LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 novembre 2023
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 8 h 58 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous. Je suis content de vous voir tous ici. J’aimerais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité et aux témoins, ainsi qu’à ceux qui nous regardent sur le Web. Je suis le sénateur Rob Black, de l’Ontario, et je préside le comité. Aujourd’hui, le comité poursuit son étude visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada. Avant d’écouter nos témoins, j’aimerais demander à mes collègues de se présenter, en commençant par la vice-présidente.
La sénatrice Simons : Je suis la sénatrice Paula Simons, du territoire visé par le Traité no 6, en Alberta.
La sénatrice Burey : Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario. Je vous souhaite la bienvenue.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Sénatrice Chantal Petitclerc, du Québec. Merci d’être parmi nous.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup. Pour la première partie de la réunion, qui portera sur la perte des terres arables et la sécurité alimentaire, nous accueillons, d’Environnement et Changement climatique Canada, Catherine Stewart, ambassadrice pour les changements climatiques, qui se joint à nous par vidéoconférence depuis la Suisse. Nous vous remercions d’être des nôtres. Mme Stewart est accompagnée des fonctionnaires du ministère, qui sont ici en personne : Vincent Ngan, sous-ministre adjoint, Direction générale des changements climatiques; Judy Meltzer, directrice générale, Bureau des marchés du carbone, Direction générale de la protection de l’environnement; Kelly Torck, directrice générale intérimaire, Politiques et partenariats en matière de biodiversité; Lindsay Pratt, directeur, Inventaires et rapports sur les polluants, Direction générale des sciences et de la technologie; et Jackie Mercer, gestionnaire de programme, Crédits compensatoires et échange de droits d’émission.
Madame Steward, vous disposez de cinq minutes pour faire votre exposé. Je lèverai la main pour vous signaler qu’il vous reste une minute. Lorsque vous verrez deux mains, il sera peut-être temps de commencer à conclure. Sur ce, la parole est à vous.
Catherine Stewart, ambassadrice pour les changements climatiques, Environnement et Changement climatique Canada : Merci, monsieur le président, de m’avoir invitée à comparaître devant votre comité aujourd’hui. Je suis heureuse d’avoir l’occasion de vous parler de mon rôle d’ambassadrice du Canada pour les changements climatiques et de vous expliquer comment le travail que j’accomplis à l’étranger aide à améliorer le bien-être des Canadiens et des personnes les plus touchées par les changements climatiques.
Il ne fait aucun doute que les scientifiques nous disent que nous devons agir de toute urgence — immédiatement — pour lutter contre les changements climatiques afin d’améliorer les choses.
[Français]
À titre d’ambassadrice pour les changements climatiques, mon rôle principal consiste à faire progresser le programme environnemental du Canada et à faire la promotion d’une plus grande ambition climatique mondiale.
[Traduction]
Pour ce faire, j’utilise différentes approches. J’assiste à des réunions pour faire part des expériences du Canada et faire progresser les priorités du pays par l’entremise de tables rondes, de discours et d’interventions lors de divers événements hautement prioritaires, de réunions ministérielles et de sommets afin de m’assurer que le Canada occupe la place qui lui revient et que notre voix est entendue. Je travaille également en étroite collaboration avec nos missions à l’étranger pour faire avancer nos objectifs au moyen de diverses possibilités bilatérales et multilatérales. Je tiens des rencontres avec des partenaires et des intervenants afin de recueillir des renseignements sur les enjeux climatiques et environnementaux et d’obtenir du soutien à l’égard des positions canadiennes. Je collabore également avec un réseau d’homologues mondiaux aux vues similaires afin que nous puissions unir nos forces pour faire valoir nos priorités.
Toutes ces possibilités de mobilisation contribuent à éclairer les conseils stratégiques que je fournis aux ministres Guilbeault et Joly pour aider à faire progresser nos objectifs climatiques nationaux.
[Français]
La semaine prochaine, je participerai à la 28e Conférence des parties à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ou COP28, à Dubaï pour aider le ministre Guilbeault et les représentants canadiens à promouvoir notre travail sur les changements climatiques, à stimuler les initiatives et les ambitions internationales et à renforcer les objectifs de nos négociations.
[Traduction]
Je crois fermement que nous ne pouvons pas convaincre les autres d’en faire plus pour lutter contre les changements climatiques si nous ne pouvons pas démontrer que nous prenons des mesures ambitieuses au pays. Les changements climatiques sont aussi un défi mondial qui exige une solution mondiale. Nous devons nous assurer que tout le monde contribue à prendre des mesures pour lutter contre les changements climatiques, y compris les principaux émetteurs de la planète.
[Français]
Lors de réunions internationales, j’aborde l’histoire du Canada en matière de changements climatiques ainsi que les quelque 130 mesures que nous mettons de l’avant pour atteindre notre contribution déterminée à l’échelle nationale de 40 à 45 % de réduction des émissions d’ici 2030 par rapport aux niveaux de 2005.
[Traduction]
Il existe aussi un grand intérêt à en apprendre davantage sur la façon dont le Canada aborde l’élaboration de politiques climatiques, sur les consultations que nous menons et sur la façon dont nous faisons participer l’ensemble de notre société à l’élaboration de solutions climatiques.
À ce sujet, je fais part de l’expérience du Canada en matière de collaboration avec les communautés autochtones pour favoriser nos objectifs climatiques et la réconciliation. J’aimerais citer des exemples récents, notamment l’élaboration de la Stratégie nationale d’adaptation du Canada. Je parle également du soutien du Canada aux efforts dirigés par les Autochtones, y compris l’annonce par le premier ministre, en décembre dernier, de 800 millions de dollars pour appuyer l’initiative Financement de projets pour la permanence, un modèle d’investissement novateur pour la conservation à grande échelle et à long terme. Ces modèles de collaboration servent à encourager d’autres sociétés à faire mieux, à être plus inclusives et à respecter les droits de la personne et les droits ancestraux des Autochtones.
Nous ne pouvons pas envisager les changements climatiques de manière isolée. Pour le Canada, les mesures de lutte contre les changements climatiques doivent aller de pair avec la nature. Je me sers de mon poste pour établir des liens entre la perte de biodiversité et les changements climatiques et l’importance des solutions fondées sur la nature. En effet, les interconnexions avec les changements climatiques sont de plus en plus prononcées. Je participe de plus en plus à des discussions intersectorielles portant sur le lien entre les changements climatiques et une série d’enjeux comme la santé, la sécurité, les océans et l’agriculture.
Un des éléments importants du travail du Canada dans le domaine des changements climatiques est l’aide qu’il apporte aux pays en voie de développement au moyen du financement pour l’action climatique. Les pays les plus pauvres et les plus vulnérables sont ceux qui souffrent le plus des effets des changements climatiques, alors qu’ils sont ceux qui contribuent le moins à causer ces changements.
En 2009, les pays développés se sont engagés à mobiliser 100 milliards de dollars par année pour appuyer les pays en développement dans leurs efforts de lutte contre les changements climatiques. À titre de nation prospère, le Canada a constamment fourni du financement pour favoriser l’action climatique des pays en voie de développement. Je parle beaucoup de la contribution de 5,3 milliards de dollars du Canada à cet égard.
En tant qu’ambassadrice, je fais également avancer des initiatives très précises que je serais heureuse d’expliquer en détail, notamment l’Alliance Énergiser au-delà du charbon, qui vise à encourager l’élimination progressive des centrales au charbon à l’échelle mondiale, et le Défi mondial sur la tarification du carbone, une initiative plus récente qui vise à stimuler l’efficacité de la tarification du carbone. De plus, je fais la promotion de l’Engagement mondial sur le méthane, lancé par les États-Unis et l’Union européenne lors de la COP 26 en 2021. J’appuie également le ministre Guilbeault et le négociateur en chef du Canada en vue de l’atteinte de nos objectifs de négociation. Je pourrai donner beaucoup plus de détails à ce sujet plus tard.
En ce qui concerne plus précisément l’objet de la réunion d’aujourd’hui, je défends aussi les intérêts en matière d’agriculture et le rôle important que joue l’agriculture intelligente dans la lutte contre les changements climatiques. Je pourrai également vous en dire un peu plus à ce sujet.
Pour conclure — et je sais qu’il me reste peu de temps —, je tiens à vous remercier encore une fois de m’avoir donné l’occasion de m’adresser à vous aujourd’hui. Grâce aux efforts déployés ici — au pays et à l’échelle internationale —, le Canada est considéré comme un chef de file mondial de la lutte contre les changements climatiques. En poursuivant ses efforts de défense des intérêts et de mobilisation, le Canada peut continuer de jouer un rôle essentiel dans le cadre de la lutte mondiale contre les changements climatiques. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup, madame Stewart. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Chers collègues, vous disposez de quatre minutes, et nous ferons plusieurs tours de table, au besoin. Les quatre minutes comprennent la question et la réponse. Commençons par notre vice-présidente, la sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup, madame l’ambassadrice. Comme il s’agit du comité de l’agriculture et des forêts et que vous êtes ici pour parler de notre étude sur la santé des sols, j’espère que vous pourrez nous en dire plus sur les programmes agricoles que vous venez d’évoquer dans votre conclusion.
Mme Stewart : Je serai ravie d’en parler. Comme je l’ai mentionné, mon rôle consiste à présenter ce que fait le Canada en matière de lutte contre les changements climatiques sur la scène internationale. Je fais connaître notre Plan de réduction des émissions pour 2030 et je parle non seulement des efforts que nous déployons pour investir dans les technologies propres, mais aussi de nos règlements.
La sénatrice Simons : Je comprends cela, mais vous avez été invitée ici aujourd’hui — et je suis désolée d’insister là-dessus — pour parler de la santé des sols au comité de l’agriculture et des forêts. Pourriez-vous mettre l’accent sur cet aspect?
Mme Stewart : Oui, mais j’ai également été invitée à parler de mon rôle d’ambassadrice du Canada pour les changements climatiques, ce qui signifie que je participe à des discussions internationales.
En ce qui a trait au dossier de l’agriculture, je parle de la façon dont elle contribue, par exemple, à la réduction du méthane à l’échelle internationale. Je fais la promotion de l’Engagement mondial sur le méthane. Il s’agit d’une initiative lancée par l’Union européenne et les États-Unis lors de la COP 26 pour réduire de 30 % les émissions de méthane d’ici 2030.
Dans l’industrie pétrolière et gazière, les secteurs des déchets et de l’agriculture jouent un rôle essentiel. Nous avons du travail à faire au Canada pour réduire les émissions de méthane produites par l’agriculture, mais je parle, par exemple, du nouveau Défi de réduction du méthane agricole et de la décision d’accorder jusqu’à 12 millions de dollars pour des innovations sous forme de technologies, de pratiques et de procédés peu coûteux et évolutifs conçus pour réduire les émissions de méthane produites par le bétail.
Je parle aussi plus généralement de l’effet du méthane sur l’agriculture et la perte de récoltes, ainsi que de la façon dont cela accentue l’insécurité alimentaire. Le message sur lequel j’insiste à l’échelle internationale, c’est qu’il est important que tout le monde prenne des mesures pour réduire les émissions de méthane — non seulement dans le secteur du pétrole et du gaz, mais aussi dans celui de l’agriculture —, et je parle de ce que fait le Canada au niveau national pour favoriser l’atteinte de cet objectif.
J’ai également eu l’occasion de rencontrer récemment des représentants de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, à Rome, ainsi que du Programme alimentaire mondial, afin d’en savoir plus sur les programmes qu’ils soutiennent en collaboration avec le Canada. Ce sont donc de bonnes occasions de discuter du travail qu’ils accomplissent — grâce au soutien financier du Canada — et de la façon dont ces deux organisations s’entraident.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci d’être ici avec nous aujourd’hui. Madame l’ambassadrice, j’aimerais essayer de comprendre votre rôle international. Peut-être que j’ai tort, mais avez-vous, dans le cadre de ce rôle, l’occasion d’entrer en contact avec des membres de la communauté internationale qui peuvent nous aider?
En d’autres mots, est-ce une occasion pour vous d’aller chercher de l’information, d’aller vous renseigner sur les meilleures pratiques, entre autres pour ce qui nous intéresse, soit de meilleures pratiques pour la santé des sols, l’utilisation de certains fertilisants ou pas? Est-ce le genre de chose que vous êtes capable de faire? Sinon, est-ce le genre de chose que vous êtes capable de synchroniser ou d’organiser pour des acteurs qui pourraient le faire?
[Traduction]
Mme Stewart : J’aborde également cette question du point de vue des négociations. Lorsque nous participons à une Conférence des Parties, ou COP, nous négocions toute une série de questions. L’une d’entre elles concerne l’agriculture. En effet, nous entendons de plus en plus parler du rôle de l’agriculture dans la lutte contre les changements climatiques.
Par exemple, lors de la COP 27, tenue à Charm el-Cheikh, les parties ont convenu de collaborer à la mise en œuvre d’initiatives de lutte contre les changements climatiques dans le domaine de l’agriculture et de la sécurité alimentaire. Il s’agit d’un programme de travail pluriannuel en matière d’agriculture aux termes de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, ou CCNUCC. Ainsi, nous travaillerons ensemble — en tant que communauté internationale — pour mieux comprendre et cerner les solutions climatiques dans le domaine de l’agriculture.
