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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mardi 25 octobre 2022

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonsoir à vous tous, je me réjouis de votre présence ici ce soir.

Je voudrais d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux personnes qui suivent nos délibérations en ligne. Je m’appelle Robert Black, sénateur de l’Ontario et président du comité.

Aujourd’hui le comité tient sa séance publique visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada. Avant d’entendre les témoins, je voudrais commencer en demandant aux sénateurs et sénatrices de se présenter.

La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.

Le sénateur Marwah : Je suis le sénateur Sabi Marwah, de l’Ontario.

Le sénateur Wells : Je suis le sénateur David Wells, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Mockler : Je suis le sénateur Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick. Merci.

Le sénateur Klyne : Bonsoir, je suis Marty Klyne, du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Je suis le sénateur Brent Cotter, de la Saskatchewan.

La sénatrice Duncan : Je suis la sénatrice Pat Duncan, du Yukon.

Le président : Je vous remercie, honorables collègues.

Le premier groupe de témoins comparaît par vidéoconférence aujourd’hui. J’aimerais souhaiter la bienvenue à Mme Cindy Prescott, professeure au Département des sciences de la forêt et de la conservation de l’Université de la Colombie-Britannique et à M. Sean Thomas, professeur-chercheur à l’Université de Toronto.

Madame Prescott et monsieur Thomas, je m’excuse au nom du comité d’avoir eu à reporter votre comparution la semaine dernière. Je vous remercie de votre patience. Je suis heureux que nous puissions vous accueillir ce soir.

Je vous invite à présenter vos exposés. Nous commencerons avec Mme Prescott, qui sera suivie de M. Thomas. Vous disposez chacun de cinq minutes pour vos déclarations liminaires.

Je vous ferai signe en levant la main gauche lorsqu’il vous restera une minute et en levant les deux mains lorsqu’il ne restera plus que quelques secondes. Cela signifie, si vous voyez mes signes — et j’espère que ce sera le cas — qu’il est temps de conclure.

Madame Prescott, je vous invite à commencer.

Cindy Prescott, professeure, Département des sciences de la forêt et de la conservation, Université de la Colombie-Britannique : Je vous remercie. Bonsoir à vous tous.

Mes travaux de recherche s’intéressent aux interactions entre les arbres et le sol, plus précisément aux facteurs qui contrôlent l’apport de nutriments dans les sols forestiers et l’influence des pratiques en foresterie sur les processus du sol.

Même si la foresterie a un impact sur le sol plus modeste que celui de l’agriculture, quand vient le temps de percevoir le sol comme un écosystème vivant, ce secteur tarde à emboîter le pas à celui du secteur agricole. Dans le secteur de la foresterie, le sol est encore perçu comme un substrat physique. Par conséquent, les politiques se limitent à « ne pas le perdre, ne pas l’écraser et laisser quelques billes de bois », c’est-à-dire éviter l’érosion et la compaction et laisser quelques débris ligneux à la surface.

Pour qu’un sol fonctionne à son plein potentiel, il a besoin d’un écosystème souterrain dynamique. C’est particulièrement vrai pour les différents organismes responsables de nombreux processus, comme la séquestration de carbone dont dépendent les forêts et les gens. L’écosystème souterrain doit recevoir de manière constante le carburant dont ces organismes ont besoin, c’est-à-dire du carbone végétal qui provient des débris végétaux, mais aussi des formes simples exsudées par les racines vivantes et les mycorhizes qui travaillent en symbiose.

L’importance du biote du sol et de l’apport en carbone provenant des racines vivantes pour améliorer la santé du sol a été reconnue en agriculture et a rapidement mené au développement de pratiques agricoles régénératrices. Cette reconnaissance se fait encore attendre dans le secteur de la foresterie, malgré les preuves montrant que les apports de carbone provenant des racines vivantes sont tout aussi importants pour la santé des sols dans les écosystèmes forestiers.

Jusqu’à la moitié, du carbone que les arbres fixent grâce à la photosynthèse se retrouve sous terre et la majorité de ce carbone est libéré dans le sol directement par les racines ou par les mycorhizes. Il s’agit en grande partie de carbone excédentaire que les arbres fixent quand ils ont à combler des carences, allant de légères à modérées, en nutriments et en eau, ce qui est le cas dans la plupart des forêts au Canada. Nous savons que les apports en carbone des racines vivantes soutiennent le réseau alimentaire souterrain, qui est beaucoup plus riche en biodiversité que le biote à la surface.

Nous savons que ces apports en carbone augmentent l’abondance de micro-organismes dans le sol — c’est-à-dire les champignons, les bactéries et les archées — dont les résidus et les sécrétions produisent la matière organique du sol. Cette matière est un élément essentiel à la santé du sol et constitue la principale forme de stockage du carbone dans le sol.

Cette nouvelle compréhension de l’importance des racines vivantes pour le maintien de la santé du sol forestier incite à repenser la gestion des forêts. Nous savons que sous la zone racinaire des arbres vivants — soit environ cinq mètres sous le tronc — le biote du sol est grandement appauvri après une récolte forestière et que son rétablissement prend des années voire des décennies. Pendant ce temps, le réapprovisionnement en carbone du sol ralentit et les stocks de carbone dans le sol diminuent. La coupe de forêts anciennes ou primaires est celle qui a le plus lourd impact, et les forêts jardinées ne retrouvent jamais la biodiversité du sol ou les stocks de carbone initiaux.

Les opérations de récolte prévoyant la conservation d’arbres vivants peuvent éviter cette détérioration de la santé du sol à condition de laisser une distance maximale de 15 mètres entre les arbres ou les parcelles d’arbres et de conserver au moins un quart du nombre d’arbres vivants initial. Les pratiques actuelles, comme la coupe avec réserve que privilégie la Colombie-Britannique et d’autres types de coupe avec rétention qui laissent très peu d’arbres vivants — souvent un bosquet dans un coin du bloc de coupe —, sont insuffisantes pour maintenir la santé du sol dans les forêts jardinées. Il faut mettre à jour les politiques forestières pour qu’elles mettent en évidence que les sols forestiers sont des écosystèmes vivants et que les arbres vivants sont essentiels à leur pérennité.

Je vous remercie.

Le président : Merci beaucoup, madame Prescott.

Monsieur Thomas, c’est votre tour de nous présenter votre exposé.

Sean Thomas, professeur-chercheur, Université de Toronto, à titre personnel : Je suis professeur-chercheur en foresterie et doyen associé de la recherche à la Faculté Daniels de l’Université de Toronto. Je suis spécialiste des processus entourant le carbone forestier et de la remise en état des forêts sur des sites dégradés. Je vous remercie de me donner l’occasion de témoigner aujourd’hui.

Je dirai d’abord que le concept de la santé du sol ne fait pas l’unanimité dans la littérature. Selon moi, c’est un concept qui est généralement plus adapté aux sols agricoles qu’aux sols forestiers.

Le sol n’est pas un organisme distinct et il n’a pas une santé au même titre que vous ou moi avons une santé. Une grande partie de la littérature récente parle de processus écosystémique du sol ou de services écosystémiques du sol. C’est un point important, parce que ces services écosystémiques ne fonctionnent pas toujours de concert.

Par exemple, il y a de vastes étendues de terre tourbeuse dans le Nord du Canada. Cette terre est typiquement très riche en matière organique et en carbone, mais si on parle de rendement en bois, ce n’est pas un sol productif. Par conséquent, je me permets de suggérer humblement au comité de revoir le titre de son rapport en ce qui a trait aux sols forestiers.

Voici les autres points que je veux faire valoir. Sur le plan des services écosystémiques, les sols forestiers du Canada ont une importance mondiale quant au carbone qui y est stocké. On trouve environ 86 % du carbone dans le sol à environ un mètre de profondeur plutôt que dans des arbres vivants. La perturbation du sol à grande échelle pourrait libérer ce carbone. Le Canada porte donc, en quelque sorte, la lourde responsabilité de ne pas libérer ce que des groupes voués à la conservation ont qualifié de « bombe à carbone » qui pourrait avoir des effets néfastes majeurs sur les changements climatiques.

Ensuite, les changements apportés à l’hydrologie des forêts, comme ceux associés à la construction de barrages ou à la diversion de rivières au nord, sont, peut-être, les plus préoccupants pour les sols forestiers. Le drainage localisé de terres tourbeuses a été abondamment utilisé à l’étranger pour améliorer la productivité des forêts, mais on sait maintenant que cette pratique libère de vastes quantités de carbone et qu’elle a de graves effets sur l’environnement, comme la libération de méthylmercure. Par conséquent, ne drainons pas les sols tourbeux.

Les changements climatiques réchaufferont les sols forestiers, ce qui entraînera la libération de dioxyde de carbone et d’autres gaz à effet de serre. Il faut prendre des mesures pour atténuer ce risque.

Quel pourcentage des sols forestiers est fortement dégradé?

Certaines ONG évoquent un pourcentage pouvant atteindre 10 à 15 % de dégradation sévère dans des forêts boréales aménagées. Mon laboratoire a fait des recherches dans le centre de l’Ontario. Nous sommes arrivés à un pourcentage de 1 % ou 2 % seulement, mais les données sur la dégradation forestière dans les forêts aménagées sont étonnamment rares.

En plus d’agir comme un puits de CO2, les sols forestiers naturels absorbent directement le méthane dans l’atmosphère. Le méthane se classe au deuxième comme gaz à effet de serre et il contribue à environ 30 %, net, du forçage anthropique du climat. De récentes études indiquent que des sols forestiers dégradés, comme ceux des sites où l’on traite les grumes, peuvent produire des émissions très élevées de méthane, au point où seulement 1 à 2 % des zones de peuplement forestier ayant un sol fortement remanié peuvent complètement compenser l’absorption du méthane produit par le reste de la forêt.

La plupart des forêts au Canada sont gérées par des entreprises qui exploitent des terres publiques provinciales grâce à des permis. Contrairement aux fermes familiales, par exemple, il est probable que la nature temporaire des tenures et des permis obtenus par appel d’offres agit comme un frein important à l’investissement et à la productivité à long terme de ces sites. Selon moi, ce système fait en sorte que l’on néglige systématiquement les sols forestiers.

Il a beaucoup été question du carbone pendant vos audiences comme principal moyen de mesurer la santé du sol. Comme je l’ai indiqué, le sol tourbeux contient beaucoup de carbone, mais sa productivité est très faible. Un apport en carbone dans le sol forestier n’améliore pas nécessairement sa fertilité. Le type de matière organique et la forme chimique que celle-ci prend sont d’une importance cruciale. C’est quelque chose que, depuis tout récemment, l’on comprend beaucoup mieux.

À cet égard et à plusieurs autres, de nouvelles connaissances et innovations en matière de surveillance et de gestion des sols on fait leur apparition au cours des 40 dernières années.

Pendant la période allouée aux questions, je serais ravi de parler plus en détail de mes propres recherches sur la pyrolyse des déchets, aussi appelé biocharbon, comme moyen de séquestrer le carbone et de restaurer des sols dégradés. Il y a cependant une question plus globale qui se pose. Celle de savoir si toutes les nouvelles connaissances et innovations concernant les sols sont appliquées sur le terrain. Selon moi, comparativement à d’autres pays, la capacité du Canada est limitée sur le plan de la vulgarisation. C’est vrai en agriculture, mais dans le secteur de la foresterie, la capacité du Canada sur le plan de la vulgarisation de la recherche est presque nulle. Il s’agit là, à mon avis, d’un frein majeur à la mise en œuvre des innovations en matière de surveillance, de conservation et de gestion des sols dans ces deux secteurs.

Merci, meegwetch.

Le président : Je vous remercie, monsieur Thomas.

Nous allons passer aux questions des sénateurs. Avant de débuter, lorsque vous posez des questions ou que vous y répondez, je vous prierais de ne pas vous approcher tout près du micro ou d’enlever vos écouteurs si vous le faites. Sinon, cela peut créer un retour de son qui peut avoir un effet négatif sur le personnel du comité dans la salle. Je vous prie de garder cela à l’esprit.

