LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 6 février 2024
Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui avec vidéoconférence, à 18 h 30 (HE), afin d’examiner pour en faire rapport l’état de la santé des sols au Canada.
Le sénateur Robert Black (le président) occupe le fauteuil
[Traduction]
Le président : Bonjour à tous et bienvenue à notre séance d’hiver. Pour commencer, j’aimerais souhaiter la bienvenue aux membres du comité et à nos témoins, ainsi qu’aux personnes qui regardent la réunion en ligne. Je m’appelle Rob Black. Je suis sénateur de l’Ontario et président du comité.
Aujourd’hui, le comité se réunit afin d’examiner pour en faire rapport l’état de la santé des sols au Canada.
Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais commencer par demander aux sénateurs autour de la table de se présenter, en commençant par notre vice-présidente.
La sénatrice Simons : Bonjour. Je suis la sénatrice Paula Simons de l’Alberta, territoire visé par le Traité no 6.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Jean-Guy Dagenais, du Québec.
La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.
Le sénateur Dalphond : Pierre J. Dalphond, du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Cotter : Bonsoir. Je suis Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan.
Le président : Avant de commencer, j’aimerais vous faire part d’un cadeau que j’ai reçu à Noël de la part de mon cousin Morley Trask, qui vient d’Alma, en Ontario. C’est une citation de Paul Harvey, qui était un animateur à la radio américaine pour ABC News, né en 1918 et décédé en 2009. C’est le gars qui disait « Et maintenant, le reste de l’histoire ». La citation va comme suit :
L’homme — malgré ses prétentions artistiques, son raffinement et ses nombreuses réalisations — doit son existence à une couche de terre arable de six pouces et au fait qu’il pleut.
Je me suis dit que c’était approprié de vous en faire part ce soir, et je remercie mon cousin Morley Trask.
Nous recevons aujourd’hui dans notre premier groupe des témoins établis en Australie. Ce soir, nous accueillons Hugh Harley, professeur de pratique, Économie mondiale, Université de Sydney; et Ravi Naidu, directeur général et administrateur délégué de crcCare, qui se joint aujourd’hui à nous depuis les îles Fidji.
J’invite les témoins à présenter leur exposé. Nous commencerons par M. Naidu, qui sera suivi de M. Harley. Lorsque je lèverai la main, cela voudra dire qu’il vous reste une minute, et lorsque les deux mains seront levées, ce sera le temps de conclure. La parole est à vous, monsieur Naidu.
Ravi Naidu, directeur général et administrateur délégué, crcCARE : Honorables sénateurs et sénatrices, merci beaucoup de m’avoir invité à vous parler du sujet critique de la santé des sols. Je suis Australien, mais je me trouve en ce moment aux îles Fidji.
Je reconnais l’engagement du Sénat de relever les défis mondiaux urgents; par conséquent, je suis impatient de contribuer à l’examen d’une question qui transcende les frontières et influe sur le bien-être de notre planète.
La démarche « Une seule santé », promue par l’Organisation mondiale de la Santé, insiste sur l’interdépendance de la santé de l’environnement, des animaux et des humains. Lorsque l’on examine les trois piliers, il devient apparent que la santé de l’environnement, en particulier le bien-être du sol, revêt une importance primordiale.
Comme nous le savons tous, le sol est une entité vivante. Il abrite des millions de micro-organismes. Il est fondamental pour préserver la vie et la biodiversité. Les conséquences néfastes de la dégradation du sol et des polluants sur la communauté microbienne du sol sont profondes. Cette perturbation a des répercussions de grande portée sur le changement climatique, car elle influe sur le cycle biogéochimique, y compris le recyclage du carbone et des nutriments, une chose que nous ne voyons pas souvent.
Le sol constitue une partie essentielle de la zone critique de la Terre, et la zone critique est la partie qui s’étend de la surface des arbres jusqu’aux eaux souterraines. Donc, de telles conséquences mettent en péril non seulement la santé animale et humaine, mais également la sécurité alimentaire et le commerce, sans oublier que la zone critique comprend également l’air que nous respirons.
Un sol en santé doit être considéré comme la pierre angulaire de l’approche « Une seule santé », une toile interdépendante reliant la santé des écosystèmes, des plantes, des animaux et des humains. Le sol, qui grouille d’une foule de micro-organismes, la microfaune, la méiofaune et la macrofaune, est un architecte silencieux de la subsistance de la vie. Il fournit le substrat, les nutriments et les connexions entre les organismes nécessaires à la croissance des cultures qui nous nourrissent, et alimente divers écosystèmes en plus de nourrir d’innombrables espèces.
Dans l’approche Une seule santé, on ne saurait trop insister sur l’importance des sols sains. Des sols riches en nutriments produisent des cultures riches en nutriments, ce qui constitue le fondement d’un régime équilibré essentiel au bien-être des humains et à la croissance saine du bétail, de la volaille et d’autres animaux. À l’inverse, des sols dégradés compromettent le contenu en nutriments de la qualité de nos aliments, ce qui aggrave les problèmes de santé.
En outre, des sols sains agissent comme un tampon naturel contre la propagation des polluants et des maladies. Des sols biodiversifiés constituent une barrière résiliente contre les pathogènes, ce qui empêche leur transmission aux plantes, aux animaux et, au final, aux humains. Des sols sains sont aussi plus résilients et à même de retenir et d’immobiliser les polluants chimiques qui pénètrent l’écosystème. Le sol agit comme une éponge, retenant et filtrant l’eau, ce qui influe directement sur la qualité des ressources en eau, protégeant les collectivités contre les maladies et la pollution d’origine hydrique. En effet, tout polluant qui pénètre le système du sol nuit à la santé du sol.
Les sols abritent jusqu’à 60 % de la biodiversité terrestre, voire plus puisque nous ne connaissons encore qu’une toute petite partie des organismes qui vivent sous nos pieds. La protection de la biodiversité en surface et souterraine doit donc commencer par la protection du grand écosystème qui les soutient.
Il doit y avoir des débats sur la façon d’ancrer la surveillance, la protection et la gestion durable du sol dans les mécanismes et les initiatives axés sur la démarche Une seule santé.
Au Canada, les sols canadiens sont généralement bien entretenus, même avec un labourage minime, mais il reste des défis à relever, ce qui comprend les faibles niveaux de cadmium et une contamination diffuse par les pesticides. La vigilance et les efforts de collaboration sont essentiels pour réagir à ces préoccupations et protéger notre système de santé du sol.
En tant que pays industrialisé, le Canada a un rôle unique à jouer pour reconnaître que la responsabilité de la santé optimale nous appartient à tous. Alors que nous accordons la priorité à la démarche Une seule santé, les stratégies de gestion du sol, y compris une approche axée sur les risques, deviennent essentielles.
Je nous imagine, en particulier le Canada et d’autres pays, en train de transmettre notre expertise aux pays en développement, surtout en Amérique du Sud, en Afrique et dans les États insulaires, ce qui est impératif. Cette sensibilisation peut accroître les efforts mondiaux visant à régler les problèmes de santé du sol et à promouvoir des pratiques durables.
Les principaux obstacles à l’intégration des sols dans l’approche Une seule santé sont les suivants : de nombreux humains sont déconnectés de la terre et du sol; dans de nombreux pays, les sols sont considérés comme un actif économique, contrairement à la perception des peuples autochtones et des populations rurales, qui voient la terre et le sol comme la « mère »; un manque de sensibilisation à l’égard de l’importance de sols sains; des actions principalement motivées par des accidents et des impacts, par exemple, des accidents causés par la pollution et des éclosions de maladies, et non pas par une approche fondée sur la prudence et la prévention. Des régimes plus sains, plus nutritifs et plus diversifiés ne sont pas bien établis comme solution permettant de réaliser la démarche Une seule santé.
Les principales lacunes pour surmonter ces obstacles sont le manque de données probantes sur les conséquences de la dégradation du sol sur la santé des sols, ainsi que la santé environnementale, animale et humaine; le manque de renseignements sur les répercussions économiques de la dégradation du sol; et le manque d’attention accordé aux sols à toutes les phases de l’enseignement, surtout dans les formations menant à des diplômes universitaires en santé.
Voici quelques suggestions : nous devons rendre le sol intéressant et promouvoir des activités qui permettent aux populations de se reconnecter au monde; il faut reconnaître l’importance de la Journée mondiale des sols, et la santé des sols et l’approche Une seule santé devraient en faire partie; une prise de conscience est nécessaire, en ce qui concerne les avantages sur la santé et l’environnement, en faisant appel aux sentiments et en créant des parallèles entre la santé des humains, des animaux et du sol; nous avons besoin des outils existants pour gérer les sols et nous devons analyser les métadonnées et adopter une approche fondée sur l’apprentissage automatique.
Sur ce, je vais terminer en disant que nous devrions nous attacher à relier les points de l’approche Une seule santé en utilisant un vaste éventail de systèmes de renseignements, de surveillance et de suivi pour la santé des animaux, des humains, des plantes et du sol. En terminant, je demande humblement le soutien du Sénat pour explorer des avenues d’action collaborative. En mettant à profit l’expertise canadienne et en sollicitant des partenariats, nous pouvons contribuer à un avenir durable pour les Canadiens et d’autres pays également.
Je vous remercie de votre attention concernant cette question critique. Je suis impatient de pouvoir contribuer au dialogue sur la santé des sols. Merci beaucoup de m’avoir accueilli.
Le président : Merci, monsieur Naidu. Je suis heureux de vous revoir. Nous nous sommes croisés en juillet dernier. Cinq minutes, c’est très rapide, n’est-ce pas? Je vous le dis.
Monsieur Harley, la parole est à vous.
Hugh Harley, professeur de pratique, Université de Sydney, à titre personnel : Merci beaucoup, sénateur Black, et merci à vous tous de m’écouter.
J’aimerais parler brièvement du Global Soil Health Programme, une initiative conjointe des universités de Sydney et de Glasgow. Je l’ai dirigé en tant qu’ancien banquier, mais le principal moteur est le professeur John Crawford, de l’Université de Glasgow. Notre objectif déclaré est d’essayer d’améliorer de 60 % les sols du monde entier au cours des dix prochaines années.
