LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 16 février 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour tout le monde. Au lendemain du septième Jour de l’agriculture canadienne, c’est formidable que le Comité de l’agriculture et des forêts se réunisse aujourd’hui.
Je tiens d’abord à accueillir les membres du comité, les témoins, tant en personne qu’en ligne, et ceux qui regardent la réunion sur le Web. Je m’appelle Rob Black, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis le président du comité. Aujourd’hui, le comité se réunit pour poursuivre son étude visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada. Avant d’entendre nos témoins, je tiens à prendre un moment pour demander aux sénateurs de se présenter.
La sénatrice Simons : Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, sur le territoire visé par le Traité no 6.
Le sénateur Cotter : Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.
Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue. Marty Klein, sénateur de la Saskatchewan, sur le territoire visé par le Traité no 4.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bienvenue. Je suis Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Oh : Bonjour. Victor Oh, sénateur de l’Ontario.
Le sénateur C. Deacon : Bonjour. Je suis très heureux de vous voir ici. Colin Deacon, sénateur de la Nouvelle-Écosse.
Le président : Avant de commencer, si des difficultés techniques surviennent, surtout en ce qui concerne l’interprétation, veuillez l’indiquer au président ou à la greffière, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.
Ce matin, j’ai le plaisir d’accueillir Martin Caron, président général de l’Union des producteurs agricoles, et Daniel Bernier, conseiller en matière de recherches et de politiques agricoles en environnement pour l’Union des producteurs agricoles, qui participent en ligne, ainsi que Carolyn Wilson, directrice de la Table pancanadienne de la relève agricole, qui participe également en ligne. Les personnes présentes sur place sont Brodie Berrigan, directeur des relations gouvernementales et de la politique agricole de la Fédération canadienne de l’agriculture, et Mary Robinson, présidente de la Fédération canadienne de l’agriculture.
Avant de commencer, je tiens à mentionner aux personnes qui nous regardent et à celles qui sont présentes dans la salle que Mme Robinson quittera ce poste dans environ trois ou quatre semaines. Madame Robinson, je tiens simplement à dire que votre engagement et votre soutien indéfectibles envers l’industrie agricole et agroalimentaire au cours des dernières années ont été formidables. Sachez que vous allez nous manquer. Merci beaucoup pour tout ce que vous avez fait. Vous allez me manquer. Merci, madame Robinson, pour tout ce que vous avez fait.
Des voix : Bravo!
Le président : J’invite Mme Robinson, Mme Wilson et M. Caron à faire leur présentation. Vous disposez chacun de cinq minutes pour faire votre déclaration liminaire. Je vous ferai signe lorsqu’il restera une minute. Lorsque vous verrez que j’ai les deux mains levées, ce sera le moment de conclure. Sur ce, madame Robinson, la parole est à vous.
Mary Robinson, présidente, Fédération canadienne de l’agriculture : Monsieur le président, merci de me donner l’occasion de comparaître aujourd’hui. Je crois que vous m’avez très bien présentée. Je suis une productrice de l’Île-du-Prince-Édouard et je fais partie de la sixième génération sur notre ferme.
La Fédération canadienne de l’agriculture, ou FCA, est le plus important organisme agricole général au Canada et il représente plus de 190 000 producteurs, agriculteurs et familles agricoles au pays. L’agriculture, qui est au cœur du système agroalimentaire canadien, qui, lui, génère 134,9 milliards de dollars du PIB du Canada, est un élément extrêmement important de l’économie et de l’environnement. Les agriculteurs sont les gardiens des ressources en sols du Canada, qui sont non seulement le fondement de notre chaîne d’approvisionnement alimentaire, mais aussi un outil essentiel pour l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets. Alors que le Canada s’efforce d’atteindre son objectif de devenir carboneutre d’ici 2050, l’agriculture présente un potentiel énorme en raison de sa capacité de séquestrer le carbone.
Selon Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC, les sols agricoles sont passés d’un émetteur net à un puits net : ils émettaient 1,2 mégatonne de CO2 par an en 1981 et ils séquestraient 4,2 mégatonnes par an en 2019. Une bonne partie de cette réussite est attribuable à l’adoption accrue du travail de conservation du sol, qui est passée de moins de 10 % en 1991 à environ 60 % en 2016.
Cependant, à partir de 2006, les producteurs canadiens, en particulier dans l’Est du Canada, ont constaté un plafonnement, voire une légère diminution de la teneur en carbone organique dans le sol. Ce phénomène a été attribué, entre autres, à la diminution progressive de la taille des troupeaux de bovins de boucherie et de vaches laitières, qui dépendent souvent des cultures pérennes et des pâturages pour se nourrir. La conversion ultérieure des cultures pérennes en cultures commerciales annuelles a contribué à la baisse de la teneur en carbone organique dans le sol. Cette diminution s’explique par la réduction de la taille des troupeaux en réponse à l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou maladie de la vache folle, au début des années 2000, par l’efficacité accrue de la production laitière et par l’instabilité des prix du bétail, qui a obligé de nombreux producteurs à se convertir à la production de céréales et d’oléagineux.
Là où je veux en venir, c’est que la diminution de la matière organique du sol découle de nombreux facteurs — économiques, sociaux et environnementaux —, et il faut en tenir compte lorsque nous formulons des recommandations au gouvernement. En vérité, déterminer les pratiques exemplaires en matière de gestion de la santé des sols est compliqué, car il faut des ensembles de données qui intègrent les données sur les sols, les données météorologiques, les valeurs de rendement et d’autres variables environnementales aux pratiques agricoles. La recherche qui tient compte de tous ces points de données est extrêmement importante pour les producteurs qui veulent adopter des pratiques exemplaires en matière de gestion de la santé des sols.
Nous encourageons vivement le gouvernement du Canada à continuer d’actualiser les connaissances et d’investir dans la recherche dans ces domaines sous l’angle de la gestion de la santé des sols afin que nous puissions saisir les efforts considérables déployés par les producteurs aujourd’hui. Pour faire progresser ces pratiques, la FCA recommande également qu’AAC investisse davantage dans les volets Grappes du Programme Agri-science en soutenant la recherche dirigée par l’industrie qui permet d’accélérer le rythme de telles innovations.
Passons maintenant aux mesures que le fédéral pourrait adopter pour soutenir et améliorer la santé des sols. Selon nous, un engagement accru et des investissements dans les pratiques exemplaires en matière de gestion et dans la recherche sont nécessaires. Toutefois, nous devons d’abord faire une pause et reconnaître les efforts de ceux qui ont développé plusieurs des pratiques exemplaires en matière de gestion que nous soutenons aujourd’hui. Le Régime de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre du Canada permettra aux producteurs de générer des crédits grâce à des activités qui améliorent la séquestration du carbone organique du sol. Cependant, étant donné que le protocole proposé ne reconnaîtra que les activités qui ont débuté après 2017, les premières personnes à avoir adopté ces pratiques, soit celles qui ont commencé ces activités avant 2017, ne seront pas reconnues pour leurs efforts. Ces producteurs ont fait le gros du travail et l’expérimentation à la ferme nécessaire pour développer plusieurs des pratiques exemplaires en matière de gestion qui ont contribué à l’augmentation de la séquestration du carbone dans le sol de 1981 à 2016. Les crédits compensatoires ne peuvent pas reconnaître les premières personnes à avoir adopté ces pratiques, mais nous devons les reconnaître et les soutenir lors de la création de futurs programmes visant à déterminer d’autres pratiques exemplaires en matière de gestion. Nous devons également célébrer ces pionniers pour montrer où l’adoption précoce des pratiques exemplaires a fourni des avantages significatifs à long terme, non seulement sur le plan environnemental, mais aussi en tant que décisions commerciales judicieuses.
Lorsqu’on cherche à tirer des leçons du passé, l’Est du Canada a constaté une réduction du carbone organique du sol lorsqu’on a délaissé les cultures pérennes nécessaires au pâturage du bétail. Je soulève ce point non pas pour laisser entendre que le gouvernement devrait intervenir dans les décisions relatives à la production, bien au contraire. Nous devons reconnaître que la gestion de la santé des sols ne peut être examinée en vase clos. Alors que le Canada cherche à réduire la teneur en carbone des carburants et les émissions et à atteindre d’autres objectifs environnementaux, les mesures incitatives employées auront également des conséquences sur le carbone organique et la santé des sols.
Merci de nous donner l’occasion de parler de cette étude. Mon collègue M. Berrigan et moi serons heureux de répondre à vos questions.
Le président : Merci, madame Robinson.
Carolyn Wilson, directrice, Table pancanadienne de la relève agricole : Bonjour à tous, et merci encore de me donner l’occasion de m’adresser à vous. Je m’appelle Carolyn Wilson et je suis directrice de la Table pancanadienne de la relève agricole. Si vous ne connaissez pas cet organisme, il existe depuis environ 15 ans et il vise à offrir une éducation, une formation sur le leadership et un renforcement des capacités aux producteurs âgés de 18 à 40 ans.
En plus de mon rôle au sein de la Table pancanadienne de la relève agricole, je suis présidente du Forum des jeunes agriculteurs du Nouveau-Brunswick, et mon mari et moi sommes propriétaires d’une petite ferme et d’un abattoir dans la province.
J’ai également passé quatre ans à étudier la santé des sols et les effets du compost sur la santé des sols en situation de production agricole intensive, alors ce sujet est vraiment important pour moi.
Un sol sain est un sol productif. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ou FAO, 95 % de nos aliments sont produits directement ou indirectement par le sol. Un sol sain est particulièrement important pour notre jeune collectivité agricole. Le sol est notre moyen de subsistance. Ce n’est qu’avec un sol sain et productif que nous pourrons produire de la nourriture pendant toute notre vie et, espérons-le, pour les générations à venir.
Or, d’après certaines données dont nous disposons, la santé de nos sols est une source d’inquiétude, en particulier dans l’Est du pays. Les données fédérales, qui datent de 2016, indiquent que les niveaux de carbone organique du sol ont peu changé et même qu’ils ont diminué. Il sera essentiel de trouver des moyens d’aider les agriculteurs à mettre en place des pratiques d’accumulation du carbone pour faire évoluer le stockage du carbone dans le sol, améliorer la santé des sols et atténuer les effets des changements climatiques.
Que peut-on faire? Les jeunes agriculteurs ont des idées de voies à suivre. Premièrement, il faut soutenir la formation et le transfert des connaissances. Les jeunes agriculteurs ont envie d’apprendre. D’après le recensement de 2016, les exploitants agricoles de moins de 40 ans seraient nombreux à avoir fait des études postsecondaires, y compris de niveau universitaire. Les jeunes agriculteurs sont prêts à apprendre, mais il leur faut de l’information facile à assimiler adaptée à leurs sols et à leurs activités. Il faut davantage d’aide au transfert de connaissances et à la formation entourant les avantages et les aspects économiques d’une bonne santé des sols, ainsi que l’amélioration des pratiques exemplaires de gestion.