Je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent, comme d’habitude, de cinq minutes pour poser leurs questions et obtenir leurs réponses. Comme je l’ai dit tout à l’heure, je lèverai une main quand il ne restera qu’une minute et les deux quand les cinq minutes seront sur le point d’être écoulées.

Nous allons commencer avec la vice-présidente, la sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Ma première question est pour Mme Prescott. Je suis de l’Alberta; vous êtes de la Colombie-Britannique. Nos deux provinces sont infestées par le dendroctone du pin et frappées par des feux incontrôlés et la combustion de biomasse. Pourriez-vous expliquer brièvement comment ces deux facteurs influencent la santé des sols et des forêts?

Mme Prescott : Oui. J’ai passé une partie de ma carrière en Alberta, je suis donc aussi au fait des similarités.

Dans ce genre de situation, nous perdons beaucoup de matière organique du couvert forestier. Souvent, nous perdons aussi beaucoup d’intrants. En tuant les arbres, nous perdons les composés simples qui iraient dans le sol.

Tous ces types de perturbation auront un effet perturbateur sur le flux du carbone qui nourrit le sol. C’est d’autant plus vrai quand on considère ce qui se passe à l’heure actuelle, car nous perdons de vastes parties de nos forêts et de leurs bienfaits en raison de ces perturbations naturelles. Il nous incombe de tenir compte de ces pertes quand nous déterminons l’étendue des coupes forestières, car ces coupes s’ajouteront aux pertes dues à ces perturbations. Nous voyons le résultat de tout cela en Colombie-Britannique en ce moment, avec les inondations. Il se peut que nous ayons dépassé la capacité des écosystèmes à s’adapter à toutes ces perturbations.

La sénatrice Simons : Oui, bien sûr, parce que lorsque l’on perd des arbres, il y a plus d’érosion et le sol est emporté par les cours d’eau.

Mme Prescott : Oui.

La sénatrice Simons : Parlant de cours d’eau, c’est une bonne façon d’enchaîner avec M. Thomas. Vos propos au sujet du drainage et des inondations étaient très sombres et troublants. Vous contestez notre décision de parler d’une étude sur l’état de la santé des sols. Je suis surprise de vous entendre dire qu’un sol sain pour une tourbière ne l’est pas pour faire pousser des arbres. Le sol ne peut-il pas être sain en soi? J’ose croire qu’on ne mesure pas la santé du sol par sa productivité commerciale.

M. Thomas : Eh bien, j’ai saisi l’occasion de jeter un coup d’œil à certains de vos travaux antérieurs. D’un point de vue agricole, la productivité est généralement le principal service qu’ils attendent des sols, n’est-ce pas? Je schématise peut-être un peu, mais en ce qui concerne la gestion moderne des forêts au Canada, il y a assurément toute une série de choses que nous voulons obtenir des sols. Nous ne voulons pas seulement des arbres à croissance rapide. Nous voulons de l’eau propre. Nous voulons la séquestration du carbone. Nous voulons la régulation des parasites et des maladies. Nous voulons toutes ces différentes choses. Le fait est qu’elles ne fonctionnent pas nécessairement toutes en parallèle.

C’est pourquoi, lorsque l’on pense à ces écosystèmes beaucoup plus diversifiés que sont les forêts, il est important de faire entrer en jeu la notion de santé des forêts. Cela fonctionne assez bien dans la plupart des systèmes agricoles et peut-être aussi dans les forêts gérées de manière intensive où ces choses se produisent — soit celles où le sol est très abîmé et où tous ces éléments périclitent —, mais dans les forêts gérées de manière extensive, comme c’est en général le cas au Canada, ces éléments ne fonctionnent pas tous ensemble. Il ne s’agit donc pas d’écarter la santé des sols, mais d’envisager les services écosystémiques dans une perspective plus large.

Le sénateur Wells : Merci beaucoup à nos deux témoins. Je ne pense pas tellement au sol, mais j’apprécie que vous le fassiez et que vous pensiez aux forêts.

J’ai une question sur les forêts gérées. Mis à part les lots et les routes d’accès des bûcherons, je ne savais pas que les forêts du Canada étaient gérées. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les pratiques exemplaires en matière de gestion forestière, étant donné que le Canada est un pays si vaste où l’on trouve de nombreux types d’écosystèmes forestiers distincts? J’aimerais que vous parliez des pertes qui ont lieu sur une base régulière. J’appelle cela des pertes, mais il s’agit en fait du processus de génération et de régénération normal, comme la perte des feuilles et des aiguilles, les arbres morts, l’effet du couvert forestier. Quelles sont les pratiques exemplaires en matière de gestion forestière auxquelles un sénateur d’un rocher chauve comme Terre-Neuve ne penserait peut-être pas?

Mme Prescott : Eh bien, il va sans dire que Terre-Neuve n’a pas nécessairement besoin d’être un rocher chauve. Avec une gestion prudente, ces forêts pourraient aussi y revenir.

Je dirais que la meilleure gestion est celle qui est adaptée au site, qui tient bien compte des capacités de ce dernier et de ce que l’on attend de cette forêt. Nous avons mis l’accent sur la production de bois avant tous ces autres besoins, et nous en sommes maintenant à un point où nous devons prendre tous les besoins en considération. M. Thomas en a parlé lui aussi. Je vais peut-être m’arrêter là.

M. Thomas : C’est pourquoi vous obtenez un diplôme en foresterie si vous êtes vraiment intéressé. Comme Mme Prescott l’a mentionné, il faut s’adapter au site. La gestion des forêts de Terre-Neuve sera différente de celle des forêts de sapins de Douglas particulièrement productives du Sud de la Colombie-Britannique.

Comme je crois vous l’avoir entendu dire, beaucoup d’attention doit être accordée au maintien d’un cycle des nutriments et d’un cycle du carbone — il ne faut pas dépouiller les forêts de tout ce qu’elles ont —, bref, à ce genre de nouveaux éléments que les forestiers d’aujourd’hui prennent en considération alors qu’ils n’y auraient pas pensé il y a 20 ou 30 ans. Les débris ligneux grossiers et le maintien du carbone sur les sites sont probablement les éléments les plus importants. Il y a eu des changements généralisés dans la pratique pour faire en sorte qu’il y ait moins de coupe à blanc et que l’on maintienne une certaine couverture d’arbres, comme l’a dit Mme Prescott. Nous voulons que les micro-organismes du sol se régénèrent et que ces processus fassent ce que nous aimerions qu’ils fassent.

Mme Prescott : Je pense qu’une chose importante maintenant, c’est de reconnaître que nos pratiques antérieures ont donné lieu à une simplification. Nous pensons que nous pouvons contrôler l’écosystème, mais nous devons nous éloigner de cela, c’est-à-dire simplifier l’écosystème de manière à être en mesure de le contrôler et de lui faire faire ce que nous voulons. Nous devons nous efforcer de travailler avec des écosystèmes plus complexes.

Le sénateur Wells : Merci. Je n’ai pas d’autres questions.

Le sénateur Marwah : Merci aux témoins.

Je vais aborder un point que les deux témoins ont soulevé, je crois. Madame Prescott, je pense que vous avez noté que la façon dont les forêts sont exploitées a un effet très néfaste sur la santé des sols. Monsieur Thomas, vous avez noté que les personnes qui effectuent l’exploitation — comme les sociétés sous licence — ont également une incidence délétère, car elles ne sont pas incitées à se soucier de la santé des sols.

Ma question est la suivante : quelqu’un a-t-il déjà essayé de faire une analyse économique en comparant, d’une part, les revenus de la récolte, la façon dont nous avons procédé jusqu’ici et les coûts pour la santé des sols et, d’autre part, les revenus d’une récolte plus responsable et les avantages que cela procure pour la santé des sols? Il est certain que si nous exprimions cela en termes quantifiables, nous pourrions mettre en place une stratégie pour que la récolte soit effectuée de manière plus responsable.

Mme Prescott : Certainement pas au Canada. Dans d’autres pays, on s’est penché là-dessus.

Un autre facteur dont nous devons tenir compte dans ces considérations économiques, c’est le commerce du carbone, qui est en train de devenir un acteur très important. J’ai entendu parler aujourd’hui d’autres régions où les forêts communautaires — elles en particulier — ont été en mesure d’arrêter l’exploitation de la forêt parce qu’elles peuvent montrer qu’il est plus lucratif de miser sur la séquestration du carbone que sur la coupe de bois.

Le sénateur Marwah : Monsieur Thomas, avez-vous des observations ou des suggestions à formuler sur les endroits où nous pourrions trouver des chiffres concernant les diverses stratégies?

M. Thomas : Sans ce cadre plus large pour la protection de l’environnement — quelle que soit la manière dont le cadre politique fonctionne —, les analyses économiques évitent systématiquement de prendre les sols en considération parce que ces processus sont lents. Un taux d’actualisation de 5 % ou autre ne correspond pas vraiment à la vitesse à laquelle les sols se régénèrent.

Il faudrait probablement établir un cadre stratégique qui tient compte des générations à venir, surtout dans le contexte de systèmes de productivité relativement faible comme les forêts canadiennes.

Mme Prescott : C’est un problème tant pour la matière organique que pour le carbone, qui sont des propriétés vraiment essentielles et précieuses. Toutefois, elles sont si variables dans l’espace et changent si lentement avec le temps qu’il est difficile d’obtenir ce genre de données.

Le sénateur Marwah : Madame Prescott, vous avez dit qu’il y avait eu une analyse préliminaire autour du carbone et du fait qu’il pourrait être plus logique d’utiliser le commerce du carbone et puis l’analyse économique plutôt que la récolte. Avez-vous des études à ce sujet que vous pourriez nous envoyer?

Mme Prescott : Oui. J’ai deux collègues qui travaillent très activement là-dessus et qui cherchent ardemment à amasser plus de renseignements sur la façon de quantifier les changements qui s’opèrent dans le carbone du sol. Nous essayons de développer ces méthodes.

Le sénateur Marwah : D’accord. Je vous remercie.

La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse aux deux témoins, si nous en avons le temps.

En vous écoutant, vous et les témoins précédents, j’ai eu l’impression qu’en ce qui concerne les universitaires, la recherche, les données et la science, nous avons l’expertise voulue. C’est en tout cas ce que j’entends lorsque je vous écoute. J’essaie donc de comprendre et d’établir dans quelle mesure nous serions capables de transposer cette expertise sur le terrain, de la transformer en actions, en pratiques exemplaires et en décisions éclairées. Si nous ne sommes pas bons dans ce domaine, quelles sont les choses qui nous empêchent de le devenir?

Mme Prescott : Je pourrais peut-être commencer.

En Colombie-Britannique, nous sommes très mauvais dans ce domaine. Il est étonnant de constater à quel point la situation est mauvaise aujourd’hui par rapport à ce qu’elle était il y a 30 ans. Nous avons pris tellement de recul à l’égard de nombreux aspects de la gestion forestière, de l’élaboration des politiques forestières et de la participation des scientifiques à cet égard. Cela a cessé d’être important il y a 15 ou 20 ans parce que la gestion forestière n’était pas vraiment à l’ordre du jour des gouvernements et que l’on s’est contenté de dire « nous allons laisser les forestiers qui travaillent pour les entreprises faire ce qu’ils pensent être le mieux ».

Donc, quand vous êtes dans ce genre de milieu, la recherche n’a pas sa raison d’être. Je parle avec des collègues de pays qui n’ont qu’une fraction du nombre de forêts que nous avons — ne serait-ce qu’en Colombie-Britannique —, et ils n’arrivent pas à croire que nous semblons n’avoir aucune question à propos de nos forêts et aucun besoin de faire de la recherche. Ici, il n’y a eu aucun programme pour financer la recherche en foresterie depuis environ 15 ans. Cela vient de se terminer. Nous ne parlons donc plus à nos collègues comme nous le faisions auparavant.

Je suis restée en Colombie-Britannique parce que c’était tellement actif; les universitaires, les chercheurs du gouvernement, les chercheurs de l’industrie et les gestionnaires forestiers se parlaient tous entre eux, et à toutes ces occasions. Puis, tout s’est tu.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Avons-nous du temps pour une réponse de M. Thomas?

Le président : Monsieur Thomas, avez-vous quelque chose à dire à ce sujet?

