LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 11 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada; et à huis clos, pour étudier un projet d’ordre du jour (travaux futurs).
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous. J’aimerais commencer par souhaiter la bienvenue à chacun des membres du comité, ainsi qu’à ceux qui regardent cette réunion sur le Web et à notre témoin d’aujourd’hui. Je m’appelle Robert Black, sénateur de l’Ontario, et j’assume la présidence de ce comité.
Aujourd’hui, le comité poursuit son examen de l’état de la santé des sols au Canada.
Avant d’entendre notre témoin, j’aimerais commencer par demander à mes collègues de se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Simons : Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, territoire du Traité no 6. Bonjour.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario. Bonjour.
La sénatrice Duncan : Sénateur Pat Duncan, du Yukon. Bonjour.
Le sénateur Klyne : Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4. Bonjour et bienvenue à notre invité.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Sénatrice Chantal Petitclerc, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Jaffer : Mobina Jaffer, de la Colombie-Britannique. Bienvenue à tous.
Le sénateur Oh : Sénateur Oh, de l’Ontario. Bonjour.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse. Bonjour.
Le président : Chers collègues, je vous rappelle que, si vous éprouvez des difficultés techniques, notamment du côté de l’interprétation, il est important de m’en informer ou d’en faire part à la greffière, pour que nous puissions régler le problème. Il se peut que nous devions suspendre la séance pendant ce temps‑là, mais il se trouve que nous avons eu beaucoup de chance jusqu’à présent.
Nous accueillons aujourd’hui Donald Killorn, directeur général de la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard. Monsieur Killorn, je vous invite à présenter votre exposé. Je vous ferai signe d’une main lorsqu’il vous restera environ une minute, et, quand je lèverai les deux mains, il sera temps de penser à conclure. Sur ce, vous avez la parole.
Donald Killorn, directeur général, Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard : Merci, monsieur le président. Au nom de nos membres, je tiens à vous remercier de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui.
La Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard représente 500 familles agricoles et 17 groupements de producteurs spécialisés dans l’Île. Notre mission est d’améliorer la pérennité des exploitations agricoles et des familles agricoles et de promouvoir la production durable d’aliments dans l’Île-du-Prince-Édouard.
Si j’ai bien compris, votre comité est en train d’examiner l’état de santé des sols au Canada afin de circonscrire des moyens de l’améliorer et de permettre aux producteurs canadiens de devenir des exemples en matière d’agriculture durable.
On sait que, pour concevoir un système durable, il faut gérer le capital économique, environnemental et social et évaluer le mode de gestion du système. Il faut comprendre les facteurs et les contraintes liés à l’adoption de nouvelles pratiques et veiller à promouvoir des changements positifs.
Agriculture et Agroalimentaire Canada publie un indicateur de changement du carbone organique du sol, selon lequel la teneur en carbone des sols de l’Île-du-Prince-Édouard est en train de baisser et ce de façon spectaculaire dans certaines régions. C’est un capital précieux qu’il faut pouvoir mesurer et gérer. Le renversement de cette perte de capital liée à la teneur en carbone est essentiel à la pérennité de notre secteur d’activité.
Comme beaucoup d’entre vous le savent, l’agriculture est le mode de vie de l’Île-du-Prince-Édouard. Les fermes appartiennent très souvent à la même famille depuis sept générations. Ce secteur d’activité occupe 40 % des terres et représente 33 % du PIB et 25 % des émissions, soit environ 315 000 tonnes d’équivalent CO2 par an. Ces pourcentages sont tous beaucoup plus élevés que la moyenne nationale, et c’est pourquoi notre secteur d’activité joue un rôle démesuré dans notre province.
Tout ce qui touche à la teneur en carbone des sols et aux changements climatiques a, bien évidemment, un lien avec les activités de nos membres et avec l’agriculture partout au Canada. Dans l’île, ce secteur a subi une série d’intenses phénomènes climatiques, dont l’ouragan Dorian en 2019, une sécheresse importante en 2020 et l’ouragan Fiona en 2022, dont nous sommes encore en train de nous remettre. Ces phénomènes de plus en plus graves ont incité les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard à prendre des mesures pour atténuer les changements climatiques et s’y adapter.
Le gouvernement de l’Île-du-Prince-Édouard a fixé un objectif de carboneutralité pour notre province, la première au Canada. Il veut que la province soit carboneutre d’ici 2040 et, pour ce faire, il a demandé aux agriculteurs de réduire leurs émissions d’au moins 35 %, soit presque 105 000 tonnes de CO2 par an.
L’an dernier, la fédération a commencé à mettre en œuvre le Fonds d’action à la ferme pour le climat ou FAFC, que vous connaissez bien. Nous avons réussi à aider les agriculteurs à commencer à adopter des pratiques de gestion exemplaires pour réduire les émissions. Cette année, la participation est importante, et les projets sont de grande qualité. Nous avons déjà attribué les fonds pour cette année. Cette initiative a été bien accueillie, et nous en sommes heureux. Cependant, comme vous le savez, cette mesure ne permet pas de faciliter l’adoption prolongée de ces pratiques. Elle n’en facilite que l’adoption initiale.
Nos agriculteurs, comme beaucoup d’autres au Canada, vendent leurs produits à certaines des plus grandes entreprises du monde. Ces acheteurs font face à des pressions croissantes pour gérer leurs émissions. Cette pression se fait sentir en amont, et les agriculteurs commencent à être confrontés à des méthodes et à des mécanismes de tarification différents pour encourager la réduction des émissions de carbone dans leurs exploitations.
Comme organisation d’agriculteurs, la fédération travaille au nom de ses membres pour mieux comprendre ce paysage du carbone agricole. Nous subissons les pressions du gouvernement et du marché, et il est urgent d’atténuer les changements climatiques et de s’y adapter. En réponse, nous venons de publier un rapport intitulé Pathway to 2040. Ce document combine des ensembles de données provinciales sur la production et l’utilisation des terres au moyen de l’outil de modélisation Holos d’AAC, qui permet de calculer les émissions de gaz à effet de serre à l’échelle d’une ferme. On a ensuite modélisé ces données pour comprendre l’incidence de la mise en œuvre de pratiques de gestion exemplaires sur les émissions de notre secteur d’activité.
Ce travail a été effectué par un agriculteur de l’île. C’est un travail exceptionnel qui nous a permis de mieux comprendre ce qui est possible en matière de gestion des émissions à l’échelle de l’île, notamment du côté de la teneur en carbone des sols. Nous savons maintenant que nous avons le potentiel de réduire les émissions à raison de 140 000 tonnes — c’est-à-dire plus que l’objectif provincial — si nous pouvons effectivement encourager notre secteur à adopter des pratiques de gestion exemplaires dont beaucoup sont déjà financées grâce au FAFC, mais qui, toutes, sont admissibles à du crédit sur les plus grands marchés volontaires de crédits du carbone dans le monde, et c’est une formidable occasion d’accroître le carbone des sols de l’Île‑du-Prince-Édouard.
Nous avons modélisé nos émissions annuelles moyennes de GES — les gaz à effet de serre — par hectare pour nos systèmes de culture primaire et nous avons décomposé ces résultats en énergie, en oxyde nitreux et en carbone du sol. Nous avons constaté que nous pouvons simultanément adopter des pratiques permettant de réduire l’azote, de séquestrer le carbone et d’adapter les rotations des cultures pour réduire de plus de 40 000 tonnes les émissions provenant des cultures. Les agriculteurs de l’Île-du-Prince-Édouard disposent maintenant de données solides pour étayer les décisions portant sur la gestion du carbone des sols.
Nous avons également appris que, en modifiant le logement, la gestion du fumier et les habitudes alimentaires du bétail, nous pourrions réduire ces émissions de 100 000 tonnes. C’est majeur. L’intégration du bétail à notre production agricole est un moyen d’atteindre nos objectifs en matière de carbone, mais nous devons être en mesure d’inciter les agriculteurs à adopter cette pratique et à en faire profiter la société. Le FAFC peut aider à éliminer les risques liés à l’adoption de pratiques de gestion exemplaires au départ, mais il faut faciliter l’accès aux marchés du carbone pour s’assurer que ces pratiques produiront des dividendes réels et durables pour les agriculteurs.
Nous avons commencé à travailler avec les agriculteurs pour élaborer des projets pour le marché volontaire du carbone afin de faciliter ces changements de pratique au-delà de l’admissibilité au FAFC. Nous le faisons en partenariat avec les exploitants du secteur forestier de l’Île-du-Prince-Édouard, dont beaucoup sont aussi des agriculteurs. Nous le faisons en sachant qu’Environnement et Changement climatique Canada travaille à l’élaboration du protocole d’augmentation de la matière organique des sols dans le cadre du Système fédéral de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre. Cela permettra aux producteurs d’obtenir plus pour leur carbone que ce que le marché volontaire leur accorderait. Mais il ne faut pas attendre la publication de ce protocole pour commencer le travail de mise en valeur du carbone des sols comme produit vendable chez nous.
Je vous demande de nous aider à veiller à ce que les premiers utilisateurs ne soient pas désavantagés et que les crédits destinés au marché volontaire puissent être vendus sur le marché réglementé du Canada quand il s’ouvrira au carbone du sol. Nous savons que les marchés volontaires accepteront des changements de pratique jusqu’à cinq ans et nous avons besoin de la même approche pour notre marché national. La conception du marché est essentielle pour veiller à ce que les agriculteurs accélèrent l’adoption des méthodes dont nous avons besoin pour produire du carbone dans le sol et atténuer les changements climatiques. C’est ce qui nous permet de continuer à travailler aujourd’hui, sachant que les crédits que nous produisons seront admissibles au marché réglementé plus lucratif lorsqu’il s’ouvrira au carbone du sol.
Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci infiniment, monsieur Killorn. Nous vous sommes très reconnaissants de votre présence ici aujourd’hui. Je sais, d’après la liste, que tout le monde veut vous poser des questions.