À la COP 28, nous devrons nous mettre d’accord sur des éléments de ce plan de travail. Allons-nous publier des rapports annuels? Allons-nous organiser des ateliers pour que nous puissions apprendre les uns des autres et nous entraider?
L’agriculture étant un sujet de plus en plus récurrent dans les discussions internationales sur les changements climatiques, nous sommes très désireux, à titre de représentants du Canada, de faire avancer ce programme de travail lors de la COP 28. À mon avis, la crédibilité de la place de l’agriculture dans le débat mondial sur les changements climatiques revêtira une grande importance cette année à la COP 28. C’est pourquoi, dans le cadre de mes fonctions, je souligne l’importance de passer à l’action.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup pour cette réponse. J’essaie de me faire une idée du rôle du Canada à l’échelle internationale quand il s’agit de s’inspirer de ce qui se fait ailleurs ou de le faire connaître. J’essaie de savoir comment on se positionne. Sommes-nous des leaders?
Quand il s’agit — et vous l’avez bien dit — de s’assurer que l’agriculture fait partie de la conversation sur les changements climatiques, est-ce qu’on peut dire que le Canada est un leader ou qu’il reste du travail à faire? J’essaie de me faire une idée, à savoir comment on se positionne.
[Traduction]
Mme Stewart : Je pense que nous avons de bons exemples d’entités canadiennes qui œuvrent dans le domaine de la lutte contre les changements climatiques. Il est important que nous en parlions à l’échelle internationale. Par exemple, les Producteurs laitiers du Canada se sont engagés à atteindre la carboneutralité d’ici 2050. Il est important de pouvoir faire découvrir de telles initiatives. En outre, l’organisme Canadian Beef Advisors s’est fixé comme objectif de réduire de 33 % les émissions de carbone dans l’industrie du bœuf d’ici 2030. Nous devons présenter ces cibles ambitieuses sur la scène internationale non seulement pour montrer que nous prenons des initiatives, mais aussi pour faire part de ces expériences aux autres et pour tirer des leçons de ce qui se passe ailleurs.
D’autres pays prennent d’autres initiatives; je ne connais pas les détails. Cependant, mon rôle est de nouer un dialogue et d’avoir la possibilité de participer aux discussions dont vous parlez. En ce qui concerne plus particulièrement l’agriculture et la santé des sols, ce n’est pas un domaine sur lequel je me suis penchée activement, mais c’est certainement un sujet dont je suis consciente et qui gagne du terrain dans le dialogue et le débat sur l’importance de l’agriculture dans la lutte contre les changements climatiques.
Le président : Je vous remercie.
La sénatrice Burey : Bonjour, madame l’ambassadrice. Je vous remercie d’être des nôtres. Merci aussi du travail remarquable que vous faites dans le cadre de vos fonctions.
Je vais revenir à la question de la sénatrice Petitclerc, car votre mandat à titre d’ambassadrice du Canada pour les changements climatiques est de promouvoir les priorités du Canada en matière de croissance propre et de lutte contre les changements climatiques.
Pouvez-vous nous dire quelles sont les priorités du Canada en matière de croissance propre et de lutte contre les changements climatiques pour le secteur de l’agriculture? Je sais que vous venez de mentionner que tout le monde est de plus en plus conscient du rôle de l’agriculture dans l’atténuation des changements climatiques. Pouvez-vous nous parler des priorités établies pour le secteur de l’agriculture?
Mme Stewart : Je vous remercie de votre question. Dans le cadre de mes fonctions, je m’efforce de faire en sorte que l’agriculture occupe une place dans le débat sur les changements climatiques. J’ai donné l’exemple de l’Engagement mondial sur le méthane et j’ai dit que nous devons réduire les émissions de méthane dans de nombreux secteurs — pas seulement dans celui du pétrole et du gaz, mais aussi dans ceux des déchets et de l’agriculture. Dans l’exercice de mes fonctions, je m’assure de souligner le rôle que joue l’agriculture. C’est l’une des façons dont je me sers de mon poste pour parler de l’agriculture et faire en sorte qu’elle n’est pas oubliée en lui accordant une certaine importance sur la scène internationale.
J’ai également mentionné que nous tenons à obtenir de bons résultats dans le dossier de l’agriculture lors de la COP 28, qui se tiendra prochainement à Dubaï. Nous avons d’énormes priorités en prévision de la COP. Nous voulons nous assurer d’obtenir de bons résultats dans le cadre du bilan mondial en vertu de l’Accord de Paris. Le bilan mondial doit nous indiquer où nous en sommes par rapport aux objectifs de l’Accord de Paris. Où en sommes-nous dans la réalisation de notre ambition de limiter le réchauffement à 1,5 degré Celsius? Où en sommes-nous dans le renforcement de la résilience et de la capacité d’adaptation aux effets des changements climatiques? Qu’en est-il du soutien apporté aux pays en développement?
Lorsque nous ferons ce bilan mondial au cours de la COP 28, mon objectif sera de veiller à ce que nous procédions à une évaluation adéquate et que nous présentions des solutions rigoureuses. Tous les secteurs de la société doivent proposer des solutions, et mon rôle consiste à veiller à ce que nous parlions de tous les domaines, y compris celui de l’agriculture.
La sénatrice Burey : Je vous remercie beaucoup de votre réponse. Dans le cadre de notre étude de l’état de la santé des sols, nous avons eu le privilège de nous rendre en Saskatchewan et en Alberta pour rencontrer des scientifiques de l’Université de la Saskatchewan, des éleveurs de bétail, des personnes qui jouent un rôle dans les technologies propres comme la détection, et des agronomes qui ont étudié le carbone, l’azote, l’eau et le téléversement de données dans le nuage. Le Canada mène de nombreuses recherches extrêmement reconnues dans le domaine des technologies propres.
Votre rôle consiste-t-il en partie à faciliter ces recherches? Vous avez parlé de négociation. Essayez-vous de faire avancer le travail que nous réalisons ici, au Canada, en matière de recherche sur les technologies agricoles propres?
Mme Stewart : Mon rôle principal consiste à faire avancer les travaux du Canada relativement au changement climatique en général. Nous déployons de nombreux efforts à cet égard : Nous mettons en œuvre le Plan de réduction des émissions pour 2030. Nous faisons avancer une réglementation. Nous déployons actuellement de nombreux efforts dans le secteur du pétrole et du gaz, y compris le travail d’élaboration d’un plafond d’émissions pour le pétrole et le gaz. Enfin, nous appliquons notre politique de tarification du carbone. Je raconte à tout le monde à l’échelle internationale l’histoire et le discours du Canada à cet égard, et ce discours englobe ce que nous faisons dans le domaine de l’agriculture. Toutefois, j’aimerais me tourner vers M. Ngan, qui fait partie des témoins qui comparaissent aujourd’hui, pour parler du discours du Canada et des mesures que nous prenons en matière de changement climatique.
Vincent Ngan, sous-ministre adjoint, Direction générale des changements climatiques, Environnement et Changement climatique Canada : Je vous remercie. Nous devons bien entendu collaborer avec tous les secteurs du Canada pour faire progresser la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le cadre du Plan de réduction des émissions pour 2030, ainsi que pour favoriser la résilience et les pratiques d’adaptation aux conséquences fluctuantes des changements climatiques par l’intermédiaire de la stratégie nationale d’adaptation du Canada.
Agriculture et Agroalimentaire Canada est le ministère responsable de la famille fédérale et, par l’intermédiaire du Plan de réduction des émissions pour 2030, il se concentre sur un certain nombre de domaines. Tout d’abord, il cherche, entre autres, à investir dans la lutte contre les changements climatiques à la ferme pour aider les agriculteurs à adopter des pratiques durables, telles que les cultures de couverture, le pâturage en rotation et la gestion des engrais. Il se concentre également sur les technologies agricoles propres afin de soutenir le développement et l’achat par les agriculteurs d’équipements plus efficaces sur le plan énergétique. L’accent est également mis sur la science transformatrice et sur un secteur durable — et, compte tenu du changement climatique, sur le soutien du rôle que le secteur joue dans la transition vers une économie carboneutre. Ce sont là quelques-unes des initiatives auxquelles travaillent nos collègues d’Agriculture et Agroalimentaire Canada afin de faire avancer les choses du point de vue de l’atténuation et de l’adaptation dans le secteur du changement climatique.
Le président : Je vous remercie de votre réponse. Je vais poser quelques questions aux témoins. Ambassadrice Stewart, en tant qu’ambassadrice du Canada pour les changements climatiques — et vous pouvez adresser ma question à l’un de vos collègues présents dans la salle —, je tiens tout d’abord à vous remercier d’avoir veillé à ce que l’agriculture ait sa place dans tout ce que vous faites. Nous vous en sommes reconnaissants.
Ma question est la suivante : quelle est l’information la plus importante que vous souhaiteriez voir figurer dans notre rapport sur l’état de santé des sols lorsqu’il sera enfin rédigé? N’hésitez pas à transmettre cette question si vous le souhaitez. Je précise encore une fois qu’il s’agit d’un rapport d’étude de l’état de santé des sols.
Mme Stewart : Je vous remercie de votre question. Je vais transmettre cette question à M. Ngan pour voir s’il a quelque chose à ajouter.
M. Ngan : Dans le cadre de la Stratégie nationale d’adaptation, nous veillons à ce que les segments vulnérables de la population soient pris en compte au cours de l’élaboration des politiques gouvernementales, en reconnaissant pleinement que les effets du changement climatique ont une incidence disproportionnée sur les segments vulnérables de la population.
Par exemple, en ce qui concerne le dôme de chaleur de 2021, nous savons que les quartiers à faibles revenus, les populations appartenant à un certain groupe d’âge, comme les septuagénaires, ou les personnes vivant seules sont touchés de manière disproportionnée par les événements climatiques extrêmes, tels que le dôme de chaleur. Par conséquent, lorsque nous élaborons des stratégies d’atténuation et d’adaptation pour le secteur agricole, nous pourrions prendre en compte les effets que ces événements ont sur ces segments de la population. Cela dit, je peux peut-être me tourner vers mes collègues pour obtenir d’autres commentaires.
Le président : Veuillez le faire.
Kelly Torck, directrice générale intérimaire, Politiques et partenariats en matière de biodiversité, Environnement et Changement climatique Canada : Une autre conversation connexe porte sur le suivi des engagements pris par le Canada et d’autres pays en vue de l’adoption d’un nouveau cadre mondial pour la biodiversité, à la suite de la Conférence des parties à la Convention sur la diversité biologique qui a eu lieu à Montréal en décembre dernier. Vingt-trois nouveaux objectifs mondiaux ont été adoptés. L’objectif est de soutenir une mission visant à stopper et à inverser la perte de biodiversité. Lorsque nous pensons à la biodiversité, nous pensons à la biodiversité à tous les niveaux. L’état de santé des sols et la biodiversité des sols sont donc des éléments importants qui sont reconnus comme étant importants à maintenir. Nous reconnaissons que l’agriculture est dépendante de la biodiversité, mais qu’elle peut aussi — si elle n’est pas gérée de façon durable — avoir une incidence négative sur celle-ci.
Une conversation est en cours en vue d’examiner comment, tant au niveau international que national, il peut y avoir, en fait, des possibilités d’adopter et de faire progresser des pratiques qui soutiennent la biodiversité, y compris la biodiversité des sols, tout en continuant de permettre au secteur agricole de devenir plus durable.
Le président : Je vous remercie de votre réponse. Quelqu’un d’autre souhaite-t-il intervenir?
Judy Meltzer, directrice générale, Bureau des marchés du carbone, Direction générale de la protection de l’environnement, Environnement et Changement climatique Canada : Je signale que, dans mon service, nous dirigeons la mise en œuvre du régime de crédits compensatoires pour les gaz à effet de serre du Canada. Il est certain que l’agriculture est un secteur dans lequel nous cherchons à encourager les activités qui réduisent et éliminent les émissions, y compris la séquestration du carbone dans le sol en tant qu’outil qui contribue à faire avancer les choses, ainsi qu’un rapport qui nous aide à distinguer les mesures en place, les investissements et les mesures d’incitation qui soutiennent déjà ces activités, là où il peut y avoir des lacunes supplémentaires. Nous continuons de développer des protocoles pour les crédits compensatoires. Une bonne compréhension du paysage actuel — où il peut y avoir des lacunes et où nous pouvons utiliser les outils dont nous disposons pour contribuer à faire avancer de nouvelles mesures — sera toujours la bienvenue.
Jackie Mercer, gestionnaire de programme, Crédits compensatoires et échange de droits d’émission, Offsets and Emissions Trading, Environnement et changement climatique Canada : En tant que responsable du régime de crédits compensatoires, il est très important de noter — et je pense que cela a déjà été mentionné au cours de la séance — que l’on peut avoir un sol en mauvaise santé et un taux élevé de carbone organique dans le sol.