M. Thomas : Je pourrais brièvement ajouter qu’il y a un désinvestissement semblable dans la recherche en foresterie et la surveillance des forêts en Ontario et dans l’Est du Canada. C’est comparable, quoique ce soit peut-être légèrement mieux au Québec, mais oui, il y a une solide expertise universitaire, mais la transposition de ce savoir à la pratique est faible.

Traditionnellement, les forêts relèvent des provinces. Le Service canadien des forêts, ou SCF, n’a pas le mandat, par exemple, qu’aurait un service américain des forêts ou tout autre système comparable en Europe ou en Asie, à vrai dire. Donc, cela explique peut-être en partie le problème.

Toutefois, quand il s’agit de processus d’incidence mondiale comme la séquestration du carbone, j’estime vraiment que ce qui se retrouve dans nos forêts est d’intérêt national et que l’on devrait revoir la structure décisionnelle afférente.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

Le sénateur Cotter : Merci aux témoins de nous aider à encore mieux comprendre la santé du sol au Canada.

Votre témoignage me donne l’impression qu’il est possible, sous certains angles, d’aborder la valeur des forêts d’une façon multidimensionnelle; j’entends par là la productivité et les revenus standard qu’elles peuvent générer, les questions entourant leur valeur en tant qu’option de séquestration du carbone, ce genre de choses.

Ce qui m’amène ici : alors que nous étions en Écosse cet été, le sénateur Black et moi-même avons appris que, même si la majorité de la tourbe appartient à des intérêts privés, le gouvernement écossais est intervenu pour exiger que les propriétaires des champs de tourbe, ou peu importe le nom qu’on leur donne, les retournent à leur état naturel. Outre le fait qu’il pourrait y avoir des conséquences économiques au calcul qui a été fait ici, cette décision présente de fabuleux avantages du point de vue de la séquestration du carbone. On nous a dit que cela représenterait 25 % des efforts de l’Écosse dans sa progression vers la carboneutralité. Voilà où je veux en venir : dans nos échanges avec les producteurs agricoles, les représentants et ainsi de suite, nous avons appris que la majorité des terres agricoles sont privées. Si j’ai bien compris le témoignage d’aujourd’hui, cela dit, la majorité des terres forestières appartiennent en fait à la Couronne et, dans une certaine mesure, les gens qui les exploitent sont des locataires. Je comprends l’argument que cela amène les gens à moins se consacrer à des initiatives à moyen terme, comme les propriétaires devraient le faire, et que, dans ce contexte, le propriétaire est en fait la Couronne.

Ne devient-il pas plus plausible pour des gouvernements bien informés d’établir des critères applicables à cette valeur multidimensionnelle des forêts de sorte que nous ayons de plus grandes attentes quant à la capacité des forêts d’être plus qu’une source de revenus pour ceux qui en prélèvent les arbres?

Mme Prescott : Oui, il serait difficile de transformer l’industrie, car elle a ses objectifs, ce qui ne va pas changer. Mais notre gouvernement devrait faire preuve d’un meilleur leadership en gestion des forêts, puisqu’il est supposé la gérer au nom de la population et l’utiliser à bon escient plutôt que d’uniquement collecter le droit de coupe.

Nous avons aussi besoin de nos forêts pour autre chose. Si le gouvernement en est conscient, il doit rapidement agir en conséquence.

Le sénateur Cotter : Monsieur Thomas?

M. Thomas : Je suis tout à fait d’accord avec ces remarques. Vous ne pouvez pas consacrer beaucoup de temps à travailler dans les forêts canadiennes sans y voir ce type de dégradation et de pertes. En Ontario, nous avions un laboratoire des semences forestières qui a fermé ses portes au cours des cinq dernières années. Les installations de ce genre sont délaissées alors qu’elles prennent des décennies à bâtir. La résolution de ces grands problèmes environnementaux exige que l’on réinvestisse.

Le sénateur Cotter : Si les forêts sont adéquatement gérées, en plus d’une possible supervision des propriétaires des forêts qui sont exploitées, y a-t-il une possibilité significative de séquestration supplémentaire du carbone comme valeur tirée d’une meilleure gestion d’ici 10 ou 20 ans?

Mme Prescott : Tout à fait. D’abord, nous devons arrêter la coupe des grandes réserves de carbone, puis faire preuve de plus de créativité dans notre façon de régénérer les forêts. Plutôt que d’aller vers les solutions simples, choisissons les essences et permettons suffisamment de régénérescence naturelle afin de stocker rapidement du carbone dans le sol.

Notre gestion des essences à grandes feuilles est exactement le contraire de ce qu’elle devrait être. Nous continuons d’éliminer les essences à grandes feuilles alors que l’on sait qu’elles séquestrent le carbone dans le sol beaucoup plus rapidement, tout comme leur biomasse.

Le sénateur Cotter : En quelques mots, monsieur Thomas, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Thomas : Un rapport récent de la National Academy of Sciences des États-Unis, publié en 2018 il me semble, traite des technologies à émissions négatives. Il y en a cinq. En somme, elles sont toutes dans les secteurs forestier et agricole et ont toutes trait aux sols.

Le sénateur Cotter : Merci.

Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Merci de votre contribution. Merci, sénateur Cotter, d’avoir bien préparé le terrain. Je vais poursuivre dans la même veine.

J’ai deux questions. La première s’adresse à Mme Prescott, et la deuxième, à M. Thomas.

Madame Prescott, je crois qu’il est important de se rappeler que les sols ne se trouvent pas seulement à la ferme. L’exploitation forestière est une grande industrie dans ce pays. L’incidence des pratiques forestières telles que la coupe sélective, la coupe à blanc et la déforestation est débattue vigoureusement. Ma question porte sur l’incidence de l’exploitation forestière sur l’érosion des sols. Y a-t-il des techniques que les bûcherons peuvent adopter ou envisager qui contribueraient à prévenir ou à tout le moins à amoindrir la dégradation et l’érosion du sol des forêts?

Mme Prescott : Décider où couper le bois est très important. Adopter un point de vue tenant compte de l’ensemble de l’environnement dans un secteur donné, y compris son hydrologie et des choses comme la phénologie, pour savoir si vous allez vous retrouver avec de l’eau qui déferle d’un coup si vous bûchez dans les forêts de conifères pendant la fonte des neiges, comme cela se produit dans les forêts de trembles ou caducifoliées. Bien des considérations du genre peuvent contribuer à la rétention du sol. Aussi, poursuivre les travaux de restauration en ce qui a trait au brûlage dirigé pour réduire l’incidence des incendies de forêt sur les sols, ce qui les rend beaucoup plus vulnérables à l’érosion et entraîne des pertes de sol ainsi que de nutriments dans la cendre.

Le sénateur Klyne : Merci. Ma question pour M. Thomas porte sur les forêts anciennes. Il y a des forêts au pays où les arbres ont plus de 250 ans, certains sont encore beaucoup plus vieux. Vu le rythme de l’industrialisation et les effets des changements climatiques, le fait que ces arbres soient encore là témoigne de leur durabilité.

Pourriez-vous dire au comité quelle incidence a l’état du sol sur la longévité des arbres anciens? Puis-je présumer que la dégradation du sol a un impact marqué sur la durée de vie de ces arbres?

M. Thomas : Oui. C’est un peu compliqué. Les arbres les plus anciens que vous trouvez en Ontario sont souvent sur des affleurements rocheux, où le sol n’est pas nécessairement très productif. Sur l’escarpement du Niagara, vous pouvez trouver des cèdres de 800 à 1 000 ans qui ne sont pas très gros. Il n’y a pas nécessairement de lien étroit entre la longévité d’un arbre et la productivité du sol.

Le plus gros arbre au monde était fort probablement à North Vancouver. C’était un sapin de Douglas que l’on a perdu. Le Canada aurait eu le plus gros arbre au monde, mais il a été coupé. Il se trouvait à un endroit protégé au climat tempéré et aux sols profonds. Ce serait le type d’environnement dont la productivité serait optimale et où les arbres vivraient longtemps.

Nous n’avons pas beaucoup de forêts anciennes. Aujourd’hui, ce sont des choses précieuses. C’est l’une des conclusions du rapport de la National Academy of Sciences sur les technologies à émissions négatives que j’ai mentionné : conserver les forêts qui ont un taux élevé à la fois d’absorption du carbone et de réserves de carbone. Dans les données scientifiques qui sont communiquées depuis quelques décennies, un élément récent veut que les forêts anciennes continuent d’absorber de grandes quantités de carbone. Il y a 20 ans, je vous dirais, on aurait pu croire qu’elles étaient essentiellement carboneutres, mais il a été démontré sans équivoque que ces forêts anciennes demeurent des puits de carbone importants.

Mme Prescott : Et principalement dans le sol.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Duncan : Merci beaucoup à nos témoins d’être des nôtres aujourd’hui et merci à vous, madame Prescott. Vous avez soulevé la question que je voudrais aborder, soit les feux de végétation.

Entendre parler de vos travaux et de votre expérience en Alberta ainsi que de l’état de la dendroctone de l’épinette m’encourage. Manifestement, il y a eu bien des instances d’incendies de forêt remarquables à l’échelle de l’Ouest canadien.

Pouvez-vous fournir des détails sur l’incidence de ces phénomènes naturels sur la santé du sol, surtout du point de vue de la gestion des forêts? Notre façon de gérer les feux de végétation et de lutter ou non contre ceux-ci est la source d’ententes interprovinciales solides et fort bonnes dans l’Ouest et le Nord du Canada. Je ne peux pas parler pour l’Est du pays, mais de quelle façon traitons-nous de cet aspect de la gestion des forêts et de son incidence sur la santé du sol?

Mme Prescott : Le fait que des incendies se déclarent naturellement ne signifie pas qu’ils sont bons pour l’écosystème. Nous avons assimilé cette idée que, puisque c’est naturel, c’est une bonne chose. Ce ne l’est pas pour le sol. Comme pour les peuplements de pins gris sur fond de lichens dans le Nord de l’Alberta, par exemple : la raison pour laquelle ces zones sont si appauvries et si peu productives, c’est qu’elles ont toujours brûlé à répétition. Chaque fois qu’il y a un incendie de forêt, la chaleur monte et les nutriments disparaissent davantage. Donc, non seulement vous perdez de la matière organique pleine de nutriments, mais aussi toute l’azote, surtout l’azote atmosphérique. Cela retire du sol ce qui en assure la fertilité, et celui-ci ne dispose que de la période entre cet incident et la prochaine perturbation pour reconstituer ces réserves. Chaque fois qu’il y a un incendie, nous perdons énormément de carbone et beaucoup de nutriments. Ensuite, il se produit de l’érosion, où nous perdons d’autres nutriments que l’azote. L’impact est négatif.

Que ce soit naturel ou non, que ce soit attribuable aux changements climatiques ou à quelqu’un qui a jeté un mégot par terre, le sol n’en sait rien. L’effet est le même et il est négatif. C’est aussi en grande partie négatif pour la biodiversité du sol. Elle est gravement diminuée. Toutes ces perturbations ont des effets négatifs sur le sol.

La sénatrice Duncan : Si je vous comprends bien, ce que vous dites, c’est que nous devons poursuivre nos efforts de lutte contre les feux de végétation. Je sais que, s’ils ne présentent pas de risques pour l’humain ou les propriétés, on laisse certains de ces feux se consumer. Ce que vous dites, c’est qu’il y a trop de dommages causés au sol et que nous devrions absolument consacrer des ressources pour lutter contre ces feux.

Mme Prescott : Oui. Nous ne devrions pas nous fonder sur l’argument que c’est une perturbation naturelle, donc que c’est correct. Son effet sur l’écosystème est néfaste. Elle va légèrement accroître la diversité dans le paysage, mais son effet est néfaste.

Nous ne devrions pas lutter contre ces feux, mais bien les prévenir. C’est possible grâce à des techniques reconnues pour la réduction de l’intensité et de la gravité des incendies, qui découlent en grande partie de la simplification et de l’homogénéisation de nos terres forestières, de même que de la lutte contre l’incendie que nous avons faite. Donc, par notre gestion, nous avons modifié l’environnement et l’avons rendu plus inflammable.