Cela dit, chers collègues, avant de passer aux questions, j’aimerais vous inviter, vous et notre témoin, à ne pas vous pencher vers le micro ou à ne pas placer votre oreillette trop près du micro afin d’éviter tout écho sonore qui pourrait nuire à nos collègues chargés des systèmes de son et d’interprétation.
Comme nous l’avons toujours fait, vous aurez sept minutes pour vos questions, et je vous ferai signe lorsque vous approcherez de la fin. Nous allons commencer par la sénatrice Simons, notre vice-présidente.
La sénatrice Simons : J’avais une question ridicule sur ce qui rend le sol rouge. Mais le comité n’a pas encore entamé de discussion vraiment ciblée sur les marchés du carbone. J’ai insisté pour que nous en fassions un élément important de notre étude, parce que je crois que vous avez raison de dire que, à moins de fournir un soutien réglementé et fiable aux marchés du carbone, ce sera difficile. On ne veut pas simplement donner de certificats de bonne conduite sans savoir comment cartographier le carbone des sols et procéder aux analyses nécessaires pour savoir si du carbone est effectivement séquestré.
Vous lancez un chapitre très important de notre étude. Veuillez nous expliquer comment les marchés volontaires du carbone fonctionnent pour vos agriculteurs et nous dire ce qu’il faudrait faire, à votre avis, pour créer un marché du carbone authentique et protégé qui puisse inciter durablement les agriculteurs à adopter ces stratégies.
M. Killorn : Excellente question. C’est le fer qui rend le sol rouge, et c’est ce qui contribue à produire les meilleures pommes de terre au monde.
Le marché volontaire a fait l’objet de critiques en matière de foresterie parce qu’il paie pour que les gens ne coupent pas d’arbres, et on se demande si c’est efficace. Concernant le carbone du sol, notre expérience du marché volontaire des crédits jusqu’à présent est que nous avons besoin de soutien pour faire exactement ce que vous avez dit : tester le sol et confirmer que le carbone y est réellement séquestré. Nous essayons de le faire en partenariat avec les Laboratoires vivants, une initiative d’AAC. Nous espérons pouvoir vérifier les résultats du modèle Holos pour pouvoir être sûrs, quand les pratiques changeront, que le marché reconnaîtra qu’il s’agit d’un crédit de grande valeur et de bonne réputation. Ce marché volontaire repose sur la réputation. La commercialisation est un élément important, sachant qu’il s’agit d’un produit de qualité. Nous devons commencer à l’envisager comme nos autres produits agricoles. Cela pourrait rapporter 15 millions de dollars par an si nous pouvons obtenir la totalité des 150 000 tonnes à 100 $ la tonne, et c’est ce que nous espérons.
C’est une marchandise — c’est du moins dans ces termes que j’ai commencé à en discuter avec nos agriculteurs. Et, comme pour n’importe quel produit, nous voulons avoir la réputation d’offrir un excellent produit, c’est-à-dire que nous voulons pouvoir montrer que le carbone est séquestré et conservé. Le fait est que, si nous pouvons attester par de bonnes données à l’échelle de la ferme qu’il y a effectivement eu changement de pratique, il reste qu’il faudra toujours procéder à une certaine estimation et modélisation des chiffres, parce que c’est la nature du carbone du sol sur 10 ou 20 ans. Il y a là un équilibre, et nous devons prouver aujourd’hui que nos chiffres sont exacts. Une fois que nous l’aurons prouvé, nous pourrons nous appuyer sur ces données concrètes pour créer un certain nombre de projets fondés sur des extrants crédibles. Nous avons besoin de soutien pour faire ce travail à l’échelle de la ferme. Le gouvernement et le milieu universitaire peuvent nous aider à le faire en partenariat. Nous avons effectivement besoin de ce filet de sécurité, et ce travail se poursuit à l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Simons : La population et l’économie de l’Île-du-Prince-Édouard sont très petites. Avez-vous besoin d’avoir accès au marché national ou même international? J’ai rencontré des éleveurs de l’Alberta qui participent aux marchés du carbone au Texas. Je ne sais pas comment cela se passe. Vous avez raison au sujet des premiers à adhérer — nous employons toujours la parabole du fils prodigue, c’est-à-dire que les nouveaux obtiennent les encouragements et les félicitations, alors que les pionniers ne sont pas reconnus pour leur courage précoce.
M. Killorn : La discussion du comité à cet égard et au sujet du FAFC me fait plaisir, parce que, comme administrateur de ce programme, je peux vous dire que c’est un véritable enjeu sur le terrain. Sur les marchés volontaires, si nous avons des données qui remontent à cinq ans, nous pouvons obtenir des crédits sur cinq ans. Nous travaillons actuellement à l’élaboration de projets pour le marché international Verra. Il n’est pas exclu que notre gouvernement provincial devienne un acheteur de crédits. À l’heure actuelle, il nous demande de réduire nos émissions de 35 %, mais la fédération, elle, essaie de donner aux agriculteurs les moyens de prendre des décisions éclairées concernant ceux à qui ils vendront leur carbone. Va-t-on le donner gratuitement au gouvernement provincial? Va-t-on lui demander de payer? Va‑t‑on le vendre à Cavendish Farms ou à McCain dans le cadre d’un régime de prix plus avantageux? Ou va-t-on le mettre sur le marché libre pour voir ce qu’on peut en obtenir?
C’est le genre de décision dont nous essayons de donner les moyens aux agriculteurs, et nous avons effectivement accès à ces marchés internationaux au-delà de 10 000 tonnes. C’est un modèle qui exige de la collaboration, et c’est pourquoi cela intéresse nos membres. C’est une excellente utilisation naturelle de la fédération pour engager un effort commun et réaliser un projet de commercialisation du carbone du sol, un projet de mise en marché du bétail et un projet de mise en marché de produits forestiers, le tout présenté comme une seule et même marque de commerce locale portant l’image de l’Île-du-Prince-Édouard comme source fiable de crédits de carbone.
La sénatrice Simons : Merci pour ce début très inspirant de notre matinée.
M. Killorn : Je vous en prie.
Le sénateur Oh : Merci de tous ces renseignements, monsieur Killorn. J’ai quelques questions à vous poser. Comment les agriculteurs et les éleveurs de l’Île-du-Prince-Édouard ont-ils adopté l’agriculture organique? Une autre question, peut-être. Quels types de soutien les gouvernements fédéral et provinciaux offrent-ils aux agriculteurs et aux éleveurs pour améliorer la teneur en carbone de leurs sols?
M. Killorn : Aux nouvelles de CBC ce matin, on a dit que, l’an dernier, plus de 50 % des terres consacrées à la culture de pommes de terre étaient consacrées à des cultures intermédiaires cette année. C’est un pourcentage très élevé. Nous avons eu l’aide du FAFC pour financer 27 000 acres. En passant, les gens voient de plus en plus de cultures intermédiaires dans l’île et ils l’apprécient. Nous n’aimons pas voir le sol rouge traverser la neige. Nous avons fait d’énormes progrès, et je dirais que nous sommes en tête à l’échelle du pays pour la mise en œuvre des cultures intermédiaires. C’est ce qui permet de produire de la matière organique dans le sol et de séquestrer le carbone après la récolte. C’est notre plus grande réussite jusqu’à maintenant.
Même avec des cultures intermédiaires, il faudra adapter les rotations. On ne peut pas cultiver de pommes de terre sans labour, et la durabilité est une question économique, environnementale et sociale. Il faut donc adapter les rotations de pommes de terre si on veut produire du carbone dans le sol. Quand nous avons procédé à cette modélisation, nous avons constaté que la ligne est mince en matière de dégradation du carbone dans le sol quand on cultive des pommes de terre, parce qu’on est obligé de travailler le sol et que cela libère du carbone. Nous allons continuer à cultiver des pommes de terre grâce au fer contenu dans le sol, mais les cultures intermédiaires sont très utiles. Par ailleurs, les chercheurs des Laboratoires vivants ont démontré que l’adoption d’engrais à libération lente et plus efficaces peut réduire le recours aux engrais dans une proportion allant jusqu’à 30 %, ce qui permet aussi d’atténuer la pression sur l’environnement. En matière d’agriculture organique, il ne fait aucun doute que c’est l’adoption de cultures intermédiaires qui a connu le plus de succès.
Quant au soutien à la production de matière organique dans le sol, l’aide du FAFC aux cultures intermédiaires est un incitatif financier important pour les personnes qui ne l’ont jamais fait auparavant. En dehors de cela, le gouvernement provincial offre actuellement un petit financement pour des cultures intermédiaires, même si ce n’est pas sa première culture pour l’agriculteur, mais cela ne couvre pas le coût réel du travail et ne récompense pas l’agriculteur pour les avantages qu’il procure à la société dans son ensemble. C’est là que le marché entre en jeu. Nous devons produire ces crédits et les commercialiser pour stimuler les agriculteurs et pour qu’ils soient payés suffisamment au regard de ce qu’il leur en coûte de séquestrer le carbone.
Le sénateur Oh : Vous avez 500 fermes familiales, dont certaines remontent à sept générations et dont les produits représentent 70 % de votre PIB. C’est incroyable.
M. Killorn : Excusez-moi. C’est un tiers du PIB de la province — 33 %, soit environ 600 millions de dollars — qui provient des produits agricoles et de leur transformation.
Le sénateur Oh : C’est quand même beaucoup.
M. Killorn : C’est beaucoup. Je crois que c’est 6 % à l’échelle nationale.
Le sénateur Oh : Vous dites que vous exportez partout dans le monde et, bien sûr, les États-Unis sont probablement au premier rang, n’est-ce pas?
M. Killorn : Effectivement.
Le sénateur Oh : Où exportez-vous ailleurs dans le monde?
M. Killorn : À Porto Rico — d’accord, je suppose que c’est encore les États-Unis. Je crois que c’est le bon moment pour rappeler que nous n’avons toujours pas le droit d’expédier de pommes de terre de semence de l’Île-du-Prince-Édouard. J’estime important de le souligner aujourd’hui. Nous sommes là pour cultiver des pommes de terre de semence et nous avons les meilleures au monde, mais on ne peut les envoyer nulle part pour l’instant.