Je veux renforcer les points soulevés par M. Naidu concernant l’importance du sol, mais ensuite faire valoir que, sur les trois biosphères — les océans, l’atmosphère et le sol — l’humanité en sait maintenant assez au sujet du sol pour pouvoir l’améliorer. D’ici dix ans, nous espérons pouvoir ralentir les dommages causés à l’atmosphère et aux océans, mais avec le sol, nous en savons assez, si l’humanité décidait d’adopter un point de vue concerté, pour pouvoir améliorer de façon importante la qualité des sols. C’est exactement ce qui motive ce programme.
Je veux toutefois insister sur le fait que nous avons conclu que le principal obstacle est non pas la science et les politiques, mais l’économie, et cela s’explique par deux raisons principales. La première est que, si nous voulons arriver à améliorer de façon importante les sols, il faudra une transition généralisée chez les agriculteurs entre ce que nous pourrions appeler des solutions chimiques clé en main et des solutions axées sur la fertilité des sols, la biologie et l’écologie. Le défi, c’est que, presque toujours, ces solutions naturelles nécessitent plus de dépenses, plus d’efforts et une flexibilité exigeant plus de complexité de la part des agriculteurs dans leur collectivité, et elles sont beaucoup plus sensibles aux conditions locales. L’un des messages les plus frappants qui ressortent de nos recherches, c’est que les agriculteurs nous disent : « Nous pouvons voir l’avantage pour l’environnement. Nous ne pouvons tout simplement pas voir l’avantage de ces différentes pratiques pour nous. » C’est un problème classique d’externalité. Les agriculteurs assument généralement les coûts, alors que la communauté élargie se partage les bénéfices, et je soupçonne que c’est ce que nous sommes en train de voir dans les rues de Paris à l’heure actuelle. Bien sûr, cela tient compte, malgré tout, du fait que le sol a le coût le plus faible la tonne pour l’élimination du carbone dans l’atmosphère, suivi un peu plus loin des forêts, puis beaucoup plus loin d’autres options.
La deuxième raison pour laquelle il s’agit d’une difficulté économique, c’est que nous devons être en mesure de comprendre comment mettre à l’échelle les changements exigés assez rapidement pour répondre aux exhortations de la communauté scientifique, qui nous dit que c’est la décennie où doit se produire une amélioration critique de l’environnement. Ce faisant, nous devons comprendre comment obtenir la bonne rétroaction pour apprendre au fur et à mesure.
Le fait qu’il s’agisse principalement d’un problème économique et non seulement scientifique est exactement la raison pour laquelle ce programme a été dirigé par l’École d’économie de l’Université de Sydney et l’Adam Smith Business School à Glasgow, et pour laquelle nous nous sommes tant efforcés de travailler avec des multinationales comme Microsoft, Shell, Bayer, BASF, Rabobank et Swiss Re, ainsi que les grandes institutions publiques mondiales comme la FAO, les Nations unies, l’OCDE, le Forum économique mondial et ainsi de suite.
En ce qui concerne les quatre tâches critiques que nous avons recensées, premièrement, nous devons fournir aux agriculteurs et à d’autres gardiens du sol des outils d’information clé pour les aider à régler les nombreux problèmes qu’ils constatent. Deuxièmement, nous devons prévoir des mesures rentables, des rapports et des vérifications à l’échelle voulue afin de pouvoir agir et mesurer les actions visant à restaurer la santé des sols. Troisièmement, nous devons être en mesure d’influencer les incitatifs dans la chaîne alimentaire pour encourager le niveau d’investissement dans l’agriculture requis pour augmenter le salaire des agriculteurs, de manière à favoriser les investissements nécessaires à la ferme. Enfin, nous devons continuer de travailler à résoudre les incertitudes scientifiques concernant le fonctionnement du système du sol.
En bref, notre pierre angulaire consiste à trouver des moyens d’aider les agriculteurs à prendre les mesures qui ont une incidence positive sur le sol tout en travaillant à améliorer la science du sol et à créer une boucle d’apprentissage.
L’année 2023 a été frustrante pour nous. Nous pensions recevoir de l’Amérique du Nord un appui philanthropique très important dépassant le milliard de dollars pour ce programme. Malheureusement, à la fin de l’année dernière, il s’est évaporé. Cela a été un obstacle de taille pour nous. Dans mes notes, j’énumère certaines des activités que nous allions mener, mais vu le temps dont nous disposons, je vais faire comme si je les avais nommées.
Je vois que le sénateur Black a les mains levées, alors je vais bientôt terminer.
J’aimerais mentionner que nous comprenons maintenant que, si nous voulons réaliser des progrès à ce sujet, nous devrons nous tourner vers la tendance générale et mener des activités à but lucratif. En particulier, nous avons très hâte de nous appuyer sur le travail que nous faisons pour permettre un échange de renseignements entre les agriculteurs eux-mêmes et les agriculteurs et les chercheurs. Nous pensons que si nous pouvons créer suffisamment de liens, nous pourrons générer une croissance rapide et exponentielle de l’innovation.
J’aimerais également dire qu’il est clair que le monde est maintenant beaucoup plus prudent en ce qui concerne les investissements privés dans ces affaires.
Pour conclure, je veux soulever deux points. Premièrement, j’aimerais insister sur le fait qu’il y a une façon de voir le verre à moitié plein. À tout le moins avec le sol, il y a des propriétés privées, contrairement aux océans et à l’atmosphère. Des programmes gouvernementaux bien conçus peuvent mettre à profit ces incitatifs privés pour assurer une bonne intendance du sol, d’une manière impossible à faire avec les océans et l’atmosphère. Je pense que c’est l’une des principales raisons pour lesquelles il s’agit d’une aussi grande occasion pour l’humanité.
Le dernier point que j’aimerais soulever, c’est qu’il reste toujours de grandes lacunes dans les rapports et les vérifications des mesures rentables. Il demeure de grandes lacunes dans les codes relatifs au carbone du sol. Nous avons besoin d’un pays qui se fasse le champion national de la question. Cela ne viendra pas des investissements privés. Avec tout le respect que je vous dois, j’espère que vous comprenez pourquoi je pense que le Canada devrait être ce champion formidable de la question, compte tenu du potentiel pour vous d’être un pays qui pourrait, dans l’ensemble, nonobstant les microperturbations, bénéficier du changement climatique, pour autant que nous le maintenions dans des limites raisonnables.
Sur ce, mesdames et messieurs, je vous remercie de m’avoir écouté, et je suis aussi impatient de dialoguer avec vous.
Le président : Merci beaucoup, monsieur Harley.
Monsieur Naidu et monsieur Harley, vos témoignages ont été formidables. Nous allons passer aux questions.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup à nos invités de vous être adressés à nous depuis le futur, parce qu’il est déjà demain chez vous. Peut-être que c’est une métaphore qui décrit bien la situation.
Monsieur Naidu, j’ai eu la chance d’écouter votre discours inspirant lors de l’assemblée plénière mondiale sur les sols, tenue à Rome l’été dernier. Je me demande si vous pouvez nous parler ce soir un peu plus du lien entre des sols sains, la pollution et les infections. Nous avons entendu de nombreux experts des sols dans le cadre de notre étude, mais je pense que personne auparavant ne nous a dit que le sol peut nous protéger contre les maladies, qu’elles soient végétales ou humaines. Je me demande si vous pouvez nous parler un peu plus de ce sujet. Quels sont les risques que la pollution vienne contrecarrer ce service que nous rendent les sols?
M. Naidu : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Simons, et je suis ravi de vous revoir.
crcCare est un centre de recherche coopératif axé sur l’évaluation de la contamination et l’assainissement de l’environnement, soutenu par la défense australienne, des sociétés minières, des administrations réglementaires et des industries de l’eau. Notre travail porte donc sur les polluants. L’exposé portait essentiellement sur ce que nous faisons non seulement dans les pays industrialisés, mais aussi dans les pays en développement.
Du point de vue de la pollution, nous sommes confrontés à près de 10 millions de sites potentiellement pollués à l’échelle mondiale, et chaque terre agricole contient une certaine dose de métaux toxiques. Bien sûr, vous pouvez manger ce sol, et cela ne va pas vous tuer, parce que les concentrations sont très faibles, mais ces polluants ont un potentiel de bioaccumulation dans les plantes. Pour cette raison, les [difficultés techniques] exposent une voie d’accès aux systèmes humains par la nourriture. De même, lorsque vous faites pâturer le bétail, par exemple, et que vous fournissez des nutriments au moyen d’engrais, notamment, nous utiliserons souvent des effluents ayant subi un traitement secondaire. Ces polluants peuvent ensuite s’écouler du sol jusqu’aux pâturages et jusqu’aux humains également.
On dispose maintenant de suffisamment de données probantes, et nous étions dans une réunion de l’Organisation mondiale de la santé à Bil’in, en Israël, où l’on pouvait voir un lien entre les polluants et de nombreuses maladies humaines, sans oublier que 75 % des bébés dans l’utérus de la mère sont déjà exposés à des polluants dans leur sérum. On dispose aussi de données probantes à ce sujet. Le cancer est un exemple. Le diabète en est un autre, et il y a de nombreuses autres maladies qui ont été associées. Souvent, nous oublions que tout commence à la base, c’est-à-dire le sol.
Les polluants dans le sol font deux choses : premièrement, comme je l’ai mentionné, ils peuvent se bioaccumuler dans les plantes et les pâturages. Deuxièmement — et c’est ce qui nous a fait défaut — les plus faibles niveaux de polluants peuvent avoir des répercussions néfastes sur le cycle biogéochimique, dans ce cas-ci, le recyclage du carbone. Lorsque c’est le cas, la séquestration du carbone est également touchée. Ce que nous voyons, ce sont des conséquences, mais nous ne voyons pas la cause de ces conséquences qui, dans notre cas, comme je l’ai dit, sont les polluants également. Donc, à moins que nous fassions de la prévention et épurions notre environnement, l’humanité est exposée à un risque, compte tenu du fait que la présence des polluants influe aussi sur la fécondité des hommes.
Sur ce, je vais prendre du recul et je serai heureux de parler plus en profondeur de cette question, au besoin.
La sénatrice Simons : Je vais poser une question à M. Harley, puis j’espère pouvoir continuer au deuxième tour.
