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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 18 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous. C’est un plaisir de vous voir là. Pour commencer, je souhaite la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et à ceux qui suivent les délibérations sur le Web.

Je m’appelle Rob Black, sénateur de l’Ontario, et je suis le président du comité.

Aujourd’hui, le comité se réunit pour poursuivre son étude de l’état de la santé des sols au Canada afin d’en faire rapport.

Avant d’entendre les témoins, j’invite les sénateurs à se présenter.

La sénatrice Simons : Bonjour. Je suis la sénatrice Paula Simons, de l’Alberta, territoire du Traité no 6.

La sénatrice Burey : Bonjour. Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur Klyne : Bonjour et bienvenue aux témoins de ce matin. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire du Traité no 4.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, sénatrice du Québec.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.

Le président : Avant de commencer, je rappelle encore une fois que si des problèmes techniques surgissent au cours de la réunion, particulièrement en ce qui concerne l’interprétation, il faut en aviser le président ou la greffière. Nous nous efforcerons de régler la question. Au besoin, nous allons suspendre la séance un moment.

Voici le premier groupe de témoins. Nous accueillons, de CarbonTerra, Jason Mann, chef de la direction, et Rachel Hor, directrice des opérations. Et de Carbon RX Inc., nous recevons Marty Seymour, chef de la direction.

Je vous invite à faire vos exposés. Nous allons commencer par M. Mann et Mme Hor, qui feront une déclaration commune au nom de CarbonTerra. Ce sera ensuite M. Seymour, de Carbon RX. Vous aurez cinq minutes chacun. Lorsque nous arriverons à environ une minute de la fin, je lèverai la main, et lorsque les cinq minutes seront presque écoulées, vous devriez songer à conclure.

Rachel Hor, directrice des opérations, CarbonTerra : Bonjour, monsieur le président, honorables sénateurs, mesdames et messieurs. Je suis heureuse d’être là. Je me lance tout de suite dans la déclaration que je souhaite faire.

CarbonTerra est une organisation entièrement canadienne qui regroupe d’éminents chefs de file des sciences du sol à l’échelle mondiale. Notre objectif est d’établir un écosystème agricole respectueux du climat et carboneutre qui améliore le rendement du capital investi par les agriculteurs dans des pratiques agricoles durables. Aujourd’hui, je voudrais aborder le sujet vital de la séquestration du carbone et exprimer ma conviction que le Canada peut se porter à l’avant-garde du changement.

Les changements climatiques posent des défis importants à notre planète. Ils ont des répercussions sur notre environnement, notre climat et notre avenir. La séquestration du carbone joue un rôle crucial dans la lutte contre les changements climatiques, et les solutions axées sur la nature, comme la culture sans labour, sont très efficaces.

La culture sans labour consiste à cultiver sans perturber le sol, ce qui se traduit par de nombreux avantages, comme la réduction de l’érosion des sols, l’amélioration de leur état de santé et de la qualité de l’air et l’augmentation de la rétention d’eau. En particulier, la culture sans labour a la capacité de séquestrer le carbone en augmentant la teneur en matière organique des sols. À l’inverse, le travail du sol libère du dioxyde de carbone dans l’atmosphère, ce qui contribue au réchauffement de la planète.

Les recherches révèlent que la culture sans labour dans les Prairies canadiennes peut séquestrer le carbone à raison d’un maximum de 1,5 million de tonnes par acre et par année. L’adoption à plus grande échelle de cette méthode sur environ 153 millions d’acres de terres agricoles chaque année dans les trois provinces des Prairies pourrait avoir des répercussions importantes, séquestrant environ 138 millions de tonnes de carbone par année. Cette séquestration du carbone équivaut aux émissions de plus de 112 millions de véhicules à moteur à essence pendant un an. Le potentiel de séquestration du carbone par la culture sans labour sur les terres cultivées au Canada est donc considérable.

Il est essentiel d’encourager les pratiques durables au moyen de crédits de carbone pour améliorer la durabilité de notre système actuel et atteindre nos objectifs en matière climatique. Les crédits de carbone permettent aux entreprises et aux particuliers de compenser les émissions de carbone en investissant dans des projets visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Bien que les crédits de carbone aient joué un rôle dans divers secteurs, dont celui de l’agriculture, le système actuel ne reconnaît pas pleinement les contributions de la culture sans labour. Les premiers à adopter cette pratique sont désavantagés en raison de la définition technique des notions d’additionnalité et de permanence. Pour s’attaquer à ce problème, le Canada devrait prendre les devants en reconnaissant la contribution des pionniers de la culture sans labour et donner l’exemple à l’échelle mondiale.

La participation à la séquestration du carbone par la culture sans labour ne se limite pas aux seuls producteurs. Les consommateurs ont aussi un rôle à jouer. En appuyant les producteurs qui mettent en œuvre des pratiques agricoles durables comme la culture sans labour, les consommateurs peuvent contribuer à l’adoption de ces méthodes. Les décideurs sont invités à fournir des incitations et un financement aux producteurs qui ont déjà fait la preuve des avantages de l’agriculture durable. Cet effort de collaboration peut favoriser la reconnaissance de la culture sans labour par des crédits de carbone, en encourageant son adoption, en réduisant les émissions de gaz à effet de serre et en atténuant les effets des changements climatiques. En fin de compte, cette approche est bénéfique pour l’environnement, favorise un secteur agricole durable et rentable et aide le Canada à atteindre ses objectifs et ses promesses en matière de climat.

Notre dilemme actuel se résume au fait qu’il faut soutenir ceux qui ont été les premiers adeptes de la culture sans labour et reconnaître leur mérite dans le choix des orientations, ce qui est essentiel si nous voulons encourager un plus grand nombre de producteurs à adopter cette pratique agricole durable. Ces pionniers ont adopté des méthodes d’agriculture durable qui sont à l’avantage à la fois de l’environnement et de la société. Ils ont montré qu’il était possible de stocker de façon durable le carbone, et les données scientifiques confirment qu’il y a toujours place à l’amélioration.

Pour éviter de désavantager ou de pénaliser indirectement les pionniers — j’emploie le terme « pénaliser » en songeant à cette pratique de bonne intendance qu’ils ont adoptée, à l’avant-garde de l’agriculture canadienne, sans en être récompensés —, en omettant toute mention de cette méthode précise. Par le passé, les politiques agricoles ont souvent encouragé et pénalisé les producteurs en fonction de résultats à court terme, ce qui nuit à ceux qui ont investi du temps, de l’argent et des ressources pour faire la transition vers la culture sans labour.

Il me reste encore bien des choses à dire, mais je suis à court de temps. Je tiens à insister sur le fait que la politique est le véritable enjeu et que sa révision s’impose si nous voulons reconnaître la précieuse contribution de ces pionniers de la culture sans labour à l’agriculture durable et à la séquestration du carbone. J’ai toute une liste de raisons pour lesquelles il faudrait modifier la politique afin de reconnaître l’apport de tous ces agriculteurs, car nous devons encourager l’adoption de pratiques durables à plus grande échelle. En reconnaissant leur contribution et en récompensant les efforts déployés pour adopter de façon précoce la culture sans labour, la politique poussera les producteurs à adopter d’autres pratiques agricoles durables.

Le président : Lorsque je poserai ma question, je vous demanderai cette liste. Nous vous laisserons la donner.

Mme Hor : Cela me convient bien. Ce serait super.

Le président : Nous devons conclure, car les cinq minutes sont terminées. Monsieur Mann, vous n’aurez pas l’occasion de dire quoi que ce soit. J’espère qu’un de mes collègues pourra vous poser une question pour que vous puissiez intervenir.

Je vais passer à M. Seymour.

Marty Seymour, chef de la direction, Carbon RX Inc. : Bonjour, monsieur le président et distingués sénateurs. À titre de chef de la direction de Carbon RX, je suis reconnaissant de pouvoir m’entretenir avec vous. Carbon RX est une entreprise canadienne d’émission et de diffusion de crédits de carbone, dont les origines remontent à 2006 et qui appartient à la première génération de production de crédits de carbone au Canada.

Disons d’emblée que nous pouvons et devons être fiers du travail que font les exploitations agricoles et le système alimentaire canadiens pour assurer la durabilité à long terme de nos terres et de notre système alimentaire. Nous devons rester disciplinés et veiller à ce que le carbone demeure un moyen de mesurer et de gérer la santé des sols, et non pas une arme de changement.

Voici brièvement quelques thèmes clés que nous pourrons aborder plus en détail pendant la période de questions. Cela complétera ce que vous avez entendu de la part de mes collègues.

Le premier thème est celui de la mesure. Même s’il est un enjeu climatique, le carbone est aussi un problème de collecte de données. Pour être honnête, on est vraiment en présence d’un fouillis de données et la qualité des sources est discutable. La méthodologie d’analyse des sols semble être à l’origine d’une partie de la confusion. Ce serait un bon point de départ que de normaliser et de simplifier les données nécessaires.

Ajoutons cependant qu’il est difficile de normaliser les caractéristiques des sols. La variabilité des caractéristiques des terres transformées par des centaines d’années de pratiques individuelles fait de la généralisation des données sur la présence de carbone dans les sols un défi de taille.

Deuxième thème : l’adoption de la technologie. Sur ce plan, c’est relativement inégal. Je suis un fervent partisan de la télédétection et de l’utilisation des satellites, par exemple, mais tout le monde n’est pas d’accord avec moi sur la possibilité d’en tirer des données assez abondantes et d’assez bonne qualité sur le carbone. Ce que je constate, c’est que la quête de la perfection nuit au progrès dans ce domaine de la technologie.

Le dernier thème concerne les fuites. Le terme « fuite » est important lorsqu’il s’agit de carbone. C’est un principe important qui s’applique expressément au système alimentaire canadien. La production canadienne de bovins et de céréales serait un très bon exemple d’une possibilité d’utilisation appropriée des terres dans des modèles à faible empreinte carbone. Nous devons éviter de paralyser l’activité de nos producteurs par une réglementation excessive, ce qui aurait pour effet de déplacer la production vers d’autres pays où des pratiques comme la culture de riz de subsistance ou l’élevage de bovins dans des zones de forêt pluviale auraient une intensité en carbone beaucoup plus élevée. Lorsqu’il s’agit de mesurer l’empreinte carbone au Canada, nous devons penser en termes d’intensité et de carboneutralité. Dans bien des cas, le Canada est considéré comme un partenaire commercial privilégié.

Pour orienter les questions et les échanges, je me suis dit que je pourrais évoquer le rôle du gouvernement et les mesures qu’il peut prendre pour apporter de l’aide.

Premièrement, le gouvernement peut faciliter la croissance du marché du carbone à participation volontaire. Il serait peut-être contre-intuitif que le gouvernement aide à soutenir ce type de marché, mais il permet au secteur privé d’injecter de l’argent dans le système alimentaire canadien. C’est un excellent moyen d’aider à financer les producteurs et de les accompagner sur la trajectoire du changement. Les régimes de carbone des gouvernements fédéral et provinciaux créent en fait de la confusion sur le marché. Les acheteurs mondiaux veulent des crédits de carbone fondés sur la nature, dont le Canada est riche, et l’agriculture et la foresterie offrent cette excellente occasion de séquestrer du carbone, comme ma collègue Rachel Hor vous l’a dit.

Une deuxième mesure consiste à investir dans l’élaboration de protocoles. Cette partie de l’industrie est sous-financée, évolue très lentement et coûte cher. Les protocoles sont le moyen de mesurer et de gérer, et il en coûte très cher au secteur privé de les mettre sur le marché.

L’autre aspect est l’additionnalité. J’ai été heureux d’entendre les propos de ma collègue au sujet de l’additionnalité et des possibilités qui s’offrent à nous. C’est plutôt provocateur, mais je pense que le gouvernement peut fixer le seuil à partir duquel s’applique le principe d’additionnalité. J’ai toujours été très favorable à l’idée que le jour zéro, pour les modalités de l’exploitation agricole, doit être fixé au moment de l’adoption de l’Accord de Paris, en décembre 2015. Toutes les pratiques, après 2015 et la signature de cet accord, constitueraient, à mon avis, la base de référence pour la carboneutralité. Je me ferai un plaisir d’en parler davantage.

L’autre point concerne l’apport d’eau. En Saskatchewan, on parle beaucoup d’eau et d’irrigation. S’il s’agit de l’amélioration de la santé des sols, de l’enrichissement en matière organique et de la durabilité, le gouvernement pourrait aussi, pour améliorer les sols, assurer un approvisionnement en eau sous ces climats plus secs, particulièrement dans l’Ouest, d’où je viens.

Voici le dernier élément. Je ne sais pas trop quelle est la position du gouvernement à ce sujet ni comment il peut aider, mais je veux lancer une idée : le financement durable et les émissions de portée 3 seront les assises et les principaux perturbateurs du marché du carbone. Il faut réfléchir davantage au rôle du gouvernement en matière de financement durable et à la façon dont les banques sont réglementées, ainsi qu’aux émissions de portée 3 et à la façon d’en suivre l’évolution et de les gérer.

En conclusion, le gouvernement établira le climat lorsqu’il s’agira de questions importantes liées aux changements climatiques, mais sur le plan de l’exécution, ce sont les propriétaires fonciers qui détiennent le pouvoir. Merci.

Le président : Merci beaucoup. Passons aux questions des sénateurs. Nous allons commencer par la vice-présidente. Avant de passer aux questions et réponses, je rappelle qu’il faut utiliser le microphone avec précaution et éviter de le placer trop près, au cas où cela occasionnerait des ennuis pour la sonorisation et les interprètes.