Deuxièmement, il est essentiel de soutenir la mise en place de pratiques exemplaires de gestion. Selon le recensement de 2021, seulement 8,6 % des exploitants agricoles ont moins de 35 ans. En effet, l’âge moyen des agriculteurs ne cesse d’augmenter. De plus, les données du recensement suggèrent qu’un grand nombre de ces agriculteurs ont un emploi à l’extérieur de la ferme pour compléter leur revenu. Ces statistiques confirment ce qu’on observe sur le terrain, à savoir que les jeunes agriculteurs ont du mal à joindre les deux bouts. L’agriculture est une activité coûteuse et les pratiques d’accumulation du carbone n’y échappent pas. Pour améliorer la qualité des sols et soutenir les jeunes agriculteurs, il est crucial de trouver des moyens de financer les services écologiques offerts par les agriculteurs.
Troisièmement, il faut intensifier la recherche. Quels progrès ferons-nous si nous adoptons ces pratiques exemplaires de gestion? Dispose-t-on de données sur les sols pour étayer nos efforts? À l’heure actuelle, nous n’en sommes pas certains. Les données fédérales actuelles sur le carbone du sol, la couverture du sol et les indicateurs d’érosion datent de 2016. En outre, ce ne sont là que quelques-uns des nombreux indicateurs de la santé des sols. Qu’en est-il de la biodiversité du sol et de sa fertilité? Il faut mener davantage de recherches pour évaluer avec exactitude l’état actuel des sols afin que les agriculteurs puissent mesurer et décrire avec précision leurs progrès, puis communiquer ces renseignements à leurs consommateurs et à leurs partenaires commerciaux.
Pour conclure, la santé des sols canadiens est d’une importance cruciale pour les jeunes agriculteurs. Grâce à des investissements stratégiques dans la recherche, à la formation des agriculteurs et à l’adoption de pratiques exemplaires de gestion, nous estimons que la santé des sols peut être préservée et améliorée pour les futures générations d’agriculteurs. Je vous remercie encore de m’avoir invitée à témoigner devant le comité.
Le président : Je vous remercie, madame Wilson. C’était une excellente présentation.
[Français]
Martin Caron, président général, Union des producteurs agricoles : Merci, monsieur le président.
Je m’appelle Martin Caron, président général de l’Union des producteurs agricoles (UPA). Je suis aussi producteur laitier et de grandes cultures. La bonne santé des sols est essentielle à la prospérité de notre agriculture, qui est elle-même fondamentale pour nourrir une population en croissance. Nous avons tendance à l’oublier dans notre pays privilégié, mais l’agriculture est une activité vitale.
L’état de la santé des sols nous tient particulièrement à cœur à l’UPA; nous menons d’ailleurs différentes initiatives, notamment grâce à la collaboration d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), pour favoriser l’adoption de meilleures pratiques culturales.
Les réalités partout au pays peuvent être très différentes selon les types de sols et le climat. Les enjeux ne sont pas les mêmes selon que l’on cultive dans l’Ouest canadien sur un sol sablonneux ou dans l’Est du Canada sur un sol argileux. Cela doit être pris en compte lors de l’élaboration de politiques en matière de santé des sols, puisque les solutions applicables d’un océan à l’autre auront peu de chance de connaître du succès.
Je tiens à mentionner qu’une vaste étude, réalisée par l’Institut de recherche et de développement en agroenvironnement à la demande du ministère de l’Agriculture, des Pêcheries et de l’Alimentation du Québec (MAPAQ), est en cours afin d’établir un diagnostic précis de l’état de santé des sols au Québec. Un rapport final sera, en principe, disponible au mois de mars 2023.
Bien que la situation ne soit pas alarmante, on ne peut nier que nos sols agricoles subissent des pressions qui peuvent hypothéquer leur fertilité à moyen ou long terme. Par exemple, nous savons qu’il y a des enjeux d’érosion et de perte de matière organique. Toutefois, il existe des solutions qui sont mises en œuvre par un nombre grandissant de producteurs. De plus, le rehaussement de la matière organique des sols agricoles permet de retirer du carbone de l’atmosphère et contribue donc à lutter contre les changements climatiques.
Les défis restent, malgré tout, encore nombreux et le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour faciliter l’adoption des meilleures pratiques de conservation des sols. La spécialisation et l’intensification des moyens de production offrent de nombreux avantages, notamment au regard des volumes produits. Elles comportent toutefois certains défis au chapitre de la durabilité.
À titre d’exemple, une rotation longue impliquant plusieurs types de cultures aura assurément de nombreux avantages comparativement à une rotation ne comportant que deux cultures, par exemple le maïs et le soya au Québec. Toutefois, à court terme, la rentabilité de ces deux dernières cultures est plus attrayante pour un producteur qui en a fait sa spécialité. Les autres cultures qui peuvent être introduites dans la rotation seront habituellement moins lucratives.
L’implantation des engrais verts et des cultures de couverture offre aussi de nombreux avantages, tant sur le plan environnemental que pour la santé des sols. Cette catégorie de culture n’est pas destinée à être récoltée. Il s’agit d’un investissement en faveur de la protection de l’environnement et de la santé des sols. À court terme, c’est une dépense supplémentaire pour les entreprises. Ainsi, de nombreuses pratiques qui procurent des bénéfices à long terme présentent des enjeux de rentabilité à court terme. La période de transition durant laquelle les revenus sont moindres, quand les dépenses augmentent et que l’on ne profite pas encore des avantages résultant de sols en meilleure santé, constitue souvent un obstacle au changement.
Une autre contrainte concerne l’apprentissage de la gestion d’une plus grande complexité à la ferme. L’adoption et la maîtrise de meilleures pratiques culturales exigent de nombreuses nouvelles connaissances ainsi que des périodes d’essais et d’erreurs, si l’on considère que les solutions universelles applicables à toutes les fermes n’existent pas. Le succès passe par l’expérimentation et l’adaptation des pratiques à chaque situation particulière.
Dans ce contexte, les gouvernements ont un rôle important à jouer en accompagnant les producteurs dans cette transition souhaitée. Le gouvernement fédéral doit accorder un soutien financier à la hauteur des attentes, comparable à celui de ses compétiteurs, afin d’assurer la réalisation de projets concrets. Rappelons que la terre est notre principal outil de travail et que lorsqu’on investit dans la santé de nos sols, y compris dans la recherche et l’innovation, on investit dans la pérennité de notre garde-manger à tous.
[Traduction]
Le président : Je remercie sincèrement les trois témoins qui ont pris la parole. Nous allons maintenant passer aux questions. Avant de poser des questions et d’y répondre, j’aimerais rappeler aux membres du comité et aux témoins qui se trouvent dans la salle d’éviter de s’approcher trop près du microphone, ou de retirer leur oreillette s’ils le font. On évitera ainsi toute rétroaction acoustique qui pourrait incommoder nos collègues dans la salle. Comme à l’habitude, je rappelle aux sénateurs qu’ils disposent de cinq minutes pour les questions et les réponses. Enfin, je tiens à signaler qu’une des témoins, Mme Robinson, partira à 9 h 45. Par conséquent, je vous demande, dans la mesure du possible, de bien vouloir nous aider en changeant de place avec quelqu’un qui aurait une question à lui poser.
La sénatrice Simons : Merci à tous les témoins. Ma première question s’adresse à Mme Robinson.
Au mois de décembre, j’ai eu l’honneur d’assister — au nom du comité — à la Western Canada Conference on Soil Health & Grazing à Edmonton, et plus particulièrement à l’exposé sur l’agriculture régénérative. J’ai rencontré plusieurs agriculteurs qui sont des pionniers dans l’adoption de ces techniques, dont un qui m’a raconté fièrement qu’il a reconverti 1 000 acres de terrain, employés essentiellement pour la culture du canola et du blé, en surface pastorale afin d’en faire du fourrage pour son troupeau. Toutefois, il a ajouté qu’il y avait de véritables tiraillements entre ce qu’il voulait faire, c’est-à-dire rétablir autant que possible l’état naturel du pâturage, et ce que ses fils voulaient, c’est-à-dire planter des cultures de rente.
J’ai aussi rencontré un analyste agricole qui m’a expliqué que nos régimes d’assurance sont constitués de manière à soutenir ceux qui plantent des cultures de rente sur des terres peu productives, car ils sont couverts même en cas d’échec, alors qu’aucune assurance et aucun filet de sécurité ne protège les éleveurs.
J’aimerais savoir si vous pouvez nous parler de ce sujet, car vous vous êtes exprimée avec éloquence sur l’importance du pâturage des animaux comme mesure de séquestration du carbone. Comment peut-on trouver le juste milieu afin d’élaborer des programmes qui incitent les agriculteurs à cultiver du fourrage au lieu de cultures de rente sur les terres peu productives?
Mme Robinson : Je vous remercie de votre question, sénatrice. Je comprends parfaitement les tiraillements entre le père et ses fils dans ce cas précis. Plus tôt, nous parlions entre nous des pressions auxquelles sont soumises les terres agricoles et de la disparition de ces terres. Je crois que la décision concernant la gestion des terres, ou la poursuite des activités agricoles, repose essentiellement sur des considérations économiques, comme vous l’avez souligné.
Dans ma famille, nous avons eu la chance énorme de pouvoir passer à une rotation de quatre ans. En fait, notre province impose une rotation de trois ans et on peut seulement avoir une culture en rangs dans un champ sur trois ou deux champs sur cinq, et il faut avoir un plan de gestion adéquat.
Votre question porte sur l’assurance. Je ne suis pas très au fait des assurances pour les bovins, mais je crois savoir que, dans l’Est du Canada, nous n’avons pas accès aux assurances solides qui sont offertes dans l’Ouest du pays. Comme d’autres témoins l’ont mentionné dans leur déclaration, il faut que nous trouvions le moyen de mettre nos producteurs sur un pied d’égalité avec ceux d’autres pays, et de faire en sorte que cette transition soit rentable.
Malheureusement, les considérations économiques occupent une grande place. La plupart des agriculteurs savent que le sol est leur ressource. Nous voulons lui assurer les meilleures conditions possible, mais nous devons assurer la survie de notre entreprise. L’association des trois piliers de la durabilité est bien réelle pour nous. Nous comptons sur le gouvernement pour trouver des moyens de nous aider à y parvenir. Monsieur Berrigan, voulez-vous ajouter quelque chose?
Brodie Berrigan, directeur des relations gouvernementales et de la politique agricole, Fédération canadienne de l’agriculture : Merci de votre question, sénatrice. Je n’ai pas grand-chose à ajouter, si ce n’est que, selon moi, l’élaboration d’une bonne politique gouvernementale consiste en grande partie à mettre en place les bonnes mesures incitatives. L’absence de telles mesures doit faire l’objet de discussions pour assurer leur mise en place. Je pense par exemple aux assurances inadéquates, qui sont depuis longtemps une source d’irritation dans le secteur de la production bovine.
