont quelque chose à gagner dans un projet et qu’ils comprennent la valeur collective de leurs efforts de collaboration et de coopération, ils sont tout à fait disposés à coopérer.

Bref, c’est ma suggestion.

M. Heung : Je suis d’accord avec tout ce que vient de dire M. Burton.

J’ajouterais également qu’une analyse de rentabilisation précise doit être menée pour chaque industrie. Le secteur privé est diversifié et ses besoins le sont aussi. Les industries agricole, forestière, énergétique et minière sont toutes concernées par les données liées aux sols.

Ainsi, pour obtenir la coopération de l’industrie dans le partage des données, il faut mener une analyse de rentabilisation pendant les activités de mobilisation, mais je recommanderais au Sénat d’explorer également certains des outils stratégiques à sa disposition — autrement dit, les moyens d’incitation et de dissuasion — pour y parvenir. On a beaucoup parlé des pratiques exemplaires en matière de gestion et je pense que le partage des données devrait en faire partie.

M. Lynch : Oui. Je tiens à ajouter qu’il existe de nombreux programmes qui sont assez innovateurs et qui réussissent à mobiliser les producteurs. Ils aident aussi les producteurs à s’entraider et à échanger des conseils. Citons par exemple le Fonds d’action à la ferme pour le climat, ou le FAFC, dont nous avons entendu parler et qui est un moyen très important de développer ces nouvelles technologies.

J’aimerais cependant préciser qu’à mon avis, la santé des sols intéresse beaucoup les producteurs. On a récemment mené des études sociales sur les raisons pour lesquelles les agriculteurs adoptent des pratiques exemplaires en matière de gestion. M. Alfons Weersink a récemment mené, par exemple, une étude sur six pratiques exemplaires en matière de gestion utilisées dans 250 exploitations agricoles de l’Ontario. On a demandé aux agriculteurs pourquoi ils avaient adopté ces pratiques pour la conservation et la santé des sols. De 80 à 90 % d’entre eux ont répondu qu’ils l’avaient fait pour des raisons liées à la santé des sols, et pas nécessairement parce que cela permettait d’alléger ou de réduire les coûts des intrants ou parce que c’était nécessairement rentable.

La santé des sols est une notion très inclusive. Certaines des études sociales que nous avons menées au Canada atlantique ont également révélé que les producteurs s’intéressaient grandement à la santé des sols pour des raisons liées à l’intendance. C’est important de le souligner.

Le président : Je vous remercie beaucoup.

Je constate qu’il nous reste 25 minutes. Nous avons plusieurs intervenants, et nous allons donc continuer.

La sénatrice Petitclerc : Je remercie les témoins d’être ici aujourd’hui.

Ma question s’adresse à M. Burton. Monsieur Burton, j’aimerais parler d’un extrait d’un article de CBC qui date de 2020 et dans lequel vous avez déclaré, à la toute fin, qu’il était nécessaire d’avoir des sols plus résilients, car ils soutiendront la production alimentaire et fourniront des biens et services environnementaux indéfiniment.

Je trouve cela très intéressant. C’est ce que nous avons entendu ici, au sein du comité, et pourtant, nous entendons aussi parfois dans les médias et au sein de la population que le fait d’accorder la priorité à la santé des sols n’est pas compatible avec la productivité agricole — peut-être que ce n’est-ce pas une pratique durable — ou l’idée répandue que l’on ne peut pas nourrir les Canadiens avec ce modèle.

J’aimerais seulement que vous nous indiquiez ce que, selon vous, nous pouvons répondre à de telles affirmations. Que disons-nous aux Canadiens qui se posent ces questions ou éprouvent ces craintes?

M. Burton : Je vous remercie beaucoup de votre question. La résilience est une notion qui prend des années à se réaliser. C’est une question de long terme, et c’est une perspective à plus long terme de notre capacité à produire des aliments.

Nous avons traversé la révolution verte et les décennies qui ont suivi. Nous avons déployé des efforts principalement axés sur les produits de base, sur l’intensité de la production, sur l’augmentation des rendements, sur l’ajout de nutriments et sur les pratiques permettant d’accroître les rendements.

Je pense que nous sommes maintenant à un point, en Amérique du Nord, où un grand nombre des limites de rendement ne sont plus liées aux nutriments, mais aux conditions météorologiques ou à l’état des sols. La résilience permet de repousser ces limites en renforçant la capacité de rétention d’eau du sol, en augmentant la résistance à l’érosion, etc. C’est cette résilience qui permettra de soutenir nos rendements. Dans la plupart des cas, ces limites ne sont plus liées à l’azote ou au phosphore, mais aux conditions de culture.