Je rappelle aux sénateurs qu’ils ont cinq minutes, ce qui comprend la question et la réponse. Nous allons commencer par la sénatrice Simons.

La sénatrice Simons : Certains de mes collègues du comité sont membres du Comité des banques, et l’un d’entre eux est membre du Comité des finances nationales. Ce n’est pas mon cas. Pour mettre en place un marché du carbone qui rapporte vraiment quelque chose, dans lequel le crédit vaut quelque chose, est négociable et est appuyé sur une valeur... Il me semble que si nous avons une foule de marchés à participation volontaire, il s’agit surtout d’échanger des points de bonne conduite.

Comment pouvons-nous mettre en place un véritable... L’expression est-elle bien « appuyé sur une monnaie fiduciaire »? Est-ce bien l’expression que je cherche, je le demande à mes collègues banquiers? Comment établir un marché du carbone crédible qui, premièrement, permet de prouver qu’on mérite le crédit parce que du carbone a été séquestré dans le sol, qu’on a mesuré et vérifié, et, deuxièmement, dans lequel je peux vendre un crédit au sénateur Deacon, qui pourrait le revendre à la sénatrice Petitclerc et celle-ci à la sénatrice Burey, au lieu que ce soit un simple timbre-prime? Le crédit doit avoir une vraie valeur, ce qui encouragera les producteurs à adopter les pratiques recommandables?

Le président : Y a-t-il une question?

La sénatrice Simons : Oui. Faut-il créer quelque chose qui se négocie comme un titre boursier, comme un produit de base? Comment cela peut-il être autre chose qu’une simple tape dans le dos?

M. Seymour : Je serais heureux de commencer. Il y a un mécanisme de déclenchement dont il faut tenir compte si nous voulons mettre ce marché en place dans notre secteur. J’en ai pris conscience assez tôt. J’ai déjà été au service d’un organisme d’État fédéral. J’avais donc un préjugé favorable : priorité au Canada et écosystème canadocentrique. Quand j’ai commencé à m’intéresser aux crédits carbone, je me suis aperçu que c’était un marché international. Il nous faut donc aborder avec prudence une solution proprement canadienne avec participation volontaire.

Si nous voulons limiter les échanges au marché canadien et établissons un registre — que je vais qualifier de volontaire —, nous pourrions nous limiter au Canada. Nous devons réfléchir à la façon dont le processus d’arbitrage et de vérification nous donne une visibilité internationale afin que je puisse faire du commerce. C’est là que les gros échanges se font. Voilà ma première réflexion.

Je suis fier de travailler à l’une des solutions à ce problème, mais c’est une histoire plus longue. Il s’agit de constituer un nouveau registre qui appartiendrait à l’industrie et qui serait géré par elle. À propos d’industrie, la meilleure pratique que j’ai observée dans le secteur de l’élevage bovin, c’est la table ronde sur la durabilité. McDonald’s, Cargill et l’Association canadienne du bétail se sont réunis et ont dit : « Nous devons définir la durabilité pour laquelle McDonald’s pourrait créer une marque et la commercialiser. »

Dix ans plus tard, l’écosystème des entreprises comprend Canards Illimités, Conservation de la nature Canada, le Fonds mondial pour la nature, les cabinets comptables, les banques; tout le monde participe. L’industrie s’est réunie pour définir ce qui constitue du bœuf durable. Nous pouvons faire la même chose pour le carbone. Je songe à une économie du carbone appartenant à l’industrie et pilotée par elle — et je ne parle pas de la seule industrie canadienne, mais aussi de partenaires et de membres de l’étranger. Il faut élargir notre horizon au-delà de nos frontières.

Je vais m’arrêter là et laisser la place à mes collègues.

Jason Mann, chef de la direction, CarbonTerra : Il y a les notions de participation volontaire et de conformité. Le débat est intense : est-ce la participation volontaire qui mènera à des changements dans les crédits de conformité ou l’inverse? Ces dernières années, nous avons essayé de traiter avec ces marchés à participation volontaire, et c’est difficile parce que le paysage est en constante évolution. Il est difficile de tracer la voie à suivre, faute de connaître les règles.

L’élaboration d’une formule qui pourrait être approuvée par le gouvernement fédéral — axée sur l’aspect facultatif ou sur la conformité — serait un excellent moyen de mettre en place chez nous quelque chose de fongible; on pourrait dire que le crédit a une valeur, même s’il commence à faire l’objet d’échanges au Canada pour être ensuite adopté à l’échelle mondiale.

Voilà ce que nous souhaitons. Il faut que le gouvernement fédéral travaille avec les provinces au lieu d’accepter ce méli‑mélo où une province veut telle chose alors que le gouvernement fédéral veut telle autre. Nous avons besoin d’un système cohérent sur lequel nous pouvons en quelque sorte miser, où nous pouvons dire que nous avons désormais une voie à suivre pour pouvoir construire quelque chose. À l’heure actuelle, nous faisons des conjectures. Nous essayons d’orienter l’évolution, mais nous ne sommes qu’une petite entreprise. Il faut que le gouvernement intervienne et fasse preuve de leadership.

La sénatrice Simons : Si ce n’est pas fongible, si ce n’est pas soutenu par quoi que ce soit, alors ce n’est qu’un nouveau bitcoin. Il faut avoir une valeur marchande durable; autrement, les gens n’investiront pas, car qu’achètent-ils à part un certificat de participation à mettre sur leur réfrigérateur?

M. Mann : Fixez-vous la valeur par rapport au dollar canadien, au dollar américain, vous en remettez-vous au jeu de l’offre? Je ne suis pas sûr. À certains égards, le marché est toujours le marché. Selon moi, le marché va croître s’il repose sur une garantie, si on peut lui faire confiance. S’il est parrainé, il n’y aura pas à craindre qu’il ne s’agisse que d’écoblanchiment, que le crédit est légitime, que les crédits sont légitimes. Nous avons besoin de ce genre de soutien.

M. Seymour : J’appuierais le régime sur une méthodologie — si on s’interroge sur le rôle du gouvernement — une méthodologie, un mécanisme de vérification et peut-être une validation. Nous avons dans l’Ouest du Canada un système d’assurance-récolte qui pourrait être un outil ou un agent qui commence à donner cette crédibilité de soutien que vous semblez rechercher.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à Mme Hor.

Madame Hor, vous avez dit dans votre introduction, à propos de tous ceux qui ont adopté la pratique en premier, les early adopters, qu’il faut les reconnaître et les encourager. Vous n’êtes pas la seule à nous avoir parlé des early adopters, ceux qui ont adopté les meilleures pratiques en premier; on en a beaucoup entendu parler de la part de plusieurs groupes.

Ma question est très simple : qu’est-ce qu’on peut faire? Tout le monde dit que c’est un problème et qu’on ne les a pas assez reconnus, mais que faire d’autre? Est-ce qu’on les récompense, est-ce qu’on retourne en arrière? Concrètement, qu’est-ce qu’on devrait faire pour eux?

[Traduction]

Mme Hor : Merci, sénatrice. Ce que nous ne reconnaissons pas ici à l’heure actuelle, c’est le caractère unique des pionniers qui ont adopté ces pratiques et qui sont à l’avant-garde de l’agriculture canadienne. Ils ont une valeur d’exemple pour les autres.

Nous avons aussi beaucoup de chance sur le plan climatique. C’est pourquoi cela nous a permis de cultiver comme nous le faisons. C’est pourquoi nous pouvons éviter de labourer.

Nous avons maintenant un puits de carbone, et je déplore que nous n’en fassions rien. On ne prend pas acte de l’inadmissibilité de ce qui est reconnu. Selon nous, il est peut-être temps d’admettre que c’est il y a 20 ans que nous aurions dû commencer à faire cas de ces efforts, car nous faisions déjà ce qu’il fallait. Ou peut-être, comme ma collègue l’a dit, faudrait-il prendre ces efforts en considération à partir de l’Accord de Paris, en 2015.

Personne ne dit que les agriculteurs ont commencé à faire la bonne chose. Impossible de revenir 20 ans en arrière, mais puisque nous avons commencé à reconnaître tous les changements climatiques, comme nous l’avons consigné dans l’Accord de Paris, peut-être que 2015 serait une bonne année charnière.

Un mot maintenant de la permanence. Tout le monde parle de permanence. Je dirais que les mesures axées sur la nature sont celles qui ont la meilleure permanence. Si nous déployons ces efforts depuis 20 ans, si nous stockons le carbone et si nous avons quantifié tous nos puits de carbone, pourquoi parlons-nous de permanence? Nous y sommes pile, nous en sommes là, c’est notre quotidien. L’aspect scientifique va de soi, car nous sommes en présence de l’évidence.

C’est une question de valeur et de garantie. C’est ainsi que nous montrons notre soutien à l’agriculture, que nous le manifestons. Nous devrions nous dresser et affirmer que nous devons être un chef de file en matière de séquestration du carbone.

Je m’emporte toujours lorsque je parle de permanence et d’additionnalité parce que nous ne comprenons pas et que les gens ne voient rien. Les données scientifiques sont là, mais personne n’en tire les conséquences. Nous avons les pieds dedans, et nous avons tellement de chance d’être Canadiens.

Par conséquent, j’affirme avec conviction qu’il faut reconnaître la valeur de la culture sans labour, qu’il faut revenir sur le passé. Qu’on remonte à 2015 ou à 2010, cela aidera les agriculteurs à déployer de nouveaux efforts. Si leurs efforts antérieurs ne sont pas récompensés, comment vont-ils financer les nouvelles initiatives? Il n’est pas bon marché d’acheter de l’équipement ou d’adopter toutes ces technologies. Les agriculteurs ont peur : « Si je change quelque chose, qu’est-ce qui va m’arriver? » Si on dit : « Je sais que vous avez fait quelque chose de bien; j’ai confiance en vous, et je tire parti de cette confiance et je réinvestis dans l’agriculture régénératrice », alors cela va fonctionner.

Désolée, je m’emballe.

Le président : On a du mal à voir à quel point vous êtes passionnée.

M. Mann : Les politiques sont faussées par une attitude qui consiste à demander ce que les autres peuvent faire pour soi. Voilà le problème. Il faut manier la carotte et le bâton. Oui, il doit y avoir des améliorations et les nouvelles pratiques doivent être plus largement adoptées. Nous devons améliorer la protection des terres humides et faire des cultures de couverture, accroître la superficie des prairies et retirer des terres marginales de la production, et nous devons mieux utiliser les engrais. Mais récompensons ce qui a déjà été fait. Il ne s’agit pas simplement de dire : « Qu’avez-vous fait pour moi dernièrement? » La question est de savoir comment les agriculteurs voient les choses.

M. Seymour : Il y a peut-être là une occasion d’explorer la possibilité d’éviter la conversion, pratique qui s’applique dans le secteur forestier : « Je ne vais pas couper les arbres. » Ou dans le pâturage : « Je ne vais pas labourer la terre. » Je ne sais pas trop pendant combien de temps nous devons pratiquer la culture sans labour pour pouvoir dire que c’est désormais la norme, mais elle est généralement acceptée. Si nous appliquons cette pratique en Saskatchewan depuis 20 ans et sommes d’accord pour ne pas recommencer à labourer les terres, il serait possible de tenir compte de l’apport de cette méthode à la séquestration du carbone. C’est une nuance à apporter. Nous nous sommes beaucoup intéressés à la récompense de la pratique. Un élément évident nous échappe peut-être : « Un instant, si nous ne convertissons pas ces terres au labour et ne libérons pas 20 tonnes de carbone, c’est là aussi un crédit de carbone par définition. »

Le sénateur Klyne : J’espère que vous êtes aussi généreux de votre temps, car j’ai l’impression que nous pourrions probablement consacrer une autre heure à cette question.

Pendant que vous êtes sur une lancée, je reviens à ce que vous avez dit, soit que la politique est l’enjeu véritable. À ce sujet, quel message devrions-nous transmettre aux décideurs en ce qui concerne les incitatifs pour les pionniers de la culture sans labour et les encouragements à adopter les nouvelles technologies? Nous avons des mesures incitatives pour les véhicules électriques, et peut-être devrions-nous en avoir aussi pour le déploiement des nouvelles technologies dans les régions où les agriculteurs canadiens peuvent être considérés comme des chefs de file. J’ai l’impression que le potentiel est considéré comme tel à l’échelle mondiale.

C’est donc une question qui doit intéresser les décideurs; l’absence d’incitatifs, j’en conviens, est une forme de pénalisation. Dans cet ordre d’idées, comment pouvons-nous les amener à agir plus promptement pour rattraper les deux ou trois décennies négligées? Vous avez décrit la séquestration du carbone et la culture sans labour comme pratique exemplaire dans la lutte contre les changements climatiques. Cela vaut-il pour toutes les régions? Est-ce une solution d’application générale, ou y a-t-il des régions où les sols ne sont pas nécessairement adaptables à la culture sans labour et où il faut labourer régulièrement?

Mme Hor : Il y a là un certain nombre de questions. Je commencerai par la dernière. La même méthode de culture convient-elle à tous? Oui et non. Non, parce que certaines conditions climatiques ou conditions de sol ne favorisent probablement pas la culture sans labour autant que nous le souhaiterions. Mais il est aussi possible d’appliquer la méthode du travail minimal du sol. Cela permettrait l’adoption d’une autre pratique agricole durable.

Il faut investir pour faire des essais. C’est un autre aspect à examiner.