La sénatrice Duncan : Je vis au milieu de la forêt boréale, où il y a un programme de gestion concertée des forêts pour veiller à notre protection grâce à l’élimination des branches basses. On les laisse se décomposer sur place. Pourriez-vous vous prononcer, par écrit peut-être, sur les différentes pratiques de gestion des forêts au pays pour prévenir les feux de végétation, s’il vous plaît?

Mme Prescott : C’est en grande partie une question de combustibles étagés, soit des petits arbres en plus des branches basses. Il faut en effet les gérer, surtout dans les lieux habités. Nous devons réintégrer cela à nos paysages. Il faut des forêts dont la structure est ce qu’elle aurait été si elles avaient brûlé naturellement, mais dans laquelle nous sommes intervenus et en payons maintenant le prix.

Le sénateur Mockler : Je remercie les témoins. Le territoire canadien est essentiellement divisé en trois « lots ». Un tiers du territoire appartient à la Couronne, un tiers est composé de terres à bois privées, dont les propriétaires jouent d’ailleurs un rôle important, et le dernier tiers correspond aux terres industrielles.

Compte tenu de ce que vous nous avez dit, je suis poussé à vous demander ceci : si vous abordez le Canada en fonction des régions suivantes, soit le Canada atlantique, le Québec, l’Ontario, l’Ouest canadien, la Colombie-Britannique et le Nord, pouvez-vous me dire laquelle a les meilleures pratiques de gestion et foresterie? Où est-ce au Canada?

Mme Prescott : Voulez-vous répondre à celle-là, monsieur Thomas?

M. Thomas : C’est hétérogène. Partout, l’espace est si vaste que l’on peut trouver des contre-exemples.

Comme je l’ai dit, parmi les provinces, le Québec a à tout le moins fait les investissements les plus imposants dans la recherche en foresterie et s’est vraiment appliqué à tenter de transposer les progrès en la matière sur le terrain. On peut débattre de la véritable réussite de ces efforts sur le terrain. Il est difficile de comparer le Québec aux autres provinces si elles ne font pas ce type d’investissements soutenus. Mais, à brûle‑pourpoint, comme ça, je dirais que c’est le Québec qui est le plus attentif.

Le sénateur Mockler : Qui arrive en deuxième, en troisième et en quatrième place?

M. Thomas : J’ai l’impression que la Nouvelle-Écosse se débrouille très bien. Elle a une longue histoire de dégradation, mais elle a fait de véritables investissements compte tenu de sa zone forestière plus restreinte. J’ai passé un certain temps au Yukon et j’ai été fort impressionné. Ce sont les activités forestières les plus nordiques du pays et elles sont cogérées par les Premières Nations, donc il y a une durabilité sociale. Là aussi, on a fait très attention. Compte tenu de la petite région gérée, on y fait des choses remarquablement progressistes.

Le sénateur Mockler : Je ne veux pas lancer de débat, car ce ne serait pas convenable.

J’aimerais aussi connaître votre point de vue sur les deux milliards d’arbres du programme gouvernemental qui sont actuellement plantés au Canada. Je sais que, dans le secteur agricole et même au sein de l’industrie forestière, selon les plants de semis, selon la variété ou l’essence, par exemple les pommes de terre au Canada atlantique — je ne nommerai pas d’entreprises — ou encore selon le climat au Québec, en Ontario, dans l’Ouest canadien et principalement au Manitoba, qui est réputé pour ses pommes de terre de grande qualité... Estimez‑vous que ces deux milliards d’arbres que le gouvernement compte planter partout au pays au cours des 10 années à venir ont fait l’objet d’assez... Vous a-t-on consultés, votre université ou vous-même, à titre de professionnels?

Aussi, quand on regarde le territoire, y a-t-il des endroits au Canada dont la valeur serait plus grande quand il est question de séquestration en foresterie? Y en a-t-il d’autres dont la valeur serait moindre?

Mme Prescott : L’idée de planter des arbres est, selon moi, très utile dans beaucoup d’endroits. Je crois toutefois que c’est moins utile au Canada que dans la plupart des autres endroits, parce que la plantation d’arbres n’améliorera la teneur en carbone que sur d’anciennes terres agricoles, c’est-à-dire des terres cultivées. Les arbres n’amélioreront pas la teneur en carbone aussi rapidement que des prairies bien gérées. Il y a donc peu de terres sur lesquelles les planter, car ils n’auront un effet bénéfique que sur les terres cultivées dégradées, et je ne pense pas que ce soit utile.

Par ailleurs, il faut s’assurer d’avoir le bon sol pour planter des arbres. On doit avoir suffisamment d’arbres de bonne qualité.

Le sénateur Mockler : J’en conviens.

Mme Prescott : Et on doit les entretenir pendant des décennies pour en assurer la croissance, car il ne suffit pas de les planter dans le sol.

M. Thomas : Oui. Si je peux me permettre, les politiciens aiment planter des arbres. On les voit tous avec leurs pelles. J’ai un diaporama de politiciens plantant des arbres dès les années 1850; c’est donc un acte symbolique. Si vous plantez des arbres au bon endroit, cela peut avoir un effet bénéfique sur l’apport en carbone, mais cela ne tient pas compte de facteurs vraiment importants. Comme l’a mentionné Mme Prescott, le fait de prendre soin des arbres — l’entretien des peuplements, la protection des forêts et tout le reste — est extrêmement important, mais l’autre élément crucial est le flux de déchets. C’est ce qui m’intéresse vraiment.

Le problème du CO2 dans l’atmosphère et des gaz à effet de serre est un problème de flux de déchets. Traiter de manière adéquate les déchets qui sortent des usines et des exploitations agricoles est l’une des choses les plus importantes que nous puissions faire pour la séquestration du carbone.

Le président : Merci beaucoup. Je plante entre 500 et 1 000 arbres chaque année. Je suppose donc que je corresponds à votre définition de politicien. Vous voudrez une photo, j’en suis sûr, monsieur Thomas.

Si j’ai bien compris, planter des arbres sur des terres marginales, qui se trouvent déjà dans des prairies, n’est pas nécessairement la chose à faire. Si ces terres étaient cultivées ou défrichées, alors ce serait mieux. Ai-je raison?

Mme Prescott : Pour la séquestration du carbone dans le sol, une prairie bien gérée est plus apte à produire et à stocker du carbone, surtout par rapport à une plantation de conifères.

Le président : Je vous remercie.

M. Thomas : Oui. Certaines de ces anciennes terres forestières sont des terres insuffisamment régénérées — c’est le cas, je le sais, dans de vastes régions de l’Ontario. Il serait certainement avantageux de cibler ce genre d’endroits, où la qualité du sol s’est dégradée, à des fins de reboisement ou, encore, de cibler le développement industriel, disons, par la restauration de terrains miniers. La plantation d’arbres joue un rôle important, et je vous remercie de vos 1 000 arbres, mais ce processus de plantation ne peut pas se faire partout. Il y a des endroits où on ne devrait pas planter d’arbres.

Le président : Je vous remercie. Monsieur Thomas, quel devrait être le titre du rapport?

M. Thomas : Je recommanderais quelque chose sur la santé des forêts, la santé des sols et les services écosystémiques.

Le président : Je vous remercie. Quels autres aspects devrions-nous examiner en ce qui concerne la santé des sols, la santé des forêts et la séquestration du carbone? Quels autres aspects connexes devrions-nous prendre en considération dans le cadre de notre étude sur cette question?

Mme Prescott : Je suggérerais la biodiversité du sol. On accorde beaucoup d’attention à la biodiversité en surface, et on sait qu’il y a certes une crise à ce chapitre. Toutefois, je suis presque certaine qu’il existe aussi une crise de la biodiversité dans le sol, ce qui est important pour toutes les fonctions qui se produisent par le biais d’organismes du sol, mais nous ne savons rien à leur sujet ou nous ignorons presque tout ce qu’il faut savoir, ne serait-ce que pour évaluer l’ampleur et les répercussions de cette crise.

Le président : Je vous remercie. Monsieur Thomas, voulez-vous ajouter quelque chose?

M. Thomas : Le contrôle de l’érosion; la fonction hydrologique, donc l’atténuation des inondations; la purification de l’eau — il y a un tas de choses vraiment importantes pour lesquelles nous dépendons des sols, même si cela ne fait pas nécessairement partie des pratiques favorisant la santé des sols.

Il existe quelques études récentes très utiles. Il s’agit en quelque sorte d’un sujet brûlant où s’entrecroisent la science et l’élaboration de politiques. Je pourrais vous faire parvenir une liste plus complète, mais nous dépendons des sols pour un nombre étonnamment grand de fonctions très importantes.

Le président : Je vous remercie. J’en viens à ma dernière question, et c’est une question que je pose à la plupart des témoins : si vous aviez l’occasion de rédiger notre rapport, quelle serait votre principale recommandation dans notre rapport?

M. Thomas : Comme je l’ai dit dans ma déclaration, le Canada a la responsabilité de protéger ses sols tourbeux.

Le président : Je vous remercie.

Mme Prescott : Les arbres valent plus que le bois d’œuvre.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : J’ai une petite question pour Mme Prescott au sujet des espèces envahissantes. Ce n’est que tout récemment que je me suis rendu compte que les vers de terre, que j’ai toujours considérés comme des alliés du sol, sont une espèce envahissante ici. Dans quelle mesure les espèces envahissantes sont-elles une préoccupation pour la santé de notre sol forestier?

Mme Prescott : Eh bien, les vers de terre transforment le système. C’est pour le mieux ou pour le pire, selon le type de système que nous voulons obtenir. Si nous voulons que le système reste exactement le même, alors ce n’est pas de bon augure. Les vers de terre modifient les propriétés du système, ce qui peut être propice à d’autres types de communautés végétales. Je dirais que ce n’est pas une crise. Nous devons simplement être capables d’accepter que le système change. C’est ce qui s’est passé dans la forêt où j’ai fait mes recherches de doctorat. Le sol de la forêt a changé, mais les forêts elles-mêmes n’ont pas subi d’énormes transformations. Nous devons accepter l’idée que le changement est inévitable, chose que redoutent, à mon avis, tous les humains.

La sénatrice Simons : Y a-t-il d’autres espèces envahissantes dont nous devrions tenir compte?

Mme Prescott : Oui. Beaucoup de plantes réagissent très fortement à nos méthodes de récolte. Plus c’est ouvert, plus ces plantes envahissantes peuvent s’infiltrer et peut-être nuire à la présence de nos espèces indigènes, lesquelles sont importantes pour nos ongulés et tout le reste.

La sénatrice Simons : Je pensais aux insectes, mais il y a des plantes aussi?

Mme Prescott : Tout y passe.

La sénatrice Duncan : Monsieur Thomas, j’aimerais savoir si vous faisiez allusion au projet de forêt expérimentale de Gunnar Nilsson et Mickey Lammers. Est-ce bien ce dont vous parliez en évoquant le projet de forêt expérimentale au Yukon?

Ma deuxième question est la suivante : madame Prescott et monsieur Thomas, êtes-vous au courant de recherches sur les sols au nord du 60e parallèle? Je vous remercie.

M. Thomas : Oui. C’est l’un des projets. Il y en a une série. J’ai travaillé au Yukon il y a maintenant plus de 10 ans, mais on y mène des recherches depuis longtemps. Quelques-uns des travaux portent sur les sols. On trouve, dans les Territoires du Nord-Ouest, une parcelle de forêt cartographiée qui englobe un ensemble complet d’inventaires des sols, en fonction des distributions spatiales de la variabilité naturelle des sols. Il y a donc des travaux au nord du 60e parallèle.

La sénatrice Duncan : Et où peut-on trouver ce document de recherche? Est-ce auprès du gouvernement fédéral ou du gouvernement territorial?

M. Thomas : Dans les Territoires du Nord-Ouest, je sais qu’il s’agit d’une étude menée par l’Université de Waterloo et quelques autres collaborateurs. Je ne sais pas trop où obtenir toute leur documentation, mais des travaux ont bel et bien été réalisés.

La sénatrice Duncan : Je vous remercie.

Le président : Merci, madame Prescott et monsieur Thomas, de votre participation aujourd’hui. Nous vous en sommes reconnaissants, et nous pouvons voir à quel point ce sujet vous passionne.

