LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 27 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 59 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Je voudrais d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux personnes qui suivent nos délibérations en ligne. Je m’appelle Robert Black. Je suis un sénateur de l’Ontario et je préside le comité.
Ce matin, le comité se réunit afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada. Avant de céder la parole aux témoins, je voudrais d’abord demander aux sénateurs autour de la table de se présenter, en commençant par notre vice-présidente.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice M. Deacon : Marty Deacon, de l’Ontario.
Le sénateur Mockler : Percy Mockler, du Nouveau-Brunswick.
Le sénateur Klyne : Bonjour, et bienvenue à nos invités. Je suis le sénateur Marty Klyne, du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan.
Le sénateur Marwah : Bonjour. Je suis le sénateur Sabi Marwah, de l’Ontario.
Le sénateur Cotter : Bonjour. Je suis le sénateur Brent Cotter, de la Saskatchewan.
Le président : Je vous remercie. Nos témoins participent par vidéoconférence. Nous accueillons aujourd’hui Bryan Gilvesy, chef de la direction d’ALUS, et Antonious Petro, directeur général de Régénération Canada. Chers témoins, je vous invite à faire vos exposés. Vous disposez chacun de cinq minutes pour vos déclarations liminaires.
Bryan Gilvesy, chef de la direction, ALUS : Bonjour. Je vous remercie beaucoup de me donner l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui. Je suis un ancien agriculteur du comté de Norfolk, en Ontario, où j’occupe également les fonctions de cadre en résidence à l’Ivey Business School et de chef de la direction d’ALUS. J’ai le privilège de participer à ALUS depuis près de 17 ans, ayant été l’un des premiers agriculteurs à s’inscrire au programme en 2006. Je suis fier de dire que j’ai été à la fois agriculteur et éleveur de bovins tout au long de ma carrière.
L’organisation que je représente est la seule entité dirigée par des agriculteurs et axée sur les collectivités au Canada. Elle a été créée explicitement pour mettre à contribution les connaissances, les compétences énergétiques et les terres des agriculteurs et des éleveurs afin de produire des services écosystémiques, comme la régulation de l’eau, le stockage du carbone, la pollinisation et le soutien de la biodiversité, qui sont tous liés à la santé des sols et qui en dépendent.
ALUS est l’acronyme pour Alternative Land Use Services, c’est-à-dire des services de diversification des modes d’occupation des sols. Le concept d’ALUS est né en 2004, au Manitoba, et a été mis à l’essai dans le comté de Norfolk sous le nom de Farmer’s Conservation Plan. L’acronyme ALUS repose sur l’idée que les agriculteurs doivent utiliser leurs terres d’une façon différente et produire un service — un service écosystémique. Depuis, ALUS a lancé son programme dans 6 provinces, et 36 collectivités se sont associées à nous pour le mettre en œuvre. À l’heure actuelle, plus de 1 500 agriculteurs et éleveurs y sont inscrits collectivement, et nous avons amélioré de façon positive la santé des sols sur plus de 200 kilomètres carrés de terrains de projet partout au Canada.
Notre mission est d’aider les agriculteurs et les éleveurs à mettre en place, sur leurs terres, des solutions fondées sur la nature afin de soutenir l’agriculture et la biodiversité au profit des collectivités et des générations futures. La santé des sols est une responsabilité partagée, et tous les Canadiens profitent des avantages qui en découlent. Les agriculteurs et les éleveurs du Canada possèdent les connaissances et les terres nécessaires pour offrir ces avantages. Les agriculteurs et les éleveurs de tout le pays proposent déjà des solutions pour améliorer la santé des sols, et de nouveaux marchés voient le jour pour soutenir leur travail. L’intensification de ces efforts nécessite l’engagement et le soutien des décideurs politiques. Il faut aussi que les agriculteurs qui retroussent leurs manches — ces spécialistes de la séquestration du carbone, comme je les appelle — soient en mesure d’appuyer l’élaboration de politiques au Canada grâce à des solutions pratiques et créatives.
ALUS est un organisme de bienfaisance canadien qui travaille de concert avec des partenaires ruraux — notamment des municipalités, des offices de protection de la nature, des associations de bassins versants, des districts de conservation, des organismes sans but lucratif à l’échelle locale et, dans le cas de l’Île-du-Prince-Édouard, une province — afin de donner aux agriculteurs et aux éleveurs de tout le Canada les moyens de remettre en état et d’améliorer la nature sur leurs terres agricoles. ALUS fournit les outils programmatiques, les conseils scientifiques et l’infrastructure de gestion des données dont les collectivités ont besoin pour établir et gérer leur propre programme, ainsi qu’un accès à des fonds obtenus sur le marché pour appuyer leur travail. Il s’agit donc d’un effort véritablement local pour trouver des solutions à des problèmes complexes en matière d’environnement, d’économie et de santé humaine.
Les agriculteurs canadiens sont en première ligne face aux changements climatiques. Cela modifie la façon dont nous pratiquons l’agriculture, ainsi que la façon dont nous pensons au rôle que les fermes et les agriculteurs jouent dans la lutte contre le changement climatique. Nous croyons que les agriculteurs produisent non seulement des aliments et des fibres, mais aussi des services écosystémiques. Nous considérons l’agriculture comme une activité multifonctionnelle qui peut répondre à de nombreuses priorités qui importent pour les Canadiens. Nous croyons également que toute conversation sur la santé des sols a des répercussions sur la santé humaine, la sécurité alimentaire, la prospérité économique et la fonction des écosystèmes. Selon nous, la santé des sols dans le domaine agricole doit englober l’ensemble de l’exploitation, d’un bord à l’autre, y compris les intersections avec la nature, afin de maximiser nos incidences et de créer des solutions authentiques et fonctionnelles.
Le programme ALUS considère l’exploitation agricole comme un lieu diversifié. Elle peut comprendre des milieux humides, des prairies, des pâturages en rotation, des cultures de rotation et des projets d’arbres, qui réduisent toutes les émissions de gaz à effet de serre et séquestrent le carbone. Ces zones offrent également une foule d’autres avantages, comme la création d’un nouvel habitat faunique et l’amélioration de la qualité de l’eau pour les collectivités en aval, tout en renforçant la matière organique du sol. Par exemple, sur les terres agricoles en pente raide de l’Île-du-Prince-Édouard, ALUS a récompensé les agriculteurs pour avoir aménagé leurs terres en terrasses afin de prévenir l’érosion du sol. L’aménagement de zones tampons gazonnées à côté des cours d’eau permet également d’empêcher la terre arable et les nutriments d’atteindre les cours d’eau du Québec. En Ontario, les agriculteurs qui rétablissent des prairies ont constaté, preuves à l’appui, que la perte de biodiversité peut être inversée instantanément dans certains cas et de manière presque invisible, grâce à leurs efforts. L’augmentation de l’activité microbienne du sol entraîne également un regain des populations de champignons MA dans ces sols. Ces champignons aident les plantes à mieux bénéficier des ressources du sol, ce qui est important pour la santé et la productivité des terres agricoles.
Nos partenaires au Manitoba et en Saskatchewan participent à Growing Roots, un programme pilote appuyé par General Mills, et en Alberta, au Manitoba et en Saskatchewan, des partenaires communautaires d’ALUS mettent en œuvre le programme Grazing Forward, qui est financé par Cargill et ALUS. Les entreprises jouent un rôle important dans notre soutien.
Collectivement, nous avons constaté qu’il y a de nombreuses forces motrices qui animent une énergie de marché capable de fournir des revenus importants aux agriculteurs qui travaillent à l’amélioration de la santé des sols et à la production de services écosystémiques. ALUS développe ce marché à l’aide d’un instrument d’entreprise appelé projet New Acre. Le projet est unique en son genre, car il permet de rémunérer les agriculteurs pour l’ensemble des avantages. Merci.
Le président : Merci, monsieur Gilvesy. Nous espérons entendre toute autre information que vous souhaitez nous communiquer pendant les séries de questions.