La sénatrice Simons : Madame Wilson, à la conférence, j’ai rencontré beaucoup de jeunes agriculteurs qui m’ont parlé de la pression sociale qu’ils subissent lorsqu’ils tentent en quelque sorte de faire l’expérience de techniques d’agriculture régénérative. Ils disaient qu’ils voulaient dissimuler leurs cultures au regard des gens qui circulent sur l’autoroute.
J’aimerais que vous nous parliez des changements culturels qui, à votre sens, doivent être opérés pour aider et encourager les jeunes agriculteurs, et les leaders parmi ces derniers, à partager leurs expériences en matière d’agriculture régénérative et à surmonter la pression sociale, ou le conformisme, voulant qu’ils plantent comme ils l’ont toujours fait.
Mme Wilson : Merci de votre question, sénatrice. Vous avez soulevé un très bon point. Certains agriculteurs font des choses vraiment impressionnantes et il est malheureux qu’ils aient peur d’en parler.
À mon avis, maintenant que certaines restrictions liées à la COVID ont été levées, on pourrait organiser une rencontre de jeunes agriculteurs pour leur donner l’occasion d’échanger des idées et de parler de ce genre d’initiatives. Je pense que cela améliorerait considérablement la situation.
Pour moi, c’est un problème que les jeunes agriculteurs soient préoccupés par ce que disent les autres et même, comme vous en avez parlé avec Mme Robinson, par ce que disent les membres de leur propre famille. Ont-ils la confiance nécessaire pour faire ces choix dans leur exploitation agricole? C’est une bonne question. Je vous en remercie.
Le sénateur Klyne : Je souhaite la bienvenue à nos invités. Je vous remercie de vos déclarations préliminaires. Mes premières questions s’adressent à Mme Robinson. Vous avez abordé le sujet des données et j’en suis ravi. Comme nous le savons tous, les données et l’analyse sont devenues des aspects de plus en plus importants des activités agricoles modernes.
De nombreux organismes, dont le vôtre, réclament l’élaboration d’une stratégie nationale sur la santé des sols. En avez-vous discuté avec des fonctionnaires fédéraux? Si tel est le cas, comment ont-ils réagi? Est-ce que notre étude sur les sols devrait recommander la création d’une stratégie nationale sur la santé des sols, y compris un dépôt de données, le stockage et la gestion des données ainsi que des sujets d’intérêts en matière de recherche?
Mme Robinson : Je vous remercie de votre question, sénateur Klyne. Nous participons aux travaux du Comité consultatif sur l’agriculture durable, qui est coprésidé par Agriculture et Agroalimentaire Canada et la Fédération canadienne de l’agriculture. En fait, notre directeur exécutif est l’un des coprésidents. La santé des sols est l’un des piliers de cette initiative. C’est un des moyens que nous comptons employer pour consulter le gouvernement sur les façons d’aborder le problème.
Le sénateur Klyne : Merci. Ce mardi, nous avons entendu des fonctionnaires fédéraux d’Agriculture et Agroalimentaire Canada et de Ressources naturelles Canada. J’ai eu l’occasion de leur poser des questions à propos de la collecte et de la synthèse des données relatives à la santé et à la dégradation des sols. Ils nous ont parlé de certains outils qu’ils utilisent, comme le Service d’information sur les sols du Canada, pour faire le suivi et la gestion des données. Le gouvernement fédéral a-t-il fait un bon travail de communication avec les agriculteurs pour les informer de l’existence de ces programmes et de ces services, et du fait qu’ils peuvent être utilisés pour surveiller la santé des sols?
Mme Robinson : Je ne peux pas vous répondre directement, mais je pense qu’une grande partie de l’information sur les sols dont nous disposons existe à l’échelle provinciale et régionale, ce qui est logique, car c’est très nuancé, et il y a une grande variabilité dans ces deux éléments relatifs aux sols.
Pour ce qui est d’informer et d’éduquer les gens sur la disponibilité de cet outil, je ne suis pas certaine, sénateur. Je peux faire quelques recherches et vous revenir là-dessus.
Le sénateur Klyne : Très bien, merci. Y a-t-il une réponse précise en matière de politique que vous aimeriez voir le gouvernement fédéral mettre en œuvre, le plus tôt possible, afin d’atténuer les préoccupations ou les problèmes les plus urgents concernant la dégradation ou l’érosion des sols? Dans l’affirmative, quelle serait cette politique?
Mme Robinson : Pardonnez-moi, je n’ai pas bien compris.
Le sénateur Klyne : Une politique précise concernant la dégradation ou l’érosion des sols.
Mme Robinson : Une politique.
Le sénateur Klyne : Y a-t-il une politique que l’on devrait mettre en œuvre le plus tôt possible?
Mme Robinson : Nous examinerons les résultats des conclusions du Système d’analyse statistique, ou SAS, concernant cette question. Je suis désolée; je n’ai pas pu couvrir tous les points dans ma déclaration préliminaire, mais nous parlons notamment de ce qui devrait être fait, selon nous, en cours de route.
Pour ce qui est de la question de tout à l’heure, sur le plan des cultures, l’une des solutions serait la sensibilisation aux 4B, en particulier. Il importe d’accroître le niveau d’éducation et le nombre d’agronomes qui comprennent le principe des 4B afin qu’ils puissent diffuser cette information et qu’elle soit mieux assimilée par la communauté, pour que les jeunes agriculteurs et les agriculteurs plus expérimentés comprennent et adoptent ce principe.
Le sénateur Klyne : Merci.
Le sénateur Oh : Je souhaite la bienvenue aux témoins. Ma question s’adresse à Mme Robinson. Lors de sa réunion annuelle de 2021, la Fédération canadienne de l’agriculture a décidé d’exhorter le gouvernement à travailler avec les provinces et les territoires à élaborer de nouveaux programmes d’incitation financière axés sur l’amélioration de la santé des sols et l’augmentation de la teneur en matière organique des sols pour en augmenter la capacité de captage de carbone, en vue d’améliorer la capacité d’adaptation aux changements climatiques.
Du point de vue des agriculteurs canadiens, quelle est l’importance des programmes d’incitation financière pour la gestion et l’amélioration de la santé des sols au Canada?
Mme Robinson : Tout ce que nous pouvons faire pour favoriser l’adoption de meilleures stratégies en vue d’augmenter la matière organique du sol est très important pour les producteurs canadiens.
Certains règlements nous empêchent en quelque sorte d’agir; je pense qu’il serait juste de dire que cela touche surtout les jeunes agriculteurs. Je pense au projet de loi C-244, qui porte sur le droit de réparer, lorsqu’on achète du matériel de haute technologie. Par exemple, sur ma ferme, je viens de dépenser 30 000 $ pour une pièce d’équipement qui me permettra d’envoyer des prescriptions sur le terrain, de récupérer ces données en temps réel et de gérer ce que fait cette machine. J’en ai besoin pour adopter des pratiques d’agriculture de précision. Il y a une dizaine d’années, j’avais dépensé 20 000 $ pour un régulateur semblable, mais j’ai dû le remplacer parce qu’il était devenu obsolète et qu’il m’était impossible de le mettre à niveau. Quand on pense au projet de loi C-244, on constate que le matériel devenu obsolète et l’absence de soutien, ainsi que l’incapacité des producteurs à embaucher un tiers pour le soutien technique, est l’un des exemples de politique qui ne facilite tout simplement pas l’adoption de meilleures pratiques de gestion.
Le sénateur Oh : Recevez-vous une aide financière additionnelle du gouvernement?
Mme Robinson : Non, je n’ai pas reçu d’aide pour cela.
Le sénateur Oh : Pourquoi?
Mme Robinson : Ce n’était que pour acheter une nouvelle pièce d’équipement, ce que nous devons tous faire, et il n’y avait pas d’incitatif pour cet achat. Il faudrait surtout examiner de plus près le projet de loi C-244, et permettre aux producteurs de réparer leur propre équipement ou de faire appel à quelqu’un d’autre que le fournisseur ou le fabricant de cet équipement. Il serait plus abordable pour les producteurs d’adopter cette nouvelle technologie.
Le sénateur Oh : Voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Berrigan : Je vous remercie de la question. Je suis tout à fait d’accord avec Mme Robinson; je pense que l’appui au projet de loi C-244 est important pour les producteurs de partout au Canada. Depuis que cette résolution a été adoptée, le gouvernement a annoncé la création du Fonds d’action à la ferme pour le climat, un investissement important dans le secteur agricole canadien pour soutenir les solutions climatiques et la santé des sols de façon plus générale. Évidemment, nous continuerons à préconiser un soutien additionnel par ce moyen, notamment des investissements continus, comme l’a dit Mme Robinson, pour notre certification, ainsi que l’ajout d’un plus grand nombre de conseillers agricoles certifiés. Ces conseillers sont le pivot entre les investissements fédéraux et les agriculteurs sur le terrain qui peuvent apporter les changements nécessaires pour adopter les meilleures pratiques de gestion qui auront l’effet que nous souhaitons. Plus nous aurons de ressources sur le terrain pour fournir ce soutien et accroître l’adoption de ces pratiques, mieux ce sera. J’encourage la poursuite des investissements dans ce domaine par l’intermédiaire du Fonds d’action à la ferme pour le climat.
Le sénateur Oh : Madame Robinson, à votre avis, le gouvernement en fait-il assez pour aider les agriculteurs de votre organisation sur le plan de la santé des sols au Canada?
Mme Robinson : Il peut toujours en faire plus.
Le sénateur Oh : Oh, c’est bien. Merci.
Le sénateur C. Deacon : Je tiens à remercier tous nos témoins de leur présence aujourd’hui.
Je crois fermement que l’agriculture est et doit être un très grand allié dans notre lutte contre les changements climatiques. Il est démontré qu’elle pourrait devenir non seulement une industrie carboneutre, mais aussi une industrie carbonégative, qui pourrait extraire le carbone de l’atmosphère, au bénéfice de nous tous. Toutefois, je doute que cela puisse se produire sans que l’on s’assure de la stabilisation ou de l’amélioration des revenus agricoles grâce aux efforts collectifs sur le plan des règlements, des lois et des politiques mis en place.
La question que je veux vous poser à tous est simplement la suivante : si l’objectif de la politique n’est pas d’améliorer les revenus agricoles... Actuellement, les agriculteurs sont pénalisés, et leurs contributions ne sont pas reconnues. Chacun d’entre vous pourrait-il nous en parler? Je pense que nous devrions commencer par nos témoins en ligne, puis passer à ceux qui sont dans la pièce. Je veux m’assurer, toutefois, que nous entendrons Mme Robinson avant qu’elle ne prenne sa retraite. Merci.
[Français]
M. Caron : Merci pour la question, sénateur.
Oui, évidemment, il faut investir davantage dans la recherche, comme l’a mentionné Mme Robinson un peu plus tôt. Vous avez mentionné qu’il y a eu des ajustements sur le plan de la recherche. Avant, la recherche était soutenue à 70 % par le gouvernement fédéral. Ce soutien a baissé à 50 %, même si l’on sait que l’on doit, avec les changements climatiques, faire plus de recherche; il y a donc un manque à gagner. Le fait de rehausser ce taux à 70 % aidera davantage les producteurs.