Pour reprendre les propos de Mme Torck, un sol sain a, entre autres, les propriétés suivantes : la biodiversité, des nutriments, des fonctions du sol, un taux d’infiltration de l’eau et plusieurs autres propriétés du sol. Grâce à l’élaboration du protocole d’augmentation de la matière organique des sols, nous cherchons à déterminer les pratiques agricoles particulières qui pourraient générer des crédits compensatoires couvrant l’ensemble des propriétés d’un sol sain. Des mesures comme les cultures de couverture, la modification des régimes de labourage, l’amendement du sol et le pâturage en rotation sont toutes examinées. Il est important de disposer d’une étude décrivant ces types d’activités, les avantages liés à l’état de santé des sols et à l’augmentation du taux de carbone organique dans le sol qu’elles apportent, et aussi — s’il y a eu des progrès dans la manière dont cela peut être mesuré et suivi dans le temps — les types de données que vous avez jugées utiles pour quantifier ces activités et déterminer quand elles sont supplémentaires et peuvent conduire à la suppression de gaz à effet de serre ou à des réductions accrues de ces gaz. Je pense que nous voulons toujours en savoir plus sur les activités en cours pour faire avancer la science dans ce domaine.
Le président : Je vous remercie de votre réponse. Je dirais que la tarification du carbone est un sujet dont nous n’avons pas assez entendu parler et, si cela n’a pas lieu aujourd’hui — je sais que nous sommes limités par le temps —, nous pourrions vous demander de revenir témoigner à ce sujet, car je crois que c’est une partie de notre étude que nous devons approfondir. Je vous remercie infiniment de votre intervention.
Le sénateur Cotter : Je m’excuse de ne pas avoir entendu votre exposé. J’ai été retenu par une autre question. C’est vraiment inconsidéré de ma part de poser des questions, mais je ne peux pas résister à cette tentation. C’est un peu dans ma nature, je suppose.
J’ai fait quelques recherches de mon côté — pas directement liées à cette conversation et à l’état de santé des sols, mais plutôt liée à un autre petit enjeu qui est devenu très controversé au Sénat du Canada par rapport au projet de loi C-234. J’ai notamment découvert que, selon la documentation du gouvernement du Canada, le niveau des émissions de gaz à effet de serre par hectare de terre agricole dans l’ensemble du pays a été calculé. C’était une bonne chose à faire, je pense, pour essayer de comprendre la situation. Les émissions de gaz à effet de serre par hectare pour toutes les cultures pratiquées en Saskatchewan sont nettement plus faibles que partout ailleurs dans le pays, même en Alberta et au Manitoba.
La sénatrice Simons : Ce n’est pas ma faute.
Le sénateur Cotter : J’essaie de me préparer à l’intervention de la sénatrice Simons. Il ne s’agit pas de chiffres inventés par le premier ministre de la Saskatchewan ou d’autres choses de ce genre. Ils sont spectaculaires. J’aimerais savoir si vous en êtes conscients et si — je le dirai dans mon discours — le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, le ministre de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire ou, très franchement, le chef de l’opposition devraient se rendre en Saskatchewan pour découvrir comment cela est possible. Il n’est pas possible d’obtenir nulle part ailleurs dans le monde un tel succès en matière de limitation des émissions de gaz à effet de serre.
L’un d’entre vous peut-il nous dire, tout d’abord, s’il est au courant de ces résultats? Je n’étais pas au courant de cela jusqu’à ces dernières semaines. Deuxièmement, quelles sont les causes de ces résultats, et quelles leçons pouvons-nous en tirer?
Lindsay Pratt, directeur, Inventaires et rapports sur les polluants, Direction générale des sciences et de la technologie, Environnement et Changement climatique Canada : Mon domaine de compétence est la quantification des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Le Canada déclare les émissions et les suppressions de gaz à effet de serre provenant de toutes les sources à l’intérieur de ses frontières géographiques. Chaque année, nous rédigeons un rapport assez volumineux de 700 pages qui décrit exactement comment nous parvenons à le faire.
L’agriculture est un secteur qui fait l’objet d’un rapport; nous produisons ce rapport depuis des années. Il faudrait que je vérifie vos recherches pour savoir si les émissions relatives des cultures de la Saskatchewan sont particulièrement faibles par rapport à celles des autres provinces. Je n’ai pas ces données sous les yeux aujourd’hui, mais c’est quelque chose que nous pouvons vérifier. Le Rapport d’inventaire national du Canada est la source qui fait autorité en matière d’estimations des gaz à effet de serre pour le Canada. Il existe de nombreuses sources d’information semblables au Canada. Toutefois, le Rapport d’inventaire national est celui que nous présentons chaque année aux Nations unies. C’est la référence par rapport à laquelle nos progrès sont mesurés. Nous pouvons revoir nos données et revérifier cela. Il sera intéressant de voir ces résultats. Je n’étais pas exactement au courant de cet écart particulier entre les provinces.
Le sénateur Cotter : Je vous remercie de votre réponse.
La sénatrice Simons : En tant que fière Albertaine, je suis heureuse de donner suite à la question du sénateur Cotter. J’adresse ma question à Mmes Mercer et Meltzer.
Le point soulevé par le sénateur Cotter, c’est que les agriculteurs des Prairies ont déjà fait d’énormes progrès pour réduire au minimum leurs émissions de carbone et, en adoptant énergiquement des méthodes de culture sans labour, ils ont non seulement réduit de manière spectaculaire l’érosion des sols et le vent, mais ils ont également réinjecté le carbone dans le sol.
L’un des défis que pose la mise en place d’un marché du carbone opérationnel, c’est que, si l’on ne récompense les gens que pour ce qu’ils font en ce moment, les pionniers n’obtiennent aucune reconnaissance pour le travail d’avant-garde qu’ils ont déjà accompli en matière d’atténuation des émissions de carbone.
Nous allons bientôt entendre les témoignages d’experts du marché du carbone lorsque notre prochain groupe de témoins se joindra à nous, mais je voudrais comprendre — du point de vue de Mmes Mercer et Meltzer — comment nous pourrions mettre en place un marché du carbone qui soit garanti, de manière à ce que les gens sachent ce que valent réellement les crédits de carbone. Ces crédits pourraient y être échangés, et les premiers adoptants pourraient bénéficier d’une certaine reconnaissance pour ce qu’ils ont déjà fait pour lutter contre le changement climatique.
Mme Mercer : C’est un point important. Au fil des ans et de l’élaboration de notre système, nos intervenants nous ont beaucoup parlé de la manière dont nous pouvions réaliser ces deux choses. Il faut garder à l’esprit que, dans le cas d’un système de crédits compensatoires fondé sur la conformité, comme le nôtre, chaque crédit compensatoire représente une tonne d’équivalent CO2 retirée de l’atmosphère.
Ces crédits compensatoires peuvent être utilisés par des installations assujetties à la réglementation sur le système fédéral de tarification fondé sur le rendement. Chacun de ces crédits doit en fait représenter une tonne supplémentaire de gaz à effet de serre qui a été réduite parce que les crédits remplacent les réductions qui auraient dû avoir lieu dans cette installation réglementée. Pour répondre à votre question, ils doivent vraiment représenter une tonne de CO2 réelle, quantifiable, vérifiable, supplémentaire, unique et permanente. Les gens doivent pouvoir compter là-dessus. Le système doit présenter une certaine intégrité, solidité et crédibilité. C’est la raison pour laquelle nous avons élaboré notre système au moyen d’un règlement. Ce règlement a été publié en juin dernier.
Dans le cadre de l’élaboration de notre protocole, nous reconnaissons que, dans l’ensemble du Canada, les agriculteurs et le secteur agricole ont entrepris différentes activités de différentes manières et à des rythmes différents. C’est la raison pour laquelle le protocole d’augmentation de la matière organique des sols exige un certain temps, notamment pour déterminer quelles activités sont supplémentaires et à quel endroit. Par exemple, les cultures de conservation, comme vous l’avez souligné, sont pratiquées depuis longtemps dans les Prairies. Il faut reconnaître que cette pratique est importante et que ces cultures sont une bonne chose. Quelle est l’activité suivante qui doit être superposée à cela pour que les crédits de cet agriculteur représentent une tonne de CO2 supplémentaire retirée de l’atmosphère, lorsqu’ils sont utilisés par une installation réglementée? Ces types de pratiques ont déjà été adoptés très tôt à certains endroits. Nous ne cherchons pas à pénaliser les agriculteurs, mais le système repère les réductions et les activités qui n’auraient pas eu lieu sans l’incitation d’un crédit que les agriculteurs peuvent vendre pour une certaine somme d’argent. Par ailleurs, étant donné que ce protocole exige du temps en raison de sa complexité, nous avons entrepris l’élaboration de deux protocoles supplémentaires dans le secteur de l’agriculture. Le premier est un protocole de gestion des aliments pour le bétail. Il vise à réduire les émissions de méthane entérique provenant du bétail. Nous espérons publier ce protocole à l’état de projet cet automne et le soumettre à une consultation publique, ce qui nous enthousiasme. Un autre protocole porte sur la prévention des émissions de méthane provenant du fumier grâce à la digestion anaérobie et d’autres traitements. Nous espérons rédiger et publier ce protocole au printemps. Les agriculteurs auront donc trois possibilités de participer. Nous élaborerons des protocoles de manière continue. Une fois qu’ils seront terminés, nous verrons quelles sont les prochaines activités à privilégier.
La sénatrice Simons : Si quelqu’un prenait contact avec vous et vantait les mérites du varech pour réduire naturellement les émissions de méthane des vaches et les rendre moins flatulentes, comment s’y prendrait-on pour calculer le crédit compensatoire?
Mme Mercer : C’est une excellente question. Le protocole que nous publierons cet automne souligne les mesures qui, selon nous, pourraient réduire les émissions de méthane générées par la fermentation entérique. De nouvelles idées qui suscitent l’enthousiasme sont toujours mises de l’avant pour nous aider à réduire ces émissions. La science est un fondement important du système de crédits compensatoires fondé sur la conformité. Il faut réaliser des tests et approuver les solutions potentielles pour l’utilisation au Canada. Il importe d’effectuer des tests pour connaître les réductions réelles. Il faudra un certain temps pour adopter ces nouveaux additifs alimentaires et les ajouter aux protocoles. Nous élaborons ces additifs en conséquence, de manière à suivre le rythme des dernières découvertes scientifiques et à voir si ces solutions s’intègrent à notre système. Je ne sais pas si vous voudriez ajouter quelque chose, madame Meltzer.
Mme Meltzer : Je vous remercie, madame Mercer. J’ajouterais que nous élaborons chacun de ces protocoles pour une activité précise et que nous tenons compte de chaque type de projet. Nous consultons toute une série d’experts internes et externes. Pour chaque protocole compensatoire que nous élaborons, nous mettons sur pied une équipe composée d’experts techniques, d’experts de l’agriculture, d’universitaires et de collègues d’autres ministères qui amènent leurs connaissances scientifiques et leur expertise. Nous les consultons beaucoup pour nous assurer que nos protocoles soient robustes.
Concernant ce que disait Mme Mercer, les gens s’intéressent souvent aux nouvelles technologies qui en sont aux premières étapes et qui pourraient révéler beaucoup de potentiel. Vous pourriez en examiner quelques-unes dans votre étude. L’espace compensatoire — notre système de crédits compensatoires fondé sur la conformité — n’est pas vraiment indiqué pour les choses sur lesquelles nous apprenons toujours et que nous expérimentons. Il est plutôt indiqué pour accorder des crédits pour les réductions supplémentaires robustes, mesurables, vérifiées, quantifiées que nous pouvons garantir.
La sénatrice Simons : Si un agriculteur réduit son utilisation d’engrais, pourra-t-il recevoir un crédit compensatoire?
Mme Mercer : À l’heure actuelle, il n’y a pas de protocole prioritaire pour cela dans notre système.
Le président : Je vous remercie.
Le sénateur Cotter : Je ne suis pas censé faire cela, mais je veux répondre à la question de la sénatrice Simons sur les vaches et le méthane. Le sénateur Black et moi avons eu la chance de rencontrer l’attaché commercial spécial pour l’Agriculture de la Nouvelle-Zélande, il y a quelques années. Il décrivait des stratégies d’amélioration génétique pour produire du bétail qui produit moins de méthane; c’est ainsi que je pourrais l’expliquer. Cette stratégie leur évitait de devoir capter le méthane autour de la vache pour évaluer les émissions et leur permettait de cibler les races de bovins émettant moins de méthane. J’ai trouvé que c’était une stratégie intéressante.
Ma prochaine question s’adresse à M. Pratt. Vous avez dit que vous alliez évaluer l’information que je vous ai donnée sur la Saskatchewan. Cette information vient du travail de Raymond Desjardins, qui est identifié sur Wikipédia comme chercheur principal à Agriculture et Agroalimentaire Canada et, si je puis dire, colauréat du prix Nobel de la paix. Sans en être certain, je me suis dit que ce n’était pas trop mal comme références. Le connaissez-vous? Il ne travaille peut-être plus là, mais il a été chercheur à Agriculture et Agroalimentaire Canada et étudiait des questions liées aux changements climatiques. Ce nom est-il familier à l’un de vous?
