LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 14 février 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 18 h 33 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonsoir à tous. C’est un plaisir de vous revoir.
J’aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et à ceux qui nous regardent sur le Web. Je suis le sénateur Rob Black, de l’Ontario, et je préside le Comité de l’agriculture et des forêts. Aujourd’hui, le comité poursuit son étude visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Avant de céder la parole aux témoins, je voudrais d’abord demander aux sénateurs autour de la table de se présenter.
La sénatrice Jaffer : Soyez les bienvenus. Je m’appelle Mobina Jaffer, et je viens de la Colombie-Britannique.
La sénatrice Burey : Soyez les bienvenus. Je suis la sénatrice Burey, et je viens de l’Ontario.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Martin : Bonsoir. Je suis Yonah Martin, de la Colombie-Britannique.
Le sénateur C. Deacon : Je suis Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse. Je suis heureux de vous voir.
Le président : Bienvenue à nos témoins en personne et en ligne. C’est un plaisir de vous avoir parmi nous.
Nous accueillons aujourd’hui des témoins d’Agriculture et Agroalimentaire Canada : Gilles Saindon, sous-ministre adjoint, Direction générale des sciences et de la technologie; Marco Valicenti, directeur général, Direction des programmes d’innovation; Edward Gregorich, chercheur scientifique, Division agri-environnement; et Heather McNairn, chercheuse scientifique, Division agri-environnement. Ensuite, nous recevons, par vidéoconférence, de Ressources naturelles Canada, Dominic St-Pierre, directeur général, Centre de foresterie des Laurentides.
Merci d’être des nôtres. Je vous invite à nous faire vos exposés. Nous allons commencer par M. Saindon, suivi de M. St-Pierre. Vous aurez chacun cinq minutes pour vos déclarations liminaires. Je vous ferai signe de la main lorsqu’il ne vous restera qu’une minute. Quand il sera temps de conclure, je lèverai les deux mains. Je m’en tiendrai à cela. Je peux faire preuve d’un peu de souplesse, mais pensez à conclure lorsque vous verrez deux mains.
Commençons par le premier exposé.
[Français]
Gilles Saindon, sous-ministre adjoint, Direction générale des sciences et de la technologie, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Merci, monsieur le président. Je me nomme Gilles Saindon et je suis le sous-ministre adjoint de la Direction générale des sciences et de la technologie à Agriculture et Agroalimentaire Canada. Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à vous dans le cadre de votre étude sur l’état de la santé des sols au Canada pour vous parler des initiatives scientifiques que mène notre ministère en la matière.
[Traduction]
Tout d’abord, je voudrais vous présenter deux scientifiques chevronnés d’Agriculture et Agroalimentaire Canada qui m’accompagnent aujourd’hui : M. Ed Gregorich, un biochimiste des sols dont les recherches portent sur la compréhension des effets des pratiques agricoles sur la santé des sols, le cycle du carbone et la matière organique du sol; et Mme Heather McNairn, qui a 30 ans d’expérience en recherche visant à concevoir des méthodes de surveillance des sols et des cultures à l’aide de technologies de télédétection aérienne et satellitaire.
La conservation et la santé des sols ont toujours été au cœur des priorités d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC. Nos scientifiques collaborent avec les producteurs de tout le pays, protégeant ainsi nos sols depuis près de 100 ans, tout en créant des avantages économiques importants, comme ce fut le cas lors de l’adoption des méthodes de conservation du sol et des systèmes de semis direct.
En fait, il y a 40 ans, les scientifiques d’AAC ont contribué aux travaux du comité, plus précisément le très influent rapport du Sénat de 1984 intitulé Nos sols dégradés, qui a sensibilisé les gens à la question complexe de la dégradation des sols, soulignant la nécessité de conserver les sols au Canada. Ce rapport a servi de cadre à des décennies de recherche et d’action en faveur de la santé des sols.
Ces efforts ont porté leurs fruits. Nos indicateurs agroenvironnementaux confirment que la santé des sols au Canada s’est améliorée : le risque d’érosion et de salinisation des sols est maintenant jugé très faible; la matière organique du sol s’est de beaucoup enrichie, et la couverture du sol a augmenté grâce à la réduction substantielle de la jachère d’été et à la plantation accrue de cultures de couverture.
[Français]
Malgré nos réussites, nous savons qu’il faut encore apporter des améliorations dans certains domaines. Afin d’orienter nos activités à venir, le ministère s’est donc doté du Plan stratégique pour la science, qui s’échelonne sur 10 ans. Ce plan est la suite logique des travaux menés par Agriculture et Agroalimentaire Canada au cours des dernières années, qui intègrent la durabilité de l’agriculture à l’attention soutenue que nous portons à la compétitivité et à la productivité. Il permettra de recentrer et de réorganiser nos priorités de recherche en fonction de quatre grandes missions : l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ceux-ci, le renforcement de la résilience des agroécosystèmes, l’avancement de l’économie circulaire et l’accélération de la transformation numérique pour le secteur.
Les activités scientifiques qui seront menées dans le cadre de chacun de ces domaines de mission déboucheront sur des solutions novatrices, notamment la protection et l’amélioration de la santé des sols, tout en maintenant l’accent sur la productivité, la durabilité et la fiabilité économique, et ce, au profit des producteurs et des Canadiens.
[Traduction]
Cet engagement envers la durabilité économique et environnementale est mis en évidence grâce à nos laboratoires vivants pour les agroécosystèmes : une approche de la recherche agricole novatrice et fondée sur les paysages qui se concentre sur la séquestration du carbone, la réduction des émissions de gaz à effet de serre et l’obtention d’autres avantages, notamment la santé des sols. Il a permis aux producteurs, aux scientifiques d’AAC et à d’autres intervenants de collaborer à l’élaboration, à la mise à l’essai et à la mise en œuvre de pratiques et de technologies de gestion bénéfiques dans des exploitations agricoles en activité. Des laboratoires vivants pour les agroécosystèmes sont maintenant mis en place dans chaque province canadienne dans le cadre du programme Solutions agricoles pour le climat.
Les efforts scientifiques d’AAC en matière de santé des sols se poursuivront, tant pour parfaire les connaissances scientifiques fondamentales que pour élaborer des pratiques et des technologies novatrices. Nous veillons également à ce que ces connaissances soient transférées aux producteurs.
[Français]
C’est une bonne occasion pour moi de vous présenter mon collègue Marco Valicenti, directeur général des programmes d’innovation à Agriculture Canada. Les équipes scientifiques et les équipes de programmes travaillent ensemble pour élaborer et mettre en œuvre des programmes fondés sur la science qui seront en mesure de soutenir les efforts des producteurs partout au Canada.
Je vous remercie, monsieur le président.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
Dominic St-Pierre, directeur général, Centre de foresterie des Laurentides, Ressources naturelles Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs membres du comité, merci de me recevoir ici aujourd’hui dans le cadre de votre étude sur l’état de la santé des sols au Canada. Je suis très heureux d’être parmi vous ce soir et d’avoir l’occasion d’exposer certains des enjeux qui touchent la santé des sols forestiers, un sujet dont on entend peu parler. Pourtant, plus de 35 % du Canada est couvert de forêts, soit 9 % de la superficie forestière mondiale.
Je m’appelle Dominic St-Pierre, je suis directeur général du Centre de foresterie des Laurentides, un centre de recherche du Service canadien des forêts situé dans la ville de Québec. Je suis également responsable du programme national de recherche sur l’amélioration des pratiques d’aménagement forestier durable au Canada.
Le Service canadien des forêts est la voix nationale et internationale du secteur forestier du Canada. L’organisation fait partie de Ressources naturelles Canada et possède un bureau à Ottawa ainsi que six centres de recherche à l’échelle du pays. Le Service canadien des forêts collabore étroitement avec le milieu universitaire, les peuples autochtones, l’industrie ainsi que les provinces et territoires du Canada afin de veiller à la durabilité et à la santé des forêts.
L’un des principaux mandats du Service canadien des forêts consiste à effectuer des recherches scientifiques sur les forêts du Canada. Ces recherches peuvent servir à orienter la planification de l’aménagement forestier et les décisions stratégiques, ainsi qu’à aider l’industrie forestière, le public et d’autres scientifiques. Nos projets de recherche couvrent diverses questions liées à la foresterie, notamment les changements climatiques, les incendies de forêt, les insectes et les maladies, et l’aménagement durable des forêts. Nous avons également plusieurs chercheurs spécialisés dans les sols qui sont reconnus mondialement.
Les sols forestiers du pays ont une superficie cinq fois supérieure à celle des sols agricoles et fournissent des services écosystémiques inestimables comme l’approvisionnement en produits forestiers, que ce soit par les matériaux, l’énergie ou les produits forestiers non ligneux, ou encore la régulation et la purification de l’eau, la création d’habitats pour la biodiversité, le stockage d’énormes quantités de carbone et l’atténuation des changements climatiques. En somme, un sol en santé est non seulement important pour la santé des forêts du Canada, mais également pour l’environnement, l’économie et la société d’ici et d’ailleurs.
Plusieurs facteurs peuvent avoir un impact plus ou moins important sur la santé des sols forestiers. Je vais en évoquer quelques-uns et je pourrai les préciser davantage lors de la période de questions, s’il vous plaît.
Le déboisement, c’est-à-dire la coupe ou l’abattage de tous les arbres dans un lieu ou une forêt sans programme de repeuplement ou de régénération, notamment pour faire place à du développement résidentiel, commercial, minier ou pour l’agriculture, est probablement le facteur ayant l’impact le plus significatif sur les sols forestiers. Cependant, le taux de déboisement est faible au Canada, soit moins de la moitié de 1 % depuis 1990, et la superficie forestière est stable.
L’aménagement forestier au Canada est surtout de type extensif, avec des rotations de récolte longues, peu ou pas de travail du sol, peu ou pas d’intrants et il priorise une régénération naturelle. Ce type d’aménagement perturbe beaucoup moins les sols que d’autres usages des terres et les enjeux sont moins sévères dans la mesure où les pratiques respectent les critères d’aménagement durable des forêts.
Certains ont formulé des inquiétudes quant à l’intensification des pratiques, notamment la récolte de biomasse pour la bioénergie. Celle-ci peut engendrer une perte de carbone et de nutriments, une réduction de la fertilité des sols et une perte de productivité potentielle pour la régénération forestière subséquente. Plusieurs recherches sont en cours dans le monde et au Canada sur cette question, notamment au sein du réseau AshNet du Service canadien des forêts. Quelques pistes d’action commencent d’ailleurs à se dessiner. Par exemple, il est possible de retourner les nutriments perdus lors de la récolte de biomasse au moyen d’un épandage de cendres issues de la combustion de la biomasse.
Les perturbations naturelles comme le feu ou les insectes altèrent également les fonctions du sol. Comme ce sont des processus naturels, le sol retrouve souvent ses propriétés après quelques années selon la fréquence et l’intensité des perturbations. Les impacts sur les sols peuvent être amplifiés par les changements climatiques. En effet, le réchauffement, l’assèchement, la récurrence des perturbations et la réduction des apports en matières organiques pourraient altérer les fonctions de la santé des sols dans certaines des régions les plus touchées. Étant donné que le Canada se réchauffe deux fois plus vite que la moyenne mondiale et que les sols canadiens stockent plus de 20 % du carbone mondial, les initiatives visant à comprendre leur vulnérabilité aux changements climatiques et aux perturbations naturelles sont indispensables, non seulement pour le Canada, mais aussi pour le cycle mondial du carbone.