Antonious Petro, directeur général, Régénération Canada : Je remercie infiniment le sénateur Black et les membres du Comité de l’agriculture de m’avoir invité à comparaître. Chers sénateurs, la santé des sols ne concerne pas seulement la capacité de produire des aliments sains pour une population croissante, mais c’est aussi le pilier le plus important de toute civilisation. Je suis un exemple vivant de la façon dont une nation perd son identité lorsque son sol est dégradé. J’ai fui l’Égypte, un pays qui était autrefois le grenier à blé de l’Ancien Monde, lorsque l’agriculture est devenue un fardeau et que les terres se sont raréfiées et dégradées. Je me trouve maintenant dans l’un des greniers à blé du monde entier et, aujourd’hui, nous avons la responsabilité de tirer collectivement des leçons du passé. Nous devons garder nos sols en bonne santé. Notre gouvernement devrait considérer le sol comme un trésor national et un héritage que nous devrions protéger.
Je suis directeur général de Régénération Canada, une organisation nationale sans but lucratif qui se consacre à la promotion de la régénération des sols et de l’agriculture régénérative en vue de rendre les exploitations agricoles plus viables, de s’adapter aux changements climatiques et de les atténuer, et de garantir un système alimentaire sain et équitable.
Lorsqu’elle est mise en œuvre dans l’ensemble des exploitations agricoles, l’agriculture régénératrice permet au secteur agricole canadien de prospérer et à nos agriculteurs et éleveurs de faire le travail dans lequel ils excellent, c’est-à-dire nous nourrir et nourrir le monde entier. L’agriculture régénératrice va au-delà de la mise en œuvre du semis direct et des cultures de couverture; il s’agit d’appliquer les principes et les pratiques contextuelles à trois niveaux : le sol, l’exploitation agricole et notre système alimentaire en général.
Il est clair pour nous qu’une étude nationale sur la santé des sols devrait être réalisée par les producteurs, au profit des producteurs. Il faut que les agriculteurs mènent davantage de recherches sur les stratégies, les obstacles à l’adoption et les considérations sociales, économiques et culturelles que les gouvernements et les institutions devraient garder à l’esprit lorsqu’ils conçoivent des programmes et des initiatives. Les agriculteurs et les éleveurs pionniers évoluent plus vite que les programmes et les recherches disponibles. À l’heure actuelle, notre tâche consiste à écouter ce qu’ils ont à dire et à leur fournir davantage de ressources afin de les aider dans leur transition.
[Français]
L’étude sur l’état de la santé des sols doit également nous sortir de la vision parfois étroite du carbone. Nous devons améliorer les protocoles de quantification de gaz à effet de serre, tout en tournant notre attention vers des services écosystémiques plus facilement mesurables et observés sur le terrain, comme la capacité d’un sol à retenir de l’eau et, par conséquent, sa capacité d’adaptation aux événements météorologiques extrêmes. C’est une approche que notre membre Ryan Boyd, de South Glanton Farm, au Manitoba, prône et partage avec ses pairs dans la région.
D’autres producteurs pensent que le gouvernement doit investir dans la quantification de la biodiversité comme étant un langage universel et indicateur de l’état de l’écosystème du sol. Le lien entre la santé du sol et la santé humaine est un autre aspect souvent négligé. Les Canadiens ont le droit de savoir qu’ils sont ce qu’ils mangent et que leur santé provient de ce que leur nourriture a mangé, pour reprendre les termes du récent ouvrage du Dr David Montgomery et d’Anne Biklé.
Il existe de plus en plus de preuves du lien entre les aliments cultivés et produits en régénération et la santé des animaux et des humains qui les consomment. Le gouvernement doit s’assurer que nos concitoyennes et concitoyens consommateurs réalisent le rôle crucial que le sol joue, tant sur le plan de la santé publique que du développement économique, de l’alimentation, de l’adaptation et de l’atténuation des changements climatiques. Cet objectif serait atteint par le soutien des organismes comme Régénération Canada et ALUS, qui travaillent sans arrêt dans le but de rapprocher et de connecter les producteurs et les consommateurs à l’échelle nationale.
Il est aussi important que les efforts du gouvernement visant à étudier l’état des sols canadiens incluent un travail approfondi et sincère pour comprendre les réalités des communautés autochtones, leurs besoins et leurs visions de la gestion de leurs terres. Des chercheurs universitaires et d’autres institutions et organismes tentent de cartographier les sols sur les territoires autochtones, et nous croyons que le gouvernement fédéral a un rôle important à jouer pour soutenir ces efforts.
[Traduction]
La régénération des sols donne des résultats économiques positifs, éprouvés et bien documentés, mais la voie de la transition est longue et coûteuse. Le gouvernement devrait non seulement améliorer les programmes et les mesures d’incitation conçus par les agriculteurs, mais aussi prendre la responsabilité de créer des marchés pour les aliments produits de façon régénérative en obtenant l’adhésion d’un plus grand nombre de consommateurs canadiens et en développant des marchés internationaux pour les produits régénératifs.
Pour ce faire, le Canada a besoin de déployer un effort national pour coordonner, intégrer et cartographier l’agriculture régénératrice et la santé des sols partout au pays. Nous devons présenter et définir une approche globale pour régénérer nos terres en intégrant un ensemble diversifié de principes tels que la couverture des sols, la perturbation physique minime des sols, l’amélioration de la biodiversité souterraine et aérienne, le retour des animaux — et pas seulement du bétail — dans les champs, l’intégration de cultures vivaces et de couverture et, surtout, la fourniture aux agriculteurs et aux gestionnaires des terres de ressources adéquates et culturellement pertinentes pour les aider dans leur transition.
Merci beaucoup.
Le président : Je remercie nos témoins d’avoir accepté de comparaître et de nous avoir aidés à respecter notre horaire.
Avant de passer aux questions et aux réponses, j’aimerais rappeler à mes collègues de consulter le document sur les pratiques exemplaires qui se trouve sur leur bureau et qui concerne les microphones et les écouteurs. Veuillez vous abstenir de vous pencher trop près du microphone ou de retirer votre écouteur lorsque vous vous penchez vers lui. Cela permettra d’éviter la rétroaction acoustique qui pourrait avoir des répercussions négatives sur le personnel du comité présent dans la salle.
Comme nous l’avons fait auparavant, nous accorderons cinq minutes aux intervenants pour poser des questions et obtenir des réponses.
La sénatrice Simons : Je vais commencer par poser une question à M. Gilvesy. Je suis sénatrice de l’Alberta, et j’ai remarqué avec intérêt qu’ALUS met en œuvre deux nouveaux projets en Alberta, un à Two Hills et un à Big Lakes. Pourriez-vous m’en dire davantage à propos de ces projets et de ce vous espérez accomplir en les mettant en œuvre?
M. Gilvesy : En ce qui concerne ALUS, nous sommes fiers de dire que ces deux communautés de l’Alberta font partie des 18 qui existent déjà en Alberta. Dans tous les cas, ALUS est l’organisme-cadre, pour ainsi dire, qui fournit les systèmes opérationnels, les bases de données, les principes et les lignes directrices pour la mise en œuvre d’un programme ALUS à l’échelle communautaire.
Nous pensons que la programmation à l’échelle communautaire est la meilleure façon de faire les choses, car ces communautés sont en mesure de cibler leurs propres priorités locales et de faire ce qui est le mieux pour leur propre communauté. Il s’agit véritablement d’un programme communautaire. Bien que ces programmes viennent d’être lancés, nous attendrons de savoir ce que leurs comités consultatifs des partenariats décideront de financer au sein de leurs communautés, car ALUS leur accorde vraiment, de façon communautaire, le pouvoir de développer des programmes adaptés à leur environnement et à leur communauté agricole. Nous sommes fiers de les ajouter à la rotation des partenaires municipaux de l’Alberta.
La sénatrice Simons : D’après ce que j’ai pu voir en ligne, il semble qu’il s’agisse — du moins à Two Hills — de retourner à l’état sauvage des terres qui étaient cultivées et de leur permettre de réintégrer des milieux humides. Pourriez-vous me parler de la façon dont cela contribue à la santé des sols?
M. Gilvesy : Il y a longtemps, ALUS a distingué quelque 37 millions d’acres de terres qui pourraient être considérées comme marginales ou non rentables compte tenu de la manière dont nous pratiquons l’agriculture de nos jours. Les agriculteurs réagissent aux signaux du marché — les seuls qu’ils peuvent recevoir lorsqu’ils réfléchissent à ce qu’ils doivent faire sur leurs terres. Dans certaines circonstances, même sur ma ferme, il y a des terres qui ne me rapportaient rien. Je suis capable de retourner ces terres à leur état naturel et d’obtenir une récompense du marché de la part d’ALUS.