Quant à toutes les technologies qui sont offertes, il faut, pour qu’ils les adoptent, que les agriculteurs se sentent assez à l’aise pour les appliquer. Il y a donc toutes sortes d’autres formes d’encouragement... Même les services financiers offrent maintenant des prêts pour l’agriculture durable, et c’est un autre élément qui permet aux agriculteurs de passer à l’action.

Il ne me semble pas y avoir de politiques ni d’encouragements en place pour éviter aux agriculteurs d’être pénalisés d’une façon ou d’une autre parce qu’ils ne s’y prennent pas tout à fait correctement dès la première année. Normalement, au cours de la première année, quand on adopte un changement, les résultats ne sont pas instantanément au rendez-vous, mais on compte toujours obtenir des résultats immédiats.

Même dans le cas du carbone, il est séquestré au fil du temps, mais nous recherchons un changement immédiat, et nous disons que nous devons mesurer l’additionnalité d’une année sur l’autre. Ce n’est pas ainsi que cela fonctionne. Il faut du temps pour que les résultats se concrétisent.

À mon avis, il faut mesurer au fil du temps le carbone stocké dans les sols, mais on ne semble pas porté à faire des mesures épisodiques.

Le sénateur Klyne : Vous avez mentionné que la culture sans labour n’est pas reconnue dans le système des crédits carbone. Je n’ai peut-être pas bien saisi?

Mme Hor : Pour le moment.

Le sénateur Klyne : Dans ce cas, est-il nécessaire de modifier la politique?

Mme Hor : À l’heure actuelle, il n’y a aucune politique en place, mais comme il n’y en a pas, personne n’y est admissible. C’est ainsi que cela fonctionne globalement.

Tous ces registres — et il y en a quatre importants à l’échelle mondiale — ne proposent rien pour encourager la participation sous cette forme. Le Canada étant ce qu’il est, nous avons parfois tendance à imiter ce que font les autres, mais nous ne faisons pas les choses à notre manière. Nous sommes différents, nous sommes spéciaux.

M. Mann : À mon avis, la réponse directe est oui, il faut changer la politique et, oui, le gouvernement doit reconnaître la séquestration du carbone dans le sol, c’est absolument nécessaire.

Nous pourrions être des chefs de file dans ce domaine si nous commencions par cela, parce que nous sommes les chefs de file. Nous sommes des pionniers en matière de réduction du travail du sol. Dans les années 1980, au moment où j’ai commencé à pratiquer l’agriculture, il y a eu des sécheresses dans l’Ouest canadien. Les fossés étaient pleins de boue. Les sauterelles fauchaient toutes les récoltes. C’est à cause du climat que nous avons fait la transition au travail minimal du sol et aux semis directs.

Et voilà que nous disons maintenant aux agriculteurs qu’ils ne seront pas récompensés pour leurs efforts parce qu’ils en ont tiré des avantages. En fait, nous devons les récompenser pour avoir adopté cette méthode agricole novatrice, une innovation qui est transplantée partout dans le monde. On la retrouve en Australie, en Ukraine.

Le sénateur C. Deacon : Ne vous inquiétez pas, je vais reprendre là où vous venez de vous arrêter.

Le Canada est encore l’hôte de la plus importante conférence mondiale sur l’investissement dans les mines et les minéraux qui se tient chaque année à Toronto. Je rêve qu’un jour, peut-être, nous aurons un marché du carbone qui suscitera autant d’intérêt dans le monde. Je suis profondément déçu, comme d’autres autour de cette table peut-être, de voir que nous ne relevons pas ce défi et que nous ne saisissons pas cette occasion.

Je vais parler en mon nom personnel. J’ai été déçu à chacune de mes interactions avec des fonctionnaires d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC, et avec des conseillers de la ministre, parce qu’ils ne tiennent pas compte de ce que disent les scientifiques, les gens sur le terrain et les agriculteurs concernant tout ce qu’il est possible de faire ici. De plus, le Canada pourrait gagner du temps dans sa lutte contre les changements climatiques s’il devenait un chef de file mondial et exportait sa technologie et son savoir-faire dans le monde entier, pour que nous ayons des marchés de carbone qui ont confiance — oui, nous avons besoin de politiques et de méthodologies soutenues par le gouvernement et nous devons profiter de cette occasion mondiale et tirer parti dès maintenant de la crise qui secoue le monde.

Je vous demanderais de bien préciser ce qui doit changer. Je vais commencer par vous, monsieur Seymour, si vous le permettez. Nous avons besoin de conseils précis parce que je pense que nous ressentons la même frustration de voir que nous laissons simplement passer cette occasion. Nous nous disons que d’autres la saisiront. Nous n’avons pas le courage de la saisir, nous n’y croyons pas.

M. Seymour : C’est une question importante, sénateur, et sage aussi.

Deux choses me viennent à l’esprit. La première, c’est que cette discussion ne concerne pas seulement AAC. Elle concerne également Environnement et Changement climatique Canada, ou ECCC, et elle a même une portée plus large. Voici le conseil que je vous donne à cet égard. Les ministères doivent harmoniser collectivement leurs décisions en fonction des résultats. Ils doivent avoir une vision commune. Je ne suis pas certain que ce soit le cas actuellement. Je ne pourrais pas vous donner un exemple précis. Je me contente de vous donner la réponse facile pour ne pas entrer dans les détails.

Deuxièmement, vous devez décider si vous voulez faire cela au moyen d’un mécanisme de conformité ou d’un mécanisme à participation volontaire. J’adore le mécanisme de conformité parce que la situation économique semble vraiment bonne, mais c’est un mécanisme lent. Si vous voulez avancer à la vitesse des affaires, je vous conseille alors de recourir à un mécanisme à participation volontaire. Le gouvernement devrait peut-être jouer un rôle dans l’établissement d’un marché volontaire.

Mon souhait, c’est que nous puissions échanger ces crédits à l’échelle internationale. C’est extrêmement important pour moi, parce que le marché canadien regorge de crédits fondés sur la nature, mais le bassin d’acheteurs est limité à cause de la taille de notre économie.

Je vais m’arrêter ici. Ce sont là deux pistes à explorer.

M. Mann : Je pense que nous devons créer un marché d’échange. Nous devrions être les chefs de file mondiaux dans ce domaine. Depuis plus d’une trentaine d’années, nous sommes des pionniers en matière de solutions fondées sur la nature. En toute honnêteté, les autres pays sont en train de nous couper l’herbe sous le pied.

De tous les endroits, pourquoi Singapour est-elle si en avance sur nous? Le groupe Temasek et la banque Standard Chartered sont en train de mettre en place ces marchés d’échange axés sur la nature. C’est ce qui se passe partout, même dans des pays d’une superficie égale au Sud-Ouest de l’Ontario. Qu’attendons‑nous? C’est notre domaine. Nous devrions être des chefs de file, comme le dit le sénateur Deacon. J’aimerais tellement qu’un jour nous devenions un lieu incontournable, que nous accueillions la conférence à laquelle tout le monde veut assister et que nous ayons un marché d’échange qui aurait la confiance du monde entier. Avec l’appui du gouvernement, lançons-nous.

Le sénateur C. Deacon : Oui. Et ne pénalisons pas les agriculteurs pour le carbone qu’ils utilisent si nous ne les récompensons pas pour le carbone qu’ils séquestrent.

M. Mann : Oui. Il y a tant de choses encore que les agriculteurs pourraient faire et seraient disposés à faire.

Je le répète, ils ont besoin de conseils. Ils entendent seulement dire qu’Ottawa va offrir des crédits carbone. C’est ce qu’ils pensent. Ils ne sont pas au courant de toutes les possibilités qui s’offrent à eux. Oui, ils comprennent les avantages découlant de la réduction du travail du sol et de l’utilisation plus judicieuse des intrants, mais ils pourraient faire tellement plus si seulement nous leur en donnions les moyens.

Le sénateur C. Deacon : Bravo!

Madame Hor, avez-vous quelque chose à ajouter?

Mme Hor : Je me fais l’écho de mes deux collègues et j’espère vraiment que nous sommes sur la bonne tribune pour exprimer notre frustration.

Sénateur Deacon, vos commentaires m’ont touchée droit au cœur. Je me suis entretenue avec un grand nombre de sénateurs ici, et j’espère qu’aujourd’hui, mes collègues et moi sommes vraiment entendus, parce que nous sommes là pour changer les choses. Grâce à la technologie, nous allons construire tout cela. Nous devons simplement repousser un peu les limites et, pour y arriver, nous avons besoin de soutien.

Merci.

Le sénateur C. Deacon : J’espère comprendre un jour la raison de ce blocage, parce que c’est insensé.

Mme Hor : Je suis d’accord avec vous.

Le président : Merci.

La sénatrice Burey : Bonjour à tous. Je vous remercie de votre enthousiasme. J’adore cela. Je viens d’un autre domaine, mais je pense qu’il y a des leçons à tirer de chaque domaine.

J’ai entendu de nombreux témoins, surtout des fonctionnaires, dire que les premiers à avoir adopté cette pratique profitent d’une production accrue. Tout d’abord, que répondez-vous à ceux qui prétendent que, puisque vous avez augmenté votre production au fil du temps, vous ne devriez pas être récompensés pour cela?

Mme Hor : Je suppose que vous voulez parler de l’avantage public par rapport à l’avantage privé. On entend souvent dire que les premiers à avoir adopté cette pratique recherchent, en fait, un avantage privé. Je vous renvoie alors à ce que Jason Mann vient de dire : « Et vous, que faites-vous pour moi aujourd’hui? »

Finalement, nous savons tous que l’agriculture sans labour aurait été un puits de carbone pour nous tous. Mais nous ne le savions pas à l’époque. Les agriculteurs s’attendaient-ils vraiment à ce que la culture sans labour allait produire un tel rendement? Ils ne le savaient pas non plus.

Je dirais donc que l’intention de tous ces agriculteurs, c’était de faire quelque chose de bien d’abord pour eux-mêmes, c’est vrai, mais avec le temps, nous avons approfondi les recherches et fait des constatations. Nous avons fait tout ce bien et nous continuons à faire toutes ces bonnes choses pour toutes les autres régions. Pourquoi nous pénalisons-nous alors? Nous avons trouvé cette solution et d’autres agriculteurs apprennent de nous et, à leur tour, ils font toutes ces bonnes choses. Mais nous ne faisons pas cela pour nous-mêmes, le carbone est là, sous nos pieds.

La sénatrice Burey : Désolée, madame Hor, j’ai une autre question. Souhaitez-vous intervenir maintenant, monsieur Seymour?

M. Seymour : Merci beaucoup. Comme vous le constatez, j’ai des idées sur une foule de sujets.

Nous revenons constamment au principe d’additionnalité, qui est au cœur de la question du carbone. Tout dépend de quel côté vous vous trouvez. Si je parle à un acheteur, il souhaite généralement l’élimination du carbone. Si je parle à un vendeur, il souhaite obtenir un crédit pour tout le bien qu’il a fait pendant 20 ans. Il y a une tension inhérente dans cette situation, mais elle est acceptable. Voilà en quoi consiste le combat que nous menons. Nous devons choisir quelle bataille nous voulons mener. Je ne sais pas si c’est possible de mener les deux en même temps, mais il y a là une distinction importante à faire. Voulons-nous satisfaire l’acheteur ou le vendeur?

Dans ce cas-ci, j’essaierais de satisfaire l’acheteur en lui offrant des avantages connexes. Pour revenir à ce que vous disiez au sujet de l’augmentation de la productivité, bien sûr, c’est fantastique. C’est ainsi que le système agricole était structuré. Les avantages connexes pour l’agriculteur, c’est d’avoir capté du carbone, d’avoir créé des emplois dans sa collectivité et ainsi de suite. Nous ne valorisons probablement pas les avantages connexes de certains de ces changements.

Mes amis de CarbonTerra ont très clairement dit que le montant que les agriculteurs reçoivent par acre est minime. Selon le principe de l’additionnalité, l’argent versé doit induire un changement de comportement. C’est la solution la plus simple. Si un dollar par acre n’incite pas un agriculteur à changer son comportement, comment pouvons-nous alors lui offrir deux, trois ou quatre fois plus d’argent? Ma théorie, c’est que si nous arrivons à mieux mesurer, nous pourrons démontrer qu’il y a une plus grande quantité de carbone par acre. Cela fait partie de l’équation. Une autre solution, c’est de hausser le prix du carbone pour attirer plus d’argent. Le seul troisième levier auquel je peux penser, ce serait que le gouvernement verse une part complémentaire. Il y a bien sûr des programmes en place, mais ils ne suffiront pas à couvrir l’ensemble de l’industrie. Quoi qu’il en soit, c’est la formule.

La sénatrice Burey : Je reviens à ce que vous venez de dire, monsieur Seymour, au sujet du principe d’additionnalité et de la nécessité de mettre les gens au courant. Je pense en particulier à l’engouement suscité par l’agriculture biologique et les produits biologiques. Je pense qu’il y a un énorme déficit de connaissances chez les consommateurs. Vous pourrez répondre plus tard, si vous le souhaitez, mais j’aimerais savoir comment vous composez avec cette réalité et si vous avez des stratégies à nous recommander. De plus, que pourrions-nous faire à cet égard?

Merci.

Le président : J’ai une question à poser, mais permettez-moi d’abord de dire, chers collègues, que nous n’aurons peut-être pas le temps de faire un deuxième tour. Nous vous demandons donc de poser votre question et les témoins pourront envoyer leur réponse par écrit.