Un autre élément qui peut paraître insolite, mais qui a un impact bien réel, est ce que je pourrais appeler « l’invasion » des vers de terre en forêt. Je sais qu’une autre intervenante à ce comité y a déjà fait allusion. Les vers sont souvent vus comme bénéfiques en agriculture, mais leur présence n’est pas souhaitée en forêt. Les vers sont d’origine européenne et de nouvelles espèces asiatiques sont à nos portes, encore plus dommageables. C’est un enjeu dont on parle peu et qui est méconnu. Les recherches sont en cours au sein du Service canadien des forêts.
Depuis longtemps, Ressources naturelles Canada recueille des données sur les sols à l’échelle de parcelles de régions et même du pays. Malheureusement, nous ne disposons pas vraiment de données fiables et précises sur les sols forestiers à l’échelle du Canada. La qualité et la précision des informations varient grandement et les cartes pédologiques pour les forêts sont, pour la plupart, très sommaires.
Bien que la gestion des terres forestières soit de juridiction provinciale, Ressources naturelles Canada a pris certaines mesures pour conserver la qualité et la productivité de nos sols forestiers. La recherche scientifique réalisée au Service canadien des forêts permet d’informer les décisions d’aménagement grâce aux nombreuses collaborations que nous avons tissées au fil du temps avec les provinces et territoires.
En conclusion, j’aimerais insister sur la nécessité d’investir davantage en recherche ainsi que dans la production et l’harmonisation des données accessibles afin de mieux comprendre les facteurs qui affectent la santé des sols forestiers au Canada.
Merci beaucoup de m’avoir accordé ce temps de parole. Je suis prêt à répondre à vos questions.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Nous allons passer aux questions des sénateurs. J’invite notre vice-présidente à ouvrir le bal.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
Ma première question s’adresse à M. Saindon. Dans bon nombre des témoignages que nous avons entendus jusqu’ici, les gens nous ont dit qu’il y a toutes sortes de recherches vraiment importantes qui se font dans les universités partout au pays, ainsi qu’à l’échelle provinciale dans l’ensemble du pays, mais aucun service central d’échange de données ne regroupe ces renseignements pour que les gens puissent vraiment s’inspirer des pratiques exemplaires d’autres professionnels de l’agriculture ou savoir ce qui se passe en matière de recherche de pointe.
Je me demande si, d’après vous, votre ministère pourrait jouer davantage un rôle de chef de file en servant de centre d’information pour les gens.
M. Saindon : Nous faisons beaucoup d’activités de transfert technologique des connaissances que nous créons dans nos centres de recherche ou en partenariat avec beaucoup de gens, et ce, de façon continue. Nous n’avons pas le mandat de transférer des technologies, comme les services de vulgarisation. Habituellement, cela se fait à l’échelle provinciale. L’industrie fait aussi beaucoup de choses. La situation a évolué au fil du temps.
Je dois dire qu’à l’heure actuelle, nous déployons une grande partie de nos efforts en collaboration avec les intervenants et les producteurs, comme en témoignent les laboratoires vivants pour les agroécosystèmes dont j’ai parlé dans ma déclaration, et il arrive parfois que des universitaires participent également à certains de ces laboratoires vivants. Nous avons ainsi l’occasion de transférer des technologies.
Nous assistons à de nombreuses conférences ou réunions avec l’industrie dans le cadre desquelles nous transmettons les résultats de nos recherches.
Nous faisons tout ce que nous pouvons pour assurer le transfert technologique. Nous n’avons pas de mandat de transfert technologique en tant qu’organisation, et sûrement pas en tant que centre d’échange d’information.
La sénatrice Simons : Ce n’était pas vraiment ma question. Voici ce que je cherche à savoir : pensez-vous qu’il devrait y avoir un autre ministère qui s’occupe de colliger et de conserver tous ces renseignements? Je ne parle pas seulement de vos travaux de recherche, mais devrait-il y avoir un organisme national qui rassemble les recherches et les données de tout le pays pour éviter que des gens travaillent en vase clos et pour leur permettre de se tenir au courant des recherches effectuées à l’Université Dalhousie, à l’Université de Guelph ou au Olds College?
Des témoins nous ont dit à maintes reprises qu’il y a un trou dans le système parce que ces renseignements ne sont pas regroupés quelque part. Ce que vos laboratoires vivants font semble fascinant, mais c’est déconnecté de ce que quelqu’un d’autre fait ailleurs. Devrait-il y avoir une personne dont le travail consisterait à colliger et à conserver tous ces renseignements?
M. Saindon : Je vous remercie de me donner l’occasion d’ajouter un peu plus de contexte. Idéalement, s’il existe un tel organisme ou une telle organisation, ce serait utile. Je ne serais pas opposé à cette idée. Cependant, il est assez compliqué de rassembler toutes les connaissances provenant, comme vous l’avez mentionné, de nombreuses universités, des gouvernements provinciaux et du gouvernement fédéral pour ensuite essayer de les regrouper de façon cohérente. Ce serait utile, mais pour l’instant, je ne me rappelle pas en avoir vu un exemple au pays.
La sénatrice Simons : Monsieur St-Pierre, à la fin de votre déclaration, vous avez parlé de travailler ensemble avec les provinces. Y a-t-il quelque chose qui se passe dans le domaine de la foresterie pour que les divers intervenants des différentes régions du pays puissent échanger des renseignements et des idées?
M. St-Pierre : Oui. En fait, les chercheurs en foresterie travaillent en étroite collaboration avec le gouvernement fédéral et les provinces et territoires, puisque la gestion des terres et des forêts relève de la responsabilité provinciale et territoriale. Il y a beaucoup de recherche qui se fait en collaboration, mais il faut quand même uniformiser la façon de suivre ou de conserver les données et les renseignements sur le sol, surtout le sol forestier.
[Français]
Les informations sur les sols forestiers sont peu regroupées et on n’en a pas énormément, si je puis dire.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. J’ai de nombreuses questions à vous poser. Nous allons voir jusqu’où je peux aller. Je vais commencer par Agriculture et Agroalimentaire Canada.
J’ai récemment assisté à une conférence sur l’agriculture et l’insécurité alimentaire, à l’occasion de laquelle divers experts ont fait ressortir le rôle important que joue le Canada pour assurer la sécurité alimentaire non seulement au pays, mais aussi à l’échelle internationale. Ils ont souligné notre capacité à produire des aliments, mais ils ont également discuté de la façon dont nous devons augmenter la production dans le secteur agricole tout en réduisant les émissions.
Pourriez-vous nous parler de la relation entre la santé des sols, la production agricole et la nécessité de réduire les émissions? Cette question s’adresse à vous, monsieur Saindon, ou à toute personne de votre groupe.
M. Saindon : Si vous me le permettez, j’inviterais M. Gregorich à dire quelques mots à ce sujet.
Edward G. Gregorich, chercheur, Division agri-environnement, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Je vous remercie de la question. En ce qui concerne la production, tout d’abord, la principale raison d’être de l’agriculture est de produire de la nourriture, et il y a des sous-produits qui en découlent. Parfois, cela prend la forme d’émissions. Il y a des fuites dans le système, notamment des émissions, dont certaines vont dans l’eau. L’idée selon laquelle on peut améliorer la production en gardant ces émissions dans le sol est un des principes et objectifs fondamentaux qui mettent l’accent sur le sol grâce à un cycle interne réduit afin que cela reste dans le sol.
Si la production augmente, c’est, tout compte fait, une bonne chose pour le sol, car cela permet d’y déposer des matières organiques. Le tout consiste à maintenir un cycle serré dans le sol et à éviter les fuites dans le système ou les problèmes environnementaux. Au bout de compte, on fait face à un problème économique parce que les engrais — les intrants — sont perdus dans le système.
L’objectif est, avant tout, de produire de la nourriture. C’est pourquoi nous faisons de l’agriculture, et les activités agricoles, par leur nature même, visent à intensifier la croissance des plantes, ce qui permet d’obtenir un sol plus robuste au bout du compte.
La sénatrice Jaffer : De nos jours, il faut également relever le défi que représentent les conditions météorologiques extrêmes, accompagnées de nombreuses sécheresses et inondations. Voilà qui rend la tâche très difficile, surtout en ce qui concerne l’insécurité alimentaire. Je voulais que vous parliez des vagues de chaleur. Dans ma province, nous avons connu des inondations et des vagues de chaleur, et ces phénomènes se produisent maintenant trop souvent.
Quelles sont les répercussions des conditions météorologiques extrêmes? Je sais qu’il y aura une incidence considérable sur le sol, mais quel genre de recherches faites-vous pour comprendre ces répercussions afin de renforcer la résilience de notre secteur agricole, surtout au chapitre de l’insécurité alimentaire?
M. Gregorich : Nous essayons de comprendre l’ampleur de cet effet sur les processus biologiques du sol. Une sécheresse va essentiellement freiner toute l’activité microbienne et tout le cycle des nutriments et, bien entendu, il n’y aura pas d’eau pour les plantes. Cela retarde les choses, et il y a aussi des conséquences pour l’avenir, car lorsque les plantes ne poussent pas, la qualité et la santé du sol se détériorent en très peu de temps.
Pour mettre en place les conditions nécessaires et renforcer la résilience, nous devons, je le répète, conserver les intrants dans le sol, resserrer le cycle des nutriments et faire un effort pour cultiver, autant que possible, des plantes robustes et résilientes. C’est là qu’intervient le développement des cultures, c’est-à-dire la mise au point de plantes qui peuvent pousser dans des conditions qui résistent à la sécheresse. Certaines de nos recherches portent là-dessus.
Elles comportent différents volets. Dans le cas des sols, nous nous penchons sur ce qui se passe à court terme. Les effets à long terme d’un phénomène extrême comme la sécheresse peuvent se faire ressentir pendant de nombreuses années après coup.
Le sénateur Klyne : Bienvenue à nos invités. Je suis le sénateur Marty Klyne, du territoire visé par le Traité no 4, en Saskatchewan. J’ai quelques questions pour Agriculture et Agroalimentaire Canada, et j’en aurai une pour Ressources naturelles Canada — RNCan — sous peu.
J’aimerais poursuivre sur la lancée de la sénatrice Simons. Lorsqu’on nous a informés que nous allions étudier les sols, je ne pensais pas que ce serait un sujet aussi inspirant. Une fois que nous avons commencé à écouter certains des témoignages d’experts, je me suis rendu compte qu’il s’agissait d’un problème préoccupant, qui m’interpelle aujourd’hui, surtout en ce qui concerne la production agricole et la sécurité alimentaire. Nous avons entendu un thème récurrent — au risque d’être un peu répétitif — de la part de ceux qui font des recherches sur la dégradation des sols; qu’il s’agisse d’érosion ou de perte de carbone dans le sol, de vives inquiétudes ont été exprimées. Comme vous le savez, la situation varie d’une région à l’autre, et même à l’intérieur des provinces. Chaque région présente des situations, des problèmes et des enjeux différents.