C’est une question intéressante. Où vont nos produits? Les États-Unis sont notre plus grand marché. Nous avons aussi des marchés dans les Caraïbes et en Europe de l’Est. Je m’intéresse aux investissements dans la région du Pacifique, en Indonésie. J’en comprends la raison. J’espère que cela profitera à nos agriculteurs, même si nous sommes à l’autre bout du pays. Nous avons de bons marchés solides en Europe de l’Est, mais ce sont les producteurs de pommes de terre qui concluent eux-mêmes ces contrats. Nous ne savons pas exactement où ils vont. Le Canada et les États-Unis sont nos plus grands marchés. Quand nous avons perdu l’accès aux États-Unis pour les pommes de terre fraîches, cela a été une catastrophe.
Le sénateur Oh : En effet. On m’a dit que le nord-est de la Chine est un gros marché pour les pommes de terre.
M. Killorn : C’est aussi mon avis.
Le sénateur Oh : J’ai entendu dire que McCain y avait installé une usine pour fabriquer des croustilles.
M. Killorn : Vraiment?
Le sénateur Oh : Peut-être que l’Île-du-Prince-Édouard devrait y aller voir.
M. Killorn : Oui. Comme je l’ai expliqué, nous devons continuer à cultiver des pommes de terre, et on ne peut pas cultiver de pommes de terre sans labour. Les conversations sur le carbone du sol deviennent alors délicates, parce que je ne peux pas aller à la ferme de Boyd Rose et lui dire qu’il ne peut plus cultiver de pommes de terre parce qu’il faut produire du carbone dans le sol. Il faut trouver une façon d’aider les producteurs de pommes de terre, faire de la recherche et concevoir des rotations pour que tout le monde puisse faire ce qu’il a à faire et que l’environnement et l’économie y trouvent leur compte. C’est possible. Notre travail montre que c’est possible.
Le sénateur Oh : Merci.
M. Killorn : Je vous en prie.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Klyne : Encore une fois, bienvenue parmi nous. Je vous remercie de vos observations.
Vos membres sont représentatifs d’une bonne partie de la situation du secteur agricole de votre province, avec plus de 80 % de tous les producteurs agréés de denrées. C’est un domaine d’intérêt assez vaste. La particularité de votre organisation est qu’elle s’intéresse à des questions qui ne sont pas propres à un produit, mais qui touchent tous les agriculteurs de l’île.
Selon votre site Web, le programme Plans agroenvironnementaux de la fédération — je cite :
... aide les agriculteurs et les propriétaires fonciers à identifier et à incorporer les meilleures pratiques environnementales dans leurs activités agricoles en développant un plan pratique pour exploiter leur ferme de façon écologiquement durable, socialement acceptable et économiquement viable.
Un plan permet donc d’aider les agriculteurs à exploiter leur ferme de façon durable sur le plan environnemental, socialement acceptable et économiquement viable. Comment réagissent les agriculteurs? Avez-vous des participants tardifs et d’autres réticents? Dans ce cas, qu’est-ce qui pourrait constituer un obstacle? Avez-vous un plan pour intéresser tous les producteurs à vos plans agroenvironnementaux? Pourriez-vous nous donner un aperçu d’un plan qui serait dressé en moins de deux heures pour être emporté par un de vos agents de planification environnementale? Comment procède-t-on à l’évaluation? De plus, quel est le taux de participation à ces plans? Y a-t-il un coût pour les non-membres par rapport aux membres? Si oui, quel est‑il? Veuillez nous donner simplement une évaluation générale et un aperçu de ce programme. Je le trouve très intéressant.
M. Killorn : Excellente question.
Les Plans agroenvironnementaux sont un programme réalisé en partenariat avec le gouvernement provincial. Il est financé par celui-ci à même les fonds du Partenariat canadien pour l’agriculture. C’est donc un programme à frais partagés entre le gouvernement fédéral et les gouvernements provinciaux. La participation est stable. Nous élaborons environ 80 plans par an, et ils durent environ cinq ans. Environ 400 fermes sont dotées d’un plan agroenvironnemental.
On utilise quelques petits bâtons — je parle de carotte et de bâton. Si on veut avoir accès aux programmes de financement du gouvernement provincial, il faut avoir un plan agroenvironnemental dans son dossier. L’an dernier, les plans se sont multipliés parce que l’organisme national proAction, qui surveille les fermes laitières, a commencé à rendre ces plans obligatoires. Nous pensons que toutes les fermes laitières ont maintenant leur plan, parce qu’elles doivent en avoir un pour répondre aux exigences de proAction.
Il n’y a aucun coût pour l’agriculteur, qu’il soit membre ou non. C’est entièrement financé par le gouvernement provincial grâce aux fonds durables du Partenariat canadien pour l’agriculture.
La procédure passe par une entrevue avec le producteur, une visite à la ferme, l’examen d’une série de catégories de risque, depuis l’état de l’infrastructure jusqu’à la façon dont les produits sont manipulés, et, enfin, la prise en compte des améliorations évidentes qu’il est possible d’apporter à la gestion de la ferme compte tenu de son impact environnemental. Cela peut être très différent d’un type de ferme à l’autre. Un rapport est ensuite remis à l’agriculteur. Il y a aussi des vérifications aléatoires.
Je sais que ce n’est pas une réponse très détaillée, mais la question est vaste. J’aimerais ajouter que ces plans agroenvironnementaux sont très aptes à régler certains des problèmes qui nous préoccupent. C’est là qu’on peut obtenir des mesures exactes des émissions de gaz à effet de serre et du carbone dans le sol. Nous pouvons adopter le programme des plans agroenvironnementaux parce que cela se fait déjà dans les fermes de l’Île-du-Prince-Édouard. Dans nos discussions avec le gouvernement provincial, nous avons fait valoir la possibilité de l’élargir. Ces plans pourraient être utiles dans la prise en compte des répercussions sur les bassins hydrographiques. Nous sommes déjà à l’aise avec ce programme.
Je crois que notre gouvernement provincial en maximisera le besoin. Je pense que les producteurs subiront des pressions pour le maximiser. Pour ceux qui n’en ont toujours pas, il y aura de nouveaux incitatifs pour terminer le plan agroenvironnemental. Nous parlerons cette année de ce que nous voulons que le plan devienne. Ces discussions peuvent également se dérouler à l’échelle nationale, et les pratiques exemplaires à l’échelle du pays pourraient être essentielles pour trouver un mécanisme de gestion du carbone dans le sol. La possibilité est réelle. Elle coûte cher. Nous avons une proposition que nous sommes prêts à communiquer au gouvernement provincial pour ajouter la surveillance des émissions de gaz à effet de serre au plan. Aujourd’hui, on estime le coût à environ 2 500 $ par ferme. Cela représente une augmentation d’environ 200 % du coût du plan. Qu’est-ce que ça vaut? Je ne sais pas. C’est une question à laquelle les parties prenantes doivent répondre.
Le sénateur Klyne : Les recommandations ou les observations du rapport final sur le plan comprennent-elles également les résultats et le rendement attendus qui permettraient de dire à l’agriculteur quel profit il pourrait en tirer.
M. Killorn : Pas comme il le faudrait. On n’y trouve pas cet incitatif. Au fur et à mesure que nous améliorerons les incitatifs pour améliorer la performance environnementale autour des marchés, je pense que nous pourrons peut-être les intégrer au plan et améliorer l’incitatif.
Je m’attends à ce que les plans agroenvironnementaux, ou PAE, deviennent plus populaires au cours des prochaines années auprès de toutes les parties prenantes comme moyen d’amener les gens à adopter des pratiques de gestion exemplaires.
Le sénateur Klyne : Merci.
Le sénateur Cotter : Merci, monsieur Killorn, de votre exposé et de la motivation que vous nous avez donnée. J’ai une grande question au sujet du modèle que vous avez décrit pour l’Île-du-Prince-Édouard. Est-il adaptable à d’autres régions du pays où la production agricole est plus importante et, parfois, à plus grande échelle par ferme? C’est la question ultime.
Cependant, j’ai deux autres questions à ce sujet. Le sénateur Black et moi avons eu l’occasion d’entendre des exposés sur certaines des approches adoptées par certains pays d’Europe de l’Ouest pour tenter de régler les problèmes liés à l’agriculture et aux changements climatiques. L’une des choses que nous avons entendues de la part de certaines administrations — l’Irlande du Nord me vient à l’esprit —, c’est un modèle semblable au vôtre à l’Île-du-Prince-Édouard en ce qui concerne le genre d’incitatifs, mais des contraintes sont parfois liées aux programmes auxquels on peut avoir accès si on ne participe pas au processus en tant qu’agriculteur. Cela semble être le cas du modèle que vous décrivez.
L’Île-du-Prince-Édouard a un avantage spécial qui réside dans toute sa beauté. Il y a une certaine dimension romantique sur laquelle s’entendent tous les habitants de l’Île-du-Prince-Édouard, et la plupart d’entre nous qui la visitons. Est-ce que ce genre d’engagement correspond à la culture de l’Île-du-Prince-Édouard et au fait que vous êtes en mesure de travailler avec presque tous les producteurs de l’Île-du-Prince-Édouard dans le cadre de ce processus? C’est peut-être plus difficile à faire en Saskatchewan ou en Alberta. L’approche que vous avez décrite pourrait-elle être considérée comme une approche nationale?
J’aimerais que vous répondiez à ces deux autres questions : comment avez-vous perdu du carbone au fil des ans? Beaucoup d’autres administrations de l’Ouest ne l’ont pas fait, qu’il s’agisse des pratiques agricoles ou des cultures. Je ne connais pas la réponse à cette question.
Enfin, y a-t-il des obstacles à l’établissement de marchés du carbone efficaces dans lesquels un gouvernement national pourrait avoir un rôle à jouer? Je dois dire que, pendant que vous préparez votre réponse, je suis réconforté par le fait que les trois personnes de ce côté-ci de la table sont toutes gauchères. Cela m’inspire.