Voici ma question. Vous avez soulevé quatre ou cinq points dans votre déclaration préliminaire. Pouvez-vous nous expliquer très brièvement quels sont ces points que vous souhaitiez nous signaler? Je pense que nous n’avons pas eu l’occasion d’en parler. Vous avez dit que vous souhaitiez que nous réfléchissions à quatre ou cinq points.

Mme Hor : Le premier concerne surtout la politique. Il s’agit en fait de mettre au point un mécanisme visant à encourager l’adoption généralisée de pratiques durables. Je pense que nous en avons amplement parlé. En encourageant l’atténuation des changements climatiques, nous créons en fait une résistance par rapport à nos actions à l’égard de l’ensemble de l’écosystème.

Le deuxième point que j’ai noté, c’est qu’il est important de régler les problèmes d’équité. Il est essentiel de reconnaître les agriculteurs qui ont été les premiers à se lancer dans la culture sans labour afin de régler le problème de l’équité qui prévaut dans le secteur agricole. Tous les gros investissements qu’ils ont consentis en temps, en argent et en ressources pour favoriser la transition doivent être reconnus si l’on veut encourager l’adoption continue d’autres méthodes agricoles régénératives qui pourraient être coûteuses de la manière dont nous les envisageons.

Il y a aussi la technologie dont M. Seymour a parlé. Actuellement, notre façon de mesurer le carbone n’est pas très efficace. Nous dépensons beaucoup trop d’argent à envoyer des équipes sur le terrain, sous prétexte que nous devons continuer à tester chaque parcelle de sol. En fait, cela gruge le crédit carbone qui sera versé aux agriculteurs. Nous avons la méthodologie et la technologie à notre portée, mais nous les ignorons. Si vous regardez toutes les recherches en cours, vous constaterez que les chercheurs délaissent l’imagerie satellitaire et la télédétection pour se tourner vers de nouvelles technologies. Et nous voilà en train de nous démener et de dire que nous avons encore besoin d’envoyer des équipes sur le terrain et de faire des tests en laboratoire. C’est tout simplement insensé parce que nous pouvons faire tout cela à moindre coût. Nous pouvons adopter des méthodes évolutives, les déployer et remettre de l’argent dans les poches des agriculteurs. Ce n’est malheureusement pas ce que nous faisons.

Le sénateur Cotter : Je m’excuse d’avoir manqué vos exposés au début de la période de questions. Comme j’ai eu la chance de m’entretenir avec Rachel Hor et Jason Mann dans le passé, j’ai donc une assez bonne idée des points de vue qu’ils ont pu apporter. Mes excuses s’adressent davantage à vous, monsieur Seymour.

Ma question est davantage un commentaire qu’une question. Une bonne partie de cette discussion — parfois inspirée par les interventions du sénateur Deacon — sur la question des adopteurs précoces me rappelle l’histoire du fils prodigue, auquel la sénatrice Simons fait parfois allusion, en ce sens que tous les gens qui font le bien sont récompensés de la même manière que ceux qui arrivent au dernier moment, et tout le monde va au ciel. Est-ce ainsi que les choses se passent? C’est décevant parce que nous oublions tous les autres enfants qui ont mené une bonne vie et contribué au bien public, mais dont la situation ne semble pas meilleure que celle des derniers arrivés.

De plus, on semble vouloir dissuader les agriculteurs à faire preuve d’audace et à être des pionniers, pas seulement dans ce secteur, mais dans presque tous les autres domaines d’activité dans lesquels le gouvernement a son mot à dire. Pourquoi être les premiers à prendre des risques quand nous pouvons laisser quelqu’un d’autre le faire? De toute façon, nous allons tous nous retrouver au même point et, qui sait, mieux nous en sortir? C’est un commentaire, mais je vous invite à y réfléchir.

M. Mann : Nous sommes tout à fait d’accord. C’est un exemple de la politique insensée du « qu’avez-vous fait pour nous dernièrement? » Sénateur Black, vous nous avez demandé ce que nous voulions. Nous voulons un registre purement canadien. Actuellement, nous sommes soumis aux normes de Verra, Climate Action Reserve et Gold Standard. Nous avons besoin d’un registre qui reflète les valeurs canadiennes et grâce auquel nous pourrons donner l’exemple. Nous avons besoin du soutien du gouvernement pour lui donner de la crédibilité.

Nous avons besoin d’un marché d’échange, d’un marché proprement canadien. Pourquoi laisser Singapour le créer? Nous devrions le créer ici même. Nous avons les crédits axés sur la nature. Nous ne faisons que les exporter comme n’importe quel autre produit. Ajoutons-y de la valeur ici.

De plus, nous devons absolument reconnaître cette pratique historique du travail minimal des sols. Nous devons le faire si nous voulons que les agriculteurs soient plus nombreux à l’adopter et nous devons leur donner les moyens d’aller plus loin. Nous devons reconnaître ceux qui ont adopté cette pratique, que ce soit depuis 2015 ou 2010. Nous pouvons choisir une date arbitraire, mais nous devons le faire, ne serait-ce que parce que les agriculteurs y investissent de l’argent. Le coût d’un nouveau semoir pneumatique pour les cultures à labour minimal s’élève à 1 million de dollars. Qui va payer pour cela? Ils espèrent compenser cette dépense grâce au prix du canola.

Et ce n’est pas tout. Je représente des milliers d’agriculteurs canadiens qui investissent dans la construction d’une nouvelle usine de produits azotés. L’azote est une cible importante à cause de ses émissions, mais nous avons l’intention de construire une usine d’ammoniac vert. Ce sont là des projets dans lesquels les agriculteurs sont proactifs. Ils accumulent un capital de démarrage pour réaliser tous les travaux d’ingénierie et de conception, soit plusieurs dizaines de millions de dollars dans le but d’améliorer l’utilisation des engrais. Nous avons placé une grosse cible dans le dos de l’azote et cela inquiète les agriculteurs. Ils se demandent s’ils seront obligés de réduire leur consommation d’azote. Je ne pense pas que cela soit nécessaire, mais nous devons l’utiliser de manière plus intelligente. Pour cela, nous devons produire des produits azotés de meilleure qualité et disposer de l’équipement nécessaire pour les appliquer. Tout cela a un prix.

Nous devons trouver une façon de rétribuer ces agriculteurs pour leurs bonnes initiatives afin qu’ils puissent réinvestir. Et nous savons pertinemment qu’ils réinvestiront. C’est dans ce genre de projets qu’ils aiment investir leur argent. Ils aiment dépenser leur argent pour améliorer leur ferme. Ils ont l’habitude de dire que chaque dollar que nous dépensons passe sept fois dans la rue principale. Investissons au Canada et investissons dans nos agriculteurs.

M. Seymour : Je peux lancer une nouvelle idée à ce sujet. Je pense qu’il serait intéressant d’examiner l’outil offert par les émissions de portée 3 et le financement durable. Les émissions de portée 3 ouvrent la porte aux chaînes d’approvisionnement. Si vous mettez l’accent sur les émissions de portée 3, cela augmentera leur valeur monétaire pour les agriculteurs qui labourent le sol depuis longtemps et qui captent le carbone. Cela se manifestera de différentes façons. L’industrie doit explorer cette possibilité. Le calcul et le traçage des émissions de portée 3 sont des exercices extrêmement difficiles, mais il y a quelque chose à en tirer.

Les outils de financement durable sont un autre moyen de récompenser les producteurs. Il y a, sur le marché, des prêteurs qui encouragent des pratiques déjà validées — pas des pratiques nouvelles, mais celles déjà en place et validées.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie.

La sénatrice Duncan : Je vous présente mes sincères excuses d’être arrivée en retard ce matin et d’avoir manqué une partie de vos exposés. Je vous remercie de la passion dont vous faites preuve dans ce dossier. Votre idée d’un marché purement canadien m’intéresse.

Je suis originaire du Yukon. Nous ne sommes pas reconnus pour notre agriculture ni pour nos pratiques de travail du sol. Cependant, la fonte du pergélisol relâche une bonne quantité de carbone dans l’air. Cela m’amène à votre idée d’un système purement canadien. Existe-t-il un mécanisme qui permettrait au gouvernement d’adopter une approche pancanadienne? Le gouvernement a trop souvent tendance à adopter des politiques générales qui ne sont pas applicables partout au pays. Ne pourrions-nous pas offrir, par exemple, des crédits carbone qui pourraient s’appliquer dans l’ensemble du pays? Que devons‑nous faire pour encourager une coopération fédérale-provinciale? Le fédéralisme est sans doute la forme de gouvernement la plus difficile à gérer, mais nous pourrions peut‑être faire en sorte que les crédits carbone offerts en Saskatchewan le soient également dans le Nord et dans l’Ouest canadien. Autrement dit, nous avons des problèmes ailleurs, notamment dans le nord‑ouest du Canada. Ne pourrions-nous pas avoir une solution canadienne qui s’appliquerait à l’ensemble du pays en ce qui concerne les crédits carbone? Qu’en pensez-vous? Avez-vous une suggestion à faire en vue des prochaines discussions du Conseil de la fédération?

M. Seymour : Mon collègue a recommandé la création d’un registre national. Dans ce cas, un registre volontaire est une solution.

Je déconseillerai la normalisation ou l’octroi de crédits carbone à tous les agriculteurs qui travaillent de la même manière. En Saskatchewan, par exemple, tous les agriculteurs obtiendraient des crédits pour la culture sans labour. Cela diminuerait la valeur du crédit. Quand un agriculteur ira vendre son produit sur le marché, puisque c’est la norme, les acheteurs auraient tendance à le dévaluer. Cela ne veut pas dire que le produit n’a pas de valeur, mais il y a lieu de réfléchir à cette tension que cela créerait. Si le Yukon et l’Île-du-Prince-Édouard participaient à cette normalisation du marché du carbone, je ne suis pas convaincu de la valeur monétaire que ces crédits auraient à l’extérieur du pays. Nous n’avons pas testé cela, mais je suppose que si tout le monde obtenait des crédits, cela en diminuerait la valeur.

La sénatrice Duncan : Et cela causera des querelles à la table fédérale-provinciale. C’est pourquoi je cherche une solution novatrice.

Nous avons un crédit d’impôt pour l’exploration minière qui s’applique partout au pays. Pourquoi ne pas créer un crédit semblable? Pourquoi pas un crédit d’impôt quelconque?

M. Seymour : En fait, nous avons un partenaire de réflexion que le sénateur Black et moi-même connaissons bien, mais je ne vais pas le nommer ici au cas où il ne serait pas encore prêt à en parler. Concernant l’octroi d’un crédit d’impôt pour la culture sans labour, je dois dire que les agriculteurs adorent recevoir des crédits d’impôt. Vous n’auriez pas à les payer pour cela. Par exemple, le gouvernement pourrait simplement reconnaître qu’ils utilisent cette méthode depuis 20 ans, et leur offrir un crédit à condition qu’ils puissent mesurer la quantité. Et le crédit figurerait sur leurs déclarations de revenus. Je tiens à saluer et remercier la personne qui a lancé cette idée, mais je pense que c’est peut-être encore trop tôt pour le faire.

M. Mann : Un crédit d’impôt est une solution très sensée. Comme je l’ai dit, les agriculteurs s’inquiètent au sujet du crédit de taxe sur le carbone annoncé. Nous l’obtenons tous sur nos factures d’énergie maintenant. Les agriculteurs veulent une compensation pour le bon travail qu’ils ont fait. Il n’est pas nécessaire que ce soit un chèque. Ce pourrait être un crédit d’impôt. Il y a d’autres activités qui pourraient être intégrées à un marché d’échange. Je pense à un marché d’échange soutenu par le gouvernement. Nous pourrions être des chefs de file dans le monde. J’en suis persuadé.

La sénatrice Duncan : Est-ce que cela ne pénaliserait pas d’autres provinces ou territoires qui, sans que ce soit leur faute, relâchent du carbone dans l’air?

M. Mann : C’est une question complexe. Je dois y réfléchir un peu.

La sénatrice Duncan : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : Je veux maintenant parler des prairies. Nous avons parlé de cultures sans labour. En Alberta et en Saskatchewan, toutefois, des agriculteurs essaient de créer des marchés d’échange de carbone pour la préservation des prairies naturelles et pour la reconversion des terres marginales pour la culture de plantes fourragères. Ce n’est pas directement lié à votre travail, mais selon vous, comment pourrait-on intégrer cela à un marché d’échange d’émissions de carbone?

M. Seymour : Cela fait un peu partie de notre travail. La solution est assez simple. Il faut revenir aux principes de permanence et d’additionnalité. Nous devons démontrer que nous sommes capables de mesurer quelle quantité de carbone a été perdue ou séquestrée. Cela revient à l’une des lacunes des entreprises, à savoir comment mesurer.

Le défi avec les prairies, du point de vue du volume, c’est que les prairies canadiennes ont une histoire unique. Il est donc difficile de trouver des données valables. Il y a un manque de données nous permettant de bien faire les choses et avec assurance, mais nous y travaillons en tant qu’industrie.

La sénatrice Simons : Les directions générales avec lesquelles je me suis entretenue ont collaboré avec le Texas pour essayer de trouver un marché qui leur convient. J’ai l’impression que vous avez un double problème, d’une part, comment reconnaître le mérite d’un agriculteur qui n’a pas détruit une prairie indigène qui existe depuis 5 000 ans et, de l’autre, comment créditer un agriculteur pour avoir transformé en cultures fourragères un champ de canola marginal?