Lorsque j’ai dit que l’Australie s’adresse à nous depuis le futur, cela se voulait un compliment et pas tout à fait une blague, parce que l’Australie a été un chef de file international dans la santé des sols. Je voulais comprendre pourquoi vous êtes bien meilleurs que nous à cet égard. Au Canada, nous avons un problème de compétence conjointe. Le sol relève de la compétence fédérale et provinciale. L’Australie ressemble beaucoup au Canada, en ce sens qu’il s’agit d’une fédération d’États. En Australie, qu’est-ce qui relève de la compétence fédérale et qu’est-ce qui relève de la compétence des États? Cela fait-il partie de la raison pour laquelle vous avez de l’avance sur nous?
M. Harley : Non. Comme au Canada, il y a aussi une compétence partagée ici. L’Australie a toujours mis l’accent sur l’agriculture depuis ses origines, évidemment. C’est l’un des facteurs qui ont motivé l’Australie à se concentrer sur le sol. Bien sûr, nous aimerions être beaucoup plus avancés.
Il y a une raison plus générale que celle propre aux sols qui explique pourquoi l’Australie a cet intérêt, en ce sens que, créée comme un pays colonisé par les Blancs à la fin des années 1700, l’Australie était absolument un enfant des Lumières. L’accent mis sur la science des sols a vraiment résonné tout au long de notre histoire. C’est l’une des raisons pour lesquelles l’Australie fait plus que sa part dans la recherche médicale, par exemple, et nous avons été chanceux de pouvoir en faire autant dans le domaine des sols.
Je pense que c’est la combinaison d’un parti pris en faveur de la science en Australie, historiquement, et d’un accent mis sur le secteur agricole qui est à l’origine de cet intérêt. Je pense que bon nombre d’entre nous espéreraient avoir réalisé autant de progrès au cours des 30 dernières années qu’au cours des 30 années précédentes. Cependant, je crois que, dans l’ensemble, il y a beaucoup de choses positives.
Le président : Monsieur Naidu, voulez-vous faire un commentaire rapide?
M. Naidu : Oui, j’ai un commentaire très rapide.
Je pense que l’Australie a aussi eu la chance d’avoir un défenseur national des sols appuyé par le gouvernement fédéral. Sa quête pour la santé des sols a été incroyable. Cela a également donné lieu à des lignes directrices nationales sur les sols ainsi qu’à des moyens pour nous d’investir, et la santé des sols a joué un rôle central à cet égard.
Le président : Merci.
Le sénateur Cotter : Je vous remercie de vous être joints à nous, quelle que soit l’heure demain matin pour vous. Nous vous sommes très reconnaissants d’être ici.
M. Naidu a répondu en partie à ma deuxième question concernant le défenseur national des sols. Je voulais toutefois approfondir un peu plus ce qui est essentiellement le premier aspect de la deuxième question de la sénatrice Simons. Il concerne ce qui semble pour moi être, d’un point de vue canadien, presque une approche magique de la part des divers gouvernements de l’Australie, ce que nous avons probablement eu du mal à réaliser au Canada.
J’ai également jeté un œil à la Stratégie nationale sur les sols. C’est une stratégie qui semble mobiliser à la fois le gouvernement national et les gouvernements étatiques de l’Australie et, à mon avis, dans une large mesure, l’industrie agricole. J’aimerais vous entendre sur ce qui a réuni en particulier les gouvernements national et étatiques afin qu’ils élaborent une stratégie aussi globale et aussi prometteuse qu’elle le semble, du moins de mon point de vue. Ces temps-ci au Canada, nous ne vivons pas nécessairement dans un monde que je qualifierais de fédéralisme coopératif, alors j’aimerais savoir comment cette magie s’est produite en Australie.
M. Harley : Je proposerais en fait que M. Naidu réponde en premier à la question, parce qu’il est beaucoup plus proche de la mécanique en Australie. Je me suis concentré beaucoup plus sur la question à l’échelle mondiale. Si cela vous va, monsieur Naidu, j’ajouterai ensuite quelque chose.
M. Naidu : Monsieur Harley, merci beaucoup. Oui, je serai très heureux de répondre à cette question.
Premièrement, oui, nous avons des gouvernements d’État et des gouvernements territoriaux. En ce qui touche uniquement la pollution des sols dans le premier cas, même du point de vue de la pollution, les États et les territoires disposent de leurs propres lois pour évaluer et assainir les sites contaminés. Lorsque le centre d’excellence national, crcCARE, a été établi — je peux vous renseigner sur ce que sont les centres de recherche coopératifs, si vous le voulez — notre tâche était d’harmoniser les États et les territoires afin qu’ils élaborent un cadre d’assainissement national. La tâche n’était pas facile, mais cela a fini par se produire, et nous disposons maintenant d’un cadre d’assainissement national. Du point de vue des sols, le défenseur des sols a joué un rôle très important pour réunir les États et les territoires.
De plus, j’ai dirigé une nouvelle initiative sur ce que nous appelons un centre de recherche coopératif pour des sols à rendement élevé. Ce centre a réuni différents États ensemble dans une seule structure : les chercheurs, et aussi les ministères d’État. Ce que cela signifiait, c’est que, conjointement, ils ont été en mesure de travailler avec le défenseur des sols et d’amener le gouvernement national à reconnaître que la préservation de la santé des sols est cruciale du point de vue non seulement de la qualité des aliments, mais également de la productivité.
Je reviens toujours au défenseur des sols parce que j’ai dû travailler en étroite collaboration avec l’ancien défenseur des sols — qui, malheureusement, n’est pas avec nous aujourd’hui — et aussi avec le nouveau défenseur des sols, qui joue un rôle très important également. Grâce au défenseur des sols et au travail effectué avec le centre national d’excellence et le centre de recherche coopératif pour des sols à rendement élevé, on a pu réunir des agriculteurs, des gouvernements d’État et le Commonwealth également.
Le président : Monsieur Harley, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Harley : Seulement pour dire que, jusqu’ici, l’Australie a été en mesure de préserver de manière générale une approche fédérale raisonnablement coopérative. Je pense que cela tient au fait que les événements de la Seconde Guerre mondiale ont fortement ébranlé l’Australie et ont sonné l’alarme, signalant à quel point l’Australie était un petit pays dans un vaste monde qui dépendait d’une gamme relativement étroite d’exportations. Il était important, nonobstant les différences politiques, de continuer de se concentrer sur ces questions de coopération.
Le président : Merci.
Le sénateur Oh : J’ai une question pour les deux témoins. Quel aspect particulier de la Stratégie nationale sur les sols de l’Australie pourrait selon vous être efficacement adapté et mis en œuvre pour le Canada, compte tenu de nos différences dans les pratiques géographiques, climatiques et agricoles? Seriez-vous en mesure de vous prononcer à ce sujet?
M. Harley : Monsieur Naidu, je crois que vous êtes davantage un expert de cette question que moi.
M. Naidu : Merci beaucoup, monsieur Harley.
Tout d’abord, les stratégies nationales dont nous disposons pour les sols réunissent à la fois les gouvernements étatiques et territoriaux, ainsi que les chercheurs, au sein d’une seule instance. Par conséquent, l’objectif a toujours été non pas de se concentrer sur une ferme particulière, mais de tenir compte de l’ensemble du pays. L’objectif était également de réunir des chercheurs de différents États et territoires au sein d’une instance unique afin qu’ils puissent travailler conjointement pour créer une base de données à laquelle d’autres personnes auraient également accès. L’analyse des métadonnées était cruciale. Le changement climatique est aussi arrivé dans le portrait, et, avec lui, la démarche Une seule santé.
Au départ, l’investissement de ressources par le gouvernement australien était un autre facteur, parce que, comme nous le savons tous, toute recherche menée par les universités ne va jamais de l’avant à moins qu’il y ait ce qu’on appelle un seau plein d’argent. Cet argent du Commonwealth a réuni les chercheurs, et l’on a également reconnu nos lacunes en matière de santé des sols et de données scientifiques et le changement climatique imminent. C’est ce qui a mené à ce que nous avons aujourd’hui.
Le sénateur Oh : Avez-vous un commentaire, monsieur Harley?
M. Harley : Je souhaite simplement insister sur le point que j’ai fait valoir dans ma déclaration liminaire, à savoir que les différentes pratiques vont exiger des mesures économiques et des incitatifs fondamentalement différents pour les agriculteurs. À moins qu’un gouvernement ne soit prêt à diriger ces initiatives de front, il est difficile d’envisager une voie d’adoption sans heurts.
Les recherches que nous menons avec les agriculteurs tiennent toujours compte du fait que, plus qu’à toute autre chose, ils font confiance aux conseils des autres agriculteurs. C’est pourquoi, dans le programme, nous encourageons le gouvernement australien à miser très fort sur l’utilisation de nouvelles technologies pour connecter les agriculteurs, à condition qu’ils demeurent propriétaires de leurs propres données et soient en mesure d’échanger ces données collectivement entre eux, et de les communiquer systématiquement aux chercheurs, afin que ces derniers puissent également contribuer concrètement des façons proposées par M. Naidu.
M. Naidu : Je suis tout à fait d’accord avec M. Harley.
Je voulais souligner pour les sénateurs que je suis également président de l’Organisation pour l’alimentation et l’agriculture du réseau international sur la pollution des sols des Nations unies. Dans le cadre de cette organisation, nous avons ce que nous appelons le Programme des docteurs des sols, où des scientifiques tendent la main à des agriculteurs, tissent des liens avec eux et leur fournissent également des outils qu’ils peuvent utiliser pour surveiller la santé de leurs sols. C’est quelque chose que nous devons faire non seulement dans les pays en développement que nous ciblons en ce moment, mais aussi dans les pays industrialisés. Il nous faut des ressources. Les ressources sont quelque chose qu’il n’est pas facile de financer ni d’obtenir.
La sénatrice Petitclerc : Ma question s’adresse à M. Harley, mais si M. Naidu veut dire quelque chose à ce sujet, je lui en serais aussi reconnaissante.
Nous vivons dans un très grand territoire ici au Canada, un grand pays, tout comme vous, et nous avons des administrations semblables, comme nous en avons parlé. L’un des défis qui ont été évoqués concernait la façon de mieux recueillir les données, de mesurer la qualité des sols et de mesurer les améliorations. Il s’agit essentiellement de mesures. Est-ce un défi auquel vous faites face également? Le cas échéant, avez-vous des solutions pour nous?
