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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 7 décembre 2023

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

La sénatrice Paula Simons (vice-présidente) occupe le fauteuil.

[Français]

La vice-présidente : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Bienvenue aux membres du comité et aux témoins, tant ceux qui sont présents en personne que ceux en ligne, et aux gens qui regardent la réunion sur le Web.

[Traduction]

Je m’appelle Paula Simons. Je suis sénatrice de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6, et je suis la vice-présidente du comité. Aujourd’hui, le comité se réunit pour son étude visant à examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

Avant d’entendre les témoins, je demanderai aux sénateurs présents autour de la table de se présenter.

Le sénateur Wells : Bonjour, chers témoins. Je m’appelle David Wells. Je viens de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Klyne : Bonjour et soyez les bienvenus. Marty Klyne, sénateur de la Saskatchewan, territoire visé par le Traité no 4.

La sénatrice Jaffer : Bonjour et bienvenue. Je m’appelle Mobina Jaffer et je viens de la Colombie-Britannique.

Le sénateur Cotter : Bonjour. Soyez les bienvenus. Je m’appelle Brent Cotter. Je suis sénateur de la Saskatchewan.

La vice-présidente : En cas de problème technique, notamment en ce qui concerne l’interprétation, veuillez faire signe à la présidence ou à la greffière, et nous nous efforcerons de résoudre le problème.

Pour notre premier panel, nous recevons, par vidéoconférence, Mathieu Rouleau, directeur général d’Agriculture en classe; Hugh Maynard, président-directeur général par intérim des 4-H du Canada, et Emmett Sawyer, membre des 4-H du Canada, tous deux présents dans la salle; Kelly Daynard, directrice générale de Farm & Food Care Ontario; et Clinton Monchuk, directeur général de Farm & Food Care Saskatchewan.

Je vous invite à présenter vos observations préliminaires. Vous disposez chacun de cinq minutes. Je lèverai la main pour vous indiquer qu’il ne vous reste plus qu’une minute, et je lèverai les deux mains quand votre temps de parole sera écoulé. Monsieur Rouleau, vous avez la parole.

Mathieu Rouleau, directeur général, Agriculture en classe : Bonjour et merci de me donner l’occasion de parler de la santé des sols et d’Agriculture en classe.

Permettez-moi tout d’abord de me présenter. Je suis un fier agriculteur de troisième génération qui a grandi dans le Sud‑Ouest du Québec, dans une exploitation laitière qui possédait son érablière et faisait des cultures commerciales. Je suis passionné par l’éducation agricole, ce qui m’a amené à cofonder École‑O‑Champ, organisme d’éducation agricole au Québec, et à prendre récemment la direction d’Agriculture en classe Canada.

Aujourd’hui, j’ai le plaisir de représenter le collectif Agriculture en classe de tout le Canada. Nous avons pour mission de cultiver chez les élèves et les éducateurs un véritable lien avec l’agriculture et l’alimentation. Agriculture en classe Canada est un organisme national qui crée des programmes et des ressources pour soutenir ses organismes membres dans chacune des 10 provinces. Les provinces sont les intervenants sur le terrain qui offrent nos programmes et nos ressources aux enseignants afin de faire entrer l’éducation agricole dans les classes partout au Canada.

Il est plus important que jamais de sensibiliser les jeunes à l’origine de leur alimentation et à l’importance de l’agriculture. Les changements climatiques, la sécurité alimentaire et la pénurie de main-d’œuvre ne sont que quelques-uns des problèmes pressants qui ont un impact considérable sur notre secteur. Il est essentiel d’éduquer les dirigeants de demain qui sont en classe aujourd’hui afin qu’ils puissent faire partie de la solution pour un avenir durable. Notre future main-d’œuvre et la santé du secteur en dépendent.

Chaque année, le collectif Agriculture en classe permet à plus de 2 millions d’élèves de vivre des expériences grâce à des programmes et des ressources qui créent des liens précieux avec l’agriculture et le secteur agroalimentaire. Agriculture en classe Canada a été fondé en 2016, mais certains de nos organismes membres travaillent dans le domaine de l’éducation agricole depuis 35 ans.

Agriculture en classe Canada est fier d’appuyer ses partenaires provinciaux en créant des programmes nationaux, en partageant de l’information et des ressources et en militant en faveur de l’éducation agricole. Collectivement, nous nous concentrons sur l’ABC, c’est-à-dire proposer des ressources, des programmes et des initiatives exacts, équilibrés et actuels, liés aux programmes d’études et fondés sur la science. Notre bibliothèque de ressources canadiennes offre aux éducateurs des centaines de ressources en français et en anglais qui sont liées aux résultats des programmes d’études provinciaux. Les enseignants ont ainsi un accès illimité à des centaines de ressources et d’activités pédagogiques gratuites qui peuvent être filtrées par province, par sujet, par matière, etc., pour leur faciliter la tâche et la rendre interactive.

Bon nombre de ces ressources sont axées sur la santé des sols ou en parlent. Il s’agit notamment de folioscopes et de vidéos sur l’agriculture qui sont animés pour montrer aux élèves comment le sol se forme. Le livre Alex’s First Seed montre comment les vers jouent un rôle important dans le maintien de sols sains. Nous proposons plusieurs plans de cours centrés sur la santé des sols, notamment le plan pratique appelé Tout sur le sol qui fait découvrir aux élèves les caractéristiques et les applications du sol et leur fait ensuite planter un jardin en classe afin d’observer la croissance des plantes. Nous proposons également des mini‑plans d’unités plus approfondies sur les propriétés du sol et sur l’incidence des activités humaines sur les fonctions écologiques du sol. Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses ressources que nous avons mises au point et qui traitent de la santé des sols.

C’est également l’objectif de notre partenariat avec l’Association canadienne des bovins. Les élèves apprennent, par des jeux, à gérer des terres avec du bétail et l’écosystème de manière à faire prospérer une faune en bonne santé.

Encore une fois, notre mission à Agriculture en classe dans tout le Canada est de créer de véritables liens avec les éducateurs et les élèves à propos de l’agriculture et de l’alimentation. Ainsi qu’on vous l’a dit, la santé des sols est une des composantes très importantes de l’éducation permanente, et il est essentiel pour nous de continuer à investir. Nous vous remercions de votre attention.

La vice-présidente : Je vous remercie.

Emmett Sawyer, membre, Les 4-H du Canada : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs. Je vous remercie de m’avoir invité à m’exprimer aujourd’hui.

J’ai grandi dans l’exploitation céréalière et bovine de ma famille qui existe depuis 1903. Elle se trouve à une heure au nord-est de Calgary. J’étais membre des 4-H depuis neuf ans quand j’ai élevé un jeune bœuf de boucherie. Je suis un défenseur passionné de tout ce qui touche à l’agriculture canadienne, y compris en ce qui concerne l’importance de nos sols ici au Canada.

Il n’y a pas si longtemps, les agriculteurs canadiens ont connu des sécheresses catastrophiques. Le vent qui emporte les sols réduits en poussière, une baisse de la productivité des sols et une énorme perte de matière organique rendaient l’agriculture presque impossible. L’avenir était très sombre dans les Prairies.

En 2023, les choses ont bien changé. Grâce à des pratiques agricoles modernes et à des produits phytosanitaires, nous avons augmenté nos rendements et la matière organique dans les sols, et la terre reste dans les champs que nous ensemençons. Nous prenons soin des six pouces de sol les plus essentiels que notre pays a à offrir et qui sont l’élément vital du secteur agricole.

Cependant, les agriculteurs et les éleveurs font face à un nouveau défi, celui des changements climatiques. Comment pouvons-nous non seulement contribuer à réduire notre impact sur l’environnement, mais aussi utiliser le sol comme outil pour lutter contre les changements climatiques, tout en augmentant la durabilité? Nous pouvons entre autres utiliser la capacité de nos sols à séquestrer le carbone et recourir pour cela à des pratiques agricoles modernes. Ainsi, la culture sans labour permet aux exploitations d’accroître la séquestration du carbone en perturbant moins leurs sols. De leur côté, les éleveurs obtiennent le même résultat en laissant leurs animaux paître dans nos prairies, créant ainsi un puits de carbone massif.

Pour améliorer la santé des sols de notre exploitation, nous avons commencé à épandre chaque année du fumier dans différentes parties. Nous travaillons avec notre agronome pour analyser le sol de chaque champ afin de créer un mélange d’engrais unique pour chacun en utilisant le modèle de gestion 4R, autrement dit, la bonne source, le bon taux, le bon moment et le bon endroit. Le fumier augmente notre matière organique, la population d’organismes bénéfiques et la rétention d’eau du sol, tout en diminuant l’utilisation d’engrais synthétiques, ce qui augmente aussi notre durabilité et réduit notre empreinte carbone.

Dans certaines régions, la santé et la survie de nos terres agricoles productives sont menacées. Les grandes villes du Canada sont situées sur des terres agricoles parmi les meilleures et les plus productives du pays. Pourtant, chaque jour, un nouveau champ est vendu pour y construire de grands entrepôts et pour développer l’urbanisation. C’est une chose à laquelle nous devons faire attention, car une fois aménagées, ces terres ne seront plus jamais des terres agricoles productives. C’est désolant parce que nous savons, en tant qu’agriculteurs canadiens, que nous produisons certains des aliments les plus sûrs et les plus durables de la planète. Nous devons, toutefois, être conscients aussi que, pour être durables et pour continuer de réduire notre impact sur l’environnement, nous devons protéger nos terres agricoles.

En tant que jeunes, nous héritons de la responsabilité de lutter contre les changements climatiques, et on attend de nous que nous apportions des solutions à ce problème important. Les 4-H participent notamment à cette conversation avec un programme de sensibilisation appelé À vos pelles, qui fait partie des six initiatives de sensibilisation des 4-H du Canada. Ce programme permet aux jeunes de découvrir comment des sols sains contribuent à la lutte contre les changements climatiques et leur donne les moyens de devenir des champions de la conservation des sols au sein de leur propre collectivité. Il leur permet d’acquérir leur propre expérience pratique et d’apprendre pourquoi le sol peut aider à atteindre quelques-uns des objectifs de développement durable des Nations unies.

Ce programme connaît un énorme succès. Les participants affirment avoir appris quelque chose de nouveau sur les liens entre les changements climatiques, les sols et l’agriculture durable. Il est important, lorsque nous parlons de changements climatiques, d’avoir des programmes comme ceux-ci parce qu’ils attirent l’attention sur l’avenir de la jeunesse et sur le fait qu’il est important de créer des espaces où nos jeunes peuvent apprendre et réfléchir de manière critique à leur rôle en tant que champions de la conservation des sols.

Je sais que les agriculteurs canadiens produisent certains des aliments les plus sûrs et les plus durables du marché. Notre capacité de créer des sols plus sains et de trouver des moyens de devenir plus durables est un facteur clé de cette réussite. Les changements climatiques devenant un sujet de plus en plus planétaire, les pays se tourneront vers nous, en tant que leaders du secteur agricole, pour nous montrer l’exemple dans des conversations sur la santé des sols, afin de trouver de nouvelles façons de l’utiliser comme outil de promotion de la durabilité.

En tant qu’agriculteurs, nous sommes les premiers environnementalistes de mère Nature, et c’est à nous d’essayer d’encourager l’agriculture durable. Dans l’exploitation de ma famille, la durabilité environnementale fait tout simplement partie du travail quotidien, et tout commence par la santé des sols. Je vous remercie.

La vice-présidente : Tout juste cinq minutes. Je vous remercie.

Kelly Daynard, directrice générale, Farm & Food Care Ontario : Bonjour et merci de m’avoir invitée à comparaître devant le comité aujourd’hui.

Farm & Food Care Ontario, qui est financé principalement par des agriculteurs, des organisations agricoles et des entreprises agroalimentaires, est un organisme de bienfaisance canadien enregistré qui a pour mandat de fournir des renseignements crédibles sur l’alimentation et l’agriculture au Canada. Je me concentre, évidemment, sur l’Ontario. Nous travaillons également en étroite collaboration avec notre groupe frère de la Saskatchewan, représenté ici aujourd’hui par Clinton Monchuk, son directeur général, et notre groupe frère de l’Île-du-Prince-Édouard sur divers projets nationaux qui tous visent à relier les consommateurs à leur alimentation.

Il est à noter que notre mandat n’inclut pas de travail dans les salles de classe canadiennes. Lorsque nos ressources se prêtent à une utilisation par des éducateurs, nous comptons sur nos collègues compétents, comme Mathieu Rouleau à Agriculture en classe Canada, pour fournir aux écoles dans tout le Canada la documentation d’accompagnement pertinente et fondée sur le programme d’études.

J’ai grandi dans une ferme céréalière près de Guelph, en Ontario, et mes parents agriculteurs m’ont toujours fait comprendre l’importance de la bonne santé des sols. Ils ont consacré leur vie à améliorer les conditions de notre petite exploitation familiale. Je me suis aperçue, toutefois, par mon travail avec les consommateurs, que les sols — et leur importance cruciale pour tout le monde — ne sont jamais au premier plan des préoccupations des Canadiens non agriculteurs.