Le Canada doit rester compétitif et productif. Nos compétiteurs, les États-Unis, investissent actuellement 1 % de leurs recettes monétaires en paiement direct en environnement. Si on fait la même chose ici, les budgets devraient augmenter de 650 millions de dollars. Il y a déjà des augmentations prévues pour réussir cette transition. Comme vous l’avez mentionné, on va capter du carbone en même temps et tout le monde y gagnera. Il y a une période de transition durant laquelle on doit appuyer les producteurs pour réussir cette transition écologique.
[Traduction]
Mme Wilson : C’est un excellent point. Du point de vue d’une jeune agricultrice, la faisabilité et l’aspect économique sont absolument essentiels. Nous connaissons de jeunes agriculteurs qui ne peuvent tout simplement pas y parvenir. Il est primordial de fournir du soutien pour tout ce qui concerne les pratiques de gestion bénéfiques et l’avancement.
Mme Robinson : Je vous remercie de la question. Comme nous le savons, les agriculteurs sont des preneurs de prix. Nous continuons de voir les prix être refilés aux agriculteurs. Je pense en particulier à la taxe sur le carbone, pour laquelle nous n’avons pas d’autre choix. Ce n’est pas comme si, en nous imposant une taxe, cela allait forcer un changement de comportement. Je me penche sur les politiques comme celle-là, ainsi que sur le projet de loi C-244, notamment, lorsque nous parlons de rentabilité.
Je suis tout à fait d’accord avec M. Caron : davantage de recherches sont nécessaires. Il y a 20 ans, nous avions beaucoup plus de services de vulgarisation, de meilleurs modèles de financement, au provincial et au fédéral, et une meilleure capacité à fournir de l’information et de l’éducation, tant aux nouveaux agriculteurs qu’aux agriculteurs établis, au moyen de nouvelles stratégies et pratiques. Je conviens tout à fait que cela passe en grande partie par les recettes agricoles. Quand nous regardons nos compétiteurs, nous devons nous assurer que nous faisons quelque chose de comparable. Sinon, nous assisterons à une évaporation continue des terres agricoles.
Le sénateur C. Deacon : Merci. J’aimerais revenir sur la recherche. Les représentants d’AAC nous en ont parlé mardi. Ils étaient fiers du fait qu’au cours des 40 dernières années, nous avons opté davantage pour une approche sans travail du sol fondée sur la recherche. Or, nous ne disposons pas de 40 ans. Nos agriculteurs ne disposent pas de 40 ans. Ma question porte sur le rythme. L’application des connaissances que nous possédons déjà est un problème, et lorsque nous développons de nouvelles connaissances, nous n’avons pas une bonne transmission; nous avons un bon moteur de recherche qui a besoin de plus de carburant, mais nous n’avons pas de transmission pour convertir cela en action.
Pourriez-vous nous parler de la nécessité d’accélérer la réforme réglementaire et la réforme fédérale pour aider les agriculteurs à passer à l’action?
Mme Robinson : Ma tête va exploser, sénateur Deacon, parce que je pense à tous les défis, et à toutes les choses pour lesquelles nous devons relever la barre afin d’accélérer le rythme. Je pense à la main-d’œuvre; nous savons tous ce qu’impliquent la main-d’œuvre et l’agriculture. Nous pensons davantage aux personnes sur le terrain, mais nous devons penser à l’ensemble du spectre. Nous avons besoin de plus de scientifiques. Nous avons besoin de personnes qui développent cette technologie de pointe. Nous avons besoin de personnes qui assurent la transition tout au long de la chaîne d’approvisionnement agricole.
Le président : Vous avez une réponse.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Caron; si j’ai le temps, j’aurai une seconde question.
Cette étude se concentre sur le rôle du gouvernement fédéral. Quel pourrait être le rôle des consommateurs, s’il y en a un? Ce que je comprends de vos propos, c’est qu’il y a énormément de pression sur les agriculteurs pour en faire plus et mieux et pour qu’ils fassent leur part. D’un autre côté, les Canadiens sont des consommateurs qui réclament des productions maximales, avec des prix compétitifs et des produits agroalimentaires parfaits. Y a-t-il une place pour la sensibilisation et pour l’éducation des consommateurs? Cela fait-il une différence? Est-ce important?
M. Caron : Merci pour la question. Les consommateurs, le public et les citoyens sont importants dans cette démarche pour qu’ils comprennent bien ce qu’on est en train de faire.
Bien souvent, on constate que lorsqu’on investit en agriculture, on voit cela comme une dépense. Au contraire, c’est un investissement dans le garde-manger et dans l’autonomie que l’on se donne comme population pour avoir des produits locaux. Souvent, on gère tout cela avec des ententes sociétales. Une des premières choses que les citoyens et citoyennes du Canada peuvent faire, c’est d’acheter des produits canadiens. C’est le premier geste à poser pour soutenir l’économie.
D’autre part, on se doit aussi d’éduquer la population par l’entremise du fédéral et de conclure des ententes avec les provinces. Quand je parle d’éducation, je parle des jeunes, qui doivent se rendre compte que les produits transformés et tous les écosystèmes en agriculture permettent d’assurer le déploiement des fermes partout au Canada dans toutes les régions rurales.
L’aspect économique est aussi très important. Dans les régions rurales, si l’agriculture n’est pas là, il n’y aura pas de développement économique et les écoles fermeront. Cet écosystème et les producteurs mettent en place l’ensemble des systèmes de mise en marché collective et de gestion de l’offre, et ainsi de suite. Il faut être capable de vulgariser tout cela et de faire comprendre aux gens l’importance de l’engagement. Cela demande davantage de soutien pour les entreprises — particulièrement pour les jeunes qui démarrent une entreprise —, et c’est très important de les soutenir. La production biologique, il faut la soutenir aussi. Au Québec et au Canada, il y a eu une augmentation de la demande pour les produits biologiques, mais il faut être capable de la soutenir.
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup. Ai-je encore du temps pour poser une autre question?
Le président : Oui.
La sénatrice Petitclerc : Je vais vous poser une question, madame Robinson.
Nous avons beaucoup parlé de l’importance de la recherche, et M. Caron nous disait qu’il faut continuer d’investir dans la recherche et dans les données.
Au-delà de tout ce qu’on devrait faire et de tout ce qu’on devrait faire mieux, est-ce qu’on est bon et performant dans la communication de ces informations? Si quelqu’un en Colombie-Britannique a fait une excellente recherche qui donne des résultats importants et efficaces, est-ce que tout le monde est au courant? Est-ce que le transfert des informations se fait bien partout au Canada?
[Traduction]
Mme Robinson : Je vous remercie de la question. Pour que ce soit clair, lorsque vous parlez de la « communication des informations », voulez-vous dire au sein du gouvernement?
La sénatrice Petitclerc : Non, je pense aux gens sur le terrain. Si quelqu’un a obtenu de bons résultats, recueilli de bonnes données et mené de bonnes recherches, sommes-nous efficaces pour communiquer — partout au pays — les meilleures pratiques et les meilleurs résultats?
Mme Robinson : Différents organismes s’en chargent. Certains sont des organismes gouvernementaux, qui sont plutôt bons pour la diffusion d’information à l’échelle du pays, d’autres sont des organismes privés — il y a une composante économique. Malheureusement, le privé prend de plus en plus de place, alors les coûts augmentent. Je dis malheureusement, mais peut-être que je ne devrais pas, parce que le secteur privé fait de l’excellent travail de recherche.
Il y a 20 ans, les producteurs avaient accès gratuitement à beaucoup de services de vulgarisation, à beaucoup de recherches et à beaucoup de données. Parfois, les données obtenues gratuitement n’ont pas autant de valeur que les données produites dans le secteur privé. Je crois que nous pourrions faire mieux en ce qui concerne la diffusion des données, mais, dans l’ensemble, je pense que le gouvernement fait du bon travail de diffusion à l’échelle du pays et ceux qui ont les moyens de payer pour des abonnements en profitent.
Le sénateur Cotter : J’ai beaucoup de questions, mais je sais que vous n’avez pas beaucoup de temps, madame Robinson, alors je crois que je vais vous poser une question plus large.
Plus nous discutons de cet enjeu, plus je suis convaincu de l’importance capitale de l’agriculture pour le pays — et de son lien avec la santé des sols. La sénatrice Simons aime répéter une observation un peu légère que j’ai faite au début lorsque j’ai dit que ma première réaction était de douter, mais que j’étais resté pour retrouver un peu d’espoir. Je vais faire une autre observation dans un instant.
J’ai l’impression que, malgré vos efforts, les efforts de tous les témoins et les efforts du président, l’importance pour la prospérité des producteurs, la santé de l’environnement, la sécurité alimentaire et le rôle pour l’avenir de l’économie canadienne n’a pas... Pendant que vous parliez, j’ai pensé à la chanson sur Vincent van Gogh :
Ils ne voulaient pas écouter; ils n’écoutent toujours pas
Ils n’écouteront peut-être jamais
Que pourrions-nous faire de plus pour communiquer ce message aux Canadiens au sujet de l’importance incroyable de ce pan de l’économie canadienne et du rôle que vos collègues et vous jouerez pour l’avenir du pays?
Mme Robinson : Merci, sénateur. Vous posez tous des questions incroyablement importantes et explosives.
Quand je pense à cette question, je pense à l’agriculture en classe, aux clubs 4-H et à tout ce que nous faisons dans ce domaine. Je pense à ce que nous pourrions faire en matière de sensibilisation des consommateurs afin d’aider ces derniers à comprendre. Je pense au fait que nous sommes vraiment chanceux d’avoir une ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire incroyable, Marie-Claude Bibeau, qui, à mon avis, n’est pas assez influente au sein du système. Je voudrais qu’il y ait une meilleure harmonisation et une plus grande reconnaissance de l’importance de la contribution de l’agriculture primaire dans à peu près tout, notamment les 135 milliards de dollars au PIB, ainsi qu’une reconnaissance de l’importance absolue des sols.
Pour ce qui est de mieux faire connaître l’importance du secteur, pendant la COVID, la fédération a entrepris le plus grand projet de son histoire intitulé Alimenter la réflexion. Nous l’avons financé seuls. Il s’agissait d’une campagne en deux volets s’adressant à la population et aux gouvernements qui visait à favoriser l’adoption de politiques pour l’amélioration de la situation dans le secteur de l’agriculture. Nous sommes conscients que des occasions existent dans les régions rurales et le projet visait également la sensibilisation des populations urbaines.
La COVID nous a mis la réalité en face, parce qu’il y a eu des pénuries alimentaires et, tout à coup, la vulnérabilité du système alimentaire canadien a été mise en lumière — les gens ont réalisé que le lait n’apparaissait pas par magie sur les tablettes. Le lait vient des vaches? C’est le genre de lien qui s’est fait dans l’esprit des gens. C’est assez risible, mais, malheureusement, c’est une des causes importantes du problème. Comme vous l’avez dit, vous aviez des doutes, mais vous vouliez retrouver l’espoir. Je crois que tous les Canadiens auraient le même raisonnement s’ils avaient une meilleure compréhension de l’importance des fondements du système alimentaire canadienne.