M. Harley : Je pense que, en somme, la planète entière est exposée à ce défi. Les scientifiques savent comment mesurer le contenu du carbone dans le sol de façon très précise, mais nous ne savons pas comment le faire à faible coût, de manière fiable et à un niveau de prix qui est logique par rapport à la valeur économique produite par le sol et aux divers incitatifs concernant la tarification du carbone qui sont proposés dans le monde. Nous nous réjouissons tout particulièrement de certains travaux réalisés en ce moment au Kenya, où l’on utilise la spectroscopie, et des progrès sont aussi réalisés ici à l’Université de Sydney. De manière optimiste, les coûts pourraient baisser de 90 %. On doit régler le problème. Il est clair que des gens ont travaillé sur cette question pendant longtemps, sans réaliser de progrès. Nous pensons que, comme je l’ai dit à la fin, cela relève du programme ambitieux. Si nous sommes sérieux à ce sujet, quelqu’un disposant de moyens importants devra s’en charger. C’est notre point de vue, parce que c’est fondamental pour régler le problème.
La sénatrice Petitclerc : Je comprends que la solution, de votre point de vue, devra venir des sociétés et non pas du gouvernement. Ou bien est-ce les deux?
M. Harley : Non. Idéalement, il y aurait une société qui a des moyens suffisants pour régler le problème. Je pense que, à ce jour, cela n’a probablement pas été le cas. Au début du programme, nous étions très optimistes quant au fait de travailler avec des sociétés à ces solutions, et nous avons réalisé d’excellents progrès, mais il est clair que le défi pour elles, soit passer d’un monde chimique à un monde biologique, est très complexe. Cela soulève des préoccupations et défis pour elles, et cela signifie peut-être que les progrès collectifs par rapport à certaines de ces questions sont difficiles. Encore une fois, cela revient à la question de savoir si nous croyons ou non les scientifiques lorsqu’ils disent qu’ils ont 10 ans pour régler le problème.
M. Naidu : Je suis tout à fait d’accord avec M. Harley pour dire que l’approche employée dépendra beaucoup de la disponibilité des ressources et du fait de savoir si nous nous trouvons dans des pays très industrialisés ou dans des pays moins développés.
C’est aussi un défi même en Australie, par exemple, où chaque équipe qui dirige des recherches utilisera sa propre approche pour faire les choses; par conséquent, lorsque des données sont générées, vous ne pouvez pas simplement les lancer dans une base de données et essayer de faire des méta-analyses, parce que des approches différentes produiront des chiffres différents également. Donc, j’ai vraiment insisté pour que les gens s’assurent que l’approche qu’ils utilisent est celle avec laquelle, grâce aux données qui sont générées, nous pouvons facilement effectuer une analyse des métadonnées. Chez crcCARE, c’est ce que nous faisons, et j’essaie également de communiquer avec le gouvernement pour m’assurer que les fonds disponibles permettent à différents groupes d’utiliser la même approche, et c’est une chose sur laquelle nous devons nous concentrer. Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à M. Naidu. Monsieur Naidu, souvent les risques ou les conséquences des gestes posés sont inconnus. En vous basant sur vos connaissances du Canada et de ses habitudes, avez-vous identifié des habitudes agricoles connues qu’il pourrait adopter pour avoir un meilleur avenir pour ses sols?
[Traduction]
M. Naidu : Merci beaucoup, sénateur Dagenais, de cette question.
Tout d’abord, à titre d’exemple, les agriculteurs misent tous sur la productivité, le rendement, parce que c’est ce qui leur donne le rendement du point de vue économique. Pour cette raison, ils utilisent l’engrais pour les nutriments en plus des pesticides. Le problème que j’ai constaté, c’est que, dans les tests qu’elles font, lorsqu’elles produisent les pesticides, les entreprises de pesticides, par exemple, les font avec un nombre de sols limité et oublient que les types de sols peuvent énormément varier selon l’endroit où vous vous situez, mais aussi, franchement, en fonction de l’exposition aux humains.
La première chose dont nous devons nous assurer selon moi, c’est que la nature des tests qu’elles font, les politiques que nous mettons en place, forcent les entreprises de pesticides à mener beaucoup plus d’enquêtes avant de mettre en marché les pesticides.
La deuxième chose, c’est qu’il doit y avoir un certain travail du point de vue de la toxicité, de la santé humaine aussi bien que de l’écotoxicologie, parce que l’écotoxicologie, c’est la santé des sols et la santé humaine, quelque chose qui est aussi nécessaire.
La troisième chose concernant les engrais, c’est que nous devons disposer d’une politique sur le contenu en cadmium des engrais que nous utilisons, parce que chaque fois que nous déversons du superphosphate triple sur les sols, c’est du cadmium que nous déversons.
La dernière, c’est que nous finissons également par utiliser des sources de nutriments différentes. Cela pourrait être, par exemple, les biosolides. Ici nous utilisons aussi de l’eau, par exemple, qui peut être traitée, et cela signifie que nous oublions les polluants émergents, et de nombreuses exploitations agricoles, par exemple, sont maintenant polluées à cause de la présence de certains polluants émergents également, donc il est impératif d’avoir des politiques.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Comme nous sommes dans un pays nordique, il y a sûrement des conséquences ou des avantages lorsque nos sols gèlent. Que peut nous apporter le gel de nos sols? Le cas échéant, comment peut-on tirer profit de la situation du sol qui gèle au Canada? Il y a une partie de l’année où nos sols sont gelés.
[Traduction]
M. Naidu : En effet, beaucoup d’articles ont été écrits à ce sujet, et M. Harley pourrait aussi vouloir en parler. On a beaucoup écrit que le gel des sols profite à la durabilité des sols. Mais du point de vue des polluants, par exemple, le gel n’aide pas, parce qu’il peut aussi ralentir l’atténuation naturelle des polluants. Bien sûr, les gels profonds peuvent aider, mais pas dans le cas des polluants inorganiques. En effet, lorsque vous passez du gel à un état où vos sols sont à une température plus élevée, des activités microbiennes aident le sol.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Harley, selon ce que je viens d’entendre, la transition des sols canadiens représente un défi économique pour le pays. Quelles sont les actions urgentes à prendre, et comment évaluer le coût de ces actions pour les agriculteurs et les gouvernements?
[Traduction]
M. Harley : Eh bien, cette question comporte de nombreuses parties. En fin de compte, il s’agit de savoir quel prix nous voulons payer pour lutter contre le changement climatique.
Comme j’ai essayé de le faire valoir, l’importance critique du sol est qu’il s’agit d’un levier que tout le monde peut utiliser et adopter. C’est un changement fondamental dans l’économie, et les gouvernements devront adopter une attitude différente. Au bout du compte, la question d’ordre économique est celle de savoir quel est le coût de ne rien faire? Je vais peut-être arrêter mes commentaires à ce stade-ci, comme je vois que la main est levée.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Merci.
[Traduction]
Le président : J’ai une question rapide pour M. Naidu. Vous avez dit qu’il y avait un nouveau défenseur des sols. Lorsque nous regardons le site Web, il est écrit que le poste n’est pas maintenu sous sa forme actuelle, et aucun nom n’est fourni pour le nouveau défenseur des sols. Savez-vous quelque chose que nous ne savons pas?
M. Naidu : Sénateur Black, vous avez raison. Nous avions un nouveau défenseur des sols, l’honorable Penny Wensley, mais la ministre a maintenant cessé d’occuper ce poste. Nous espérons donc que le gouvernement va continuer d’investir de l’argent. Je suis désolé, j’aurais dû clarifier cela.
Le président : Merci.
Ma deuxième question s’adresse à vous deux. Très rapidement, quelles politiques d’aménagement des terres sont en place en Australie — ou devraient peut-être être en place aux échelons local, régional ou national — pour atténuer les répercussions de la pollution des sols? Je vais commencer par M. Naidu. En général, ce que je veux savoir, c’est que pouvons‑nous apprendre de vous que nous pourrions peut-être adopter au Canada? Merci.
M. Naidu : Merci beaucoup, sénateur Black.
Tout d’abord, nous avons deux types de pollution de l’environnement. Le premier est ce que nous appelons la source ponctuelle, soit les sites hautement contaminés, et l’autre, la pollution diffuse, qui est essentiellement associée aux produits des systèmes agricoles.
Pour ce qui est des sites hautement contaminés, l’Australie dispose des mesures de protection environnementale nationales, mais les États et les territoires sont aussi actifs du point de vue des polluants émergents. Je communique avec Environnement Canada, et je sais que le ministère est très actif également en ce qui concerne la gestion des polluants.
En Australie, tout comme au Canada, ce qu’il nous manque, ce sont des politiques sur la pollution diffuse, particulièrement des sols. Je pense que la Nouvelle-Zélande travaille en ce sens, si ma mémoire est bonne. Je pense aussi que la Belgique le fait. En Australie, nous n’avons rien sur la pollution diffuse. C’est quelque chose qui a été entrepris dans les années 1990, mais qui a fini par disparaître, et nous essayons de voir ce que nous pouvons faire à ce sujet. Le Canada pourrait aussi se concentrer sur cette perspective.
M. Harley : Je n’ai rien à ajouter. C’est une excellente réponse.
Le président : Nous allons passer au deuxième tour.
La sénatrice Simons : Monsieur Naidu, je pense que je suis la personne qui a insisté le plus auprès du comité pour que nous examinions la question de la pollution des sols. Je viens de l’Alberta, qui est un producteur pétrochimique, et je pensais à la pollution des sols dans un sens beaucoup plus littéral, soit l’exploration pétrolière et gazière qui empoisonne le sol. Vous parlez de pollution diffuse et de niveaux de cadmium. Pouvez‑vous nous expliquer un peu plus ce que vous entendez par pollution diffuse par rapport au type de pollution localisée à grande échelle à laquelle je pensais?
M. Naidu : Sénatrice Simons, je vous remercie de votre question.
Les polluants présents dans l’air, par exemple, sont diffus, et vous ne pouvez pas connaître leur source. Il pourrait y avoir de nombreuses sources différentes. C’est un exemple de pollution diffuse.
En ce qui concerne la pollution diffuse dans les sols agricoles, il y a de faibles niveaux de polluants qui sont diffusés dans le sol, et aussi dans de très grandes zones. Pour les grandes zones, il n’est pas possible d’extraire ou de retirer des polluants du sol. Nous disons parfois que la phytoremédiation pourrait être un moyen de le faire, mais plus souvent, nous réussissons à le faire en nous assurant d’avoir les pratiques environnementales appropriées qui font en sorte que les polluants ne se transfèrent pas du sol aux cultures, parce que c’est également la voie d’accès aux humains.