Chaque année, nous organisons des visites en autobus pour des influenceurs dans le domaine de l’alimentation dans les régions de Toronto et d’Ottawa. Nous les emmenons dans des exploitations agricoles et des usines de transformation des aliments afin qu’ils soient plus à même de répondre aux questions de leurs clients et de leur public. Au cours d’une visite, il y a quelques années, un agriculteur parlait à mes invités des défis liés au type de sol de son exploitation. Une personne a levé la main pour demander pourquoi les agriculteurs ne changent pas de type de sol, s’ils n’aiment pas le leur. Cette question a donné lieu à une conversation passionnante sur les types de sol, la santé des sols et les défis auxquels les agriculteurs font face quand ils cultivent des produits dans différentes conditions pédologiques. Après tout, pour certains de mes invités vivant au centre-ville de Toronto ou d’Ottawa, changer de type de sol peut signifier acheter un nouveau sac de mélange de première qualité pour leurs jardinières. Lorsque des agriculteurs, comme mon ami Clinton Monchuk, doivent cultiver des aliments dans des conditions pédologiques difficiles sur une exploitation de 1 000 acres — ou même de 100 acres —, c’est une tout autre histoire.

Cela a conduit Farm & Food Care à se concentrer de plus en plus sur le thème de la santé des sols dans nombre de ses efforts de sensibilisation. Notre publication phare, qui vient de vous être distribuée aujourd’hui, s’intitule The Real Dirt on Farming. Depuis 2006, nous en avons distribué environ 5 millions d’exemplaires dans tout le Canada. Je vous en ferai parvenir très bientôt la version française, qui sort tout juste de l’imprimerie. Le sénateur Black m’avait demandé d’apporter des exemplaires de cette brochure qui répond aux questions des consommateurs sur l’alimentation et l’agriculture, notamment sur les 10 principaux types de sols au Canada, sur l’importance de la matière organique et sur la différence entre le sol et la terre. Elle explique également pourquoi les agriculteurs prélèvent régulièrement des échantillons de leurs sols et utilisent des techniques telles que la rotation des cultures et le semis direct pour améliorer la structure et la teneur en éléments nutritifs de leurs sols.

En collaboration avec beaucoup de nos membres et de nos partenaires, comme les Grain Farmers of Ontario et l’Association pour l’amélioration des sols et des récoltes de l’Ontario, pour n’en citer que deux, nous avons intégré le thème de la santé des sols dans des vidéos filmées pour notre site Web agricole en réalité virtuelle, www.FarmFood360.ca, sur lequel, chaque année, environ un million de personnes visitent des exploitations agricoles, confortablement installées devant leur ordinateur.

En septembre dernier, dans le prolongement de nos initiatives précédentes, nous avons emmené un groupe d’influenceurs dans le domaine de l’alimentation de Toronto au Centre d’interprétation de la santé des sols de l’Université de Guelph. D’après ce centre, les pratiques scientifiques de gestion durable des sols vont devenir la norme dans le paysage agricole. Sur place, nos invités ont participé à plusieurs expériences sur les sols, et j’ai été impressionnée par l’intérêt qu’ils portaient au sujet. Dans les évaluations qui ont suivi la visite, un invité a écrit : « J’ai été impressionné par le travail effectué sur la santé des sols. Ce n’est généralement pas un sujet de conversation, mais la gestion de la santé des sols est cruciale en Ontario aujourd’hui. » Un autre invité a écrit : « Ma raison me dit que la santé des sols est importante, même pour mes petites jardinières de balcon. Cependant, je n’y pense pas de la même façon qu’à d’autres aspects. Le fait d’en apprendre plus sur la santé des sols au centre a été très intéressant et m’a permis de comprendre à quel point de bons sols sont essentiels pour le secteur agricole et pour l’environnement. »

Farm & Food Care est très reconnaissant au comité du travail qu’il accomplit, et nous continuerons à faire notre part pour faire savoir au public que l’agriculture durable commence par la santé des sols. Je vous remercie.

La vice-présidente : Je vous remercie.

Clinton Monchuk, directeur général, Farm & Food Care Saskatchewan : Le poste que j’occupe au sein de Farm & Food Care Saskatchewan me permet de voir de mes propres yeux comment le fait de parler aux consommateurs canadiens peut réellement contribuer à renforcer la culture alimentaire. Avec moins de 3 % de notre population activement engagée dans l’agriculture ou l’élevage, il est logique qu’il y ait beaucoup de questions sur la façon dont les aliments sont produits. Il existe un véritable fossé entre ceux qui produisent les denrées alimentaires et ceux qui les consomment.

Il semble aussi y avoir une idée un peu romancée selon laquelle les agriculteurs ne devraient pas utiliser la génétique, la technologie ou l’équipement moderne pour produire des denrées alimentaires, et que les méthodes du bon vieux temps étaient bien meilleures. Je suis ici pour vous dire que ce n’est pas le cas. Les choses sont bien meilleures aujourd’hui, en 2023, qu’elles ne l’ont jamais été, et elles continueront de s’améliorer grâce à d’autres innovations dans le futur.

Le contact établi avec les Canadiens par des récits aide à instaurer une confiance dans la production alimentaire de notre grand pays, et voici mon histoire. J’exploite une ferme avec mon frère Andrew, et nous sommes des agriculteurs canadiens de quatrième génération. Notre arrière-grand-père s’est installé de l’autre côté de la route par rapport à l’emplacement actuel de notre exploitation principale. Au cours des 117 dernières années, nous avons continuellement amélioré notre façon de produire les aliments, et j’espère qu’un jour, la cinquième génération reprendra l’exploitation familiale.

Quand je parle avec des personnes qui ne sont pas dans l’agriculture, j’aime dire que sans sols sains, la civilisation telle que nous la connaissons n’existerait pas. Des sols sains garantissent la sécurité alimentaire ici au Canada, ainsi que la sécurité des pays qui achètent des denrées alimentaires que nous produisons en abondance.

En 1996, mon père a décidé d’adopter un système de plantation avec travail minimal du sol en un seul passage, ce qui a permis d’économiser du temps et de l’argent sur le carburant, mais aussi de capter du carbone pour le réinjecter dans le sol. Avant 1996, notre système comprenait le labourage, l’application éventuelle d’un herbicide granulaire par hersage, le labourage à nouveau, le hersage, puis l’ensemencement. Ces passages supplémentaires augmentaient l’érosion du sol et libéraient du carbone dans l’environnement. Avec la technologie du semis direct, nous pouvons lutter contre les mauvaises herbes en appliquant un herbicide non sélectif comme le glyphosate et en semant directement dans les résidus de culture de l’année précédente. Cette pratique a fondamentalement changé la santé de nos sols, augmenté la productivité et profité à l’environnement.

Notre famille continue d’utiliser les technologies les plus récentes, comme l’application de nutriments à taux variable et — comme M. Sawyer l’a mentionné à propos de la gestion des nutriments 4R —, l’apport des bons nutriments au bon endroit, dans la bonne quantité, au bon moment et à partir de la bonne source. Les documents 1 et 2 parlent de notre taux variable et des analyses de sol. Résultat, nous constatons un enrichissement du sol en matière organique, une amélioration de la structure des agrégats et de l’épaisseur des sols, des sols globalement plus sains et une prolifération des organismes du sol tels que les vers de terre. Les avantages qui en découlent sont notamment des terres plus productives, une meilleure résistance aux changements climatiques, des sols plus sains et un environnement sain pour la production de denrées alimentaires.

En 2021, 95 % des agriculteurs de la Saskatchewan ont utilisé des pratiques sans travail du sol ou avec un travail minimal, contribuant ainsi à l’amélioration de la santé des sols et à la réduction du carbone. Des études évaluées par des pairs montrent que les émissions nettes sont nulles en Saskatchewan grâce à des technologies comme le glyphosate, les organismes génétiquement modifiés, ou OGM, et le travail minimal du sol. Il s’agit du document 3.

Ce que font les agriculteurs pour l’environnement en produisant des aliments presque sans émissions nettes n’est pas toujours raconté autant qu’il le faudrait dans les écoles ou aux consommateurs. Nous avons un impact grâce aux initiatives d’Agriculture en classe, de Farm & Food Care, des 4-H et du Panier alimentaire canadien. Cependant, il est possible d’en faire plus.

Le meilleur exemple d’engagement est celui des visites d’exploitations agricoles organisées par Farm & Food Care auxquelles participent autant des élèves de collèges que des influenceurs dans le domaine de l’alimentation. En ayant la possibilité de voir des exploitations modernes, de toucher le sol et de parler aux agriculteurs, les participants améliorent leur connaissance de la production alimentaire et ont une impression générale plus positive de nos pratiques. En ligne, des initiatives comme Le Panier alimentaire canadien amènent chaque mois près d’un million de consommateurs à discuter de l’alimentation. Nous leur fournissons également des vidéos et des articles sur les aliments — les aliments qu’ils aiment — et qui sont produits dans tout le Canada.

En fait, nos sols ne se sont jamais aussi bien portés. Notre productivité ne cesse d’augmenter, et ce, en étant presque neutre en carbone. C’est vraiment une belle histoire dont tous les Canadiens peuvent être fiers. Je vous remercie.

La vice-présidente : Je vous remercie tous de vos observations préliminaires.

Nous allons passer aux séries de questions. Je vous rappelle, si vous utilisez des oreillettes, de ne pas vous pencher trop près du microphone à cause de l’effet Larsen qui peut être très nocif pour nos interprètes.

Sénateur Cotter, je sais que vous devez partir bientôt. Avez‑vous le temps de poser une question?

Le sénateur Cotter : Si vous le permettez. Je dois m’absenter un moment pour aller parler d’intérêts agricoles, justement, mais je reviendrai.

Pour moi, l’importance de la santé des sols ne fait aucun doute, tout comme mon admiration pour le travail que vous faites. Si vous avez écouté mon discours sur le projet de loi C-234 la semaine dernière — l’auditoire se résumait, je suppose, à vous, à ma belle-sœur et peut-être à six autres personnes —, vous avez entendu ce message sur les résultats qu’obtiennent les producteurs de la Saskatchewan notamment, mais aussi de tout le pays, en la matière. Ma question n’a cependant rien à voir avec cela.

Nous faisons partie du gouvernement du Canada et nous parlons d’un point de vue fédéral. Ce rapport doit partir de ce point de vue. D’après chacun de vous quatre, qu’est-ce que ce rapport devrait dire qui serait utile pour le type de travail que vous faites et pour les objectifs généraux en ce qui concerne la santé des sols? Puis-je vous demander à chacun de répondre en une minute, en suivant l’ordre dans lequel vous vous êtes exprimés?

M. Rouleau : Il est très important, entre autres, qu’il y ait une expérience pratique pour que les gens sachent ce qui est lié aux sols et à tous les différents profils. Je parle de l’expérience pratique plus du point de vue de la salle de classe pour faire en sorte qu’il y ait, à l’avenir, plus d’investissements dans l’éducation aux profils pédologiques. Ensuite, quand les élèves deviendront des consommateurs, ils comprendront mieux d’où vient leur nourriture et ils envisageront peut-être de travailler dans l’agriculture et l’environnement et d’apporter cette perspective qu’on leur a donnée en classe.

M. Sawyer : Pour ma part, ce que j’aimerais voir dans un rapport comme celui-ci, c’est où et comment nous pouvons intéresser les jeunes à un sujet tel que la santé des sols. Nous sommes considérés comme de futurs dirigeants, et il semble qu’à bien des égards, nous soyons considérés comme des militants sur des sujets comme celui-ci. J’estime pour ma part qu’une organisation comme les 4-H encourage effectivement les jeunes à montrer l’exemple sur des sujets importants et dans leurs propres collectivités. Quant au rapport, il devrait mentionner des moyens de permettre aux jeunes de se mobiliser autour de l’importance de la santé des sols et d’en faire la promotion dans leurs propres collectivités, peut-être même en donnant des exemples de jeunes qui font déjà des choses comme ça. Si nous sommes capables de faire cela et qu’un rapport comme celui-ci en parle, ce sera très important, notamment parce que si nous ne mobilisons pas la jeunesse, tout ce que nous faisons aujourd’hui et à l’avenir ne servira à rien.

Mme Daynard : Avant notre réunion de ce matin, Farm & Food Care et les 4-H ont eu une conversation en aparté très intéressante. Elle portait sur l’ensemble de notre travail et sur le fait que tout est possible en ayant les fonds nécessaires. Nos quatre organisations collectives passent beaucoup de temps à chercher des fonds dans le monde agricole pour mener à bien leurs projets extraordinaires. The Real Dirt on Farming, que vous voyez ici, est une brochure coûteuse à produire. Ensuite, nous travaillons avec Agriculture en classe Canada à l’élaboration d’un guide de l’éducateur, et nous collaborons avec les 4-H à l’élaboration d’une ressource pour les 4-H pour l’accompagner. Je suis fière de travailler avec Agriculture en classe Canada. Je suis fière de travailler avec les fonds des agriculteurs, mais il nous en faudrait plus. Il est certain que parler de la santé des sols est vraiment essentiel, et il faut que cette information arrive jusqu’aux publics que nos trois groupes touchent. Nous avons besoin d’aide.

M. Monchuk : De mon côté, j’aimerais que les chefs de gouvernement reconnaissent le bon travail que nous faisons. En tant qu’agriculteur, je trouve que les choses positives que nous faisons et les choses que nous pouvons célébrer ne sont pas reconnues aux plus hauts niveaux gouvernementaux de ce pays. J’ai parfois l’impression que certaines de nos pratiques sont même attaquées, alors qu’elles ont des retombées positives très importantes sur l’environnement de notre pays. Je pense que les chefs de gouvernement doivent prendre des mesures énergiques pour promouvoir ce que nous faisons auprès des consommateurs.

Le sénateur Cotter : Le dernier point trouve écho auprès de certains d’entre nous autour de la table ces temps-ci.

La vice-présidente : Monsieur Maynard, je crois que vous vouliez dire quelque chose aussi.