L’un des messages qui ressort clairement des discussions avec tous ces spécialistes de la recherche sur la dégradation et la santé des sols, c’est qu’il faut recueillir ces données, en faire la synthèse et les répertorier afin de pouvoir établir une base de référence et surveiller les changements et tout le reste, notamment sur le plan topographique, en utilisant peut-être des images satellites pour voir comment les choses évoluent. C’était assez frustrant d’entendre qu’il n’y a pas d’organisme national qui se prête à ce genre d’activités. S’il y en a un, je dois supposer que c’est Agriculture et Agroalimentaire Canada et la filière agroalimentaire de ce secteur.
Il existe donc une forte demande pour le traitement de mégadonnées dans un dépôt destiné à conserver ces données et à en faire la synthèse. Nous pouvons ainsi savoir ce que nous faisons bien, ce que nous pourrions faire différemment et ce que nous devrions faire de plus pour nos sols, région par région.
À mon avis, nous avons besoin d’un dépôt où nous pouvons recueillir ce genre de données et les utiliser. Par ailleurs, même si vous n’avez pas de mandat en matière de transfert technologique, je suppose que vous avez probablement un mandat concernant la production alimentaire et la sécurité alimentaire. Cette idée devrait vous intéresser, vous aussi, compte tenu de la situation inquiétante et alarmante de nos sols.
Selon moi, vous devriez peut-être envisager de diriger l’élaboration d’une stratégie nationale et de collaborer avec les provinces et les territoires. Il y a quatre mois, je ne pouvais pas inclure les territoires, mais à mesure que nous obtenons plus d’information, nous constatons qu’il y a des possibilités de production agricole dans les territoires, qui sont quelque peu laissés pour compte ou qui sont loin des yeux, loin du cœur.
Je vous saurais donc gré de répondre à cette question, et il se peut que nous y revenions au deuxième tour pour entendre l’avis de Ressources naturelles Canada.
Le président : Il vous reste une minute.
M. Saindon : J’inviterais Mme McNairn à nous parler du côté mégadonnées de l’équation et de la télédétection. Je pense que M. Gregorich aurait probablement quelque chose à dire sur notre façon de tenir l’inventaire des sols. Je pense que nous avons aussi une certaine capacité à l’échelle nationale.
Heather McNairn, chercheuse scientifique, Division agri-environnement, Agriculture et Agroalimentaire Canada : Pour en revenir aux mégadonnées, Ressources naturelles Canada est en fait un excellent exemple. Pour tous les ministères fédéraux qui acquièrent des données satellitaires brutes, il y a à Ressources naturelles Canada un dépôt de données satellitaires auquel nous pouvons accéder. Ce sont donc les données brutes. Notre ministère utilise ces données pour créer des produits qui sont gratuits et ouverts. Ainsi, nous avons un produit basé sur les données satellitaires qui examine l’inventaire des cultures, ce qui fait que, chaque année, nous cartographions les cultures à l’échelle du pays. C’est un produit ouvert que notre ministère crée et qu’il met gratuitement à la disposition des gens.
L’Outil de surveillance des sécheresses au Canada est un autre exemple qui intègre des données géospatiales, des données satellitaires et d’autres éléments d’information pour nous aider à comprendre ce qui se passe dans l’environnement. On pourrait aussi parler de notre Inventaire des terres du Canada, qui est un autre ensemble de données ouvertes et librement accessibles. Il y a donc des dépôts pour ces mégadonnées qui sont de très bons modèles pour nous.
Le sénateur Klyne : Je vous remercie.
M. Gregorich : En outre, nous avons un centre d’échange d’informations sur les sols : le Service d’information sur les sols du Canada. Tous les sols agricoles sont dans cette base de données qui est offerte en accès libre. Le ministère a également des modèles qui utilisent ces données pour examiner les émissions de gaz à effet de serre ou autre. Il a des modèles qui sont offerts en accès libre, et il en fait la promotion auprès des agriculteurs et des universitaires afin de permettre à ces derniers d’utiliser les données dans les modèles qu’il fournit.
Le sénateur Klyne : Merci.
Marco Valicenti, directeur général, Direction des programmes d’innovation, Agriculture et Agroalimentaire Canada : J’aimerais ajouter quelque chose qui concerne plus précisément les exploitations agricoles. Sénateur, vous parliez de numérisation et de données. Je pense que nous commençons à entendre parler de cela dans le secteur, au niveau de la base. Une partie de notre programme à Agriculture et Agroalimentaire Canada consiste à travailler avec des tiers qui sont proches des producteurs. C’est l’occasion pour ces producteurs de réfléchir à leurs données et à la façon dont ils peuvent générer des données qui racontent une histoire. Nous parlons des sols aujourd’hui, mais il est aussi question de l’empreinte environnementale et de la viabilité. Je pense que dans ce scénario, nous continuons à travailler avec le secteur pour améliorer les éléments de données, mais aussi la numérisation, je dirais, des éléments de viabilité environnementale à l’échelle de l’exploitation agricole. C’est un domaine dans lequel nous travaillons avec le secteur. Je tenais à donner cette perspective.
Le sénateur Klyne : Toutes ces réponses sont comme un vent d’air frais.
Le sénateur C. Deacon : Merci aux témoins. Je m’intéresse depuis plusieurs années aux possibilités de séquestration du carbone que l’on associe à l’amélioration de la santé des sols. Je m’appuie sur les observations de la sénatrice Simons et du sénateur Klyne, en mettant l’accent sur le travail que vous avez fait avec Ressources naturelles Canada, Innovation, Sciences et Développement économique Canada, et Environnement et Changement climatique Canada pour vous assurer que notre pays dispose d’un excellent moteur de recherche. Nous avons un moteur de recherche phénoménal dans de nombreux secteurs, mais la mise en valeur de cela laisse vraiment à désirer. Au Canada, ces données ne sont pas utilisées de manière efficace pour créer des débouchés, des emplois et de la prospérité.
En ce qui concerne la santé des sols et la concrétisation de la séquestration du carbone dans nos sols agricoles et forestiers, il est clair que l’une des choses que nous devons faire c’est, par exemple, avec l’agriculture, de trouver des moyens d’améliorer les revenus par le truchement de pratiques qui, nous le savons, réduiront les coûts des intrants et créeront de la valeur par la séquestration du carbone qui devrait revenir à la ferme.
Quelles sont les pratiques que vous avez adoptées et les mesures que vous avez prises pour travailler avec les ministères concernés afin de vous assurer que ces choses commencent à être mises en œuvre?
M. Saindon : De toute évidence, c’est l’un des objectifs de notre nouvel ensemble de laboratoires vivants pour les agroécosystèmes : mettre l’accent sur les données et la séquestration du carbone. C’est une chose que nous voulons documenter et avec laquelle nous voulons travailler à l’échelle du producteur, tout en racontant l’histoire. Je pense que le secteur s’est également bien débrouillé en ce qui a trait à la capture du carbone. Nous avons certaines données dans le Rapport d’inventaire national et nous constatons chaque année que la séquestration du carbone suscite de l’intérêt. Au fil des ans, l’humidité, les précipitations, etc., ont occasionné beaucoup de hauts et de bas, mais je pense que vous voyez une certaine amélioration dans ce domaine.
Je faisais référence au travail effectué il y a 40 ans par ce comité et au rapport subséquent qui avait mené au concept de l’agriculture sans labour. Je ne cesse de dire que le semis direct est l’un des transferts technologiques les plus percutants de l’histoire de notre pays, car il nous a permis de passer d’une culture bisannuelle des terres de l’Ouest canadien rendue nécessaire par la pratique des jachères à une culture annuelle. Nous avons donc doublé la capacité de production, avec tous les revenus que cela implique. On peut penser aux légumineuses, mais cela ne s’arrête pas là.
Le sénateur C. Deacon : Je pense que c’est un excellent exemple, mais il a fallu 30 ans pour mettre cette pratique en œuvre; dans 30 ans, nous serons en 2050. Nous devons accélérer le processus. Je me demande ce que vous faites, comment vous travaillez, notamment avec les ministères concernés, pour accélérer l’adoption des pratiques exemplaires par le marché. J’aimerais vraiment que vous me donniez des exemples de cela.
M. Valicenti : Je sais que nous travaillons avec divers ministères et avec les provinces dans une optique de viabilité environnementale. Je veux revenir sur les laboratoires vivants, qui ont trois principes de base. Ils sont centrés sur l’utilisateur, donc le paysage est considéré comme le terrain. Nous parlons de partenariats, c’est-à-dire de provinces, de producteurs, d’universitaires et, bien sûr, de nos propres scientifiques. Bien entendu, nous devons tenir compte du contexte de la vie réelle. Il nous faut donc sortir des laboratoires. Je pense que l’idée est d’élaborer conjointement de bonnes pratiques de gestion bénéfiques — dans ce cas, en ce qui a trait à la santé des sols —, puis de mettre en place des mesures incitatives pour encourager les producteurs à les mettre en œuvre.
Nous avons un programme appelé Fonds d’action à la ferme pour le climat dans le cadre duquel nous fournissons de l’argent par l’intermédiaire d’agents de prestation tiers pour aider et inciter les producteurs à mettre en œuvre les pratiques de gestion bénéfiques qui ont été élaborées conjointement dans les laboratoires vivants dans le cadre d’un processus axé sur l’utilisateur et le terrain. C’est là que nous essayons de focaliser notre attention. Il y a d’abord le codéveloppement sur le terrain, puis nous incitons les producteurs d’un bout à l’autre du pays à adopter ces pratiques.
Le sénateur C. Deacon : Pour la deuxième série de questions, j’aimerais en apprendre davantage sur les choses concrètes que vous faites pour vous assurer que les marchés aillent de l’avant au Canada, que les agriculteurs peuvent vendre les crédits de carbone qu’ils devraient pouvoir gagner et que nous mesurons grâce à de bonnes techniques satellitaires et autres. Je veux savoir ce que vous faites maintenant pour donner forme à ces marchés.
Le président : Ils seront prêts.
Le sénateur C. Deacon : Ils seront prêts.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à vous et votre équipe, monsieur Saindon, mais si M. St-Pierre a quelque chose à ajouter, cela me fera plaisir d’avoir sa réponse aussi.
En fait, on a parlé beaucoup de la collecte de données, vous avez parlé de programmes d’investissement et tout cela. Je regarde dans vos notes aussi, vous parlez de ce programme pour l’avenir, du Plan stratégique pour la science d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Ma question était : est-ce qu’on se donne aussi des objectifs pour ce qui est de la santé des sols, de la résilience?
Est-ce qu’on a un plan doté d’un objectif quantifiable ou mesurable à atteindre? Si c’est le cas, j’aimerais savoir à quoi cela ressemble. Sinon, peut-être qu’il y a des raisons pour lesquelles on ne se donne pas ce genre d’objectif.
M. Saindon : Merci de la question.
Oui, on a plusieurs exemples dans le plan stratégique. En fait, je vais laisser une copie du plan stratégique au comité et on va donner le lien également vers la copie PDF. Certains exemples sont donnés dans le plan et ils sont assez précis dans le domaine auquel vous faites référence.