À l’échelle mondiale, on remarquera un certain niveau de polluants présents dans les sols agricoles. On a vu de faibles doses de polluants, et la bioaccumulation pose un défi. Ce ne sont pas que des polluants métalliques, comme le cadmium, par exemple. De même, nous pourrions voir d’autres métaux toxiques, surtout en présence d’activités minières, par exemple. L’air peut transporter certains des polluants imputables aux activités minières, et les distribuer et les déposer dans des sols agricoles également. C’est différent des pesticides.
La sénatrice Simons : M. Harley a mentionné à quel point il est difficile de tester son échelle de concentration et de séquestration du carbone. Si vous dites que la pollution est aussi subtile, comment un agriculteur peut-il savoir à quel point son champ peut être compromis? Si vous dites qu’il n’existe aucune technique permettant d’y remédier, que pouvons-nous faire? Le cadmium provient-il principalement des gaz d’échappement des voitures ou...?
M. Naidu : Le cadmium provient principalement des engrais à base de superphosphate triple; par conséquent, nous devons avoir une politique qui fait en sorte que ces engrais à base de superphosphate triple que nous achetons et fournissons aux agriculteurs sont de la qualité qui permet d’éviter les doses ultra-faibles de cadmium. Le phosphate naturel que les gens utilisaient pour fabriquer — [Difficultés techniques] Nouvelle-Zélande — une certaine dose de cadmium y était associée.
Bien sûr, les pesticides sont l’autre polluant. La plupart du temps, lorsque nous achetons des pesticides, on nous apprend que la demi-vie des pesticides serait de deux à trois jours, mais certains types de pesticides que nous avons utilisés dans le passé sont toujours présents dans nos sols, parce qu’ils ne se dégradent pas facilement. La dégradation des pesticides pourrait aussi varier en fonction de la nature des sols et de l’endroit où vous vous trouvez dans le monde. Votre emplacement géographique joue également un rôle important.
Nous, les grandes organisations alimentaires et agricoles, invitons les pays à investir des ressources pour que les agriculteurs puissent fournir leurs sols, et nous pourrions travailler au Canada en vue d’étudier la teneur en cadmium des sols, pour que vous puissiez conserver une carte à l’interne qui vous montre quelles exploitations agricoles ont des niveaux de cadmium élevés. Nous élaborons ensuite des stratégies de gestion qui, au lieu d’extraire le cadmium du sol, le convertissent sous une forme qui n’est pas consommée par les plantes. C’est la seule approche que nous utilisons pour les métaux toxiques. Pour les pesticides, c’est différent; nous pouvons faire en sorte qu’ils s’atténuent naturellement.
La sénatrice Simons : Merci.
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’ai une dernière question pour M. Harley. Selon vous, à quel point les agriculteurs sont-ils conscients et capables d’agir si le gouvernement — malheureusement — ne les appuie pas?
[Traduction]
M. Harley : Pour commencer, il faudrait probablement dire qu’il est évidemment difficile de parler collectivement de tous les agriculteurs. Mais il ne fait aucun doute que, surtout au cours des 10 dernières années, la prise de conscience à l’égard du climat plus difficile et de la difficulté associée au fait de nourrir une population mondiale qui croît toujours rapidement a été de plus en plus portée à l’attention des agriculteurs. Certes, en Australie, nous constatons qu’une bonne partie des pressions exercées sur le gouvernement pour que des changements soient apportés, de manière générale, viennent des agriculteurs. Il y a des opinions divergentes, mais dans l’ensemble, il y a une voix très forte pour le changement, et en Australie, de façon générale, le gouvernement écoute cette voix.
Le dernier point sur lequel je veux insister, c’est que les politiques doivent être pratiques et produire effectivement des effets et entraîner un changement à la ferme. Comme M. Naidu l’a également souligné, c’est cet aspect pratique qui est particulièrement important.
Le président : Nous n’avons plus de questions pour le présent groupe de témoins.
Monsieur Naidu, j’ai été très heureux de vous revoir. Merci de vous être joint à nous. Monsieur Harley, c’était formidable de vous recevoir comme témoin ce soir. Je tiens à vous remercier énormément tous les deux de votre participation. Nous vous sommes très reconnaissants de l’aide que vous apportez à notre étude. Nous avons hâte de vous fournir notre rapport final, lorsqu’il sera déposé plus tard durant l’année, et nous nous assurerons de vous envoyer une copie par courriel. Merci.
Pour notre deuxième groupe de témoins, je suis ravi d’accueillir Mel Poulton, propriétaire-exploitante d’une entreprise d’élevage d’ovins et de bovins en Nouvelle-Zélande. Mme Poulton a beaucoup voyagé dans le monde et a visité une diversité de systèmes agricoles de types différents dans de nombreux pays. À titre personnel, en tant qu’universitaire détentrice d’une bourse Nuffield et lorsqu’elle était affectée ici à Ottawa, en tant qu’envoyée spéciale pour le commerce agricole de la Nouvelle-Zélande, nous avons soupé ensemble et longuement discuté. Je suis tout à fait ravi que nous ayons pu communiquer avec vous, madame Poulton. C’est formidable de vous accueillir ici. Nous recevons Alec Mackay, scientifique principal, Agriculture numérique, d’AgResearch.
Je vous invite tous les deux à présenter vos exposés. Nous allons commencer par Mme Poulton, qui sera suivie de M. Mackay. Vous aurez chacun cinq minutes. Je vais lever la main à quatre minutes, et lorsque vous verrez les deux mains, ce sera le signal pour conclure. Sur ce, la parole est à vous, madame Poulton.
Mel Poulton, propriétaire-exploitante d’une entreprise d’élevage d’ovins et de bovins, Nouvelle-Zélande, à titre personnel : Bonsoir. Sénateur Black, je suis effectivement très heureuse de vous revoir. Comme je l’ai dit auparavant, je pensais être tirée d’affaire et j’ai été un peu surprise de recevoir le courriel.
Merci de m’avoir invitée et merci également à Mme Simpson et à d’autres personnes pour la préparation et pour avoir rendu possible la journée d’aujourd’hui. Merci aussi à l’avance aux interprètes. N’hésitez pas à me le dire si je dois ralentir, s’il vous plaît.
La mise en garde concernant le présent exposé, c’est que je ne suis pas une scientifique des sols ni une experte en sols canadiens ou en systèmes agricoles canadiens. Je m’adresse à vous uniquement en tant qu’éleveuse d’ovins et de bovins de la Nouvelle-Zélande, et j’espère que mon expérience pourra vous donner quelques éclaircissements utiles pour votre étude sur les sols.
Je vais aborder quatre points avec vous : une mise en contexte à mon sujet et au sujet de ma ferme, les sols et la gestion des sols, les sols et les technologies, ainsi que le carbone dans le sol et les gaz à effet de serre.
Premièrement, en ce qui me concerne, je travaille dans l’agriculture ici depuis 20 ans, et presque tout ce temps avec mon époux, Mike. Je dirige maintenant l’entreprise seule depuis trois ans, depuis son décès. J’ai un employé à temps plein qui se concentre sur le bétail et quelques autres qui travaillent avec nous à temps partiel.
La ferme a une superficie totale de 1 000 hectares, et cela comprend les terres réservées. Le principal bloc d’élevage s’étend sur 814 hectares de pâturage et fonctionne comme une ferme d’élevage d’ovins et de bovins dans une vaste région montagneuse, qui hiverne environ 5 000 ovins et 400 bovins. Le petit bloc d’engraissement est là où nous engraissons tous nos jeunes animaux, qui sont souvent exportés. Tous les animaux d’élevage sont nourris au pâturage sur place toute leur vie. Il n’y a pas de système d’alimentation au grain ni de logement de bétail dans notre entreprise.
Ces dernières années, les précipitations annuelles moyennes se sont élevées à environ 1 300 millimètres. L’an dernier, c’était 1 700. L’altitude de la ferme varie entre 600 et 2 100 pieds au‑dessus du niveau de la mer. Notre climat est tempéré, et puisque nous sommes un État insulaire, il y a de forts vents maritimes. Notre latitude géographique se situe dans ce que l’on connaît comme les quarantièmes rugissants, où les vents d’équinoxe présentent tout un défi, surtout au printemps. Chaque année, notre ferme reçoit environ cinq bordées de neige, et la température de l’air peut osciller entre -2 et 32 degrés Celsius, même si, avec le refroidissement éolien, cela peut souvent paraître bien pire que cela.
Deuxièmement, les sols et la gestion des sols. Nos blocs de terres présentent des variations importantes des sols, avec 19 types de sols différents. La classification des sols sur cette ferme varie des sols de classe 2 à des sols de classe 7, et c’est sur une échelle de 1 à 8. Plus des deux tiers de cette ferme se rangeraient dans les classes 5, 6 et 7, soit un terrain escarpé ou un terrain montagneux; c’est pourquoi il s’agit d’un vaste système d’élevage pastoral. Nous sommes aussi tout à fait au courant des capacités de production différentes des diverses zones de la ferme, en fonction des sols, du climat, de la topographie et de l’aspect, qui influencent tous le rendement des pâturages et la charge potentielle. À des fins de simplification, nous avons divisé la ferme en six blocs de gestion différents.
Chaque année, je procède à une évaluation visuelle de l’ensemble de l’exploitation agricole, grâce à Alec Mackay, qui évalue le profil et l’état du sol. Est-il polyédrique, friable, bien drainé ou compact et dense? J’examine également la profondeur des racines des plantes, les insectes présents dans le sol, la couleur, l’odeur et tout autre changement notable, comme on en a parlé dans le groupe de témoins précédents, et tout cela est important pour la santé des sols, ce qui, je crois, soit dit en passant, est probablement utile pour une solution peu coûteuse au problème que vous évoquiez plus tôt, sénatrice Petitclerc. Chaque bloc contient de nombreuses lignes de transect permettant l’analyse des sols, que nous faisons annuellement. Nous y vérifions et surveillons le pH, les teneurs du sol en phosphore selon la méthode Olsen, l’azote, le phosphore, le potassium et le soufre, qui sont analysés dans un laboratoire scientifique indépendant.