Hugh Maynard, directeur général par intérim, Les 4-H du Canada : Je réfléchissais à ce que tout le monde disait. J’ai une petite anecdote à raconter. Ma fille et son époux exploitent une ferme agritouristique avec vente directe aux consommateurs, tout à côté de Montréal. Ils encouragent les familles à venir passer une demi-journée ou une journée entière à cueillir et à se balader. Pour la première fois cet automne, ils ont organisé une activité d’autocueillette de pommes de terre. On vous donnait une pelle et un seau, et vous partiez dans le champ. Le samedi prévu, il pleuvait à verse. Cent soixante familles se sont présentées, ont récolté des pommes de terre dans la boue du champ avec leurs enfants et se sont bien amusées, le personnel étant là pour les aider et leur parler. À propos de publication, parlez-y — comme tout le monde l’a dit — de programmes qui aident les gens à se salir les mains. Je pense que c’est le moyen le plus facile d’intéresser les gens à la santé des sols.

La vice-présidente : Je vous remercie.

Le sénateur Klyne : J’ai deux questions pour les directeurs généraux des deux sections de Farm & Food Care, Mme Daynard et M. Monchuk.

Premièrement, d’après votre expérience, quelle est la question qui mobilise le plus les non-agriculteurs avec qui vous êtes en contact? Deuxièmement, y a-t-il un aspect essentiel de l’exploitation agricole qui échappe encore au grand public en ce qui concerne l’importance et les réalités de l’agriculture d’aujourd’hui, et avez-vous un message à faire passer à cet égard?

M. Monchuk : De mon point de vue, le plus important, c’est le décalage par rapport à beaucoup de technologies modernes. Que j’utilise une culture génétiquement modifiée ou que je pulvérise un herbicide contrôlé par Santé Canada et l’Agence canadienne d’inspection des aliments, l’ACIA, quand ils voient mon grand pulvérisateur enjambeur juste à côté de la route transcanadienne, ils se posent des questions.

De manière générale, les consommateurs ont l’impression de ne pas comprendre, ce qui les rend automatiquement négatifs. Dans un excellent reportage, Jimmy Kimmel demande à des personnes sur un marché si elles sont pour ou contre les OGM. Tout le monde répond contre. Il leur demande alors ce qu’est un OGM. Personne ne le savait, mais ils étaient contre.

C’est une de ces choses qui suscitent une réaction négative, et j’ai l’impression que cela revient sans cesse. Cela renvoie à la question environnementale qui consiste à dire je ne sais pas ce que vous faites, mais que c’est forcément mauvais, alors que c’est tout le contraire.

Quand nous parlons avec des associations de consommateurs, des diététiciens, des médecins et des personnes qui travaillent dans la santé et le bien-être, nous leur expliquons que ce que nous faisons au moyen de ces nouvelles technologies est très positif, et ils sont stupéfaits. Ils ne le savaient pas. Je pense que c’est un des plus grands obstacles, et c’est ce que nous essayons de surmonter.

Mme Daynard : Je répondrai pratiquement la même chose. J’ai toujours dit que si nous pouvions emmener tous les Canadiens passer une journée dans une exploitation agricole, il n’y aurait plus besoin de groupes comme Farm & Food Care, et ce serait formidable.

Par exemple, nous travaillons avec le collège Algonquin, ici, à Ottawa. Tous les ans, j’embarque ses merveilleux étudiants en arts culinaires dans un autobus et je les emmène dans des exploitations agricoles. L’an dernier, nous avons visité SunTech Greenhouses à Manotick, juste à l’extérieur de la ville. On y produit des concombres et des tomates en serre. Une fois diplômé, ce groupe de futurs chefs de cuisine très intelligents travaillera dans nos restaurants et nos hôtels. Nous avons visité la serre et, à la fin de la visite, en remontant dans l’autobus, un jeune m’a dit : « Madame, je n’avais aucune idée qu’il y avait autant de choses à savoir sur une tomate. Je pensais juste qu’il s’agissait d’une garniture sur le côté d’une assiette. » Je lui ai répondu que s’il pensait cela, alors, mon travail avait porté ses fruits. Et il s’agissait seulement d’une tomate.

Nous organisons d’énormes petits-déjeuners dans les exploitations agricoles. L’an prochain, je vous inviterai tous à un petit-déjeuner à la ferme sur la promenade Prince of Wales, ici, à Ottawa. En juin, nous y organisons un petit-déjeuner. Nous y attendons 3 000 personnes rien que pour le petit-déjeuner et une visite de l’exploitation. Rien ne vaut une occasion d’apprendre à connaître des agriculteurs et des exploitations agricoles.

Le sénateur Klyne : Monsieur Monchuk, y a-t-il un message clé que vous aimeriez faire passer aux non-agriculteurs de la Saskatchewan en ce qui concerne les cinq différentes zones de sol en Saskatchewan et la santé des sols à cet égard?

M. Monchuk : Je pense que la chose la plus importante est que nous traitons nos sols. Ce que je fais sur mon sol est différent de ce que M. Sawyer fait sur le sien en Alberta. Nous analysons les sols pour nous assurer d’en obtenir la productivité optimale. Nous utilisons pour cela toutes les technologies modernes.

J’aime toujours montrer une petite vidéo de ma fille qui me dit, en récoltant des petits pois avec moi, que nous mangeons ce que nous cultivons. Il faut savoir que nous consommons aussi nos propres aliments.

Le sénateur Wells : Je vous remercie, chers témoins, de vos observations préliminaires.

Je viens de Terre-Neuve-et-Labrador, où l’agriculture n’est pas un secteur d’activité important. Nous sommes surtout une province de pêche, ainsi que d’autres ressources naturelles. Lorsque je pense à la santé des sols et que je la compare à Terre-Neuve-et-Labrador, je pense à la santé de l’eau, dont nous savons tous qu’elle est également importante.

Monsieur Sawyer, vous avez mentionné des pratiques, tout comme M. Monchuk. Pouvez-vous faire mon éducation sur la profondeur du sol, la pratique de la jachère, la rotation des cultures et les additifs naturels et non naturels qui sont bons? Pouvez-vous nous parler un peu de ce qui rend un sol optimal ou un sol sain à des fins de culture?

M. Sawyer : Certainement.

Le sénateur Wells : Y a-t-il des qualités différentes pour les légumes-racines et les légumes-feuilles, par exemple?

M. Sawyer : Dans notre exploitation agricole, la première étape en ce qui concerne la santé des sols passe par notre agronome. Il s’agit d’une personne qui a reçu une formation en santé des sols et qui a fait des études. Nous commençons donc par analyser les sols de nos champs pour savoir quels nutriments s’y trouvent déjà. Le but est de ne pas utiliser trop d’engrais qui s’infiltreront dans nos bassins versants. C’est la première étape.

Une fois que nous savons quels nutriments sont présents dans le sol, nous pouvons élaborer un plan d’apport en nutriments. Dans la plupart de nos champs, nous utilisons des engrais synthétiques, mais seulement pour remplacer les nutriments manquants. Nous discutons avec notre agronome et fixons le nombre idéal de boisseaux que nous essayons d’obtenir en fonction de ce que nous pensons pouvoir produire et de ce que l’environnement nous fournira. Si nous pensons pouvoir obtenir un rendement de 60 boisseaux de canola, nous ferons de notre mieux pour apporter la bonne quantité de nutriments à cette fin, ni plus ni moins. C’est la première étape.

Ensuite, l’agronome nous fournit un plan d’apport en nutriments. Ce plan est différent selon que nous cherchons à obtenir un rendement de 110 boisseaux d’orge ou de canola, car les quantités d’engrais nécessaires sont différentes. Un plant de canola absorbe beaucoup d’azote, et nous devrons donc, peut-être, mettre plus d’azote dans notre mélange d’engrais pour ce champ particulier. Ce n’est qu’un exemple. Si nous essayons de cultiver de l’orge, nos taux de nutriments ne sont pas les mêmes dans notre zone de sols bruns que pour la culture du canola, par exemple.

Le sénateur Wells : Je vous remercie.

M. Monchuk : Si je peux ajouter quelque chose à ce dont parle M. Sawyer, les documents 1 et 2 du dossier que j’ai soumis contiennent des analyses de sol. Vous y verrez qu’il peut s’agir de champs distants d’un quart de mile, mais dont les besoins sont complètement différents pour obtenir une récolte optimale. Jusqu’à la cartographie que nous réalisons, qui fait varier le taux que nous utilisons dans les pentes ascendantes et descendantes, car nous avons des collines en Saskatchewan, et dans différents endroits. C’est vraiment très intéressant de voir à quel point les taux peuvent changer, non seulement d’un champ à l’autre, mais aussi d’un acre à l’autre dans un même champ.

Le sénateur Wells : Vous avez parlé de six pouces de sol. Qu’est-ce qui est typique dans les provinces des Prairies? Si je creusais au-delà de six pouces, que trouverais-je? Y a-t-il des endroits où les sols sont cultivables à un mètre, ou comment cela fonctionne-t-il? Ou s’agit-il seulement de la partie utilisable?

M. Monchuk : Pour revenir au commentaire du sénateur Klyne, cela dépend vraiment de l’endroit où l’on se trouve dans les Prairies. Là où nous cultivons, la couche productive du sol peut varier de quelques pouces à 10 à 12 pouces, selon que l’on se trouve au sommet d’une colline ou au bas d’une dépression. Cela dépend beaucoup de l’endroit. Dans certains secteurs, il n’y a que le pouce de couche superficielle du sol, et c’est peut-être différent en Alberta.

Le sénateur Wells : Je tiens à entendre M. Maynard, mais avant d’avoir épuisé mon temps de parole — ce qui est peut-être déjà le cas —, sachez que vous avez beaucoup de champions au Parlement, tant au Sénat qu’à la Chambre des communes. Quelques noms me viennent à l’esprit. Il y a évidemment le sénateur Black, qui ne peut pas parler de budget ou de fiscalité sans parler d’agriculture. Il est votre plus grand défenseur au Parlement, tout comme John Barlow de l’Alberta et Ben Lobb de l’Ontario. Vous savez peut-être que nous sommes en plein examen du projet de loi C-234, dont je suis le parrain, et dans presque toutes mes interventions, je dis que les agriculteurs, les éleveurs et les producteurs sont les gardiens de l’environnement. Je voulais demander — je verrai au deuxième tour. Puis-je poser la question et attendre la réponse au deuxième tour?

La vice-présidente : Non, parce que votre temps de parole est écoulé, mais je pense que nous aurons le temps pour une deuxième série de questions.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie infiniment de votre présence. C’est fort intéressant. Notre étude dure depuis un certain temps et chaque fois que je viens ici, je me demande ce que je peux encore apprendre sur les sols. Mais j’ai vraiment beaucoup appris, alors merci.

J’ai des questions précises pour chacun de vous, mais je commencerai par vous, madame Daynard. Vous avez dit que le gouvernement fédéral devrait fournir des fonds et collaborer avec les provinces, les territoires et les parties prenantes pour améliorer le financement de la mise en œuvre de vos programmes. Pouvez-vous être plus précise?

Mme Daynard : Je pense que nos trois groupes font un travail remarquable avec des budgets très serrés, et nous sommes fiers du travail que nous faisons et fiers de travailler avec les agriculteurs...

La sénatrice Jaffer : Puis-je vous interrompre? Je suis désolée, je ne veux pas être impolie. L’une des choses que nous ferons dans notre rapport sera de formuler des recommandations. Si vous voulez que votre recommandation y figure, quelle serait‑elle?

Mme Daynard : J’aimerais voir recommander que l’on finance plus d’initiatives de sensibilisation menées par des groupes comme nos trois groupes pour parler de la santé des sols aux Canadiens. Je suppose que c’est fondamentalement la réponse.

La sénatrice Jaffer : Monsieur Sawyer, si je vous ai bien entendu, avez-vous dit que vous produisez des œufs?

M. Sawyer : J’ai grandi dans une ferme mixte où l’on produit des céréales tout en élevant du bétail.

La sénatrice Jaffer : Une des choses que l’on n’évoque pas au sujet des changements climatiques, mais à laquelle nous faisons face — en toute transparence, je suis agricultrice —, ce sont les maladies. Nous en découvrons de plus en plus. Pendant toutes les années où mon père a été agriculteur, il n’a connu qu’un seul incident de grippe aviaire. Depuis que nous avons pris la relève, il y a peu de temps, nous en sommes au deuxième. Rencontrez-vous ce genre de problèmes avec le bétail et les sols?

M. Sawyer : Pour être tout à fait honnête, madame la sénatrice, je suis loin d’en savoir autant que je pourrais en ce qui concerne les animaux. Je ne pense pas pouvoir faire de commentaires sur l’élevage. Pour ce qui est de la santé des sols, nous avons des maladies terricoles. Heureusement, grâce aux innovations et aux technologies, que ce soit par le traitement des semences pour nos céréales ou nos cultures de canola, nous réussissons à combattre ces maladies, comme le rhizoctone, le pythium, le charbon et la carie du blé. Les agriculteurs disposent de la technologie de différentes entreprises agricoles qui leur fournissent des solutions pour augmenter leurs rendements tout en se protégeant contre les maladies terricoles. Ces maladies existent donc bel et bien, mais grâce à la technologie, les agriculteurs sont, dans l’ensemble, protégés contre les maladies terricoles. Il leur suffit de les gérer, mais les outils sont là.

La sénatrice Jaffer : J’avais une question pour Agriculture en classe. Je suis très heureuse d’entendre parler de votre organisme. Je devrais aller vérifier sur votre site Web plutôt que de vous poser la question, mais est-ce que vous vous adressez à tous les âges ou est-ce que vous commencez dans les grandes classes?