Le sénateur Cotter : Merci. Ce genre de sujet devrait être abordé à la télévision à heure de grande écoute.
Le président : J’aurais une question brève à poser. Vous avez entendu les questions au sujet des données et de leur diffusion à l’échelle du pays. La Fédération canadienne de l’agriculture et les organisations provinciales qui y sont liées ont-elles un rôle à jouer auprès des intervenants dans les provinces pour améliorer la diffusion des données sur la santé des sols? La fédération pourrait-elle faire quelque chose?
Mme Robinson : Ce n’est probablement pas le rôle de la fédération, monsieur le président; je dirais que c’est plutôt du ressort des organisations provinciales affiliées. Je sais que la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard a déployé des efforts à ce sujet et que l’Association des producteurs agricoles de la Saskatchewan a fait de l’excellent travail. Les gouvernements des provinces nous ont dit à quel point il était important que ces fédérations provinciales soient fortes et robustes et je pense que ce serait fantastique si ces organisations recevaient plus de financement afin de mener ce travail — elles pourraient également faire pression en bloc auprès du gouvernement pour obtenir des changements aux politiques visant à améliorer la santé des sols.
Le président : Merci.
La sénatrice Burey : Je remercie les témoins de s’être joints à nous aujourd’hui. J’ai été nommée récemment, alors tout cela est nouveau pour moi. Travailler avec mes collègues est très stimulant et je suis enthousiaste à l’idée d’en apprendre plus sur la grande importance de l’agriculture — pour l’économie canadienne, mais aussi pour la santé des enfants. Je suis pédiatre de formation et l’insécurité alimentaire est un enjeu très important pour moi.
Je voudrais revenir sur certaines des questions soulevées par les intervenants plus tôt en ce qui concerne le transfert des connaissances dont plusieurs ont parlé. C’est le même problème dans le domaine de la médecine et des soins de santé : trouver la façon de transférer les connaissances là où elles pourront être mises en application. Est-ce que l’un de vous — ou vous tous — pourrait nous dire ce qui pourrait être fait pour améliorer le transfert des connaissances? Comment ce transfert pourrait-il être rendu plus inclusif, c’est-à-dire être adapté aux exploitations de petite et moyenne tailles, aux nouvelles exploitations, ainsi qu’aux agriculteurs plus jeunes, noirs ou autochtones ou aux agriculteurs d’autres groupes racisés? Que pouvons-nous faire pour que ce transfert ait lieu? Qu’est-ce qui pourrait être fait pour diffuser ces connaissances et obtenir le financement requis pour améliorer ce transfert? Merci.
Mme Wilson : Je vous remercie de votre question. Oui, le transfert des connaissances et l’éducation sont d’une importance capitale. Les jeunes agriculteurs qui débutent vont peut-être essayer de faire ce que leurs parents faisaient ou de mettre en pratique certaines choses qu’ils ont apprises s’ils ont étudié en agronomie. Pour faire écho à certains des points soulevés par Mme Robinson au sujet du soutien des agronomes, il y a des agronomes dans les provinces et, au Nouveau-Brunswick, il y a des groupes sans but lucratif qui travaillent dans ce domaine pour le gouvernement. Il est essentiel de soutenir ces professionnels pour inciter les nouveaux agriculteurs — et peut-être les producteurs plus hésitants — à aller aux rencontres régionales, aux conférences et à tout ce qui leur est offert.
Il y a du travail à faire. Je ne saurais dire quelle serait la meilleure méthode, mais il est très avantageux de trouver des façons de réunir les agriculteurs pour discuter de ces questions.
[Français]
M. Caron : Merci pour la question. L’un de ces éléments, ce sont les laboratoires vivants. C’est l’un des outils qu’on a pu utiliser récemment avec le Fonds d’action à la ferme pour le climat, au moyen des budgets qui ont été mis en place. D’ailleurs, cela a permis à des Autochtones de faire partie du projet.
Cette façon de faire permet de mobiliser les chercheurs, les conseillers et les producteurs et d’aller vers un but commun. Même les gens de la communauté étaient là pour soutenir les producteurs en donnant de l’argent pour contribuer à leurs efforts. Ce concept est souvent géré par les organisations, comme l’a mentionné Mme Robinson. Il faut être capable de faire descendre cela à l’échelle des organisations de producteurs, parce qu’il n’y a pas mieux qu’un producteur pour en persuader un autre de changer ses pratiques. La base de données et les évaluations comparatives sont importantes pour ce qui est des indicateurs.
[Traduction]
M. Berrigan : Merci de votre question. Je pense que c’est une excellente question. Nous avons parlé des données et ces dernières représentent un élément important de cette discussion. La première étape est la collecte des données. Nous avons besoin d’information et nous devons continuer d’investir dans la recherche.
La deuxième étape, comme vous l’avez dit, est la communication de ces informations. Il ne suffit pas de recueillir les informations et de les conserver du côté du gouvernement ou ailleurs sans les communiquer à ceux qui en ont besoin. Il faut donc recueillir les données et les communiquer, mais dans un format que les Canadiens peuvent comprendre en vue de les mettre en application.
En ce qui concerne le transfert de connaissances, il y a différentes choses : nous devons aider les agriculteurs à communiquer des informations aux autres agriculteurs. Il n’y a pas que le gouvernement. Ce n’est pas la responsabilité exclusive du gouvernement. Il y a de bons exemples, comme l’Ontario Soil Network, un groupe d’agriculteurs qui ont décidé de mettre à l’essai différentes pratiques exemplaires à la ferme et qui communiquent ensuite les résultats aux autres agriculteurs ontariens dans des diffusions sur le Web et lors de différentes activités. Ils ont également des blogues et différents outils de diffusion des informations. Je crois que c’est une bonne chose, mais il y a plus. Les agriculteurs de toutes les origines ethniques, de toutes les races et de tous les sexes au Canada, comme vous l’avez dit, doivent comprendre qu’ils ne forment pas un groupe homogène. Ils forment un groupe très diversifié, de plus en plus diversifié.
La sénatrice Simons : J’aimerais poser une question à Mme Wilson, mais elle ne porte pas directement sur les sols. Vous avez dit que vous et votre mari êtes propriétaires d’un abattoir. Étant originaire de l’Alberta, j’ai beaucoup écrit et lu sur tout ce qui touche la concentration de notre industrie de conditionnement du bœuf. L’Alberta compte deux très grandes usines où se fait presque tout le conditionnement du bœuf au pays, et il y a aussi une plus petite usine à Guelph. J’imagine que cela occasionne d’importants défis pour les producteurs situés à l’extérieur de la région des Prairies dans l’Ouest.
Si l’on veut encourager un plus grand nombre de personnes à gérer des troupeaux, quel est le rôle des petits abattoirs réglementés à l’échelle provinciale pour diversifier l’accès à cette industrie. Je pense surtout aux producteurs de bœufs qui sont preneurs de prix et qui n’obtiennent pas des prix très élevés à l’heure actuelle alors que les consommateurs paient très cher pour cette viande. Selon vous, quel pourrait être le rôle d’un réseau de petits abattoirs provinciaux pour non seulement offrir un filet de sécurité aux producteurs, mais aussi une option aux consommateurs?
Mme Wilson : Je vous remercie de votre question. Oui, nous sommes propriétaires d’un très petit abattoir et il compte seulement trois employés. Notre clientèle est composée de ce type de consommateurs, c’est-à-dire des agriculteurs locaux qui veulent une option différente. Les petits abattoirs locaux sont la clé pour faire fonctionner un tel système, surtout si l’on veut restaurer le pâturage dans certaines de nos terres tout en augmentant la taille des troupeaux, par exemple, dans l’Est du Canada.
L’un des principaux défis pour les petits abattoirs est la lourdeur bureaucratique. Être propriétaire de ce type d’entreprise vient avec beaucoup de tracasseries administratives. Puisqu’il s’agit d’une industrie alimentaire, il y a évidemment des inspections et des permis. Toutefois, il y a aussi un grand nombre d’obstacles. Comme nous avons acheté un abattoir qui existait déjà, nous n’avons eu qu’à prendre le flambeau pour le faire fonctionner.
Je connais personnellement un jeune entrepreneur qui souhaite bâtir son propre abattoir, mais le coût de la construction à lui seul ne justifie pas l’investissement, même pour un petit bâtiment. La banque refuse de lui faire un prêt. Au Nouveau-Brunswick, il existe d’excellents programmes pour aider les entrepreneurs, peu importe leur âge, à établir leur propre abattoir. Je pense qu’il faut en faire plus, mais je ne pourrais pas vous avancer un nombre — peut-être arriver à 100 % de petits abattoirs? Idéalement, il faudrait aussi de plus petites entreprises pour les végétaux. Est-ce que les petits producteurs maraîchers devraient unir leurs forces et créer leur propre coopérative afin de vendre leurs produits? Je pense que le concept n’est pas limité aux producteurs de viande. Je pense qu’il existe beaucoup de possibilités qui ne sont pas encore mises à profit.
La sénatrice Simons : Monsieur Caron et monsieur Berrigan, plus tôt cette semaine, des témoins ont parlé d’un problème qui touche les précurseurs, notamment à quel point ils se sentent exclus des programmes incitatifs. Pourtant, comme l’a si bien expliqué Mme Robinson, ce sont eux qui ont pris les risques, qui ont investi leurs propres capitaux et qui ont fait les essais, parfois fructueux, parfois non, du moins, pas du premier coup. Aujourd’hui, ils voient leurs voisins qui traînaient de la patte et qui procrastinaient recevoir toutes sortes d’incitatifs quand ils adoptent les méthodes éprouvées par ceux qui ont tout risqué les premiers.
Comment pouvons-nous mettre en place un programme qui reconnaît l’importance de ces précurseurs ayant tracé la voie pour tous les autres sans récompenser uniquement ceux qui n’ont pris aucun risque?
[Français]
M. Caron : Merci pour la question. Je vais laisser M. Bernier y répondre.
Daniel Bernier, conseiller, Recherches et politiques agricoles – environnement, Union des producteurs agricoles : La question est bonne. Il est vrai qu’il y a des agriculteurs précurseurs qui investissent et prennent des risques, notamment en ce qui concerne le carbone. Certains ont commencé à séquestrer du carbone dans les sols depuis fort longtemps mais, avec les méthodes actuelles de rétribution et de reconnaissance, ce n’est pas nécessairement pris en compte.
Il faudrait trouver une formule pour reconnaître ces efforts, parce que ces gens ont assurément un rôle important à jouer dans l’évolution des pratiques agricoles. La formule reste à trouver. Il y a certainement des formes de rétributions qui pourraient être imaginées pour récompenser ces gens.
La sénatrice Simons : Merci.
