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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 15 février 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada.

La sénatrice Paula Simons (vice-présidente) occupe le fauteuil.

La vice-présidente : Bonjour, honorables sénatrices et sénateurs.

Bienvenue aux membres du comité, aux témoins, tant en personne qu’en ligne, et à ceux qui suivent cette réunion sur le Web.

[Traduction]

Je m’appelle Paula Simons, sénatrice de l’Alberta, du territoire visé par le Traité no 6, et vice-présidente du comité. Le comité se réunit aujourd’hui afin d’examiner pour en faire rapport l’état de la santé des sols au Canada. J’aimerais que les sénateurs à la table se présentent.

Le sénateur Oh : Je suis le sénateur Victor Oh, de l’Ontario.

Le sénateur Cotter : Je m’appelle Brent Cotter, sénateur de la Saskatchewan, sur le territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice McBean : Je suis Marnie McBean, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur McNair : Je suis John McNair, sénateur du Nouveau-Brunswick.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, d’Alma, au Québec. J’ai le plaisir de remplacer le sénateur Black aujourd’hui.

[Traduction]

La vice-présidente : Avant de commencer, si un problème technique survient, particulièrement du côté de l’interprétation, veuillez le signaler à la présidence ou à la greffière, et nous nous efforcerons de rectifier le tir. Je m’adresse tout particulièrement à vous, monsieur Price, puisque vous êtes en ligne. Permettez-moi d’accueillir notre premier groupe de témoins sur la contamination des sols. Nous recevons Daniel Alessi, professeur et chaire Encana sur les ressources en eau, au Département des sciences de la terre et de l’atmosphère, à l’Université de l’Alberta. Nous accueillons aussi Gordon Price, professeur au Département d’ingénierie de la Faculté d’agriculture à l’Université Dalhousie, qui se joint à nous par vidéoconférence.

Je vais vous inviter à faire vos déclarations liminaires, et vous expliquer les protocoles du comité. Chacun d’entre vous disposera d’exactement cinq minutes pour sa présentation. Je vous signalerai que votre temps achève en levant une main lorsqu’il vous restera une minute, et les deux lorsque votre temps sera écoulé.

La parole est maintenant à vous, monsieur Alessi. Vous avez cinq minutes.

Daniel Alessi, professeur et chaire Encana sur les ressources en eau, Département des sciences de la terre et de l’atmosphère, Université de l’Alberta, à titre personnel : Je vous remercie d’avoir eu l’amabilité de m’inviter à m’adresser à vous tous. Cela me remplit d’humilité.

La contamination des sols est un problème environnemental de taille au Canada, étant donné qu’une série de facteurs contribuent à la dégradation de la qualité des sols dans tout le pays. Les activités industrielles, les pratiques agricoles, l’élimination inadéquate des déchets, les fuites de décharges et le niveau historique de contamination sont quelques-unes des principales sources de contamination des sols au Canada. La surexploitation agricole, l’exploitation forestière ou les bandes défrichées pour l’exploitation de pétrole et de gaz peuvent également causer la dégradation et l’érosion des sols, ce qui entraîne la perte d’une ressource que la plupart des scientifiques considèrent comme non renouvelable.

Les activités industrielles, notamment l’exploitation minière, pétrolière et gazière, ainsi que la fabrication et la production de produits chimiques, ont laissé une marque durable sur les sols canadiens. Ces activités se traduisent souvent par l’utilisation de substances dangereuses et une mauvaise gestion des déchets, ce qui entraîne le rejet de polluants dans les sols. Les contaminants, tels que les métaux lourds, les hydrocarbures pétroliers et les produits chimiques industriels, peuvent persister dans le sol pendant des décennies, ce qui présente des risques pour la santé humaine et les écosystèmes.