M. Killorn : En effet, on n’a pas réussi à se débarrasser de nous.
L’Île-du-Prince-Édouard est un endroit magnifique. Le fait d’y être né est l’une des meilleures choses qui me soit jamais arrivée. Nous espérons que cela aidera à commercialiser nos crédits. Nous savons qu’il y a là un romantisme et nous préservons les paysages qui y contribuent.
Le modèle est-il adaptable à l’ensemble du pays? Je crois que oui. Nos fermes sont petites par règlement parce que l’île est petite. Nos fermes ne sont pas du même ordre de grandeur que dans le reste du Canada. Je ne suis pas un expert, mais vous n’avez peut-être pas besoin d’un si grand nombre de fermes pour générer des projets de crédits de carbone pour le marché dont nous avons besoin à l’Île-du-Prince-Édouard parce que vous traiterez avec de grandes fermes et de plus grandes exploitations qui vont peut-être obtenir des gains pour elles et quelques voisins qu’elles pourront ensuite mettre sur le marché.
Encore une fois, il s’agit du marché volontaire. Nous avons la possibilité et nous avons déjà établi un marché réglementé au Canada. Il suffit maintenant d’avoir des protocoles en place pour permettre aux agriculteurs d’y avoir accès.
Je crois que c’est un processus évolutif. L’outil Holos d’Agriculture et Agroalimentaire Canada n’est pas encore bien connu parce que ce marché est en avance sur son temps. La personne qui a fait notre travail a eu l’occasion de communiquer directement avec AAC au sujet de l’outil, de la façon dont il fonctionne et des aspects qu’il pourrait peut-être améliorer. C’est devenu une relation mutuelle.
Quoi qu’il en soit, notre gouvernement dispose d’un outil très utile pour concevoir ce genre de projets et voir où se trouvent les occasions d’adopter des pratiques de gestion exemplaires. Je crois que c’est un processus évolutif. Puisque vous n’aurez pas besoin d’un aussi grand nombre de fermes que nous à l’Île-du-Prince-Édouard, ce sera peut-être plus facile.
Cela répond peut-être à votre question sur les obstacles. Comment allons-nous gérer ces projets? Un agriculteur pourra‑t‑il mettre 50 tonnes sur le marché? Probablement pas; ce n’est sans doute pas raisonnable. Avons-nous besoin d’un seuil minimal de 10 000 tonnes pour lancer un projet sur notre marché national?
Y aura-t-il moyen pour le gouvernement de faciliter le processus, si nécessaire? Je ne suis pas ici pour défendre cela. Je représente l’industrie, et l’industrie de l’Île-du-Prince-Édouard le fait par et pour elle. La gouvernance est un élément essentiel de la durabilité. C’est le quatrième pilier qui est souvent négligé. Si votre gouvernement peut contribuer de façon positive à l’obtention de tonnes de carbone sur le marché réglementé, vous avez certainement la capacité de le faire à AAC. Cela signifie-t-il qu’il faut faire en sorte qu’il soit le plus facile possible pour un agriculteur de décider s’il va faire mieux? C’est la clé pour que le marché fonctionne et soit efficace au Canada.
Le sénateur Cotter : Qu’en est-il de la perte de carbone?
M. Killorn : Il y a différents facteurs que je ne connais pas très bien — notre type de sol, le climat — mais nous cultivons des pommes de terre à l’Île-du-Prince-Édouard, alors 67 % de nos terres cultivées contiennent des pommes de terre en rotation. Cela représente 252 millions de dollars sur nos 600 millions. Le labourage du sol est très exigeant pour le carbone dans le sol.
Si vous ne tenez pas compte du carbone dans le sol, un facteur indépendant de notre volonté — nous ne sommes pas en retard —, le carbone dans le sol dégénère au fil du temps. La façon dont nous cultivons les pommes de terre et la nature de cette culture sont exigeantes pour le carbone dans le sol. Même l’instauration d’une rotation obligatoire des cultures aide, mais il sera essentiel d’adapter la rotation aux fins de reconstitution.
J’ai une copie du Rapport sur la richesse globale que je garde dans mon tiroir que j’ai fait installer immédiatement lorsque je suis arrivé. Je ne sais pas si tout le monde connaît l’Indice de richesse globale des Nations unies, mais la richesse dans le monde a doublé au cours des 20 dernières années, mais au coût de 80 % de notre capital naturel. Quand on voit une industrie comme celle de la pomme de terre de l’Île-du-Prince-Édouard, nous ne sommes pas à l’extérieur des limites de l’industrie dans son ensemble. En tant que collectivité et en tant que pays, nous devons trouver le moyen de réinvestir une partie de cette richesse dans le capital naturel afin d’avoir une économie durable pour les 100 prochaines années.
La sénatrice Duncan : Merci beaucoup. J’ai apprécié votre exposé de ce matin. Je suis la non-agricultrice du groupe, du Yukon, donc, non, je ne suis pas traditionnellement associée à l’agriculture. C’est peut-être comme si je vous demandais pourquoi le sol est-il rouge chez vous, et pour cela, je vous prie de m’excuser. J’ai eu l’occasion de visiter une ferme laitière avec notre président et j’ai aussi vu un biodigesteur en construction. Or, je suis très curieuse de savoir si ce genre de technologie est utilisée sur l’île? Sinon, envisagez-vous de l’adopter et où en êtes-vous à cet égard?
L’autre question qui nous a été fournie concerne la production de plus de fumier et l’utilisation du fumier pour reconstituer les matières organiques du sol. Est-ce là-dessus que vous vous concentrez?
M. Killorn : Excellentes questions. Nous avons un biodigesteur à l’Île-du-Prince-Édouard. Il a été installé par notre principale usine de transformation de pommes de terre, Les Fermes Cavendish, et il a permis de réduire de 50 % les émissions de gaz à effet de serre. C’est extrêmement efficace. Ils n’obtiennent aucun crédit pour cela parce qu’ils sont parmi les premiers utilisateurs. Il fonctionne avec des pommes de terre et du fumier.
À l’échelle des fermes laitières, encore une fois, la taille est limitée à l’Île-du-Prince-Édouard. Des règlements provinciaux limitent la taille de nos fermes. Pour qu’un biodigesteur soit rentable à l’Île-du-Prince-Édouard, ce qui est un cas unique, nous devons déterminer où il y a suffisamment de ressources pour que ce soit faisable sur le plan économique. Où sont les grappes de fermes laitières?
Nous avons parlé à l’organisation nationale, et si jamais nous produisons du gaz, nous savons où nous pouvons le vendre. Il faudrait l’expédier à l’extérieur de l’île, mais pas loin. Il y a un port juste au large de la Nouvelle-Écosse, de l’autre côté du pont de la Confédération. Nous avons pensé aux biodigesteurs.
Il y a quelques semaines à peine, j’ai eu des discussions avec un consultant qui pourrait peut-être faire une étude pour nous montrer où se situent ces points critiques où nous pourrions avoir suffisamment de ressources pour rendre un biodigesteur économiquement faisable. Nous y pensons. Nous en avons un qui fonctionne très bien. Nous devrons pouvoir compter sur un effort de collaboration. Mais que faisons-nous du gaz? Nous n’utilisons pas ce type de gaz à l’Île-du-Prince-Édouard. À certains endroits, peut-être en Alberta, je crois, il y a un tuyau de gaz au bout de l’entrée. Chez nous, il faut trouver une façon de l’utiliser à la ferme pour chauffer et refroidir les granges ou faire fonctionner l’équipement, ou il faut le transporter en Nouvelle-Écosse et le vendre au service public là-bas. Nous y pensons sérieusement. C’est le bon choix. C’est quelque chose qui peut être très utile. Encore une fois, dans le cas des grandes exploitations agricoles, vous n’aurez pas besoin de cette collaboration. C’est une mesure qui pourrait bénéficier d’un soutien financier et qui pourrait vraiment contribuer à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
En ce qui concerne l’utilisation du fumier, certains de nos plus grands producteurs de pommes de terre ont renoncé à d’autres parties de leur rotation et se contentent de cultiver des pommes de terre et des fourrages. C’est vraiment bon pour le carbone dans le sol. Cela permet d’amener du bétail dans les champs. La réintégration des bovins dans des terres cultivées est peut-être la meilleure occasion que nous ayons à l’Île-du-Prince-Édouard d’apporter des améliorations généralisées au carbone du sol, mais nous devons encourager cette pratique tant pour l’agriculteur qui élève du bétail que pour celui qui récolte des cultures.
Il fut un temps où toutes nos fermes fonctionnaient de cette façon; nous avions de petites fermes mixtes. Or, nous sommes un exportateur d’aliments. Nous sommes une force économique à l’Île-du-Prince-Édouard. Nous ne pouvons pas faire cela avec des fermes mixtes. Nous devons adopter une approche agricole mixte pour l’ensemble de la province et inciter nos éleveurs de bétail et nos producteurs de pommes de terre à travailler ensemble pour rétablir ce lien entre ces deux systèmes de production, et nous en tirerons ensuite des bienfaits environnementaux et, il faut l’espérer, des bienfaits économiques pour améliorer les rendements et réduire les coûts d’élevage. C’est l’une des options que nous devons envisager sérieusement, c’est-à-dire la façon d’offrir des incitatifs, si nous voulons inverser la tendance du carbone dans le sol à l’Île-du-Prince-Édouard.
La sénatrice Duncan : Merci beaucoup pour cet excellent exposé très clair.
M. Killorn : Je vous en prie.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Killorn, nous vous attendions depuis longtemps. Cela fait trois ans que je m’occupe de ce dossier et je commence enfin à entendre quelqu’un formuler clairement un plan.
M. Killorn : Oui.
Le sénateur C. Deacon : Nous avons eu de la difficulté avec les fonctionnaires d’AAC ici à Ottawa à obtenir une explication du niveau que vous nous avez fourni, alors je vous en remercie.