Nous permettons à ces agriculteurs et ces éleveurs de produire quelque chose de différent sur leurs terres — des terres qui, traditionnellement, n’ont pas fonctionné à leurs fins. Dans certains cas, les terres peuvent réintégrer les prairies indigènes. On peut y planter des arbres et des arbustes. En fait, ces plantes contribuent à renforcer le sol sur ces sites tout en maintenant le sol sur le reste de l’exploitation agricole. Ces plantes maintiennent effectivement la terre arable sur le terrain, l’empêchent de se retrouver dans les cours d’eau et aident à protéger les milieux humides. Tout cela est intégral. C’est un tout. L’eau est reliée au sol. Plus nous nous occupons du sol, plus nous parvenons à le maintenir sur les sites marginaux, mieux nous nous portons sur le plan environnemental, je pense.
La sénatrice Simons : Monsieur Petro, à la fin de vos observations, vous avez énoncé une phrase intrigante à propos du fait que nous avons besoin d’animaux qui broutent, mais qui ne font pas seulement partie du bétail. Pouvez-vous me parler de l’idée de maintenir une prairie durable en y ramenant des animaux brouteurs qui ne sont pas nécessairement destinés à la table?
M. Petro : Lorsque je parlais d’« animaux », je faisais allusion au règne animal dans son ensemble. Nous parlons de « stocks » pour désigner les animaux qui contribuent ou non à l’atténuation du changement climatique. Ce que nous pensons — et ce que dit la science —, c’est que, oui, à l’origine, la prairie broutée, ou même une ferme de production mixte, pourrait vraiment reconstituer et améliorer la santé du sol. Cependant, nous avons également besoin d’un plus grand nombre d’insectes, d’une plus grande biodiversité dans le sol et de bétail plus diversifié comme des chèvres, des moutons et des bisons, lorsque cela est approprié. C’est ce que j’entendais par « tous les animaux », et pas seulement les vaches, comme on le dit toujours.
La sénatrice Simons : De toute évidence, ces prairies indigènes ont évolué pour être mangées par des bisons. Y a-t-il quelque chose de différent dans la façon dont broute un troupeau de bisons, plutôt qu’un troupeau de bovins, qui permet de rendre les terres plus durables?
M. Petro : Le contexte est différent d’une ferme à l’autre. Les bisons ont leur place dans une grande partie de la prairie canadienne. Ils ne broutent pas de la même façon que les vaches, mais je ne peux pas vous dire tout de suite en quoi cela diffère. Je ne suis pas agriculteur moi-même.
La sénatrice Simons : D’accord. Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Monsieur Gilvesy, vous avez mentionné que vous avez plus de 1 400 agriculteurs dans un certain nombre de communautés. J’allais vous demander de quelle zone desservie il s’agit. Cependant, d’après la réponse que vous avez donnée à la sénatrice Simons, j’ai l’impression qu’il n’y a peut-être pas de limites établies; il s’agit de tous les agriculteurs que vous pouvez attirer dans ce réseau. Toutefois, vous pouvez me corriger à ce sujet.
Ma question porte sur les pratiques exemplaires à adopter pour atténuer ou éliminer la dégradation des sols. Il semble que vous ayez un certain succès auprès des agriculteurs de vos zones desservies. Nous avons été amenés à croire qu’en ce qui concerne les pratiques exemplaires, 50 % des agriculteurs, à l’échelle nationale, sont probablement des récalcitrants ou des réfractaires et certainement des retardataires ou des négateurs. Pouvez-vous nous parler du succès que vous rencontrez? Autrement dit, que proposez-vous au gouvernement du Canada pour encourager un pourcentage plus élevé d’agriculteurs à adopter des pratiques exemplaires en matière d’atténuation ou d’élimination de la dégradation des sols?
M. Gilvesy : Nos zones desservies sont définies par les partenaires communautaires, comme ils l’entendent. Ces zones desservies peuvent être différentes.
En Alberta, dans toutes les circonstances, ce sont des municipalités. En Saskatchewan, nous travaillons avec deux très grandes associations de bassins hydrographiques, par exemple. Au Québec, l’effort est mené par l’Union des producteurs agricoles, ou UPA. Ces zones desservies sont définies par leurs propres communautés, parce qu’elles définissent leur propre région agricole et la façon dont elles sont culturellement liées les unes aux autres. Nous leur permettons de suivre leur propre voie. Nous travaillons à la réalisation de très nombreux types de projets, mais nous laissons les agriculteurs, c’est-à-dire les praticiens agricoles, qui savent ce qui convient le mieux, suivre la science et mettre en œuvre les pratiques qui nous aident le plus.
Le projet Grazing Forward que nous menons et qui est parrainé par Cargill et A&W en est un très bon exemple. Ce projet récompense les éleveurs des prairies qui protègent leurs milieux humides, qui sortent le bétail des marécages et qui, en fait, pratiquent le pâturage adaptatif sur plusieurs parcelles. Il s’agit d’une approche globale de l’exploitation agricole visant à améliorer la santé des sols, en lien avec la biodiversité et l’eau. Instantanément, nous changeons la façon dont nous séquestrons le carbone dans ces systèmes, et nous voyons les chiffres relatifs à la biodiversité monter en flèche dans ces circonstances.
Au Manitoba et en Saskatchewan, nous mettons à l’essai des concepts de travail sur les terres de culture et nous menons des projets pilotes à cet égard, notamment en utilisant différentes techniques telles que la culture de couverture, qui est la première étape d’un processus visant à reconsidérer la façon dont nous traitons les terres en général et les terres cultivées en particulier, par rapport aux terres marginales.
Avec ces partenaires communautaires, nous exploitons le pouvoir et l’énergie des agriculteurs et des éleveurs qui connaissent le mieux leurs terres. Nous les soutenons au sein d’une communauté, et nous faisons appel à la science appropriée pour savoir si ce que nous faisons est efficace.
Le sénateur Klyne : J’en déduis que vous avez probablement beaucoup de succès auprès des membres de votre réseau, mais prenez-vous des mesures pour attirer d’autres personnes qui n’adoptent pas certaines de ces pratiques exemplaires?
M. Gilvesy : Nous sommes aujourd’hui dans une position qui nous permet de développer notre programme aussi rapidement que possible. Toutefois, ce développement dépend toujours de l’argent dont nous disposons pour soutenir nos efforts.
Mais nous sommes dans une période de développement, et nous pensons avoir perfectionné le modèle ALUS. Nous avons établi des liens avec un marché qui nous permet de soutenir ce travail, et nous développons notre programme aussi vite que nous le pouvons. Nous étudions également des possibilités intéressantes de développer le programme plus rapidement.
Le sénateur Marwah : Je vous remercie, chers témoins, de vous être joints à nous ce matin.
Messieurs, bon nombre des témoins qui ont comparu devant vous ont soutenu la nécessité pour le Canada d’avoir un défenseur national de la santé des sols. En même temps, monsieur Gilvesy, je vous entends dire que les programmes communautaires sont la meilleure façon de gérer la santé des sols.
J’aimerais connaître votre avis à ce sujet. La crainte est qu’un défenseur national soit trop éloigné des connaissances locales, des considérations locales et des conditions qui prévalent. Pensez-vous que ces deux organisations, si l’une d’elles était créée, pourraient ou devraient coexister, ou suggérez-vous un autre modèle?
M. Gilvesy : Absolument. Je pense que la coexistence est très importante, mais nous devons d’abord reconnaître la créativité et les compétences des gens qui travaillent la terre. Ces personnes savent en fait comment séquestrer le carbone, par exemple. Ils savent comment accroître les matières organiques du sol.
Pour exploiter tout le potentiel de l’agriculture, en tant que partie de la solution, les agriculteurs doivent être des partenaires à part entière avec l’industrie et la communauté scientifique. ALUS peut fournir un instrument pour établir ce lien entre la recherche, la science, la pratique et le leadership, bien sûr, qui nous fournirait les solutions optimales.
Le sénateur Marwah : Monsieur Petro, qu’en pensez-vous?