M. Pratt : Tout à fait, M. Desjardins est un confrère bien connu. Il a travaillé à Agriculture et Agroalimentaire Canada pendant de nombreuses années. Il a pris sa retraite dernièrement, mais il a clairement contribué à la science qui sous-tend les estimations de gaz à effet de serre en agriculture au Canada. Il est sans nul doute une source faisant autorité.
Le sénateur Cotter : Je pourrais vous citer, cet après-midi. Je vous remercie.
Le président : Sur ce, madame l’ambassadrice Stewart, monsieur Ngan, mesdames Meltzer et Torck, monsieur Pratt et madame Mercer, je vous remercie beaucoup de votre participation. Si vous pensez à des informations que nous devrions avoir ou si vous vous êtes engagés à nous faire parvenir des informations, veuillez les envoyer à la greffière. Nous vous invitons à rester à l’affût de notre rapport final, qui sera publié en 2024. Nous avons hâte de voir comment il pourra contribuer à la situation. Je vous remercie beaucoup de votre participation.
Pour la deuxième heure, sur la création de marchés de crédits carbone viables pour l’agriculture au Canada, nous souhaitons la bienvenue à nos témoins par vidéoconférence: de Deveron, David MacMillan, président et directeur général; de l’Association canadienne des bovins, Duane Thompson, coprésident du Comité de l’environnement, et Reynold Bergen, directeur scientifique du Conseil de recherche sur les bovins de boucherie; de Carbon Asset Solutions, Robin Woodward, directeur; d’Écobœuf, Simon Lafontaine, cofondateur; de la Western Stock Growers’ Association, William Newton, gouverneur; de Biological Carbon Canada, Don McCabe, président, et Graham Gilchrist, chef de la direction.
Vous avez la parole, monsieur MacMillan.
David MacMillan, président et directeur général, Deveron : Je vous remercie, sénateur Black, et vous souhaite le bonjour, estimés membres du comité. Je vous remercie de l’invitation à témoigner devant votre comité pour vous présenter mon point de vue sur l’occasion à saisir pour protéger la santé des sols au Canada.
Aujourd’hui, je représente l’une des plus grandes entreprises d’analyse des sols en Amérique du Nord dont le siège social est situé au Canada. Nous fournissons des informations à valeur ajoutée liées à la santé des sols à des milliers d’agriculteurs un peu partout dans ce grand pays. En notre qualité de principal fournisseur de services de ce genre au Canada depuis 35 ans, nous avons un point de vue unique et comprenons les besoins des producteurs. Nous savons comment l’analyse de la santé des sols a évolué au pays depuis le temps où elle n’était qu’un outil de mesure.
Nous croyons que le gouvernement doit faire trois choses pour favoriser l’amélioration de la mesure de la santé des sols, approfondir les analyses et établir des normes pancanadiennes.
Tout d’abord, il n’existe pas de base de données nationale ou d’informations agrégées pour aider tous les intervenants à effectuer des mesures, à comparer leurs données à un niveau de référence ou à évaluer comment nous nous en tirons au pays. À titre de partenaires des cultivateurs depuis tant d’années, nous disposons d’une vaste base de données anonymisées qui pourrait aider à analyser les mesures des sols et à établir des niveaux de référence partout au pays.
Ensuite, il n’y a actuellement pas de norme claire de mesure de la santé des sols ni d’évaluation des effets de tout cela sur les producteurs et les gens du milieu en général, qui voudraient participer à des programmes en ce sens et en mesurer le succès.
De plus, il n’y a pas de mesures incitatives nationales largement acceptées pour que les gens intéressés commencent à analyser la santé des sols, à comparer leurs données à des données de référence et à estimer le rendement des investissements et des décisions prises à la ferme.
Il y a bien des définitions de la santé des sols et de multiples technologies qui y sont liées, ce qui complexifie l’établissement d’une norme nationale. À cet égard, nous avons nos propres informations exclusives qui pourraient aider à établir de bonnes mesures, qui nous permettraient en fin de compte de bien évaluer pourquoi la santé des sols compte.
Je vous demanderais d’aider l’industrie à suivre une norme de mesure gouvernementale et de créer des incitatifs pour accélérer l’adoption de ces pratiques. Je crois par ailleurs que la vaste base de données historiques de notre entreprise pourrait servir à bâtir les piliers du système. Chez Deveron, nous souhaitons participer aux prochaines découvertes pour voir comment nous pouvons contribuer.
En terminant, je dirai que le Canada a bien des occasions de rattraper les autres pays. Nous travaillons à l’analyse de la santé des sols et à la mesure du carbone aux États-Unis depuis trois ans. Le Département de l’Agriculture américain a engagé à lui seul plus de 3 milliards de dollars dans des initiatives d’agriculture intelligente et de climat durable.
Enfin, la majorité des agriculteurs qui font l’analyse de leurs sols travaillent avec nous. À la lumière de cette expérience, nous pensons qu’il y a trois éléments clés susceptibles d’améliorer le potentiel réel du Canada de devenir un chef de file du domaine : le premier consisterait à créer une base de données nationale accessible; le deuxième, à créer une définition claire de ce qu’on entend par santé des sols au Canada; le troisième, à concevoir des mesures incitatives nationales claires pour accroître la participation à l’analyse de la santé des sols.
Je vais m’arrêter là, et je vous remercie beaucoup d’avoir écouté mon point de vue aujourd’hui.
Le président : Je vous remercie beaucoup. Nous passons à M. Thompson.
Duane Thompson, coprésident, Comité de l’environnement, Association canadienne des bovins : Bonjour, honorables sénateurs. Je vous remercie de l’occasion qui m’est offerte de témoigner devant votre comité.
Je m’appelle Duane Thompson. Je suis un propriétaire de ranch de quatrième génération de la Saskatchewan, et deux autres générations me suivent. J’ai le plaisir de présider le comité de l’environnement de l’Association canadienne des bovins.
Reynold Bergen, expert technique et membre du personnel du Conseil de recherche sur les bovins de boucherie, m’accompagne aujourd’hui.
Je suis ici pour donner le point de vue des éleveurs de bétail et des propriétaires de ranch du Canada, ainsi que pour en dire plus sur notre contribution à la durabilité et sur la façon dont nous protégeons les sols. Simplement dit, nous sommes fiers d’être des intendants de l’environnement et des terres.
Comme vous l’avez peut-être entendu, l’Association canadienne des bovins a établi des objectifs ambitieux pour 2030, qui favoriseront notre durabilité environnementale. Nous sommes déjà des leaders mondiaux, car nous produisons moins de la moitié de la moyenne mondiale des émissions de gaz à effet de serre. Cependant, nous ne nous reposons pas sur nos lauriers. Parmi nos objectifs, nous visons à réduire de 33 % les gaz à effet de serre que nous émettons, à préserver le 1,5 milliard de tonnes de carbone séquestré dans les prairies canadiennes, à en séquestrer 3,4 millions de tonnes supplémentaires par année et à préserver les 35 millions d’acres de prairies indigènes qu’il reste au Canada.
Qu’est-ce que cela a à voir avec les sols?
Si nous travaillons ensemble pour atteindre ces objectifs, nous renforcerons et maintiendrons des sols sains.
Les prairies indigènes sont l’un des écosystèmes mondiaux les plus menacés. Quand les bovins broutent, ils favorisent la conservation de ces terres, qui avantagent énormément la biodiversité, dont les oiseaux, les plantes et les sols.
Chaque fois qu’une parcelle de prairies est convertie à d’autres usages comme la culture, du carbone contenu dans le sol s’échappe. Au contraire, le pâturage et la gestion du pâturage ont une incidence positive sur la santé des sols et la séquestration du carbone. Nous devons travailler ensemble pour inciter les producteurs à accentuer le rôle positif qu’ils jouent dans la conservation des prairies.
Ma famille et moi travaillons à la terre tous les jours. Même si les buts de l’Association canadienne des bovins s’inscrivent dans une perspective globale, je veux aussi vous donner un exemple de notre ranch dont je suis fier.
Notre exploitation est à la fois un ranch et une ferme. Les cultures fourragères occupent la moitié de nos terres durant 5 à 7 ans sur une rotation de 10 à 15 ans et fournissent la nourriture et les pâturages pour nos bovins à l’année. Le pâturage en rotation et l’ensemencement direct sont des pratiques de gestion que nous y avons adoptées il y a plus de 25 ans, et je suis fier de vous dire que nous avons plus que doublé la quantité de matières organiques qui composent les sols sur lesquels nous avons commencé à utiliser ces méthodes. Évidemment, le cycle des nutriments améliore le cycle des eaux, séquestre le carbone et augmente la résilience contre les sécheresses, en plus de servir de garantie pour notre famille.
Je remercie la sénatrice Simons de sa reconnaissance envers les premiers à avoir adopté ces pratiques. Mon père a fait partie du premier conseil d’administration de Sols Secours, au début des années 1980 en Saskatchewan. Ces gens ont ouvert la voie à la conservation des sols. Nous avons connu autant d’échecs que de victoires, mais nous avons continué d’aller de l’avant.
Comme vous pouvez le constater, la santé des sols est extrêmement importante pour nous. En 2022, l’Association canadienne des bovins a participé à un projet de création d’un réseau canadien d’éducation à la santé des sols, qui met en valeur les avantages de sols sains. Parmi leurs avantages sociétaux pour les agriculteurs, notons une productivité accrue, une plus grande résilience face au changement climatique, une responsabilité moindre dans la détérioration de l’environnement et une meilleure rentabilité globale, tandis que les consommateurs bénéficient d’une plus grande sécurité alimentaire, de préoccupations environnementales moindres et d’aliments plus sains et plus riches en nutriments.
Lorsqu’on examine les programmes et les politiques du gouvernement, il faut prendre en compte l’ensemble de la situation pour éviter les conséquences involontaires. Les producteurs bovins contribuent de manière significative à la santé des sols canadiens. En travaillant ensemble, nous pouvons faire en sorte que les producteurs puissent continuer à fournir des protéines de haute qualité aux Canadiens et aux consommateurs du monde entier. Nous contribuons à la sécurité alimentaire mondiale, à la prospérité des communautés rurales partout au pays et à la santé des sols grâce aux effets positifs sur l’environnement du pâturage des bovins de boucherie.
Je vous remercie du temps que vous m’avez accordé aujourd’hui et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le président : Merci, monsieur Thompson.
Robin Woodward, directeur, Carbon Asset Solutions : Je vous remercie. Ce matin, nous aimerions parler de la façon dont le Canada peut concevoir son marché du carbone de manière à catalyser une solution naturelle au réchauffement climatique : la séquestration du carbone dans le sol.
L’agriculture et la sécurité alimentaire sont fondamentales dans toute économie. Les sols en sont le cœur même, mais leur santé est compromise, et nombreux sont ceux qui considèrent que l’agriculture contribue à la crise du changement climatique. Le problème le plus complexe pour ce qui est du carbone séquestré dans le sol est de le mesurer avec suffisamment de précision et d’assurer une bonne gouvernance pour se conformer aux normes des marchés financiers et réglementaires. Comment peut-on mesurer ce carbone? Comment peut-on mesurer les gains potentiels? Et peut-être surtout, comment peut-on inspirer confiance sur les marchés pour que les divers acteurs acceptent de payer des crédits pour le carbone séquestré dans les sols?
Carbon Asset Solutions a mis au point une plateforme de mesure, de déclaration et de vérification pour confirmer la séquestration de dioxyde de carbone dans les sols, puis créer et vendre des crédits pour le carbone séquestré dans les sols. Notre entreprise a ainsi créé un outil de pointe d’une précision sans précédent pour mesurer le carbone séquestré dans les sols, qui produit un fichier numérique sécurisé permettant la vente de crédits pour le carbone supplémentaire, mesuré et vérifié, séquestré dans les sols.
Il est désormais possible de mesurer avec exactitude le carbone séquestré dans les sols. Une véritable mesure volumétrique — d’une précision de 95 %, à l’échelle de quatre microgrammes par centimètre cube — est réalisée sur une grande surface. La technologie a été mise au point et brevetée par le département de l’Agriculture des États-Unis, et nous en détenons la licence mondiale. Cela a une incidence majeure : plus besoin d’échantillons de sol coûteux, plus besoin de modèles mathématiques, plus besoin d’estimations. Il s’agit d’une véritable mesure. Il est désormais possible de mobiliser les sols canadiens pour trouver une solution au problème climatique. L’agriculture canadienne peut devenir une solution climatique. Nos sols et les biomes des sols y gagneront, et nous sommes heureux de vous parler aujourd’hui de la façon dont notre procédé et notre modèle peuvent y contribuer.
Nous créons et vendons des crédits pour le carbone séquestré dans les sols. Nous mettons en relation l’agriculture et les marchés financiers. Nous sommes accrédités selon la norme ISO 14064. Nous produisons des données ayant la précision, la fiabilité et l’intégrité nécessaires pour satisfaire les marchés. Les agriculteurs auront ainsi accès à des capitaux pour financer la transition vers une agriculture régénératrice et retirer rapidement et efficacement du dioxyde de carbone de l’atmosphère. En retour, nos crédits permettront aux entreprises d’effectuer avec certitude le virage vers la carboneutralité.