M. Rouleau : C’est une très bonne question. Les programmes d’Agriculture en classe s’adressent aux élèves de la maternelle à la 12e année. Bien entendu, les sujets et les discussions que nous avons avec les enfants en 1re et 2e année sont différents de ceux que nous avons avec les élèves de 12e année. Nous parlons de production agricole, puis de la transformation des aliments et enfin des carrières. Nous en présentons plus de 30 dans notre programme sur les carrières destinés aux écoles secondaires afin d’encourager les jeunes Canadiens à s’imaginer dans le secteur agricole et agroalimentaire. Il y a, par exemple, les techniciens de l’environnement, les spécialistes de la santé des sols et les chercheurs, et pas seulement l’agriculteur typique tel que nous le percevons dans la société.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie.

La sénatrice Osler : Je remercie tous les témoins de leur présence aujourd’hui.

Je suis sénatrice du Manitoba et médecin de formation, et je m’intéresse beaucoup au lien entre le climat et la santé humaine. Ce lien a été intégré dans le programme mondial de lutte contre les changements climatiques. Il se trouve que j’ai assisté à la COP25 en 2019, à Madrid. Cette année, à la COP28, il y a eu pour la toute première fois une journée consacrée à la santé, avec une déclaration sur le climat et la santé par 124 États. Une enveloppe d’un milliard de dollars a été promise pour soutenir les engagements pris.

Je ne sais pas si vous avez déjà entendu parler du concept « Une seule santé ». Il s’agit d’une approche unifiée visant à équilibrer et à optimiser durablement la santé des personnes, des animaux et des écosystèmes. Un de vos organismes ou le secteur agricole dans son ensemble ont-ils parlé d’étudier les liens entre les changements climatiques, l’agriculture, la santé des sols et la santé humaine? J’invite les 4-H à répondre en premier, puis Farm & Food Care Ontario, et enfin Farm & Food Care Saskatchewan.

M. Sawyer : Pour ce qui est des 4-H Canada, j’ai parlé de notre programme de sensibilisation À vos pelles. C’est une des mesures que les 4-H Canada a prises pour sensibiliser leurs membres à l’importance de la santé des sols, notamment pour les objectifs de développement durable no 13, sur les mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques, et no 15, sur la vie terrestre. Nous avons une brochure d’activités que nos jeunes membres peuvent utiliser en partenariat, commencer à remplir et apprendre à connaître aux côtés de leur responsable, de sorte qu’ils ont quelqu’un pour les guider tout au long du processus. Ce n’est qu’un exemple parmi d’autres de la façon dont les 4-H cherchent à sensibiliser et à utiliser les jeunes pour qu’ils montrent la voie dans l’action pour le climat et expliquent combien la santé des sols est importante. Nous avons beaucoup de succès. Quelque 7 000 jeunes ont déjà suivi ce programme et plus de 95 % d’entre eux ont déclaré avoir appris quelque chose de nouveau sur l’agriculture et sur l’importance de la santé des sols. C’est un grand succès jusqu’à présent.

Mme Daynard : J’ai fait quelques recherches sur vous tous avant de venir ici aujourd’hui, et je dois dire que j’ai été particulièrement heureuse de voir que vous siégiez au comité parce que je pense qu’il existe un tel lien entre notre santé et notre nourriture. Je pense que les gens n’y pensent pas assez.

À Farm & Food Care Ontario, nous essayons toujours de parler de l’importance de l’alimentation. Nous passons beaucoup de temps à travailler avec des diététistes autorisés, car ils ont une grande influence sur leurs clients et sur les épiceries avec lesquelles ils travaillent. Nous insistons toujours sur l’importance des aliments que vous consommez. Il faut faire ses achats en connaissance de cause. Je signale que cette brochure contient une section sur « Une seule santé ». Je vous encourage à la consulter plus tard.

M. Monchuk : Avant de rejoindre Farm & Food Care Saskatchewan, je travaillais dans l’industrie de la volaille. Entre le milieu des années 2010 et 2015, il y a eu un moment clé où nous avons décidé d’adopter une approche différente de l’utilisation, par exemple, des antibiotiques. Cela a permis de réduire considérablement leur utilisation, pour le plus grand bien de la société en général.

En ce qui concerne la santé des sols, M. Sawyer et moi avons tous deux mentionné le programme de gestion 4R. C’est une méthode que les agriculteurs peuvent suivre pour s’assurer qu’il n’y ait pas de déversement. Nous cultivons près de cours d’eau. Les précipitations sont maintenant plus importantes. Nous voulons nous assurer de protéger l’eau dans ce que nous faisons, afin que rien ne finisse dans un cours d’eau et ne contamine autre chose. Dans notre exploitation, c’est quelque chose qui nous tient à cœur. Nous voulons nous assurer que l’environnement qui nous entoure, la faune et tout le reste, s’épanouissent également, parce qu’un environnement florissant autour de nous améliore notre exploitation et nos sols. Il suffit de voir la quantité d’animaux sauvages que nous voyons. Cela donne quelque chose à faire à mon père sur ses trajets en voiture tous les matins quand il regarde les cultures des autres aussi.

Oui, je pense que c’est quelque chose de très important auquel nous nous intéressons tous.

La sénatrice Osler : Je vous remercie.

La vice-présidente : Nous passons à une deuxième série de questions, et le sénateur Wells a la parole et peut poser la question qu’il essayait de poser.

Le sénateur Wells : Vous avez entendu mon préambule sur les intendants de la terre. Je voudrais d’abord entendre M. Maynard. Il a été question de la capture du carbone et de la neutralité carbone. Dites-moi ce que cela signifie lorsque nous disons que les personnes qui travaillent dans le secteur agricole sont des gardiens de l’environnement.

M. Maynard : Pour répondre d’abord à votre question sur les sols, je dirai que là où j’habite, au sud de Montréal, les meilleures terres agricoles se trouvent au fond de ce qui était la mer de Champlain, il y a des centaines de millions d’années. La couche d’argile est profonde de plusieurs centaines de pieds. Elle n’en finit pas. Cependant, la seule partie importante est la couche supérieure de six à huit pouces qui contient la matière organique. Si vous ne vous occupez pas de cette matière organique, peu importe la qualité, la consistance ou l’uniformité de vos sols, cela ne fera aucune différence.

Pour moi, la clé, à bien des égards, de toute l’intendance réside dans les six premiers pouces. Ils ne peuvent pas être emportés par le vent. Comme le mentionnait M. Sawyer, autrefois, les congères étaient recouvertes d’un peu de terre. Aujourd’hui, beaucoup moins. C’est un exemple d’intendance. Grâce aux pratiques de culture sans labour et à d’autres types de culture, les agriculteurs ont nettement réduit l’érosion du sol. Une fois emporté par le vent, il ne revient pas. C’est un bon exemple d’intendance.

Ensuite, on passe à l’érosion et à la gestion. Le potentiel de l’intelligence artificielle et de l’utilisation de ces outils dans la gestion technique et la gestion du savoir est fantastique. Ce sera, tout comme la composante physique de la matière organique, très bénéfique pour l’intendance, car savoir, c’est pouvoir. Qu’il s’agisse de santé ou d’autre chose, savoir, c’est pouvoir. Il s’agit donc de mettre les connaissances à profit.

Le sénateur Wells : Monsieur Monchuk, que pensez-vous de la question de la capture du carbone et de la neutralité carbone?

M. Monchuk : C’est intéressant. Il faut savoir, notamment, que lorsque nous avons adopté les pratiques que nous utilisons aujourd’hui, c’était en fait pour économiser de l’argent sur le diésel. Nous n’avons su que plus tard que ces pratiques permettaient de capturer tout ce carbone, mais elles ont été adoptées, non seulement dans les Prairies, mais aussi partout aux États-Unis et ici, en Ontario et au Québec. Nous savons aujourd’hui qu’il est très avantageux d’utiliser ce carbone séquestré, de le placer dans la matière végétale et de le réintégrer dans le sol. Quand on retourne le sol, qu’on le perturbe et qu’on le fait remonter, le carbone repart dans l’environnement.

Je n’aime pas critiquer certaines politiques, mais il y en a une qui dit que peu importe ce qu’on a fait dans le passé, on regarde seulement à partir d’une certaine année. Un des problèmes de cette politique, c’est qu’à l’écouter, je ferais mieux de labourer mes terres maintenant et de revenir au semis direct. Or, c’est sans intérêt pour l’environnement, et nous ne voulons pas procéder ainsi sur nos terres, mais c’est ce qui se passe actuellement. Je suis désolé, mais cette politique est stupide.

Nous devons nous assurer de penser à la meilleure situation pour les sols et pour l’environnement. De plus, nous produisons des denrées alimentaires pour nos concitoyens. Nous voulons nous assurer que la capacité de production de nos terres est constante, afin de garantir la sécurité alimentaire de notre pays.

Le sénateur Wells : Je poserai la même question à M. Sawyer. Il travaille lui aussi la terre.

M. Sawyer : M. Monchuk a mentionné combien de fois où nous travaillions nos champs. Quand j’en parle avec mon père et mon grand-père, avant, non seulement nous labourions, mais nous n’avions pas de nouvelles méthodes de gestion des mauvaises herbes, alors nous retournions le sol pour essayer de les éliminer. Nous libérions ainsi du carbone. Nous commencions par passer la herse et la herse lourde, puis nous essayions de semer. Aujourd’hui, dans notre exploitation, nous n’allons vraiment dans le champ que deux fois par an. La première fois, nous passons une herse légère, à l’automne ou au printemps, en fonction de la quantité de paille que nous estimons nécessaire d’éliminer pour un meilleur semis direct, puis nous procédons au semis direct. C’est tout ce que nous faisons dans le champ. Rien d’autre. Ensuite, grâce aux progrès de la technologie et à la collaboration avec notre agronome, nous pouvons aller dans le champ avec nos pulvérisateurs. Aujourd’hui, nous ne faisons que très peu de travail dans les champs.

La vice-présidente : Monsieur Monchuk et madame Daynard, vous travaillez directement avec le grand public. Monsieur Rouleau, vous créez des programmes pour toutes sortes de classes. Cependant, quand je pense aux 4-H, j’imagine qu’ils se concentrent sur leurs propres membres qui sont généralement des jeunes issus de milieux agricoles. Monsieur Maynard et monsieur Sawyer, pouvez-vous élargir vos excellents programmes à des jeunes qui ne viennent peut-être pas d’un milieu agricole?

M. Maynard : C’est un défi parce que les 4-H sont ancrés dans la communauté agricole et rurale. Lorsque nous disons que savoir, c’est pouvoir, et parlons de mobiliser ce savoir, nous avons une équipe de 7 000 parents bénévoles. C’est une culture. Elle se transmet de génération en génération. C’est fortement structuré ainsi. Les programmes comme les 4-H ont un énorme potentiel pour aller encore plus loin et c’est là, bien sûr, que nous avons besoin du soutien du programme pour le faire, d’un soutien financier, parce que les 4-H du Canada et leurs affiliés provinciaux ont vraiment pour but de soutenir les bénévoles et les enfants qui participent au programme. Bien sûr, cela prend du temps et, comme l’a mentionné Mme Daynard, une sensibilisation à tout ce que représente la gestion d’un programme. Cela dépend donc de la région. Dans certaines régions, la participation des secteurs urbains et non agricoles est plus importante. Je sais qu’aux États-Unis, de nombreuses collectivités ont une participation énorme, mais elles reçoivent des fonds de tous les États dans lesquels elles se trouvent, ce qui aide certainement beaucoup.

M. Sawyer : De mon point de vue, le chemin est déjà à moitié parcouru si l’on arrive à faire passer le message que les possibilités de projets ne se limitent pas forcément aux milieux agricoles et qu’il peut y en avoir dans les centres urbains. Lorsque je parle des 4-H à mes amis qui n’ont pas de lien avec les régions rurales et que je parle de toutes les possibilités qui m’ont été offertes grâce aux 4-H, ils nous envient ces possibilités, et pourtant, il y a des projets que l’on peut faire dans nos zones urbaines, qu’il s’agisse d’horticulture ou de la culture de ses propres légumes en ville. Le plus difficile est de trouver des dirigeants capables de créer ces clubs dans les centres urbains. Une fois cela fait, les 4-H sont un programme phénoménal de formation de la jeunesse. Je suis partial, mais honnêtement, c’est le meilleur programme au Canada, et je doute qu’il y ait quoi que ce soit d’autre qui aide le moindrement à acquérir les mêmes compétences de vie que lui. Dès que nous pourrons mettre en place davantage de programmes dans les centres urbains, ce sera comme mettre le feu aux poudres parce que leurs programmes de formation de la jeunesse sont si bons.

La vice-présidente : Monsieur Rouleau, où pouvez-vous agir au Canada? Vos activités sont-elles surtout au Québec et en Ontario? Où se situe plutôt la clientèle de vos programmes?

M. Rouleau : Agriculture en classe Canada compte 10 organisations provinciales membres, donc de la Colombie-Britannique jusqu’à Terre-Neuve. Nous avons 10 organisations membres qui gèrent tous nos programmes nationaux et qui ont aussi leurs propres initiatives provinciales. Notre clientèle de deux millions de personnes ne se limite pas au Québec et à l’Ontario; elle s’étend à l’ensemble du Canada.

La vice-présidente : Mme Daynard souhaite également répondre à cette question.

Mme Daynard : J’allais ajouter que je suis également très fière d’être une ancienne des 4-H. Le sénateur Black était l’un de mes conseillers de camp quand j’avais 15 ans. Farm & Food Care a consacré beaucoup d’efforts à former les agriculteurs à raconter leur histoire, de sorte que lorsque nous nous adressons aux consommateurs, nous avons des agriculteurs extraordinaires qui savent conter leurs histoires. L’une de nos priorités porte également sur les membres des 4-H, car nous les considérons comme les futurs conteurs et les futurs chefs de file de l’agriculture canadienne. Nous ne saurions louer assez le travail que font les 4-H.