M. Petro : Oui. Comme l’a dit M. Gilvesy, nous pensons que nous devons établir une initiative dirigée par les collectivités et les agriculteurs, qui soit également soutenue par un effort national. Nous estimons que nous devrions et pourrions concevoir et bâtir ces collectivités autour des bassins versants et de la biorégion, et pas nécessairement en fonction des frontières provinciales et politiques.
Nous devons recueillir l’avis des personnes sur le terrain pour déterminer ce qui est nécessaire et cerner les obstacles et les besoins particuliers liés aux conditions géoclimatiques de leur sol et de leur exploitation. Par ailleurs — et c’est tout aussi important —, nous devons soutenir cette démarche dans le cadre d’un effort national qui apporte un soutien financier et autre à ces collectivités.
La sénatrice M. Deacon : Merci. Je suis ravie d’être ici en tant qu’invitée.
Pendant notre réunion de ce matin, j’ai essayé de parcourir certains des derniers témoignages. Les mots « collectivité », « axé sur la collectivité », « mobilisation de la collectivité » et « agriculteurs travaillant pour des agriculteurs avec des agriculteurs » sont essentiels. Il semble qu’il y ait un certain élan. Je peux me tromper, mais j’ai l’impression qu’il y a un élan et une réelle motivation au sein des collectivités qui participent au programme.
J’essaie de penser aux exploitations et aux propriétés qui ne sont pas mobilisées, qui ne participent pas, et aux raisons qui pourraient — même si je pense vous avoir entendu parler de lutter contre les obstacles — les raisons qui pourraient empêcher certains propriétaires de percevoir ce programme comme une solution intéressante. Pourriez-vous faire un commentaire à ce sujet, monsieur Gilvesy? Je vous en serais reconnaissante.
M. Gilvesy : C’est une excellente remarque. Je peux songer à ma réticence, au début, en 2006, à me lancer dans ce domaine sur mes propres terres.
N’oubliez pas qu’ALUS est conçu comme un plan de conservation des agriculteurs. Il adopte leur point de vue. Il mobilise les agriculteurs en leur offrant un appui, des connaissances, des conseils techniques et le soutien culturel d’une communauté. Les agriculteurs et les éleveurs disposent ainsi d’une porte ouverte qu’ils peuvent franchir librement et volontairement pour découvrir ce qui se trouve de l’autre côté, par exemple. Nous conjuguons ces services avec des signaux du marché solides et le soutien d’un marché émergent qui les récompense pour leur travail.
Je sais que les choses avancent parfois lentement — je pense à ma propre progression — mais nous sommes heureux de voir que les collectivités, les agriculteurs et les éleveurs de tout le pays se pressent pour participer à nos programmes. Nous pensons qu’avec ce plan de conservation des agriculteurs, nous avons découvert quelque chose. Nous avons trouvé le bon ton; nous avons trouvé le bon véhicule de participation, et je suis fier de dire que les gens qui participent à notre programme ont le sentiment de se l’approprier et d’y travailler en tant que partenaires.
Il s’agit en quelque sorte d’une question sociale, mais nous devons nous assurer d’éliminer tous ces obstacles, comme vous l’avez mentionné, et notre mécanisme y contribue.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Pour faire suite à ce que vous venez de dire, j’écoutais mon collègue, le sénateur Marwah, parler de la stratégie nationale sur les sols et se demander si elle permettra d’atteindre les objectifs que nous nous sommes fixés. Celle-ci diluera-t-elle un peu le travail? Et étant donné que vous menez un grand projet d’invitation, de consultation et de collaboration dans l’ensemble du pays, je me demande, lorsque je regarde ces deux éléments qui devraient probablement fonctionner ensemble, ce que vous attendez de nous. Que pourrait faire le gouvernement — parce que ce n’est pas toujours une question d’argent? Quels sont les points essentiels que vous voulez nous communiquer pour que nous comprenions bien où vous en êtes et quels sont vos besoins pour la prochaine étape?
M. Gilvesy : J’aimerais soulever quelques points : Premièrement, les Canadiens et les décideurs doivent comprendre que l’activité environnementale est de plus en plus une activité économique, surtout lorsqu’il s’agit de reconstituer le capital naturel du Canada en s’appuyant sur un marché qui soutient la production de services écosystémiques. Nous nous trouvons dans un nouveau paradigme dans le cadre duquel un marché est en train d’émerger pour soutenir ce travail, et les décideurs peuvent contribuer à la réalisation de cet objectif. Nous pouvons accélérer ce changement de paradigme.
Nous pensons que nous pouvons apporter notre aide en étant prêts à servir de médiateur dans le cadre d’un dialogue important avec le gouvernement et les décideurs politiques, afin de veiller à ce que les marchés du carbone ou la création d’un registre national au Canada à l’appui de la santé des sols tiennent compte de l’expertise des acteurs qui peuvent séquestrer le carbone. Nous devons remédier aux risques inhérents au carbone terrestre et être accessibles aux acteurs qui souhaitent investir dans des solutions fondées sur la nature.
Nous croyons essentiellement que pour inverser le cours des choses, tout le monde doit mettre la main à la pâte. Les agriculteurs doivent se mobiliser et les responsables politiques doivent également apporter leur soutien pour que nous puissions concrétiser cet objectif.
La sénatrice M. Deacon : Merci.
Le sénateur Cotter : Comme c’est souvent le cas, lorsque la sénatrice Deacon participe à ces réunions, elle a volé les meilleures questions ou, du moins, les questions que j’allais poser. Je veux poursuivre sur ce dernier point.
J’estime qu’il s’agit d’une mesure incitative. Voici mes préoccupations et ma question, qui s’adresse principalement à M. Gilvesy, mais probablement aussi à vous deux.
Un nombre important de facteurs tendent à nuire aux objectifs que nous essayons tous de cerner. L’un de ces éléments est que les récompenses peuvent varier en fonction de l’évolution des marchés. Nous avons entendu, par exemple, que les prix élevés des cultures principalement annuelles, en particulier dans l’Ouest canadien, ont amené les agriculteurs à faire des choix différents qui vont à l’encontre des pratiques optimales en matière de conservation des sols, de santé des sols, de séquestration du carbone et autres. Une grande partie des terres, en particulier dans les grandes exploitations, sont louées, de sorte que la motivation de la personne qui cultive et produit sur ces terres est moindre, car elles appartiennent à quelqu’un d’autre et le bail pourrait prendre fin l’année prochaine ou dans cinq ans. On impose parfois des exigences réglementaires aux agriculteurs à des moments inopportuns. Un grand nombre de parcelles sont très grandes et ne sont peut-être pas aussi faciles à soumettre aux types de pratiques que vous, messieurs, défendez avec sagesse et conviction. Nous n’avons actuellement pas de marché pour le carbone.
Quelles mesures incitatives pourraient nous permettre de surmonter certains de ces obstacles et avoir une incidence importante? Je comprends et j’admire la dimension sociale de ce plan, qui est bâti autour des collectivités, mais il s’agit d’un projet de grande envergure, qui couvre l’ensemble du Canada. Il serait très utile pour nous d’essayer de déterminer quelle pourrait être la conception fédérale ou nationale des mesures incitatives.
M. Gilvesy : Merci pour votre question. De notre point de vue et en tant qu’agriculteur, lorsque j’entends le mot « mesure incitative », j’ai l’impression d’entendre le grincement d’un clou sur un tableau noir. Ce que nous essayons de faire, c’est de changer la perspective de ce que les exploitations agricoles peuvent faire pour les Canadiens. Elles ne se contentent plus de fournir des aliments et des fibres, mais elles offrent également des services écosystémiques pour un autre marché émergent. Les exploitations deviennent alors un lieu multifonctionnel; les agriculteurs restent productifs et se fient aux signaux du marché pour produire autre chose que de la nourriture et des fibres.