M. Killorn : Je vous en prie.
Le sénateur C. Deacon : Vous savez que nous étudions actuellement le projet de loi C-234, qui vise à élargir l’exemption pour la taxe sur le carbone à la ferme.
M. Killorn : Oui.
Le sénateur C. Deacon : J’ai toujours cru qu’il fallait adopter une approche différente, mais si nous n’y arrivons pas, malgré ce que nous avons essayé de faire, alors le projet de loi C-234 est important pour les agriculteurs. Comment utiliser le carbone comme produit dans les exploitations agricoles et permettre aux agriculteurs de profiter de l’avantage du carbone qu’ils séquestrent? Comment pouvons-nous améliorer les revenus à la ferme de cette façon?
J’aimerais approfondir la modélisation économique dont vous avez parlé. De combien de temps et d’argent les agriculteurs ont‑ils besoin pour vraiment commencer à catalyser la séquestration du carbone sur leur ferme et réduire les émissions de carbone? Quel est l’avantage potentiel pour la ferme en ce qui concerne les incitatifs potentiels du gouvernement, les incitatifs des marchés et les crédits de carbone découlant de la vente de ce produit? Quels sont les gains de productivité?
Avez-vous travaillé à la modélisation? D’après ce que je vois, si nous ne mettons pas en place l’allocation de revenu agricole pour les agriculteurs, nous n’arriverons pas à une mise à l’échelle rapide de cette solution qui, à mon avis, peut nous faire gagner du temps dans la lutte contre les changements climatiques. Nous pourrions exporter les technologies et les leçons qui en découlent dans le monde entier. Nous pourrions être à la tête de toute une industrie.
Vous faites preuve d’un grand leadership, alors aidez-nous en ce qui concerne les aspects économiques à la ferme, parce que si nous faisons bien les choses, il en découlera beaucoup d’autres bienfaits.
M. Killorn : Oui. Les marges représentent un énorme problème. Nous avons un code de conduite pour les épiceries qui, nous l’espérons, sera appliqué en amont et améliorera les marges. J’aimerais avoir une idée aussi claire sur la façon d’améliorer les marges des producteurs primaires que sur la façon de réduire leurs émissions de carbone.
Nous traitons avec des gens d’affaires qui font face à énormément d’incertitude, en comparaison des gens d’affaires moyens, et dont la marge est très mince.
Il est réconfortant de constater que les pratiques de gestion exemplaires que nous devons encourager ont également un impact sur le revenu des agriculteurs. Les cultures de couverture peuvent augmenter le rendement en pommes de terre après la récolte suivante. Nous pouvons voir une amélioration de 10 % à la ferme. Il en coûte de 60 $ à 70 $ l’acre pour produire cette culture de couverture dans le sol, mais il y a un avantage économique net qui peut être amélioré si nous avons accès à des marchés du carbone particulièrement réglementés. Je pourrais probablement obtenir de 20 $ à 25 $ la tonne sur un marché volontaire. Je m’attends à ce que le système de l’offre et de la demande du gouvernement fédéral entraîne un prix de 70 $ à 80 $ la tonne. C’est ce que nous espérons voir se concrétiser. L’accès à ce marché réglementé, un dossier qui occupe actuellement le gouvernement fédéral — Environnement et Changement climatique Canada peaufine le protocole —, créera un impact réel sur l’adoption.
En ce qui concerne la réduction de la consommation d’azote — l’oxyde nitreux est 300 fois plus puissant que le dioxyde de carbone; je suis sûr que vous en avez entendu parler — et c’est une occasion en or. Le coût des engrais étant ce qu’il est, il y a déjà un incitatif économique à réduire l’utilisation d’azote. C’est facile, de l’extérieur, de se dire que les cultures de couverture et la gestion de l’azote peuvent fonctionner. C’est la raison pour laquelle ils participent au programme du Fonds d’action à la ferme pour le climat. Il faut donner crédit à AAC — Dieu me pardonne —, j’ai vu comment ils en sont arrivés à la décision concernant les pratiques de gestion exemplaires qu’ils appuient avec le fonds. C’est un investissement de 700 millions de dollars, ce qui n’est pas rien. Ils ont fait un bon travail en choisissant des investissements qui peuvent être utiles à l’échelle du pays.
En ce qui concerne le pâturage — c’est-à-dire le fait de sortir le bétail des parcs d’engraissement pour le mettre en pâturage —, comme le bétail au Canada diffère de celui de l’Île-du-Prince-Édouard, je ne veux pas trop en parler. Mais même à l’Île-du-Prince-Édouard, nous devons ramener notre bétail au pâturage. C’est bon pour le carbone du sol. Je pense que ceux qui pratiquent le pâturage de pointe en tirent aussi un avantage économique. Ils obtiennent ainsi un troupeau plus vigoureux. À long terme, leurs coûts sont moins élevés pour ce qui est des coûts des vétérinaires; comme leurs bêtes sont en meilleure santé, ils en tirent aussi un avantage économique.
Nous pouvons franchir une première étape, entre le Fonds et certaines de ces recherches, pour aider les gens à démarrer, mais il y a un horizon temporel de 18 mois à quelques années. La plupart des producteurs de pommes de terre font une rotation de trois ans. Une fois qu’ils ont épuisé l’argent du Fonds et qu’ils entament leur rotation suivante, s’ils n’obtiennent pas 75 $ l’acre et si le marché réglementé ne leur procure pas 75 $ la tonne, tout cela n’a peut-être pas de sens. Nous avons ouvert une fenêtre ici avec le Fonds et nous devons nous assurer qu’il y a un lien avec un marché par la suite, et c’est ce que vous cherchez à faire. Vous ne pouvez pas laisser Environnement et Changement climatique Canada se traîner les pieds. Nous devons pouvoir répéter l’expérience et nous assurer qu’elle fonctionne lorsque nous en aurons besoin.
Le sénateur C. Deacon : Nous avons besoin d’un économiste qui peut nous aider à réunir ces données et ces calendriers pour nous aider à comprendre comment nous pouvons recommander quelque chose pour catalyser ce marché de façon plus officielle.
M. Killorn : Exact.
Le sénateur C. Deacon : Ce que vous avez affirmé aujourd’hui, c’est que tous les éléments sont là, mais qu’il n’y a pas de plan.
M. Killorn : Oui.
Le sénateur C. Deacon : Et il n’y a pas encore de plan directeur en place. Avez-vous des conseils à nous donner pour nous aider à mettre en place un plan économique avantageux pour le revenu agricole? Pour moi, c’est la clé de la réussite. Nous aimerions beaucoup que cette aide se concrétise.
M. Killorn : Absolument. Comme on l’a dit, nous avons un bon petit laboratoire à l’Île-du-Prince-Édouard. C’est une occasion en or. AAC ne parle pas beaucoup du protocole sur le carbone dans le sol, et Environnement et Changement climatique Canada ne parle pas beaucoup du modèle Holos. Il y a un peu de cloisonnement. Ils sont tous les deux dans le même bateau. Nous avons le même problème avec le gouvernement provincial. Notre ministère responsable du climat nous demande de réduire les émissions et le ministère de l’Agriculture appuie les pratiques de gestion exemplaires. Ils ne sont séparés que par un étage, mais il est difficile de les réunir sur la même longueur d’onde.
La sénatrice Jaffer : Comme vous pouvez le constater, nous avons tous entendu ce que vous aviez à dire et vous pourriez être réinvité ici. Je vous remercie donc d’être ici.
Je viens de la Colombie-Britannique. Les changements climatiques et les phénomènes climatiques extrêmes sont très préoccupants. Par exemple, je suis une éleveuse de poulets et nous sommes vraiment préoccupés par les vagues de chaleur. Nous allons devoir faire toutes sortes d’acrobaties cette fin de semaine pour garder les poulets en santé.
Le changement climatique est un événement important dans notre province, et je suis sûr qu’il l’est aussi dans votre province. Quelles sont les répercussions des changements climatiques sur vos sols dans votre province et dans le Canada atlantique?
M. Killorn : Eh bien, les sols du Nouveau-Brunswick et de la Nouvelle-Écosse sont différents des nôtres.
La sénatrice Jaffer : Alors, concentrez-vous sur l’Île-du-Prince-Édouard.
M. Killorn : Je ne peux pas parler de leurs sols. Les principales répercussions des changements climatiques sont une augmentation de la fréquence et de la gravité des tempêtes. Nous voyons de plus en plus d’ouragans et de changements dans nos précipitations. Nous avons connu de graves sécheresses, ce qui nuit à notre sol. Nos sols sont enclins à se dessécher si nous n’avons pas l’eau dont nous avons besoin. Nous n’avons pas accès à des systèmes d’irrigation comme en Alberta. Nous dépendons de notre climat et de ce qui était jadis un climat stable pour créer cet impact économique. Je pense que le plus grand risque que posent les changements climatiques et la variabilité du climat pour le sol, c’est que, chaque année, nous ne pouvons pas prévoir aussi bien que nous le pouvions la quantité de pluie que nous allons recevoir.
La sénatrice Jaffer : C’est difficile pour beaucoup d’entre nous.
M. Killorn : Oui.
La sénatrice Jaffer : Puisque vous êtes de la Fédération de l’agriculture de l’Île-du-Prince-Édouard, quel genre de recherche fait-on — vous en avez énuméré quelques-unes — pour comprendre les répercussions du changement climatique afin de renforcer la résilience du secteur agricole? Comme vous l’avez dit, on ne sait plus quelle quantité de pluie nous recevrons. Personne ne le sait.
M. Killorn : Oui.
La sénatrice Jaffer : Il est peut-être possible de la prévoir, mais c’est très difficile. Notre climat règne en roi et maître. Que faites-vous pour renforcer la résilience?