C’est la raison pour laquelle la résilience est l’une des préoccupations principales, et c’est la raison pour laquelle la santé des sols intègre la notion de résilience.

Cela entraîne en quelque sorte un changement de mentalité. On se concentre moins sur la fertilité des sols pour adopter une approche beaucoup plus holistique qui tient compte de la relation entre les systèmes de culture et la capacité globale des sols. Encore une fois, c’est en partie la raison pour laquelle la santé des sols est une notion qui permet de mobiliser véritablement les producteurs, car elle est grandement liée à la notion de productivité à long terme des sols.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie.

Le sénateur Oh : Je remercie les témoins.

J’aimerais dire que l’Université Dalhousie est une excellente université en matière de recherche agricole. Je me souviens qu’il y a sept ans, les membres de notre comité ont visité cette université. C’était formidable. Cette visite était organisée par le sénateur Mockler, qui est ici aujourd’hui. Je pense qu’il est temps que nous retournions visiter cette université.

Ma question s’adresse à M. Heung. Je crois savoir que vous travaillez pour le Service canadien des forêts. Quelles sont les principales influences des forêts sur les conditions climatiques et quelles répercussions la dégradation des forêts aura-t-elle sur ces conditions? Quelles sont les principales menaces pour la santé des sols qui causent aussi la dégradation des forêts?

M. Heung : Je vous remercie de votre question. Oui, j’ai travaillé pour le Service canadien des forêts pendant environ quatre mois.

Les forêts jouent un rôle absolument essentiel. La plus grande partie de notre pays est boisée, et les forêts représentent l’un des principaux réservoirs de carbone. Nous devrions donc déployer de grands efforts pour nous assurer que ce carbone ne soit pas libéré.

Je dirais que les principales menaces sont la conversion des terres, par exemple la conversion des forêts en terres agricoles, ou la déforestation. Parmi les menaces qui pèsent sur la santé des sols et leur productivité à long terme, on compte le compactage et l’élimination de la matière organique. Des études à long terme sur les sols ont indiqué que ce sont les plus grandes menaces, et j’ai tendance à être d’accord avec cette évaluation.

Le sénateur Oh : D’accord. Je vous remercie.

Le sénateur Marwah : Je remercie les témoins de comparaître devant le comité aujourd’hui.

Ma question s’adresse aux trois témoins. Elle s’inscrit dans le contexte d’un commentaire formulé par M. Heung au sujet des cinq défis liés à la gestion des données et des sols. Il s’agit du vieux dicton selon lequel si on ne peut pas mesurer une chose, on ne peut pas la gérer.

Cela dit, comment faut-il procéder? Faut-il créer un organisme national qui serait responsable de cette gestion ou qui agirait à titre de champion de la gestion des données liées aux sols? Le cas échéant, devrait-il s’agir d’un organisme gouvernemental, quasi gouvernemental ou dirigé par le secteur privé?

L’un des témoins pourrait-il nommer des instances qui ont réussi à mettre en place une excellente stratégie de collecte et de gestion des données sur les sols, etc.? Je vous remercie.

M. Burton : Dans le cadre d’un témoignage précédent, Mme Bedard-Haughn a suggéré l’adoption d’une approche fédérale, et c’est aussi mon avis. Le problème, c’est que si on confie cette responsabilité à une seule entité, si le mandat de cette entité change, certaines choses peuvent passer entre les mailles du filet, et la mission pourrait en souffrir. C’est en partie ce qui est arrivé à notre système canadien de classification des sols. Agriculture et Agroalimentaire Canada s’en est occupé pendant plusieurs décennies, mais ce ministère ne considère plus qu’il s’agit d’une priorité, et ce programme stagne donc depuis un certain temps.

Une initiative qui combine des institutions gouvernementales et universitaires dans une sorte de fédération dirigée par un organisme responsable — peut-être le Conseil canadien de conservation des sols ou la Société canadienne de la science du sol, un organisme qui compte de multiples intervenants de l’industrie, du gouvernement et du milieu universitaire — représente une bonne façon de coordonner un tel projet. Toutefois, je pense qu’il faut adopter une approche fédérale dans le cadre de laquelle plusieurs institutions universitaires ou gouvernementales participent à la création d’un système d’entreposage des données doté d’une redondance. De cette façon, aucun organisme ou aucune institution unique n’est responsable de son entretien. Il faudrait également conserver ces données dans plusieurs endroits, de sorte qu’elles pourront durer de nombreuses années.