Le fait d’exploiter la productivité de ces personnes d’une manière différente pour un marché différent est un changement passionnant. Je sais que vous avez fait allusion au fait qu’il n’existe peut-être pas de marché, mais nous en voyons un émerger sous nos yeux. Des partenaires importants comme Cargill et Bruce Power se présentent à la table parce qu’ils croient en ce projet à long terme. Ils croient en la possibilité pour les agriculteurs de générer des avantages en matière de services écosystémiques et de santé des sols et de l’eau au sein de leur propre communauté. Je pense que nous vivons une période passionnante. Je crois que nous sommes au seuil d’un nouveau marché et nous devons le comprendre.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup. Je l’ai déjà dit à d’autres témoins : mon beau-père était agriculteur. Il était céréalier en Saskatchewan et cultivait probablement cinq ou huit sections de terre; c’était une grande exploitation. Il disait toujours : « Ce que nous faisons ici, c’est exploiter la terre, pas la cultiver. » Il avait donc compris. Mais je peux vous dire qu’il a continué d’exploiter la terre parce que c’était, du moins à ses yeux, ce qu’il y avait de plus économiquement avantageux pour lui, pour sa famille et pour ses enfants, qui allaient hériter de ces terres. Je comprends votre point de vue sur les mesures incitatives, mais que doit-on faire pour changer les beaux-pères du futur qui comprennent le problème, en sachant que les incitatifs économiques ont souvent tendance à compliquer votre travail et le nôtre?
M. Gilvesy : Je pense que nous devons être très clairs avec les agriculteurs sur le fait que nous apprécions leurs contributions sous la forme de services écosystémiques. Ces services écosystémiques ne sont pas offerts au détriment des cultures, mais en plus des cultures. Il s’agit d’un nouveau paradigme. Voilà le type d’agriculteurs que nous convainquons dans tout le pays. Les agriculteurs que vous venez de décrire font des découvertes grâce à nos programmes et trouvent quelques nouveaux revenus pour soutenir leur travail.
Le sénateur Cotter : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui pour nous aider dans notre étude.
[Traduction]
Ma question s’adresse à nos deux témoins, si nous avons le temps. J’aimerais vous demander ce que vous pensez des grandes entreprises qui choisissent de soutenir les pratiques agricoles régénératrices. En gros, nous parlons de PepsiCo, Microsoft, General Mills, de ces grandes entreprises qui choisissent de se mobiliser. C’est bon pour leur image de marque, mais comment cela fonctionne-t-il, exactement? Que font-elles? Ont-elles une incidence réelle? Sont-elles des alliées? Devraient-elles être plus nombreuses? Quel est votre avis sur la question?
M. Gilvesy : Je suis fier d’affirmer que nous entretenons de très bonnes relations avec General Mills, Cargill, Bruce Power et Danone, entre autres. Ces entreprises réagissent de manière très concrète à de nouveaux facteurs auxquels elles n’avaient auparavant jamais été confrontées. Tout d’abord, elles se sont fixé des objectifs en matière de changement climatique et de carboneutralité. On leur demande de plus en plus de faire rapport sur des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance pour leurs actionnaires et pour conserver le permis social d’exercer leurs activités. Je pense qu’elles prennent très au sérieux la possibilité de travailler avec les agriculteurs au sein de leurs chaînes d’approvisionnement pour contribuer à atténuer ou à compenser certains des effets de leur chaîne d’approvisionnement.
Nous sommes très attentifs, et nos partenaires le sont également, à ce que nos actions soient réelles et ancrées dans la science, et à ce qu’on puisse véritablement en rendre compte. Nous disposons d’une base de données de calibre mondial qui nous permet de nous assurer que les mesures que nous prenons sont réelles, et nous développons la rigueur scientifique nécessaire et un nouveau marché du carbone pour soutenir ce travail par l’entremise de notre projet New Acre.
Je pense que ces actions sont bien réelles. Nous sommes très fiers de ces relations, car, tout comme nous avons le sentiment d’intégrer les agriculteurs à ce nouveau paradigme, nous pensons que nous y intégrons les entreprises de manière positive. Nous sommes ravis de leur réaction et du caractère réel de l’activité sur le terrain.
La sénatrice Petitclerc : Merci pour votre réponse. Ces entreprises demandent-elles aux agriculteurs et aux fournisseurs de fournir des produits issus de pratiques agricoles régénératrices, ou aident-elles les agriculteurs à y parvenir? J’essaie de comprendre comment les choses se passent sur le terrain.
M. Gilvesy : Nous envoyons l’argent d’une entreprise à une collectivité locale. Cette dernière décide de la manière dont elle souhaite générer des services écosystémiques pour atteindre les objectifs généraux de l’entreprise. Ces activités pourraient prendre la forme d’un pâturage adaptatif sur plusieurs parcelles, de l’installation d’une clôture empêchant le bétail d’accéder aux terres humides ou de nouveaux abreuvoirs permettant de s’assurer que le bétail n’entre pas dans les marécages et les terres humides, par exemple. Il pourrait s’agir de cultures de couverture ou de restauration de prairies. Ces services prennent une forme différente dans chaque collectivité.
Essentiellement, nous avons créé un flux de services écosystémiques qui n’existait pas auparavant. Il sert à compenser les effets des chaînes d’approvisionnement. Il n’est donc pas aussi direct qu’on pourrait le penser, mais il se situe dans la chaîne d’approvisionnement et dans le système alimentaire. Je pense que nous bénéficions tous de ce travail.
[Français]
M. Petro : Pour ajouter aux propos de M. Gilvesy, cela dépend de chaque projet et de chaque compagnie. Notre objectif est d’aligner notre mission comme organisme canadien qui vise à améliorer la santé des sols avec la vision que ces compagnies peuvent avoir dans leurs rapports internes. On s’assure qu’on est en partenariat avec ces compagnies.
Nous sommes fiers de travailler avec A&W, General Mills et Oatly pour les aider à accompagner et à soutenir le producteur vers une agriculture plus régénératrice. Pour répondre à la question précédente sur les marchés, ces entreprises nous montrent comment créer des marchés pour des produits issus de l’agriculture régénératrice. Aujourd’hui, nous demandons au gouvernement canadien et aux gouvernements provinciaux d’aider ces producteurs à changer leurs pratiques en mettant en place des marchés domestiques à l’intérieur du Canada et dans les marchés internationaux pour ces produits.
Je vous donne un exemple. Nous avons un membre au Québec, Sébastien Angers, qui a commencé à produire des graines de citrouille pour la première fois dans la province. Il a trouvé ses propres partenaires auprès d’entreprises privées pour vendre ses graines de citrouille. Il est le seul producteur dans la province qui le fait. Le gouvernement peut aider ce producteur à changer ses pratiques et à choisir des pratiques plus agroenvironnementales en créant ces marques à l’intérieur et à l’extérieur des marchés.
Le sénateur Mockler : J’aimerais aussi vous féliciter, monsieur Petro.
[Traduction]
Notre ordre de référence est sans précédent, et les agriculteurs ont hâte de connaître les recommandations et la voie à suivre pour l’avenir. Je sais que les deux témoins ici présents ont de l’expérience dans ce domaine.
Nous avons entendu parler de problèmes comme l’érosion, la perte de carbone dans le sol, la biodiversité et le compactage du sol qui continuent de nuire à la santé des sols partout au Canada. La question que j’adresse aux deux témoins est la suivante : Quel type de collaboration entre les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux, les administrations municipales, les établissements universitaires et les agriculteurs est le plus nécessaire pour promouvoir la santé des sols au Canada et partager les données?
M. Petro : L’approche multipartite dont vous parlez est la seule façon de faire avancer une stratégie nationale de la santé des sols. Nous devrions réellement placer nos agriculteurs et nos éleveurs au cœur des décisions, et les entourer de scientifiques, de fournisseurs de services et de consultants. Le rôle des trois piliers du gouvernement est de communiquer ce qui est déjà disponible et ce qui peut être fait à long terme. Nous parlons tous de la stratégie en matière de carboneutralité pour 2030 ou 2050. Nous devrions commencer à réfléchir dès maintenant à la manière d’y parvenir.
Je souhaite que l’on adopte une approche multipartite dans laquelle les agriculteurs et les éleveurs sont réellement au centre des décisions. Cela signifie que nous devons écouter ce qu’ils ont à dire, comprendre que les obstacles à l’adoption et les difficultés auxquels les agriculteurs sont confrontés diffèrent non seulement en fonction de la région ou du comté, mais aussi en fonction de l’exploitation.
Collectivement, nous disposons des ressources nécessaires pour élaborer une stratégie nationale fondée sur une approche interdisciplinaire multipartite, mais axée sur les besoins particuliers et individuels des exploitations agricoles dans les différentes régions du pays, et conçue pour y répondre.