En outre, de nouvelles menaces planent en raison des contaminants émergents, notamment les produits pharmaceutiques et les fameux « produits chimiques éternels » — les substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques, ou SPFA —, qui sont utilisés depuis toujours dans de nombreux biens de consommation, notamment les emballages alimentaires, les vêtements et les casseroles. Selon certaines sources, plus de 99 % des Canadiens ont des concentrations mesurables de SPFA dans leur sang. Or, on croit que ces substances sont préjudiciables à la santé humaine à des concentrations de l’ordre d’une partie par 1 million de milliards, ce qui est infiniment faible. Ces substances émergentes se dégradent lentement dans le sol et l’eau et, dans de nombreux cas, leurs effets à long terme sur les écosystèmes et la santé humaine ne sont pas bien compris. Pour relever ces défis, il faut poursuivre les recherches sur l’identification, la toxicité, la mobilité et la destinée de ces composés dans les sols et l’eau, et comprendre la bioaccumulation dans les organismes.

Les pratiques agricoles, notamment l’utilisation de pesticides, d’herbicides, d’engrais et de méthodes d’agriculture intensive, contribuent également à la contamination et à la dégradation des sols. L’utilisation excessive de ces produits chimiques peut conduire à leur accumulation dans le sol, ce qui a un impact sur sa qualité et sa fertilité. Les eaux de ruissellement provenant des terres agricoles peuvent transporter ces contaminants dans les plans d’eau avoisinants, ce qui aggrave encore les incidences sur l’environnement.

La qualité des sols agricoles et celle de l’eau sont intimement liées. Alors que les données décennales — qui proviennent par exemple d’Agriculture et Agroalimentaire Canada — font état d’une augmentation de la qualité générale des sols depuis les années 1980, on constate une baisse correspondante de la qualité de l’eau, largement attribuable à l’utilisation d’herbicides, de pesticides et d’engrais au phosphore. Il faut absolument continuer à soutenir le travail d’organismes comme Agriculture et Agroalimentaire Canada et, à plus grande échelle, d’autres chercheurs canadiens pour améliorer et préserver la qualité des sols et de l’eau en régions agricoles. Je parle notamment de faire progresser la recherche sur l’utilisation de produits chimiques sur les terres agricoles. Il faut plus particulièrement s’attarder aux quantités et aux stratégies employées — y compris aux amendements de sol à bilan carbone négatif comme le biocharbon — qui ont fait leurs preuves pour améliorer la santé et la fertilité des sols.

Nous avons également au Canada un climat qui change plus rapidement que dans de nombreux autres endroits du monde. Les changements qui touchent tant la température que la distribution et l’intensité des précipitations peuvent avoir de profondes répercussions sur la stabilité, la chimie et la santé des sols.

Parallèlement, on s’attend à ce que les incendies de forêt se multiplient et le dégel du pergélisol se poursuive, ce qui accroît l’érosion des sols et les répercussions sur les réserves d’eau douce, étant donné que les particules de sol et de charbon aboutissent de plus en plus dans les rivières et les ruisseaux avoisinants. Ce phénomène a des répercussions non seulement sur la santé des écosystèmes, mais aussi sur l’utilisation des ressources en eau douce du Canada à des fins récréatives et pour l’approvisionnement en eau potable.

Des études menées dans des régions au climat similaire à celui du Canada, comme l’Europe du Nord, montrent que la mobilisation des métaux lourds existants et des contaminants organiques présents dans les sols, tels que les hydrocarbures, peut augmenter de façon spectaculaire avec une légère hausse de température, ainsi qu’avec des variations dans les précipitations ou les niveaux d’eau souterraine. Afin de protéger adéquatement nos sols et nos eaux, il est urgent de mener des études supplémentaires sur les impacts du changement climatique à l’égard de ces ressources.

Enfin, j’aimerais mentionner que ces enjeux offrent de nombreuses occasions. Par exemple, les anciennes sources de contamination des sols, telles que les eaux rejetées par les installations pétrolières et gazières ou les tas de cendres volantes provenant de la combustion du charbon pour produire de l’électricité, contiennent des minéraux critiques. Les chercheurs du gouvernement, de l’industrie et des universités mettent au point des méthodes pour extraire ces éléments, transformant en ressource une chose qui était néfaste pour la santé du sol et de l’eau.