Un des grands enjeux est de déterminer la façon de mesurer le progrès. On a des données, mais comment mesurer pour savoir qu’on progresse du point A au point B. Il y a beaucoup de débats scientifiques également dans ce domaine. La science n’est pas exacte. Elle n’est pas précise et elle n’est jamais terminée, en fait.
Il y a beaucoup de débats sur la façon de prendre les bonnes mesures aux bons endroits pour être capable d’avoir les bons indicateurs. On a des indicateurs. On a mentionné que la matière organique avait augmenté, qu’on avait moins de salinité dans les sols. Ce sont des objectifs qui ont été atteints et on doit continuer à progresser.
La science n’est pas encore faite. On est à la recherche de ce qu’il y aura dans la prochaine génération de connaissances. On risque peut-être d’être surpris. Ce n’est pas tout déterminé.
M. St-Pierre : Si vous me permettez d’intervenir.
La sénatrice Petitclerc : Oui, bien sûr.
M. St-Pierre : Du côté de la santé des sols et des objectifs, la situation dans les sols forestiers est quand même très différente du milieu agricole. Les sols forestiers au Canada se portent bien, en général.
Comme je le disais dans mon préambule, l’aménagement forestier durable, tel qu’il est pratiqué au Canada, n’implique pas des perturbations intenses et répétitives des sols. Les sols forestiers seront résilients si on pratique un aménagement forestier durable. Si on laisse un certain temps après une coupe forestière ou même un feu de forêt ou une épidémie d’insectes, les sols vont retrouver leurs propriétés initiales. Les enjeux qu’on va devoir surveiller dans les sols forestiers sont plutôt liés à des perturbations importantes et des transformations comme les changements climatiques, la récolte trop intense de biomasse et de résidus de coupe ou encore des espèces exotiques envahissantes. On est plus dans ce créneau, je vous dirais.
La sénatrice Petitclerc : Merci. Est-ce que j’ai encore un peu de temps?
En fait, c’est un peu la même chose; ce que vous me dites, c’est que c’est vraiment très difficile d’évaluer la santé des sols au Canada actuellement et de savoir où on en sera dans 15 ans. Ce n’est pas simple. Je mets cela trop simple, c’est cela?
M. Saindon : Ce n’est pas évident de donner un sens précis. On peut donner une impulsion, un sens de direction. Je dis toujours que gérer ou affronter des changements climatiques, c’est la résilience. Dans le secteur agricole, c’est l’affaire de tous dans notre direction générale. Les gens travaillent en laboratoire. Ce ne sont pas des gens qui travaillent dans le sol, à l’extérieur, mais ils travaillent sur la génétique, sur de meilleures méthodes en matière de gestion des nutriments dans les sols, pour trouver la façon dont ils sont captés par la plante et utilisés, et ainsi de suite. Il y a plusieurs angles possibles à ce chapitre, par contre, la direction qu’il faut suivre, c’est celle de la réduction des émissions de gaz à effet de serre, il n’y a pas de doute; c’est vraiment le grand enjeu.
La sénatrice Petitclerc : Merci de clarifier vos propos.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup d’être là. Je suis une novice en la matière, alors commençons par ceci. Je suis pédiatre de formation, et c’est mon tout premier comité. Je n’ai pas bien saisi toute cette soupe d’acronymes, alors je ne vais même pas me risquer de ce côté-là.
Néanmoins, comme je viens d’un domaine scientifique et que je connais l’importance du transfert des connaissances, je reviens à la même question concernant la valeur de tous vos merveilleux travaux scientifiques. Je veux dire, le Canada est un joueur de calibre mondial dans ce domaine. Comment allons-nous nous assurer qu’une partie de ces connaissances, en fait, pas seulement une partie, mais bien toutes ces connaissances sont transférées aux personnes qui en ont vraiment besoin?
J’ai entendu — et c’était très encourageant à entendre — de l’information sur l’initiative des laboratoires vivants et sur les partenariats, et, bien sûr, j’aimerais en savoir plus à ce sujet. Toutefois, avant d’en arriver là, j’aimerais savoir ce que vous faites pour cibler les petits et moyens agriculteurs, en particulier ceux-là, et les sensibiliser au fait que ces données sont disponibles pour les Autochtones, les Noirs et les autres groupes racisés, afin que ces groupes puissent acquérir certaines de ces connaissances et les transférer par le truchement de vos laboratoires vivants et de ces partenariats. Comment considérez-vous toute l’information et les connaissances que vous avez dans une optique d’équité?
M. Valicenti : Merci de cette question. De deux ou trois points de vue différents, nous avons décidé, dans le cadre de certains de nos programmes récents, de passer par une tierce partie avec des groupes de parties concernées qui sont en fait plus proches que nous des parties concernées et qui ont un réseau où l’application et le transfert des connaissances font partie intégrante de leur travail quotidien.
C’est l’une des choses que nous avons décidé de faire pour l’un de nos programmes, comme le Fonds d’action à la ferme pour le climat. Il s’agit de fournir des fonds pour inciter les producteurs à adopter des pratiques de gestion bénéfiques dans les domaines de la gestion de l’azote, des cultures de couverture ou des pâturages en rotation. Ces fonds sont fournis directement par une association tierce, à but non lucratif, qui connaît son milieu. C’est l’une des principales approches que nous avons adoptées.
Cela nous ramène à une observation qui a été formulée plus tôt au sujet du transfert de certaines de ces connaissances par l’intermédiaire de fermes intelligentes. Vous avez peut-être entendu une partie de cette terminologie. Un réseau de fermes intelligentes se développe dans tout le pays. Ce sont des exploitations où les producteurs peuvent voir certaines technologies et pratiques en situation réelle. C’est l’une des choses que nous entendons de la part des producteurs. Ils veulent voir des exemples concrets et savoir comment ces choses leur permettront d’améliorer leurs bénéfices.
Il existe donc un réseau de fermes intelligentes. Je pense que quelqu’un a mentionné le Olds College. Cet établissement a lancé un réseau assez important et il essaie de relier diverses fermes intelligentes à travers le pays afin qu’il y ait des discussions sur les données et la capacité de transférer cette information d’un paysage de l'Ouest ou de l'Est. Les fermes intelligentes servent donc de véhicule au transfert technologique.
Nous voulons voir ce genre de chose prendre de l’ampleur, alors nous travaillons en ce sens — dans le contexte d’un rôle fédéral et avec les provinces — par l’intermédiaire du Partenariat canadien pour une agriculture durable, pour ne donner que quelques exemples.
La sénatrice Burey : Je vous remercie.
Comme suite à cela, est-ce que vous recueillez, dans une optique fédérale, des mesures ou des données en appliquant une perspective d’équité afin de voir si vos efforts de sensibilisation atteignent réellement un groupe diversifié de personnes et pas seulement un certain groupe d’agriculteurs?
M. Valicenti : Je dirais que tous nos programmes ont une optique d’analyse comparative entre les sexes qui tient aussi compte des groupes sous-représentés, optique que nous appliquons par le truchement de l’évaluation de nos programmes qui se fait surtout après coup et qui nous permet de voir si nous avons réussi et si nous devons rectifier le tir dans l’éventualité où le programme était prolongé. Nous essayons de le faire à partir de plusieurs angles différents et en travaillant avec ces tierces parties qui exécutent le programme en notre nom.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup.
Le président : Je vais maintenant pouvoir poser une ou deux questions.
Monsieur St-Pierre, vous avez parlé du réseau AshNet où vous avez étudié le retour au sol des cendres provenant de la combustion des forêts et de la biomasse. Est-ce que c’est quelque chose qui se fait couramment maintenant, et si oui, comment voyez-vous ces pratiques évoluer au point de devenir un programme qui encouragerait les entreprises et les autres parties prenantes à y adhérer?
M. St-Pierre : Pour le moment, le réseau AshNet est un réseau de recherche auquel participent des chercheurs scientifiques, des forestiers et des représentants de l’industrie et des gouvernements fédéral et provinciaux.
L’idée est d’essayer d’améliorer la santé des forêts.
[Français]
On peut, par exemple, épandre de la cendre de bois issue de la production de la bioénergie sur les sols forestiers. L’épandage de cendre de bois n’est pas une pratique courante en ce moment au Canada.
Elle a toutefois l’avantage de pouvoir retourner au sol des nutriments prélevés lors de la récolte de biomasse forestière et ainsi éviter des risques de réduction de la fertilité des sols en plus de réduire la pression sur les sites d’enfouissement où la cendre est jetée. Une réponse brève, c’est que ce n’est pas une pratique courante en ce moment, mais le Service canadien des forêts dirige des travaux de recherche en ce sens.
[Traduction]
Le président : Merci. Maintenant, j’ai une question pour nos collègues d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Selon vous, est-ce que nos cartes pédologiques sont à jour? Je vous le demande parce que nous avons entendu dire qu’elles ne le sont pas.
M. Gregorich : Une grande partie du travail de base a été effectuée dans les années 1960 et 1970. Nous procédons actuellement au renouvellement des données, à leur mise à jour. La mise à niveau commence par les anciennes données, et les responsables de cet exercice prennent aussi différentes mesures pour caractériser les sols à l’échelle du pays. Il reste qu’une grande partie de ces données sont anciennes.
Le président : Pouvez-vous les mettre à jour avec ce que vous avez sous la main ou ce à quoi vous avez accès?
M. Gregorich : Oui. Il existe maintenant des modèles mathématiques qui peuvent être utilisés pour prendre les anciennes données et les mettre à jour à partir des nouveaux renseignements. Il y a une technique de modélisation qui permet de transférer les anciennes données dans un ensemble de données plus récent basé sur des concordances avec un large éventail de propriétés.
Le président : Je me souviens qu’à mon tout premier emploi, nous avions une carte pédologique du comté de Wellington accrochée au mur. Elle était énorme. La date dans le coin inférieur était 1954. Je suis donc d’accord pour dire qu’elles sont dépassées, mais je suis ravi d’apprendre qu’il y a un certain renouvellement. Cela fait plaisir à entendre. C’est formidable.
Monsieur Valicenti, en ce qui concerne le nouveau Programme des technologies propres en agriculture, je crois savoir que de nombreux demandeurs se sont vu refuser le financement simplement en raison du nombre sans précédent de demandes. Quels critères ont été utilisés pour décider des demandeurs retenus? La santé du sol faisait-elle partie de ces critères? Si c’était le cas, qu’est-ce qui a motivé l’intégration de ce critère, et si ce ne l’était pas, qu’est-ce qui a motivé son rejet?
M. Valicenti : Merci beaucoup de cette question, monsieur le président. Vous avez tout à fait raison. Le Programme des technologies propres en agriculture a reçu un nombre important de demandes, et c’est pour cette raison que le gouvernement a décidé d’y consacrer des fonds supplémentaires. Je crois que ces fonds ont été multipliés par trois dans le budget 2022.
Grâce à ces fonds, nous avons pu rattraper une partie de l’arriéré. C’est donc quelque chose que nous faisons actuellement, et nous prévoyons qu’il y aura une nouvelle vague de demandes en 2023.