Nous allons maintenant entendre notre deuxième groupe de témoins. Nous recevons Al Mussell, directeur de la recherche à l’Institut canadien des politiques agroalimentaires, aussi connu sous l’acronyme ICPA. Nous accueillons également deux représentants d’Équiterre : Marc-André Viau, directeur des relations gouvernementales, et Carole-Anne Lapierre, analyste de l’agriculture et des systèmes alimentaires. Je vous invite à faire vos déclarations.

Nous commencerons par M. Mussell, puis ce sera au tour de M. Viau et de Mme Lapierre, qui feront une déclaration commune.

Monsieur Mussell, vous disposez de cinq minutes, et il en va de même pour la déclaration commune. Comme d’habitude, je vous ferai signe lorsqu’il ne vous restera qu’une minute, auquel cas il vous faudra conclure. Sur ce, monsieur Mussell, je vous cède la parole.

Al Mussell, directeur, Recherche, Institut canadien des politiques agroalimentaires :

Monsieur le président et honorables sénateurs, je suis heureux de comparaître devant vous ce soir pour vous faire part de mon point de vue en tant que chercheur indépendant, en m’appuyant sur le travail de mes collègues de l’Institut canadien des politiques agroalimentaires.

Le Canada s’est engagé dans un ambitieux programme de lutte contre les changements climatiques, et l’agriculture en est un élément essentiel. Comme d’autres secteurs, l’agriculture canadienne a la possibilité d’explorer les moyens de réduire ses émissions de gaz à effet de serre, mais contrairement à d’autres secteurs, l’agriculture a la capacité de séquestrer le carbone de l’atmosphère dans les sols pour un stockage à long terme. À ce titre, l’un des aspects de la santé des sols est l’atténuation des changements climatiques, entre autres, grâce à la capacité de rétention d’humidité.

En plus de jouer un rôle actif dans la lutte contre les changements climatiques, le secteur canadien de l’agriculture produit des denrées alimentaires de haute qualité destinées à être exportées dans le monde entier pour aider à répondre aux besoins criants de sécurité alimentaire.

L’agriculture contribue à environ 8 % des émissions de gaz à effet de serre du Canada, réparties presque également entre les systèmes de culture et d’élevage, deux activités qui ont lieu au‑dessus du sol — des environnements vivants et dynamiques composés de fractions minérales, de biomasse en voie de dégradation et de microbes. Les plantes agricoles contiennent environ 40 à 50 % de carbone, et leur croissance se fait généralement tant au-dessus qu’en dessous de la surface du sol.

À la fin du cycle de vie d’une plante, les microbes contribuent à la décomposition de la biomasse et libèrent dans l’atmosphère le carbone des résidus en surface, tandis que les résidus souterrains sont incorporés dans le réservoir de carbone organique du sol. Ce carbone organique du sol est stable, sauf s’il est perturbé, par exemple, par le travail du sol. Les réserves stables de carbone, conjuguées à des pratiques de gestion agricole éprouvées, sont compatibles avec l’objectif mondial visant à accroître de « 4 pour 1000 » la teneur des sols en carbone organique.

Toutefois, il y a des défis importants à relever. À l’échelle mondiale, nous traversons une période de pénurie alimentaire qui pourrait nous obliger à faire des compromis entre la conservation des sols et les besoins immédiats liés à la faim. Pour que les pratiques favorisant la santé des sols soient durables, les revenus et les investissements des agriculteurs doivent l’être aussi. La principale source de croissance de la production doit être l’intensification durable, qui consiste à produire de façon plus durable à partir de la même empreinte agricole.

D’un autre côté, l’extensification des terres agricoles générera des émissions épisodiques de gaz à effet de serre en raison de la conversion des terres à des fins d’agriculture, en plus d’exacerber les inquiétudes en matière de biodiversité. À cela s’ajoute une autre préoccupation connexe : les prix élevés des cultures feront en sorte que les prairies utilisées pour le pâturage soient converties en terres de cultures annuelles.

De nouvelles recherches nous permettent de mieux comprendre le fait que les animaux d’élevage — en particulier les ruminants tels que les bovins, les moutons et les chèvres — sont essentiels à la santé à long terme des sols. Les émissions de méthane provenant du bétail sont un sujet de préoccupation. Toutefois, selon des recherches menées récemment à Oxford et à l’Université de Californie, à Davis, les émissions de méthane provenant des ruminants sont fondamentalement différentes des émissions de méthane dues à l’extraction et à la combustion des combustibles fossiles. En fait, une population stable de ruminants contribue à stabiliser les concentrations de méthane dans l’atmosphère.

Il s’agit d’une découverte importante, car les prairies constituent un puits de carbone essentiel et elles sont indispensables à la biodiversité. La viabilité économique des prairies dépend donc du pâturage des animaux.

Les pratiques existantes, notamment les méthodes de culture sans labour dans l’Ouest canadien, ont déjà permis de séquestrer de grandes quantités de carbone. Il sera donc difficile d’obtenir une séquestration supplémentaire. On trouve plus de possibilités pour l’application de ces pratiques et la séquestration dans l’Est du Canada, mais l’éventail de cultures et les types de sols rendent l’adoption plus difficile, et la superficie cultivée est beaucoup plus petite.

D’autres pratiques de gestion bénéfiques éventuelles ont des effets variables. Par exemple, le travail du sol est l’un des rares moyens dont nous disposons pour lutter contre certaines mauvaises herbes. Le passage à un système de travail réduit du sol ou à un système de culture sans labour exige généralement une plus grande dépendance à l’égard des herbicides chimiques. Ainsi, les lacunes en matière d’accès aux herbicides ou le manque d’innovation dans les nouveaux produits herbicides peuvent constituer un obstacle à l’adoption de pratiques de culture sans labour et exacerber les problèmes attribuables à la résistance des mauvaises herbes.

Certes, les effets des pesticides doivent être adéquatement limités à des sites et à des espèces cibles, mais nous devons reconnaître qu’ils demeurent un outil essentiel pour la santé et la conservation des sols.

Les engrais constituent également un élément essentiel pour la santé et la fertilité des sols. En l’absence d’engrais chimiques azotés, il est possible d’accroître le rendement des cultures par l’amendement du sol au moyen de solutions de rechange qui se limitent aux déjections du bétail, aux déchets d’origine humaine et aux rotations de cultures contenant des légumineuses.

Cependant, un chercheur de l’Université du Manitoba, Vaclav Smil, a constaté que la production de protéines alimentaires est limitée sans supplément d’azote chimique. Le professeur Smil estime que, de nos jours, environ 40 % des humains dépendent des engrais chimiques azotés pour leur subsistance. Cela ne veut pas dire que les autres pratiques régénératrices ne sont pas avantageuses ni qu’il est impossible d’améliorer la manipulation et l’application des engrais chimiques. C’est plutôt une mise en garde contre les approches réductrices, simplistes ou soudaines qui visent à transformer la façon dont nous utilisons les engrais chimiques azotés.

Je terminerai par quelques observations sur la façon dont le gouvernement peut jouer un rôle essentiel dans l’orientation des pratiques favorisant la santé des sols. Les gouvernements fédéral et provinciaux doivent coordonner leurs efforts, car une bonne partie des ressources locales destinées à la mise en œuvre relèvent des gouvernements provinciaux.

Les marchés du carbone — plus précisément les crédits compensatoires pour la séquestration du carbone dans les sols agricoles — doivent être améliorés davantage sur le plan de la permanence, du coût de la validation et de la vérification, et de la crédibilité reconnue des systèmes commerciaux. Grâce à une aide pour absorber les coûts en capital et les frais d’exploitation liés aux pratiques de gestion bénéfiques pour la santé des sols, les producteurs pourront les adopter plus facilement.

Les agriculteurs doivent avoir accès à l’infrastructure qui appuie l’adoption de pratiques favorisant la santé des sols; par exemple, il sera important de mettre au point et d’homologuer des pesticides sûrs et efficaces au Canada pour accroître et maintenir les terres gérées sans labour.

Il est nécessaire de mener des recherches approfondies pour mieux comprendre la santé des sols. Il faut notamment des recherches sur l’agronomie, la science des émissions, la résilience, les facteurs économiques et les politiques pour mettre en évidence les diverses façons dont nous pouvons mieux travailler ensemble afin d’obtenir d’importants résultats favorables à la santé des sols.

Notre planète est à la croisée des chemins. Nous devons composer avec les conséquences tangibles des changements climatiques, en plus de faire face à une crise énergétique, à une crise alimentaire et à des bouleversements et conflits géopolitiques. Le Canada a beaucoup à offrir au monde grâce à la diversité et à l’étendue de ses ressources agricoles et en tant que gardien exemplaire de ces ressources.

Je vous remercie. Je serai heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci, monsieur Mussell. Nous allons maintenant entendre M. Viau et Mme Lapierre, tous deux d’Équiterre. La parole est à vous.

[Français]

Marc-André Viau, directeur, Relations gouvernementales, Équiterre : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs membres du comité, merci de nous recevoir ici aujourd’hui dans le cadre de votre étude sur l’état de la santé des sols au Canada.

Je m’appelle Marc-André Viau, je suis directeur des relations gouvernementales chez Équiterre. Je vais partager mon temps de parole avec Mme Lapierre.

Avant d’entrer dans le détail des recommandations, j’aimerais remercier tous les sénateurs, et particulièrement M. le président, d’avoir pris l’initiative d’entreprendre cette étude.

Je vais dire quelques mots sur notre organisation pour commencer. Nous sommes une organisation non gouvernementale environnementale qui compte plus de 150 000 membres et sympathisants. On intervient depuis bientôt 30 ans dans les débats liés à l’agriculture et à l’alimentation, au transport et à la mobilité, et aux politiques climatiques et énergétiques au Québec et dans le reste du Canada. Cela représente les piliers de notre action environnementale.

Il y a 25 ans, nous avons créé le Réseau des fermiers de famille, le plus vaste réseau au monde d’agriculture soutenue par la communauté. Nous sommes membres de plusieurs coalitions, dont la coalition Fermiers pour la transition climatique et la Coalition pour un budget vert.

L’année dernière, nous avons publié un rapport sur la santé des sols, en collaboration avec la fondation Greenbelt de l’Ontario, intitulé Le pouvoir des sols : une feuille de route au profit des agriculteurs et de la résilience climatique.

Je serai heureux de déposer officiellement ce rapport, qui est disponible dans les deux langues officielles, auprès du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts afin que tous les membres du comité puissent le lire.

Nous allons vous renvoyer au contenu de ce rapport au cours de notre témoignage et nous croyons qu’il pourra vous être utile pour la suite des choses.

Je passe maintenant la parole à ma collègue, Carole-Anne Lapierre.

Carole-Anne Lapierre, analyste, Agriculture et systèmes alimentaires, Équiterre : Merci, Marc-André.

Bonsoir à tous.

Je suis agronome et analyste d’agriculture et des systèmes alimentaires chez Équiterre. Je vous remercie de nous recevoir aujourd’hui.

Dans le cadre de notre travail, ces dernières années, nous avons observé une augmentation marquée de l’intérêt pour la santé des sols en milieu agricole, au sein du gouvernement fédéral, comme en fait foi l’Énoncé de Guelph et les grandes entreprises, dont McCain, Weston, etc.

Dans une optique où tout le monde s’empare de cet enjeu, il faut s’assurer d’avoir des balises claires de ce qu’est la définition de sols en santé. À notre sens, il faut aussi s’assurer d’avoir une vision systémique à l’échelle de chaque ferme. Pourquoi?

Chacune des pratiques culturales bénéfiques à la santé des sols offre divers effets, comme augmenter la matière organique et la biodiversité du sol. C’est la somme des effets de ces pratiques qui permet de capturer tous les avantages possibles pour la santé des sols : une réduction de l’érosion, une meilleure gestion de l’eau, un fonctionnement adéquat des cycles écologiques des nutriments menant à un besoin réduit de pesticides et fertilisants. Tout cela mis ensemble se solde par des sols plus productifs à moindre coût, donc des fermes plus résilientes, qui luttent contre les changements climatiques et s’adaptent à leurs effets.