Notre modèle repose sur deux priorités : la première est de créer des crédits de carbone expressément pour les exploitations agricoles et les ranchs. Il n’y a pas de frais d’inscription, et 60 % du produit de la vente est remis au client. Chacun reçoit une carte pour optimiser la séquestration du carbone grâce à l’adoption de méthodes d’agriculture régénératrice et un indice d’intensité carbonique pour rester présent sur les marchés à mesure que ce modèle intègre les chaînes d’approvisionnement à long terme.
Le deuxième objectif est d’améliorer la santé des sols. Nous ne disons pas à un agriculteur comment faire son travail. Ce n’est pas nécessaire dans un marché réglementé, et ce ne serait certainement pas bien perçu. Nous leur conseillons de faire appel à des agronomes et de faire ce qui est le mieux pour eux.
Voici quelques pratiques exemplaires pour le Canada, selon nous : établir un cadre qui favorise la vente de crédits à l’échelle internationale selon la norme accréditée ISO 14064; ouvrir la porte à la réponse du marché à partir du moment où la norme de base est respectée, soit des données précises à 95 %, comme les marchés l’exigent; ne pas tenir compte des changements de pratiques; appuyer et favoriser les méthodes d’agriculture régénératrice dans les relations entre les propriétaires et les spécialistes, car ce sont eux qui sont les mieux placés pour savoir comment bien gérer leur ferme ou leur ranch et ce qui est le mieux pour eux.
Au cours des prochaines années, nous allons scruter des millions d’hectares de terres au Canada. Le Canada voudra peut-être faire partie de l’aventure.
Je vous remercie de m’accorder de votre temps aujourd’hui. Nous présenterons notre technologie à la COP 28 dans quelques semaines. Sénateur Black, j’aimerais beaucoup vous y rencontrer. Je vous remercie de votre attention.
Le président : Merci, monsieur Woodward.
[Français]
Simon Lafontaine, cofondateur, Écobœuf : Bonjour à tous les membres du comité et à toutes les personnes présentes aujourd’hui. C’est un honneur pour moi de vous présenter le travail réalisé par Écobœuf et ma perspective sur le sujet.
Je m’appelle Simon Lafontaine. Je suis agriculteur de quatrième génération, agronome et professeur en production bovine écoresponsable à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue.
Durant mes études de doctorat en sciences animales, j’ai cofondé mon entreprise, Écobœuf, qui est une entreprise en démarrage basée à Dupuy, en Abitibi, dans le nord-ouest du Québec. Elle a pour mission de réduire l’empreinte environnementale diversifiée et d’assurer la pérennité de l’agriculture en milieu boréal. Pour ce faire, l’entreprise intervient tout au long de la chaîne de valeur pour favoriser l’adoption de pratiques agricoles permettant de résoudre les enjeux éthiques et environnementaux de la production de bœuf.
Écobœuf travaille sur deux volets de la réduction des gaz à effet de serre en agriculture : d’un côté, la faisabilité technique et de l’autre, la faisabilité financière.
Notre entreprise aspire à développer un portfolio de techniques et de technologies propres applicables dans le contexte des régions périphériques boréales.
Écobœuf valorise les réductions de gaz à effet de serre des fermes en adoptant son modèle de production par la mise en marché de la production de leurs produits agricoles avec des marques alimentaires à valeur ajoutée sur le plan environnemental. De cette manière, la valeur des réductions de gaz à effet de serre demeure dans la chaîne de valeur du produit commercialisé, une approche qu’on appelle en anglais l’insetting.
Dans notre cas, la valeur ajoutée environnementale générée par la commercialisation du bœuf nourri à l’herbe et carboneutre permet de financer l’adoption de meilleures pratiques sur les fermes. Ce faisant, le consommateur participe activement à l’accélération de la transition écologique en agriculture.
Notre approche consiste à repenser le modèle de production en nous appuyant sur les principes de base de la physique, de la biologie et de l’écologie dans le but d’atteindre une décarbonisation profonde du secteur agricole. Nous nous sommes rapidement tournés vers l’agroforesterie, soit l’intégration réfléchie d’arbres et d’une production agricole.
À notre avis, l’agroforesterie est la pratique ayant le plus grand potentiel en matière d’impact sur la séquestration de carbone, mais aussi quant à l’adaptation aux changements climatiques sur les fermes. Les arbres peuvent constituer aussi une culture pérenne à fort potentiel de valorisation et de diversification agricole, notamment par la production de fourrage ligneux, de fruits, de noix, mais aussi de bois.
L’agroforesterie, lorsqu’elle est combinée avec des animaux de pâturage, une pratique qu’on appelle le sylvopastoralisme, est d’autant plus synergique parce qu’elle permet de protéger les animaux du vent et du soleil tout en créant un microclimat favorable à la croissance de l’herbe.
Nos travaux de recherche, en collaboration avec l’UQAT, ont permis la mise en place de parcelles de recherche en sylvopastoralisme, ce qui est unique en Amérique du Nord. Ce projet vise à quantifier la séquestration de carbone et la biodiversité à la suite d’une amélioration de la gestion des pâturages et de l’intégration de haies agroforestières.
Nous avons aussi plusieurs projets visant l’optimisation de l’implantation de systèmes sylvopastoraux à grande échelle.
L’agriculture boréale étant dominée par les plantes fourragères, nous cherchons aussi à optimiser leur gestion, notamment en testant des stratégies alternatives de rénovation de prairie et de pâturage pour éviter le travail de sol, ce qui améliore la santé des sols.
Ces initiatives visant à favoriser la séquestration de carbone font partie de notre approche holistique, qui inclut aussi des efforts pour réduire les émissions à la source, notamment le méthane entérique des animaux et du fumier.
Il reste plusieurs défis scientifiques, techniques et financiers à surmonter pour accomplir une décarbonisation complète du secteur agricole, mais Écobœuf est bien décidée à relever ces défis aux côtés de nombreux collaborateurs.
Cela me fera plaisir de répondre à vos questions. Merci beaucoup.
[Traduction]
Le président : Merci beaucoup, monsieur Lafontaine.
William Newton, gouverneur, Western Stock Growers’ Association : Bonjour. La Western Stock Growers’ Association est une organisation à adhésion volontaire qui représente les éleveurs de bétail de l’Ouest canadien depuis 1896. Depuis la création de notre organisation, la majorité des prairies de l’Ouest canadien ont été converties. Cette conversion se poursuit et est principalement motivée par des raisons économiques. La réalité, c’est que trop souvent, il n’y a pas d’analyse de la rentabilité du pâturage pour l’utilisation de ces terres, par rapport aux autres utilisations potentielles. Il est temps d’arrêter l’hémorragie de la conversion des prairies. Cette conversion peut être physique ou fonctionnelle. Elle est fonctionnelle quand cet écosystème fragile est perturbé par des activités trop intenses ou pas assez. Trop souvent, les gouvernements et les organisations non gouvernementales abusent de l’outil de la mise en jachère, comme cela s’est produit initialement dans le parc national des Prairies, quand on y a interdit tout pâturage. Les prairies converties libèrent au moins un tiers du carbone stocké dans le sol et sont moins performantes dans les cycles de l’eau, des nutriments et de l’énergie. La conversion des prairies a largement contribué à la dégradation des sols au Canada.
Nous vivons là où il y avait des glaciers il y a 25 000 ans, et divers documents attestent du fait que les prairies ont assuré la subsistance de peuples autochtones pendant 12 000 ans. Dans l’intervalle de 13 000 ans, des processus naturels ont dû créer les merveilles de l’écosystème des prairies, avec son sol, ses micro-organismes, ses plantes et ses animaux. Quels étaient ces processus? Qu’avons-nous fait depuis la colonisation pour les perturber, et pourquoi l’avons-nous fait? Si nous souhaitons conserver et éventuellement restaurer les prairies et leur fonction écologique, comment devrions-nous procéder?
La Western Stock Growers’ Association a mené un projet pilote, le projet Grasslands Capital X ou GCX, pour étudier les stratégies commerciales de conservation des prairies. Des prairies bien gérées offrent de nombreux bienfaits et services écologiques utiles à la société, mais pour lesquels il n’y a pas de rendement sur les marchés. Dans le cadre du projet GCX, nous avons créé un indice pour évaluer le degré de fonction écologique de toute parcelle de terre. Cet indice est établi en fonction d’évaluations de la biodiversité, de la fonction du cycle de l’eau, de la santé des sols, de la santé de l’aire de répartition, de la culture et de la population. À ce jour, nous n’avons encore réalisé aucune transaction commerciale sur la base de cet indice. Nous avons toutefois réfléchi à divers partenariats potentiels avec diverses entreprises dont l’activité consiste à agréger et à commercialiser des crédits de carbone. Jusqu’à présent, nous n’avons toujours pas réussi à négocier d’accord satisfaisant avec l’une d’entre elles. Il est intéressant de noter que les contrats carbone que la plupart de ces entreprises présentent aux propriétaires fonciers prévoient que les crédits carbone profitent en partie à ces entreprises elles-mêmes.
Nous n’avons pas encore vu de contrat que nous puissions recommander à nos membres. Le concept de l’additionnalité est un obstacle à l’inclusion des prairies bien gérées dans les régimes compensatoires. L’additionnalité sous-entend un changement dans les pratiques de gestion pour qu’un producteur devienne admissible. Il s’agit d’une mesure dissuasive à perpétuer les bonnes pratiques de gestion actuelles.
Nous pensons que le problème ne touche pas que les gaz à effet de serre et les émissions de carbone. Il a aussi trait à la désertification, la perte de biodiversité, la perte d’habitat, les cycles de l’eau et de l’énergie qui sont moins efficaces, et les conditions climatiques extrêmes. Les décisions de gestion des terres en agriculture primaire doivent donc tenir compte des résultats économiques, sociaux et environnementaux. Le problème réside essentiellement dans la perte d’une fonction écologique équilibrée. Si le problème n’a pas seulement trait aux émissions de carbone, il en est certainement de même pour la solution. Les éleveurs sont fermement convaincus que la solution doit être axée sur le marché plutôt qu’être de nature réglementaire. Le rythme auquel on convertit les prairies témoigne du pouvoir du marché. La réglementation peut — et c’est le cas — influencer les pratiques du marché. Par exemple, les programmes fédéraux et provinciaux de gestion des risques de l’entreprise actuels favorisent fortement les cultures annuelles par rapport au système de pâturage.
Je vais terminer avec des questions. Si les paramètres du marché étaient tels que les rendements économiques les plus élevés de la gestion des terres provenaient de la production d’un ensemble équilibré de biens et de services écologiques, cela devrait-il être protégé dans le cadre de l’initiative « 30 % d’ici 2030 »? Quels devraient être les paramètres d’un tel marché? Pouvons-nous les créer? Quelle en serait l’incidence sur les sols canadiens?
La Western Stock Growers’ Association a quelques idées à ce sujet. Nous vous remercions de votre attention.
Le président : Merci beaucoup. Nous passons à M. Gilchrist.
Graham Gilchrist, chef de la direction, Biological Carbon Canada : Monsieur le président, M. McCabe prononcera la déclaration liminaire.
Don McCabe, président, Biological Carbon Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs de l’ensemble du territoire canadien qui contient de nombreux puits de carbone, je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui.
Biological Carbon Canada est la dénomination commerciale du Canadian Institute for Biological Carbon, un organisme sans but lucratif basé en Alberta. Notre mission est de veiller à ce que toutes les exploitations agricoles et tous les ranchs du Canada puissent participer au marché du carbone.
Le président : Monsieur McCabe, je dois vous interrompre. Nos interprètes nous disent que votre son n’est pas assez bon pour assurer l’interprétation de vos propos. M. Gilchrist peut-il prononcer la déclaration liminaire, car nos interprètes ne vous entendent pas assez bien?
M. McCabe : Je pense que M. Gilchrist peut tout à fait le faire.
M. Gilchrist : Je vais donc poursuivre.
Les sols sont vivants et ils respirent. C’est ce cycle qui, depuis des temps immémoriaux, a permis la création des puits de carbone dont nous jouissons aujourd’hui. Certaines années, ce changement est positif; d’autres années, il l’est moins. Au fil du temps, ces puits deviennent des propriétés, divisées en lots et en sections.
Dans le contexte de l’agriculture, les sols sont maintenant utilisés à des fins commerciales. Comme l’a indiqué le sénateur Sparrow, il n’a pas toujours été facile de conserver des sols en bonne santé par le passé. Nous y cultivons des aliments, mais les sols servent également de support aux maisons, aux routes et à d’autres activités non agricoles.
Il n’en reste plus beaucoup. Environ 10 % de nos sols canadiens sont aujourd’hui des terres privées, dont deux tiers sont des terrains résidentiels et urbains.