Le sénateur Klyne : Avez-vous une anecdote à raconter au sujet de ce conseiller de camp?

Mme Daynard : À l’époque, j’avais 15 ans et j’étais ambassadrice des 4-H, et le sénateur Black était l’un de nos conseillers. Je garde un excellent souvenir de cette expérience.

La vice-présidente : Cela valait la peine d’être consigné au procès-verbal.

Je tiens à remercier tous nos témoins, M. Rouleau, M. Maynard, M. Sawyer, Mme Daynard et M. Monchuk. Je vous remercie beaucoup de votre participation aujourd’hui. Comme vous l’avez entendu, nous étions tous très intéressés à entendre ce que vous aviez à nous dire. Je vous remercie de votre participation.

Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons M. Steven Siciliano, professeur au Département de la science du sol de l’Université de la Saskatchewan et, par vidéoconférence, M. Derek MacKenzie, professeur associé au Département des ressources renouvelables de l’Université de l’Alberta.

Je vous invite tous deux à présenter vos déclarations liminaires. Nous commencerons par M. Siciliano, suivi de M. MacKenzie. Vous disposez chacun de cinq minutes. Je vous signalerai que votre temps tire à sa fin en levant une main lorsqu’il vous restera une minute, et je lèverai les deux mains lorsque votre temps sera écoulé. Nous commençons ici, dans la salle, par M. Siciliano.

Steven D. Siciliano, professeur, Département de la science du sol, Université de la Saskatchewan, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente. Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un plaisir de parler avec vous aujourd’hui. Je suis professeur de la science du sol et titulaire de la chaire de recherche industrielle sur l’assainissement des lieux et l’évaluation des risques. J’ai été à deux reprises directeur de programmes nationaux d’évaluation des risques qui établissent un lien entre les sols et la santé humaine et de l’écosystème.

Aujourd’hui, je vais vous parler un peu de la pollution des sols. La plupart des gens ne reconnaissent pas l’importance du problème de la pollution des sols. En fait, les sols tuent 2 millions de personnes par an. Chaque année, une ville de la taille de Calgary est rayée de la carte de la planète à cause de la pollution des sols. Et ce n’est pas l’impact le plus important. Le principal impact de la pollution des sols correspond à environ 17 millions d’années de vie handicapée. C’est la première cause d’invalidité après l’adolescence. Cela s’explique par l’existence d’environ 20 millions de sites contaminés dans le monde. En moyenne, il y a 1,72 site contaminé par 100 000 habitants. Au Canada, nous avons environ 20 000 sites industriels normaux et quelque 250 000 sites causés par l’abandon de puits de pétrole et de gaz. Savoir si l’on considère ces sites comme de véritables sites contaminés est une autre question.

En ce qui concerne l’ampleur du problème, la bonne nouvelle est que le gouvernement du Canada, le gouvernement fédéral, a adopté de très solides initiatives au cours des 30 dernières années. Le groupe sur la santé des sols situé à Environnement Canada s’est imposé comme un institut de calibre mondial dans le domaine du développement des espèces utilisées dans l’évaluation de l’écotoxicité des sols et des cadres qui s’y rapportent. Le groupe-conseil sur les sols contaminés situé à Santé Canada a fourni un soutien d’experts, principalement dans l’évaluation des risques pour la santé humaine liés aux polluants provenant des sols.

Certaines lacunes politiques émergentes remettent en question le cadre politique actuel du Canada. L’une d’entre elles concerne la contamination des sols. Comme les sénateurs le savent probablement, la contamination des sols est de compétence provinciale. Les sols sont gérés à l’échelle provinciale, sauf s’ils se trouvent sur des terres ou des territoires fédéraux. Les sols contaminés qui ont un impact sur les cours d’eau sont de compétence fédérale. Cependant, les politiques et les cadres qui ont été élaborés n’ont jamais envisagé des situations où les sols contaminés auraient un impact sur l’atmosphère. Au cours des 20 dernières années, un consensus scientifique s’est dégagé sur l’importance des systèmes édaphiques contaminés dans le conteste de la libération et l’atténuation du méthane et de l’oxyde nitreux. Cette question se trouve actuellement dans un no man’s land politique. Personne ne sait qui doit la gérer.

Il y a des mesures faciles — enfin, je pense qu’elles sont faciles, ou peut-être plus difficiles —, mais il y a des mesures importantes que le gouvernement fédéral peut prendre pour améliorer la santé des Canadiens en ce qui concerne les sols contaminés.

L’une d’entre elles est très simple : l’asphaltage des routes. J’étais à Iqaluit pour une étude, et le gouvernement fédéral avait parrainé un vaste programme d’asphaltage dans tout le Canada. La région inférieure d’Iqaluit a été asphaltée. Ce faisant, nous avons considérablement réduit les risques pour la santé et les effets du cancer dus, non pas aux sols contaminés, mais essentiellement aux routes non pavées, qui sont une source majeure de risques pour l’enfance.

D’autres mesures simples peuvent également être prises. Les lignes directrices ont été établies pour la première fois au début des années 1990 et n’ont pas été mises à jour depuis, de sorte que les hydrocarbures aromatiques polycycliques critiques, tels que le pyrène et le phénanthrène, n’ont pas été mis à jour. Par conséquent, lorsque nous essayons de protéger un écosystème comme celui des vers de terre, nous sommes obligés d’utiliser les normes relatives aux eaux souterraines. Cela conduit à des situations paradoxales, car la meilleure façon de protéger les eaux souterraines est d’asphalter le sol. Il est évident que cela tue les vers de terre. Et en cherchant à sauver les vers de terre, nous finissons par les tuer. Cela s’est produit à plusieurs reprises au Canada et le gouvernement fédéral peut y remédier en fournissant à ses institutions existantes le financement qui leur permettrait de mettre à jour ces lignes directrices, afin que les propriétaires de ces sites contaminés puissent gérer l’écosystème pour mieux le restaurer.

Cela m’amène à mon troisième point, qui est, je pense, le plus intéressant et le plus difficile. Au cours des 30 dernières années, nous avons compris qu’il fallait atténuer les effets de la pollution des sols. Si nous pouvons également rétablir et améliorer la santé de l’écosystème sous tous ses aspects, tout le monde en profitera, les humains comme les animaux. Mais nos critères chimiques actuels ne nous permettent pas de le faire. Je pense que la révision de ces critères constituerait un très bon effort national pour entreprendre cette conversation sur la façon dont nous pouvons améliorer la santé des écosystèmes et, par conséquent, changer la façon dont nous gérons nos sites contaminés. Il en résultera une amélioration de la santé humaine et de l’écosystème.

Je vous remercie de votre attention.

La vice-présidente : Merci beaucoup.

Derek MacKenzie, professeur associé, Département des ressources renouvelables, Université de l’Alberta, à titre personnel : Distingués membres du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts, bonjour et merci de me donner l’occasion de vous parler de la santé des sols et de la nécessité de disposer d’un institut de données. Je suis professeur agrégé en sciences du sol à la Faculté des sciences de l’agriculture, de la vie et de l’environnement de l’Université de l’Alberta, qui est située sur le territoire du Traité no 6.

Je me présente devant vous aujourd’hui pour parler du fondement, souvent négligé, du bien-être sociétal, agricole et environnemental de notre pays : la santé des sols. Tandis que nous sommes confrontés aux défis posés par le changement climatique et à la responsabilité éthique de nourrir de façon durable une population croissante, on ne saurait trop insister sur l’importance de la santé des sols. La santé et, par conséquent, la fonction de nos sols ne sont pas simplement fondamentales pour la productivité agricole; elles sont intrinsèquement liées à la santé de notre société, à la résilience de l’environnement et à la qualité de nos systèmes alimentaires. Il est indispensable, pour la survie de notre espèce, de reconnaître le rôle essentiel que jouent les sols pour assurer la sécurité alimentaire, atténuer les effets du changement climatique et préserver la fonction des écosystèmes.

Il doit y avoir une approche globale et unifiée pour gérer et comprendre nos ressources en sols. Au Canada, nous recueillons des données sur les sols depuis près d’un siècle, mais ces données ne sont pas mises à la disposition des chercheurs. Au contraire, elles sont conservées dans des tiroirs et des classeurs ou sur des disques durs d’ordinateurs dans des laboratoires de recherche isolés un peu partout dans le pays, y compris des laboratoires universitaires, gouvernementaux et industriels.

L’absence de consensus sur la manière de mesurer un grand nombre de paramètres essentiels à la santé des sols ne fait qu’aggraver le problème de la disparité des emplacements de ces données. Je plaisante souvent en demandant à dix scientifiques du sol comment mesurer l’azote disponible dans le sol et en obtenant au moins sept réponses différentes.

Je propose que nous fassions entrer les données relatives à la science et à la santé des sols dans le XXIe siècle grâce aux sociétés de mégadonnées et que nous nous inspirions des bases de données relatives à la santé humaine. En médecine, il y a un consensus sur la manière de recueillir les paramètres de santé vitaux. Par exemple, la pression artérielle peut être mesurée de trois façons — en position couchée, assise et debout — et chacune donnera une réponse différente pour le même patient. Nous disposons ainsi d’un ensemble de données comparables à l’échelle mondiale, que nous utilisons pour surveiller la santé humaine et développer une médecine de précision. Par exemple, la récente mobilisation mondiale pour produire les vaccins contre la COVID a été facilitée par les bases de données médicales et l’apprentissage automatique. Je dirais que nous avons besoin d’une mobilisation mondiale pour lutter contre le changement climatique et assurer la sécurité alimentaire d’une population croissante. L’un des moyens d’y parvenir serait de créer une base de données sur la santé des sols et d’utiliser l’apprentissage automatique pour nous aider à générer les meilleures pratiques de gestion, autrement dit, la médecine des sols. Comme le dirait Shorty Fenski, un producteur de ma région, « la santé des sols, c’est la santé humaine ».

Par conséquent, je propose que le comité recommande la création d’un institut national de données sur la santé des sols. Cet institut servirait de plaque tournante pour la collecte, l’analyse et la diffusion des données sur la santé des sols dans notre pays. En travaillant en étroite collaboration avec les instituts de recherche de tout le pays pour rassembler divers ensembles de données et employer des technologies de pointe, telles que l’apprentissage automatique, cet institut faciliterait une compréhension plus approfondie de la fonction des sols, permettant une prise de décision éclairée pour les producteurs, les gestionnaires des terres, les chercheurs et les décideurs. Il permettrait également au Canada de produire un inventaire précis des paramètres de la santé des sols à l’échelle nationale en vue de l’établissement de rapports à l’échelle mondiale.

Un institut national de données sur la santé des sols fournirait non seulement un cadre solide pour la surveillance et l’évaluation de la santé des sols, mais favoriserait aussi l’innovation, la recherche collaborative et le développement de pratiques exemplaires en matière de gestion. Grâce à cet institut, nous pourrons exploiter la puissance des données pour optimiser les pratiques agricoles, améliorer la durabilité, atténuer la dégradation des sols et promouvoir une gestion environnementale à long terme.

Comme une grande partie de la production de données a toujours été financée par des fonds publics, la base de données fournirait des rapports sur la santé des sols gratuitement et offrirait aux producteurs des pratiques exemplaires de gestion en fonction de l’analyse de leur sol. La base de données pourrait initialement leur permettre de suivre la séquestration du carbone, afin d’exploiter le marché des crédits de carbone. Les producteurs avec lesquels je travaille pratiquent déjà une agriculture régénératrice, pour laquelle ils souhaitent être reconnus et indemnisés. Selon ce que j’ai observé lors d’ateliers de producteurs, ceux-ci sont tout à fait disposés à tirer parti des ressources en ligne gratuites.

J’ai soumis une proposition décrivant cet institut comme une ONG financée gérée par un comité exécutif qui travaille en collaboration avec un conseil d’administration composé de hauts représentants des producteurs agricoles, de l’industrie, du gouvernement et des universités. La création d’un tel institut témoigne de notre engagement à préserver les fondements mêmes dont dépendent la santé humaine, la sécurité alimentaire et la durabilité de l’environnement.

Dans ma faculté, nous avons un dicton : sans sol, vous seriez nus, assoiffés, affamés et sans abri. Je demande instamment à votre comité d’examiner et de soutenir cette initiative cruciale comme moyen d’assurer un avenir résilient et prospère pour le peuple canadien.

Je vous remercie de l’attention que vous porterez à cette question cruciale. Je me réjouis de vos idées, de votre collaboration et de votre soutien dans la défense de la cause de la santé des sols pour l’amélioration de notre nation.

La vice-présidente : Merci beaucoup à nos deux témoins. Comme j’ai eu le privilège de vous rencontrer cet été chez vous, je vais reporter mes questions à la fin.

Le sénateur Klyne : J’ai une question pour chaque témoin.

Monsieur MacKenzie, nous avons entendu parler à plusieurs reprises dans notre étude de la collecte de données sur les sols en vue de mesurer la dégradation, l’érosion, etc. Ce que je n’ai pas entendu, c’est quelque chose que vous avez abordé ici avec votre proposition d’institut : un dépôt national où l’on peut stocker et gérer les données.

L’aspect qui m’intéresse, c’est la mesure dans laquelle les sols diffèrent d’une région à l’autre dans le pays. Rien qu’en Saskatchewan, nous avons cinq zones de sol différentes. Si l’on prélève tous ces échantillons, comment les utiliser au mieux? Je pense qu’il faudrait créer une sorte de dépôt national. Votre projet d’institut pourrait être intéressant, car il permettrait de stocker, de gérer, d’obtenir et d’utiliser les données à bon escient. Je sais que de nombreuses données sont recueillies à l’échelle régionale par les provinces, mais je ne suis pas sûr que la science autour de tout cela s’unit pour mieux comprendre toutes les différences et les défis uniques, les questions et les possibilités qui en découlent. Un dépôt national serait-il une solution à ce problème, comme l’institut que vous avez proposé?