[Traduction]
M. Berrigan : Sénatrice, c’est une excellente question, mais je n’ai pas une réponse satisfaisante à vous offrir. Le gouvernement a pris une décision. Il a déterminé une limite et je pense que c’est janvier 2017. Tout ce qui a été fait avant n’est pas reconnu, mais tout ce qui a été fait depuis l’est. Je comprends que le gouvernement doit établir un point de départ et qu’il est difficile de mesurer les paramètres. Toutefois, pour en revenir à ce que je disais plus tôt, les incitatifs sont la clé. Quel message le gouvernement envoie-t-il? Quelle est la valeur des incitatifs quand les efforts des précurseurs ne sont pas reconnus? La meilleure réponse que je peux vous offrir en ce moment est de vous dire que je partage votre frustration.
Le sénateur Klyne : J’ai une question pour Mme Wilson. Les jeunes agriculteurs doivent prendre en considération un grand nombre de facteurs pour faire rouler leur exploitation agricole. Je comprends que pour bien faire fonctionner une exploitation agricole, il faut travailler sans relâche et jongler avec d’innombrables priorités qui nécessitent une grande attention. Est-ce que la santé des sols est une priorité pour les jeunes agriculteurs?
Mme Wilson : Je vous remercie de votre question. J’hésite à répondre au nom de tous les jeunes agriculteurs. Comme j’ai étudié dans la santé des sols, c’est une priorité pour moi personnellement. Je crois que chaque agriculteur y accorde sa propre importance. La santé des sols, surtout le concept de la productivité des sols, devrait être la priorité pour tous les jeunes agriculteurs. Je pense que certains agriculteurs sont encore en processus d’apprendre l’importance de la santé des sols et de ce que cela signifie.
Je ne suis pas certaine si cela répond à votre question. Même si la terre est la priorité absolue pour tous les agriculteurs, il ne fait aucun doute que les agriculteurs, notamment les jeunes agriculteurs, doivent être mieux éduqués à propos de la santé des sols. Le concept de la santé des sols mérite que l’on y accorde une plus grande part sur le plan de l’éducation.
Le sénateur Klyne : Merci. J’allais vous demander si les agriculteurs utilisent des outils ou des processus en particulier. J’aimerais plutôt que vous répondiez à la question suivante. En ce qui concerne la santé et la productivité des sols, est-ce que les agriculteurs seraient intéressés par l’établissement d’incitatifs? Si oui, pensez-vous que ce sont les agriculteurs qui devraient faire leurs propres démarches ou croyez-vous plutôt que le gouvernement devrait jouer un rôle pour aider les jeunes agriculteurs à maîtriser la santé et la productivité des sols?
Mme Wilson : Ce sont d’excellentes questions. Je pense qu’il y a place à diverses approches en matière d’éducation dans ce domaine. Ce sont les personnes concernées, les jeunes agriculteurs, qui peuvent offrir les meilleures idées pour l’apprentissage au fur et à mesure du développement de nouvelles pratiques. D’après mon expérience, je peux prendre l’exemple de mon frère, un agriculteur, pour ce qui fonctionne très bien. Il collabore avec un agronome local associé au gouvernement provincial pour mettre en place des nouveaux programmes pour tester les sols et divers autres facteurs. C’est une très bonne manière pour lui d’élargir ses connaissances sur la santé des sols et l’importance de la fertilité de la terre.
C’est aussi une bonne manière de créer des liens entre les agriculteurs pour discuter de ces enjeux. Je pense qu’il y a des lacunes sur le plan du réseautage pour partager les meilleures pratiques et les idées. Offrir la possibilité aux agriculteurs de discuter dans le cadre d’un réseau leur procurerait un avantage considérable. Je ne veux pas blâmer qui que ce soit, mais dans cette période post-COVID, je dirais que nous avons besoin de connecter avec notre prochain. Je pense que c’est une avenue à explorer.
Le sénateur Klyne : Merci. Monsieur Bernier ou monsieur Caron, le Québec a une grande superficie géographique qui couvre, entre autres, Montréal jusqu’aux régions nordiques. Vos membres ont-ils rapporté des inquiétudes au sujet de l’état ou de la condition de la santé des sols en fonction de la région où se trouve leur exploitation agricole?
[Français]
M. Caron : Merci pour la question. Oui, cela a été discuté. On a fait des demandes au ministère de l’Agriculture du Québec pour s’assurer d’avoir un bilan, un portrait. D’ailleurs, on a quelques outils qui nous permettent d’aller un peu plus loin. On parle notamment de faire un bilan carbone neutre. Au Québec, on commence à avoir des outils qui nous permettent de voir un peu plus loin. Avec les sols argileux que nous avons au Québec, l’aspect de la compaction des sols est à considérer; il faut faire davantage de recherche de ce côté.
La sénatrice Petitclerc : Monsieur Berrigan, voulez-vous compléter l’information de tout à l’heure quant à l’efficacité et à la connaissance des bonnes expériences et des bonnes recherches partout au Canada?
[Traduction]
Je pense que vous vouliez approfondir ce sujet.
M. Berrigan : J’ai mentionné un peu plus tôt que certaines organisations sont déjà opérationnelles. J’en connais au moins une en Ontario où les agriculteurs partagent de l’information avec leurs homologues. C’est un instrument important qu’il faudra utiliser de plus en plus pour promouvoir l’adoption des meilleures pratiques de gestion. Un agriculteur accordera une plus grande attention à ce qu’un autre agriculteur lui dira à propos de ce qui fonctionne sur sa ferme. C’est plus pertinent que ce que n’importe quel représentant gouvernemental pourrait lui dire de faire ou de ne pas faire sur sa ferme. Le partage des meilleures pratiques de gestion d’un exploitant agricole à l’autre est un modèle très fructueux.
La sénatrice Petitclerc : Merci.
[Français]
Messieurs Caron et Bernier, j’aimerais parler des pesticides. Il n’est pas ici question de démoniser les pesticides. Lorsqu’on regarde le bilan du Canada sur les plans de l’utilisation, de la quantité, de l’encadrement et des restrictions en comparaison avec d’autres pays, surtout l’Europe, j’ai l’impression qu’il nous reste quand même du travail à faire. Nous reste-t-il du travail pour ce qui est de l’encadrement, de la quantité et des restrictions? Quelles sont les raisons qui pourraient expliquer que certains pays européens, par exemple, semblent performer mieux que nous? Comment pouvons-nous appuyer nos agriculteurs dans ce processus? Est-ce qu’on le fait bien? Est-ce qu’on devrait le faire mieux?
M. Caron : Merci pour la question. Je vais commencer et M. Bernier pourra compléter ma réponse, s’il le souhaite.
D’entrée de jeu, il faut mentionner qu’on a des outils, que ce soit au Québec ou au Canada. On a des indices de risque sur les plans de l’environnement et de la santé. On est les premiers acteurs en lien avec les pesticides. On performe quand même bien sur la scène internationale sur ce plan. On veut se servir de cet outil et le développer davantage, notamment pour montrer qu’on utilise des pesticides à moindre risque pour l’environnement.
On aurait avantage à faire la promotion de cet outil pour transmettre plus de connaissances face aux producteurs. La production biologique a augmenté et on utilise quand même des biopesticides; il y a, là aussi, une gestion à faire. C’est de la recherche, de l’innovation, et c’est vraiment vers cette tendance que l’on va. J’ai parlé un peu plus tôt de faire un bilan carbone. En faisant un bilan carbone, il y a d’autres indicateurs, dont l’utilisation des pesticides, qui sont importants. Nos entreprises agricoles sont un écosystème. On ne peut pas dire qu’on s’en va d’un côté ou de l’autre, et il faut voir la situation globalement et connaître les impacts pour tout un chacun. Monsieur Bernier, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Bernier : Pour compléter, je ne peux pas parler pour l’ensemble du Canada, mais je peux vous dire qu’on est passablement réglementé au Québec. On a des normes et il y a toujours une possibilité d’apporter des améliorations. Ce qu’on cherche à faire avec les pesticides, c’est d’en épandre le moins possible. On peut se comparer avantageusement à ce qui se fait dans le reste du monde.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Je remercie tous les témoins. Je me souviens que, au début des années 1970, j’avais la responsabilité de récolter des échantillons de sol de manière aléatoire dans un champ. Mon cousin me supervisait attentivement pour que je prenne des échantillons partout, pas juste dans un coin. Je me rappelle à quel point, même sur une terre louée, il accordait une grande importance à la santé des sols. C’était il y a 50 ans.
Je suis troublé de constater que notre savoir n’est pas intégré dans nos politiques ou nos lois. Nous n’appliquons pas les nouvelles connaissances acquises. J’ai commercialisé le fruit de recherches dans de nombreux secteurs, par conséquent, je connais tout le travail que cela nécessite. Je pense qu’Ottawa fait preuve d’une naïveté extrême en ce qui concerne tout le travail à faire pour intégrer les connaissances à l’échelle d’une industrie. Les politiques doivent protéger les intérêts directs des intervenants et régler leurs gros problèmes pour les inciter à utiliser les connaissances ou encore récompenser les intervenants pour leurs bonnes pratiques.
Depuis le début de l’audience, je me suis fait une bonne idée de la question, mais pourriez-vous me dire à quel point nous réglons les problèmes et récompensons les bonnes pratiques au Canada. De toute évidence, on ne le fait pas du tout, que ce soit avec des politiques ou des lois, dans le domaine de la santé des sols. Nous n’avons guère plus de succès pour améliorer les revenus agricoles et la séquestration du carbone dans l’industrie. Chacun votre tour, pouvez-vous nous faire un bref survol des 50 dernières années et expliquer à quel point peu de progrès ont été réalisés.
M. Berrigan : Merci pour la question, sénateur. Je vais commencer au même point que vous. En ce qui concerne l’échantillonnage du sol et le fait de veiller à saisir l’ensemble du champ — pour revenir à un point précédent — l’agriculture de précision est une grande partie de la solution lorsqu’il s’agit de protéger et de préserver les ressources en sols au Canada. Les technologies agricoles de précision permettent entre autres l’application à taux variable et l’application d’azote, ce qui évite de trop pulvériser un champ — toutes sortes de choses. Ce qu’elles peuvent faire est vraiment extraordinaire. Mais nous devons mettre en place de bonnes mesures incitatives pour favoriser l’adoption de ces technologies. Je m’éloigne un peu du sujet ici, mais je pense que c’est important.
Pour en revenir au projet de loi C-244 et au droit de réparer les machines, il faut inciter les agriculteurs à continuer d’adopter les technologies agricoles de précision. S’ils ne sont pas encouragés à le faire parce qu’ils ne sont pas en mesure de réparer leurs machines — lors des courtes périodes où les conditions météorologiques le leur permettent — l’adoption de cette technologie s’en voit freinée et, au bout du compte, la santé du sol s’en ressent.