Selon nos récents travaux dans le cadre de la Stratégie pour une agriculture durable d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, nous avons 22 milliards de mégatonnes de carbone présent dans nos puits dans l’ensemble du Canada. Le problème, c’est que depuis 2001, nous perdons chaque année un peu plus de mille milles carrés en raison de la conversion des sols et d’autres activités non agricoles. Au rythme actuel, cela signifie que les efforts des exploitations agricoles et des ranchs du pays pour séquestrer le dioxyde de carbone dans les sols ne sont pas suffisants pour maintenir les puits actuels, et encore moins pour les accroître.
Monsieur le président, nous vous avons présenté un mémoire qui contient quatre éléments. Nous vous invitons à en tenir compte. Nous aimerions toutefois souligner une question. Dans son rapport, le sénateur Sparrow s’est penché sur les aspects économiques de la conservation des sols. À l’époque, on ne prévoyait pas que la santé des sols serait un produit de base, comme c’est le cas aujourd’hui. Nous vous invitons à examiner la question suivante. Le Canada doit se doter d’un organisme de réglementation pour le carbone chargé de surveiller l’achat et la vente de certificats carbone et pour rester sur un pied d’égalité avec ses concurrents, dont les États-Unis et ses autres partenaires commerciaux dans le monde.
Les États-Unis l’ont fait l’année dernière. Leur marché se développera beaucoup plus rapidement parce qu’ils ont un cadre de marché, ce dont le Canada ne dispose pas.
L’agriculture au Canada a beaucoup évolué depuis l’époque des cultures artisanales et des chèques sans provision. Aujourd’hui, nous disposons de cadres qui nous permettent d’obtenir le meilleur blé de force roux de printemps canadien et d’avoir une garantie de paiement.
Aujourd’hui, on vous dira que l’esprit d’entreprise est positif. On vous dira que les gens exposent leur capital à des risques. Cependant, qu’une entreprise prétende avoir un bilan carboneutre, qu’elle vende des crédits sur une bourse du carbone, ou qu’elle vende simplement des crédits de carbone, le défi reste que les contrôles, les évaluations et les vérifications doivent être réalisés de la même manière. Il ne suffit pas que nos autorités en valeurs mobilières disent aux entreprises canadiennes d’inscrire la valeur concrète des unités de carbone dans leurs bilans et leurs communications aux investisseurs. Autrement, il y a un risque lié au prix.
En ce moment même, les contrats volontaires se situent à environ 1,20 dollar américain. Cette année, en Alberta, il y a eu des manigances pendant la vérification des crédits de carbone qui ont entraîné le rejet et le rappel de 2 millions de tonnes de carbone sur notre marché provincial, et ce ne sera pas la dernière fois.
Le carbone présent dans les sols canadiens fait déjà partie de notre marché, comme vous l’avez entendu aujourd’hui, mais il s’agit d’un produit. Le marché du carbone canadien mérite de disposer des mesures législatives nécessaires pour se développer et prospérer.
Je vous remercie de votre attention, monsieur le président. Nous sommes prêts à répondre à vos questions.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Gilchrist, et merci à tous nos témoins. Nous allons passer aux séries de questions. J’aimerais rappeler que chaque sénateur a quatre minutes pour poser ses questions et obtenir les réponses. Nous aurons plusieurs séries de questions, au besoin. Je cède d’abord la parole à notre vice-présidente.
La sénatrice Simons : Je remercie tous les témoins de leur présence. Il s’agit d’un groupe de témoins exceptionnel. Je veux me concentrer sur une question que MM. Gilchrist et Newton ont tous deux évoquée, et il s’agit de la vérification des crédits de carbone. Nous voulons mettre sur pied un système — transparent n’est peut-être pas le bon terme — qui fera en sorte que ce que l’on échangera vaudra quelque chose, et que cette valeur sera la même sur toute la ligne.
Monsieur Gilchrist, pourriez-vous d’abord nous expliquer ce qui s’est passé en Alberta avec ces crédits de carbone qui ont été rejetés? Monsieur Newton, nous avons dit plus tôt que vous auriez aimé qu’il y ait un modèle comme celui du Texas qui puisse fonctionner, mais que cela n’a pas fonctionné. Pourriez-vous nous dire pourquoi cela n’a pas fonctionné? Je demanderais à M. Gilchrist de commencer.
M. Gilchrist : Merci. Sénatrice, l’Alberta, en coulisse, a inscrit dans sa loi la possibilité de porter des accusations, ce qui n’était pas possible avant. Un vérificateur qui ne possédait pas de permis n’a pas été en mesure d’effectuer la vérification. Lorsque le ministère de l’environnement de l’Alberta s’est rendu compte que des crédits n’avaient pu être vérifiés, car le vérificateur ne se conformait pas aux normes, il a rejeté les crédits. La norme établie par l’Alberta l’année dernière lui a permis de porter des accusations. Avant cela, l’Alberta ne disposait pas de cette loi et ne pouvait veiller à ce que les vérificateurs qui travaillaient sur le marché respectent la norme établie.
La sénatrice Simons : Monsieur Newton, vous avez dit que vous n’aviez pas encore vu de contrat que vous puissiez recommander à vos membres. Est-ce qu’une partie du problème tient au fait qu’il n’y a pas assez de vérificateurs, ou que le produit que vous échangez n’est pas assez fongible?
M. Newton : Le problème, selon moi, c’est qu’il n’y a pas de normes pour mesurer et vérifier le carbone séquestré dans le sol. Où devons-nous le mesurer? À quelle profondeur devons-nous le faire? Quel est le protocole pour la manutention des échantillons? Rien n’est normalisé. De plus, il est très coûteux d’établir un niveau de référence pour le carbone et d’évaluer son augmentation progressive.
Quelques nouvelles technologies dont nous avons entendu parler aujourd’hui peuvent résoudre ce problème dans certains types de sols, mais elles n’ont pas fait leurs preuves dans tous les types de sols, et elles n’ont pas fait leurs preuves en profondeur. Par exemple, l’avantage d’une prairie réside en partie dans le fait qu’elle stocke le carbone bien plus en profondeur que les cultures annuelles. Nous ne disposons pas de preuves scientifiques démontrant que ces technologies peuvent mesurer la teneur en carbone à un mètre de profondeur ou plus.
Ensuite, la quantité de carbone varie. Elle dépend beaucoup du climat, des précipitations au cours d’une année, et des pratiques de gestion. Si nous accédons aux marchés du carbone pour une période d’inscription de cinq ans et que nous sommes frappés par cinq années de sécheresse, nous pourrions avoir prévu de vendre des crédits de carbone que nous ne sommes pas en mesure de séquestrer. Compte tenu de tous ces éléments, nous avons beaucoup hésité à recommander ces contrats à nos membres.
La sénatrice Simons : Je vous remercie. Je tenais à dire, aux fins du compte rendu, que plusieurs d’entre nous ont eu la chance unique de visiter le ranch de M. Newton l’été dernier. C’était une expérience mémorable. Je vous remercie de nous avoir fait profiter de vos connaissances à ce moment-là, et encore aujourd’hui.
M. Newton : C’était une expérience agréable pour nous aussi. Merci.
Le président : Merci beaucoup.
Le sénateur Cotter : M. Newton a formulé des commentaires au sujet des défis entourant la conversion des prairies, et a dit que les choix doivent être axés sur les marchés et non sur la réglementation. C’est bien ce que vous avez dit, monsieur Newton? Nous nous retrouvons devant un dilemme, car si les gens estiment qu’il est utile de convertir les prairies pour y cultiver le grain et d’autres cultures en raison des conditions du marché, vous y perdez ou nous y perdons. J’imagine que c’est là où je veux en venir.
L’un des arguments que l’on avance est qu’il est nécessaire de fixer le prix de la pleine valeur des prairies, ce qui revient à sensibiliser les gens à leur importance en matière de séquestration et d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. Croyez-vous que c’est possible? Il s’agit de ma première question.
Ma deuxième question s’adresse à M. Thompson. Monsieur Thompson, dans votre déclaration liminaire, vous avez souligné qu’il nous faut avancer des mesures incitatives. Le gouvernement du Canada a-t-il un rôle à jouer dans la création, la promotion et la facilitation de mesures incitatives qui sont susceptibles de nous permettre de réaliser nos objectifs? Merci.
M. Newton : Merci, sénateur Cotter. Je pense qu’il est possible d’encourager la conservation des prairies par le biais du marché, mais pas à l’aide du marché actuel. Nous ne pouvons pas le faire lorsque ce que nous cultivons dans nos prairies sert à nourrir le bétail. Nous vendons le bétail qui se nourrit de ces plantes. Toutefois, ces plantes nous permettent aussi de capter de l’eau, ce qui est extrêmement important compte tenu de nos conditions climatiques extrêmes.
Le soir après la visite des sénateurs à notre ranch, nous avons essuyé un orage très violent. Quatre pouces de pluie sont tombés en quelques heures seulement. Dans une prairie, chaque plante agit comme un petit microbarrage qui ralentit le mouvement de l’eau à la surface et lui donne le temps de s’infiltrer dans le sol. Bien entendu, les plantes, les micro-organismes et la santé du sol ont tous une incidence sur la vitesse à laquelle l’eau s’infiltre dans le sol. Tous ces éléments nous permettent de capter cette eau et d’éviter qu’elle s’échappe et provoque l’érosion du sol. Ce qui s’est passé ce soir-là en est la preuve.
Si nous disposons d’un marché qui récompense cet ensemble équilibré de fonctions écologiques, qui crée une variété de biens et de services écologiques — de la biodiversité à la nourriture, en passant par le captage du carbone et de l’eau, et par un cycle énergétique efficace où les nutriments retournent à la terre —, je pense qu’il est certainement possible d’encourager la conservation des prairies par le biais d’un marché.
L’approche réglementaire se concentre sur ce que vous ne pouvez pas faire. Elle ne vous encourage pas, et n’offre pas de bénéfices, à en faire davantage pour assurer une gestion efficace et stimuler cet écosystème et ses caractéristiques biologiques afin de capter le carbone et d’autres biens et services écologiques de la meilleure façon possible. C’est cela qui m’inquiète.
Le président : Monsieur le sénateur Cotter, vous aviez une question pour M. Thompson, n’est-ce pas?
Le sénateur Cotter : Oui. Elle portait sur les mesures incitatives, et sur le rôle du gouvernement du Canada à cet égard.
Le président : Je reconnais que votre temps est presque écoulé. Monsieur Thompson, vous avez quelques instants pour répondre.
M. Thompson : Merci, sénateur Black. Je vous remercie de me poser cette question, car les gouvernements jouent certainement un rôle important en encourageant ou, à vrai dire, en dissuadant l’exploitation des prairies et l’élevage du bétail. Je vous donne un exemple qui a trait au programme d’assurance-récolte. Puisque nous sommes une entreprise d’économie mixte, nous avons une assurance-récolte dont les primes sont subventionnées à 60 %. Ce n’est toutefois pas le cas pour le bétail. Il existe également des programmes qui ne favorisent que les prairies indigènes. Beaucoup de terres qui étaient auparavant indigènes ont été défrichées pour en faire des terres agricoles cultivées annuellement. Elles n’auraient jamais dû être défrichées, mais elles sont maintenant cultivées. Les programmes ne reconnaissent pas ces terres — parmi les nombreux programmes qui offrent du financement — pour les reconvertir en prairies et créer de bons pâturages, qu’elles soient cultivées ou indigènes. Bien souvent, on ne tient pas compte des prairies cultivées, bien qu’elles présentent elles aussi un avantage écologique important. Ce ne sont là que quelques exemples que je voulais souligner.
Le président : Merci beaucoup.
M. Gilchrist : Je tenais à vous dire qu’il existe un protocole de conservation des prairies dans le marché volontaire.
Le président : Je vous remercie de l’avoir souligné. J’allais dire que vous aviez écrit cela dans le clavardage. Chers collègues, il semblerait que le casque de M. McCabe fonctionne. Vous pouvez donc également lui poser des questions.
La sénatrice Burey : Je vous remercie de votre présence. Je tiens à saluer M. Newton. Je vous remercie de nous avoir accueillis et d’avoir fait preuve d’autant de gentillesse à notre égard. Nous avons appris beaucoup de choses; j’ai certainement appris beaucoup de choses. C’était une visite agréable.
J’aimerais maintenant parler des obstacles. Je me pose toujours des questions à ce sujet, et pas seulement dans ce comité. Il ne semble pas y avoir de base de données nationale. Je pense que je m’adresse à vous, monsieur Woodland. Les normes ne sont pas clairement définies, et, comme le sénateur Cotter l’a dit, nous n’avons pas entendu parler de mesures incitatives ou dissuasives. Selon vous, pourquoi y a-t-il ces obstacles à la collaboration et au développement dans ce dossier?
Je sais que le président voudra que l’on formule des recommandations. Pouvons-nous trouver un moyen de mettre en œuvre toutes ces idées et toutes ces suggestions, y compris le bon travail qu’accomplissent les agriculteurs et les scientifiques? Pourriez-vous nous parler des obstacles? N’importe qui peut intervenir. Que peut faire notre comité pour faire avancer ce dossier?
M. Woodward : Merci, sénatrice. Je veux d’abord vous présenter mes excuses. J’ai envoyé un rapport avec mes notes d’allocution d’aujourd’hui, mais je ne l’ai pas fait traduire à l’avance. Il est là, mais seulement en anglais.