M. MacKenzie : C’est une excellente question, merci.

Je pense que c’est le pouvoir des bases de données et de la science des données. Je suis un pédologue, pas un informaticien, mais les informaticiens avec lesquels je travaille sur le campus diraient, je pense, que pour rassembler divers types de données, une base de données et l’apprentissage automatique sont les meilleurs moyens de comparer ces différents ensembles de données venant de toutes les provinces et de faire des comparaisons régionales. Votre question est juste. Il existe une grande hétérogénéité spatiale entre les types de sols dans toute l’étendue du pays, mais une base de données permettrait de résoudre certaines de ces différences.

En ce qui concerne un institut national de données, de nombreux groupes collaborent déjà à la création de cette base de données, mais en fin de compte, il faut qu’il y ait un institut officiel pour héberger le matériel, par opposition à des chercheurs universitaires qui travaillent à côté de leur bureau pour conserver les données. Il s’agit d’un institut, où quelqu’un est chargé à plein temps de conserver les données. À l’institut de données, les chercheurs scientifiques travaillant avec la base de données disposeraient tous d’une expertise régionale et de connexions dans tout le pays. Chaque province tient une base de données provinciale, et je pense que nous pouvons les rassembler à l’échelle nationale et faire travailler des chercheurs à cette fin.

Le sénateur Klyne : Sur ce point, il est évident que l’engagement des parties prenantes et un financement s’imposent. Pour attirer leur attention, quel est l’effet de levier? Disons que le levier est la douleur. Que se passerait-il si nous ne le faisions pas? Quelles seraient les conséquences de ne pas faire une telle chose?

M. MacKenzie : Je pense que si nous ne le faisons pas, nous prendrons du retard par rapport aux initiatives mondiales nettes de lutte contre le changement climatique. L’une des choses dont je parle également est que, dans un avenir très proche, nous allons disposer d’un grand nombre de données instantanées provenant des dispositifs à bord de l’équipement agricole, et il nous faut un endroit où mettre ces données. Nous avons besoin d’une stratégie pour aller de l’avant et utiliser les quantités massives de données qui seront générées. À l’heure actuelle, l’analyse des sols est un processus laborieux, mais dans un avenir proche, il y aura des capteurs à bord des tracteurs qui surveilleront de nombreux paramètres du sol en temps réel. Je pense que le fait de ne pas mettre en place une base de données pour pouvoir saisir ces données nous mettrait à la traîne du reste du monde.

Le sénateur Klyne : Merci.

La sénatrice Osler : Je remercie les deux témoins d’être ici aujourd’hui. J’ai une question pour chacun d’eux.

Monsieur Siciliano, vous avez parlé de la santé des écosystèmes. Pour le compte rendu, pouvez-vous expliquer au comité comment les activités humaines influent sur les écosystèmes et comment ces écosystèmes influent sur la santé humaine?

Monsieur MacKenzie, pouvez-vous nous expliquer comment la santé des sols influe sur la santé humaine?

M. Siciliano : Merci.

Pendant de nombreuses années, mon programme de recherche au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie avait pour nom « Comment les êtres humains empoisonnent les sols et comment les sols empoisonnent les êtres humains ». J’ai longuement réfléchi à cela.

En dehors de l’émission de polluants directs tels que les hydrocarbures ou l’excès d’engrais, les humains empoisonnent le sol principalement par le compactage et l’imperméabilisation des surfaces. Le sol qui se trouve sous ce bâtiment n’est plus vivant. Lors des projets d’exploitation, on peut souvent voir les gens arracher la couche productive supérieure et l’expédier vers des exploitations agricoles. Une des façons dont les humains influencent les sols est en grande partie notre insistance à vouloir des pelouses parfaitement entretenues et des surfaces étroites et imperméables.

En ce qui concerne l’impact des écosystèmes sur la santé humaine, outre les effets évidents — par exemple, nous allons tous consommer 20 milligrammes de sol aujourd’hui. Peut-être 100 milligrammes pour ceux d’entre nous qui vivent en Saskatchewan, si nous sommes près de la récolte et qu’il n’y a pas eu de neige. Si l’un d’entre nous a des enfants en bas âge, ceux-ci pourraient, s’ils le peuvent, manger 13 grammes de terre aujourd’hui. Ils mangeront directement de la terre, et cela peut être important. Des enfants en bas âge sont morts après avoir mangé de la terre contenant des dioxines. C’est là une voie directe.

Comment l’atténuer? Les modes d’atténuation sont des choses comme les arbres, les processus urbains qui encouragent l’utilisation de la verdure et des arbres pour intercepter la poussière. La réduction de la poussière est le principal moyen de protéger les êtres humains des sols qui pourraient les empoisonner.

L’autre grand moyen par lequel le sol peut à la fois empoisonner et protéger l’homme est le nettoyage des eaux souterraines. Nous veillons à ce que nos sols soient sains afin que les eaux souterraines que nous buvons ne nous empoisonnent pas, que ce soit par les coliformes fécaux ou par des polluants directs. Ce sont là les deux principales voies d’accès.

La sénatrice Osler : Merci.

M. MacKenzie : C’est effectivement une excellente question. Il y a deux façons dont la santé du sol est la santé humaine.

En 2021, Henry Janzen a eu l’idée — je suis sûr que ce comité a entendu beaucoup de définitions de la santé des sols — de définir la santé des sols comme une métaphore de la fonction. Le terme « santé » est largement et publiquement accessible, et c’est un bon terme. Chaque fois que nous parlons de la santé des sols, nous parlons de leur fonction. Une diminution de la fonction des sols réduira notre capacité de produire de la nourriture et, par conséquent, la santé humaine à l’échelle mondiale.

J’ai aimé ce que vous avez dit, monsieur le sénateur, sur le fait que le changement climatique a un impact direct sur la santé humaine. Je suis heureux d’entendre que la Conférence des Parties avance également vers cette reconnaissance. Si le changement climatique diminue la santé humaine, nous disposons alors de véritables occasions d’utiliser le sol, dans le cadre de stratégies d’atténuation du climat, pour séquestrer le carbone. Toute séquestration de carbone dans le sol représentera une augmentation de la fonction et de la santé du sol et, par conséquent, se répercutera sur la santé humaine.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie tous les deux de vos exposés et de votre engagement continu à l’endroit de ce sujet important. Vous en avez tous deux présenté une perspective nationale, ce qui est très utile pour nous.

Monsieur MacKenzie, vous avez mentionné les défis que pose la diversité des définitions, des points de vue et des stratégies. Cela m’a rappelé la blague sur les trois types d’économistes : ceux qui savent compter et ceux qui ne savent pas compter.

Mettant l’accent sur l’agriculture et la santé des sols, j’ai une question plus large et peut-être même inutile, mais je veux quand même la poser, si vous le permettez. Monsieur Siciliano, vous et moi avons travaillé à l’Université de la Saskatchewan pendant un certain temps. Je n’étais pas quelqu’un de fermé, mais je ne savais pratiquement rien de votre travail et rien de la santé des sols jusqu’à ce que je vienne ici et que je me joigne à ce comité. Vous ne saviez probablement pas grand-chose de mon travail et vous ne voulez probablement pas le savoir. Ce n’est pas important aujourd’hui.

Ce doit être une source de frustration pour vous deux, car c’est une question de politique publique très importante, en particulier pour notre pays. Y a-t-il des choses que ce comité peut faire dans son rapport pour aider sur ce front et faire comprendre, si je peux m’exprimer ainsi, que votre travail est plus important que le mien? Comment pouvons-nous comprendre cela? Pourquoi n’en savons-nous pas plus à ce sujet? Comment pouvons-nous y parvenir?

M. Siciliano : C’est une question difficile. Deux choses me viennent à l’esprit.

La première concerne le principe d’Anna Karénine, l’idée que toutes les familles heureuses se ressemblent. Fondamentalement, elles sont toutes fondées sur l’amour et le respect. Je sais que cela peut paraître étrange à dire, mais nous tenons souvent les sols pour acquis parce que nous avons généralement fait du bon travail. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Je dirais même que nous sommes en train de faire du mauvais travail. Cela s’explique par l’urbanisation.

Le groupe précédent vous a dit que les personnes, de tous les horizons, qui vivent de la terre et qui ne sont pas forcément des agriculteurs de production ou des agriculteurs de subsistance, sont toutes très informées. Elles comprennent intuitivement. Elles n’ont jamais pensé à dire ces choses. C’est un peu comme si un parent savait que s’il donne à son enfant un petit-déjeuner, il passerait une bonne journée à l’école, et que s’il ne le fait pas, il passerait une mauvaise journée. C’est ce qui s’est passé. En nous écartant de cette idée, nous nous en sommes éloignés.

Je l’ai constaté dans tout le Canada au cours de ma vie. Par exemple, mon département a perdu plus de la moitié de ses professeurs au cours des 10 dernières années. Il reste peu de départements de la science du sol dans le monde. Au Canada en particulier, nous en sommes au point où, lorsque M. MacKenzie et moi faisons de la recherche, nous nous demandons : « Pour qui est-ce important? Pour moi, pour toi et pour une seule autre personne. C’est tout. » Nous avons constaté ce désengagement. Je ne sais pas exactement pourquoi cela se produit sur le plan social. C’est peut-être parce que nous avons perdu le contact avec nos racines. Je suis tout à fait d’accord avec M. MacKenzie lorsqu’il dit que sans le sol, nous ne serions pas là.

M. MacKenzie : Je suis d’accord avec M. Siciliano. La santé des sols a été négligée parce que, dans le passé, nous avons traité les sols comme une ressource à extraire. Nous nous contentons de récolter les nutriments du sol, de les compiler dans les villes et de les jeter dans les toilettes et la gestion des eaux usées. Ce que nous devrions faire, c’est considérer le sol comme un organisme vivant, ou du moins comme la base d’un écosystème vivant qui a besoin d’être protégé. Cela rejoint la définition d’Henry Janzen. Toutes les définitions de la santé des sols comprennent une composante selon laquelle le sol est le fondement d’un écosystème vivant. Si nous pouvions changer la perception du public en lui faisant comprendre que c’est un organisme qui a besoin d’être protégé et nourri, nous serions en meilleure posture.

La bonne nouvelle, c’est que la santé des sols n’a jamais été aussi présente dans les médias populaires que de nos jours, avec des films comme Mission régénération. Les producteurs et les réalisateurs de Mission régénération sont en train de tourner un autre film sur la santé des sols. C’est leur stratégie. Des célébrités font la promotion de la santé des sols, ce qui permet au public de l’adopter à grande échelle. Je pense que nous avons besoin de plus d’éducation sur les sols.

La vice-présidente : En tant que sénatrice de l’Alberta, je voudrais me concentrer plus particulièrement sur l’impact de l’industrie des hydrocarbures sur la santé des sols. Les sols sont pollués de toutes sortes de façons, de la surutilisation de l’azote aux microplastiques. Vous êtes tous les deux des experts — je le sais parce que j’ai eu le privilège de vous rencontrer auparavant — de l’assainissement des sols et de l’impact de la production d’énergie sur les sols. Pouvez-vous nous parler de l’impact de la production des hydrocarbures sur la santé des sols? Que devons-nous faire pour assainir ces zones? Monsieur MacKenzie, je commencerai par vous.

M. MacKenzie : Ce sont d’excellentes questions.

Mon expérience porte davantage sur la mise en valeur des terres dans le cadre de la production pétrolière et gazière et moins sur l’assainissement, alors nous commencerons par là.

Le concept de santé des sols est bon pour tous les secteurs de l’environnement. Il est bon pour l’agriculture, pour la sylviculture et pour la mise en valeur des terres. Cependant, il est important de comprendre que la définition de la santé des sols sera différente dans chaque secteur et nécessitera probablement des stratégies de gestion différentes. Par exemple, un sol forestier sain n’est pas nécessairement un sol agricole sain. Dans tous les cas, nous essayons de promouvoir la fonction.

Dans le domaine de la mise en valeur des terres, le concept de la santé des sols est utile parce que nous essayons de régénérer ou de rétablir la fonction de l’écosystème. Je pense que l’utilisation des principes de restauration, d’écologie et de santé des sols nous aiderait à accélérer la mise en valeur des terres dans ces environnements. Honnêtement, en fin de compte, nous devrions probablement laisser le pétrole dans le sol et ne pas avoir à remettre en état ces terres.

La vice-présidente : Je vois ce que vous voulez dire. Vous ne voulez pas dire qu’il faut laisser les résidus dans le sol, n’est-ce pas?

M. MacKenzie : Ne pas s’attaquer à la ressource en premier lieu.

La vice-présidente : C’est plus facile à dire qu’à faire. Monsieur Siciliano?

M. Siciliano : C’est une question très difficile. Le fait est que si vous alliez à la principale conférence internationale sur la décontamination des sols et que vous demandiez à tous les participants — et il y a 10 000 délégués — combien d’entre eux ont déjà décontaminé un site, personne ne lèverait la main. Je suis passé par là, je le sais.

Comme vous le savez, dans cette ville en particulier, la pollution de la nappe phréatique est telle qu’il a fallu modifier les normes nationales pour qu’on puisse la boire. Auparavant, nous aurions dit que toutes ces substances étaient cancérigènes et qu’il était interdit de boire l’eau de la nappe phréatique. Ce n’est pas un problème de l’Alberta et de la Saskatchewan exclusivement; l’Ontario a de gros problèmes avec le trichloréthylène et d’autres solvants chlorés. En décontaminer la sous-surface est incroyablement complexe et de longue haleine.