M. Seymour : Le protocole en vigueur prévoit une distance de moins d’une centaine de kilomètres de terres agricoles admissibles au protocole d’évitement de conversion mis en place par Climate Action Reserve. L’organisme est en train de moderniser ce protocole pour le sud-ouest de la Saskatchewan.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le président : Nous avons le temps d’entendre la question du sénateur Klyne.

Le sénateur Klyne : Je ne sais pas si vous aurez le temps de répondre, mais je vais quand même poser ma question et vous pourrez nous faire parvenir la réponse.

Tout à l’heure, je voulais demander à M. Seymour de nous donner un cours de base sur le marché du carbone. Nous ne devons pas tenir pour acquis que tout le monde sait comment cela fonctionne. Il y a des acheteurs et des vendeurs. Qu’est-ce qu’ils en retirent? Que recherchent-ils et quels avantages en retirent-ils? Et voici la principale question. Comment le marché du carbone contribue-t-il à la lutte contre les changements climatiques et nous aide-t-il à nous rapprocher de la carboneutralité? C’est mon premier point.

Deuxièmement, comme vous l’avez mentionné dans certains commentaires et sur votre site Web, les Premières Nations exercent leur souveraineté sur un territoire de plus de 150 millions d’acres. La sénatrice Simons serait heureuse de savoir que ces terres comprennent des fermes, des prairies et des forêts qui absorbent naturellement le carbone. Vous avez déjà dit en entrevue que, même si les peuples autochtones ont toujours cherché à protéger l’environnement, ils n’ont jamais eu une chance de participer au marché du carbone. Quels sont les obstacles? Quelles solutions proposez-vous pour les supprimer afin que les Premières Nations puissent participer pleinement au marché du carbone?

Troisièmement, j’aimerais que vous nous expliquiez plus en détail le rôle du gouvernement en matière de validation et le financement ainsi que les principes d’additionnalité. Vous avez dit que l’argent doit induire un changement de comportement. Sur quelles données vous appuyez-vous pour dire cela? J’aimerais également en savoir plus sur l’élaboration du protocole sur le carbone. Ces protocoles facilitent le rôle du gouvernement. Ils couvrent tout. Le dernier vise à faciliter l’adhésion volontaire.

Le président : Vous avez donc les questions. Pour les réentendre, vous n’avez qu’à visionner les témoignages. Sénatrice Deacon, vous avez le temps de poser une question, mais nous n’aurons pas le temps d’entendre la réponse.

Le sénateur C. Deacon : Je comprends cela, monsieur le président. Merci de votre aimable proposition. Si vous vous réunissiez avec d’autres parties prenantes dans ce domaine, comme des concurrents ou des collaborateurs, en vue de nous donner une idée claire des aspects méritant toute notre attention, comme la définition du marché, de quoi parlerait-on alors? Quelles variables faudrait-il gérer?

Il a été dit que le sol est considéré comme une ressource naturelle au Canada. C’est ce que Jonathan Wilkinson a établi lors de son passage au ministère de l’Environnement et du Changement climatique. Malheureusement, je n’ai trouvé personne d’autre qui ait emboîté le pas depuis, pas plus au ministère de l’Agriculture qu’à celui de l’Environnement. Ce serait bien que vous nous éclairiez un peu plus sur ce plan, surtout en tant que groupe d’entreprises, car il nous serait utile de savoir comment nous pourrions insister davantage, comment pousser plus loin et de façon plus explicite, d’autant que je partage votre vision, comme, je crois, d’autres autour de cette table.

Le président : Voilà que nos témoins ont beaucoup de pain sur la planche. Monsieur Mann, madame Hor, monsieur Seymour, nous vous serons reconnaissants de bien vouloir répondre par le biais d’un mémoire que vous pourrez envoyer à la greffière.

Je tiens à vous remercier de votre participation et à vous féliciter pour votre passion, ce qui est ressorti clairement aujourd’hui, et nous l’apprécions vraiment. Nous menons une étude qui va durer dans le temps, et votre aide a été très appréciée.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons, par vidéoconférence, M. William Greuel, chef de la direction de Protein Industries Canada, ou PIC, de même que deux représentants de Miraterra, soit M. Nate Kelly, chef de la direction, et Mme Kim Haakstad, vice-présidente, Relations avec les intervenants.

Avant de vous inviter à faire vos exposés, je souligne que vous êtes de la Saskatchewan et de la Colombie-Britannique, où vous avez dû vous connecter à notre réunion vers 6 h 30 et 5 h 30 respectivement. Merci beaucoup de vous être joints à nous si tôt.

Nous allons commencer par M. Greuel, puis nous passerons aux questions. Les sénateurs auront cinq minutes pour les questions et les réponses.

William Greuel, chef de la direction, Protein Industries Canada : Bonjour, monsieur le président et honorables membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Bill Greuel et je suis le PDG de Protein Industries Canada.

Au cours des quatre dernières années, dans le cadre du programme des Grappes d’innovation mondiales, et de concert avec l’industrie, nous avons investi près de 0,5 milliard de dollars dans la recherche et le développement liés aux aliments et aux ingrédients d’origine végétale. Nous venons d’entamer notre deuxième mandat et nous continuons de développer le marché canadien des aliments, des aliments pour animaux et des ingrédients à base de plantes. Nous croyons que les aliments à base de plantes sont un secteur d’avenir, et pas seulement pour notre économie, car ils représenteront 25 milliards de dollars d’ici 2035...

Le président : Monsieur Greuel, je vais devoir vous interrompre. Vous êtes figé sur notre écran.

Nous allons passer aux autres témoins. Toutes mes excuses, monsieur Greuel.

Kim Haakstad, vice-présidente, Relations avec les parties prenantes, Miraterra : Merci, monsieur le président et honorables membres du comité, de nous avoir invités aujourd’hui. Je m’appelle Kim Haakstad et je suis vice‑présidente, Relations avec les parties prenantes chez Miraterra, une toute jeune entreprise de technologie de Vancouver qui est une émanation de Terramera. Je suis accompagnée de notre PDG, Nate Kelly.

Miraterra est une entreprise de technologies propres qui croit que bon nombre des défis auxquels notre planète est confrontée ont une chose en commun : la dégradation des sols. Nous avons réuni les meilleurs cerveaux du monde entier et nous utilisons la technologie la plus avancée actuellement disponible pour contribuer à résoudre ce problème.

Nos remarques d’aujourd’hui porteront sur le rôle que les nouvelles technologies vont jouer dans la gestion et dans l’amélioration de la santé des sols.

Nate Kelly, chef de la direction, Miraterra : Au sein de Miraterra, nous avons regroupé différentes industries qui s’efforcent de renverser les quatre tendances découlant de la dégradation des sols, soit la perte de biodiversité, l’accroissement de l’insécurité alimentaire, la réduction de la rentabilité des exploitations agricoles et les changements climatiques. Heureusement, l’amélioration de la santé des sols est l’une des meilleures mesures que nous puissions prendre pour relever ces défis. Des sols plus sains permettent de réduire les intrants et les coûts et d’améliorer la biodiversité des sols. Ils rendent possibles l’amélioration du rendement des cultures et la réduction de la superficie de terres agricoles nécessaire. Ils permettent d’assurer de nouveaux revenus aux agriculteurs grâce aux marchés du carbone et, surtout, de prendre le carbone de l’air pour le réinjecter dans le sol, comme il se doit.

Les problèmes sont énormes et nous ne pensons pas parvenir à tous les régler, mais nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice sous la forme de renseignements significatifs et exploitables qui changent les processus de gestion des sols.

L’information commence par les données, et les données proviennent de la mesure. C’est là que nous avons découvert le problème auquel nous nous attaquons : des mesures exactes et régulières du sol. D’aucuns estiment que seulement 20 % des terres agricoles en Amérique du Nord ont été testées, et les résultats des tests sont éparpillés dans des classeurs, des courriels et des disques durs.

Nous avons tenté d’effectuer des mesures rapides et peu coûteuses des sols eux-mêmes et de ce qui se passe à partir du niveau du sol; nous avons aussi eu recours à l’apprentissage machine pour résoudre les problèmes de précision des capteurs actuellement disponibles sur le marché, mais nous n’avons obtenu que des résultats incohérents et non fiables.

Nous avons conclu que la seule mesure des sols à laquelle l’agriculture fait confiance provient des laboratoires traditionnels d’analyse des sols. Malheureusement, le processus traditionnel de collecte, d’expédition et d’analyse des échantillons exige beaucoup de travail et coûte cher. Les analyses en laboratoires nécessitent tout un matériel, consomment beaucoup de produits chimiques et prennent beaucoup de temps pour passer de l’échantillonnage aux résultats.

Nous avons voulu trouver une solution plus rapide, moins coûteuse et plus propre que tout ce qui se trouve sur le marché et qui pourrait également produire des résultats d’une qualité comparable à celle obtenue en laboratoire. Notre équipe, associée à l’Université de la Colombie-Britannique et grâce au soutien du financement gouvernemental, notamment d’Agriculture et agroalimentaire Canada et de Technologies du développement durable Canada, ou TDDC, a pu mettre au point un capteur de sol qui répond à ces exigences rigoureuses.

Je ne peux pas vous donner plus de précisions sur notre invention, si ce n’est pour dire que nous sommes partis d’une découverte vieille de plus d’un siècle, qui était tombée en désuétude. Pour cela, nous avons appliqué une combinaison de techniques : laser, fibre optique, algorithmes de traitement des signaux, chimie computationnelle, principes de la mécanique quantique et de la mécanique moléculaire et d’apprentissage automatique. Nous avons ainsi été en mesure de produire un nouveau capteur des sols et une plateforme de modélisation computationnelle capables d’analyser les sols à une échelle microscopique exprimée en parties par million, ou ppm. Notre technologie est une force transformatrice en matière d’analyse et de mesure du sol tout autant que l’ont été les appareils photo numériques et les téléphones intelligents en matière de photographie.

La numérisation a révolutionné de nombreuses industries comme la musique, les finances, l’éducation et les communications. À Miraterra, nous faisons la même chose pour le sol.

Notre technologie sera utilisée par les laboratoires pour des mesures au niveau du sol et en sous-sol de sorte à produire des données qui amélioreront nos connaissances en vue d’aider les intendants des terres à prendre de meilleures décisions de gestion des terres. De meilleures décisions mènent à des sols plus sains. C’est ainsi que nous contribuerons à laisser une planète plus vivable à nos enfants et à leurs enfants.

Merci beaucoup de votre temps aujourd’hui. Mme Kelly et moi serons heureux de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup. M. Greuel est de retour. Vous avez cinq minutes. Merci beaucoup de votre patience.

M. Greuel : Bonjour, monsieur le président et honorables membres du comité. Je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître devant vous aujourd’hui.

On dit souvent que les aliments d’origine végétale sont une solution provenant du sol. Les aliments d’origine végétale contribuent à la santé de la population canadienne. Nous savons qu’une consommation accrue d’aliments d’origine végétale permet d’avoir une population en meilleure santé tout en aidant le Canada à atteindre ses objectifs en matière de changements climatiques.

J’ai travaillé toute ma vie dans le secteur agricole. J’ai grandi dans une ferme à Bruno, en Saskatchewan, dans le centre de la province, et j’ai été témoin de la dévastation causée par la sécheresse de 1988, notamment de la destruction de nos terres arables. J’ai également été témoin de la sécheresse de 2021, que beaucoup considèrent comme aussi grave que celle de 1988.

Cependant, contrairement à la sécheresse de la fin des années 1980, nous étions encore en mesure d’obtenir d’importantes récoltes, cela est grâce à l’adoption, par les agriculteurs canadiens, de techniques innovantes comme la culture sans labour et la rotation des cultures entre les céréales, les légumineuses et les oléagineux.

C’est grâce à l’adoption de nouvelles techniques par nos agriculteurs, comme l’introduction de légumineuses dans la rotation des cultures, que nous avons pu rétablir la santé de nos sols et continué de produire des cultures à rendement élevé, année après année. On ne pense peut-être pas à la terre quand on achète des lentilles pour préparer un repas sain, mais nous devrions peut-être le faire.

Une chaîne d’approvisionnement alimentaire sûre et fiable apte à nourrir les Canadiens et le monde entier commence par notre capacité à cultiver les sols. Un Canada en santé et des Canadiens en santé dépendent de sols en santé. Les légumineuses, comme les lentilles et les pois, fixent naturellement une partie de l’azote dans le sol pour utilisation par les cultures subséquentes, ce qui réduit le besoin d’engrais azoté.

Il existe un lien important entre la demande mondiale de protéines et la santé des sols. La construction de la plus grande usine de transformation de pois au monde, à Portage la Prairie, au Manitoba, en est un exemple. Roquette a choisi le Canada en partie en raison de notre capacité à produire certaines des cultures les plus durables au monde, et tout commence par notre sol.

Pour assurer la santé continue de notre sol, nous devons continuer d’investir dans des domaines qui appuient l’avancement du secteur des aliments à base de légumineuses et de plantes au Canada. À cette fin, j’ai quatre recommandations à soumettre au comité.

Le premier est l’investissement continu dans la sélection génétique et la génomique. Comme je l’ai indiqué, l’adoption de la rotation des cultures est essentielle au rétablissement et au maintien de la santé de nos sols. Le Canada a été à l’avant-garde de l’introduction de nouvelles variétés et de l’amélioration génétique, et nous devons continuer d’investir dans ces domaines pour veiller à ce que nos agriculteurs aient un accès continu aux variétés qui non seulement répondent aux besoins de nos transformateurs en aval, mais offrent également des rendements élevés tout en contribuant à la santé du sol.