M. Gilvesy : ALUS a lancé un système basé sur le marché pour quantifier ses émissions de carbone d’une manière vérifiable et entrer sur le marché, afin d’obtenir une partie des revenus de ce marché pour l’exploitation agricole à l’appui de ce travail.
Nous sommes tous désavantagés, car nous ne disposons pas d’un ensemble de données unifié à partir duquel calculer les avantages pour les sols du Canada. Technologies du développement durable Canada nous aide actuellement à constituer certains de ces ensembles de données, afin que nous puissions contribuer à l’élaboration de techniques de modélisation qui permettront de certifier ou de vérifier ce qui se passe à mesure que nous progressons et que nous améliorons la santé des sols, que nous déposons du carbone dans le sol et que nous établissons des liens avec le marché.
Il serait beaucoup plus simple pour nous tous qui travaillons dans ce domaine de bénéficier d’un effort unifié pour obtenir les ensembles de données dont les scientifiques ont besoin pour quantifier notre travail et établir des liens avec le marché.
Le sénateur Mockler : Il ne fait aucun doute que vous suivez le sujet que je vais aborder avec vous. Nous avons constaté que de nombreuses exploitations agricoles se sont regroupées et sont devenues de plus en plus grosses, tant en ce qui a trait au volume des ventes qu’au nombre d’employés. C’est ce que nous constatons dans le Canada atlantique, notamment dans l’industrie de la pomme de terre. À l’inverse, les petites et moyennes exploitations agricoles sont en déclin au Canada, ce qui est un problème.
D’après votre expérience, dans quelle mesure les grands exploitants agricoles du Canada ont-ils adopté des pratiques de gestion du sol comme la culture de couverture, la culture sans labour et la rotation des cultures?
M. Gilvesy : Je ne sais pas si mon expérience me permet de vous donner une réponse précise à ce sujet, mais je peux vous parler de ce que nous avons vu.
Au début, nous avons laissé un certain degré de moralité se glisser dans notre évaluation, qualifiant telle ou telle exploitation de « bonne ferme » ou de « mauvaise ferme », et nous nous sommes rendu compte de ceci : nous devons toucher tous les agriculteurs, qu’ils soient grands ou petits. Leur taille n’importe pas. Nous l’avons vite compris avec une expérience dans le comté de Norfolk, où la famille Vermeersch s’était jointe au programme. C’est la plus grande exploitation agricole de ce comté. Or, ils se sont révélés être les participants les plus dynamiques du programme et ses plus grands défenseurs. Ils sont en outre très actifs lorsqu’il s’agit de parler à d’autres agriculteurs par le truchement d’autres organismes comme Progressive Farming, et ils utilisent beaucoup de nouvelles techniques d’exploitation des sols sur leurs terres.
Je pense que c’est une bonne chose, et non un inconvénient, d’avoir une influence sur les agriculteurs.
M. Petro : En tant que jeune qui veut avoir accès à la terre un jour, et en tant qu’immigrant, nous ne pouvons pas séparer la santé des sols et la stratégie nationale de l’accès à la terre pour les groupes mal servis et qui méritent l’équité, comme les immigrants, les nouveaux arrivants, les femmes et toutes les autres communautés de ce pays. Pour aider les petites et moyennes exploitations agricoles à reprendre du poil de la bête — dans ce contexte d’inflation et de lendemain de pandémie —, le gouvernement devrait également intervenir pour aider ces communautés à accéder à la terre.
Le président : Merci. J’ai quelques questions, si vous me le permettez.
La dernière étude du Sénat sur la santé des sols a été réalisée en 1984 et elle s’adressait principalement au gouvernement, aux agriculteurs et aux producteurs. J’ai été ravi, monsieur Gilvesy, de vous entendre dire dans vos observations liminaires que la santé des sols est une responsabilité que partagent tous les Canadiens. Que devons-nous faire, en tant que comité, pour nous assurer d’entendre les personnes que nous voulons entendre à cet égard, et quelles recommandations devrions-nous faire pour veiller à ce que la santé des sols au Canada devienne une responsabilité partagée? Je vais vous demander à tous les deux de répondre à cette question.
M. Gilvesy : Je suis frappé par le ton de cette conversation. Les agriculteurs devraient s’occuper de la santé des sols parce que c’est pour leur propre bien. Je crois que les avantages que nous créons en améliorant les sols profitent à tous les Canadiens, n’est-ce pas? En fin de compte, nous aurons aussi une agriculture plus durable. Nous devons simplement adopter la perspective qu’il y a ici une occasion favorable à saisir. Nous devons voir cela comme une voie d’avenir, surtout que la planète se réchauffe et que nous avons plus de problèmes en matière de sécurité alimentaire, de sécheresse et d’eau. Ce sera notre planche de salut. Ce sera la planche de salut de tous les Canadiens, et pas seulement celle des agriculteurs.
Le président : Merci beaucoup.
M. Petro : En tant que nation, nous avons la responsabilité de sensibiliser les consommateurs et de leur faire part, avec tout le monde dans cette salle et dans le pays, de l’importance de la santé des sols. Cela pourrait devenir réalité en faisant en sorte que le gouvernement considère le sol, comme je l’ai dit, comme un trésor national.
Je suis triste de dire que si nous allons dans la rue et que nous interrogeons 2 000 personnes sur la façon dont elles considèrent la santé des sols et la relation entre la santé des sols et la santé humaine... Je n’ai pas de chiffres à donner là-dessus, mais nous ne pouvons qu’imaginer tout le travail qu’il faudra pour sensibiliser les consommateurs.
Si nous voulons avoir une stratégie nationale pour la santé des sols, nous devons investir massivement pour faire connaître ces histoires de régénération, comme nous les appelons à Régénération Canada, et aider les consommateurs à comprendre comment ils peuvent embrasser cette cause, et à saisir le fait qu’il s’agit d’une question nationale et qu’ils doivent percevoir ce travail de l’amélioration des sols à la fois comme un droit et comme une responsabilité.
Le président : D’après ce que j’ai entendu jusqu’ici, vous bénéficiez d’un financement de la part d’une variété de partenaires, d’entreprises et d’organismes. Qu’en est-il du financement de base? Comment faites-vous pour payer vos factures d’électricité?
M. Gilvesy : Chez ALUS, nous avons eu la chance dès nos débuts, dès le premier jour en 2006, à Blanshard, au Manitoba, de recevoir une contribution de 25 000 $ de la W. Garfield Weston Family Foundation pour ce projet pilote. Entre ce premier jour et aujourd’hui, cette famille a contribué à notre projet à hauteur de 13,5 millions de dollars.
Nous pensons que le travail que nous avons fait a été déterminant pour assurer la mise au point des systèmes, le développement des bases de données, l’élaboration des manuels d’exploitation, la connectivité et les communications, autant d’éléments qui nous permettent d’exploiter notre programme au point où — et parce qu’ils nous ledemandent toujours — nous avons besoin d’être soutenus de façon durable par un marché. De plus en plus, nous sommes soutenus par un marché de services écosystémiques pour la santé des sols, et nous en sommes ravis, mais nous sommes également reconnaissants d’avoir eu ces interventions fondatrices de nombreux organismes philanthropiques pour nous aider à édifier les structures qui nous permettent de suivre notre voie.
Le président : Je vous remercie.
M. Petro : Je n’ai peut-être pas la même vision que Bryan, mais en tant que directeur d’un jeune organisme qui n’a que cinq ans, je dois reconnaître devant vous tous, sénateurs, que nous avons besoin d’une aide financière pour assurer notre fonctionnement de base. En tant que PDG de notre organisme, je passe la moitié de mon temps à collecter des fonds. Oui, nous avons de bonnes relations avec des fondations et des partenariats philanthropiques ainsi qu’avec le gouvernement pour certaines subventions, mais nous avons besoin d’investissements d’envergure pour financer le travail que nous faisons, soit de bâtir des ponts entre les agriculteurs et les consommateurs et d’aider les agriculteurs en transition à pratiquer une agriculture qui mise davantage sur la régénération.
Il n’est pas acceptable qu’en 2022, un grand nombre d’organismes à but non lucratif, en particulier ceux qui n’ont pas le statut d’organisme de bienfaisance — ce qui est un autre enjeu de la modification de la loi —, passent la moitié de leur temps à essayer de financer leurs dépenses de fonctionnement. C’est une demande claire de la part de nombreux organismes : le gouvernement doit intervenir pour nous aider à faire le travail que nous faisons.