Troisièmement, les sols et les technologies des nutriments. Nous disposons d’une imagerie électromagnétique pour le bloc d’engraissement afin de comprendre les sols et l’eau. Nous utilisons un outil de gestion intégrée de l’utilisation des terres durables. Nous utilisons Overseer et un logiciel de gestion des éléments nutritifs avec notre entreprise d’engrais. À la ferme, j’utilise beaucoup Google Earth. Nos entrepreneurs appliquent de l’engrais en utilisant des outils de cartographie pour une plus grande précision. À mesure que la technologie s’améliore, si elle devient rentable, efficace, plus précise et mieux adaptée à nos types de terres et systèmes agricoles, nous l’adopterons.
En ce qui concerne le sol, le carbone et les émissions de gaz à effet de serre, le gouvernement et le secteur de l’agriculture de la Nouvelle-Zélande se sont concentrés davantage sur les émissions de méthane entérique des ruminants plutôt que sur les gains du carbone dans le sol à proprement parler. Dans ce secteur d’activité, il n’y a pas beaucoup de cultures. Lorsque nous procédons au renouvellement des pâturages, nous le faisons habituellement sans labourage en utilisant des semis directs. Cela protège le carbone que nous avons récupéré. Nous nous préparons à imposer une taxe sur les gaz à effet de serre à tous les agriculteurs, ce qui donnera un prix au méthane entérique ainsi qu’à l’oxyde nitreux et au dioxyde de carbone.
J’espère que mon introduction a permis de vous donner un peu de contexte. Je vous remercie.
Le président : Merci beaucoup.
Monsieur Mackay, la parole est à vous.
Alec Mackay, scientifique principal, AgResearch : Bonjour, sénatrices et sénateurs. Je m’appelle Alec Mackay et je suis scientifique principal chez AgResearch, un institut royal de recherche établi à Palmerston North.
Un de nos sites de recherche ou une de nos stations de recherche se trouve sur la route Saddle, située à environ une demi-heure de l’exploitation agricole de Mme Poulton. Un de mes programmes de recherche de longue date est un site où nous suivons et surveillons les répercussions de l’agriculture pastorale sur nos sols depuis le début des années 1970. Je pense que c’est probablement la relation avec Mme Poulton au fil des ans qui a fait en sorte que j’ai été invité à la séance d’aujourd’hui. Je suis ici simplement pour fournir un certain soutien concernant les questions liées à la santé des sols et aux sols, plutôt que pour faire valoir des intérêts particuliers. Je suppose que, dans le simple but de contribuer à la conversation aujourd’hui, très brièvement, je pourrais résumer mes trois domaines de recherche généraux concernant la santé des sols.
La fertilité des nutriments est une composante de la santé des sols, tout comme la matière organique, la deuxième composante de la santé des sols, en plus de la biologie, pas seulement la microfaune, mais aussi la macrofaune et la méiofaune, et également les propriétés physiques du sol. Ce sont les quatre composantes de la santé des sols. Dans le passé, on a mis l’accent sur la fertilité des nutriments, ce qui stimulait le rendement. Il y a une sensibilisation accrue à ces trois autres éléments. De toute évidence, comme le carbone est devenu plus important que la matière organique pour la fonction du sol et qu’il devient une monnaie d’échange, il y a un intérêt accru pour le carbone.
Le deuxième domaine auquel j’ai consacré beaucoup de temps ces 15 ou 20 dernières années concerne les avantages d’une approche axée sur des services écosystémiques pour recueillir tous les bénéfices que nous tirons de nos sols et de nos paysages. Nous avons tendance à valoriser les terres en fonction de leur capacité à produire des aliments et des fibres, mais nous oublions souvent de reconnaître tous les autres avantages et services que nous obtenons de nos paysages. Lorsqu’il pleut, le sol absorbe l’eau, ce qui est très important pour réduire les risques d’inondation et d’assèchement. Le fait de pouvoir traverser un champ sans s’y enfoncer signifie qu’il fournit un service appelé soutien. C’est un refuge pour de nombreux organismes bénéfiques. Il faut reconnaître ces autres avantages et services auxquels nous n’accordons généralement une valeur que lorsque nous les perdons ou lorsqu’ils se font rares, plutôt que de les valoriser d’emblée.
Le troisième domaine de recherche, et ce à quoi je consacre probablement l’essentiel de mes travaux de sensibilisation, tient à l’intégration de l’information sur les sols dans les processus d’évaluation des terres et de planification agricole, afin de transmettre cette information au décideur. Mme Poulton l’a très bien dit. Comme la plupart des fermes sont un amalgame de différents types de sols et qu’elles ont très rarement un seul type de sol, il est vraiment essentiel de reconnaître les forces et les faiblesses des sols, et ce, en fonction de leurs caractéristiques. L’adéquation entre l’entreprise et ses pratiques, compte tenu de ces forces et ces faiblesses, est un principe fondamental auquel adhèrent la plupart des agriculteurs avisés. Si le sol présente une faiblesse, reconnaissez-le dans la façon dont vous concevez l’exploitation agricole. Le concept de correspondance entre l’utilisation et les propriétés inhérentes est primordial. De toute évidence, si vous souhaitez mettre en place un programme de surveillance, il est essentiel de reconnaître les différences dans le sol pour que cette surveillance soit efficace. Il va de soi qu’une surveillance qui ne tient pas compte des différences augmente la difficulté d’interprétation.
Après les êtres humains, les sols et les terres constituent la ressource naturelle la plus importante en Nouvelle-Zélande. Nous sommes un peu bizarres. Nous sommes un pays industrialisé, mais notre économie repose essentiellement sur l’industrie primaire. Nous misons principalement sur le capital national, qui est essentiellement nos sols.
Cela met fin à ma déclaration préliminaire. C’est avec plaisir que je répondrai aux questions.
Le président : Merci beaucoup.
Je fais valoir ma prérogative de président pour poser la première question. Madame Poulton, vous avez parlé de la taxe sur les gaz à effet de serre qui, selon vous, serait imminente ou déjà en place. Vous avez parlé d’une taxe sur les émissions entériques. S’agit-il simplement d’une sorte de taxe par animal? Allez-vous dans cette direction, ou cette taxe existe-t-elle actuellement?
Mme Poulton : C’est compliqué. Nous venons de changer de gouvernement, nous ne savons donc pas exactement où tout cela va aboutir. L’idée était que la taxe serait fondée sur les animaux que vous avez en stock.
Il y a eu énormément de travail entre le gouvernement et l’industrie, des groupes du secteur agricole tels que Beef + Lamb New Zealand, Federated Farmers, DairyNZ et certaines de nos entreprises également, dont Frontier et plusieurs autres, qui ont travaillé d’arrache-pied afin de présenter une proposition ou une approche pour l’agriculture néo-zélandaise visant à lutter contre les émissions de gaz à effet de serre.
Comme nos sols ont déjà une teneur assez élevée en carbone, la science donnait à penser que, essentiellement, nous ne pouvions pas vraiment aller très loin en nous occupant du carbone du sol parce que nous en avions déjà fait pas mal à ce sujet, d’où l’idée d’étudier la question du méthane entérique. Encore une fois, il y a probablement eu au moins 20 années de recherche sur le méthane entérique. Au cours des trois dernières années, on a vraisemblablement déployé des efforts considérables pour tenter de comprendre comment mesurer réellement ces coûts, puis comment les facturer. Des groupes comme Beef + Lamb New Zealand, avec leur service économique pour les secteurs bovin et ovin, ont beaucoup travaillé au développement de calculateurs de gaz à effet de serre pour les exploitations agricoles. C’était le cas pour tous les autres secteurs agricoles et horticoles de Nouvelle-Zélande, lorsqu’on a tenté d’établir quels étaient exactement nos chiffres.
De fait, j’ai des calculateurs pour ma ferme, et je sais combien de tonnes d’émissions ma ferme produit, sous forme d’oxyde nitreux, de méthane entérique et de dioxyde de carbone, d’après les calculs.
Le président : Comment cela est-il calculé par animal?
Mme Poulton : De manière générale, nous ne pouvons pas entrer dans les moindres détails par animal. Cela dit, j’ai installé les chambres de mesure du méthane dans ma ferme et j’ai soumis un certain nombre de mes béliers à des tests pour détecter la présence de méthane entérique. En fait, j’ai mesuré cela sur un petit groupe de mes béliers reproducteurs. Les résultats viennent tout juste d’arriver hier; je suis perplexe et je m’oppose aux scientifiques en leur disant : « Vous devez faire un bien meilleur travail que ça. » Dans les résultats que j’ai obtenus de mes animaux, ceux qui étaient les plus valables du point de vue du méthane entérique n’étaient certainement pas ceux qui ont les objectifs et les valeurs que nous recherchons en matière d’élevage pour le reste de notre système de production. C’est là que la réalité frappe et que les agriculteurs sont à l’avant-plan de ces nouvelles technologies. Nous avons désespérément besoin que la science propose des solutions, mais c’est une situation très difficile pour la Nouvelle-Zélande et pour les agriculteurs du monde entier.
Compte tenu de l’étendue de nos systèmes pastoraux et du fait que nous n’hébergeons pas d’animaux, ce n’est pas comme si nous pouvions leur donner simplement une cuillère à thé de ceci ou de cela pour atténuer leurs émissions de méthane entérique. Nous avons des défis vraiment difficiles à surmonter. Je sais que des scientifiques néo-zélandais ont collaboré avec des scientifiques irlandais pour tenter de trouver des solutions. On a fait du bon travail, mais je ne suis pas convaincue que nous en soyons tout à fait rendus là pour l’agriculture commerciale.
Le président : Merci beaucoup.
La sénatrice Simons : En Alberta, nous avons un mot différent pour désigner les émissions de méthane entérique. Je ne le dirai pas aux fins du compte rendu parlementaire.
Je suis curieuse, madame Poulton. Vous avez dit qu’il vous était difficile de tirer parti de la séquestration du carbone pour faire contrepoids, car vos sols sont déjà très riches en carbone. Est-ce spécifiquement votre ferme, parce que vous faites paître des animaux et qu’ils renvoient le carbone dans le sol, ou les sols néo-zélandais sont-ils naturellement riches en carbone?
Mme Poulton : De façon générale, la Nouvelle-Zélande est relativement jeune et a récemment évolué vers des systèmes agricoles. Nous n’avons donc pas dépensé tout le carbone pendant des centaines et des centaines d’années de culture et ainsi de suite. Cependant, je pense vraiment que M. Mackay serait mieux placé que moi pour répondre à ces questions.
La sénatrice Simons : Merci. Je dois dire que vous remportez le prix de la meilleure affiche. J’adore ça, l’économie souterraine.