Il est essentiel de continuer à surveiller la contamination des sols au Canada et à s’y attaquer afin de protéger la santé humaine, préserver les écosystèmes et conserver notre secteur agricole. Notre rôle, en tant que scientifiques, est de fournir les données nécessaires à l’élaboration de règlements et de lois efficaces qui garantissent une utilisation durable des vastes ressources en sol du Canada.

Je vous remercie de votre attention.

La vice-présidente : Je vous remercie infiniment, monsieur Alessi. La parole est maintenant à M. Price.

Gordon Price, professeur, Département d’ingénierie, Faculté d’agriculture, Université Dalhousie, à titre personnel : Madame la présidente, honorables sénateurs, bonjour. J’aimerais souligner que l’Université Dalhousie est située sur le territoire ancestral et non cédé du peuple du Mi’kma’ki. Nous sommes tous visés par des traités.

Avant toute chose, j’aimerais exprimer ma gratitude pour avoir l’occasion de vous donner mon point de vue sur la santé et la contamination des sols. Je tiens également à souligner la détermination de votre comité à mettre en lumière l’importance que revêt la santé des sols pour les Canadiens.

J’aborderai aujourd’hui deux domaines de préoccupation émergents concernant la santé des sols au Canada, qui doivent être intégrés à une discussion globale sur la responsabilité sociale et la gouvernance. Mes recherches portent sur la gestion des déchets organiques et leurs impacts environnementaux lorsqu’ils entrent dans les sols.

Un nombre grandissant de résidus organiques qui pénètrent dans les sols ne proviennent pas de l’agriculture. Ils portent l’empreinte des activités quotidiennes des Canadiens, et peuvent avoir un effet direct — bénéfique ou néfaste — sur la santé des sols et, en fin de compte, sur la santé humaine.

Deux sources importantes de matières potentiellement bénéfiques pour la santé des sols proviennent de la gestion des déchets organiques urbains, en particulier des déchets alimentaires et des biosolides.

L’économie canadienne gaspille une énorme quantité d’aliments et de matières organiques. La perte et le gaspillage d’aliments représentent un fardeau énorme pour notre économie qui coûte plus de 40 milliards de dollars par année, et sont liés à la santé des sols de plusieurs façons. Il y a du gaspillage alimentaire sur l’ensemble de la chaîne de valeur, de la production primaire à la vente au détail et aux consommateurs, en passant par le transport et l’entreposage. En fait, une grande partie de ces matières finissent dans une décharge. On estime que 58 % de tous les aliments produits au Canada — entre 14 et 35,5 millions de tonnes — se retrouvent dans les dépotoirs et contribuent aux émissions actuelles de gaz à effet de serre, ou GES, à hauteur de 30 millions de tonnes d’équivalent CO2, principalement sous forme de méthane. Dans l’état actuel des choses, seulement le quart des déchets alimentaires et organiques des municipalités canadiennes est réacheminé au compostage ou à la digestion anaérobie dans le but de récupérer les ressources. La qualité du compost utilisé sur les sols est réglementée à l’échelle provinciale pour en vérifier la stabilité biologique et la teneur en métaux lourds et en agents pathogènes.

D’autre part, 86 % des Canadiens ont accès à des réseaux municipaux de traitement des eaux usées, qui produisent environ 1 à 2 millions de tonnes sèches de solides, qui sont issus de l’épuration des eaux usées et également appelés biosolides. L’élimination et le traitement des matières solides représentent jusqu’à 50 % des coûts d’exploitation d’une station d’épuration des eaux usées. La moitié de ces solides d’eau traitée, ou biosolides, sont épandus sur les terres sous forme d’amendements qui fournissent des nutriments pour la production agricole.