Comme l’a dit M. Heung, il ne faut pas bâtir un tel système seulement pour le laisser s’effondrer à nouveau. À partir de maintenant, cette approche doit sous-tendre toutes nos activités en matière d’agriculture et de foresterie.

Qui financera ce genre de projet? Comme c’est le rôle des gouvernements de le faire, il faut faire appel à des organismes de l’État, mais en fédérant les volontés.

M. Heung : C’est une grande question que celle du bailleur de fonds. De façon générale, beaucoup d’entre nous, dans le groupe canadien de travail sur la cartographie numérique des sols, et — on peut le croire — au comité proposé de la santé du sol, à la Société canadienne de la science du sol, pourraient héberger ces types d’engagements.

Mais aucune de ces tribunes ne possède les ressources financières pour prendre en charge des projets de centralisation de nos infrastructures de données pédologiques. En conséquence, beaucoup d’entre nous ne peuvent compter que sur eux-mêmes dans leurs propres travaux de recherche. Par exemple, pour mon travail d’inventaire des sols en Colombie-Britannique, pour la province, nous travaillons en étroite collaboration avec les ministères de la province, quand nous renouvelons l’ensemble des données de la province sur les sols, mais, en même temps, nous coordonnons nos efforts avec ceux de nos homologues de Ressources naturelles Canada, du ministère de l’Agriculture, de l’Alimentation et des Affaires rurales de l’Ontario, le MAAARO, et de la Nouvelle-Écosse pour assurer une structure commune aux données. Quand se présente l’occasion de créer un ensemble national de données, une grande partie du travail préparatoire est déjà faite.

Mais, faute d’une organisation officielle, ces travaux se poursuivront officieusement.

M. Lynch : Je suis d’accord avec mes collègues. L’avantage supplémentaire d’une présence du secteur privé — qui détient beaucoup de données — est d’en faciliter le partage. Pour de multiples raisons, cet organisme national doit donc être mixte.

J’y vais d’une remarque connexe sur la collecte de données dans les provinces pour souligner ce que font certaines d’entre elles. L’Île-du-Prince-Édouard, en particulier, a, depuis 20 ans, un réseau de 300 sites géoréférencés de surveillance de la qualité des sols. En agriculture intensive, c’est d’une utilité absolument inestimable pour suivre l’évolution de la qualité et de la santé des sols et édifier une politique sur ces bases.

Nous discutons aujourd’hui du rôle national, mais le partenariat avec les provinces pour la surveillance à long terme pourrait également avoir un rôle très important.

Le sénateur Marwah : Quelqu’un, parmi vous, pourrait-il parler de nos premiers de classe au Canada?

Le président : Très rapidement, s’il vous plaît.

M. Heung : Sur le plan de la gestion des données, je pense que la Colombie-Britannique et son ministère de l’Environnement et de la Lutte contre le changement climatique ont fait de l’excellent travail de compilation de données pédologiques et ont noué avec nous une excellente collaboration pour leur analyse. En Ontario, le MAAARO a accompli un travail exceptionnel en orientant les investissements vers la prospection pédologique et l’avancement de la recherche sur la cartographie numérique des sols. Voilà d’assez bons exemples de la belle marche du progrès.

Le sénateur Mockler : Je relance les témoins sur certaines questions déjà posées, en commençant par une du sénateur Marwah.

Rétrospectivement, on peut dire que les meilleurs inventeurs de l’humanité sont des agriculteurs. C’est particulièrement évident grâce au rapport qui unit notre pays à nos laboratoires universitaires de recherche et aux joueurs du secteur.

Selon vous, qui êtes d’excellents informateurs, quelle région de notre pays serait la championne de la santé des sols? Pouvez-vous les classer?

M. Burton : Je peux peut-être commencer. Les Prairies offrent l’avantage de posséder des systèmes culturaux très extensifs et elles ont conduit à l’adoption du travail réduit du sol, ce qui a permis une augmentation spectaculaire de la teneur des sols en matière organique. Certains des sols de la région sont peut-être ceux dont le rétablissement après le choc de la culture intensive est le plus vigoureux.

L’un des indicateurs agroenvironnementaux souvent présentés est une carte de la teneur des sols en carbone organique au Canada, qui montre une vaste étendue de verdure dans le triangle de Palliser, signe d’une augmentation de cette teneur. C’est un exemple de la très grande utilité d’une pratique particulière.

Dans l’est du Canada, c’est un peu plus difficile, en raison de la pluviosité plus intense et des systèmes plus intensifs de production. Cette intensité beaucoup plus forte rend beaucoup plus difficile la soutenabilité des teneurs en matière organique. Le défi est plus grand. Nous devons y prêter attention. Nous pouvons nous inspirer de l’Ouest, où la santé des sols a profité de rotations plus diversifiées, de la réduction de la jachère et de celle du travail du sol.