Le président : Merci. Passons à la deuxième série de questions. Il y a un certain nombre de sénateurs qui ont des questions.
La sénatrice Simons : Nous avons entendu de nombreux témoins remarquables — des universitaires, des dirigeants d’organismes sans but lucratif et des agriculteurs — qui ont tous souligné le même problème à notre intention : l’absence d’un répertoire de connaissances communes, un manque de capacité à faire des recoupements à partir de ces connaissances et l’absence de direction à cet égard. À défaut d’une meilleure image : il n’y a personne qui conduit l’autobus.
Vous travaillez tous les deux dans des organismes à but non lucratif qui font un travail important dans ce domaine. La question suivante s’adresse donc à vous deux. Il est difficile de placer la santé des sols à l’intérieur d’un cadre national parce qu’il s’agit d’une question provinciale et régionale, mais comment recommanderiez-vous que nous créions une sorte de cadre national pour favoriser la mise en commun des connaissances que nous avons dans ce domaine?
M. Petro : Merci beaucoup, sénatrice. À Régénération Canada, nous avons essayé au cours des 15 derniers mois de coordonner cette conversation à l’échelle nationale. Entre nous, nous pouvons énumérer au moins 100 organismes sans but lucratif, communautés et fournisseurs de services qui veulent participer à cette conversation.
Il existe des mécanismes qui permettent d’avoir une conversation à l’échelle nationale sur les différents points de vue et perspectives qui existent à ce sujet. Nous n’avons peut-être pas besoin d’un cadre. Nous pourrions avoir besoin de créer un navire qui aurait plus qu’un leadership partagé. Ce n’est pas une chose facile à présenter, car, comme vous l’avez dit, c’est très local, provincial, régional. Nous n’avons cependant pas d’autre choix que de réunir tout le monde autour d’une même table pour entendre ce que chacun a à dire et croire qu’il y a un intérêt commun à faire avancer ce dossier d’une manière qui ait du sens pour toutes les différentes collectivités.
Il n’est pas nécessaire de créer un nouvel organisme. Il existe des organismes qui défendent ce travail depuis près d’un siècle dans certains cas. Nous avons besoin d’un dialogue de type « innovation sociale » qui soit capable de recevoir différentes perspectives et différents points de vue, puis de rassembler tout cela pour le plus grand bien de la nation.
M. Gilvesy : Sénatrice, votre question est très vaste. Vous demandez presque : comment les choses changent-elles? D’après notre expérience, le changement commence par l’exploitation de la puissance et de l’énergie des innovateurs et des vrais leaders. Nous le constatons constamment. Nous avons tenu une porte ouverte pour que ces personnes puissent passer et nous en avons récolté les fruits. De plus en plus, nous voulons relier ce travail aux pouvoirs publics fédéraux, provinciaux, territoriaux et municipaux pour nous assurer que nous sommes cohérents à ce propos et que nous sentons tous l’opportunité qui se présente.
Je suis ici pour vous dire que cela commence par le leadership et la reconnaissance de la valeur du leadership pour nous tous. J’aimerais voir les gouvernements s’unir dans un effort politique concerté autour de ce travail et travailler à l’avancement de ce dernier. Reconnaissons que les leaders nous mèneront quelque part.
La sénatrice Simons : Je vous remercie.
M. Petro : Si vous me le permettez, sénatrice, je vais vous donner un exemple. En Nouvelle-Zélande, le Sustainable Food and Fibre Futures Program est un bon exemple de la façon dont un gouvernement peut soutenir une initiative multipartite pour améliorer la santé des sols. Ils ont fait ce que je propose ici. Ils ont réuni tout le monde autour d’une même table et ils ont mis sur pied un projet, qui a débuté en 2020 et qui a déjà rapporté des millions de dollars. Tout cela est parti d’une simple conversation entre les principaux intéressés.
Nous sommes à un moment où nous devons savoir ce que cela signifie pour chaque agriculteur, y compris les pionniers, les premiers adoptants, jusqu’à ce que nous atteignions une masse critique pour que les 50 % restants puissent embrasser à leur tour cette direction.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Je vais un peu faire un suivi de la question du sénateur Mockler et adopter une approche différente de la question de la sénatrice Simons. Ma question s’adresse en fait à M. Petro, mais j’invite M. Gilvesy à y donner suite.
Régénération Canada s’efforce de réaliser la régénération des sols en créant des espaces permettant à un large éventail d’intervenants de prendre des mesures pour assurer cette régénération. Comme nous l’avons appris, les types et les conditions de sol diffèrent d’une région à l’autre et d’une ferme à l’autre. Il est clair que la dégénérescence des sols est un problème national. Pour que des organismes comme le vôtre et tous les autres qui travaillent sur la santé des sols puissent apporter des solutions, ils doivent être en mesure de définir le problème. Le problème ne se pose pas seulement région par région, mais aussi ferme par ferme. De nombreux intervenants nous ont dit que nous manquons de recherches pertinentes et de bon aloi sur les différents types et les différentes conditions de sol, région par région et ferme par ferme.
D’après vous, où en est la nation en matière de recherches pertinentes? Y a-t-il des lacunes? Si c’est le cas, que doit faire le Canada pour coordonner une approche nationale quant à la collecte de données pertinentes et de bon aloi en la matière?
M. Petro : Je peux vous donner un exemple de ce qui se passe aux États-Unis. La Ecdysis Foundation est un organisme non gouvernemental à but non lucratif. Il a obtenu des fonds du gouvernement fédéral pour mener des recherches dans 1 000 exploitations agricoles éparpillées dans les 52 États américains. Ce qu’il essaie de faire — et je pense que nous devrions nous en inspirer —, c’est exactement ce que vous disiez sur la façon dont les conditions pédologiques et géoclimatiques sont différentes d’une région à l’autre et d’une ferme à l’autre.
Essayer d’avoir des données sur le terrain sous la direction des agriculteurs et avec l’aide des chercheurs, et essayer de faire fonctionner cela de manière à ce que chaque exploitation puissse trouver son compte dans les recommandations qui seront faites à la fin de l’étude. C’est un exemple qui se passe chez nos voisins.
Je pense qu’au Canada, avec la population et les ressources dont nous disposons, le gouvernement a fait un excellent travail pour faire avancer la recherche sur la santé des sols et l’agriculture régénérative. Comme je l’ai dit, parfois les agriculteurs voient les effets des changements climatiques. Ils voient ce qui se passe sur leurs terres. Ils voient ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas, et ils veulent agir plus rapidement, sans toutefois remettre la science en question. La seule solution consiste à concevoir nos projets de recherche en consultation avec les agriculteurs avant même de soumettre une proposition de recherche aux fournisseurs. C’est quelque chose qui pourrait vraiment aider à concevoir les projets afin qu’ils répondent aux besoins réels et immédiats des agriculteurs dans certaines régions.
M. Gilvesy : Nous parrainons tellement de recherches. Nous accommodons tant de projets de recherche de l’Université de Guelph — des études sur la biodiversité, la qualité de l’eau, la séquestration du carbone dans le sol, la modélisation prédictive pour le modèle IMWEBs sur la performance des bassins versants — et nous apportons notre propre contribution aux efforts déployés à l’échelle du pays en ce qui concerne la séquestration du carbone dans le sol.
Nous sommes très satisfaits des chercheurs qui sont venus à notre table parce que nous offrons un lieu d’étude pour l’avant et l’après. Les agriculteurs changent littéralement la façon dont ils utilisent certaines parcelles de leurs terres. Ce que je vois, c’est que nous demandons à nos chercheurs de trouver où la rondelle va aboutir plutôt que par où elle est passée. Nous voulons qu’ils vérifient si les techniques sont valables et comment il serait possible de mieux quantifier ces dernières afin que nous puissions passer à l’étape suivante. C’est une réponse simple, mais c’est ma meilleure réponse.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie.
La sénatrice M. Deacon : Pour faire suite à la question de la sénatrice Simons, nous avons parlé de la perspective nationale. Il y a deux ans, j’ai participé à des réunions qui se sont tenues dans le Montana, réunions dans le cadre desquelles de nombreux sénateurs et des intervenants d’autres pays ont parlé de la gestion des sols dans le contexte de l’agriculture et, simultanément mais dans une salle distincte, de la gestion des sols dans le contexte des feux de forêt et de la régénération.