Concernant les obstacles à l’adoption généralisée, je pense que le problème par rapport au cycle de vie du carbone est l’incapacité de mesurer quoi que ce soit et d’arriver à une situation où les marchés mondiaux ont confiance que ce qui est livré sur le marché a réellement de la valeur.
Quant à savoir si le Canada devrait examiner certains aspects, je dirais qu’il y en a deux. Le premier est de travailler à la normalisation mondiale d’un protocole relatif aux sols pour les crédits basés sur les sols. Le fait d’avoir une mesure propre au Canada limite notre capacité de vendre nos produits sur les marchés mondiaux. Il faut chercher à favoriser l’adoption directe de normes existantes, comme les normes de l’Organisation internationale de normalisation, ou ISO, ou les normes d’organismes d’accréditation internationaux dans lesquels le Canada a beaucoup investi depuis des décennies. Nous siégeons à l’Organisation internationale de normalisation, qui établit des normes qui se rapportent à bon nombre des défis auxquels nous sommes confrontés.
L’autre aspect est de déterminer s’il existe un moyen d’améliorer, au pays, la compréhension des méthodes favorisant l’adoption de l’agriculture régénératrice. La création d’un groupe consultatif compétent, capable d’enseigner aux agriculteurs et aux éleveurs les façons d’agriculture régénératrice, est un aspect fondamental de cette démarche. Merci.
La sénatrice Burey : Je veux donner à d’autres invités l’occasion de parler des obstacles.
M. Gilchrist : Permettez-moi de répondre à votre question. Je suis d’accord avec M. Woodward, mais j’ajouterais qu’il existe 13 normes différentes, et non une seule, sur le marché volontaire. Dans le contexte réglementaire canadien, nous avons les normes ISO. L’autre obstacle, c’est que nous avons actuellement un produit non réglementé. La difficulté est liée à la certitude dans le marché et les transactions dans l’ensemble des marchés — marchés réglementés, marché à protocole volontaire, divers modèles de marché volontaire —, alors que les entreprises de partout dans le monde cherchent à acheter et à vendre des crédits de carbone.
Quant à la certitude du marché, cela existe certainement dans d’autres marchés, notamment pour la vente de blé et de bétail, mais cela n’existe pas ici, au Canada. Il y a donc des risques considérables si le protocole ne fonctionne pas, si les données dont M. Newton dispose n’existent pas, si une entreprise qui l’achète risque de tromper les investisseurs étant donné, en fin de compte, que le carbone n’est pas réel, ou si cela échoue une vérification. Voilà les principaux obstacles au jumelage entre acheteurs et vendeurs sur les marchés mondiaux.
La sénatrice Burey : Merci.
Le président : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Lafontaine d’Écobœuf. Je ne sais pas si je dois déclarer un conflit d’intérêts, mais je suis en possession d’un quart de bœuf de M. Lafontaine dans mon congélateur.
On n’a pas beaucoup parlé de ce que vous faites dans cette étude des sols, mais j’essaie de comprendre et j’aimerais que vous nous l’expliquiez. Ce principe d’agroforesterie où l’on a une intégration dans un système agricole d’arbres, si je lis bien les choses, est à la fois positif pour la santé du bétail, pour la santé des sols et pour le stockage du carbone. Monsieur Lafontaine, j’aimerais que vous nous expliquiez comment cela fonctionne.
Si vous le pouvez, d’une part, est-ce un modèle réaliste à plus grande échelle ou est-ce quelque chose qui fonctionne bien sur une plus petite ferme comme la vôtre? Qu’est-ce que c’est? Est-ce que ça s’applique à plus grande échelle? Est-ce quelque chose qui marche bien en Abitibi dans un système boréal ou est-ce quelque chose qu’on devrait essayer d’exporter dans d’autres milieux, si cela se fait? Donc, je pose trois questions en une.
M. Lafontaine : Merci pour la question. Premièrement, en ce qui a trait à l’agroforesterie et plus particulièrement au sylvopastoralisme, qu’on cherche à développer en contexte de production bovine, la manière la plus efficace est de planter les arbres en rangée dans les pâturages pour que les animaux puissent pâturer à proximité.
En ce qui concerne le stockage du carbone, on peut voir le concept de succession écologique, où on part d’un système en plante annuelle où les plantes doivent être replantées chaque année par opposition à une prairie où les plantes sont pérennes, ce qui fait en sorte qu’elles font plus de photosynthèse, que le sol est moins perturbé et que la plante investit une portion significative de ses ressources pour développer son système racinaire et le sol autour d’elle.
L’arbre se situe encore plus loin dans ce processus. On peut le voir comme une plante pérenne aussi, qui aura un système racinaire encore plus développé et qui sera en mesure de stocker du carbone à la fois sous la surface du sol et aussi dans son bois. Il y a une progression et on peut aller plus loin que la prairie en commençant à y intégrer des arbres.
Le but n’est pas de remplacer la vocation agricole de cette aire, mais plutôt de trouver un agencement judicieux qui permet un gain d’efficacité à la production agricole, tout en ayant une partie des bénéfices en matière de séquestration de carbone de l’arbre.
Pour ce qui est du potentiel de cette technique, il reste plusieurs défis à différentes échelles, des défis en ce qui concerne la culture des agriculteurs. Dans notre cas, où l’on se concentre sur les régions plus boréales, un grand nombre de ces terres ont été défrichées depuis peu de générations. C’est contre-intuitif de replanter des arbres. Dans mon cas, c’est mon arrière-grand-père qui a arraché des arbres; il y a un défi à faire accepter cela.
Il y a aussi l’aspect de l’investissement que cela nécessite, car il faut déployer un effort pour planter des arbres et les entretenir jusqu’à ce qu’ils puissent procurer leurs bénéfices aux cultures. Ça prend une forme de rémunération pour financer cette transition. Je ne crois pas qu’il soit réaliste de demander aux agriculteurs d’investir leur temps et leur argent, qu’ils n’ont pas actuellement, pour une pratique de plus, soit celle d’intégrer des arbres.
Donc, cela prend un appui, et c’est ce que cherche à faire à Écobœuf en développant des techniques plus simples pour implanter des arbres, mais aussi en soutenant financièrement cette intégration.
J’espère que cela répond aux différents volets de votre question.
La sénatrice Petitclerc : Oui, effectivement, et c’est quelque chose dont on n’a pas beaucoup parlé. Je vous en suis très reconnaissante.
[Traduction]
Le président : J’ai une question qui s’adresse à chacun d’entre vous. Maintenant que tous les témoins peuvent prendre la parole, vous avez 55 secondes pour répondre à cette question. J’étire un peu mon temps de parole.
Nous arrivons à la fin de notre étude sur les sols. Quelles sont les recommandations ou mesures précises sur lesquelles vous voudriez que nous mettions l’accent dans le rapport que nous rédigerons dans la nouvelle année? Nous commencerons par M. MacMillan, suivi de M. McCabe, puis de M. Woodward, puis nous continuerons.
M. MacMillan : Je vous remercie de la question. Pour nous, concernant la transparence envers la communauté agricole avec laquelle nous travaillons, l’essentiel c’est que beaucoup de gens font maintenant des analyses de sol, que ce soit pour améliorer le fonctionnement de leur exploitation, la gestion de la fertilité ou d’autres intrants, et pour déterminer le rendement de ce qu’ils tentent de mesurer, en fin de compte. L’analyse de la santé des sols peut servir à mesurer le rendement, ce qui est bon pour les exploitations agricoles, pour l’environnement et pour des sols en santé d’un bout à l’autre du pays.
Plus l’on parviendra rapidement à une définition précise de « santé des sols », plus vite Deveron pourra, en tant qu’endroit central où ces données sont regroupées, promouvoir l’analyse comparative de ces données et contribuer à fournir une source de données publiques agrégées pour aider ce pays, d’un océan à l’autre, à mesurer sous forme agrégée, puisque l’on collecte déjà ces données.
M. McCabe : Sénateur, je vous remercie de la question. Je vais commencer par ma propre définition de ce qu’est un « agriculteur ». Un agriculteur est un gestionnaire des cycles du carbone, de l’hydrogène et du phosphore qui, à l’aide du cycle de l’eau, produit de l’amidon, de l’huile, du carburant, des fibres, de l’énergie et des protéines, tout en préservant l’habitat animal et en améliorant la qualité de l’air, du sol et de l’eau. Il faut bien que je sois payé pour quelque chose. Essentiellement, la réalité est la suivante : je ne peux pas gérer ce que je ne peux pas mesurer.
On tente de me vendre une marque. C’est ce que je retiens de certaines présentations et des propos de certains témoins aujourd’hui, et dans mes nombreuses rencontres à ce sujet. Je n’ai pas besoin d’une marque. Les principes sont déjà établis. Le tableau périodique ne compte qu’un atome de carbone, et il est universel. Il n’y a pas de politique pour vendre le carbone. Il se trouve dans le sol, et il variera en fonction de la respiration du sol et de la vie du sol. Nous pouvons faire cela au Canada, mais il faut me présenter une analyse de rentabilité, et non une série de questions du genre : « Est-ce réel? Est-ce additionnel? » Les agriculteurs savent ce qu’ils font. Ils ont juste besoin d’être reconnus pour ce qu’ils font maintenant. Merci.
Le président : Merci, monsieur McCabe.
M. Woodward : Pour poursuivre dans la même veine que M. McCabe, on ne peut pas vendre ce qu’on ne peut pas mesurer. Si vous envisagez des systèmes fondés sur des méthodologies, protocoles ou applications à grande échelle qui seront mis en œuvre de manière descendante, je dirais que c’est malavisé. Il faut mettre en place un système de mesures incitatives axées sur le marché, avec un accent sur la capacité de mesurer ce qui est là, et qui offre aux agriculteurs de l’argent pour avoir modifié leurs pratiques depuis des années, c’est-à-dire la séquestration du carbone dans le sol pour améliorer la santé du sol et la productivité à long terme. Créez un système de marché pour le Canada qui soit adapté au marché mondial.
Le président : Merci. Monsieur Lafontaine, quelle recommandation devrions-nous inclure, de votre point de vue?
M. Lafontaine : Il a été mentionné précédemment que nous devrions être agnostiques quant aux pratiques et que la rétribution devrait être axée sur les résultats, en fin de compte, et je pense que c’est un aspect clé.
Je pense qu’il existe beaucoup de moyens de réduire les émissions. Les arbres sont un bon exemple; leur intégration dans les exploitations agricoles pourrait avoir un impact considérable. Le sol peut aussi être une solution, mais il reste beaucoup de recherche scientifique à faire et beaucoup de variabilité, comme d’autres témoins l’ont indiqué. Il reste beaucoup de travail à faire sur le plan du bilan carbone par région, l’évaluation du type de sol et du climat, et l’examen du vaste éventail de pratiques qui peuvent être mises en œuvre.
Le président : Je vous remercie. Monsieur Thompson, quelle recommandation souhaiteriez-vous voir dans notre rapport final?
M. Thompson : Je pense qu’il est bien reconnu que les cultures fourragères, qu’elles soient cultivées ou indigènes, se prêtent extrêmement bien à la séquestration du carbone. Souvent, lorsqu’il est question de santé des sols, les terres agricoles cultivées annuellement viennent immédiatement à l’esprit, mais il convient de souligner que les prairies contribuent de manière importante à la santé des sols et à l’environnement. À cela s’ajoute, bien sûr, l’encouragement de l’élevage de bétail sur ces terres. Nous luttons contre le dénigrement de la production animale au quotidien. Si nous pouvions encourager la production de bétail dans les prairies, cela contribuerait considérablement à la santé des sols.
Le président : Merci. Monsieur Bergen, quelle est votre recommandation?
Reynold Bergen, directeur scientifique, Conseil de recherche sur les bovins de boucherie, Association canadienne des bovins : Merci. J’aimerais répéter ce que M. Thompson vient de dire : le bétail a un rôle à jouer par rapport à la santé des sols.
Je tiens à souligner qu’aucune pratique exemplaire de gestion ne s’applique à toutes les situations. Il y aura des variations selon les zones agro-écologiques, les types de sols, les systèmes de production, etc. Il y a encore beaucoup de choses que nous ne savons pas. Les changements du sol ont lieu à long terme. Il nous reste encore beaucoup de données à collecter pour évaluer l’incidence possible des pratiques de gestion sur la santé et le carbone des sols. Cela nécessite de la recherche, des fonds et des gens pour faire le travail. Au bout du compte, les connaissances acquises devront guider les politiques, les pratiques et les changements sur le terrain. Il ne faut pas oublier que l’économie aura préséance sur tout cela. Merci.
Le président : Monsieur Newton, quelle est votre recommandation?
M. Newton : Merci, sénateur Black. Je recommanderais notamment que les gouvernements et les ONG examinent leurs politiques et suppriment les mesures dissuasives à la préservation des prairies et les mesures incitatives à la conversion des prairies.