D’où je viens, dans les Prairies, ce sont des prairies sèches qui ont été aménagées pour être broutées par les bisons. La colonisation par les Blancs a détruit la population de bisons, et les éleveurs de bovins soutiennent avec beaucoup de passion et d’efficacité que le bétail doit revenir sur ces terres pour y paître. Sinon, c’est un déséquilibre écologique. La Nouvelle-Zélande ne comptait pas de grandes espèces de brouteurs comme le bison, alors parlez-moi du carbone présent dans votre sol et de ce qui se passe lorsqu’on y pratique le pâturage intensif.
M. Mackay : Je vais répondre à cette question, madame Poulton, si vous le souhaitez.
Le sol néo-zélandais s’est principalement formé sous un écosystème forestier, dans l’ensemble, puis cette forêt a été supprimée et remplacée essentiellement par des pâturages ou des espèces de l’hémisphère Nord. Ces sols sont riches en matière organique. Nos sols sont également très jeunes. Il y a beaucoup de matière organique dans la forêt. Nous avons défriché la forêt et y avons mis un pâturage, et cela devient alors un pâturage permanent. Ce pâturage est présent dans la majeure partie du pays. Les pâturages que vous voyez dans les collines, les hauts plateaux, peuvent avoir plus de 100 ans; ce sont donc essentiellement des écotypes locaux en évolution. Le renouvellement des pâturages se limite aux basses terres et aux systèmes intensifs. En dessous, la matière organique est assez bien protégée et maintenue.
Sur l’un de nos sites de longue date, nous avons comparé différentes stratégies de fertilisation et de pâturage depuis 1970, avec une différence de productivité animale plus de trois fois supérieure au chapitre de la fertilité, qui passe de très faible à très élevée. Il n’y a aucune différence dans la quantité de matière organique dans ces sols pendant cette période. Dans un pâturage permanent, avec ce type de sol particulier et ce climat, nous sommes essentiellement assez stables.
Maintenant, si vous cultivez ce sol, le retournez et l’aérez, une énorme quantité de cette matière organique sera alors très rapidement oxydée et perdue. J’ai fait des travaux postdoctoraux dans le Midwest, à l’Université Purdue, dans les années 1980, où l’on disait que 1 % de matière organique dans la couche arable en faisait un sol riche. Ils cultivent ces sols depuis probablement plus de 100 ans, il y a donc très peu de matière organique dans ces systèmes de culture annuelle. Les sols sont très épuisés.
Comme Mme Poulton l’a dit, notre plus grand défi tient probablement à la conservation de la matière organique dans ces systèmes pastoraux dans l’avenir. Les conditions climatiques futures font l’objet d’un débat.
La sénatrice Simons : Existe-t-il des prairies naturelles, ou ces prairies sont-elles toutes artificielles?
M. Mackay : Il existe quelques prairies naturelles marginales, mais la région était en grande partie couverte de forêts, sans mammifères nuisibles; il y avait seulement des oiseaux. Je pense que le moa était probablement l’un des rares à paître dans les prairies.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup. C’est vraiment intéressant.
Le sénateur Oh : Merci, chers témoins, de vous joindre à nous.
De quelle manière la Nouvelle-Zélande a-t-elle abordé les problèmes de santé des sols? Existe-t-il des initiatives ou des règlements spécifiques qui se sont révélés particulièrement efficaces? Pourriez-vous nous dire comment le Canada pourrait envisager d’adopter des approches similaires?
M. Mackay : Je vais d’abord faire un commentaire, puis Mme Poulton voudra peut-être m’appuyer là-dessus.
Les conseils régionaux sont chargés de veiller aux ressources naturelles des régions de la Nouvelle-Zélande. Nous avons une sorte de district urbain, de gouvernement régional et de gouvernement national. Ces conseils régionaux, dans le cadre d’une de leurs obligations légales, rendent compte de l’état de leurs ressources. Pour les rapports sur l’état de l’environnement, ils rendent compte de la qualité des sols des régions, puis le tout est regroupé dans un rapport. Celui-ci est ensuite présenté tous les cinq ans environ par le ministère de l’Environnement.
En ce qui concerne la qualité des sols, il existe un programme comprenant sept indicateurs de la santé des sols. Ceux-ci sont surveillés au sein des régions pour les principales utilisations des terres. En Nouvelle-Zélande, les terres sont utilisées principalement pour l’élevage de cerfs, l’élevage ovin et bovin, la foresterie — la foresterie exotique en l’occurrence — les cultures ou les terres arables, puis les secteurs horticoles pérennes, comme les pommes et les kiwis. En plus de ces principales utilisations des terres, on surveille les principaux ordres de sols du pays. La Nouvelle-Zélande possède une grande diversité de sols, car le pays a des paysages actifs, qui changent régulièrement.
Les régions recueillent et regroupent ces renseignements afin de présenter, dans une perspective nationale, l’état de la qualité des sols. Je vous prie de m’excuser, mais je ne sais pas s’il existe un équivalent au Canada.
Mme Poulton : Je pense que M. Mackay a répondu à cette question avec brio. Je n’ai rien d’autre à ajouter.
Le sénateur Oh : Merci.
Le sénateur Cotter : J’ai essentiellement deux questions pour Mme Poulton.
J’ai assisté à l’exposé que vous avez fait en votre qualité d’envoyée spéciale lors de votre visite ici et je l’ai trouvé absolument fascinant. Vous pouvez me corriger si je tire la mauvaise conclusion, mais j’ai notamment retenu une approche assez interventionniste de la part du gouvernement national de la Nouvelle-Zélande pour répondre à un certain nombre de questions liées à l’agriculture, aux gaz à effet de serre et à ce genre d’enjeux. Je pense que vous l’avez dit avec diplomatie, mais cela n’a pas fait l’unanimité chez les producteurs agricoles de la Nouvelle-Zélande. Je voudrais savoir si, avec le changement de gouvernement, l’approche plus audacieuse de la Nouvelle-Zélande posera problème en ce qui concerne la gestion de la relation entre les sols et le climat.
Mme Poulton : Merci. Je suis heureuse de vous revoir. J’ai reconnu votre visage plus tôt et j’ai pensé que vous seriez sûrement à cette réunion.
Le gouvernement précédent avait assurément une approche audacieuse. Compte tenu de notre structure économique, dans la mesure où nous sommes une nation commerçante et que notre économie dépend de nos exportations alimentaires, je pense que nous sommes très motivés à assumer nos responsabilités et à rechercher l’intégrité dans ce que nous faisons pour les émissions de gaz à effet de serre, notre environnement et la biodiversité. Nous voulons être de bons gestionnaires de nos terres, que nous soyons agriculteurs ou membres d’une population urbaine. Tout le monde en Nouvelle-Zélande se sent profondément concerné par la protection de notre environnement naturel, mais nous avons également cette incitation et cette pression économiques en tant que nation pour garantir que nous assumons nos responsabilités sur la scène mondiale, en particulier avec les engagements que nous avons pris dans le cadre de l’Accord de Paris et divers autres forums internationaux sur l’environnement et les gaz à effet de serre. Quelle que soit la couleur du gouvernement que nous aurons, il ne fait aucun doute dans mon esprit que nous sommes à la recherche de solutions pour résoudre ces problèmes. En tant que nation, nous sommes également de plus en plus conscients de la complexité et de la difficulté de la situation et du fait qu’il n’existe pas de solution miracle.
En matière d’agriculture, on peut définir un problème à propos du sol ou des gaz à effet de serre, mais souvent il ne s’agit pas de problèmes vraiment bien définis, et on recherche une solution précise. On peut en dire autant de la politique. Nous voulons une politique à ce sujet. On peut définir la portée de la politique, mais au moment de sa mise en œuvre, il faut qu’elle fonctionne concrètement. Les agriculteurs doivent réussir à l’appliquer dans des systèmes agricoles intégrés. Souvent, ces problèmes à portée unique et étroite et leurs solutions ne fonctionnent pas sur le plan pratique parce que nous essayons de parvenir à un équilibre dans les écosystèmes, qu’il s’agisse du sol, de l’eau, des stocks, de la terre, de la biodiversité, de l’environnement et du climat, des marchés, de l’économie et tous ces autres éléments. Cela complique vraiment les choses.
Pour répondre à la question concernant ce qui arrivera avec le prochain gouvernement : oui, il y a eu une pause temporaire afin que chacun puisse reprendre son souffle, mais je ne pense pas que le problème disparaîtra. Je suis absolument convaincue que les efforts se poursuivront en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre, mais nous ne savons tout simplement pas à quoi ils ressembleront. Pour le moment, il y a beaucoup d’incertitude.
Le sénateur Cotter : Je vous remercie.
Compte tenu non seulement de votre rôle de productrice agricole en Nouvelle-Zélande, mais également du travail que vous avez accompli en tant qu’envoyée spéciale, avez-vous le sentiment que ces approches fondées sur des principes en matière de développement de la production agricole en Nouvelle-Zélande sont un argument de vente non seulement en Nouvelle-Zélande, mais aussi au-delà des frontières de la Nouvelle-Zélande, et s’il est facile de reproduire cela dans le monde entier pour d’autres pays producteurs de produits agricoles?
Mme Poulton : Rien n’est facile à reproduire parce que chaque pays travaille en accord avec son propre écosystème, son système politique, son environnement et son essence naturelle. La seule reproduction se ferait du point de vue des principes. C’est vraiment tout ce qu’on peut dire. Quelle est notre approche, compte tenu des principes?
Oui, il y a certainement un argument de vente pour que le marché haut de gamme réponde à ce genre de choses. À l’occasion d’un des derniers voyages que j’ai effectués en tant qu’envoyée spéciale pour l’agriculture, je me suis rendu compte à quel point cela est difficile, car les marchés sont très sensibles à ce qui pourrait se passer dans leur pays. Les consommateurs peuvent dire qu’ils veulent quelque chose, mais face à la pression économique, leurs décisions d’achat changent. Par exemple, ils peuvent dire qu’ils veulent que le filet de bœuf écossais haut de gamme et de grande valeur soit carboneutre, mais ils ne sont pas prêts à payer le montant supplémentaire qu’il nous en coûte pour le produire. Lorsque la pression se fait sentir, au lieu d’acheter ce filet de bœuf écossais haut de gamme et carboneutre, ils vont simplement acheter de la viande hachée. Ils achètent toujours ces protéines d’origine animale, mais ils ne sont pas nécessairement en mesure d’acheter le produit haut de gamme. Cela crée également un véritable défi et des tensions en ce qui a trait à la politique gouvernementale et à la réalité commerciale.