En ce qui concerne la santé des sols, je peux donner des exemples où la santé des sols n’a pas été l’argument principal du financement, mais a figuré parmi les aspects positifs secondaires et tertiaires. Nous finançons à la fois la recherche et l’innovation. Par exemple, nous avons quelques projets vraiment intéressants. Deux entreprises de l’Ouest qui ont mis au point des capteurs de sol utilisent une partie des fonds destinés à la recherche et à l’innovation pour mettre au point un prototype de ces appareils qui permettent d’avoir une meilleure idée de la présence du carbone et de la santé du sol. C’est un projet qui nous réjouit et nous espérons en voir d’autres comme lui dans la nouvelle itération de 2023.
Le président : Comment le gouvernement entend-il améliorer cet accès au financement dans le cadre de ce nouvel appel de projets? La santé des sols sera-t-elle mise au premier plan ou restera-t-elle secondaire?
M. Valicenti : Nous essayons encore d’en établir les priorités de façon définitive. Je m’attends à ce que nous examinions diverses composantes de la durabilité et de l’empreinte écologique. L’une des principales priorités est de réduire les émissions de GES, et je pense que c’est l’un des domaines sur lesquels nous allons essayer de mettre l’accent. Je dirais que nous tentons de jauger les priorités pour la prochaine itération et que la santé des sols sera du nombre.
Le président : Merci. Passons maintenant au deuxième tour.
La sénatrice Simons : Mes questions vont cette fois-ci s’adresser principalement à M. St-Pierre.
Au fil du temps, les forêts canadiennes ont à l’occasion connu des incendies, et ces incendies, évidemment, entraînent un effet naturel où la cendre des arbres brûlés retourne à la terre. Avec les années, nous avons tenté de contrôler les incendies, ce qui s’est traduit par des forêts plus anciennes et plus vulnérables aux incendies. Maintenant, quand il y a des incendies de forêt, ils sont souvent incontrôlables et causent de grands ravages dans les collectivités environnantes et aux ressources forestières.
Je comprends qu’il y a davantage d’érosion des sols due aux fortes pluies après ces incendies parce que les arbres ne sont plus là pour les stabiliser, ce qui pose problème.
Dans l’intérêt de la santé des sols, mais aussi de notre propre sécurité et de la gestion des ressources, devons-nous repenser certaines de nos stratégies de gestion des incendies de forêt afin que les incendies d’origine naturelle puissent se produire et régénérer les sols?
[Français]
M. St-Pierre : Effectivement, les incendies de forêt ont toujours existé et nos pratiques, particulièrement au Canada, de suppression quasi totale des incendies ont fait vieillir les forêts et augmenter le combustible disponible. De plus, les nouveaux travaux de recherche nous démontrent que la prévention par un aménagement forestier qui permet de régénérer la forêt permet aussi de réduire les risques liés aux feux de végétation.
Il y a des méthodes qui existent pour gérer les combustibles qui sont présents dans les secteurs qu’on souhaite protéger au moyen de la coupe sélective ou d’un aménagement qui va limiter la propagation des feux, parce que les forêts ont une façon naturelle de se remettre des feux sur une échelle temporelle beaucoup plus longue que l’échelle humaine habituelle.
Dans nos pratiques d’aménagement, la composition des forêts, le type d’essence d’arbre qu’on va planter peut être adapté pour augmenter la proportion des feuillus. C’est beaucoup moins inflammable que les résineux. Donc, avec des brûlages dirigés, une sylviculture adaptée, on arrive à mieux saisir et contrôler l’impact des feux de forêt. Je crois également que les travaux qu’on fait maintenant en matière de cartographie, comme les images des satellites du côté de la gestion des forêts dont nous parlions tantôt, sont également des outils intéressants qui permettent de mieux prévenir et prévoir où sont les zones à risque en ce qui concerne les feux de forêt.
[Traduction]
La sénatrice Simons : Je viens de l’Ouest canadien, où le dendroctone du pin ponderosa se propage parce qu’il n’y fait pas assez froid. Chaque fois que la température atteint les moins 40 degrés, nous sautons de joie parce que le dendroctone du pin ponderosa ne peut plus survivre, sauf que nous sommes loin d’atteindre les moins 40 degrés assez souvent pour pouvoir nous y fier. Quand le tronc de l’arbre meurt, il est beaucoup plus vulnérable aux incendies parce qu’il a perdu toute son humidité, mais la qualité du sol environnant change même s’il s’y décompose.
Y a-t-il un avantage à long terme? Avec la mort de ces arbres, est-ce que le carbone vient amender le sol? Quelle est la meilleure façon de gérer les ravages du dendroctone du pin ponderosa du point de vue de l’aménagement et du tapis forestiers?
[Français]
M. St-Pierre : Les épidémies d’insectes sont malgré tout des phénomènes naturels, même lorsque ce sont des espèces invasives. Il y a quand même certains arbres ou certaines portions d’arbres qui vont résister. Donc, la forêt est adaptée à ce genre de perturbation et sur une échelle temporelle un peu plus longue, elle va revenir à son état initial après quelques années. En ce qui a trait aux sols, c’est la même chose : au fil du temps, oui, cela va enrichir le sol et les arbres vont reprendre. Donc, c’est une façon, si on lui donne le temps, de permettre à la forêt de se régénérer.
Une chose qui est intéressante aussi, c’est que lors de la récolte les arbres, il y a une façon de faire la coupe qui va protéger la régénération forestière, mais également la régénération des sols. Ce sont des pratiques réglementées par les provinces et les territoires qui ont la responsabilité de la gestion des sols. Tout cela est regroupé sous le grand vocable de l’aménagement forestier durable qu’on pratique au Canada.
La sénatrice Simons : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : J’ai une question pour M. St-Pierre, mais j’ai d’abord une question pour vous, monsieur Valicenti, à propos de la collecte de données. Vous avez dit recueillir des données pour l’analyse entre les sexes. Je présume qu’il est ici question de l’analyse comparative entre les sexes plus. L’expérience que j’en ai au gouvernement, c’est que cette analyse ne veut pas dire grand-chose, puisqu’il n’y a pas beaucoup de données recueillies sur les Noirs ou les Autochtones.
Pourriez-vous nous fournir les données que vous avez recueillies là-dessus afin que nous puissions voir exactement de quelle façon elles sont recueillies? Peut-être pourrions-nous travailler ensemble pour améliorer la collecte de ces données. Feriez-vous cela?
M. Valicenti : Je peux tout à fait vérifier ce que nous avons en matière de données. Je dirais simplement que, sur le plan environnemental, certains de nos programmes n’en sont qu’à leurs balbutiements, ils n’ont qu’un an ou deux. En outre, comme je l’ai dit, nous essayons de recourir à des tiers responsables de la prestation des services pour nous appuyer dans la diffusion et la collecte de données. Nous pouvons tout à fait y jeter un coup d’œil.
Je peux dire que c’est un secteur sur lequel nous voulons concentrer notre attention. Vous avez raison, à propos du « plus », si nous voulons être précis. Il fait partie du travail d’enquête que nous ferons, de même que l’évaluation des programmes à mi-parcours et vers la fin. Nous pouvons bien sûr y jeter un coup d’œil. Surtout dans ce secteur par rapport aux autres programmes que nous offrons, je vous dirais que les données sont vraiment préliminaires, mais nous nous y penchons, puisque c’est un secteur d’intérêt pour les quelques années à venir dans le domaine de l’environnement et sa durabilité.
La sénatrice Jaffer : Avec tout le respect que je vous dois, le ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire du Canada n’est pas nouveau. Il doit bien y avoir des données qui ont été recueillies au fil des ans. J’aimerais obtenir une partie de ces données. Je sais que lorsque nous en avons fait la demande au ministère de la Justice, nous avons été sidérés. On parle d’analyse comparative entre les sexes plus, mais le « plus » n’existe pas, donc j’aimerais les consulter.
Je tiens à m’assurer que vous faites de véritables efforts et à travailler avec vous pour veiller à ce que des systèmes soient mis en place pour l’analyse comparative entre les sexes plus. Les agriculteurs sont issus de toutes sortes de milieux et horizons, surtout les agriculteurs autochtones. On nous l’a dit il n’y a pas longtemps. C’est pour cette raison que j’estime très important de nous pencher sur les données. Donc, si vous pouviez les fournir au président, je vous en saurais gré.
J’ai une question pour vous, monsieur St-Pierre. L’exploitation des ressources naturelles et la déforestation ont une incidence néfaste sur la santé des sols. Je viens de Colombie-Britannique, et je m’intéresse aux questions relatives aux forêts anciennes. L’an dernier, un groupe d’écologistes et de spécialistes en foresterie indépendants a cerné 2,6 millions d’hectares de forêts anciennes non protégées en Colombie-Britannique où il risque constamment d’y avoir une perte de biodiversité.
Pourriez-vous, je vous prie, nous expliquer l’incidence qu’a la coupe d’arbres anciens en particulier sur la santé des sols et la biodiversité? En quoi est-elle différente des activités courantes de coupe?
M. St-Pierre : À propos des forêts anciennes, il y a deux choses : je crois que les pratiques de coupe constituent certes l’aspect ayant la plus grande incidence sur les sols comme tels. Comme je l’ai dit, au Canada, le Conseil canadien des ministres des forêts a adopté il y a de nombreuses années déjà des pratiques d’aménagement forestier durable. Toutes les provinces ont mis en œuvre des pratiques très strictes à cet égard, donc l’incidence sur les sols est très limitée.
[Français]
L’âge des arbres n’a pas nécessairement d’impact sur la qualité du sol. Ce n’est pas parce que les arbres sont très vieux qu’ils poussent dans un sol très riche ou vice versa. Il n’y a pas de lien explicite entre la qualité des sols et l’âge d’une forêt.
Parfois, il y a de très vieux arbres qui vivent dans des sols très pauvres. Par exemple, au Québec, certains des arbres les plus anciens poussent sur des crans de roche avec très peu de terre. Ils ont plutôt l’allure de bonsaïs comparativement aux grands arbres de la forêt côtière de la Colombie-Britannique. L’impact varie grandement d’un lieu à l’autre et il n’y a pas de lien explicite entre la qualité du sol et l’âge de l’arbre comme tel.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Je tiens à vous remercier pour ce que j’appellerai des réponses éclairantes à propos de ces données, des propos que je n’avais pas encore entendus de la part d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Merci.
En ce qui a trait à la sécurité et à la production alimentaires, les universitaires, les chercheurs et les intervenants vous font-ils part de leurs préoccupations quant à la santé des sols, à la dégradation des terres arables au Canada et à la nécessité d’une stratégie nationale ou d’un dépôt? Vous pouvez simplement répondre par oui ou non, nous dire si c’est en hausse, si c’est le silence radio...
M. Gregorich : Je crois que la santé des sols s’améliore globalement au pays. Quand on regarde de façon plus détaillée, le portait change radicalement parce que le type de sol est fort différent, mais je ne suis pas certain de ce que vous essayez d’établir.
Le sénateur Klyne : Je m’interroge simplement sur ce que vous avez entendu des chercheurs, des universitaires et des intervenants, comme les associations agricoles et ainsi de suite. On nous informe qu’il y a des préoccupations quant à la santé des sols et à leur dégradation dans certaines régions. Surtout dans le cas des chercheurs et des universitaires, on estime qu’un dépôt et une stratégie nationale s’imposent, mais je ne veux pas m’éterniser là-dessus.