C’est donc un ensemble de pratiques adaptées à chaque ferme qui doit être considéré, et c’est ce que nous démontrons dans notre rapport Le pouvoir des sols.

Une approche systémique réussie, à la ferme, doit reposer sur des politiques et programmes fédéraux et provinciaux qui sont orientés de façon cohérente vers la santé des sols, et qui sont suffisamment financés pour être à la hauteur de l’ambition requise. À titre indicatif, les États-Unis et l’Union européenne ont des budgets de 13 à 73 fois plus élevés que le Canada pour les programmes agroenvironnementaux.

En définitive, ce sont la diversité des pratiques et la vision systémique qui sont synonymes de résilience. Une bonne nouvelle : des mesures concrètes existent et peuvent être mises en place rapidement pour avoir un impact à court terme.

D’abord, nous proposons un nouveau programme de gestion des risques appelé Agri-résilience, qui récompenserait l’innovation et l’adoption de pratiques agricoles plus résilientes aidant à réduire le risque climatique.

Il faut également prioriser la santé des sols dans l’ensemble des stratégies et politiques, incluant le prochain cadre stratégique.

Nous serions heureux de vous partager notre mémoire à ce sujet. Nous y mentionnons le potentiel des mesures d’écoconditionnalité ainsi que l’importance du plan environnemental à la ferme comme outil de suivi de la santé des sols au Canada.

Ensuite, il importe d’améliorer les connaissances en matière de santé des sols. Ainsi, l’adoption de nouvelles pratiques à la ferme exige la disponibilité d’outils efficaces d’apprentissage et de partage d’information développés par et pour les agriculteurs, comme la formation par les pairs. Également, il est capital de réinvestir dans la recherche et dans les services-conseils non liés à l’industrie de la vente d’intrants, par exemple en subventionnant les clubs conseils en agroenvironnement. Finalement, il est crucial de conserver et préserver les terres agricoles et les milieux naturels, qui sont de vastes puits naturels de séquestration du carbone offrant de multiples biens et services écologiques.

En ce qui concerne le troisième objectif de votre étude, nous effectuons une revue de la littérature au sujet du lien entre la santé des sols et la santé humaine. Les données préliminaires montrent que des sols en santé influencent positivement la santé physique, notamment par la disponibilité des micronutriments et des bactéries bénéfiques. Le lien direct entre la santé des sols et la santé mentale reste à approfondir, mais les études soulignent l’enjeu du bien-être des agriculteurs.

De plus, la pandémie a révélé les limites des chaînes d’approvisionnement mondialisées. L’augmentation des aléas climatiques déstabilise la production agricole et ces phénomènes fragilisent notre sécurité alimentaire. Ces constats et les enjeux de santé humaine et environnementale suggèrent que nous revoyions notre système agricole afin d’augmenter l’autonomie alimentaire saine et durable au pays. Cela passe par une production agricole bénéfique pour la santé, tant dans le choix des cultures que dans les méthodes culturales, tout en évitant de perdre des nutriments par la surtransformation des aliments entre la terre et l’assiette.

Finalement, il faudra soutenir la diversification de cultures à la ferme pour ses multiples avantages agronomiques et de résilience, tout en s’assurant la disponibilité dans les différentes régions d’infrastructures pour la mise en marché, notamment les centres de grains et abattoirs de proximité.

Je vous remercie pour votre temps. Je répondrai avec plaisir à vos questions.

[Traduction]

Le président : Je vous remercie beaucoup de vos exposés.

Monsieur Viau, les versions française et anglaise de votre rapport se trouvent déjà sur notre site de partage. Nous avons donc déjà reçu votre rapport. Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Je vais tout d’abord m’adresser à M. Mussell.

La question de savoir comment mettre en place un marché du carbone qui soit vérifiable est, je pense, très complexe, mais il est évident que l’on ne peut pas accorder de valeur à des certificats ou qu’il ne peut y avoir un quelconque échange si l’on ne peut pas vérifier qu’une certaine quantité de carbone est bel et bien représentée par ces certificats.

Je me demande comment nous pouvons, à votre avis, mettre un marché en place. Doit-il s’agir d’un marché national ou fédéral? Peut-il s’agir d’un marché provincial? Comment pouvons-nous établir quelque chose qui permette d’avoir des échanges qui ne soient pas théoriques?

M. Mussell : Pour répondre à votre question, je pense tout d’abord qu’il s’agit d’une question de crédibilité et qu’il faut comprendre que les sols agricoles peuvent séquestrer le carbone. Toutefois, la manière dont cela se produit varie en fonction du type de sol, de la rotation des cultures, du drainage, de la chaleur pendant la saison de croissance en général et de l’activité microbienne dans le sol, ce qui est généralement lié positivement à la température et négativement à l’eau contenue dans le sol.

Il me semble donc que la première étape consiste à définir un ensemble de paramètres — probablement assez complexes — qui nous permettent de dire que si un agriculteur adopte telles pratiques, nous avons l’assurance qu’une quantité donnée de carbone a effectivement été fixée. Ce sera compliqué, et c’est compliqué sur le plan de la science et de l’agronomie, et je suis sûr que mes collègues ici en témoigneront, mais quelqu’un doit également pouvoir intervenir et donner cette crédibilité, et c’est un rôle que le gouvernement peut jouer.

En ce qui concerne l’étendue du marché, en général, plus il inclut de provinces, plus les liquidités, l’intérêt et l’efficacité augmentent. Si l’on peut faire en sorte que les provinces s’entendent sur des normes, je pense que le marché deviendra très important, car une grande partie de ce dont nous parlons ici, je pense, relève de la compétence provinciale, peut-être, comme de la compétence fédérale.

Je vais m’arrêter là. Plus c’est vaste, mieux c’est, mais tout le monde doit s’entendre.

[Français]

La sénatrice Simons : Je peux poser ma question en français, mais pour moi c’est plus facile de la poser en anglais.

[Traduction]

En fait, je vais essayer. Madame Lapierre, je me demande si vous pouvez nous en dire plus au sujet du lien entre la santé des sols et la santé physique et mentale chez les humains.

[Français]

Mme Lapierre : En ce qui concerne la santé des sols, le lien avec la santé mentale n’est pas encore très étudié. J’ai donc peu de détails supplémentaires à vous donner. Pour ce qui est de la santé des sols relativement à la santé physique chez les humains, on constate que les plantes qui poussent dans des sols en santé ont une plus grande densité nutritive. Pour le même volume de plantes, on obtient plus de nutriments, notamment des micronutriments.

Alors que les données à l’échelle mondiale pointent vers la malnutrition et l’insécurité alimentaire attribuables au fait qu’il y a un début de carence en micronutriments, des sols en santé permettent d’amoindrir cet effet. De plus, les animaux qui se nourrissent de plantes ayant poussé dans des sols en santé ont également un meilleur profil sur le plan des gras qui sont ensuite consommés par les humains. Parallèlement aux nutriments, dans les plantes on trouvera davantage de composés organiques comme les antioxydants, qui sont bénéfiques pour la santé humaine.

Ce sont les liens les plus évidents que nous avons trouvés pour le moment.

La sénatrice Simons : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Klyne : Ma question s’adresse à M. Mussell.

Monsieur Mussell, étant donné que vous avez ce que j’appellerais une grande connaissance de l’agriculture à de nombreux égards, tout comme l’Institut canadien des politiques agroalimentaires, et étant donné que l’institut aide à assurer la croissance et la prospérité de l’industrie agroalimentaire pour les générations à venir, je veux vous parler d’un élément en particulier et vous demander votre avis.

Une chose qui est ressortie au cours des réunions de notre comité, c’est qu’il existe de nombreuses techniques que les agriculteurs peuvent mettre en œuvre pour améliorer la santé des sols, mais l’adoption de ces techniques tarde, elle tarde beaucoup dans certains cas.

Pourriez-vous donner au comité votre avis sur les méthodes que le gouvernement fédéral pourrait utiliser pour faire en sorte que plus d’agriculteurs adoptent des pratiques agricoles respectueuses des sols?

M. Mussell : Oui, merci. C’est une excellente question.

Nous avons de bonnes pratiques de gestion bénéfiques qui nous aident dans la fixation de carbone, et l’adoption de ces pratiques repose probablement sur la sensibilisation dans une certaine mesure. Je ne voudrais pas sous-estimer le fait que des coûts y sont associés.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, pour que les mesures que nous prenons pour lutter contre les changements climatiques soient durables, elles doivent être viables sur les plans financier et économique pour les gens. C’est là un aspect de la question.

Je pense que nous sous-estimons parfois — je ne sais pas si l’on veut parler ici de « persuasion morale », ou quel est le terme approprié — l’importance de demander aux gens de faire des choses, tout simplement. D’après ma compréhension du sujet, je pense que la plupart des agriculteurs aimeraient vraiment faire partie d’une solution. Je pense que cela leur tient à cœur, et il y a probablement des choses qu’ils peuvent faire et qui ne sont pas particulièrement difficiles. Ils ont peut-être simplement besoin qu’on leur demande de le faire ou qu’on leur fasse comprendre de quoi il s’agit et ce que cela comporte.

Le sénateur Klyne : Merci. Je pense que vous êtes un homme plutôt raisonnable.

Le sénateur Wells : Je tiens à remercier notre groupe de témoins pour son aide. J’ai une question sur la séquestration du carbone. Est-ce quelque chose qui est fait par l’effort? Est-ce quelque chose qui se fait au moyen de bonnes pratiques de gestion des forêts et des sols? En ce qui concerne la séquestration du carbone, en supposant que le carbone est dans le sol, dites-moi pourquoi c’est une bonne chose. Est-ce que c’est bon pour le sol, et que représente un bon sol par rapport à la quantité de carbone qu’il contient?

M. Mussell : Je pourrais peut-être commencer et laisser mes collègues intervenir par la suite.

En ce qui concerne la séquestration du carbone, il y a le matériel végétal sous la surface du sol qui est soumis à l’action des bactéries et d’autres types de microbes. S’il reste dans le sol sans être perturbé, il y reste. Il n’est pas émis dans l’atmosphère.

Les pratiques agricoles conventionnelles remontent à de nombreuses générations. Il suffit de penser au travail du sol. En se promenant en voiture au printemps, on verra parfois des champs cultivés très finement. Si on le fait, c’est qu’on veut que le sol se réchauffe. On veut un sol à texture très fine qui retiendra l’humidité, facilitera la germination, etc. Malheureusement, avec le temps — et je ne pense pas qu’il y ait de désaccord dans le milieu universitaire sur ce point —, le travail du sol détruit la structure du sol. Je ne pense pas que cette idée soit contestée.

Pourquoi l’avons-nous fait pendant des générations et pourquoi le faisons-nous encore? Eh bien, l’agriculture, c’est difficile. Il y a beaucoup de choses à prendre en compte. Par exemple, si l’on a des cultures fourragères vivaces, nous n’avons pas de bon moyen de faire la rotation des cultures, en fait, sans faire une sorte de travail du sol qui couperait les racines de sorte que nous puissions intégrer cela dans une autre culture. Bien sûr, la rotation des cultures est bénéfique en soi.

J’espère que je vous aide à comprendre que si l’on ne fait rien, la séquestration se produira. La difficulté réside dans la manière dont nous pratiquons l’agriculture et dont nous faisons pousser les cultures après coup et faisons en sorte que le carbone soit séquestré. Nous disposons de très bons outils pour ce faire, qui ont été largement adoptés dans l’Ouest canadien pour un certain nombre de bonnes raisons. Nous avons eu plus de difficultés à les adopter dans l’Est du Canada. Je peux vous donner plus d’explications à ce sujet, mais je devrais peut-être permettre à mes collègues d’intervenir si j’ai oublié quelque chose qu’ils aimeraient ajouter.

[Français]

Mme Lapierre : C’est très complet, mais j’aimerais quand même ajouter un ou deux commentaires. On met beaucoup l’accent sur la séquestration du carbone dans les sols. C’est vrai que c’est une mesure qui est importante. Cela va se solder par une augmentation de la matière organique. Quand on a plus de matière organique dans le sol, on a une meilleure structure, comme mon collègue l’a dit. On va avoir des agrégats qui vont se former et qui vont permettre deux choses : une meilleure porosité, une meilleure pénétration de l’air pour les racines et les micro-organismes ainsi qu’une meilleure pénétration de l’eau.