Le sénateur Cotter : Je comprends.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Ma première question s’adresse à Mme Poulton. J’aimerais que vous partagiez avec nous les concessions que vous avez probablement dû faire pour vous engager dans le processus de l’amélioration des sols. Dans quelle mesure votre entreprise a-t-elle souffert de ces décisions sur le plan économique?
[Traduction]
Mme Poulton : Pouvez-vous répéter la question? Ou est-ce que l’interprète pourrait la répéter, s’il vous plaît, juste pour que je comprenne?
[Français]
Le sénateur Dagenais : J’aimerais que vous partagiez avec nous les concessions que vous avez probablement dû faire pour vous engager dans le processus de l’amélioration des sols, parce que pour améliorer les sols il faut faire des concessions. Dans quelle mesure ces concessions ont-elles fait souffrir votre entreprise sur le plan économique, si tel était le cas?
[Traduction]
Mme Poulton : Merci.
Il faut d’abord mesurer puis surveiller avant de pouvoir gérer. Le coût tenait vraiment à une question de temps, c’est-à-dire se rendre sur place et effectuer le travail de mesure puis de surveillance. Il y avait des frais pour envoyer mes tests de sol au laboratoire. Mon budget à cet égard est d’environ 150 $ néozélandais. Viennent ensuite les coûts associés à ce que vous mettrez en place pour améliorer la santé des sols.
L’une des choses que j’ai faites récemment a été d’ajouter 300 tonnes de chaux. Il s’agit d’augmenter le pH du sol. Dans nos systèmes, il faut beaucoup de chaux pour pouvoir augmenter le pH de 0,1, 0,2 ou 0,3 unité, et cela comporte des coûts économiques. Toutefois l’avantage économique est que votre système est capable de tenir le coup. Vos pâturages sont capables de tenir plus longtemps dans les saisons intermédiaires; vous pouvez donc faire paître vos animaux plus longtemps ou ne pas subir autant de pression pour protéger les pâturages parce que vous avez ajouté de la chaux. Cela permet de tenir un peu plus longtemps pendant les saisons intermédiaires. Il s’agit également d’améliorer l’activité microbienne du sol afin de garantir la robustesse et la vigueur de vos plantes. C’est une chose qui s’est produite. J’ai payé le prix. La chaux elle-même n’est pas si chère. Le coût le plus important était celui de l’épandage. Étant donné la topographie de mon terrain où se trouve le bâtiment domiciliaire, qui s’élève de 600 à 2 100 pieds, je dois épandre la chaux par avion. Cela coûte énormément d’argent. Cela représente un coût économique. L’avantage est à plus long terme.
[Français]
Le sénateur Dagenais : Monsieur Mackay, pouvez-vous nous dire si les agriculteurs et les producteurs ont un accès facile aux données numériques qui peuvent assurer l’amélioration des sols? Dans quelle proportion utilisent-ils les données numériques? Comment se passent les efforts de changement?
[Traduction]
M. Mackay : Si je ne réponds pas à cette question, je vous prie de revenir avec une question plus précise.
La Nouvelle-Zélande dispose de bases de données nationales : une base de données sur les sols, une base de données sur les capacités d’utilisation des terres et un grand nombre de bases de données à une échelle de résolution de 1:50 000. Les agriculteurs peuvent y accéder pour obtenir des indications sur les sols ou les unités de capacité d’utilisation des terres dont ils disposent sur leur ferme, mais ces répertoires n’ont pas été conçus pour être utilisés à l’échelle de la ferme et pour permettre aux agriculteurs de prendre des décisions. Pour obtenir des renseignements vraiment détaillés sur les ressources à l’échelle de la ferme au sujet de votre sol et de ce que vous voyez, il faut vraiment que quelqu’un vienne sur place, un pédologue ou un gestionnaire des terres, et qu’il cartographie physiquement ces zones pour les mesurer physiquement. Ensuite, il versera les données dans un SIG, ou système d’information géographique, en utilisant un large éventail d’outils spatiaux. Une fois que ces données sont versées dans un outil spatial, vous pouvez les manipuler afin d’obtenir de l’information et afin d’établir comment vous pourriez diviser votre ferme en unités de gestion des terres, ce dont Mme Poulton a parlé, et mettre en place votre surveillance. Vous pourriez mettre à profit certaines autres technologies existantes lorsque vous disposez de cette information de base. L’un de nos défis actuels consiste à garantir que tous les agriculteurs disposent de bons renseignements sous-jacents sur les ressources pour étayer leur prise de décisions.
Soit dit en passant, nous avons eu un programme pendant une décennie environ appelé SUBS, qui était l’acronyme de Soils Underpinning Business Success, pour enseigner aux agriculteurs à cartographier leurs propres sols sur leurs propres fermes. Ils possèdent beaucoup de connaissances générales sur leurs propriétés — là où le sol est humide ou plus sec, ce qui pousse plus ou moins —, et grâce à l’enseignement de quelques techniques de base sur la façon de créer une texture, une couleur, la profondeur de la couche arable, ils pouvaient réaliser une carte, pas nécessairement en lui donnant une description pédologique, mais en cartographiant le sol au point où cette information était très utile, notamment pour la prise de décisions.
Le président : Nous allons passer au deuxième tour.
La sénatrice Simons : Puisque nous parlons d’émissions, madame Poulton... Vous élevez des bovins et des ovins. J’imagine qu’ils ont des profils différents. Vous venez de faire tester vos béliers.
Mme Poulton : Oui.
La sénatrice Simons : Est-ce quelque chose que, en tant qu’agricultrice, vous devez maintenant calculer en fonction du type de bétail qui émet le plus? Vous avez mentionné que les béliers qui produisent moins d’émissions représentent un stock moins important pour vous. Est-ce que vous et vos pairs néozélandais devez réfléchir d’une manière différente aux races et aux espèces que vous élevez?
Mme Poulton : La réponse est oui.
La sénatrice Simons : Souhaitez-vous donner des précisions? C’est une réponse très concise.
M. Mackay : C’est vrai.
Mme Poulton : J’ai peur que cette main se lève.
Écoutez, lorsque les subventions agricoles ont été supprimées en Nouvelle-Zélande, les agriculteurs ont dû, à partir de ce moment-là, être brutalement honnêtes à propos de leurs systèmes agricoles et impitoyables au moment de décider de changer des choses, donc impitoyables à l’égard de ce que grand-papa et papa faisaient. En fait, nous devons simplement changer pour survivre. Nous dépendons à 100 % de nous-mêmes pour la réussite de nos entreprises, car nous avons peu de subventions gouvernementales ou de solutions de rechange sur lesquelles nous appuyer. En Nouvelle-Zélande, vous constaterez que les agriculteurs ont généralement une culture assez ouverte et innovante : nous recherchons constamment des solutions pour gagner en efficacité et trouver des moyens de mieux faire les choses. Toute cette histoire de gaz à effet de serre n’est qu’un autre défi que nous devons relever. Certains le font assez rapidement, et d’autres espèrent que cela disparaîtra. C’est la vérité pure et simple.
En fait, un groupe de discussion est venu récemment à ma ferme, et ses membres m’ont donné du fil à retordre à propos de l’installation des chambres de mesure du méthane et des tests sur mes béliers. Ils m’ont demandé : « Pourquoi faites-vous cela? » J’ai répondu que, dans le secteur agricole, nous faisons face à toutes sortes de menaces et d’effets externes que nous devons gérer. Nous ne pouvons pas les contrôler tous, alors il faut lâcher prise. Mais cela inclut également les effets externes réglementaires qui ont une incidence importante sur nos activités. Nous devons faire ce que nous pouvons pour miser là-dessus et prendre les devants.
Je ne voulais pas acheter des béliers auprès de quelqu’un qui avait des objectifs d’élevage totalement différents, pour un système agricole différent, dans un climat et une topographie différents de ceux de ma ferme et parce que son bélier avait été sélectionné uniquement en fonction de son efficacité au chapitre du méthane, car cela signifie que tout le travail accompli au fil des années sera tout simplement inutile. Je ne voulais pas faire ça. Je voulais tester au sein de mon propre troupeau pour voir si j’avais des béliers efficaces avec lesquels je pourrais faire de la reproduction. Les résultats que nous avons obtenus ont vraiment mis des bâtons dans les roues. Je ne sais pas trop quoi faire. Je suis vraiment perplexe à ce sujet.
Nous tentons incontestablement d’intervenir et de trouver des solutions, car cela ne va pas disparaître. À l’échelle mondiale, cela ne va pas disparaître. À l’échelle nationale, cela ne va pas disparaître non plus. Même au sein de mon système agricole, je dois me regarder dans le miroir et être sûre que le produit qui sort de chez moi satisfait au marché, que je peux en être fière et qu’il est intègre.
La sénatrice Simons : Merci beaucoup. C’était magnifique et inspirant.
Le président : Cela met fin à notre période de questions pour ce soir.
Madame Poulton, vous pouvez partir à l’autre bout du monde, nous vous trouverons toujours. Merci d’avoir été parmi nous ce soir. Monsieur Mackay, merci de vous être joint à nous. Votre aide dans notre étude est très appréciée. Nous veillerons à ce que vous obteniez un lien vers notre rapport lorsqu’il sera déposé plus tard cette année, avec vos noms en tant que témoins. Merci beaucoup.
Je tiens également à remercier les membres du comité autour de la table pour leur participation active et leurs questions très réfléchies. Je veux également prendre un moment pour remercier le personnel qui nous soutient, notre propre personnel de bureau, les gens derrière moi, les interprètes, l’équipe des Débats dont les membres transcrivent la séance, le préposé à la salle du comité, le technicien du service multimédia, l’équipe de la télédiffusion, le centre d’enregistrement, la Direction des services d’information et notre page. Merci beaucoup de tout ce que vous faites.
Notre prochaine réunion aura lieu le jeudi 8 février. La réunion se déroulera à huis clos et portera sur le rapport du comité. Nous discuterons du rapport d’étude sur les sols du comité ainsi que des travaux futurs. Mesdames et messieurs, vous avez déjà reçu un certain nombre de documents pertinents. Je vous demanderais de les examiner avant notre réunion.
(La séance est levée.)