Deuxièmement, il faut disposer d’un système efficace de mesure, de déclaration et de vérification. À l’occasion de votre étude, vous avez entendu dire à maintes reprises, notamment par le groupe de témoins précédent, que les sols canadiens sont des puits de carbone efficaces et que l’agriculture canadienne est l’une des plus durables au monde. Toutefois, pour vraiment quantifier ce dont on parle et pouvoir faire passer notre message, nous avons besoin d’un système de mesure, de déclaration et de vérification, à chaîne de valeur complète, qui nous permettra de vraiment comprendre la durabilité de nos techniques agricoles et, plus important encore, de savoir où intervenir utilement pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et continuer à contribuer à la santé de notre sol.

Troisièmement, il y a la transformation en aval. La demande mondiale de protéines croît à un rythme incroyable, et le Canada a une occasion unique de répondre à la demande grâce à des protéines animales et végétales. Nous devons continuer d’investir dans les nutraceutiques pour saisir cette occasion. Bien que nous soyons heureux de compter dans les Prairies de grands fabricants de nutraceutiques, comme Ingredion et Roquette, la réalité est que le Canada pourrait financer plusieurs autres installations de productions à grande échelle de nutraceutiques. Ces installations offrent aux agriculteurs des options de commercialisation et une meilleure rentabilité pour leurs légumineuses et d’autres cultures, ce qui entraîne une augmentation de la superficie et contribue, encore une fois, à la santé du sol.

La coproduction est le quatrième élément important, de même que le soutien à l’économie circulaire. Ce qui est étonnant dans le cas de la recherche et de l’innovation, c’est qu’on ne sait jamais vraiment où l’on peut aboutir, et notre prise de conscience, que les coproduits de la transformation des ingrédients peuvent également être utilisés pour contribuer à la santé des sols, en est un exemple.

Le Canada devrait être fier de son engagement à l’égard de la santé des sols, et nous ne pouvons pas nous fier à ce que nous avons accompli dans le passé. Nous devons continuer d’investir dans l’innovation et adopter les nouvelles techniques et technologies pour assurer la santé des sols, mais aussi pour soutenir nos agriculteurs sur le plan économique. Merci.

Le président : Merci beaucoup à vous trois d’avoir respecté le temps alloué à vos exposés. Nous allons passer aux questions. Comme par le passé, nous aurons cinq minutes pour les questions et les réponses, et nous ferons un deuxième tour si cela vous intéresse.

La sénatrice Simons : Je me propose de commencer par M. Kelly et Mme Haakstad. Vous détenez une technologie magique dont vous ne pouvez pas beaucoup nous parler. Les échantillons sont-ils testés in situ? Le sont-ils en laboratoire? S’il s’agit d’un système utilisé in situ, avez-vous besoin d’une technologie satellite ou du WiFi? Pouvez-vous nous dire en quoi l’apprentissage automatique rend le système plus efficace?

M. Kelly : Excellente question. Soit dit en passant, nous sommes une entreprise en démarrage. Le système fonctionne en laboratoire et in situ, l’objectif étant de disposer d’installations permanentes dans le sol, parce que c’est ainsi qu’on arrive à mesurer efficacement la teneur en carbone. Les capteurs sont essentiellement des lecteurs numériques pouvant être déployés dans différentes déclinaisons, soit, comme je l’ai dit, en laboratoire, en surface ou dans le sol.

L’apprentissage machine est nécessaire parce que les données produites... nous faisons pénétrer dans le sol des faisceaux laser, qui sont la base de notre invention, afin de stimuler les molécules et de produire les données voulues. Le laser génère des signaux que nous captons grâce à cette instrumentation. Ensuite, le signal est chargé dans notre plateforme informatique où aboutissent un croisement entre des millions et des millions de données brutes collectées qui sont des analytes ou composants chimiques. On obtient toute une série de données chargées dans notre modèle informatique qui les sépare en azote, potassium, carbone, matière organique, etc. L’apprentissage machine est nécessaire pour séparer toutes ces données.

Une fois le système déployé in situ, il ne sera pas nécessaire d’utiliser le WiFi en continu, car les données seront stockées dans l’appareil avant d’être envoyées dans le nuage en vue d’un traitement ultérieur.

La sénatrice Simons : Vous avez parlé des marchés du carbone, et ceux-ci ne pourront pas être fonctionnels si la présence de carbone dans le sol n’est pas établie. Ce pourrait être une percée majeure.

Cependant, cela sera-t-il économiquement abordable pour les agriculteurs? Quel est le marché pour votre produit?

M. Kelly : Encore une fois, en tant qu’entreprise en démarrage, notre premier marché est celui des laboratoires. Nous estimons que nous devons contribuer à changer le cheminement suivi par les échantillons. Actuellement, les échantillons ne sont pas prélevés et interprétés par les agriculteurs et les agronomes ne veulent pas se transformer en analystes de laboratoires. Ils veulent des résultats, un point c’est tout. Nous avons décidé de nous attaquer au cœur des procédures actuelles d’échantillonnage. Quelque 12 millions d’échantillons de sol seront prélevés cette année. C’est l’analyse de ces échantillons qui nous intéresse. Nous sommes en discussion avec des laboratoires en Amérique du Nord à qui nous proposons notre équipement destiné à faciliter la transition vers des processus plus propres et moins coûteux.

Dans un deuxième temps, nous souhaitons collaborer avec les laboratoires afin de déployer nos dispositifs en surface et dans le sol. Dès lors, on parlera de données collectées et analysées en temps réels à la ferme même, plutôt que de données extraites sur place, puis envoyées à l’autre un bout du pays pour analyse.

C’est là où nous voulons en venir, soit que cette technologie fasse partie de l’arsenal des pratiques agricoles, mais comme pour toute autre technologie, cela prend du temps. Nous y arriverons, mais il faut commencer par transformer les lieux de réception et de traitement des échantillons de sol, c’est-à-dire les laboratoires.

La sénatrice Simons : On peut donc imaginer qu’il n’est pas simplement question de connaître la teneur du sol en carbone et qu’il s’agira d’examiner toutes sortes d’autres facteurs en vue d’aider à cibler l’utilisation d’engrais azotés ou à décider des zones d’ensemencement, comme on le fait actuellement par le biais de la cartographie des sols.

M. Kelly : C’est exact. Nous nous intéressons aux intrants, c’est-à-dire à ce qui est dépensé, à ce qui est injecté dans les terres, de même qu’aux extrants sous la forme des marchés du carbone. Nos données visent à permettre la mesure des taux de carbone pour les marchés du carbone et l’amélioration de la prise de décisions au sujet des intrants agricoles. Notre objectif porte sur les deux extrémités du spectre.

Le président : Merci beaucoup. Chers collègues, vous remarquerez que nous avons perdu M. Greuel, mais nous sommes en communication avec lui et nous nous efforçons de le faire revenir.

Le sénateur Klyne : Cela veut-il dire que je ne peux pas poser de question à M. Greuel?

Le président : Pas avant qu’il se reconnecte. Soyons justes envers lui.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup. J’ai suivi Terramera avant qu’elle ne devienne Miraterra ou qu’elle ne crée cette filiale. Je suis un grand admirateur du travail que vous faites et j’ai moi-même lancé une entreprise tout comme vous, mais dans un domaine tout à fait différent.

Vous travaillez sur un des éléments fondamentaux d’une chaîne de valeur à bâtir entièrement, et c’est une occasion en or pour le Canada. Nous essayons de déterminer où nous concentrer. Vous nous avez enseigné quelque chose de très important, soit que des technologies sont en train d’arriver rapidement sur le marché et qu’elles permettront de rendre plus abordable l’analyse des sols, cela à des niveaux de précision poussés. On parle d’outils de mesure qui visent à permettre la validation de tout un marché dont nous avons discuté avec le groupe précédent.

Comment vous envisagez-vous la collaboration entre votre entreprise et d’autres, car j’estime cela important pour créer des débouchés internationaux aux agriculteurs canadiens et comment voyez-vous votre intégration dans un tel système. Pourriez-vous me donner un peu de contexte? Je vous considère comme un élément clé, mais vous n’êtes pas le seul, loin de là.

M. Kelly : En fait, j’ai passé plus de 20 ans dans le domaine des nouvelles technologies où, selon moi, le modèle pour les entreprises en démarrage est gagnant-perdant : je gagne et vous perdez. Dans ce monde, nous devons tous gagner pour résoudre ce problème. Le problème est trop grave pour qu’une seule entreprise parvienne à le régler.

Il se trouve que je me suis rendu dans le Midwest américain la semaine dernière pour visiter des laboratoires, et j’ai été frappé par le fait que chacun s’intéresse à des facettes différentes. Nous sommes comme dans la parabole des aveugles et de l’éléphant : nous examinons toutes les différentes parties de l’éléphant, mais si nous pouvions nous réunir et décrire ce que chacun constate, nous pourrions résoudre l’énigme tous ensemble. Toutefois, si ceux d’entre nous qui travaillent sur ce dossier pensent que nous pouvons le résoudre seuls, nous n’arriverons jamais à une solution utile pour notre planète.

Autrement dit, je suis à la recherche de partenaires. Je cherche d’autres personnes qui effectuent un travail semblable pour commencer à travailler en partenariat avec nous parce que je pense que nous devrons être nombreux pour résoudre ce problème.

Nous fixons cependant une ligne à ne pas dépasser — et je vais peser mes mots — soit que certains font des promesses selon nous irréalisables, ce qui nous pousse à la prudence. Comme nous ne voulons pas donner de fausses informations au marché, nous ne collaborerons pas avec ces gens. En revanche, nous voulons absolument collaborer avec ceux qui travaillent sur différents aspects du même problème et nous pensons que c’est même la seule façon de résoudre le problème.

Le sénateur C. Deacon : Je comprends parfaitement que vous vouliez avoir des partenaires autour de la table bénéficiant du même niveau de crédibilité.

Monsieur Greuel, nous avons entendu beaucoup de partenaires crédibles, des gens qui pourraient travailler ensemble et qui œuvrent tous dans le même sens. Ils rassemblent des talents variés susceptibles de leur permettre d’exploiter des débouchés à l’international. Que pensez-vous du rôle que le gouvernement pourrait jouer à cet égard et des approches qui, selon vous, sont importantes si des partenaires, des concurrents ou d’autres se réunissent pour essayer d’exploiter ces grands débouchés internationaux pour tour?

M. Greuel : Merci, sénateur. Je suis désolé pour mes difficultés technologiques aujourd’hui.

À Protein Industries Canada, nous nous appuyons sur un modèle d’innovation collaborative. Nous avons personnellement constaté ce qui se produit quand nous parvenons à réunir différents segments verticaux de la chaîne de valeur en vue de résoudre des problèmes complexes. Les problèmes et les défis que nous cherchons à résoudre aujourd’hui dans le secteur agricole canadien, face aux besoins agricoles mondiaux et au besoin croissant de production de calories et d’aliments, exigent assurément une collaboration tout le long de la chaîne de valeur. Je me fais l’écho de ce qu’a dit mon homologue Nate Kelly, car je suis tout à fait d’accord sur la nécessité de collaborer en matière d’innovation.

Sénateur, pour répondre précisément à votre question sur le rôle que le gouvernement peut jouer, je dirais que l’innovation est intrinsèquement risquée, et que les entreprises se trouvent à très nettement sous-investir dans l’innovation. C’est particulièrement le cas au Canada, et nous pourrions d’ailleurs examiner les statistiques sur les dépenses des entreprises en recherche et développement. Le gouvernement a certainement un rôle à jouer en coinvestissant dans l’innovation, dans certains des domaines naissants, nouveaux, qui présentent d’importantes possibilités pour le Canada. Nous avons un certain nombre de programmes à l’échelon fédéral qui pourraient être mieux harmonisés avec les résultats que nous essayons d’obtenir en agriculture. Nous avons fait un excellent travail pour appuyer d’autres industries au pays. Nous devons considérer l’agriculture comme une priorité stratégique ou comme l’un des secteurs de la politique industrielle du Canada qui représente une occasion de croissance mondiale.

Le sénateur C. Deacon : Bravo!

Le président : Merci beaucoup, monsieur Greuel. Je voulais souligner qu’il semble que tout l’argent que Protein Industries Canada a reçu a été investi dans les infrastructures plutôt que dans la fibre optique, parce que vous avez des problèmes, et l’on peut comprendre. Merci beaucoup. Nous vous remercions de votre patience.

Le sénateur Klyne : Monsieur Greuel, je suis heureux de vous voir ici. J’ai toujours hâte de savoir ce que font nos supergrappes dans l’Ouest.

Si vous le voulez bien, parlez-nous de l’engrais Soileos. Ce fut un moment de fierté en Saskatchewan quand a été faite l’annonce de partenariat entre PIC, Lucent Biosciences, AGT Food and Ingredients et... je ne me rappelle pas avoir vu le nom de Federated Co-operatives Limited à l’époque, mais je suis à peu près certain que l’entreprise est un des partenaires aujourd’hui. Il fut également réjouissant de voir le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire présent pour cette annonce.

L’enthousiasme que suscite l’engrais Soileos tient au fait que celui-ci permet d’accroître le rendement des cultures et qu’il contribue à la fois à la santé du sol et à la santé humaine. J’aimerais que vous expliquiez au comité en quoi consiste Soileos, en mettant l’accent sur la santé des sols.