Les biosolides sont réglementés pour en assurer une utilisation sécuritaire dans chaque province. Le tout repose sur des critères établis par le Conseil canadien des ministres de l’Environnement, ou CCME, ainsi que des critères que chaque province ou territoire juge importants — notamment les métaux lourds, les agents pathogènes, les éléments nutritifs et, dans certains cas, les contaminants légués du passé ou les contaminants d’intérêt émergent.

Dans les deux cas, les déchets alimentaires et les biosolides représentent la mosaïque de ce que la société canadienne consomme et jette, y compris un éventail de produits chimiques ménagers et industriels, de produits de santé et d’hygiène, ainsi qu’une myriade de plastiques. Les installations de gestion des déchets, les organismes de réglementation provinciaux et les acteurs du secteur agricole se trouvent dans une position précaire et doivent gérer ces matières à l’aide de technologies ou d’outils politiques qui ne sont pas parfaitement adéquats.

Le défi entourant la santé des sols réside dans le fait que l’agriculture est perçue comme une façon viable et bon marché de gérer les sous-produits organiques issus de la production agricole, de l’industrie et des municipalités, ou de s’en débarrasser. Même si la solution permet de recycler des nutriments précieux et du carbone dans les sols, elle oblige injustement les gestionnaires de sites de compostage et les agriculteurs à jouer aux protecteurs de l’environnement et à gérer les déchets.

Deux possibles contaminants permettent d’illustrer ce dilemme sociétal. Il y a les microplastiques qui sont présents dans les composts de déchets alimentaires et les digestats anaérobies, ou encore les microplastiques et contaminants d’intérêt émergent qui pourraient se trouver dans les biosolides. M. Alessi a fait allusion aux substances perfluoroalkyliques et polyfluoroalkyliques, des produits chimiques présents dans de nombreux produits de consommation qui ne se dégradent pas, qui s’accumulent dans l’organisme, et qui peuvent être associés à un large éventail d’effets sur la santé humaine, tels qu’une baisse de la fertilité, un risque accru de cancer et un dérèglement hormonal.

De même, les microplastiques ont tout d’un contaminant persistant. Une fois qu’ils se trouvent dans le sol, il est pratiquement impossible de les en extraire. Les fuites annuelles de plastiques dans l’environnement terrestre et aquatique dépassent les 22 millions de tonnes dans le monde. La pollution des océans par le plastique est devenue un problème très visible de notoriété publique; pourtant, la contamination terrestre par les microplastiques peut être de 4 à 23 fois plus élevée que celle des environnements marins.

Les Canadiens tirent d’importants avantages économiques et environnementaux du réacheminement des déchets alimentaires compostés ou de la récupération des biosolides pour l’agriculture. La réutilisation de ces ressources doit se poursuivre afin d’atténuer le changement climatique, favoriser la santé des sols et renforcer la résilience du secteur agricole canadien.

Que pouvons-nous donc faire? Votre comité et les personnes qui ont apporté leur expertise à ce rapport doivent réclamer plus de sensibilisation et de réglementation sur les matières qu’on devrait autoriser dans ces flux de déchets, et encourager l’industrie à jouer un rôle important dans ce plaidoyer. Les Canadiens doivent mieux connaître les effets en aval de leurs actions sur la santé des sols. Les autorités réglementaires provinciales et fédérales doivent communiquer avec les gestionnaires de déchets et les acteurs du secteur agricole afin de trouver des moyens d’empêcher ces contaminants potentiels de pénétrer les sols. La responsabilité sociale et la gouvernance doivent être présentes tout au long de la chaîne de valeur alimentaire, de la production primaire aux consommateurs. Les Canadiens ont un rôle important à jouer pour favoriser la santé des sols. Je vous remercie.

La vice-présidente : Je vous remercie infiniment tous les deux. Nous passons maintenant aux questions.

Le sénateur Oh : Je souhaite la bienvenue aux témoins d’aujourd’hui.

Comment le gouvernement fédéral peut-il aider les agriculteurs à adopter des pratiques de conservation des sols fondées sur ce que vous avez tous les deux trouvé dans vos études?