Pour ce qui est de votre question plus générale sur la façon dont nous pouvons collectivement résoudre le problème, je dirai qu’il s’agit d’un problème compliqué. Il y a des questions de compétence provinciale et fédérale. Il s’agit également d’une question régionale. M. Caron y a fait allusion tout à l’heure — les problèmes liés aux sols varient selon la région du pays.
Je n’ai pas de réponse à votre question, car elle est très complexe, mais continuer à collecter des données, comme je l’ai dit plus tôt, à partager ces informations et à aider les agriculteurs à partager ces informations avec d’autres agriculteurs, est une grande partie de la solution.
Le sénateur C. Deacon : Est-il juste de dire que si nous n’exploitons pas les intérêts des agriculteurs, si nous ne résolvons pas leurs grands problèmes et si nous ne récompensons pas les pratiques exemplaires au moyen de la réglementation et des politiques, nous ne ferons pas beaucoup de progrès?
M. Berrigan : Oui, évidemment. C’est juste.
Le sénateur C. Deacon : Merci.
[Français]
M. Bernier : Tout le monde est pour la vertu, mais il reste que, pour l’exploitant d’une ferme, sa plus grande préoccupation est la rentabilité. On a donc un enjeu économique devant nous. Les modifications et la complexité des systèmes qu’on demande aux producteurs agricoles de mettre en place sont beaucoup plus importantes. Comme on l’a dit, il y a véritablement un défi de rentabilité à court terme. C’est là que l’État doit intervenir pour soutenir cette transition.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Pour être juste, je ne pense pas qu’il soit bon de compter sur les intérêts des agriculteurs pour servir la société. Nous devons les aider à le faire. Cela vaut-il aussi pour les jeunes agriculteurs?
Mme Wilson : C’est tout à fait vrai.
Le sénateur Cotter : Initialement, je voulais poser une question au sujet des jeunes agriculteurs. Je pense à cela du point de vue de la Saskatchewan en particulier. Vous avez mentionné que les jeunes agriculteurs ont de la difficulté à se lancer dans l’agriculture et à y rester.
Les exploitations agricoles sont de plus en plus grandes. L’investissement en capital est énorme. Des interventions occasionnelles — de la part du gouvernement — pour tenter de limiter cela ont généralement échoué et, dans certains cas, ont été dénoncées, même par les communautés agricoles. Existe-t-il des moyens, des mécanismes ou des rôles que les gouvernements peuvent adopter sans trop perturber les forces du marché à cet égard?
Pendant que j’y suis, je vais poser ma deuxième question, qui découle directement de certaines observations de Mme Robinson. Elle a indiqué que, dans certaines régions, la séquestration de carbone est en baisse, mais, d’après ce que j’ai compris de certains témoignages précédents, dans l’Ouest — où il y a eu des processus continus de cultures annuelles et autres — la séquestration de carbone a été considérable.
Monsieur Berrigan, pouvez-vous d’abord répondre à ma question sur les jeunes agriculteurs?
Mme Wilson : Merci de votre question. Il est difficile de trouver un équilibre entre l’aide et les encouragements que nous pouvons apporter et la possibilité de demeurer compétitif.
Toute aide serait préférable au statu quo prôné par les autorités en place. Certaines provinces font des choses vraiment intéressantes. Au Nouveau-Brunswick, la fédération agricole — l’Alliance agricole du Nouveau-Brunswick — a mis sur pied de très bons programmes pour aider les jeunes agriculteurs à trouver des mentors et à entrer en contact avec des agriculteurs existants qui cherchent peut-être à transmettre des choses et à aller de l’avant. Je pense qu’il y a des possibilités à cet égard.
Je ne peux pas vraiment dire à quoi cela ressemblerait, mais nous ne pouvons pas ignorer l’âge des agriculteurs et les défis dont me parlent les jeunes agriculteurs. Cette question est trop importante pour qu’on l’ignore.
Le sénateur Cotter : Vous avez mentionné notamment les agriculteurs plus jeunes, plus instruits, plus progressistes et peut-être plus ouverts aux nouvelles idées. D’après vous, l’accès au capital pour les personnes qui se lancent dans l’agriculture constitue-t-il un obstacle potentiel?
Mme Wilson : C’est un énorme défi à mon avis. Pour certains, c’est peut-être faisable — mais, en général, c’est impossible pour bon nombre d’entre eux, je dirais. Je ne peux pas parler pour tout le monde, mais, d’après mon expérience, c’est l’un des principaux défis.
Le sénateur Cotter : Merci, madame Wilson.
M. Berrigan : Merci de poser cette question. D’après ce que nous comprenons des données d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, deux choses se sont produites. Premièrement, il s’agit de savoir quand on commence à compter. Je pense que vous avez tout à fait raison de dire qu’il y a eu d’énormes progrès, particulièrement dans l’Ouest canadien au cours des 20 ou 30 dernières années, dans la quantité de séquestration qui se produit dans nos sols — en raison de l’adoption croissante de pratiques de conservation du sol, comme la culture sans travail du sol et la culture en bande, ainsi que de l’augmentation de la jachère d’été, qui consiste à laisser un champ intact.
Dans l’Est du Canada — où bon nombre de ces pratiques exemplaires ont été adoptées — d’autres tendances concurrentes font contrepoids et nous tirent un peu vers le bas dans l’Est du Canada. Comme Mme Robinson y a fait allusion, nous avons considérablement réduit la taille des troupeaux dans l’Est du Canada à la suite de l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou maladie de la vache folle. Les producteurs laitiers sont également devenus beaucoup plus efficaces pour produire plus de lait avec moins de vaches, de sorte qu’ils ont besoin de moins de superficie pour soutenir un troupeau. Nous avons également constaté une augmentation — et une plus grande stabilité — des prix d’un grand nombre de cultures commerciales. Il est tout simplement plus rentable de cultiver du maïs et du soja dans l’Est de l’Ontario.
La sénatrice Simons : Je veux revenir sur ce qu’a dit M. Berrigan. J’étais journaliste à Edmonton au début de la crise de l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou ESB. Je suis perplexe d’entendre qu’il s’agit encore d’un facteur dans les troupeaux de l’Est, étant donné qu’aucun cas, dont je me souvienne, n’a été trouvé dans le bétail de l’Est, et que le problème s’est résolu de lui-même grâce à de nouvelles normes strictes en matière d’alimentation animale. Tous les marchés asiatiques se sont rouverts au bœuf canadien. Pourquoi pensez-vous que l’ESB est encore un facteur dans l’Est du Canada? Cela me laisse perplexe.
M. Berrigan : Je vous remercie de cette question. D’après ce que j’ai compris, ce n’est pas nécessairement qu’il y a présence d’ESB; le problème n’est pas là. C’est simplement que la réduction des stocks a été spectaculaire lorsque la crise a éclaté en 2006. Il y a eu une réduction de 22 % — 3 millions de têtes de bétail — lorsque cela s’est produit, ce qui a réduit de façon spectaculaire la quantité de pâturages dont il fallait disposer pour nourrir le bétail. Cette réduction, combinée à la grande instabilité des marchés et des prix du bétail au niveau international, a dissuadé de nombreux éleveurs locaux de vaches à lait d’investir dans l’accroissement de leur cheptel. Le délai de mise en œuvre est énorme, car il faut beaucoup de temps pour augmenter un troupeau. D’après ce que je comprends, il s’agit simplement d’une répercussion de la réduction massive du début des années 2000 qui a limité la taille du troupeau.
La sénatrice Simons : Cela m’étonne beaucoup, car il y a eu des réductions de troupeaux en Alberta, absolument, mais personne n’a jamais trouvé de vache atteinte de la maladie à prion dans l’Est du Canada. Je n’aurais pas pensé que les troupeaux de l’Est avaient été touchés. C’est intéressant de vous entendre dire cela. Je suis étonnée.
Le sénateur C. Deacon : Merci encore aux témoins. Il s’agit d’une réunion très importante, à mon avis.
Madame Wilson, j’aimerais me concentrer sur le défi que représente le fait qu’un grand nombre de nos agriculteurs ont la même couleur de cheveux que moi, mais que nous ne voyons pas les mêmes transferts intergénérationnels qu’autrefois, et ce, malgré l’adoption du projet de loi C-208.
Je m’inquiète pour les jeunes. La prochaine génération d’agriculteurs est issue de familles d’agriculteurs du passé. Je m’inquiète du fait que nous ne créons pas les conditions pour qu’un nombre suffisant d’entre eux aient envie de prendre la relève. Bon sang, il doit être très difficile d’entrer dans cette industrie si vous n’y avez pas grandi, car une grande partie des connaissances et des compétences sont transmises. Le travail des enfants était certainement une chose courante dans la ferme familiale où j’ai grandi; on apprenait à un très jeune âge.
Je veux parler de ce défi, et y réfléchir véritablement, et des possibilités croissantes qu’offrent l’agriculture et l’élevage si nous adoptons une autre approche pour gérer les réglementations et les politiques afin d’inciter les agriculteurs à appliquer les pratiques exemplaires de pointe, comme il est nécessaire de le faire — et de reconnaître cela en eux, les récompenser et réduire les risques en conséquence.
Pouvez-vous parler des défis dont il a été question au cours de cette réunion dans le contexte du recrutement de la prochaine génération d’agriculteurs, qui doit s’accélérer, car nous en avons besoin, pour que nous puissions manger?
Mme Wilson : Je vous remercie de votre question. Nous sommes certainement à un moment décisif. Nous aurons besoin que des jeunes qui ont grandi en milieu urbain deviennent agriculteurs. J’ignore quelle est la solution exactement, mais je pense qu’Agriculture en classe joue un rôle important.
Il faut changer la perception que les jeunes et les enfants ont des agriculteurs. L’une des initiatives d’Agriculture en classe consiste à faire venir de jeunes agriculteurs dans les écoles secondaires et élémentaires pour que les élèves puissent voir leur visage et se dire : « Ce pourrait être moi. Ce n’est pas seulement pour mon grand-père ou mon oncle ou je ne sais qui d’autre. » Je crois qu’il faut changer la perception. Nous faisons des progrès à ce chapitre. Cela joue certainement un rôle. L’éducation est si essentielle.
Au Nouveau-Brunswick, un cours d’agriculture sera enfin offert dans les écoles secondaires. Jusqu’à aujourd’hui, nous n’en avions pas. Il faut faire de cela une priorité. Il faut éduquer les jeunes à propos de la réalité de l’agriculture et des possibilités dans le domaine.
La sénatrice Burey : Je remercie encore une fois nos témoins. J’en apprends beaucoup, ce qui est excellent. J’ai quelques questions pour MM. Caron et Berrigan.
Nous avons le même problème dans le domaine de la santé. Je vous le dis, c’est un problème dans l’ensemble du système. Je reviens à la transmission du savoir et à l’importance de faire en sorte que les gens sachent ce qui existe. J’ai entendu divers programmes mentionnés, mais ce que j’ai entendu de la part de témoins précédents, c’est qu’ils n’étaient pas au courant de l’existence de ces programmes ni ne savaient comment toucher du financement.