M. Gregorich : Là encore, du point de vue d’une base de données sur les sols, il y a un dépôt de données sur les sols, mais les renseignements relatifs à la recherche sont disparates. Comme dans tout domaine, il est difficile de rassembler toute la recherche, surtout au Canada. Nous avons des climats et des sols fort différents, et il est difficile de formuler une recommandation ou une déclaration passe-partout à propos des sols, vu qu’ils sont si différents.
Le sénateur Klyne : C’est probablement vrai de tous les pays. D’une région à l’autre, il y a des différences.
M. Gregorich : Oui. Le nœud du problème est de résumer dans la mesure du possible ces renseignements et de tout rassembler. Je crois que nous avons les données. Nos programmes, comme je l’ai dit, visent à faire interagir les gens et à amener les groupes de conservation à échanger avec les agriculteurs et les universitaires. Nous tentons de stimuler cela. C’est nouveau, bien que cela se produise dans tout domaine d’étude.
Le sénateur Klyne : D’accord. Je vais m’en tenir à cela. J’ai une autre question. Je ne sais pas qui va y répondre.
À la fin de 2021, un rapport a été publié après une réunion relative aux ateliers sur la durabilité du Dialogue sur l’agriculture entre le Canada et l’UE lié à l’AECG. On y fait plusieurs recommandations sur la façon dont le Canada et l’Union européenne peuvent améliorer leur gestion de la santé des sols. L’une d’entre elles est de mettre en place des expériences de terrain collaboratives sur le long terme au Canada et en Union européenne pour surveiller la biodiversité des sols et les niveaux de carbone dans les sols.
À ce jour, a-t-on créé la moindre expérience collaborative du genre? Je présume que ce serait très difficile, vu les différences régionales. Maintenant, en comparaison à l’Union européenne, je ne sais pas comment vous pourriez concrétiser cela.
M. Saindon : Merci pour cette question. Nous avons discuté des laboratoires vivants, c’est-à-dire un réseau de sites dont nous disposons à l’échelle du pays. Nous l’avons élargi aux États-Unis. Nous travaillons avec les États-Unis là-dessus. Ils ont ajouté leurs sites également, et nous pouvons accéder à une bibliothèque plus vaste de sites nous permettant de tirer des conclusions.
Quand nous avons discuté de cela avec les représentants de l’Union européenne, ils étaient très intéressés eux aussi. En fait, l’Union européenne a lancé un programme qui est plus ou moins fondé sur le même principe que celui des laboratoires vivants. Au bout du compte, nous espérons être en mesure de tirer des conclusions qui seront complémentaires.
L’Union européenne témoigne un grand intérêt et nous travaillons ensemble. En fait, plus tard cette année, en octobre, il y aura un symposium organisé au Canada sur la question des laboratoires vivants. Il sera présenté conjointement par Agriculture et Agroalimentaire Canada et l’Institut national de la recherche agronomique, un organisme français.
Le sénateur Klyne : Où se tiendra ce symposium?
M. Saindon : Je crois que ce sera à Montréal, au début d’octobre.
Le sénateur Klyne : Je vous y retrouverai. Merci.
Le président : Merci.
Le sénateur C. Deacon : Merci à nouveau aux témoins.
Monsieur Saindon, vous avez dit que nous nous sommes améliorés comparativement au passé. Ce sur quoi j’aimerais vraiment me concentrer, ce sont nos réalisations par rapport à notre potentiel.
J’ai vu beaucoup d’études qui affirment que l’agriculture est annuellement responsable d’environ 73 millions de tonnes d’équivalents carbone au Canada et qu’une bonne partie pourrait être séquestrée dans nos sols si les agriculteurs adoptaient des pratiques plus poussées que la culture sans travail du sol et faisaient preuve de plus de dynamisme à cet égard.
Beaucoup de pays agissent très rapidement dans ce domaine. La Nouvelle-Zélande et l’Australie, de même que des pays européens, sont très dynamiques. Je suis persuadé que notre président et le sénateur Cotter en ont beaucoup entendu parler au Congrès mondial des sciences du sol, à Glasgow, l’été dernier.
Je me demande si, dans l’optique de favoriser l’adoption des pratiques exemplaires, vous pourriez mettre en relief ce que vous faites en matière de modifications réglementaires, d’incitatifs, de plans coordonnés, de reddition de comptes et de surveillance pour la mise en œuvre des pratiques exemplaires déjà connues dans le monde et la création de bourses du carbone auxquelles nos agriculteurs peuvent participer?
Quelles sont les choses précises que vous faites pour veiller à ce que les connaissances dont nous disposons déjà soient appliquées dans nos exploitations agricoles de la meilleure façon possible d’un bout à l’autre du pays? Quels sont les programmes et les résultats dont vous pouvez nous parler à cet égard?
M. Saindon : Si vous me le permettez, je pourrais d’abord en parler un peu, puis peut-être passer aux programmes, puisque nous avons des programmes d’incitatifs dans les exploitations.
Nous avons étudié toute la littérature et l’ensemble des recherches menées jusqu’à celles datant de seulement quelques années. C’est ce que nous appelons notre feuille de route pour atteindre ce dont vous parlez. Nous avons cerné diverses technologies ou pratiques de gestion bénéfiques qui pourraient être mises en œuvre. La culture sans travail du sol est bien connue, je crois. Dans ce cas, l’affaire est dans le sac, si je puis dire. À vrai dire, elle fait aujourd’hui partie des données de référence, au grand dam des personnes qui l’ont adoptée. On ne peut pas recycler cet acquis. Il fait déjà partie de nos résultats.
Dans le cas des émissions de dioxyde de carbone, nous nous intéressons à différents types d’engrais et d’enrobages des engrais, toutes ces choses-là, ainsi qu’à la façon dont les engrais sont employés, qu’il s’agisse d’application jumelée ou distincte, toutes ces choses-là. Nous en faisons la promotion et avons cerné certains de ceux-ci dans ce domaine, ce qui est très important, je crois.
Notre plus grande difficulté est d’arriver à cerner cet effet de levier employé par les agriculteurs. Ce serait merveilleux d’avoir recours à la télédétection, de la même façon qu’ils peuvent, parfois, étudier le méthane et vous montrer un panache de méthane et ainsi de suite. Dans le cas de l’oxyde nitreux, c’est très très difficile, et je crois qu’il n’y a vraiment rien dans ce domaine, en fait.
Nous nous appuyons sur la façon dont nous pouvons saisir les données en matière d’adoption, son rythme et les domaines étudiés dans notre laboratoire.
Le sénateur C. Deacon : Ce qui m’inquiète, c’est que, actuellement, au Canada, nous faisons beaucoup de petits efforts individuels progressifs qui sont disparates et non coordonnés. Nous ne travaillons pas de pair avec Environnement et Changement climatique Canada, ni avec Innovation, Sciences et Développement économique Canada. Agriculture et Agroalimentaire Canada travaille en vase clos.
J’ai hâte au troisième tour d’interventions pour traiter de Ressources naturelles Canada, car j’ai vraiment hâte d’en discuter avec M. St-Pierre.
M. Valicenti : C’était une excellente question, et M. Saindon a parlé de la feuille de route.
La feuille de route fait ressortir ce que nous appelons les pratiques de gestion bénéfiques. À l’aide de cette feuille de route et de ces pratiques, nous avons mis en œuvre le Fonds d’action à la ferme pour le climat, dont le message est essentiellement le suivant : « Nous avons des données qui prouvent que, si vous appliquez et adoptez ces pratiques, vous constaterez une réduction des émissions de gaz à effet de serre dans trois secteurs », soit la gestion de l’azote, le pâturage en rotation et les cultures couvre-sol.
Nous partons du principe que la science nous fournit aujourd’hui les données et les pratiques, ce qui nous permet d’offrir cet incitatif aux producteurs à l’échelle du pays pour qu’ils les mettent en pratique. Voilà pour l’adoption.
Tandis que le programme suit son cours, nous espérons être en mesure de générer des données pour faire ressortir de quelle façon l’adoption a été mise en pratique et, espérons-le, pour montrer des progrès.
Vous avez parlé de la compensation écologique. Je dirais que le Canada, globalement, en est aux premiers stades de la compensation carbone. Le programme, c’est-à-dire le Fonds d’action à la ferme pour le climat, permet des compensations volontaires, et je dirais que l’on remarque que le secteur privé tente davantage d’être partie prenante en offrant des incitatifs et des revenus aux producteurs par l’intermédiaire d’un programme volontaire de compensation carbone.
Je voulais simplement vous en aviser, puisque vous l’avez mentionné au tour précédent.
Le sénateur C. Deacon : Quand on parle de la feuille de route, supposons qu’il faut franchir 60 milles pour arriver à destination. Selon vos estimations, quelle distance avons-nous parcourue jusqu’à maintenant?
M. Saindon : Il est très difficile de répondre à cette question.
Le sénateur C. Deacon : J’adorerais que vous y réfléchissiez.
Merci.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question est plus simple que celle de mon collègue, mais elle suit la même ligne de pensée.
On a entendu quelques témoins qui nous parlaient d’agriculture régénérative et qui faisaient le parallèle en nous racontant leur histoire, en mettant de l’avant le fait qu’ils étaient des pionniers. Ils ont fait cela dès le départ pour plein de raisons, sans les programmes et les subventions. Quelques-uns nous ont dit que c’était trop facile, parce que ceux qui étaient résistants embarquaient finalement en raison des programmes et des subventions, alors que c’étaient eux qui avaient fait tout le travail, sans en tirer de bénéfices.
Qu’est-ce qu’on peut faire pour ces gens, à part les remercier d’avoir été des pionniers? Quand vous élaborez des programmes pour les encourager, que ce soit par des incitatifs ou des subventions, prenez-vous en considération le fait qu’il y a quand même des gens qui l’ont fait et qu’il pourrait y avoir un désavantage compétitif pour eux? Je vous lance tout cela, mais qu’est-ce que vous en pensez?
[Traduction]
M. Valicenti : Merci pour cette question.
La majorité de nos programmes sont axés sur l’effet d’entraînement, et je crois que nous avons vu, grâce à eux, certains des pionniers, qui ont commencé sur une de leurs parcelles, sur un lot de leurs terres, constater les avantages d’adopter l’une de ces pratiques. En fait, ils viennent nous voir et disent vouloir augmenter le nombre d’acres consacrés à la même pratique. Nous allons le permettre. C’est l’effet d’entraînement.
Pour revenir au premier point, je crois que c’est là que les choses se corsent. Nous essayons de vraiment amener les retardataires à faire la transition, donc nous mettons l’accent sur cet effet d’entraînement. Cela ne veut pas dire qu’un des pionniers ne peut pas y participer. Il faut seulement que ce soit sur un autre acre de terre que celui où il a déjà mis en œuvre cette pratique de gestion bénéfique. Il faut que ce soit un nouvel emplacement sur l’exploitation agricole, même si c’est la même pratique.
Nous allons le permettre. C’est une question d’effet d’entraînement.
La sénatrice Petitclerc : Vous ne pensez pas donc que les nouveaux utilisateurs qui bénéficient d’une aide n’auraient pas un avantage concurrentiel par rapport aux pionniers? Ils n’en auraient pas un à cette étape?