M. Alessi : C’est une bonne question. Je pense qu’il faut d’abord sensibiliser les agriculteurs à plusieurs enjeux. Le premier volet englobe l’application d’herbicides et de pesticides, ainsi que la gestion adéquate des engrais. Au pays, on constate depuis toujours une utilisation abusive des engrais, ce qui a entraîné des phénomènes tels que l’eutrophisation des masses d’eau à proximité des terres agricoles. Il faut donc sensibiliser les agriculteurs sur les méthodes adéquates de travail du sol, ainsi que sur les programmes qui permettent d’évaluer la santé des sols sur les terres agricoles. Une partie de ces programmes sont offerts par Agriculture et Agroalimentaire Canada.

D’un point de vue académique, je dirais que l’autre volet est le financement. Je pense par exemple à l’Énoncé de politique des trois Conseils, et plus particulièrement au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, ou CRSNG. Il faut permettre la collaboration entre les universités, les chercheurs privés et ceux du gouvernement qui s’intéressent aux sols et à l’agriculture, et aussi la collaboration avec les agriculteurs en dehors du laboratoire et sur une parcelle de terrain, dans le but d’étudier les contaminants d’intérêt émergent et légués du passé, et d’offrir des solutions pour assurer la viabilité à long terme des sols.

M. Price : À mon avis, le gouvernement fédéral a un rôle à jouer pour soutenir les efforts de conservation des sols, comme l’a indiqué M. Alessi, au moyen d’éducation sur la conservation et d’un large éventail d’aides et de ressources à ce chapitre destinées au secteur agricole.

J’ajouterais qu’un des domaines qui est particulièrement intéressant est la surveillance à grande échelle de la qualité des sols au pays. Actuellement, notre capacité de surveillance est très limitée. Nous avons perdu toutes les levées des sols, et nous disposons maintenant d’outils dans de nombreux laboratoires universitaires pour effectuer une surveillance à grande échelle — ce que nous appellerions des données volumineuses ou mégadonnées — de nos paysages. Ces informations, ou données, peuvent en dire long sur les ressources et les pratiques actuelles de l’agriculture.

Le sénateur Oh : Jusqu’à présent, pensez-vous que le gouvernement a déployé assez d’efforts en ce sens pour mobiliser les institutions?

M. Alessi : J’ai écouté certains des témoignages précédents de ceux qui font ce boulot. Je pense que le travail effectué est formidable, mais qu’il n’est probablement pas suffisant.

M. Price a soulevé un point important concernant la surveillance. J’ajouterais que le système de surveillance non seulement de la qualité des sols, mais aussi des ressources en eau au Canada — qui, encore une fois, sont intimement et directement liées aux sols — ne permet pas de fournir l’information dont nous avons besoin pour surveiller la santé des sols et de l’eau pour les 50 à 100 prochaines années.

Le sénateur Oh : Monsieur Price, avez-vous des commentaires à formuler?

M. Price : Je suis d’accord; je pense que l’un des défis de toute approche institutionnelle est le fait que nous travaillons généralement en vase clos, et la science n’y fait pas exception. Les pédologues étudient les sols, mais ne cherchent pas forcément à comprendre l’incidence sur la qualité de l’eau, par exemple. Toutefois, les personnes qui étudient la qualité de l’eau ne s’intéressent pas forcément aux pratiques en vigueur dans le sol.

En ce qui concerne la surveillance, une telle surveillance environnementale à grande échelle doit être intégrée et permettre aux scientifiques de partager les informations entre leurs disciplines. Ce que je constate aujourd’hui, c’est que des organismes comme le CRSNG et d’autres agences de financement encouragent les efforts de recherche collaborative à plus grande échelle afin de faire tomber les murs. Je pense que cette démarche est efficace, mais qu’elle doit être soutenue à long terme — non pas sur une base quinquennale, mais sur 15, 20 ou 30 ans. Nous avons besoin d’ensembles de données à long terme, mais nous avons actuellement des enveloppes de financement très courtes, de tout au plus trois ou cinq ans.