M. Greuel : Oui, merci, sénateur.

C’est un projet très intéressant qui représente l’un des principaux éléments de mes recommandations concernant le soutien à l’économie circulaire en agriculture.

Pour ceux d’entre vous qui ne le connaissent pas, le produit Soileos utilise ce qu’on pourrait autrement appeler un flux de déchets ou un sous-produit provenant de l’extraction de protéines et d’une transformation à valeur ajoutée. AGT Food and Ingredients, que beaucoup d’entre vous connaissent, produit des concentrés protéiques de pois et de lentilles et utilise la fibre ou l’enveloppe du grain de base pour fabriquer des engrais de micronutriments. Il s’agit d’un excellent modèle d’économie circulaire et de retour du carbone dans le sol grâce à l’utilisation d’enveloppes fibreuses se retrouvant normalement dans des flux de déchets de faible utilité.

À l’avenir, la recherche et l’innovation seront axées sur ce concept d’économie circulaire, qui aide vraiment à renforcer la santé des sols grâce à l’utilisation de tous les produits de l’agriculture. Je pense que cela représentera une base fondamentale pour l’agriculture dans l’avenir, pour ce qui est du travail que nous nous apprêtons à faire.

Le sénateur Klyne : Pourriez-vous nous dire si cet engrais remplacera d’autres engrais ou s’il pourra être utilisé en combinaison avec d’autres engrais en vue d’en atténuer les effets?

M. Greuel : Oui, merci, sénateur Klyne.

Soileos met aujourd’hui l’accent sur les engrais à base de micronutriments. Ils ne sont pas destinés à réduire les engrais azotés synthétiques, mais à augmenter la teneur en micronutriments. Je précise que l’on parle ici de cuivre et de magnésium, qui sont parmi les micronutriments que les cultures utilisent.

Il importe de réfléchir à l’application et à l’utilisation de cette technologie dans d’autres utilisations possibles des engrais que nous pourrions utiliser à l’avenir.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse également à vous, monsieur Greuel.

S’agissant de la production d’aliments à base de plantes et de légumineuses, j’aimerais avoir une idée de la prévalence de l’agriculture biologique. Quel est son rôle actuel et quel rôle devrait-elle avoir?

Encore une fois, la question est de savoir si l’on en fait suffisamment en ce qui concerne la santé des sols. Si c’est une bonne solution, devrions-nous investir davantage dans l’agriculture biologique? A-t-on même quantifié le résultat sur le plan de la santé du sol?

Cela m’intrigue.

M. Greuel : Je vous remercie de la question.

Je crois fermement au choix des consommateurs, et il leur appartient de choisir entre des produits issus de l’agriculture conventionnelle et des produits biologiques. Je pense important de reconnaître qu’au Canada, nous avons un système de réglementation très au point pour ce qui est de l’approbation des produits phytosanitaires et des engrais, ce qui signifie qu’ils sont très sûrs.

Quand je songe au besoin mondial de protéines qui augmente — tant pour les protéines animales que végétales —, je suis évidemment partisan de la production agricole conventionnelle. Je dirais que l’industrie de la protection des cultures et l’industrie des sciences de la vie ont mis au point des technologies que les agriculteurs utilisent de façon durable, ce qui donne lieu à une augmentation des matières organiques du sol. Je suis intimement convaincu que l’agriculture conventionnelle permet d’obtenir des sols aussi sains, voire plus sains que l’agriculture biologique.

Cela ne veut pas dire que l’agriculture biologique n’a pas sa place. Encore une fois, je crois au choix des consommateurs. Les consommateurs peuvent choisir d’acheter des produits biologiques, mais d’après ce que j’ai constaté en production agricole, l’agriculture conventionnelle, quand elle est pratiquée de façon durable — ce que nos agriculteurs font aujourd’hui dans l’Ouest canadien —, mène à une production de cultures hautement durables, à une agriculture à faible empreinte carbone, comme ici dans l’Ouest canadien, une agriculture qui contribue à la santé des sols.

La sénatrice Petitclerc : Merci. J’avais cru comprendre que l’agriculture biologique produisait de meilleurs sols. Êtes-vous en train de dire que ce n’est pas si certain que cela? N’est-ce pas clairement documenté?

M. Greuel : Personnellement, je ne pense pas que ce soit aussi clair que cela. L’une des méthodes utilisées par les producteurs biologiques... je veux parler de la culture par rangs dans la région des Prairies, que je connais bien. Je rappelle que le groupe de témoins précédent a parlé des différences régionales au Canada, ce qui est certainement vrai.

L’une des méthodes utilisées pour lutter contre les mauvaises herbes en agriculture biologique consiste à travailler le sol, et nous venons tous d’entendre parler des problèmes et des défis que pose le travail du sol quand il est impossible de séquestrer plus de carbone. On ne peut affirmer ni l’un ni l’autre. Tout un ensemble très complexe de pratiques de production mène à la séquestration du carbone et à la santé organique du sol. Je ne pense pas que nous puissions dire que l’agriculture biologique est bonne et que l’agriculture conventionnelle est mauvaise chose, ou vice versa. Cela dépend vraiment de la façon dont chaque agriculteur choisit d’utiliser les outils à sa disposition.

La sénatrice Petitclerc : Merci. C’est très utile.

La sénatrice Burey : Bonjour à tous. Merci de votre présence. Je trouve emballant d’entendre tout cela. Tout ce qui se dit sur les nouvelles technologies et la science me donne le frisson.

Passons aux questions. Je dois dire que beaucoup de mes questions ont déjà été posées, mais je vais aborder un sujet qui me tient très à cœur. Comme vous le savez peut-être, je suis pédiatre. Je m’intéresse toujours à tout ce qui touche à la transmission du savoir, aux ressources humaines et au partage des connaissances avec la prochaine génération. Je me demande si vous avez entendu parler de recommandations en matière de politiques ou de programmes qui pourraient faciliter une partie de ce travail passionnant que vous faites. Pourriez-vous nous en parler? Cette question s’adresse à tout le monde.

Mme Haakstad : Je peux commencer, sénatrice. Merci. À Miraterra et à notre société mère, Terramera, nous envisageons les choses d’un certain nombre de façons. La première consisterait à mettre en place un programme très solide pour les jeunes talents au sein de l’entreprise, en faisant appel à des gens qui sont à la fine pointe de leur discipline et en faisant en sorte qu’ils fassent partie de notre équipe. C’est ce que nous avons fait grâce au soutien de programmes comme Mitacs, qui reçoit du financement du gouvernement fédéral, ainsi qu’à la tenue de stages, à des programmes coopératifs et à l’embauche d’employés à temps plein. Ces programmes sont merveilleux. Ils nous aident également en tant qu’entreprise en démarrage à compenser une partie des coûts de main-d’œuvre et à faire en sorte que l’argent que nous avons recueilli sur les marchés financiers nous amène un peu plus loin. Ces programmes sont excellents.

Nous pensons aussi qu’il nous faut être présents sur le terrain et parler aux jeunes pour les intéresser aux métiers de l’agriculture, même du point de vue technologique, comme cela se fait dans de nombreux autres secteurs. Nous travaillons dans toutes sortes de disciplines, comme M. Kelly l’a dit tout à l’heure. Nous avons des gens dans les domaines de l’apprentissage machine, de la chimie computationnelle, de la biologie, de l’agronomie et dans de nombreuses autres disciplines qui aident à faire fonctionner une entreprise comme la nôtre. L’agriculture devrait être visée par toute une série de programmes et de disciplines scolaires.

M. Greuel : J’aimerais profiter de l’occasion pour dire que je suis d’accord avec Mme Haakstad en ce qui concerne l’augmentation — en tant que secteur, nous devons accroître le profil de l’agriculture en tant que possibilité de carrière non seulement pour les jeunes, mais aussi pour les personnes qui quittent des industries en déclin, les nouveaux Canadiens et les groupes sous-représentés. Les possibilités ne manquent pas. L’agroalimentaire est déjà le plus important secteur d’emploi au Canada, quand on considère l’ensemble de la chaîne de valeur. Nous devons simplement faire en sorte qu’il demeure un milieu de travail stimulant. Comme Mme Haakstad l’a dit, les gens qui ont des antécédents intéressants en apprentissage automatique et en science des données considèrent souvent que les meilleurs emplois se trouvent dans les secteurs des technologies financières ou des technologies sanitaires, mais l’agriculture et l’alimentation en font partie, et nous devons continuer à accroître la visibilité du secteur et à mieux le faire connaître.

M. Kelly : Si vous faisiez le tour de notre bureau pour rencontrer certains de nos jeunes collaborateurs, pour voir le travail qu’ils font et constater l’éclat qu’ils ont dans le regard, vous prendriez conscience qu’il y a de quoi briller en agriculture. Ayant travaillé dans le domaine de la technologie, qui appelle les gens à quitter les travaux de la terre, à se rendre dans la grande ville et à se joindre aux grandes entreprises de technologie, nous pouvons aider à renverser la vapeur parce qu’il y a du travail passionnant et à la fine pointe en agriculture.

La sénatrice Burey : Quelles recommandations feriez-vous au comité pour que nous puissions les inclure dans notre rapport? Dites-nous ce que nous devons faire.

Mme Haakstad : Je pense qu’il serait particulièrement utile d’inclure l’agriculture dans les programmes financés par le gouvernement, comme le programme Emplois d’été Canada et d’autres, et il faudrait que ce ne soit pas seulement pour le travail agricole — que nous reconnaissons d’ailleurs comme constituant une chaîne de valeur complète du travail. Ce qui se passe à la ferme est extrêmement important, tout comme dans les entreprises de technologie et ailleurs, et les possibilités sont nombreuses.

M. Greuel : Au cours des 18 derniers mois, beaucoup ont réclamé une révision de la politique industrielle du pays. Je dirais qu’à cette occasion, il faudrait rehausser le profil de l’agriculture en tant que secteur stratégique que le Canada doit viser sur le plan des investissements et de la politique industrielle et dont l’un des piliers est le développement de la main-d’œuvre. J’encouragerais le comité à envisager de rehausser le profil de l’agriculture en tant que secteur généralement important pour ce qui est de tous les types d’investissement, des incitatifs financiers à la compétitivité du secteur et au perfectionnement de la main-d’œuvre.

Le président : Merci beaucoup.

Le sénateur Cotter : Je remercie les témoins pour leurs exposés inspirants. Je vais vous avouer une chose qui, je pense, va venir étayer les propos de la sénatrice Burey. J’ai étudié à l’Université de la Saskatchewan, il y a longtemps, où il y avait un collège d’agriculture. Je m’imaginais, avec quelque condescendance que les gens y apprenaient simplement à conduire leurs tracteurs et leurs moissonneuses-batteuses en ligne droite dans un champ et guère plus que cela.

Au fil des ans et de mes conversations avec vous, monsieur Greuel, et avec bien d’autres membres du comité, j’ai fini par me sentir totalement inspiré par l’agriculture, par la recherche en agriculture, par le genre de collaboration dont chacun d’entre vous a parlé et par la façon dont le recours à la science peut améliorer le rendement des cultures et de l’agriculture durable. C’est franchement spectaculaire.

En ce qui concerne votre dernier point, monsieur Greuel, au sujet d’une stratégie industrielle canadienne dont l’agriculture et l’agroalimentaire sont l’un des piliers, je crois comprendre que nous allons dans cette direction. Le sénateur Klyne et moi avons travaillé avec quelques autres sénateurs, y compris le sénateur Deacon, sur l’avenir du Canada, notamment en mettant l’accent sur l’agriculture pris en tant que pilier de l’économie canadienne.

Dans le même ordre d’idées, monsieur Greuel, j’aimerais savoir si l’idée est viable et réalisable. Vous avez parlé d’un objectif énorme en termes de croissance de l’économie agricole fondée sur les protéines. Cela peut-il se faire sans mobiliser plus de terres, dont nous pourrions avoir besoin à d’autres fins? Peut‑on le faire de façon durable? La feuille de route est impressionnante. Pouvons-nous parvenir au but tout en atteignant certains des objectifs de durabilité de l’agriculture et de notre société?

M. Greuel : Je vous remercie de la question. Je précise que, tout comme moi, M. Seymour est diplômé de ce collège d’agriculture où nous avons dû suivre le genre de cours que vous avez décrit.

Pour répondre à votre question sur la possibilité d’atteindre une croissance durable dans le secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire, je suis intimement convaincu que cette croissance dépendra de l’innovation. Quant à ce que nous essayons de faire à Protein Industries Canada, nous voulons augmenter la capacité de transformation des cultures canadiennes d’environ 5 millions de tonnes métriques dans les 10 à 15 prochaines années. S’agissant de la courbe de croissance des rendements agricoles des terres que nous avons déjà, l’augmentation est de près de 2 % par année. Cette croissance découle de l’adoption de variétés novatrices, de nouvelles pratiques agricoles, d’une meilleure application des engrais et de meilleurs produits phytosanitaires. C’est grâce à cela que les rendements augmentent au fil du temps. La transformation supplémentaire que nous essayons de réaliser dans le temps n’est en fait qu’une production supplémentaire.

Donc, je crois fermement que nous serons en mesure d’atteindre l’objectif énoncé dans le rapport Barton et dans les travaux de la Table de stratégies agroalimentaires qui en ont découlé, en plus du travail que nous faisons à Protein Industries Canada, simplement en raison de l’adoption de techniques et technologies novatrices en production.