C’est vraiment utile : quand on parle de séquestration du carbone, on cherche beaucoup à lutter contre les changements climatiques, mais un sol en santé qui est mieux structuré va aussi nous aider à nous adapter aux changements climatiques. Pour le fermier, c’est très important dans son travail, pour sa résilience. Un sol qui est bien structuré, s’il y a trop d’eau, va permettre à l’eau de percoler pour qu’il ait suffisamment d’air afin que les cultures continuent à donner leur plein rendement. Si, à l’inverse, on manque d’eau, le sol est capable de garder une réserve d’eau suffisante. On peut penser à des sécheresses ou même à des vagues de chaleur; dans ces situations, on va profiter de cultures plus résilientes.

En ce qui concerne le labour, c’est aussi important pour le contrôle des mauvaises herbes. Effectivement, quand on passe en semis direct on finit souvent par recourir davantage aux herbicides, qui ont d’autres impacts. Pour chaque ferme, ce sera une combinaison différente qui assurera le meilleur équilibre entre les avantages et les inconvénients.

Aussi, en raison de notre climat nordique, le fait de labourer le sol avait pour effet qu’une portion plus pâle du sol était exposée. Cela favorisait l’assèchement du sol au printemps, quand le sol était froid. Donc, il faut se départir de cette pratique.

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à Mme Lapierre. Je suis en train de consulter le document Le pouvoir des sols.

Ma question porte sur cette section qui porte le titre « Pleins feux sur l’azote, “l’éléphant dans la pièce” », où on mentionne que même si en agriculture, on accorde beaucoup d’importance au rôle du dioxyde de carbone — et on le fait dans nos questions, même aujourd’hui —, le document indique ce qui suit :

[...] dans les dérèglements climatiques, lorsqu’il est question d’agriculture, l’éléphant dans la pièce est plutôt l’oxyde nitreux. 70 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) liées à l’agriculture sont associées à la fabrication et à l’utilisation de fertilisants à base d’azote [...]

Pourquoi cette situation perdure-t-elle et quelles sont les solutions? De quoi avons-nous besoin? S’agit-il de plus d’éducation, de plus de réglementation et de contraintes? J’aimerais vous entendre là-dessus.

Mme Lapierre : Tout à fait, c’est vrai que le CO2 est comme la « vedette » des gaz à effet de serre, mais en agriculture, ce n’est pas la plus importante. Depuis la Seconde Guerre mondiale, on a voulu beaucoup augmenter la productivité. On peut avoir recours aux amendements organiques, donc au fumier des animaux, mais souvent on va compléter cela avec des engrais chimiques. Lorsqu’ils sont appliqués sur des sols agricoles, dans certaines conditions, soit en présence de sols gorgés d’eau, cela va créer une situation d’anoxie; donc, il n’y a pas d’oxygène. À ce moment, il va y avoir des émissions d’oxyde nitreux. D’une part, on peut essayer d’avoir moins besoin de ces engrais, mais dans un contexte de climat nordique et humide, comme c’est le cas pour une partie des provinces, même un sol en santé qui séquestre du carbone dans certains contextes émet quand même de l’oxyde nitreux. Le cycle biologique dans le sol a cet effet.

Je sais que le Canada a une cible de réduction des émissions de gaz à effet de serre liées aux engrais azotés. Le plan d’agriculture durable du Québec va un peu plus loin en fixant une cible de réduction de l’utilisation des engrais azotés, et non pas seulement des émissions. C’est un objectif qui est atteignable si on change les pratiques culturales pour des pratiques qui sont bénéfiques pour la santé des sols. On réussira à avoir une meilleure disponibilité des nutriments et pour une productivité égale, à avoir moins besoin d’engrais chimiques.

Lorsqu’on utilise des engrais chimiques, on peut tirailler, mais il faut penser aux quatre B : le bon engrais, la bonne dose, au bon moment et au bon emplacement. C’est la base des bonnes pratiques agronomiques à laquelle on va essayer d’ajouter des rotations diversifiées, des cultures de couverture, un travail réduit du sol, etc. Donc, ce sont d’autres pratiques. Si ces pratiques étaient davantage vulgarisées et transmises par des conseillers, s’il y avait plus d’effectifs sur le terrain, elles nécessiteraient des changements mineurs et payants à très court terme pour les agriculteurs, puisqu’ils utiliseraient moins d’engrais. Ils s’en rendraient compte rapidement. Cela permet de paver la voie et d’ouvrir la discussion. C’est une première pratique et ensuite, on peut en tester d’autres. Les avantages sont graduels.

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup.

[Traduction]

Le sénateur Cotter : Merci encore aux témoins de nous aider dans le cadre de cette étude. Ma question s’adresse principalement à M. Mussell. Pendant que vous parliez, j’ai jeté un coup d’œil aux travaux sur la séquestration que votre institut a menés. On y confirme certains renseignements et éléments de fait que nous avons entendus plus tôt quant à la mesure dans laquelle, en particulier dans les Prairies, des choses importantes ont été réalisées sur le plan de la séquestration dans le sol au cours des 20 à 30 dernières années, peut-être à un rythme plus faible au cours des dernières années, ce qui m’amène à me poser deux questions.

D’après ce que je comprends, ce qui a causé en partie le déclin du taux de réussite dans la séquestration du carbone est le passage à des cultures annuelles, qui sont vraisemblablement des cultures de plus grande valeur pour les agriculteurs. Ainsi, à certains égards, le marché — du moins, sur la base du prix de vente d’un boisseau de blé ou d’une autre culture — peut nuire à la réussite de ce projet de carboneutralité concernant la séquestration du carbone. Ma première question concerne donc la mesure dans laquelle les forces du marché aident ou parfois nuisent au succès lorsqu’il s’agit de la séquestration du carbone.

Permettez-moi de poser ma deuxième question avant que vous ne répondiez à la première. Nous essayons de réfléchir à la manière dont nous pourrions récompenser les producteurs agricoles pour leur contribution à ce programme national, et il y a eu des pionniers dans cette partie du pays. Ils n’étaient peut‑être pas motivés par des objectifs de politique publique particuliers, mais ils ont certainement — je ne veux pas dire « saturé » leur sol de carbone — progressé dans cette direction. Dans la mesure où nous mettons en place des mécanismes de récompense motivateurs, allons-nous en fait récompenser les retardataires et, d’une certaine manière, punir ceux qui ont déjà pris des mesures importantes?

M. Mussell : Oui. Merci.

Concernant votre première question, je pense que vous avez tout à fait raison. C’est préoccupant. Dans ma déclaration préliminaire, j’ai parlé de la crainte que les prix élevés des cultures n’entraînent la conversion de prairies qui sont utilisées pour le pâturage, en particulier dans l’Ouest canadien. Cette préoccupation est fondée. Si l’on a du canola à 1 000 $ la tonne, cela peut faire disparaître beaucoup de pâturages. C’est un problème difficile. Je ne pense pas que ce soit la faute de qui que ce soit en particulier.

Nous demandons aux agriculteurs de réagir aux signaux du marché. Le défi consiste à déterminer ce que nous intégrons dans ces signaux du marché. Comment cela fonctionne-t-il dans des cas comme celui-ci? Quoi qu’il en soit, vous avez raison. J’irais même plus loin en disant que cela se produira davantage à mesure que nous nous enfoncerons dans une crise alimentaire et énergétique. Il pourrait y avoir d’autres préoccupations à ce sujet.

Votre deuxième question soulève un éternel problème de politique publique, à savoir qu’il y a des gens qui, de leur propre gré, l’ont fait initialement, bien que personne ne leur ait demandé de le faire. Maintenant, nous récompensons les autres, les retardataires, pour ainsi dire.

Je n’ai pas de bonne réponse. Ce serait bien si nous pouvions traiter les gens de manière équitable par des politiques pour faire avancer les choses quant à ces gros problèmes liés aux mesures collectives, mais je n’ai pas de solution claire à cet égard.

Le sénateur Marwah : Ma question s’adresse à M. Mussell. Je me réfère ici au rapport qui a été publié par l’Institut canadien des politiques agroalimentaires en mars de cette année et qui porte sur l’agroalimentaire et le commerce. L’un des principaux points à retenir de votre étude est le suivant :

Les priorités du Canada en matière de politique agroalimentaire semblent reposer à la fois sur la volonté [...] de maintenir en grande partie le statu quo et [...] d’opérer un virage fortement axé sur les changements climatiques et la main-d’œuvre dans le secteur agroalimentaire.

Êtes-vous de cet avis concernant les politiques publiques? Pensez-vous que l’accent devrait être mis plus ou moins sur un aspect? C’est que vos recommandations étaient davantage axées sur le commerce que sur les changements climatiques ou l’établissement d’un équilibre avec d’autres éléments de la politique alimentaire. Je dois toutefois admettre que vos recommandations sur le commerce sont très réfléchies et j’espère que quelqu’un les suivra.

M. Mussell : Je vous remercie de la question.

Nous sommes confrontés à un dilemme. Nous devons faire face au contexte qui se présente à nous. Sans vouloir dramatiser les choses, nous sommes à un certain stade — je ne pense pas que nous sachions encore lequel — d’une crise alimentaire mondiale ainsi que d’une crise énergétique mondiale. Les deux se recoupent étroitement.

Si le point de départ en matière de politique agricole — comme on le mentionne dans le rapport auquel vous faites référence — est de parler des changements climatiques, de la main-d’œuvre et de certains des problèmes de l’année dernière ou des décennies précédentes sans tenir compte de ce que je considère aujourd’hui comme un problème de pénurie et de l’inquiétude que suscite le fait que les pays sont tout à fait prêts à recourir à des politiques commerciales et à d’autres types d’actions géopolitiques pour garantir l’approvisionnement alimentaire de leurs propres populations, car ils sont préoccupés par les pénuries, alors c’est une autre dimension qu’il faut inclure dans nos politiques agricoles.

Je serai bref compte tenu du temps à notre disposition. Notre politique agricole actuelle découle en grande partie de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle la grande préoccupation en matière de politiques était que la productivité de l’agriculture évolue plus rapidement que la demande. Les prix et les revenus agricoles seraient faibles et il n’y aurait pas d’investissements dans l’efficacité et il y aurait des gens pauvres à la campagne. La situation change en temps réel. Il ne s’agit pas seulement d’inflation alimentaire, mais aussi d’inflation énergétique. Il y aura tout simplement des gens affamés dans le monde, malheureusement, ce qui en témoigne.

Le sénateur Marwah : Merci.

Le président : J’ai deux ou trois questions sur lesquelles j’aimerais entendre M. Mussell et les représentants d’Équiterre.

J’ai entendu dire que les questions relatives à la santé des sols et ce rapport devraient peut-être être destinés à un autre ministère du gouvernement que le ministère de l’Agriculture, car lorsque vient le temps d’agir, l’économie l’emportera toujours. Comme vous l’avez dit, monsieur Mussell, nous allons convertir des pâturages pour cultiver plus de canola ou toute autre culture. Qu’en pensez-vous?

Commençons par M. Viau.

[Français]

M. Viau : Je pense qu’Agrigulture et Agroalimentaire Canada et Environnement et Changement climatique Canada doivent travailler ensemble. La santé des sols a sa place dans le domaine de l’agriculture, mais elle doit aussi avoir sa place dans le domaine de l’environnement. Donc, la question n’est pas de savoir où se situe la santé du sol, dans quel ministère se trouve la responsabilité de la santé des sols, mais bien de savoir comment chaque ministère s’attribue la responsabilité de protéger cette ressource. La santé des sols peut être traitée autant par le ministère de l’Environnement que par celui de l’Agriculture. L’important est que les deux ministères se parlent et qu’ils aient des objectifs communs.

Je pense que dans le cadre des plans, comme le Plan de réduction des émissions pour 2030, où on trouve des stratégies qui sont mises en œuvre de façon collaborative entre les différents ministères, mais sous l’égide d’Environnement et Changement climatique Canada, on obtient un potentiel qui est bénéfique.