Monsieur Berrigan, le gouvernement devrait-il intervenir pour faire en sorte que vous ayez un tableau de bord ou un ensemble de données pour ces programmes afin de les offrir à plus grande échelle, que ce soit par l’intermédiaire des producteurs ou de divers organismes et de les faire connaître à toute la diversité des membres des communautés? Car, évidemment, j’examine toujours les questions sous l’angle de l’égalité.
Le prochain point en lien avec cela, ce sont les programmes de financement offerts. Des témoins nous ont dit qu’ils ne connaissaient l’existence d’aucun de ces programmes ou que divers obstacles les empêchaient d’y accéder.
Ma dernière question porte sur les statistiques à savoir qui accède à ces programmes. Je crois que M. Caron a mentionné certains de ces programmes, notamment de l’Initiative des laboratoires vivants et Farmgate pour les groupes autochtones et les associations de producteurs. Compilez-vous des statistiques? Merci beaucoup.
[Français]
M. Caron : Merci pour la question. Pour la première question, je vous dirais que les outils... Je ne l’ai peut-être pas mentionné plus tôt, mais au Québec, on commence à avoir des caravanes qui se nomment Caravane Santé des sols. Elles se déplacent dans les régions et invitent les producteurs à collaborer. C’est lié également aux laboratoires vivants qui sont là. Il y a là quelque chose de vraiment très intéressant, et on peut aller plus loin.
J’ai mentionné plus tôt que le gouvernement fédéral devrait fonctionner davantage avec des organisations provinciales, comme les organisations de producteurs agricoles. J’y crois fermement, parce qu’il y a un lien de communication qui se crée. Je pense que c’est une façon de s’assurer que nos gens sont bien au courant des programmes et des incitatifs.
En matière de suivi, en même temps, les organisations doivent rendre des comptes, et c’est ce qui nous permet d’avoir des indicateurs et des points de repère pour les prochaines années, de connaître la tendance et de déterminer s’il peut y avoir une augmentation par rapport à tout cela. Il y a un élément que je tiens à souligner, parce qu’on n’en a pas encore beaucoup parlé, mais il ne faut pas oublier qu’on est actuellement dans un système inflationniste, avec la hausse des taux d’intérêt.
Donc, la santé des sols est importante pour les producteurs agricoles. Toutefois, avec l’inflation actuelle, l’impact économique et financier est énorme pour nos entreprises. Le soutien aux producteurs et aux entreprises agricoles, dans ces circonstances, est très important. Je songe particulièrement aux jeunes, qui vivent une situation d’autant plus difficile, car leur endettement est beaucoup plus élevé.
Nous avons vu quand même une augmentation du nombre de fermes. Au Québec, nous n’avions pas vu d’augmentation depuis les années 1940. Or, cette année, le nombre a augmenté à environ 460 fermes. On voit qu’il y a un engouement, mais il faut des programmes de gestion de risques pour les entreprises bien établies, afin de les soutenir.
[Traduction]
M. Berrigan : Je vous remercie de la question, sénatrice. C’est une bonne question. Vous avez demandé si le gouvernement fait ce qui s’impose pour sensibiliser la population et diffuser l’information concernant les programmes et le financement offerts aux agriculteurs. Selon moi, il s’acquitte plutôt bien de ces tâches. Ce n’est pas facile, car les programmes changent constamment, n’est-ce pas? Il y a toujours du nouveau financement. Souvent, les programmes changent de nom. Il est difficile pour les producteurs, au niveau de l’exploitation, de se tenir à jour à l’égard des diverses sources de financement possibles et des critères d’admissibilité à chacune d’entre elles. Ces dialogues se tiennent dans deux mondes différents, ce qui pose un défi. C’est là que les associations locales et provinciales de producteurs, jusqu’à l’agrologue et au conseiller agricole certifié — puisque nous mettons l’accent sur l’agronomie ou la santé des sols —, ont un rôle à jouer pour aider les agriculteurs à s’y retrouver. Il y a toujours place à l’amélioration.
Pour ce qui est de la surveillance et de la collecte de données, je sais que le gouvernement recueille ce qu’on appelle des données aux fins de l’analyse comparative entre les sexes à l’égard de tous ses programmes. Ces données ne tiennent pas qu’au sexe des personnes qui se prévalent des programmes. Elles incluent leur âge, leur profil démographique, leurs origines ethniques et tout le reste. Le gouvernement devrait avoir cette information. J’espère qu’il s’en sert pour concevoir ou adapter ses programmes afin de les faire rayonner dans tous les coins de notre communauté pour que tous ceux qui en ont besoin puissent accéder à ce financement. Car il existe bel et bien.
La sénatrice Burey : Pourrions-nous avoir ces statistiques? Y a-t-il un moyen de nous les communiquer?
M. Berrigan : Bonne question. Je poserais la question au gouvernement du Canada; au ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire, plus précisément.
Le président : Sénatrice Burey, vous avez posé cette question mardi soir, n’est-ce pas?
La sénatrice Burey : Oui, effectivement.
Le président : Nous verrons ce que nous obtiendrons.
Le sénateur C. Deacon : Je reviens encore une fois aux premiers à avoir adopté les pratiques exemplaires qui, dans les faits, sont pénalisés parce que nous récompensons les retardataires. Selon moi, étant donné que le carbone des sols n’est pas permanent et évolue constamment, nous avons l’occasion ici de récompenser les agriculteurs en fonction du taux net de carbone dans leurs sols. On les récompenserait pour le maintien et l’augmentation de ce taux net. Ainsi, on récompenserait les pionniers sans dissuader les retardataires. Qu’en pensez-vous?
Je n’en reviens pas que les décideurs aient pu penser que l’approche actuelle est efficace pour atteindre notre objectif commun. Je demanderais à M. Berrigan de répondre le premier, mais j’aimerais vraiment savoir ce que tous les témoins pensent de cela.
M. Berrigan : Je vous remercie de la question, sénateur. Je crois que votre proposition est judicieuse. Franchement, j’adorerais discuter avec le gouvernement pour comprendre comment et pourquoi il est parvenu à cette conclusion à savoir où tracer la ligne déterminant à compter de quelle date il reconnaît certaines des pratiques de gestion les plus exemplaires favorisant la séquestration.
Le sénateur C. Deacon : Ce n’est vraiment pas logique quand on y pense, n’est-ce pas?
M. Berrigan : Je suis convaincu que diverses options ont été envisagées. J’aurais aimé entendre cette conversation pour comprendre comment les décideurs en sont parvenus à cette conclusion. Je suis convaincu qu’ils avaient des raisons d’agir ainsi, alors donnons-leur le bénéfice du doute.
À mon avis, l’industrie privée et les nouvelles technologies ont un rôle à jouer pour ce qui est de mesurer les émissions directement dans les exploitations agricoles, ce qui nous éviterait de tomber dans une discussion sur l’établissement d’une moyenne pour l’ensemble du pays, car, comme l’a mentionné M. Caron tout à l’heure, les chiffres varient beaucoup d’une région à l’autre. C’est tellement nuancé. Chaque exploitation agricole est différente. Selon ce que je comprends, cette technologie existe. Il serait formidable que nous puissions trouver un moyen d’appuyer l’adoption de cette technologie dans les exploitations agricoles de sorte que chaque agriculteur dispose de l’information voulue pour déterminer son rendement en matière de réduction des émissions de façon plus générale.
[Français]
M. Caron : Pour répondre spécifiquement à la question, je vous dirais qu’il y a peut-être une façon de faire. On pourrait procéder avec une déclaration de conformité. C’est une pratique qui existe au Québec, mais qu’on pourrait l’utiliser au fédéral. Le producteur déclare depuis combien de temps il mène des activités de séquestration ou d’autres travaux qui ont produit un bienfait. Il s’agit d’une déclaration. Il peut ensuite y avoir une validation de la part des conseillers sur l’entreprise. Il existe des façons de simplifier les choses et de reconnaître ces pionniers qui ont vraiment contribué aux efforts. Je pense aux producteurs biologiques, qui ont fait beaucoup d’efforts à cet effet.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Pensons également à l’industrie de l’élevage bovin et aux prairies. Pensons au bœuf durable, de même qu’à la Table ronde canadienne sur le bœuf durable, et au fait que les terres que ces producteurs exploitent ont une longue histoire de séquestration du carbone. Lorsque ces terres sont transformées en champs de culture de canola, cela libère le carbone. Bien des gens pensent que le bœuf a une incidence négative sur l’environnement. Selon moi, c’est une idée fausse découlant de la désinformation. On voit l’élevage de bovins dans les prairies de l’Ouest du même œil que la coupe à blanc de la forêt pluviale au Brésil. Or, c’est loin d’être la même chose.
Comment remédier à cela dans nos décisions stratégiques? Comment mieux éduquer la population? Je crois que la Table ronde canadienne sur le bœuf durable fait de l’excellent travail à cet égard, mais il faut faire plus. Pourrais-je demander à chacun de vous ce que vous en pensez?
M. Berrigan : C’est une excellente question. On a l’impression qu’il existe une contradiction. Une partie de la solution consisterait à faire connaître davantage les diverses façons dont les éleveurs de bovins du Canada améliorent la durabilité de leurs activités d’exploitation, notamment en ayant recours à de nouvelles technologies ou à des additifs alimentaires qui réduisent les émissions de méthane. Il n’y a pas de solution simple. Même si les faits semblent parfois se contredire, je crois que ce secteur a réalisé d’énormes progrès. Cela dit, il reste encore beaucoup à faire.
[Français]
M. Caron : J’ajouterais deux éléments. Pour ce qui est du bovin, on parle souvent du méthane créé en raison du fumier. Chaque fois qu’on travaille le sol, on libère du monoxyde d’azote. Or, cette substance est beaucoup plus dommageable que le méthane. Il faut donc plus d’information et de formation à ce sujet, et il faut un écosystème. Si nous voulons que nos producteurs biologiques fassent fonctionner leurs exploitations, il faut du fumier; c’est un cycle. On doit valoriser davantage nos productions animales, qu’il s’agisse du bovin ou de la production laitière.
[Traduction]
Le président : Merci. Chers collègues, il n’y a plus de questions. J’aimerais donc remercier M. Caron, M. Bernier, Mme Wilson et M. Berrigan. Je vous prierais de communiquer nos remerciements à Mme Robinson également. Merci beaucoup de votre participation d’aujourd’hui. Nous sommes très reconnaissants de votre assistance dans cette étude. Cela nous aide grandement. J’aimerais remercier les membres du comité de leur participation active et de leurs questions toujours aussi bien réfléchies. Je vous en suis très reconnaissant.
Je remercie également le personnel présent dans la salle : les traducteurs, les interprètes, ceux qui font en sorte que les gens puissent regarder nos délibérations sur Internet, notre page, l’équipe de radiodiffusion et tous les autres. Merci beaucoup.
Notre prochaine réunion aura lieu le mardi 7 mars, à 18 h 30, où nous entendrons d’autres témoins aux fins de l’étude du comité sur la santé des sols. Nous poursuivons brièvement à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)