Le sénateur Cotter : Vous avez notamment parlé d’investissement, y compris d’investissement étranger, dans les industries aptes à contribuer à notre capacité de transformation et à permettre au Canada de bénéficier d’une partie de la chaîne agroalimentaire.

Les pratiques mises au point et les collaborations conclues en vue d’atteindre ces objectifs d’une façon durable et dans le respect de sols sains sont-elles autant de facteurs dont les investisseurs tiennent compte pour s’engager à construire des usines et à prendre des mesures du genre au Canada? Est-ce que cela fait partie de l’équation pour attirer des investissements?

M. Greuel : Tout à fait. L’an dernier, le président de mon conseil d’administration et moi avons eu l’occasion d’assister à une conférence intitulée Food Ingredients Europe. C’était en France. Nous avons parlé à de nombreux fabricants d’ingrédients qui nous ont dit s’attendre à un hiver difficile en raison de certains problèmes liés à la sécurité énergétique en Europe. Cela les oblige à rechercher des investissements supplémentaires à l’extérieur de l’Europe. Ils s’intéressent au Canada en raison de la durabilité de nos ingrédients, de notre approvisionnement énergétique et de ce que nous offrons en tant que pays.

Le sénateur Cotter : Merci. Comme je l’ai dit à quelques reprises ici, au sujet du champ agricole et du projet sur la santé des sols, j’ai douté et j’ai prié. Le genre d’échanges avec M. Greuel et M. Kelly m’inciterait même à rentrer au monastère.

Le président : Mon Dieu non, car vous nous manqueriez, sénateur Cotter.

J’ai quelques questions et je vais commencer par M. Kelly et Mme Haakstad. L’une de vos scientifiques, Forum Bhanshali, a fait beaucoup de recherche sur la biochimie des sols et sur la façon dont les produits agrochimiques interagissent avec les sols. Selon vous, en quoi les pratiques qu’elle étudie pourraient-elles être mieux utilisées par les agriculteurs? Pourriez-vous nous expliquer la chimie verte pour qu’on puisse avoir une idée de la façon dont les agriculteurs pourraient adopter ces pratiques?

M. Kelly : Comme je ne connais pas cette chercheuse, il faudrait que je fasse des recherches.

Mme Haakstad : Pour revenir à l’une des questions précédentes, Mme Bhanshali s’est jointe à nous en qualité de stagiaire et elle fait maintenant partie de l’équipe dirigeante de l’entreprise. Elle fait beaucoup de recherches. Elle travaille pour notre société mère, Terramera, qui se concentre sur la fabrication de biopesticides susceptibles de contribuer au remplacement de certains produits chimiques conventionnels que nous utilisons aujourd’hui. Nous étudions les impacts de ces produits sur les plantes et sur le sol ainsi que sur la santé des plantes. C’est en partie ce que fait Mme Bhanshali dans son laboratoire.

M. Kelly : Je suis un peu gêné de ne pas m’être rendu compte que vous parliez de cette Mme Bhanshali. Excusez-moi. Elle est fantastique.

La chimie verte exploitée par Terramera consiste à prendre des ingrédients naturels et à les utiliser pour aider à la protection des cultures. Nous avons l’impression que toute une industrie a été créée autour des produits chimiques, et que ceux-ci sont très destructeurs pour le microbiome du sol. Nous concevons beaucoup de produits issus de sources biologiques ou végétales qui seront utilisés pour la protection des cultures. Nous partons donc de choses qui existent dans la nature et dont nous amplifions les caractéristiques pour aider à la protection des cultures. C’est ce à quoi nous pensons quand nous parlons de chimie verte, c’est-à-dire qu’il s’agit de produits biologiques par opposition à des produits synthétiques.

Le président : Merci beaucoup. Monsieur Greuel, Protein Industries Canada a reçu un financement d’environ 150 millions de dollars dans le cadre du programme des Grappes d’innovation mondiales du gouvernement du Canada. Il y a un mois à peine, vos manifestations d’intérêt concernant le financement de projets ont été retenues. Selon votre mandat, 62 % de vos projets actifs sont axés sur la réduction des impacts environnementaux, et vos versements de fonds sont axés sur la génétique, les cultures, les ingrédients et les produits. Est-ce que certains de vos projets ont permis d’établir une corrélation entre la santé des sols et les champs dans ces régions? Espérez-vous interagir avec la santé des sols dans le cadre des objectifs climatiques?

M. Greuel : Merci, sénateur. Vous avez tout à fait raison en ce qui concerne le nombre de projets que nous avons financés et appuyés, et qui donnent de bons résultats sur le plan environnemental. Nous adoptons une approche globale de la chaîne de valeur en matière d’innovation. Certains des projets que nous avons financés et appuyés et qui donnent de bons résultats environnementaux sont à l’étape de la transformation, ce qui aide les fabricants d’ingrédients et d’aliments à réduire leur consommation d’énergie et d’eau. Nous devons penser aux systèmes alimentaires dans leur ensemble et atténuer les émissions de gaz à effet de serre dans tous les secteurs verticaux de la chaîne de valeur.

Pour répondre à votre question précise au sujet de certains de nos projets qui ont soutenu la santé des sols, j’ai mentionné le projet Soileos, qui consiste à réinjecter du carbone dans le sol grâce à une approche d’économie circulaire.

Nous devons envisager l’agriculture de manière holistique. Certaines des choses que nous avons faites pour faire progresser les technologies de sélection et améliorer la génétique et la production de variétés auront une incidence sur la santé des sols, car elles peuvent conduire à une diversification de la production des cultures. Nous avons financé des travaux en génomique et sélection des pois pour rendre cette légumineuse plus rentable et aider à la diversification de la rotation des cultures. Nous avons effectué des investissements qui ont une incidence directe sur la santé des sols, mais beaucoup d’investissements dans l’ensemble de la chaîne de valeur — si l’on envisage l’agriculture d’une façon holistique — auront effectivement une influence et amélioreront la santé des sols.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Simons : Je m’inquiète un peu du fait que certaines des technologies mises au point pour aider les agriculteurs à mesurer avec précision leur efficacité sont hors de prix pour eux. Ils sont invités à acheter des machines de 750 000 $ pour planter les semences, ce qui pourrait être payant à long terme. Ma question s’adresse à M. Kelly et à Mme Haakstad.

Quand vous travaillez sur une nouvelle technologie comme celle-ci, comment vous assurez-vous que les gens qui en ont le plus besoin auront les moyens d’y accéder — et je ne parle pas seulement de votre machine? Pour obtenir vos données, il faut avoir un planteur adapté qui optimise l’extraction des données.

M. Kelly : Oui, c’est une question importante. Nous sommes conscients de donner l’impression que les producteurs et les agriculteurs doivent tous payer la note, non seulement pour les changements qui se produisent dans leur univers respectif, mais aussi pour ce qui est des nouvelles technologies. C’est un aspect non négligeable dont nous tenons compte à l’étape de la mise au point d’un produit. Ainsi, au lieu d’une augmentation, nous devrions plus assister à une diminution des prix dans le temps.

Je veux dire par là qu’on peut penser à la photographie. Il y a 20 ans, il fallait payer pour l’appareil photo, la pellicule, le développement et l’expédition, mais aujourd’hui, il suffit d’appuyer sur le déclencheur et on obtient instantanément la photo. C’est ce que nous visons. Notre technologie nous permettra d’obtenir des lectures en temps réel à peu de frais, plutôt que d’avoir un processus coûteux. Nous pensons cette transformation possible grâce à la technologie. Habituellement, tout processus analogique qui est numérisé devient moins coûteux et donc plus abordable.

Nous gardons à l’esprit la nécessité de démocratiser les tests parce que nous voulons en arriver à un point où celle-ci fera partie du travail normal. Nous pensons que la technologie est la clé du succès dans ce cas. Il ne s’agit pas d’ajouter à la facture globale, mais de rendre un processus moins coûteux. Ce qui aurait pu coûter 20 $ en coûtera 2 $ grâce à notre technologie, parce que nous avons numérisé un processus qui coûte cher aujourd’hui. C’est l’un des principes fondamentaux de notre produit : il doit faire baisser le prix du système et non pas faire augmenter le coût total pour l’agriculteur.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup.

Le sénateur C. Deacon : Je vais peut-être gâcher une fête que nous avons tous appréciée, regardée et ressentie, partiellement ou totalement.

Comme vous venez de le mentionner, monsieur Kelly, il y a une prime à l’adoption précoce. Il faut miser sur une approche collaborative et coopérative pour mettre ces changements en œuvre et ainsi se ménager des débouchés à l’international. Nous ne pouvons pas nous contenter d’attendre qu’un géant mondial de l’agriculture nous coiffe sur le poteau et s’empare du marché. Nous devons créer une solution canadienne que nous pourrons exporter dans le monde.

Cela fait presque cinq ans que je suis à Ottawa, et j’y ai appris un terme tout nouveau pour moi, celui « d’horizontalité ». On dit que les fonctionnaires d’Ottawa qui travaillent pour plusieurs ministères sont récompensés pour leur horizontalité. Je ne sais pas quelle est la récompense, mais je pense que c’est plus punitif qu’autre chose. Tout se passe en vase clos à Ottawa. Pour parvenir à faire de réels progrès, il faudrait mobiliser Agriculture et agroalimentaire Canada, Environnement et changement climatique Canada, Innovation Canada, Sciences et Développement économique Canada, ou SDEC, et probablement le Secrétariat du Conseil du Trésor parce que nous aurons besoin de nouvelles normes établies par le biais de renvois afin de remplacer les règlements désuets et de permettre à ces technologies d’arriver sur le marché.

Le nombre de changements nécessaires me porte à croire que nous ne pouvons pas espérer que le leadership viendra d’Ottawa. Rien ne nous permet d’y croire, et voici donc ma question : y a‑t‑il un groupe à Ottawa qui, selon vous, croit dans la possibilité de mobiliser les innovateurs du Canada à partir d’Ottawa? Ou alors devrait-on envisager d’agir en dehors d’Ottawa — devrait-on songer à unifier les parties prenantes pour inciter Ottawa à s’engager dans cette voie, quitte à ce que ce soit à contrecœur? À ce stade-ci, je dirais que la réticence d’Ottawa est due à un manque de vision.

Que devons-nous faire? Voyez-vous là une solution possible? Je suis découragé.

Mme Haakstad : Merci, sénateur. Je comprends en partie ce dont vous venez de parler. Il est certain qu’il nous est arrivé d’échanger avec ISDE pour ensuite partager l’information avec AAC et ECCC. Nous pouvons le faire à ce stade-ci de notre évolution, mais rares sont les entreprises à pouvoir le faire. Par le passé, nous avons eu des conversations avec ISDE au sujet de son rôle de coordonnateur pour réunir l’industrie, le milieu universitaire, le gouvernement et l’ensemble du gouvernement afin d’examiner certains des obstacles à l’atteinte de cet objectif. L’une des choses que nous avons entendues lors de la table ronde précédente concernait le règlement sur le carbone dans le sol en lien avec les crédits de carbone compensatoire. Il y a deux ans, nous pensions qu’ils étaient sur le point d’être publiés, or ils ne le sont toujours pas. Nous devons faire bouger les choses.

Je dirais par ailleurs qu’il existe d’autres programmes, très bons, qui sont quelque peu en marge des programmes gouvernementaux. Nous avons évidemment l’appui de Protein Industries Canada. Je siège aussi au conseil d’administration de Digital Technology Supercluster. Nos deux organisations réunissent des gens de l’industrie, du milieu universitaire et, dans certains cas, du gouvernement — du moins, dans notre cas, à l’occasion de projets antérieurs — afin de trouver des façons de débloquer la technologie et de la mettre en marché.

Je pense que nous pouvons examiner ce qui se fait dans l’ensemble du pays et voir quels enseignements le gouvernement pourrait tirer de ce que nous faisons en dehors de ses structures. Il y a beaucoup de coordination et de coopération.

Le sénateur C. Deacon : Vous envisagez donc une démarche externe au gouvernement. Où trouver le leadership nécessaire pour nous assurer de saisir cette occasion en or qui ne manquera pas de nous échapper si nous permettons le maintien du statu quo?

C’est une question difficile.

M. Greuel : Merci. J’aimerais revenir à ce que j’ai dit tout à l’heure au sujet d’une politique industrielle révisée et affinée pour le Canada, de l’amélioration de l’agriculture en tant que secteur et de la confirmation à exprimer les possibilités économiques qu’offre cette industrie.

Le sénateur C. Deacon : Merci à tous.

Le président : Merci. Voilà qui met fin aux questions des sénateurs. Monsieur Greuel, monsieur Kelly et madame Haakstad, je vous remercie beaucoup de votre participation. Comme vous pouvez le comprendre, et compte tenu de l’intérêt manifesté autour de la table, mes collègues sont passionnés par cette étude que nous avons hâte d’amener à son terme.

Je tiens à remercier mes collègues pour leur participation active et leurs questions pertinentes. Comme j’essaie de le faire à chaque réunion, je tiens aussi à remercier le personnel qui appuie le travail de ce comité — ceux qui sont dans la salle et derrière nous — soit les services d’interprétation et de transcription, ainsi que les préposés à la salle, les techniciens des services multimédias, l’équipe de radiodiffusion, la Direction des services d’information et notre page. Nous vous sommes tous très reconnaissants.

Notre prochaine réunion aura lieu le mardi 30 mai à 18 h 30, et nous continuerons d’entendre des témoins dans le cadre de l’étude du comité sur la santé des sols.

S’il n’y a pas d’autres points à traiter, je déclare la séance levée.

(La séance est levée.)

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