Je vais parler en particulier du programme d’assurance contre le manque d’humidité, un programme d’assurance contre le manque de précipitations qui est offert ici, en Alberta. Je peux assurer mes graminées indigènes au prix de 53 $ l’acre, soit une prime d’environ 7 %. Pour mon gazon amélioré — des graminées qui ont déjà été cultivées et qui sont maintenant des cultures fourragères pérennes d’espèces agronomiques —, l’assurance coûte environ 73 $ l’acre. Toutefois, si je défriche la terre et que je l’ensemence pour produire du fourrage vert ou de l’ensilage, je peux l’assurer au coût de 282 $ l’acre, avec un taux de prime plus faible. Il s’agit de mesures dissuasives qu’il faut supprimer.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Newton. Monsieur Gilchrist, quelle est votre recommandation?
M. Gilchrist : Comparons un certificat carbone et un certificat d’actions. Les certificats d’actions font l’objet de réglementation depuis longtemps — qui peut l’acheter et qui peut le vendre —, ce qui en garantit la qualité, en fin de compte. Sur notre marché du carbone, nous ne sommes pas rendus là. Actuellement, leur valeur est liée à celle des fournisseurs, comme le dirait mon président au sujet de la notion de marque.
Ce qui manque dans la recommandation sur la santé des sols, c’est la compréhension du fait que l’intégration de la santé des sols dans le marché des produits de base doit s’accompagner de l’ensemble des mécanismes d’un marché réglementé afin que la valeur passe des producteurs qui sont ici, en ligne — ceux qui créent ce changement dans la santé des sols — jusqu’au certificat des sols qui apporte de la valeur à une autre partie de notre chaîne d’approvisionnement au Canada.
Le président : Merci beaucoup, messieurs, pour vos suggestions. Nous passons au deuxième tour, avec notre vice-présidente, la sénatrice Simons.
La sénatrice Simons : J’aimerais reprendre là où nous nous sommes arrêtés, car j’ai constaté, en vous écoutant tous, que le Canada possède une mosaïque agricole très diversifiée : érables à sucre au Québec; pommes de terre à l’Île-du-Prince-Édouard; arbres fruitiers dans la vallée de l’Okanagan; céréales et viande bovine dans les Prairies. Au pays, les bourses et les commissions des valeurs mobilières sont sous réglementation provinciale. Le gouvernement fédéral a fait des tentatives de mettre en place un genre de cadre fédéral, mais cela n’a pas fonctionné.
Il y a les crédits compensatoires fédéraux. Il y a les bourses provinciales. Je me rends compte que j’ignore totalement comment fonctionnent nos marchés du carbone. L’essentiel de ces activités se passe-t-il au provincial? Qu’est-ce qui a lieu au fédéral? Nous sommes au Sénat du Canada. Par conséquent, nous ne pouvons pas conseiller le gouvernement de l’Alberta ou le gouvernement de la Saskatchewan sur la manière de mettre en place un marché du carbone. Que pouvons-nous dire sur les mesures à prendre à l’échelon fédéral? Je vais commencer par M. Gilchrist, puis n’importe qui pourra intervenir.
M. Gilchrist : Si nous traitons cela comme une marchandise, alors je pense que cela a sa place dans l’espace fédéral, comme la commercialisation du grain à l’échelle du pays. Vous avez raison, il n’y a qu’un seul marché au Canada dans le secteur agricole, soit en Alberta, où il existe divers mécanismes d’échange entre les fermes et les ranchs de la province et nos émetteurs. Dans le contexte canadien, ce n’est pas encore en place. On tarde à établir les modalités. Les provinces assujetties pourront participer lorsque le ministère aura publié ses modalités.
Au-delà de l’espace réglementé, nous avons une multitude de marchés volontaires auxquels les fermes et les ranchs peuvent participer. M. Newton a parlé d’un de ces marchés. Nous avons des protocoles pour la conservation des prairies, ainsi que pour l’achat et la vente directe de crédits de carbone auxquels M. Woodward participe. Tous ces protocoles nécessitent une quelconque garantie du certificat, en somme, de ce qu’ils essaient de produire.
La sénatrice Simons : Je pense que nous avons tous écouté le précédent groupe de témoins, à savoir les fonctionnaires du ministère, qui ont parlé de crédits d’émission de carbone et de la façon dont ils peuvent être échangés avec une entreprise qui produit du carbone. Comment cela fonctionne-t-il? L’un de vous a-t-il participé au programme fédéral de compensation des émissions de carbone?
M. Woodward : Le produit que nous commercialisons est un crédit de carbone certifié aux normes ISO, et validé par une tierce partie par l’intermédiaire de cabinets comptables mondiaux. Nous avons vendu des crédits de carbone comme crédits compensatoires à l’industrie pétrolière canadienne. Nous concrétiserons notre première série de crédits sous peu, soit d’ici les deux prochaines semaines. Cela ne sera pas fait selon une norme canadienne. Si je ne me trompe pas, des témoins du groupe précédent ont indiqué que c’est toujours à venir. Nous mettons cela en place conformément aux normes internationales en matière de reddition de comptes, de vérification et d’exactitude des données qui prouvent que du carbone a été ajouté au sol, de manière progressive, et nous le mesurons.
Cela soulève une question fondamentale quant à la possibilité de mesurer le gain de carbone dans le sol au point d’inspirer confiance dans les marchés. Le marché de crédits compensatoires et le marché de compensation carbone intégrée sont des marchés mondiaux. Ils ne sont pas spécifiquement liés à une structure de marché au Canada. Nous nous sommes positionnés comme entreprise qui vend sur les marchés mondiaux des crédits créés au Canada dans le secteur agricole et le secteur de l’élevage.
La sénatrice Simons : J’ai une dernière question à ce sujet. Les témoins experts du gouvernement fédéral ont évoqué de possibles crédits de méthane fondés sur la réduction des émissions de méthane par le bétail.
Monsieur Thompson, pensez-vous qu’un tel système pourrait susciter l’intérêt des éleveurs de bétail s’il était possible de quantifier leurs réductions de méthane? Ce que je veux dire, c’est qu’il y a quelque chose de délicieusement bureaucratique dans l’idée de créer un système pour mesurer les... Peut-on dire « pets » de vaches? Est-ce du langage parlementaire? Parlons plutôt d’émissions de méthane.
M. Thompson : Je pense que je vais m’en remettre à notre expert, M. Bergen, sur certains points, mais j’aimerais tout d’abord préciser que le bétail émet certainement du méthane. Cependant, les recherches sur la séquestration de tous les gaz à effet de serre sont largement insuffisantes, et de nombreux éléments de preuve laissent croire qu’il y a une forte séquestration de tous les gaz à effet de serre dans un système de pâturage.
Je demanderais donc à M. Bergen de nous en dire plus à ce sujet, s’il vous plaît.
La sénatrice Simons : En ce qui concerne les crédits liés aux émissions de méthane.
M. Bergen : Je vous remercie. À des fins d’éclaircissements, le protocole auquel vos experts ont fait référence plus tôt a été élaboré principalement pour le secteur de l’engraissement des bovins, et il vise ce secteur parce qu’on peut exercer un grand contrôle sur ce que mangent les animaux. Ainsi, il est possible d’incorporer un additif alimentaire qui aura un impact prévisible sur les émissions. Par contre, cela représente un grand défi dans les pâturages, car les animaux mangent de l’herbe, mais ils ne mangeront pas nécessairement tous l’additif qui y a été incorporé.
Permettez-moi d’approfondir la question. Grâce à nos recherches précédentes, nous savons notamment que lorsqu’on améliore le taux de croissance des bovins, et lorsqu’on parvient à améliorer leur rendement, leur efficacité et leur performance en matière de reproduction, tous ces éléments s’ajoutent les uns aux autres et permettent de réduire la quantité de méthane par livre de bœuf produite. Nous avons même réussi à quantifier cela. Au cours des 30 dernières années, nous avons réduit nos émissions de 15 % par livre produite, et ce, sans même essayer délibérément de réduire ces émissions. En effet, nous tentions simplement d’améliorer la productivité.
La sénatrice Simons : Je vous remercie beaucoup.
La sénatrice Burey : Je vous remercie encore une fois d’être ici aujourd’hui. J’aimerais que vous nous parliez du développement du carbone organique et de la matière organique et de l’évaluation de la santé des sols, et que vous nous expliquiez comment ces marchés peuvent améliorer la sécurité alimentaire. S’agit-il d’éléments essentiels pour améliorer la sécurité alimentaire au Canada et à l’échelle mondiale?
M. Woodward : Je pense que la réponse est un oui sans équivoque, car il y a un lien indéniable. Si on pouvait structurer le marché pour que les agriculteurs et les éleveurs ajoutent du carbone et des matières organiques du sol de manière consciencieuse et planifiée, ce qui améliorerait leurs résultats en matière de carbone, ainsi que les cultures sur leur exploitation agricole ou sur leur ranch... On y parvient en améliorant la santé du sol. L’amélioration de la santé des sols se traduira par une plus grande productivité, un meilleur rendement sur l’ensemble des terres et, très probablement, une réduction des quantités d’intrants nécessaires. On est donc en mesure d’améliorer le rendement des exploitations agricoles et des ranchs, car les sols eux-mêmes s’améliorent grâce à l’ajout de carbone. Il s’ensuit qu’un marché bien conçu pour le système du carbone ici, au Canada, permettra d’obtenir de multiples avantages, des effets d’entraînement du carbone jusqu’à l’accroissement de la productivité sur la même acre ou le même hectare de terrain, et peut-être même des coûts d’intrants moins élevés. Il est donc possible de gagner sur plusieurs fronts, sénatrice.
La sénatrice Burey : Je vous remercie beaucoup. Y a-t-il d’autres commentaires?
M. Gilchrist : Sénatrice, je dois préciser que cela modifiera la structure des revenus des exploitations agricoles et des ranchs d’un bout à l’autre du Canada. Ce n’est pas que cela garantit toujours des profits, mais cela augmentera les revenus, et les exploitations agricoles ou les ranchs en question pourront en profiter.
Il faut comprendre que si on parle de crédits compensatoires, il y a un décalage entre ces crédits et votre question au sujet de la sécurité alimentaire, car les crédits compensatoires concernent les modifications apportées au cadre de gestion des émissions d’une entreprise. Il y a donc, dans votre question, un décalage entre le fonctionnement des marchés du carbone et l’utilisateur final de ces crédits compensatoires, c’est-à-dire un émetteur réglementé ou non réglementé. Il se peut que cet émetteur ne fasse pas partie du système alimentaire, mais qu’il soit plutôt dans le système de transport, dans le système pétrolier et gazier ou dans le système technologique. Il y a un gouffre entre l’exploitation agricole et le ranch qui produisent des aliments et l’émetteur qui essaie d’acheter des crédits compensatoires pour réduire son empreinte, car cet émetteur n’est pas forcément dans le système alimentaire.
M. McCabe : À titre d’agriculteur, je peux vous dire que j’ai toujours les meilleurs plans du monde jusqu’à ce que j’ouvre un sac de semences. Par exemple, en 2023, l’Ontario a connu une année très mouvementée sur le plan météorologique, avec une sécheresse jusqu’à la mi-juin, suivie de fortes pluies. Je peux planifier tout ce que je veux, mais le fait est que des sols sains aideront mon système à mieux fonctionner, et cela dépend du carbone organique et de la sécurité alimentaire. Et la sécurité alimentaire dépend surtout d’enjeux liés à la distribution et à la cupidité.
Le président : Je vous remercie.
M. Thompson : J’aimerais simplement préciser que lorsque vous tentez d’élaborer des politiques, je pense qu’il est essentiel d’envisager des programmes axés sur les résultats plutôt que sur les pratiques, car comme l’ont fait remarquer à maintes reprises tous les témoins, il y a un très grand nombre de variables. Chacun d’entre nous tente d’optimiser ses propres systèmes sur son propre territoire. Les programmes axés sur les résultats sont donc essentiels. On peut suggérer certaines pratiques, mais il est difficile de promouvoir leur adoption en raison de la grande diversité des environnements. Je pense qu’il est important de le rappeler.
Le président : Je vous remercie.
Je tiens à remercier chaleureusement nos témoins, à savoir M. MacMillan, M. Thompson, M. Woodward, M. Lafontaine, M. Gilchrist, M. McCabe et M. Newton. Merci beaucoup de votre participation à la réunion d’aujourd’hui.
Nous pouvons voir que ce sujet vous passionne. Que vous ayez eu l’occasion de parler souvent ou non, nous savons que notre étude vous intéresse et nous vous encourageons à suivre nos progrès au fil des mois à venir et pendant la rédaction de notre rapport.
Je tiens maintenant à remercier les membres du comité d’avoir participé activement à la discussion et d’avoir posé des questions pertinentes. Je tiens également à remercier toutes les personnes qui nous apportent leur soutien dans la salle et à l’extérieur. Nous ne pourrions pas faire ce que nous faisons sans votre soutien.
Notre prochaine réunion se tiendra le jeudi 30 novembre à 9 heures, c’est-à-dire dans une semaine. Nous entendrons d’autres témoins dans le cadre de notre étude sur l’état de la santé des sols. La sénatrice Simons présidera cette réunion.
(La séance est levée.)