M. Valicenti : Je pense que l’avantage concurrentiel pour les pionniers est qu’ils voient en fait les avantages...
La sénatrice Petitclerc : Plus tôt.
M. Valicenti : ... et reviendront en disant qu’ils ont 100 acres actuellement et qu’ils veulent augmenter à 200 acres, parce qu’ils savent que c’est une pratique éprouvée et qu’elle améliore leur rentabilité. Ils le savent déjà.
Certains viennent juste de commencer et ne sont pas convaincus, et c’est pourquoi j’ai parlé des fermes intelligentes et d’une façon de les utiliser comme véhicule pour le transfert des connaissances et des technologies. Pour les pionniers, les avantages consistent notamment à connaître la pratique. Ils ont des preuves que la pratique réussit, car cela se passe sur leur propriété.
Nous autorisons l’augmentation, mais nous ne finançons pas ce qui a déjà été fait à l’aide des pratiques de gestion bénéfiques.
[Français]
M. Saindon : Ceux qui l’ont accepté rapidement au départ — cela fait déjà un bon moment — ont des bénéfices accrus sur le plan de la productivité. Leur sol et leur production sont plus élevés. Il y a donc un retour également pour eux. Ils sont déjà rendus à l’étape de récolter les bénéfices sur le plan des cultures, donc ils profitent d’une productivité améliorée, plus élevée. C’est déjà leur réalité. Pour ceux qui commencent, cela prendra des années avant qu’ils se rendent là. Je dirais qu’ils ont un avantage.
La sénatrice Petitclerc : Ça a valu la peine.
M. Saindon : Ça a valu la peine, et ils ont déjà des résultats probants quant aux revenus à la ferme.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie. M. Saindon a mentionné le précédent rapport : Nos sols dégradés : le Canada compromet son avenir. Ma question s’adresse à M. St-Pierre, à M. Gregorich et à Mme McNairn. Si vous étiez les auteurs de notre rapport, en quelques mots, quelles seraient vos recommandations? Nous allons commencer par M. St-Pierre. Quelle serait votre recommandation?
[Français]
M. St-Pierre : En ce qui a trait aux sols forestiers, il y a encore beaucoup d’inconnu en matière de santé des sols en milieu forestier. Ma principale recommandation serait donc de soutenir les réseaux de recherche canadiens et internationaux dans ce domaine pour s’assurer qu’il y a des données sur les sols forestiers qui sont bien consignées et accessibles aux gestionnaires et aux chercheurs. Je parle en portant mon chapeau de directeur général de recherche scientifique. Ce serait ma recommandation pour vous.
[Traduction]
Le président : Je vous remercie.
Mme McNairn : Je vous remercie. Nous avons beaucoup parlé de données ce soir, ce qui n’est pas étonnant, alors je pense que c’est un domaine où nous pouvons faire de grands progrès. En fait, il existe déjà beaucoup de données numériques que nous pourrions utiliser. Il existe des méthodologies vraiment novatrices que nous pouvons utiliser pour recueillir ces données pour obtenir des analyses comparatives et assurer un suivi des changements au fil du temps. J’aimerais donc énormément qu’on mette l’accent sur l’exploitation des données qui existent.
Le président : Je vous remercie.
M. Gregorich : Je commencerais par prioriser la santé des sols. Cela semble très général, mais cela veut dire qu’il faut faire de l’éducation et mettre en place un éventail de programmes pour éduquer tout le monde, des enfants en allant jusqu’aux agriculteurs, pour que l’on comprenne que les sols sont importants et une priorité pour notre avenir.
Le président : Je vous remercie de votre réponse. Nous n’avons pas souvent le loisir d’une troisième série de questions, alors je vous félicite tous.
La sénatrice Simons : Je veux rebondir sur un commentaire de M. Valicenti. J’ai eu le privilège de représenter notre comité lors d’une importante conférence sur les sols à Edmonton pendant le temps des fêtes. J’ai parlé à beaucoup de gens, des agriculteurs, des éleveurs, qui s’inquiétaient beaucoup du fait qu’après avoir été des pionniers dans l’utilisation des pratiques d’agriculture régénératrice et des techniques de séquestration du carbone, ils allaient être, en fait, pénalisés si les utilisateurs tardifs bénéficiaient de toutes sortes d’incitatifs et qu’eux n’obtenaient pas de reconnaissance pratique ou financière pour ce qu’ils avaient déjà fait. Vous en avez parlé un peu.
J’ai été aussi surprise lors de nos rencontres de les entendre parler de la pression des pairs contre l’agriculture régénératrice. Certains disaient à la blague avoir semé leurs champs loin des regards, le plus loin possible de l’autoroute, afin que les gens ne puissent pas voir leurs expérimentations.
J’aimerais savoir si vous pouvez tenir compte de leurs inquiétudes de se voir placer dans une réelle situation financière désavantageuse si on récompense les procrastinateurs. J’aimerais aussi savoir si vous menez des recherches sur l’aspect des sciences sociales, sur un potentiel changement de culture, afin que les pionniers soient valorisés et qu’on en fasse des exemples positifs pour encourager les gens à expérimenter et à changer leurs méthodes. Que doit-on faire pour créer une culture de l’innovation dans les exploitations agricoles?
M. Valicenti : Je vous remercie de la question. Je peux assurément répondre à votre première question ou le commentaire que vous avez fait au sujet des pionniers. Comme je l’ai mentionné, dans le cadre précisément du Fonds d’action à la ferme pour le climat, ou FAFC, les pionniers peuvent participer au programme pour de nouvelles parcelles sur leur exploitation. Ils peuvent assurément participer à ce programme, encore une fois, dont la prestation est assurée par des agents d’exécution tiers.
Au sujet des sciences sociales, je vous ai bien compris. Je dirai simplement, et encore une fois, je n’aime pas me répéter, mais nous essayons de mettre en place au pays un réseau de fermes intelligentes, et pour que cela se concrétise, il faut diffuser l’information, éduquer et accroître la sensibilisation. À mon avis, c’est une façon de tenter une déstigmatisation.
La sénatrice Simons : J’ai eu la chance de me rendre au Olds College et de voir concrètement leurs activités de recherche sur les fermes intelligentes. C’est fascinant de voir ce qu’ils font. Je pense que le problème est que cela s’adresse encore une fois aux pionniers. Il faut être assez jeunes, assez techno, et avoir accès au WiFi pour que tout cela fonctionne. Ce n’est pas un programme de masse. C’est une question avec laquelle je jongle ici dans ce comité. Comment peut-on créer un environnement qui stimule les gens? On ne peut même pas parler d’expérimentation, car on a déjà dépassé ce stade. Comment peut-on favoriser socialement l’adoption de techniques d’agriculture régénératrice qui seront bonnes pour le sol, et au bout du compte, bonnes pour accroître les revenus des agriculteurs?
M. Valicenti : Ce que nous examinons notamment, même pour certains autres programmes que nous offrons — pour la population, et pas seulement la communauté agricole, mais pour toute la population —, c’est la question de l’agriculture régénératrice, ses concepts, ses bien-fondés, et l’éducation doit se faire dans l’ensemble de la société. Je pense que vous l’avez mentionné. Je serais tout à fait d’accord avec cette idée. Il faut aller au-delà de la ferme. C’est l’objectif même dans certaines de nos communications, soit avoir une vue d’ensemble, aller au-delà de la ferme, ou disons, du secteur agricole. Je pense que ce serait vraiment important. C’est un des éléments sur lesquels nous nous concentrerions. Pour ce qui est de la recherche à l’appui, je ne suis pas au courant, mais c’est assurément un élément sur lequel je me concentrerais.
La sénatrice Jaffer : Je veux m’adresser à M. Saindon pour ne pas toujours être sur le dos de M. Valicenti, car vous êtes en quelque sorte le grand responsable. Je viens de la Colombie-Britannique, et je sais pertinemment qu’il y a beaucoup d’agriculteurs autochtones et racisés dans ma province. Vous n’avez pas à me répondre tout de suite, mais je crois qu’il est sans doute temps d’avoir des données pertinentes sur ce qu’ils font et l’aide dont ils ont besoin. Faites-moi parvenir de l’information à ce sujet si vous le pouvez, car je ne lâcherai pas le morceau. Si vous pouvez le faire, je vous en serais très reconnaissante, car j’ai eu le même genre de problème avec le ministère de la Justice et d’autres ministères, à savoir qu’il n’y a pas d’aide tant qu’on ne pose pas la question.
Je suis agricultrice à Abbotsford, et tout autour, il y a de grandes exploitations de bleuets. Ce sont des gens de l’Asie du Sud qui sont propriétaires de ces exploitations de bleuets, de fraises, etc. J’aimerais savoir quelles données sont recueillies sur les sols dans cette région, s’il vous plaît.
Monsieur St-Pierre, nous savons que la foresterie relève des provinces, et vous travaillez au gouvernement fédéral. Que faites-vous pour encourager la préservation des forêts anciennes, et comment travaillez-vous avec les provinces pour vous assurer qu’elles sont protégées?
M. St-Pierre : Oui, en effet, il s’agit d’une compétence partagée. Nous nous occupons ensemble des recherches scientifiques; le gouvernement fédéral, les provinces et les territoires font des recherches en foresterie. Bien entendu, ce sont les provinces qui gèrent les forêts. Elles gèrent les baux, etc.
Le rôle du fédéral est de leur fournir les connaissances pour appuyer l’adoption de pratiques exemplaires dans l’aménagement forestier durable. Il fournit donc des lignes directrices que les provinces vont ensuite mettre en œuvre en adoptant des règlements et des lois. C’est plus...
[Français]
— une fonction de rôle-conseil, je dirais.
Au niveau de la reddition de comptes ou de la façon dont on rapporte l’état des forêts canadiennes, nous avons des partenariats avec toutes les provinces et les territoires afin d’obtenir les informations sur les indicateurs de la santé des forêts, incluant les forêts primaires, anciennes, la façon dont elles sont aménagées et dont le couvert forestier va se régénérer. Ces données que l’on rapporte à l’échelle internationale, à l’ONU ou à des organismes comme le Montréal Process permettent de suivre l’état des forêts dans le monde.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Monsieur St-Pierre, j’aimerais bien avoir des conseils au sujet des défis complexes que nous devons relever en Nouvelle-Écosse à propos de nos forêts. Nous n’avions, à toutes fins utiles, qu’un seul acheteur de résidus forestiers dans la province, et le secteur a été durement éprouvé par la fermeture de l’usine de pâte à papier Northern, fermée pour une bonne raison, mais cela a eu un effet dévastateur partout dans la province.
Nos terres forestières sont à 50 % entre les mains du secteur privé, ce sont des boisées privées. Nous avons une très mince couche de sol qui recouvre la pierre ou la roche, alors les chablis sont un grave problème dans la province. Le gros des résidus forestiers et des chablis reste sur place à pourrir, ce qui complique notre lutte contre les émissions.
Par où commenceriez-vous pour nous aider à remédier à certains des graves problèmes dans notre province que nous pouvons, à mon avis, surmonter et que nous devons surmonter?