Le président : D’autres observations?

M. Lynch : Les propos de M. Burton m’amènent à préciser que l’Est, qui n’est pas semi-aride, n’est pas limité par le manque d’eau. On peut intégrer les plantes couvre-sol sans crainte de manquer d’eau. Dans cette région, beaucoup de producteurs le font, de façon très innovante, dans leurs systèmes agronomiques.

Nous vivons donc une époque très stimulante de cet aspect innovant de l’agronomie dans cette région.

Le sénateur Mockler : Merci.

Vous avez laissé entendre que l’une des difficultés est le partage des données. Les agriculteurs sont les meilleurs juges du changement climatique. Voyons un peu la séquestration, pour donner suite à la question de la sénatrice Simons. Les agriculteurs doivent voir les avantages à long terme de la modification de leurs techniques agronomiques. Compte tenu du changement climatique, quelle stratégie les inciterait à immobiliser le carbone dans les sols arables et comment les convaincre de l’adopter?

Le président : Vous disposez d’une minute.

M. Burton : Je peux peut-être commencer. Les frais entraînés par l’échange des droits d’émission du carbone posent souvent un problème financier au stockage du carbone dans le sol.

Essentiellement, c’est une stratégie de gestion des risques. L’augmentation des teneurs du sol en carbone diminue les risques météorologiques. Les trains de mesures de gestion des risques pour l’entreprise institués par Agriculture Canada sont peut-être l’un des moyens d’encourager les producteurs à éviter les risques en amont, plutôt que de seulement les indemniser pour les pertes causées par la météo. Ces mesures peuvent favoriser des pratiques qui réduiront d’éventuels risques.

Le président : D’autres réponses, très rapidement?

Question suivante. En fait, j’en ai une pour chacun de vous, la même : si vous étiez l’auteur de notre rapport définitif, quelle serait votre première recommandation?

M. Burton : Il faut mesurer davantage.

Le président : Merci. Et vous, monsieur Heung?

M. Heung : Elle concernerait le partage des données, les problèmes qu’il pose, la confidentialité des données et ses rapports avec l’industrie et sa volonté de communiquer des données. Autrement dit, présenter une justification financière claire aux différents secteurs, la communiquer efficacement tout en examinant les différents moyens stratégiques dont dispose le gouvernement et qu’il peut employer pour promouvoir le partage.

Le président : Merci. Et vous, monsieur Lynch?

M. Lynch : Pratiquer plus de mesures, mais en vue d’une compréhension plus fine des changements sur la santé et le carbone du sol que provoquent des techniques agronomiques précises.

Le président : Merci.

Pour le deuxième tour, trois sénateurs ont des questions. Il nous reste dix minutes.

La sénatrice Simons : Messieurs Burton et Lynch, en matière de santé des sols, on considère les plantes couvre-sol comme un indice de réparabilité des sols. Pour un sol gravement épuisé, quels moyens permettent de lui faire retrouver toutes ses fonctions? La séquestration du carbone pourrait y contribuer. Que faire pour revigorer un sol fatigué?

M. Lynch : On peut en voir des exemples quand la couche arable s’est dégradée en même temps que sa productivité et qu’il faut vraiment y remédier.

Dans notre région, on a discuté — dans des groupes de discussion à ce sujet — de l’intégration, dans le sol, de compost qu’on peut se procurer régionalement, pour en augmenter plus rapidement la teneur en matière organique. C’est peut-être un remède à envisager, bien qu’il faille aussi prendre en considération la qualité du compost, le transport par camion et d’autres facteurs.

J’ai beaucoup étudié les bienfaits agronomiques des plantes couvre-sol sur la prochaine culture de rente, mais l’augmentation de la teneur du sol en matière organique par ces plantes peut être lente. Les vivaces requinquent plus efficacement le sol et lui redonnent son activité biologique, sa matière organique et sa structure, parce que si la dégradation est réelle, elle a entamé toutes ces fonctions, les fonctions physiques, la rétention de l’eau, la croissance des racines, tout.

La matière organique est la clé, mais, pour l’introduire, il faut savoir comment faire, par le choix de la succession culturale et des amendements.

La sénatrice Simons : Oui. Les haricots magiques sont sans effet.

M. Lynch : Oui. Les plantes couvre-sol ont un rôle, mais contre une dégradation grave, il faut songer à combiner les meilleurs modes d’exploitation.

Le président : Moins d’une minute, monsieur Burton.