Pour ma part, je pense que nous sommes sur la voie de solutions plus durables, en grande partie grâce aux progrès réalisés en Alberta. Je crois que la Saskatchewan est la province la plus récente à avoir adopté un nouveau projet de loi sur la réglementation. À mon avis, pour améliorer l’élimination des hydrocarbures, la meilleure chose à faire est de relancer le débat national sur la manière dont nous les gérons. Au début, les Maritimes ont ouvert la voie avec la Risk-Based Corrective Action de l’Atlantique. L’Ontario a plus ou moins fait ce que l’Environmental Protection Agency des États-Unis a fait dans les années 1970, puis s’est figé. Le Québec est dans son monde étrange de lignes directrices. L’un des avantages de la Saskatchewan, c’est qu’elle est arrivée la dernière, et que nous avons eu certaines des idées les plus intéressantes. La Colombie-Britannique s’en est inspirée en raison des problèmes liés aux conflits d’intérêts perçus.

À l’heure actuelle, les règles sont inégales dans tout le pays. Je pense qu’il y a là une occasion à l’échelle nationale de mettre tout le monde sur un pied d’égalité. Cela nous permettrait de commencer à traiter les problèmes à l’échelle nationale, de faire des progrès importants dans l’assainissement de ces sites et de comprendre ce que représente la décontamination d’un site. Tant que nous n’aurons pas fait cela, je ne pense pas que nous aurons une capacité durable d’assainissement de ces systèmes.

Le benzène tue encore beaucoup de gens. Nous ne savons toujours pas comment l’éliminer. Au lieu de cela, nous sommes passés au perfluorooctanesulfonate, ou PFOS, et aux microplastiques. Le nombre de personnes tuées par le benzène chaque année est bien plus important que ce qui se passe avec les microplastiques, mais au lieu de cela, le débat se concentre sur ce que j’appelle les « polluants de boutique » par opposition aux choses que nous utilisons tous les jours.

La vice-présidente : Je pense que je ne vais peut-être pas boire ma bonne eau du robinet d’Ottawa.

La sénatrice Jaffer : C’est une conversation très intéressante. Vous avez dit que la santé du sol est la santé humaine. Vous avez répondu à cette question, mais je vais vous la poser à nouveau. Dans certains endroits, le sol est imprégné de produits pétroliers et gaziers. En Colombie-Britannique, d’où je viens, lorsqu’une station-service est vendue, il faut parfois des années pour la décontaminer. Vous avez répondu à la sénatrice Simons, mais dites-le dans ma langue : que cela fait-il au sol et comment le nettoyer?

M. Siciliano : Je ne suis pas d’accord avec le groupe précédent. Le sol s’étend sur des mètres et des mètres de profondeur, et il ne s’agit pas seulement du centimètre supérieur. Sous ces stations-service, l’essence et le diésel restent longtemps dans le sol. L’une des meilleures façons de les éliminer, à mon avis, est d’ajouter un engrais qui aide à stimuler les organismes naturels pour les nettoyer. Cela prend beaucoup de temps. L’une des raisons pour lesquelles cela n’est pas souvent fait est que, d’un point de vue économique — les économistes utilisent ce que l’on appelle le « taux d’actualisation » —, il est plus efficace de remettre à plus tard, de sorte que l’on ne veut souvent pas entreprendre la décontamination. Mais la biologie prend beaucoup de temps pour nettoyer un système. Je ne suis pas sûr de répondre à votre question.

Essentiellement, pour décontaminer ces stations-service, nous travaillons avec la Federated Co-op of Saskatchewan pour trouver des moyens d’exploiter et d’assainir en même temps les stations-service. À l’heure actuelle, nous ne l’exigeons pas, et elles fuient toutes. Toutes les stations-service de ce pays ont des fuites, un point c’est tout. À Ottawa — je peux les montrer du doigt — elles ont toutes des fuites, peut-être de quelques litres seulement, mais c’est suffisant. Essayez de boire quelques litres d’essence et voyez comment vous vous sentez.

L’essence reste dans le sol et commence lentement à s’éliminer. Il n’est pas nécessaire de la déterrer, de l’aspirer ou de la brûler — croyez-moi, ce sont toutes des choses qui se font. Il suffit d’ajouter de l’engrais et de laisser agir les organismes naturels. L’avantage des hydrocarbures, c’est qu’ils sont d’origine naturelle. La plupart des organismes se dégraderont si vous aidez le sol à être plus sain. Je pense que c’est ce que M. MacKenzie dit constamment, ce qui est très bien. Un sol sain est un sol propre, et un sol sain se traduit par une meilleure santé humaine.

La sénatrice Jaffer : Voulez-vous ajouter quelque chose, monsieur MacKenzie?

M. MacKenzie : Non, c’est très bien. Je suis d’accord avec M. Siciliano.

Le sénateur Klyne : Monsieur Siciliano, j’aimerais vous poser une question au sujet d’une de vos recherches. Je suis à la recherche de résultats ou de leçons apprises qui pourraient s’appliquer à notre étude sur la santé, la dégradation et l’érosion des sols. Je dois dire, pour moi et pas forcément pour les autres, que vous devrez simplifier la réponse, si possible, comme si vous parliez à un amphithéâtre de grands-mères, afin que je puisse comprendre comment nous pouvons l’appliquer.

Le travail ou la recherche porte sur les sols polaires, en général, mais aussi plus particulièrement sur l’Antarctique et l’Arctique que vous avez étudiés en ce qui concerne la toxicologie, la production de gaz à effet de serre, les écosystèmes, le cycle de l’azote et les gaz, mais dans les déserts polaires. Qu’est-ce qui s’applique à nous sur ce plan? Y a-t-il quelque chose que vous avez appris et que nous pouvons appliquer ici?

M. Siciliano : Les déserts polaires sont l’une de ces choses auxquelles seuls moi et une autre personne nous intéressons.

Vous ne savez probablement pas que le Canada abrite la plupart des déserts polaires de la planète. Environ 1,6 million de kilomètres carrés du Nord canadien sont des déserts polaires. Nous extrayons beaucoup de ressources dans ces déserts, qui sont très fragiles. Les travaux menés dans l’Arctique et l’Antarctique nous montrent à quel point nos écosystèmes sont fragiles.

Le groupe précédent vous a expliqué comment les changements dans les pratiques agricoles ont rendu nos sols beaucoup plus résistants, et je pense que c’est là la principale leçon à tirer. Si nous rendons nos sols plus résistants en promouvant largement la santé des écosystèmes ou, comme l’a mentionné M. MacKenzie, en augmentant leur fonction, ils seront en mesure alors de faire face aux années difficiles.

Nous sommes sur le point d’entrer dans une année difficile en Saskatchewan. Nous n’avons pas encore d’humidité. Il n’y a pas encore de neige. Nous verrons ce qui se passera, mais il faut toucher du bois et espérer que nous aurons un peu d’humidité. Toutefois, grâce au travail accompli par les agriculteurs au cours des 20 dernières années, nos sols sont beaucoup plus résistants. De même, sur le plan de la pollution, c’est la même chose. Plus nos écosystèmes sont résilients, en d’autres termes, plus la nature, les plantes, les arbres, ce genre de processus aident un sol à croître et à vivre. C’est ce qui peut nous aider à avoir des systèmes en bonne santé et heureux.

Dans les régions polaires, dans l’Arctique canadien en particulier, il faut voir comment nous avons construit des infrastructures et comment nous avons perturbé ces sols et ces systèmes végétaux qui étaient fragiles et qui, par conséquent, ont continué à se dégrader, comparativement aux régions où les Inuits vivent encore et qui n’ont pas été touchées par ces infrastructures. Elles seront beaucoup plus résistantes. Comme vous le savez probablement, les personnes vivant dans ces systèmes seront également beaucoup plus heureuses et résilientes. C’est un cycle vertueux.

Si vous me le permettez, j’aimerais mentionner une chose à propos de l’institut de données. Hier, j’étais à Adélaïde. J’ai pris l’avion pour revenir d’Adélaïde après un certain temps — je ne sais trop comment cela fonctionne —, mais je suis ici aujourd’hui. J’y suis allé parce que les Australiens disposent d’une vaste base de données sur la santé des sols. Ils parrainent la création de 20 000 échantillons de sol comme base de référence pour le carbone, et j’y participais. Avant cela, ils avaient prélevé 20 000 autres échantillons pour une organisation plus générale de leurs sols. Ils en savent beaucoup plus. Lorsque je fais des prévisions sur l’impact du changement climatique sur la fonction et la santé des sols, je dois utiliser les bases de données australiennes parce qu’il n’y a pas de base de données canadienne qui peut le faire.

Le sénateur Klyne : Merci. Je pense avoir compris ce que vous avez dit.

La vice-présidente : Vous avez une minute si vous voulez poser une question complémentaire.

Le sénateur Klyne : Je me sens dépassé.

Le sénateur Cotter : Cette conversation me mène à deux questions.

Premièrement, l’Australie est également un pays fédéral. Comment gère-t-on cela en Australie? Je n’en sais pas assez sur la répartition des compétences en matière d’agriculture en Australie, mais comment se fait-il qu’ils s’en sortent si bien et nous si mal?

Deuxièmement, j’ai remarqué que vous avez travaillé dans le Nord. Nous avons entendu parler des risques dans le Nord concernant le pergélisol, le réchauffement climatique et la libération de CO2. Avez-vous une opinion sur la question, monsieur Siciliano?

M. Siciliano : Pour répondre à la première question, les Australiens ont une structure similaire à la nôtre. Ils ont mis en place une vaste réserve de financement ouverte à tous, de sorte que les entreprises et d’autres acteurs peuvent présenter des demandes. Des groupes, comme certains de ceux que nous avons vus ici, pouvaient y prétendre. Le mandat était de le faire à l’échelle fédérale. Quelle que soit l’activité, il fallait qu’elle se fasse à l’échelle nationale. Cela a permis d’éviter la mainmise d’un groupe précis, et c’est l’une des raisons pour lesquelles il en est ainsi. Ils ont ce genre de vision.

Au Canada, il y a toujours eu une lutte acharnée entre Agriculture Canada, Environnement Canada et le CRSNG, le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie, pour savoir qui était responsable. Agriculture et Agroalimentaire Canada gère les sols pour l’agriculture. Environnement Canada gère les sols pour l’environnement. Le CRSNG autorise la recherche sur les sols, mais ne veut pas vraiment soutenir les projets qui aident l’agriculture. C’est un processus balkanisé dont nous subissons les conséquences. Récemment, il m’a semblé — à moi qui ne suis qu’un simple péon dans ce système, un sous-fifre, ou je ne sais quel autre qualificatif associé à la profession de professeur — que l’on s’éloignait enfin de cette balkanisation, mais c’est l’héritage dans lequel nous vivons.

En ce qui concerne les sols de l’Arctique, ils courent un risque énorme, tout simplement énorme. N’oubliez pas que la plupart de ces infrastructures sont construites sur du pergélisol qui va certainement dégeler. La quantité de méthane qui est sur le point d’être libérée des sols arctiques pourrait être énorme. Tout dépend de la rapidité du dégel. C’est un projet compliqué. Pour les habitants de la région, je ne sais pas si les sols sont le plus gros problème. Je pense qu’il y a d’autres problèmes, comme la montée du niveau de la mer. Si vous avez visité les collectivités de l’Arctique, vous savez à quel point elles sont proches du niveau de la mer. Les risques pour la santé humaine liés aux habitations et à ce genre de choses sont assez importants. En ce qui concerne les sols, je dirais que l’oxyde nitreux ne sera pas un problème. Ce sera probablement le méthane et l’instabilité structurelle. Imaginez que ce bâtiment s’effondre, ce qui pourrait facilement arriver. Ce sont là les principaux risques. Je pense que notre communauté du génie serait prête à nous aider à démarrer. Nous devons commencer à planifier dès maintenant ce que l’infrastructure devra être capable de supporter dans 30 ans, par exemple, sur la route de Dempster. Je ne sais pas s’il existe un programme fédéral à cet effet. J’espère que c’est le cas.

La vice-présidente : Monsieur MacKenzie, vouliez-vous répondre à cette question sur la nature fédérale de la base de données?

M. MacKenzie : Oui, j’aimerais ajouter quelque chose à cette réponse. Il est intéressant de constater que le gouvernement australien dispose d’un important réservoir de financement. Je voulais juste attirer l’attention de ce comité sur le fait que le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ou CRSNG, et le Conseil de recherches en sciences humaines, ou CRSH, cofinancent une subvention cette année — les propositions devaient être déposées en novembre — dans le cadre de l’Initiative de soutien à la recherche pour une agriculture durable. Il y avait une quantité importante de fonds disponibles pour la recherche nationale, et l’une des propositions à laquelle j’ai été associé concernait un grand projet de base de données. Le travail a donc commencé ou va commencer. Si ce projet est financé, ce travail s’enclenchera, mais je précise que nous aurons toujours besoin d’un institut pour héberger la base de données plus tard. Je pense qu’il s’agit d’une initiative de recherche nationale menée par des laboratoires de recherche, et qu’il faut toujours prévoir la création d’un institut qui prend la relève de tout le travail qu’ils vont faire et contribue à son administration à long terme. J’espère que ce projet sera financé et que nous pourrons trouver les fonds nécessaires pour appuyer la création d’un institut à l’avenir.

La vice-présidente : Monsieur Siciliano, vous avez cité au début de votre déclaration liminaire des chiffres vraiment choquants sur les décès liés à la toxicité des sols. Je me demande si vous pourriez nous en dire un peu plus sur ces chiffres. Le benzène est-il l’agent principal? Quels sont les polluants les plus toxiques qui se trouvent dans nos sols à l’heure actuelle?