Le sénateur Oh : Je vous remercie de vos commentaires.

La sénatrice Petitclerc : Je remercie nos témoins d’être ici aujourd’hui. Ma question s’adresse à vous, monsieur Alessi. J’aimerais bien sûr entendre aussi les commentaires de M. Price, s’il en a.

Vous avez parlé du besoin d’éducation et de sensibilisation. Or, lorsqu’il est question de l’utilisation de pesticides, d’herbicides, de produits chimiques et d’engrais, l’éducation suffira-t-elle? Pensez-vous plutôt que le Canada devrait avoir des règlements plus stricts et peut-être des lois sur les substances qui peuvent être utilisées, leur quantité et le moment judicieux?

Deuxièmement, pouvez-vous nous donner une idée des enjeux entourant la réglementation, ainsi que la façon de contrôler ce qui est utilisé et en quelle quantité? Où nous situons-nous par rapport à d’autres pays? Avons-nous de bons résultats? Existe-t-il des pratiques exemplaires ailleurs?

M. Alessi : La première question, si j’ai bien compris, porte sur l’éducation en matière de pesticides et d’herbicides en ce qui concerne les applications par rapport à la réglementation. Je crois que je vais combiner mes réponses. Selon moi, en général, la réglementation visant l’application de produits chimiques dans les industries au Canada est l’une des meilleures au monde. En ce qui concerne la contamination des sols, je dirais qu’ici, au Canada, nous suivons généralement les recommandations du CCME. Aux États-Unis — nos voisins —, les règlements de l’EPA sont plus stricts et plus faciles à appliquer. Je ne pense pas que le problème soit lié au contenu des recommandations du CCME comparativement à celui des règlements d’autres pays, mais plutôt au fait que les recommandations du CCME n’ont pas autant de poids que les règlements d’autres pays, comme ceux des États-Unis.

Je ne tente pas de donner une réponse vague, mais je pense qu’il faut se pencher sur la réglementation. Je reste convaincu que l’éducation liée à l’application au niveau du sol — par exemple, pour informer les agriculteurs sur la quantité appropriée à appliquer, sur les substances chimiques de remplacement ou la solution qui consiste à ne pas utiliser de produits chimiques et peut-être à utiliser d’autres types d’amendements naturels — est une option qui mérite d’être explorée et approfondie.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie.

Avez-vous quelque chose à ajouter, monsieur Price?

M. Price : Oui, certainement.

J’ajouterais qu’il faut parler de la santé des sols et informer les agriculteurs, les praticiens — les intervenants directs — ou les personnes qui sont liées à la chaîne de valeur des aliments. C’est le message que je veux faire passer. Nous faisons peser sur les agriculteurs une grande responsabilité en matière de gestion de l’environnement, mais ce n’est pas nécessairement un rôle qu’ils ont assumé au départ. Ce sont des gens d’affaires et des familles multigénérationnelles qui pratiquent la production alimentaire. Nous leur faisons porter une grande part de responsabilité.

Toutefois, à titre de consommateurs et de défenseurs des intérêts, nous devons jouer un rôle pour les soutenir. Et comme l’a indiqué M. Alessi, nous avons des règlements stricts sur l’utilisation des produits chimiques dans le sol, mais nous devons faire comprendre que la santé des sols englobe un large éventail d’autres possibilités, comme l’utilisation d’amendements organiques bénéfiques, de pratiques biologiques et d’autres pratiques qui peuvent réduire la nécessité d’utiliser certains de ces produits chimiques. Nous n’échapperons pas à la nécessité d’utiliser des pesticides ou des herbicides en raison des niveaux de production que nous devons maintenir ou augmenter, mais nous pouvons offrir d’autres occasions d’évaluer la possibilité de ne pas les utiliser ou d’utiliser des solutions de remplacement.

Je pense que nous disposons d’un bon système de soutien. M. Alessi a indiqué que les recommandations du CCME sont des lignes directrices et non des règlements, et qu’il revient donc à chaque province de gérer ce dossier. Ça représente donc un certain défi en matière de réglementation.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie.