M. Killorn : À la fédération, en plus des travaux susmentionnés, nous avons commencé à élaborer un plan d’adaptation pour renforcer la résilience. Nous en sommes aux premières étapes. Nous apprenons déjà qu’il est très difficile à l’échelle de la ferme d’envisager des défis et des possibilités au‑delà de 10 ans. On espère un horizon de 15 ans, mais j’ai fait de la planification d’adaptation aux changements climatiques pour des municipalités où les travaux s’étalaient sur 40, 60 ou 80 ans. La nature de l’agriculture est telle que je ne peux pas demander aux agriculteurs quels seront les défis dans 40 ans, en raison de notre historique.
Si nous voulons que nos meilleurs penseurs réfléchissent à l’adaptation, et c’est ce dont nous parlons — le renforcement de la résilience et de la capacité d’adaptation — ce qui m’encourage, c’est que je sais comment mesurer le carbone. Comment vais-je mesurer la résilience? Quels sont les paramètres que nous pouvons utiliser pour illustrer ce rendement? L’adaptation est un privilège d’un pays riche. Nous avons le privilège de pouvoir nous adapter aux changements climatiques. Cependant, les changements climatiques représentent un risque pour les capitaux. Les investissements que nous faisons aujourd’hui doivent rapporter des dividendes en termes de capital qu’ils protègent contre les impacts.
Quels sont ces paramètres en matière d’agriculture? Comment pouvons-nous montrer à nos parties prenantes, dans cinq ans, que nous faisons des progrès? Ce que nous faisons aujourd’hui doit rapporter des dividendes pour les 40, 60 ou 80 prochaines années, parce que dans la trajectoire actuelle, ces changements ne vont pas disparaître. Ce dont on ne parle pas assez au sujet des changements climatiques, c’est qu’ils s’accélèrent. Ce n’est pas un impact linéaire. Ce que nous voyons aujourd’hui aura un impact extraordinaire dans 20 ans. Il est essentiel que nous ayons les bons paramètres. C’est un problème auquel des gens intelligents doivent réfléchir afin que nous puissions trouver des solutions pour différentes provinces et différents produits.
La sénatrice Jaffer : Nous venons de subir des inondations; et nous sommes maintenant aux prises avec des vagues de chaleur. Puisque vous représentez la Fédération de l’agriculture, j’ai une question pour vous. La plupart des gens que nous entendons — pas tant vous, mais tous les autres — disent qu’ils veulent que les agriculteurs fassent ceci ou cela. À un moment donné, on peut se demander si tout cela en vaut la peine, et s’il ne vaut pas mieux passer à autre chose, parce qu’il y a un tel fardeau lié à tout ce qu’un agriculteur doit faire avec parfois très peu de soutien.
M. Killorn : Oui.
La sénatrice Jaffer : Que disent vos membres, surtout en ce qui concerne le carbone?
M. Killorn : En l’espace de trois ans, nos membres ont été frappés de plein fouet par deux ouragans comme ils n’en avaient jamais vu, et dans l’intervalle, ils ont été frappés par une sécheresse qui a gravement touché les récoltes.
À l’heure actuelle, nos agriculteurs cultivent la terre. C’est tout ce qui les intéresse. Il y a une inertie dans l’industrie, comme vous le savez, là où il faut faire quelque chose. C’est pourquoi nous essayons de les aider à faire des progrès.
Je réfléchis à votre question. La séquestration du carbone dans les sols n’est pas une tâche que les agriculteurs accomplissent pour eux-mêmes. Ils le font pour nous tous. C’est pourquoi nous devons les aider, que ce soit avec l’argent des contribuables ou avec l’accès aux marchés.
C’est un avantage pour la société. La quantité de carbone que nous pouvons séquestrer fait encore l’objet de débats parmi les spécialistes, mais il ne fait aucun doute que c’est une occasion en or. Dans quelle mesure s’agit-il d’une occasion? Peut-elle inverser tous les changements climatiques? Peut-être pas, mais elle va certainement aider. Nous devons inciter les agriculteurs à s’y adonner.
En matière d’adaptation, il n’est pas question de baisser les bras — du moins à l’Île-du-Prince-Édouard —, parce que les fermes sont en première ligne. Nous avons des producteurs laitiers qui ont perdu leurs bâtiments et ont dû les reconstruire. Si jamais nous étions frappés par un autre ouragan, ils perdront à nouveau leurs bâtiments, et ce sera la fin pour eux.
Nous devons protéger ce capital. Pour cela, nous devons être des chefs de file dans la manière de rebâtir en mieux. Le gouvernement fédéral ne nous a pas encore versé un seul dollar des 300 millions de dollars versés à l’APECA, l’Agence de promotion économique du Canada atlantique. Pas un seul dollar n’a encore été versé pour l’agriculture.
Nous sommes vulnérables aux changements climatiques d’un bout à l’autre du pays. Les répercussions ne sont pas les mêmes partout, mais nous sommes tous vulnérables. Notre industrie doit renforcer sa résilience et cela nécessite des investissements. Il n’y a sûrement pas un seul agriculteur au Canada qui ne soit pas disposé à poursuivre ses efforts pour s’adapter aux changements climatiques, s’il avait le capital dont il a besoin pour le faire.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Burey : Bonjour. Merci beaucoup de votre présence.
Mes collègues ne le savent pas, mais j’ai trois neveux originaires de l’Île-du-Prince-Édouard. J’ai étudié à Dalhousie, c’est pourquoi j’affectionne tant les Maritimes.
Votre exposé était captivant, je n’ai plus qu’à faire écho aux propos de mes collègues.
Je vais me concentrer sur les mesures. Permettez-moi d’abord de vous dire que j’ai lu avec intérêt hier soir le rapport de la RBC intitulé Terrain fertile. Vous le connaissez peut-être. Il recommande l’établissement d’une stratégie nationale en matière de sols pour déterminer comment le Canada, les provinces et les territoires peuvent améliorer les sols ainsi que leur valeur et leur gestion au cours des 15 prochaines années, grâce à des cibles de santé des sols et à des systèmes de mesure, de notification et de vérification clairement définis.
J’en arrive à la fiabilité des systèmes de mesure. Vous avez mentionné certains des éléments fondamentaux, dont le plan agroenvironnemental. Vous avez aussi fait allusion au manque de fiabilité des mesures. De quelles mesures s’agit-il? Je vois que cela est le nœud de la compensation et de la mesure des émissions de carbone.
La recherche va-t-elle assez loin? Que se passe-t-il avec ces systèmes — je crois qu’on les appelle systèmes de mesure, de notification et de vérification — concernant la variabilité du carbone des sols? Je vous ai entendu dire que vous saviez comment mesurer le carbone dans le sol. D’après ce que j’ai lu, il semblerait que ces techniques ne sont pas encore au point, sans parler de leur coût.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet? C’est très important.
M. Killorn : Oui, c’est vrai. Un investissement de 175 millions de dollars a été fait dans les laboratoires vivants de l’ensemble du pays. Nous ne savons pas ce qui se passe ailleurs, mais j’espère que les chercheurs gouvernementaux, les universitaires et les agriculteurs du pays travaillent en partenariat pour répondre à cette question et proposer des méthodes de travail efficaces et efficientes. C’est là une utilisation efficace de cet argent pour améliorer les systèmes de culture.
L’équipement nécessaire pour faire ce travail est incroyablement cher. Il y a peut-être là une possibilité de recherche et de développement. Comment devenir des chefs de file de la mesure du carbone des sols? Pouvons-nous réduire le coût de cette pratique de 120 000 à 200 $? Vous voulez que cette technologie soit exportable, mais où est l’argent pour la recherche et le développement? Le Canada fait-il des efforts dans cette direction dans le cadre d’une économie verte? Le monde entier a besoin de cette technologie.
Nous avons présenté une demande de 400 000 $ au réseau des laboratoires vivants parce que nous avions besoin d’un dispositif de LI-COR, l’instrument servant à mesurer les émanations d’un champ.
La plateforme des laboratoires vivants fonctionne bien parce qu’elle nous met en contact avec le gouvernement fédéral et peut localiser cet instrument. Nous n’avons pas besoin d’acheter notre propre appareil. Il y a un partage d’équipement dans le Canada atlantique qui nous permet d’y avoir accès. Nous devons constamment prélever des échantillons de sol au moyen d’une sorte de grille d’un acre. Nous envoyons ensuite les échantillons au laboratoire pour obtenir les mesures de ce qui se trouve réellement dans le sol, ce qui nous donne la quantité d’émanations qui s’en dégagent. Voilà ce que nous devons faire.
La main-d’œuvre et l’équipement nécessaires pour vérifier certains des résultats de la modélisation sont prohibitifs. Si nous devions payer ces dépenses de notre poche, nous ne pourrions faire ce travail de vérification. Par le biais de la plateforme des laboratoires vivants et, nous l’espérons, grâce au soutien du gouvernement provincial, nous serons en mesure de faire la vérification. Sans soutien financier, il n’est pas raisonnable de penser pouvoir vérifier ces chiffres. Cela doit faire partie d’une stratégie nationale qui nous permettra d’abaisser la barre pour la vérification de nos mesures, parce que la vérification est un obstacle. Cela nous ramène à la question du sénateur Cotter et mérite une réflexion sur la nature des obstacles. La vérification est un énorme obstacle et tous les intervenants doivent travailler ensemble pour essayer de le réduire.
La sénatrice Burey : Avez-vous une recommandation à faire au comité?
M. Killorn : Le comité doit avoir une compréhension approfondie de ce qu’implique la vérification des mesures de carbone dans le sol et explorer les possibilités de financement public pour en réduire le coût.
La sénatrice Burey : Merci beaucoup.
M. Killorn : Je vous en prie.
La sénatrice Petitclerc : Nous vous remercions grandement pour votre déclaration préliminaire.
Je veux revenir sur l’approche agricole mixte dont vous avez parlé en réponse à la question de la sénatrice Duncan. Concernant les retombées économiques, j’ai lu ce matin un article très intéressant qui m’a interpellée parce qu’il expliquait l’interaction, le lien et la connectivité dont vous avez également parlé. Dans cet article que j’ai sous les yeux, on dit que la diminution du bétail a une incidence sur le fumier et le compost ainsi que sur la quantité d’orge nécessaire — c’est ce que j’en comprends — qui est parfois remplacé par du maïs et du soya. Ainsi, si vous réduisez les cultures pérennes, cela a des répercussions sur le sol.