En vous écoutant parler tous les deux aujourd’hui, je me suis demandé ce que nous apprenons des autres pays, en particulier des pays qui sont de régions semblables aux nôtres, et si, franchement, nous apprenons ou prenons l’initiative à l’échelon mondial dans ce domaine. Pouvez-vous nous parler de cela? Nous vous en serions très reconnaissants. Merci.
M. Gilvesy : J’aime à penser que peu importe ce qu’on a découvert, le plan de conservation des agriculteurs montre la voie à suivre. Nous avons été invités à nous rendre dans des collectivités en Iowa et en Ohio, et nous examinons la possibilité d’offrir notre technique là-bas — des programmes basés sur nos principes, le leadership communautaire, etc.
Le problème aux États-Unis, en particulier, n’est pas le financement. Les sources de financement ne manquent pas. Ce qui manque, c’est la structure de soutien communautaire, la solidarité et la collecte de données qui nous aident à passer à l’étape suivante. C’est pourquoi nous sommes là, et c’est pourquoi nous avons été invités dans ces collectivités.
L’agriculture est similaire partout. Nous avons eu des discussions avec des collectivités en Ouganda, par exemple, qui ont les mêmes préoccupations que nous comme agriculteurs. Je pense que nous montrons la voie à suivre, mais les progrès sont lents. Le pays est vaste, et c’est un sujet important, mais je suis heureux de l’élan que nous avons maintenant et de constater que nous semblons avoir touché une corde sensible. C’est un élément positif.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.
M. Petro : Je suis d’accord. Le Canada est un chef de file dans de nombreux domaines, mais je dirais que nous avons toujours des choses à apprendre, et nous en avons de nombreux exemples au Royaume-Uni, dans certains États aux États-Unis, en Australie et même au Brésil. Je pense que la différence porte principalement sur deux éléments : la priorité qu’accordent les agriculteurs à la transition, le rôle qu’ils jouent dans le programme, et le fait de voir plus loin que le marché du carbone et d’avoir une façon novatrice de créer un marché, non seulement pour les services écosystémiques comme celui qu’ALUS prône depuis sa création, mais aussi pour les marchés actuels de produits et de biens qui sont produits sur des sols sains et regénératifs. Nous avons sans doute des choses à apprendre à cet égard, mais nous sommes assurément des chefs de file dans divers domaines.
La sénatrice M. Deacon : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Petro, mais j’aimerais avoir une réponse de la part de nos deux témoins.
Pensez-vous qu’il y a un besoin pour un système d’identification ou de certification lorsqu’il s’agit de produits issus de l’agriculture régénératrice? Je pose la question, parce que je sais que de plus en plus de consommateurs canadiens veulent savoir d’où provient ce qu’ils achètent et ce qu’ils consomment; ils veulent savoir notamment si c’est un produit local, si c’est un produit biologique ou si les poules ont grandi en liberté. Je me demande si cela pourrait être une bonne idée que les produits issus de l’agriculture régénératrice soient identifiés ou certifiés.
M. Petro : À Régénération Canada, nous avons commencé, il y a deux ou trois ans, à mettre en place une carte interactive des fermes régénératrices au Canada. Ce n’est pas une certification, mais on fait tout de même un travail rigoureux en visitant les fermes et en ayant une approche humaine des fermes qui sont en transition vers une agriculture régénératrice. Sur cette carte, il existe maintenant environ 120 fermes au pays, ce qui représente près de 105 000 acres et inclut des grandes et des petites fermes.
C’était notre façon d’informer le consommateur qui veut se procurer des produits issus de l’agriculture régénératrice. Ce besoin est de plus en plus criant. Nous croyons qu’il doit y avoir un système qui permet aux citoyens de savoir exactement comment les produits ont été faits. Cela dit, nous croyons fermement que cela ne peut pas être un système bilatéral, qu’il soit régénérateur ou non. La transition vers une agriculture régénératrice est un voyage qui commence par des pratiques faciles à implanter et doit arriver jusqu’au niveau du système alimentaire en général. Il faut un système qui est capable d’identifier quel produit et quelle ferme se trouvent à quelle étape dans leur cheminement vers une agriculture régénératrice, sans que le système soit tout blanc ou tout noir.
Ce modèle n’existe qu’à très petite échelle ailleurs dans le monde, mais encore une fois, cela commence par un dialogue national pour discuter de ce que veut dire une agriculture régénératrice pour les producteurs, les consommateurs, les chercheurs et les entreprises privées. C’est un mot de plus en plus utilisé — ce qui est une bonne chose lorsqu’on veut faire avancer un mouvement —, mais on arrive à un moment où il faut l’encadrer. Le travail minimal du sol, ce n’est pas l’équivalent de l’agriculture régénératrice, ce n’est qu’une infime étape parmi d’autres.
Il faut un dialogue pour trouver les définitions de l’agriculture régénératrice. Par la suite, il faut accompagner ce mouvement par la science. Il y a beaucoup de données, surtout de la part du gouvernement du Québec, et ces données peuvent nous aider à mettre en parallèle certaines pratiques et les retombées économiques et agroenvironnementales de ces pratiques. On doit mettre cela en place à l’échelle du pays et avoir un système de pointage transparent, qui ne sera pas coûteux pour les producteurs et qui permettra aux consommateurs de connaître exactement ce qui se fait.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup, c’est très intéressant.
[Traduction]
Le président : Monsieur Gilvesy, aimeriez-vous ajouter quelque chose?
M. Gilvesy : Il y a deux semaines, je suis allé rendre visite à l’un des meilleurs agriculteurs que je connaisse et dont la ferme se trouve près de Regina, Derek Axten. Aux dires de tous, il est l’un des agriculteurs qui sont des chefs de file au pays, et il se plaignait de voir que cela ne s’était pas forcément traduit par une augmentation du prix de son produit.
Je suis tout à fait d’accord avec vous. Tout ce que nous pouvons faire pour aider à signaler ces réussites et aider les consommateurs à récompenser le travail de ces agriculteurs serait formidable.
La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie beaucoup. C’est très utile.
Le président : Je vous remercie beaucoup.
J’ai une dernière question. Imaginons que nous sommes à la fin de notre étude et commençons à rédiger notre rapport. J’aimerais que vous finissiez la phrase suivante si vous étiez les auteurs du rapport. Nous recommandons...
Monsieur Gilvesy, avez-vous une recommandation?
M. Gilvesy : Nous recommanderions de tirer parti des compétences, des efforts et de l’esprit d’initiative des gens sur le terrain qui ont fait l’expérience de la stratégie communautaire, car, de cette façon, ils vont en inspirer d’autres à suivre cette voie. Leur esprit d’initiative compte et leurs idées comptent. Il faut voir cela de manière ascendante, à partir de la base, et non de façon descendante.
C’est mon opinion. Je vous remercie.
Le président : Je vous remercie.
Monsieur Petro?
M. Petro : Oui, et il faut que nos agriculteurs pionniers puissent compter sur une stratégie multilatérale qui bénéficie du soutien des communautés autochtones, des scientifiques, des consommateurs, des entreprises et, avant tout, du gouvernement, afin de déterminer où nous en sommes, où nous voulons aller, quels sont les obstacles à surmonter — qui varient culturellement, socialement et économiquement —, et prendre tout cela en considération.
Le président : Je vous remercie beaucoup.
Comme il n’y a pas d’autres questions, je vous remercie beaucoup, monsieur Gilvesy et monsieur Petro, de votre participation aujourd’hui à notre étude. Nous vous savons gré de l’aide que vous nous apportez.
Je souhaite aussi remercier les membres du comité, les sénateurs, mes collègues, de leur participation dynamique et de leurs questions judicieuses.
Je veux aussi remercier les gens qui nous aident ici, les interprètes, les techniciens de service, l’équipe de télédiffusion, le centre d’enregistrement, notre page, Sam, merci beaucoup, sans oublier notre analyste de la Bibliothèque du Parlement et notre greffière. Merci beaucoup.
Chers collègues, la prochaine séance aura lieu le mardi 1er novembre 2022, à 18 h 30, heure normale de l’Est, et nous allons continuer d’entendre le témoignage d’experts pour notre étude.
(La séance est levée.)