[Français]
M. St-Pierre : Je crois que cela donne peut-être l’occasion de parler de la séquestration du carbone, parce qu’en ce qui concerne ce que vous mentionnez au sujet de la dégradation des forêts, en fait, partout où on met en place des activités d’afforestation, de reforestation, de réhabilitation des sols, ce sont des situations où les gains en carbone des sols vont s’avérer substantiels.
On le sait, les terres humides, plus particulièrement les terres forestières, sont vraiment reconnues comme des puits de carbone d’où la nécessité de les préserver et d’éviter de les drainer, ce qui n’est pas une pratique courante en foresterie au Canada.
Vous savez, le gouvernement fédéral, soit Ressources naturelles Canada, a mis sur pied son programme de plantation de 2 milliards d’arbres qui fait partie du Fonds des solutions climatiques axées sur la nature. L’effet que ce programme aura à la fois sur la santé des sols, les changements climatiques et la séquestration du carbone va être très positif, car le programme vise en quelque sorte à planter des arbres dans des lieux où il n’y en avait pas, et dans des sites qui vont être plus propices à voir les conditions s’améliorer, ce qui comprendra une plus grande séquestration du carbone.
C’est le conseil que je pourrais donner à la Nouvelle-Écosse : assurez-vous que les forêts demeurent des forêts.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Pour nous assurer d’accroître autant que possible la séquestration du carbone dans le sol, nous faut-il une bonne gestion forestière dans un cas comme le nôtre, car une forêt non entretenue est sujette à voir se multiplier les chablis? Qu’en pensez-vous?
M. St-Pierre : Sur ce point, la forêt se régénérera naturellement. Si vous laissez les chablis sur place, oui, la forêt émettra du carbone pendant un temps, mais de jeunes plants vont pousser et capter du carbone à leur tour. C’est une question de temps pour que le carbone recommence à être séquestré.
Le sénateur Cotter : Je remercie nos témoins. Monsieur Valicenti, votre réponse à la sénatrice Petitclerc m’a amené à la table pour vous poser une question, et elle rejoint un peu celle de la sénatrice Simons et la discussion au sujet des pionniers et des gens imaginatifs qui créent des possibilités. Nous avons tendance à ne pas encourager cela au sein des ministères, mais sur le terrain, c’est ce que font les entrepreneurs privés qui s’occupent d’agriculture.
Votre réponse m’a rappelé — je ne suis pas très religieux — les conversions à la dernière minute, le fils prodigue qui revient et est récompensé, alors que ce sont les autres qui ont fait tout le travail pour maintenir la ferme en vie jusque là. Je trouve inquiétant de voir que ceux qui, en fait, ont rendu ces choses possibles, pas seulement pour eux-mêmes, mais aussi pour les autres, sont laissés de côté. C’est un problème dans des provinces comme la mienne, la Saskatchewan, où les pionniers ont ouvert la voie pour d’autres qui sont ceux qui obtiennent les récompenses, alors qu’eux n’ont rien. Ce n’est pas vraiment une réponse de dire que pour les prochains 100 ou 1 000 acres, ils seront traités comme tout le monde. J’aimerais que vous répondiez à cela.
M. Valicenti : Je vous remercie de la question.
Comme mon collègue M. Saindon l’a dit, nous nous efforçons d’accroître le taux d’adoption, et nous devons trouver des façons de le faire. Je comprends votre point, bien sûr, au sujet des pionniers, et je pense qu’ils pavent la voie et voient les avantages de leur travail. Toutefois, dans le cadre de notre processus, nous devons trouver des façons d’accroître le nombre d’acres où l’on utilise ces pratiques de gestion bénéfiques dont nous avons parlé et qui sont basées sur la science, sur une feuille de route et sur les pratiques exemplaires. C’est ce sur quoi nous voulions nous concentrer.
M. Saindon : Je voudrais rappeler une partie de ma réponse à la question de la sénatrice Petitclerc un peu plus tôt. Je pense que c’est pertinent. On ne peut pas regarder seulement le moment où un reçoit un incitatif ou un paiement dans le cadre d’un programme qui dure un an ou deux. Le paiement sert à mettre en œuvre des pratiques de gestion bénéfiques et cela peut aider.
Je dois dire que les pionniers en retirent déjà d’énormes avantages, car leurs récoltes sont continuellement plus abondantes et plus résilientes. Ils profitent déjà de la hausse de leurs rendements depuis de nombreuses années déjà, ou ils ont à tout le moins une longueur d’avance. Si on commence à utiliser ces pratiques aujourd’hui, les avantages ne se manifesteront pas tout de suite, car cela prend un certain temps. Il faudra un temps pour profiter de tous les avantages.
Le sénateur Cotter : C’est quand même un peu étrange de récompenser ceux qui n’ont rien fait encore, qui vont obtenir les mêmes avantages, mais obtenir une prime en plus pour le faire.
Le sénateur Klyne : Monsieur St-Pierre, je veux élargir la portée de la question posée par le président au sujet des conditions de santé du sol forestier au Canada. Vous pourriez vouloir envoyer votre réponse par écrit à la greffière étant donné qu’il nous reste peu de temps.
Pouvez-vous nous parler des inquiétudes que vous avez aujourd’hui — pas il y a deux ans, pas dans l’avenir — au sujet des forêts canadiennes, région par région, ou forêt par forêt, et, bien sûr, les recommandations que vous auriez à ce sujet?
[Français]
M. St-Pierre : Je peux essayer de répondre.
Il faut se souvenir que les forêts sont des systèmes complexes qui constituent une partie importante de notre paysage. La santé des forêts et de ses sols peut être abordée sous différents angles. Souvent, on définit la santé de la forêt par la production des conditions forestières qui permettent de répondre aux besoins humains, telles la résilience et la récurrence, et qui permettent, par exemple, de produire du bois. C’est une question qui mériterait peut-être qu’on s’y penche.
Il y a une série de services que la forêt rend. Pour ce qui est de la santé des sols forestiers, c’est plus complexe parce que les critères de santé des sols qu’on applique en agriculture s’appliquent peu ou pas en foresterie. Certaines forêts vont vivre dans des sols qui sont perçus comme extrêmement pauvres et inhospitaliers, mais vont voir pousser de belles forêts en santé et fournir de multiples services écosystémiques, alors que ce qu’on peut considérer comme un sol en santé pour un type d’arbre comme l’épinette ne le sera pas pour l’érable à sucre. Donc, c’est très localisé. Les arbres sont extrêmement bien adaptés à leur environnement local.
C’est assez difficile de répondre de façon très précise ou générale. C’est vraiment localisé par région. C’est pour cela qu’on poursuit les travaux de recherche au Service canadien des forêts dans ces domaines : la santé des forêts et la santé des sols forestiers.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Y a-t-il une région ou une forêt qui vous garde éveillé la nuit, inquiet de savoir que nous allons la voir disparaître?
M. St-Pierre : Non. C’est une question intéressante.
[Français]
Il faut conserver certains lieux forestiers pour la protection, la conservation et l’avantage d’avoir des modèles de forêt. C’est un enjeu dont on entend souvent parler en Colombie-Britannique, car il y a là des forêts anciennes. Cependant, il est également important d’avoir d’autres zones réservées à la production du bois pour maximiser le stockage du carbone dans les produits du bois et éviter un effet de substitution avec les produits plus polluants comme les produits pétroliers.
Il n’y a pas une région en particulier qui m’inquiète. Les pratiques canadiennes sont assez bonnes, mais il est important d’avoir une approche qui sera modulée selon la réalité régionale.
[Traduction]
Le sénateur Klyne : Cela ressemble à notre prochaine étude. Je vous remercie.
Le sénateur C. Deacon : Je veux creuser un peu la question du sénateur Cotter, car la séquestration du carbone agricole n’est pas permanente. Beaucoup d’études portent sur le fait qu’il y a un roulement. J’ai eu l’impression par votre réponse que vous aviez décidé qu’il n’était pas vraiment possible de récompenser ceux qui avaient été les pionniers et que la situation se résume à créer des marchés ou des systèmes qui profitent à ceux qui viennent d’arriver. J’ose croire qu’il y a une façon de récompenser ceux qui gardent le carbone dans le sol sur une base régulière — par surveillance satellite ou des tests réalisés sur le sol — et le faire annuellement. Les récompenses augmentent ou diminuent en fonction des résultats et peuvent même devenir négatives.
J’ai l’impression que vous avez décidé que ce n’est pas possible, et je ne suis pas satisfait de votre réponse.
M. Valicenti : Je comprends la question et le commentaire. Je vais simplement mentionner — et je pense l’avoir déjà dit — que le programme du Fonds d’action à la ferme pour le climat autorise les compensations volontaires dans le cadre du projet pilote. Je crois comprendre en parlant avec les intervenants et le secteur privé qu’ils essaient de jouer un plus grand rôle dans ce domaine. On le voit un peu dans d’autres régions du monde pour ce qui est des compensations carbone. Certains vont vouloir en faire la promotion. Je pense que les producteurs devraient assurément s’y mettre.
M. Saindon en a parlé, à savoir que ces paiements ne seront pas là indéfiniment; ils ne dureront que quelques années. Nous espérons que le taux d’adoption des pratiques de gestion bénéfiques augmentera vraiment partout au Canada. C’est là en quelque sorte que nous concentrons nos efforts. Nous espérons voir le secteur privé inclure aussi la chaîne de valeur. Nous voyons des acteurs du secteur privé qui tentent de faire leur entrée dans ce marché et qui cherchent à définir les bénéfices tout au long de la chaîne de valeur, et pas seulement chez les producteurs. Ils cherchent à mettre en œuvre ces pratiques sur toute la ligne jusqu’aux détaillants pour montrer sa valeur dans toute la chaîne de valeur. Nous espérons que les incitatifs connaîtront du succès dans toute la chaîne de valeur, et non pas seulement chez les producteurs.
Le président : Je vous remercie.
M. Saindon, M. Valicenti, M. Gregorich, Mme McNairn et M. St-Pierre, nous voulons vous remercier de votre participation. Comme le montrent bien les quatre séries de questions, nous vous sommes très reconnaissants de votre aide. Merci.
Je veux aussi remercier les membres du comité. Je suis vraiment ravi de vos questions chaque fois que nous sommes ensemble. Cela peut paraître bizarre, mais je suis heureux de voir à quel point vous êtes bien préparés. C’est fantastique et je vous en remercie.
Je veux aussi prendre un instant pour remercier les membres du personnel dans la salle qui nous apportent leur aide, les interprètes, les gens qui s’occupent de la diffusion et les gens derrière nous. Nous n’y arriverions pas sans vous, alors merci.
Notre prochaine réunion est prévue le jeudi 16 février à 9 heures. Nous allons continuer d’entendre des témoins pour notre étude sur la santé des sols. Je tiens à souligner que j’ai comparu devant le Sous-comité du budget des dépenses du Sénat et des budgets de comités au sujet de notre voyage éventuel à Guelph. Nous espérons avoir des nouvelles bientôt.
Je vais terminer en disant que je crois qu’il y a une ferme intelligente près d’Ottawa, passé le Collège Algonquin, et que ce pourrait être un autre endroit à envisager pour la tenue d’une réunion du comité afin de voir le travail qu’ils font, car c’est fascinant.
(La séance est levée.)