M. Siciliano : Un grand nombre de ces décès sont dus à la pollution des sols par les métaux lourds. Par exemple, dans une étude menée à Iqaluit, les principaux risques sont liés au niveau élevé de chrome dans la poussière de route, pas toute la poussière de route, mais selon l’endroit d’où proviennent les agrégats. Lorsque nous pensons à ces décès, ils sont en grande partie dus aux métaux lourds qui sont soit entraînés dans la poussière que nous inhalons, soit...

La vice-présidente : Ces métaux lourds sont-ils présents dans le sol?

M. Siciliano : Oui. Ils sont naturellement présents.

La vice-présidente : Ce n’est pas nous qui introduisons les polluants?

M. Siciliano : Nous avons creusé les agrégats, nous les avons concassés, nous les avons transformés en routes de gravier et nous roulons dessus. On s’en met sur les mains et on en mange. Mais en général, il ne descend pas jusqu’aux poumons. Au lieu de cela, il remonte dans votre estomac où vous l’ingérez. C’est donc une poussière naturelle. Si vous vous trouvez à proximité d’un endroit où le sol contient déjà beaucoup de métaux lourds, comme c’est le cas dans une grande partie du Canada — l’une des raisons pour lesquelles notre industrie minière est si prospère est la présence de nombreux métaux lourds —, vous aurez des taux élevés.

L’autre élément important est la pollution de l’eau. Un sol contaminé signifie une eau contaminée. Les deux se rejoignent. Il en résulte que l’eau que les gens boivent contient également ces types de polluants.

Les métaux lourds sont le principal facteur de pollution à l’échelle mondiale, suivis du benzène. Le benzène et tous les mélanges d’hydrocarbures sont les plus persistants et provoquent des cancers à des niveaux très faibles. Ce sont donc les deux principaux facteurs.

Le troisième — si je devais en choisir un troisième — serait les solvants chlorés, comme à Ottawa, qui proviennent de l’industrie électronique ou de l’industrie aéronautique. Les solvants utilisés pour l’électronique sont chlorés; ils s’infiltrent dans les eaux souterraines; ils sont très cancérigènes. Ils étaient également utilisés dans le nettoyage à sec. Les nettoyeurs à sec ne les utilisent plus, mais c’est pour cela que l’on parle de « solvants de nettoyage à sec ». Ils sont en fait présents dans la plupart des produits électroniques.

La vice-présidente : Je vis en Alberta. Nous avons encore beaucoup de routes en gravier. Il ne m’est jamais venu à l’esprit que les routes en gravier pouvaient être toxiques pour la santé humaine. Êtes-vous littéralement en train de dire que si les provinces des Prairies comme l’Alberta et la Saskatchewan asphaltent davantage leurs routes en gravier, nous serons en meilleure santé et nos sols seront plus sains? Je suppose que ceux d’entre nous qui viennent des Prairies ont déjà emprunté une route en gravier, et que la poussière s’envole et va dans les champs à côté.

M. Siciliano : Je pense que les routes en gravier ne posent pas de problèmes, sauf si vous les léchez. La plupart des gens ne le font pas.

La vice-présidente : Ce n’est pas mon habitude.

M. Siciliano : Imaginez une ferme située au bord d’une route en gravier. La poussière monte et retombe. Vous pourriez paver la route de gravier. Cela coûterait très cher. La plupart des propriétaires de fermes ont fait naturellement ce qu’il faut et ont planté des arbres et des arbustes pour intercepter la poussière. À Iqaluit, nous l’avons constaté parce que c’est un centre urbain dont les routes ne sont pas asphaltées, mais en gravier, qui n’a ni arbres ni buissons, et cela est donc un facteur déterminant. Je recommanderais des initiatives pour verdir ces espaces et, au besoin, les asphalter — ce sont les deux aspects. Je ne pense pas qu’il faille asphalter toutes les routes en gravier. Je dirais que dans les endroits où il y a des villages et des hameaux, comme là où j’ai grandi, il serait bon de les asphalter.

La vice-présidente : On peut supposer qu’il y a aussi des conséquences pour l’agriculture, car ce n’est pas seulement pour l’agriculteur qui vit le long de la route. Ce sont les cultures de canola et de blé qui sont touchées par les métaux lourds. Ou n’est-ce pas un problème? Est-ce qu’il y a un cycle naturel?

M. Siciliano : Oui, ce n’est pas un problème. C’est plus pour nous en raison du genre d’interaction que nous avons. Ce n’est pas un problème pour les animaux sauvages parce qu’ils ne vivent pas assez longtemps pour avoir un cancer. C’est pour nous, les humains, qui vivent longtemps, et en particulier nos enfants, qui sont vraiment susceptibles d’avoir un cancer.

La sénatrice Osler : Je vais poursuivre un peu cette question et demander à M. Siciliano d’expliquer un peu plus la question qui vient d’être soulevée sur la façon dont les solvants, les métaux lourds et le benzène affectent la santé humaine. Il y a une étape, je pense, dans le fait que les humains ont été exposés à ces composés, les ont inhalés ou ingérés. Nous n’allons pas examiner quelqu’un comme un médecin et lui dire : « Regardez, il y a du benzène, et c’est comme ça que vous allez mourir. » Le benzène est un composé cancérigène. Peut-être, pour le compte rendu et pour éclairer ce comité pourriez-vous parler de l’exposition aux métaux lourds, au benzène et aux solvants, sans forcément entrer dans les détails? Lorsqu’elles pénètrent dans notre corps, ces substances exacerbent-elles des conditions sous-jacentes? Sont‑elles cancérigènes? Provoquent-elles une fibrose pulmonaire? Sans entrer dans les détails, quel est le lien entre l’exposition et la mort?

M. Siciliano : Bien sûr, je pense que vous venez d’en donner les grandes lignes. Nous sommes exposés à la terre. Elle se trouve sur nos mains ou dans l’air, et nous la respirons dans nos poumons, mais normalement elle se trouve dans notre estomac où elle est traitée, puis nous la déféquons. Nous introduisons également à long terme certains de ces polluants dans notre corps, ce qui peut entraîner des effets cancérigènes ou des maladies auto-immunes. C’est l’une des raisons pour lesquelles les gens ont postulé que les Prairies, en particulier la Saskatchewan, ont un taux élevé de sclérose en plaques. On ne se rend pas compte avant d’être en Saskatchewan que l’on connaît beaucoup de personnes atteintes de sclérose en plaques. J’imagine qu’en tant qu’Ontariens, vous n’avez peut-être pas de personnes atteintes de cette maladie dans votre cercle privé. J’ai trois personnes dans mon cercle privé qui sont atteintes de sclérose en plaques. Il en va de même pour l’Alberta et le Manitoba.

Les enfants sont très vulnérables parce que, tout d’abord, ils sont plus sales et ils ont souvent les mains dans la bouche. Ils sont également plus proches du sol et ingèrent donc plus de poussière. Tout comme les jeunes porcs, ils mangent à peu près tout. Par conséquent, ils sont relativement petits, respirent beaucoup, mangent beaucoup et sont sales, de sorte que, proportionnellement, ils absorbent beaucoup plus de terre. Si ce sol contient des polluants, comme du benzène ou des métaux lourds, cela aura des répercussions à long terme sur leur santé. Très peu d’enfants exposés à un sol contaminé tombent malades deux jours plus tard. Normalement, il faut 20 ou 25 ans pour qu’un cancer se manifeste. Ce que je dis à mes étudiants, c’est que ce qu’ils font aujourd’hui leur donnera un cancer à l’âge de 45 ans, ce qui, en général, leur donne des raisons de s’inquiéter. Les expositions subies pendant l’enfance commencent normalement à se manifester dans la vingtaine. La meilleure chose que l’on puisse faire pour améliorer la santé des enfants — et c’est un des points que j’ai soulignés dans mon mémoire —, c’est de verdir ces espaces afin qu’ils ne jouent pas dans la terre, mais sur l’herbe et dans les arbres. Il faut éviter la poussière autant que possible. Ce sont là les grandes choses qui nous aideront.

L’autre élément que je n’ai pas eu l’occasion de mentionner est la poussière domestique. Le gouvernement fédéral a commandité une étude sur les poussières domestiques, puis l’a mise de côté parce qu’elle était si effrayante que personne ne voulait l’examiner. Les maisons de la plupart des gens seraient considérées comme des sites contaminés. Je suis un véritable rayon de soleil, n’est-ce pas? La difficulté réside dans le fait qu’il existe un lien entre la saleté de l’intérieur de votre maison et la nature du sol où elle se trouve, mais cela dépend aussi de l’âge de votre maison. Cela dépend également de l’âge de votre maison, de votre système de chauffage, de vos stores et de la peinture utilisée pour la maison. À Terre-Neuve, il ne fait aucun doute que certaines peintures utilisées contiennent 50 % de plomb en poids. Manger ces copeaux de plomb empoisonnera certainement de nombreuses personnes. Si cette peinture est très répandue sur la côte Est, c’est qu’elle résiste très bien à l’influence de la mer sur la peinture.

Je m’égare un peu, mais tous ces éléments combinés ont des répercussions à long terme sur la santé. Il faut du temps pour qu’ils se manifestent.

Le sénateur Wells : J’ai une remarque à faire. Dans beaucoup de vieilles maisons, et ma maison a 200 ans, il n’y a que de la peinture à l’huile et au plomb à cause de l’aspect marin que vous avez mentionné. Je le vois bien, mais je n’y pensais pas trop — jusqu’à présent.

La vice-présidente : Il nous reste un peu de temps, je vais donc profiter de la prérogative de la présidence pour poser une dernière question à M. MacKenzie.

Lorsque j’ai eu le privilège de visiter vos laboratoires à Edmonton cet été, vous m’avez montré des tiroirs et des tiroirs de carottes de sol qui avaient été recueillies au fil des décennies et des générations. C’était fascinant de voir les différents échantillons provenant de toutes les régions de la province. Mais vous m’avez fait part de votre frustration d’avoir des tiroirs et des tiroirs de carottes de sol et aucun moyen de relier cet ensemble de données fondamentales à quoi que ce soit d’autre. J’imagine que les pédologues partout au Canada ont des collections semblables. Vous parliez de l’intégration des ensembles de données, mais comment intégrer les connaissances réelles qui résident dans ces exemples physiques pour s’assurer qu’ils ne se contentent pas d’accumuler de la poussière toxique dans les bâtiments des sciences de la Terre?

M. MacKenzie : C’est une excellente question. C’est intéressant. Comme nous l’avons entendu lors du premier groupe de témoins, les universitaires du pays travaillent beaucoup sur l’éducation en matière de sols. Il existe de nombreuses ressources sur Internet. Par exemple, certains pédologues de l’Université de la Colombie-Britannique et mon projet sont à l’avant-garde de l’éducation et de la création de ressources Internet pour l’éducation en matière de sols. Ces ressources sont libres. Par exemple, la Société canadienne de la science du sol a produit un manuel intitulé Digging into Canadian Soils — creuser dans les sols canadiens — qui est mis gratuitement à la disposition des étudiants en science du sol dans les universités. Une partie de l’initiative d’éducation devra inclure certaines de ces ressources qui se trouvent dans les laboratoires — ces monolithes de sol qui sont des outils d’enseignement — en prenant des photos détaillées et à haute résolution qui pourront être utilisées comme ressources d’enseignement dans tout le pays.

Je voulais également aborder l’idée mentionnée par M. Siciliano. L’Australie prélève des échantillons de sol archivés et les intègre à la base de données. Nous essayons de faire la même chose au Canada dans le cadre de la proposition de base de données nationale sur les sols. Il y a probablement 100 000 échantillons de sol archivés dans tout le pays, voire plus, qui contiennent des données physicochimiques recueillies au cours des 50 à 100 dernières années. Nous disposons d’échantillons de sol vieux de 100 ans avec des données physicochimiques dans les parcelles de Breton en Alberta et à la station de recherche d’Agriculture et Agroalimentaire Canada à Lethbridge. Ces échantillons peuvent être réanalysés aujourd’hui à l’aide de techniques spectroscopiques modernes pour générer des bibliothèques de données spectroscopiques et de données physicochimiques qui seront utilisées à l’avenir avec l’équipement de bord pour générer des données spectroscopiques. Nous devons prendre ces échantillons archivés et commencer à leur apposer un code à barres ou un code QR, les entrer dans la base de données avec leurs données physicochimiques connexes et générer des données spectrales à partir de ces échantillons. C’est une autre façon d’utiliser ces ressources que nous recueillons depuis 100 ans. Elles sont précieuses. Beaucoup d’argent a été dépensé pour les acquérir et elles ont encore beaucoup de valeur aujourd’hui.

La vice-présidente : Merci beaucoup, messieurs Siciliano et MacKenzie, de votre participation, même si je ne regarderai peut-être plus jamais un verre d’eau du robinet à Ottawa de la même façon.

J’aimerais également remercier tous les membres du comité pour leur participation active et leurs questions réfléchies. Comme toujours, je voudrais profiter de ce moment pour remercier tout le personnel qui soutient le travail du comité. Merci aux interprètes, à l’équipe des débats qui transcrit la réunion, au préposé à la salle des comités, au technicien des services multimédias, à l’équipe de la radiodiffusion, au Centre d’enregistrement, à la Direction des services de l’information et à notre merveilleux page du Sénat.

Notre prochaine réunion est prévue pour le jeudi 14 décembre, à 9 heures, quand nous continuerons d’entendre des témoins sur l’étude du comité sur la santé des sols.

(La séance est levée.)

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