Cela m’a fait penser aux retombées économiques, dont vous avez également parlé, dans le contexte des mesures d’incitation à réduire des émissions d’azote. Ma question est donc la suivante : avons-nous suffisamment de données pour quantifier ces diverses retombées économiques? Si nous les quantifions, est-ce que nous réussissons à transmettre cette information aux agriculteurs? Le cas échéant, avons-nous mis en place suffisamment d’incitatifs pour favoriser un changement et quelle forme pourraient prendre ces mesures incitatives? Vous en avez également glissé un mot. Une dernière question : nous voulons des programmes positifs et nous voulons aussi encourager le partage d’information, mais y a-t-il place pour des mesures plus prescriptives, par exemple un règlement sur les engrais ou d’autres produits? C’est une question à multiples facettes.
M. Killorn : Ce sont de bonnes questions. Nous ne sommes plus au temps des fermes individuelles, mais à celui des exploitations agricoles multiples. Nous devons donc adopter une approche globale et c’est difficile de vendre cette idée. Dans mon allocution d’aujourd’hui, j’ai supprimé la partie portant sur l’importance de réintégrer le bétail sur nos terres cultivées, parce que je sais que cela nous obligerait à accroître les cultures fourragères; à l’Île-du-Prince-Édouard, nous avons perdu beaucoup de bétail et notre accès au fumier, le fumier n’étant pas valorisé à sa juste valeur dans notre province. Je ne connais pas la situation ailleurs au pays, mais nous avons besoin d’accroître notre bétail.
Pour revenir à votre question, je pense que c’est une excellente idée d’essayer de modéliser cela. Aujourd’hui, nous parlons de la culture de couverture et des avantages qu’elle présente, et c’est simple. Vous pouvez mesurer le rendement avant et après avoir appliqué la culture de couverture. Nous commençons à recueillir ces données pour l’Île-du-Prince-Édouard. Nous avons vanté les cultures de couverture parce qu’elles permettent de maintenir les éléments du sol, mais nous devons maintenant tenir compte du carbone, ce qui est nouveau. Nous essayons de créer des incitatifs économiques, mais nous devons aussi mettre en place des incitatifs pour la réintégration des cultures et du bétail. Nous n’arrivons pas encore à convaincre les agriculteurs à investir dans le bétail.
Si nous avions su que la norme d’excellence consistait à avoir du bétail sur chaque parcelle des exploitations de pommes de terre durant l’année suivant la récolte, nous pourrions alors commencer à offrir des incitatifs appropriés. Aujourd’hui, c’est impossible de le faire. Nous avons beau dire aux agriculteurs que c’est tout à fait logique, que c’est ainsi cela fonctionnait dans le passé et que c’est ainsi que le système fonctionne, mais nous ne pouvons pas leur présenter des chiffres assez convaincants pour qu’ils adoptent cette approche.
Je parie que nous finirons par y arriver. C’est trop important. Vous avez lu l’article. Il est clair que c’est une solution que nous devons explorer à fond — comment ramener le bétail dans les pâturages et d’une manière qui favorise vraiment la croissance des cultures. Le fumier est un élément essentiel pour réduire les émissions d’azote.
À l’Île-du-Prince-Édouard, les gens épandent du fumier sur leurs terres. Ils ne réduisent pas du tout leur azote. Ils épandent le fumier simplement parce que c’est ce qu’ils ont toujours fait. Nous ne quantifions pas la valeur de l’azote.
Faut-il réglementer? Nous avons déjà la tarification du carbone. C’est une mesure réglementaire importante. Vous envoyez un message très clair aux agriculteurs. Il leur est probablement difficile de faire la part des choses. Vous avez d’ailleurs beaucoup travaillé hier pour modifier un peu ce signal afin qu’il soit plus équitable. Vous avez déjà envoyé un signal. La réglementation du marché sera un autre signal fort. Votre intention n’est pas de réglementer la quantité d’engrais que peuvent utiliser les agriculteurs. Croyez-moi, il ne faut pas faire cela. Vous avez des cibles de réduction qui sont raisonnables. Les associations du secteur, comme Fertilisants Canada, vous disent qu’une réduction de 35 % des émissions est une cible raisonnable. La technologie nous permet de l’atteindre grâce aux stabilisateurs d’azote. La plante ne capte l’azote que lorsqu’elle en a besoin.
Vous utilisez le bâton pour donner un signal de prix pour le carbone. Vous êtes en train de mettre au point la carotte, c’est-à-dire le marché, et je pense que c’est sur quoi vous devez vous concentrer pour le moment. Ces deux outils vont de pair et il est normal d’avoir l’un si vous voulez l’autre, mais ce n’est pas le cas. Vous n’en avez qu’un seul en ce moment.
La sénatrice Simons : C’est là une illustration formidable de ce qui fonctionne dans une région du Canada, mais qui ne fonctionnera pas nécessairement dans une autre. Nous avons des écosystèmes agricoles très diversifiés; la culture sans labour fonctionne très bien dans les prairies de l’Ouest, mais moins bien pour la culture des pommes de terre. Dans ma région du Canada, les cultures de couverture ne conviendraient pas, mais elles sont essentielles chez vous. Nous avons eu une rencontre très intéressante hier avec des représentants de Sask Crops qui nous ont dit que le gouvernement devait investir davantage dans la recherche de nouvelles variétés, de nouveaux hybrides plus résistants à la sécheresse et à la chaleur, moins gourmands en engrais et dont nous n’avions encore jamais parlé ici.
Vous êtes un témoin tellement intéressant que je vais vous poser la question suivante. À votre avis, est-ce qu’on fait suffisamment de recherche sur de nouvelles variétés, en particulier à l’Île-du-Prince-Édouard, où le fléau du mildiou touche le type de pomme de terre le plus courant? Devrait-on approfondir la recherche pour trouver de nouvelles variétés et de nouveaux hybrides pouvant être cultivés en rotation et être mieux adaptés aux nouvelles conditions environnementales?
M. Killorn : Je ne vais certainement pas préconiser d’en faire moins. Permettez-moi de vous décrire la situation actuelle à l’Île-du-Prince-Édouard. Depuis quelques années, des entreprises privées peuvent cultiver leurs propres variétés, ce qui a stimulé l’innovation dans le secteur privé. Nous avons donc un programme de sélection de la pomme de terre; notre principal producteur, Cavendish Farms, a mis en place un important programme de sélection et produit des pommes de terre qui répondront à certains de ces objectifs. L’entreprise doit travailler à l’ancienne. C’est ainsi que nous avons découvert la génétique. Il a fallu 10 ans de recherche avant que l’entreprise puisse lancer un produit sur le marché parce que ses clients ne veulent pas qu’il contienne un gène épissé.
Votre gouvernement a pris des mesures afin d’accroître la transparence concernant l’intégration de la technologie d’épissage génétique dans le système alimentaire, ce qui est une bonne pratique de gouvernance, mais en ce qui concerne le marché de la pomme de terre, ce n’est pas facile si vous vendez des frites.
La semaine dernière, j’ai rencontré un chercheur d’AAC spécialisé dans la pomme de terre afin d’en savoir plus sur les recherches en cours. Je dois dire que le ministère fait du bon travail de développement de germoplasmes pour répondre aux besoins de l’industrie. C’est une bonne chose. Nous souhaitons ce genre de collaboration entre l’industrie, le gouvernement et le milieu universitaire.
Le chercheur a parlé de durabilité au niveau du génome, j’en ai d’ailleurs fait allusion en parlant des écosystèmes. C’était vraiment génial, parce que les chercheurs sont sur la même longueur d’onde que moi, sauf qu’ils travaillent sur le matériel génétique; ils se soucient tout autant que moi de la durabilité, ce qui est vraiment génial.
C’est donc encourageant. Voilà où nous en sommes à l’Île-du-Prince-Édouard. C’est certes un outil supplémentaire. Nous n’allons pas commencer aujourd’hui à utiliser ces gènes épissés. C’est ce que réclame le marché. Nous allons mettre au point des variétés d’ici une dizaine d’années, tout en nous assurant qu’elles n’auront pas besoin d’autant d’eau ou d’engrais et qu’elles seront mieux adaptées à nos sols.
La sénatrice Simons : Je tiens à vous remercier à nouveau.
M. Killorn : Je vous en prie.
Le sénateur Klyne : Le projet de surveillance de la qualité des sols de l’Île-du-Prince-Édouard a été lancé en 1998 dans le but « [...] d’évaluer et de surveiller périodiquement les fluctuations de la qualité des sols et des niveaux d’éléments nutritifs présents dans les sols des terres agricoles de l’Île-du-Prince-Édouard. »
Selon le rapport de 2020, sur les 796 points de prélèvement existant en 1998, il n’en restait plus que 611 à la fin de 2018. Cela représente une perte de près de 200 points. Divers facteurs ont causé la perte de ces sites, dont l’utilisation des terres, le développement résidentiel et l’étalement urbain.
Je vous signale également que, lors du débat électoral organisé par votre organisation le 28 mars, le chef du parti progressiste-conservateur, Dennis King, a dit que l’atteinte d’un équilibre entre la croissance démographique de l’Île-du-Prince-Édouard et la préservation des terres agricoles était une importante priorité. Dans sa plateforme électorale, le parti s’engageait à établir un plan d’aménagement du territoire pouvant guider la province au cours des 30 ou 40 prochaines années.
À votre avis, ce plan favorisera-t-il la protection des terres agricoles, particulièrement à l’Île-du-Prince-Édouard, et est-il transférable à d’autres provinces ou territoires?