Monsieur Alessi, lorsque nous parlons d’éducation et de sensibilisation, avez-vous constaté que les agriculteurs — M. Price disait que les agriculteurs ne sont parfois pas au courant — qui ont été informés et sensibilisés adopteront plus facilement des pratiques exemplaires? Est-ce votre expérience ou avez-vous observé une certaine résistance à cet égard?

M. Alessi : J’ai travaillé avec quelques agriculteurs dans le cadre de projets menés dans la province de l’Alberta, et les faits parlent d’eux-mêmes. Toutefois, je ne pense pas qu’ils vont nécessairement changer l’ensemble de leur processus, car un grand nombre d’entre eux planifie seulement une année à la fois.

J’aimerais répéter une chose que j’ai mentionnée dans ma déclaration préliminaire. Nous devons mener plus d’études entre celles qui se déroulent dans les laboratoires universitaires ou gouvernementaux, c’est-à-dire à petite échelle, et les essais à grande échelle sur le terrain. Cela nous ramène à l’utilisation de fermes universitaires, par exemple, où l’on peut mener des études pilotes dans la nature et déterminer comment certains types d’amendements fonctionnent. M. Price a mentionné les amendements organiques. Il y a aussi le biocharbon, qui est essentiellement du charbon de bois. Ces amendements doivent faire l’objet d’essais pour inspirer confiance. Une fois qu’ils ont fait leurs preuves, les agriculteurs sont plus enclins à les utiliser.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Cotter : J’ai une question pour M. Alessi, puis une autre question qui s’adressera surtout à M. Price, je crois.

Vous avez parlé de la relation entre le sol et l’eau. Je présume que l’un des aspects de votre travail consiste à étudier les bassins hydrographiques dans leur ensemble. Certaines de ces questions présentent une intersection intéressante entre la compétence fédérale et la compétence provinciale. Nous parlons ici du point de vue fédéral. Pouvez-vous nous parler de cette intersection dans votre travail?

M. Alessi : Oui, certainement. Je parlerai du point de vue de l’eau.

Lorsque nous considérons la santé des bassins hydrographiques, par exemple, ce qui comprend évidemment le sol de la région, nous traitons principalement avec les municipalités. Il s’agit peut-être d’une compétence provinciale, mais nous traitons avec les grandes municipalités qui se trouvent dans le bassin hydrographique. Par exemple, je travaille actuellement sur la santé des sols et l’approvisionnement en eau face au changement climatique dans le bassin hydrographique de la rivière Saskatchewan Nord. Les organismes avec lesquels nous traitons généralement ne sont pas des organismes fédéraux, mais plutôt des organismes provinciaux. Il y a l’Alberta Energy Regulator, l’Alberta Geological Survey, la ville d’Edmonton et les principaux utilisateurs d’eau, ainsi que l’entreprise de services publics EPCOR. Nous traitons donc avec les intervenants de ces organismes.

Le gouvernement fédéral n’est pas très engagé dans les projets dans lesquels j’ai travaillé dans les Prairies canadiennes. Cet engagement se situe plutôt à l’échelle locale et régionale.

Le sénateur Cotter : J’espère que vous continuerez à faire votre bon travail, car ces eaux s’écoulent jusqu’en Saskatchewan.

M. Alessi : Oui, c’est effectivement le cas.

Le sénateur Cotter : Monsieur Price, en vous écoutant, je me suis senti coupable d’aller à la salle de bain. Mais je dois m’en remettre, car il n’y a pas beaucoup d’autres choix. Il me semble que vos travaux et ceux de vos collègues sont très importants. J’ai compris que l’augmentation des ressources allouées à la recherche vous permettra d’en faire davantage et de le faire mieux. Mais si un plus grand nombre de personnes étaient informées sur cette question — par exemple, dans les domaines dont vous avez parlé qui sont liés à la responsabilité sociale —, il me semble que des millions de personnes essaieraient de modifier, même modestement, leurs pratiques si elles connaissaient certaines des conséquences que vous avez décrites, car certaines d’entre elles me semblent catastrophiques. Comme je l’ai déjà dit une ou deux fois aux membres du comité — et ils en ont assez de l’entendre —, je ne suis pas issu du milieu agricole, mais lorsque je me suis joint au comité et à cette étude, je suis venu pour douter et je suis resté pour prier. J’ai l’impression que nous apprenons énormément de choses ici, mais ce n’est pas le cas pour le reste des Canadiens.