Maintenant, il faut que l’ensemble des choses se matérialise, comme je le dis, que ce soit pour la santé des sols ou pour les autres affaires environnementales; c’est un effort de l’ensemble des ministères et du gouvernement, ce n’est pas la responsabilité d’un seul ministère.

[Traduction]

M. Mussell : Je vous répondrais qu’il y aura toujours des gens qui diront qu’il y a des mesures de conservation particulières que nous ne pouvons pas nous permettre de prendre. Dans certains cas, c’est peut-être vrai. Nous devons également penser au fait que nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas agir. Nous devons créer l’espace.

Encore une fois, je ne veux pas dramatiser notre situation actuelle, mais je pense que le monde traverse actuellement une période difficile. Il y a beaucoup de pressions. Lorsqu’il y a des conflits, des famines et des problèmes dans l’approvisionnement énergétique, ils risquent de s’étendre sur plusieurs années. Nous sommes dans une situation difficile.

De nombreuses pressions s’exercent sur le système pour qu’il produise simplement le plus possible. Nul doute que nous devons produire, mais nous devons le faire de manière à ne pas sacrifier nos capacités à l’avenir. Pour ce faire, nous allons devoir faire des choix de politique publique. Nous ne pouvons pas nous permettre de ne pas agir, mais nous devons prendre de bonnes décisions en fonction du contexte.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Je pense que vous étiez tous à l’écoute lorsque notre groupe de témoins précédent a comparu. Mme Prescott nous a dit, et c’était une bonne nouvelle à mon avis, qu’une prairie bien gérée peut séquestrer une plus grande quantité de carbone qu’une forêt. On met souvent l’accent sur la plantation d’arbres lorsqu’on parle de la séquestration du carbone.

Je me demande si vous pouvez parler d’un sujet que vous avez abordé dans votre déclaration préliminaire, soit la bonne gestion des prairies. Comment concilier les objectifs d’une bonne gestion des prairies et les objectifs du pâturage? Ou bien une prairie bien gérée est-elle une prairie où il n’y a pas de pâturage?

M. Mussell : Je veux d’abord dire que je souscris à l’évaluation de Mme Prescott. Son expertise en la matière est plus grande que la mienne, mais c’est aussi la façon dont je comprends les choses.

Désolé, mais j’ai un peu perdu le fil avec la seconde partie de votre question.

La sénatrice Simons : Vous parliez du bétail, du mouton et du pâturage. À mes yeux, le recours à une technique de pâturage efficace peut en fait être bénéfique pour la santé de la prairie.

M. Mussell : Certainement.

La sénatrice Simons : Le broutage excessif des pâturages peut toutefois être problématique. On souhaite éviter en outre de voir les prairies être polluées par les effluents d’une mine de charbon si, par exemple, le gouvernement de votre province est ouvert à l’exploitation de telles mines en amont de votre exploitation. Comment pouvons-nous protéger les prairies pour en faire une utilisation optimale?

M. Mussell : Une gestion efficiente des prairies peut vraiment faire une différence énorme. Je me souviens d’une étude désormais célèbre — qui doit remonter à une dizaine d’années — qui a été menée en Nouvelle-Zélande. On a alors réussi à démontrer que l’agneau de lait de Nouvelle-Zélande vendu au Royaume-Uni avait une empreinte carbone inférieure à celle de l’agneau élevé sur place au Royaume-Uni. On se demande vraiment comment cela peut être possible. Comme la Nouvelle-Zélande n’est pas un très grand pays, elle doit gérer ses ressources de façon très rigoureuse, et c’est exactement ce qu’elle fait, comme cette étude l’a démontré. Cela vous donne une petite idée de la grande différence que peut faire une bonne gestion des prairies.

Je me souviens maintenant de la seconde partie de votre question. Vous vouliez savoir ce qui se passe avec une prairie où il n’y a pas de pâturage. Il faut d’abord préciser que c’est très difficile à réaliser, car il y aura toujours des espèces sauvages. On n’a qu’à penser à tous ces bisons qui broutaient dans les prairies de l’Ouest canadien. D’ailleurs, des recherches menées à l’Université de la Californie, Davis, ont cherché à comparer le cheptel actuel de vaches au cheptel historique de bisons dans les plaines intérieures des États-Unis. On voulait faire valoir que, malgré certaines différences, les deux avaient une incidence assez proportionnelle. Il y aura donc toujours des bêtes en pâturage.

Je peux aussi vous parler d’essais à long terme effectués à l’Université de l’Alberta dans le but de mesurer les émissions en provenance de parcelles de prairie clôturées pour éviter le pâturage. D’après ce que j’ai pu comprendre, les herbes ainsi mises à l’abri finissent par s’écraser. Une fois cet état de verse atteint — et je crois que Mme Lapierre en a parlé précédemment —, la parcelle libère des oxydes nitreux et d’autres gaz à effet de serre. Je pense donc que ce n’est pas nécessairement une bonne idée d’essayer de gérer des prairies sans bêtes en pâturage, qu’il s’agisse d’animaux d’élevage ou sauvages — et je ne sais pas comment on peut s’imaginer contrôler les espèces sauvages.

La sénatrice Simons : Oui, et c’est vrai aussi bien pour le bétail que pour le bison, le wapiti et les autres espèces.

M. Mussell : Oui. Bien sûr, lorsque l’objectif est la conversion de l’herbe et des autres nutriments en acides aminés et en protéines digestibles pour l’homme, il est plus facile de le faire avec des animaux d’élevage qu’avec des espèces sauvages.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Viau et potentiellement à Mme Lapierre. Je regardais la transition vers des pratiques qui favoriseraient davantage la santé des sols et les différents obstacles que cela représente.

On parle souvent des obstacles auxquels on peut faire face au moyen de l’éducation et des changements d’attitude et de comportements, dans certains cas, mais je constate aussi plusieurs obstacles relatifs aux considérations économiques, comme le fait de changer d’équipements, de faire de nouvelles acquisitions, de prendre en compte des coûts d’achat ou de transition. Il peut y avoir des pertes de productivité en ce qui a trait à l’agriculture.

Qu’est-ce qu’on fait pour gérer cela? Qu’est-ce que cela peut représenter? Tout à l’heure, quelqu’un a parlé de certains pays qui investissent de 13 à 60 fois plus que nous. Quelles sont les pistes de solution qu’on pourrait emprunter du point de vue économique?

M. Viau : Merci beaucoup de votre question. Il y a effectivement de nombreux obstacles à la transition. C’est pourquoi, dans nos pistes de solution, on a beaucoup mis de l’avant les outils économiques qui peuvent aider.

Comme ma collègue l’a mentionné tantôt, cette transition peut souvent être perçue comme risquée, quand on a les mêmes façons de fonctionner et qu’on a une certaine prévisibilité, même si les aléas climatiques font en sorte qu’on n’aura pas toujours les mêmes rendements. On voit dans nos études que, lorsqu’on fait la transition vers les meilleures pratiques, on obtient des résultats qui sont semblables ou encore plus élevés. Toutefois, il y a un risque : on plante et on récolte une fois par année, alors on veut s’assurer d’obtenir un rendement.

Parmi les obstacles, il y a les coûts d’équipement. Aussi, si on veut décarboniser la machinerie, on doit avoir accès à un réseau électrique. Parfois, dans les secteurs agricoles, on n’est pas branché au réseau hydroélectrique, par exemple au Québec, parce qu’on n’a pas accès à un réseau triphasé qui permet d’avoir une électricité assez puissante pour faire fonctionner les investissements. Ça prend des investissements gouvernementaux pour avoir accès à cela.

De plus, certains changements de pratique font en sorte qu’on subit des pertes de superficie. Il faut compenser ces pertes, parce que des pertes de superficie équivalent à des pertes de rendement. Si on compense ces pertes de superficie en matière de culture le temps d’assurer une stabilité des revenus — parce qu’il y aura des zones tampons, parce qu’on va aller vers l’agroforesterie, par exemple —, on pourra ensuite amorcer une transition réaliste.

Peut-être que Mme Lapierre a des éléments à ajouter pour compléter ma réponse.

Mme Lapierre : Je peux donner des exemples concrets. En ce qui concerne les pratiques, il s’agit d’étudier la rentabilité des pratiques dans différents contextes, et ensuite de faire une vulgarisation auprès des agriculteurs; mais ce n’est pas suffisant. Il faut des investissements pour commencer à faire tourner la roue, et c’est là qu’entre en jeu le rôle des gouvernements. Il y a différentes interventions qui peuvent contribuer à faciliter cette transition, parce qu’à part les pratiques d’intendance environnementale, il y a plusieurs pratiques qui génèrent un retour sur l’investissement. Les investissements vont finir par être rentabilisés, soit en diminuant les coûts de production ou en augmentant la productivité.

Cependant, des subventions bien ciblées, soit pour permettre à un agriculteur de faire un test tout simple ou pour commencer à se faire la main, vont éliminer cet obstacle.

Il y a un programme au Québec qui s’appelle Prime-Vert, qui aide à financer l’achat d’équipements et qui fournit un soutien agronomique pour pouvoir tester les méthodes avant de les étendre à tous les champs. Cela diminue le risque.

Les programmes de gestion de risque à la ferme doivent aussi être adaptés. On peut offrir des rabais à l’assurance récolte, si on met en œuvre de nouvelles pratiques, ou au contraire un programme qui va soutenir le risque lié à l’adoption de nouvelles pratiques ou de nouvelles cultures sans pénaliser l’agriculteur qui voudra faire des changements.

Le sénateur Mockler : Je veux aussi parler de votre vision. L’organisme Équiterre a une très bonne réputation et agit sans doute à titre de leader en ce qui a trait à plusieurs dossiers partout au Canada.

Ma question concerne le rôle des gouvernements, de l’industrie et du secteur environnemental relativement aux pistes de solutions visant les meilleures pratiques pour la qualité de nos sols.

Croyez-vous que le fait de semer deux milliards d’arbres à travers le pays est une piste de solution pour le changement climatique et pour la séquestration du carbone?

M. Viau : Je vais donner un début de réponse. Nous ne sommes pas des spécialistes du domaine de la plantation d’arbres. Nous sommes davantage spécialisés dans le domaine agricole; nous commençons à nous intéresser davantage à l’agroforesterie. Parmi tout ce qu’on voit et ce qu’on étudie, et ce sur quoi on travaille avec nos partenaires, oui, la plantation d’arbres a un impact. Il y a eu des discussions dans ce panel et dans le précédent sur le pouvoir de captation des prairies par rapport à la captation des forêts.

Le pays et les sols sont tellement diversifiés qu’on ne peut pas décider de planter des arbres ou des érables partout au pays, dans toutes les provinces et toutes les régions du Canada, et s’attendre à ce que cela ait le même impact. Non, car les impacts seront différents selon les essences d’arbres et selon les différentes régions du pays.

Oui, la plantation d’arbres est un outil utile qui doit être utilisé, mais il faut s’assurer de la faire au bon endroit. Il faut aussi s’assurer d’utiliser les bonnes essences. Cela prend beaucoup de planification pour arriver aux meilleurs résultats possibles. Il y a une combinaison des arbres et des sols qui peut faire en sorte qu’on va maximiser la captation de carbone au Canada.

[Traduction]

Le président : Merci beaucoup. Comme il n’y a pas d’autre question, je vais vous remercier, monsieur Mussel, monsieur Viau et madame Lapierre, pour votre participation à notre séance de ce soir. Nous vous sommes vraiment reconnaissants pour le temps que vous nous avez consacré et pour votre contribution à la poursuite de notre étude.

Je tiens aussi à remercier mes collègues ici présents pour leur participation active et leurs questions très pertinentes. Comme toujours, je veux aussi remercier le personnel du Sénat et tous ceux qui ont contribué au bon déroulement de cette réunion : les interprètes, l’équipe de transcription, la personne préposée à la salle de comité, les gens des services multimédias, l’équipe de diffusion, le centre d’enregistrement, la Direction des services d’information et nos pages.

Notre prochaine réunion aura lieu le jeudi 27 octobre, à 9 heures. Nous entendrons alors d’autres témoins experts en conservation aux fins de la présente étude.

(La séance est levée.)

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