M. Burton : J’ajouterai simplement ceci : diversifions les rotations, perturbons moins les sols. L’Ouest canadien est notamment parvenu à le faire. Outre les observations de M. Lynch, ça aide le sol à retenir la matière organique.

Le président : Merci. L’une de nous, la sénatrice Duncan, n’a pas eu sa chance au premier tour. Nous limitons la durée de cette intervention à quatre minutes, celles des prochaines à trois.

La sénatrice Duncan : Merci. J’apprécie. Ma question à M. Heung renvoie peut-être rapidement à son manuel.

Qu’en est-il des lacunes dans la gestion des données? Vous dites qu’on trouve des données partout au Canada. Vous le dites sans cesse. Où sont les lacunes dans la cartographie des sols et dans les données? Y a-t-il une carte? A-t-on dressé une liste qui situe l’information manquante?

M. Heung : Voilà une excellente question. L’une des principales tâches de notre groupe est l’inventaire des endroits où toutes ces données existent. Vous venez du Nord. Nous manquons de beaucoup de données de cette région.

Pendant les audiences, le mantra était : « Il faut plus de données. » Je suis bien d’accord, mais, en même temps, il en traîne déjà beaucoup par-ci, par-là. Nous pourrions ne pas chercher aux bons endroits ni nous adresser aux bonnes sources.

La discussion a principalement porté sur l’agriculture et les forêts, ce qui est parfaitement logique, puisqu’elles sont la raison d’être du comité. Mais on peut encore en trouver en grandes quantités dans les secteurs des mines, du gaz et de l’énergie. Par exemple, que nous soyons d’accord ou pas, on propose constamment des projets d’oléoducs. Il se fait constamment des évaluations d’impact sur l’environnement qui produisent une masse de données pédologiques qu’on pourrait ensuite collecter pour mieux comprendre la santé des sols à l’échelle nationale.

Il faut un effort concerté pour inventorier toutes les sources existantes de données dans d’autres secteurs que l’agriculture et les forêts, ce qui permettrait de localiser les lacunes dans la couverture des données.

La sénatrice Duncan : Merci.

Le sénateur Klyne : Je voudrais revenir à ma question originelle, tout en m’inspirant de celle du sénateur Marwah. Quelque chose m’échappe.

J’ai entendu un certain nombre de consignes — mesurer davantage — gestion des données — mise en commun — et une allusion à un rôle national et à un effort fédéré, ce qui, dans mon esprit, évoque le fédéralisme, l’État fédéral, les provinces, les territoires, dont la collaboration est nécessaire dans ce domaine.

Mais je ne saisis pas... Je crois que M. Burton a fait allusion au Conseil de conservation des sols du Canada. Des groupes comme celui-là essaient de se faire une niche pour faire plus de recherche et collecter des données, parce que les sols de notre pays sont si différents d’une région à l’autre. Suis-je aveugle à un obstacle qui expliquerait l’absence de collaboration et de coordination des efforts entre vous et, disons, ce conseil de conservation?

Vous parlez finances. Il me semble que si j’étais un élu fédéral, ou un élu dans une province ou un territoire, je voudrais vous mettre en contact, trouver des fonds et j’attirerais l’industrie également, pour que ça aboutisse.

Qu’est-ce que je ne comprends pas?

M. Burton : Là n’est pas la question. Ces organismes, la Société canadienne de la science du sol, le Conseil de conservation des sols du Canada, ils ne demanderaient pas mieux; c’est simplement qu’ils n’ont pas les fonds, les ressources nécessaires.

Le sénateur Klyne : Nous devons comprendre les mécanismes de la santé des sols et conjurer la dégradation des sols. Ce programme devrait nous rallier, être l’argument convaincant. Merci beaucoup.

Le président : Toutes les questions ont été posées et elles ont toutes trouvé réponse. Nous remercions nos témoins, MM. Burton, Heung, Lynch, dont l’aide pour nous avancer dans cette étude est appréciée. Nous sommes également sensibles à votre intérêt pour nos travaux. Merci encore de votre apport.

Je tiens à remercier les membres du comité pour leur participation active et leurs questions intelligentes.

Comme d’habitude, je remercie celles et ceux dont l’aide n’est pas visible : nos collègues, le personnel, les interprètes, l’équipe de transcription des Débats et publications, les préposés au comité, l’équipe multimédia et le centre d’enregistrement, le page, la greffière et son équipe. Merci à tous.

Chers collègues, la prochaine réunion est prévue pour le mardi 25 octobre, à 18 h 30, heure de l’Est. Des spécialistes viendront témoigner pour les besoins de cette étude.

Poursuivons à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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