M. Killorn : Cette semaine, le gouvernement a révisé notre croissance démographique; nous prévoyons atteindre la barre des 200 000 habitants une dizaine d’années plus tôt que prévu. Je n’aurais jamais cru que les terrains de stationnement représenteraient une si grande partie de mon travail, mais je dois préconiser une bonne planification municipale. Pour assurer la viabilité de l’industrie, je dois préconiser la construction d’immeubles plus hauts au centre-ville et encourager l’abolition de l’obligation de réserver un nombre minimal de places de stationnement.
J’encourage notre organisation et nos membres à garder l’esprit ouvert à la vision de la Fédération canadienne des municipalités visant l’aménagement de plus grandes municipalités dans les régions rurales de l’Île-du-Prince-Édouard, tout en mettant l’accent sur le développement à l’intérieur des municipalités. Ces mesures permettraient d’éviter le développement en ruban qui est très visible quand vous effacez les routes de la carte pour ne voir que l’emplacement des maisons. Ces rubans grugent les terres agricoles.
Nous devons élaborer un plan provincial d’aménagement du territoire. Un excellent rapport a été produit par une équipe présidée par une agricultrice chevronnée, Lori Robinson. Ce rapport a donné lieu à un règlement provisoire que le gouvernement provincial aurait pu adopter le jour même pour freiner cette vague. Il ne l’a pas fait. Nous avons récemment lancé une demande de propositions à la grandeur de la province pour la conduite d’une étude sur la situation actuelle en matière d’utilisation des terres, qui pourrait s’échelonner sur 6 à 18 mois. Les autorités continuent de se traîner les pieds dans ce dossier. Pendant ce temps, nous perdons des terres agricoles à un rythme effarant, comme l’a démontré le dernier recensement. C’est une hausse importante.
Je suis à la recherche d’autres intervenants avec lesquels nous pourrons travailler, comme la Fédération canadienne des municipalités. J’essaie de comprendre le problème du mieux que je peux parce que nous sommes en train de perdre la bataille. À l’Île-du-Prince-Édouard, je le répète, notre terre est notre seule ressource naturelle. Nous n’aurons jamais de minéraux. Cette terre est tout ce que nous avons pour générer des retombées économiques. Nous avons fait de grands progrès dans la diversification de notre économie, mais nous avons encore besoin de terres agricoles. C’est tout ce que je peux dire.
Le sénateur Klyne : Vous avez parlé de la carotte tout à l’heure. Où est le bâton? La douleur exerce un puissant effet de levier sur le cerveau. Si vous pouviez brosser un tableau de ce à quoi la province ressemblerait dans dix ans, ce pourrait déclencher un appel à l’action. Cette méthode a-t-elle déjà été essayée afin de convaincre les gens de cesser de se traîner les pieds?
M. Killorn : Il existe un chiffre critique. Je ne l’ai pas devant moi, mais si nous perdons notre capacité de transformation à l’Île-du-Prince-Édouard, que ce soit pour le bœuf ou la pomme de terre, nous réduirons de moitié notre rendement économique provenant de l’activité agricole. C’est un seuil important. Nous devons accroître la taille de nos municipalités afin de dissuader les propriétaires de maisons et des promoteurs à découper des bouts de terre en bordure des villes pour éviter les taxes foncières municipales. Nous avons des villes magnifiques à l’Île-du-Prince-Édouard où nous voulons que les résidents s’installent, comme Montague, O’Leary et Surrey.
Il faut donc que ces municipalités prennent de l’expansion et se dotent de plans qui définissent clairement où se trouvent les terres agricoles et les protègent, et qu’elles refoulent ensuite les résidents vers les zones où se trouvent les services. Cela nous éviterait de payer si cher pour entretenir nos routes et pour aménager huit patinoires là où trois suffisent à répondre aux besoins. Et ce serait aussi plus facile pour les soins de santé. Le logement et les soins de santé représentent un énorme problème pour les travailleurs agricoles de l’Île-du-Prince-Édouard. En ce moment, la main-d’œuvre est devenue notre goulot d’étranglement économique et nous ne pouvons pas régler ce problème parce que les localités rurales n’ont pas de logements ni de services de soins de santé à offrir.
L’aménagement du territoire est un enjeu qui touche une diversité d’endroits. C’est pourquoi nous avons fait de cet enjeu notre principal cheval de bataille durant la récente campagne électorale.
Le sénateur Klyne : [Difficultés techniques]
M. Killorn : J’irai vous voir à la prochaine campagne de financement.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur le président, vous avez eu beaucoup de mal aujourd’hui à clore cette discussion.
Je vous remercie à nouveau, monsieur Killorn d’être parmi nous. Cela a été un défi pour moi et, je pense, pour nous tous. Quand je discute avec des chercheurs et des centres de recherche agricole, ils sont tout d’accord. J’entends les mêmes commentaires que ceux que vous venez de faire. Quand nous rencontrons les fonctionnaires d’AAC, c’est comme si nous ne parlions pas la même langue. Ils sont déconnectés de la réalité dans ce dossier.
Cela me rappelle un Prince-Édouardien avec qui j’ai travaillé il y a des années, Don McDougall, célèbre pour avoir fait venir les Blue Jays au Canada. Il ne me l’a pas dit souvent à moi, mais il avait l’habitude de dire :« Vos raisons commencent à ressembler à des excuses ». C’est ce que nous avons envie de dire quand nous commençons à creuser et à découvrir ce qui se passe.
Quels conseils pouvez-vous nous donner pour que nous encouragions AAC à offrir plus de carottes et à les intégrer dans un plan coordonné dans le but de faire bouger les choses dans la mesure que vous savez possible?
M. Killorn : D’accord, c’est...
Le sénateur C. Deacon : C’est la clé de la porte.
M. Killorn : Don McDougall est-il toujours parmi nous?
Le sénateur C. Deacon : Je le crois.
M. Killorn : Je pense qu’il vient d’acheter un club de golf, ou peut-être un deuxième.
Le sénateur C. Deacon : J’espère que ce n’est pas sur une terre agricole.
M. Killorn : Non. L’agriculture est extrêmement importante au Canada et AAC est une organisation gigantesque qui dispose de ressources considérables. Les fonctionnaires font de très bonnes choses.
Avant d’avoir épuisé mon temps de parole, je tiens à mentionner cet agriculteur qui a travaillé pour nous sur l’outil Holos. Matt Ramsay, de Hamilton, juste à côté d’Indian River, est un agriculteur de la septième génération à l’entreprise Oyster Cove Farms. Il a pris cet outil Holos — il ne connaissait pas son existence — et il a retracé les gens qui le construisaient à AAC. En tant que membre de la Fédération canadienne de l’agriculture, ou FCA, j’ai assisté à un exposé sur un plan agricole durable, et les fonctionnaires ne connaissent pas bien cet outil qu’ils ont dans leur propre ministère. Je me demande si on n’est pas en train d’alourdir la bureaucratie au lieu de la réduire.
Le sénateur C. Deacon : Vous n’avez pas dissipé notre inquiétude en disant que les fonctionnaires d’AAC n’avaient aucune idée. Cela démontre l’absence de stratégie coordonnée.
M. Killorn : Peu de mes collègues de la Fédération canadienne de l’agriculture connaissaient cet outil. Lorsque je parle de ces travaux à l’assemblée générale annuelle de la Fédération réunissant des gens de partout au pays, ils me demandent comment ils peuvent obtenir cet outil pour leur industrie ou leur province. Parce qu’ils ne savaient pas, eux non plus, qu’il existait. Les fonctionnaires ont fait du bon travail avec le Fonds d’action à la ferme pour le climat. Verser l’argent aux organisations locales afin qu’elles puissent le distribuer est une excellente approche. Ils auraient peut-être besoin de tout mettre en commun. Je ne sais pas comment cela pourrait se faire. Il y a des projets importants mis en œuvre à l’extérieur de leur ministère, notamment à Environnement et Changement climatique Canada. Nous constatons la même chose au niveau provincial également.
Je ne peux pas vous dire comment améliorer le rendement d’une organisation gouvernementale de cette taille. J’ai 10 employés et un budget de fonctionnement d’un million de dollars et je ne sais plus où donner de la tête pour que tout fonctionne bien. Je ne vous envie pas, mais je suis d’accord pour dire que cette discussion doit avoir lieu. Je vous souhaite bonne chance.
Le président : Je vous remercie, sénateur Deacon.
Monsieur Killorn, je tiens à vous remercier chaleureusement de votre participation aujourd’hui. Nous apprécions grandement l’aide que vous nous apportez dans le cadre de notre étude, et je pense que certains de mes collègues vous appelleront pour poursuivre la discussion hors ligne. Restez à l’affût.
M. Killorn : Je l’espère vivement. Merci beaucoup.
Le président : Merci beaucoup.
Chers collègues, je tiens à vous remercier de votre active participation et vos questions judicieuses. Êtes-vous d’accord pour suspendre brièvement la séance pour que nous examinions à huis clos une ébauche de rapport?
Des voix : D’accord.
Le président : Je déclare donc la motion adoptée.
(La séance se poursuit à huis clos.)
(La séance publique reprend.)
Le président : Chers collègues, maintenant que nous sommes de retour en séance publique, j’aimerais proposer que la demande de budget au montant de 134 764 $, conformément à l’ordre de renvoi du comité pour examiner, afin d’en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada, soit adoptée et présentée au Comité sénatorial permanent de la régie interne, des budgets et de l’administration, pour l’exercice financier se terminant le 31 mars 2024.
Chers collègues, la demande est-elle approuvée?
Des voix : D’accord.
Le président : Adoptée.
Cela dit, il est peu probable que nous devions nous réunir mardi soir prochain, étant donné que les mardis sont incertains, de toute façon. Je pense que nous pouvons déterminer dès maintenant que nous n’aurons pas de réunion mardi soir.
Permettez-moi maintenant de prendre un moment pour remercier le personnel qui nous seconde autour de la table et derrière nous, et sans qui nous ne pourrions faire ce travail. Merci beaucoup à tous.
Notre prochaine réunion aura lieu le jeudi 18 mai.
(La séance est levée.)