Connaissez-vous ou utilisez-vous une stratégie dans le domaine de la responsabilité sociale qui pourrait être mise en œuvre, afin d’aider la population à mieux comprendre ces enjeux?

M. Price : Oui, certainement. Encore une fois, j’aurais pu venir ici pour parler du fait que nous, les scientifiques, avons besoin d’un plus grand soutien financier pour nos recherches — et c’est très important —, mais il s’agit également de savoir qui nous soutenons. Nous soutenons les consommateurs. Nous soutenons les décideurs politiques. Par exemple, j’ai fait partie d’un comité technique pour la province de la Colombie-Britannique où l’on tentait d’évaluer les règlements de la province concernant l’utilisation des amendements organiques, en particulier les biosolides. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au bout du compte, tout le monde doit travailler avec des matières sur lesquelles ils n’ont aucun contrôle. Les matières qui entrent dans un système d’égout et celles qui entrent dans un récipient de tri à la source de matières organiques sont contrôlées par chaque personne qui décide ce qu’elle place dans ce récipient et la façon dont elle le fait. C’est l’élément manquant. Les consommateurs doivent prendre leurs responsabilités.

Je donne actuellement un cours à des étudiants de premier cycle universitaire qui ont le privilège d’être plus instruits que la plupart des Canadiens. Toutefois, si je vérifie les récipients de tri à la source, je peux observer que des matières plastiques ont été déposées dans les récipients de matières organiques. Nous ne sensibilisons donc pas efficacement les étudiants que nous voyons tous les jours, sans parler de tous les autres Canadiens.

D’une manière ou d’une autre, nous devons informer efficacement les Canadiens et leur faire comprendre que leurs actions sont étroitement liées à la qualité de la nourriture et de l’eau qu’ils consomment. Je n’ai toutefois pas de réponse à la question de savoir comment y arriver.

Je travaille actuellement sur un projet financé par le CRSNG dans lequel nous quantifions le gaspillage et les déchets alimentaires au Canada, principalement dans le contexte des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi dans le contexte de la quantité de matières plastiques qui entre dans le composte, car nous investissons des sommes astronomiques et une grande partie de l’argent des contribuables dans les infrastructures et la gestion de ce secteur. La moitié des matières qui entrent dans une installation de compostage sont envoyées dans un site d’enfouissement parce qu’elles sont contaminées par des matières plastiques. Nous avons donc besoin d’un mécanisme plus efficace pour sensibiliser les gens à l’impact de leurs actions.

Le sénateur Cotter : Je vous remercie beaucoup de votre réponse.

La sénatrice Burey : Je remercie sincèrement les témoins d’être ici aujourd’hui.

Je suis pédiatre et je suis donc à l’écoute de vos propos. Je voulais aborder la question du cloisonnement. De nombreux experts qui ont comparu devant le comité nous en ont parlé à maintes reprises. De nombreuses recherches sont en cours, mais les travaux sont menés de façon cloisonnée.

Qui devrait assurer un suivi à cet égard et comment, selon vous, le gouvernement fédéral pourrait-il avoir un impact? Devrait-il nommer un champion de la stratégie nationale des sols ou quelque chose de ce genre? Selon vous, comment pourrions-nous briser ce cloisonnement et obtenir des pratiques exemplaires en matière de communication, d’éducation, de sensibilisation, de recherche, etc.?

J’aimerais entendre la réponse des deux témoins.

M. Alessi : Je vous remercie.

La première chose que je tiens à préciser, c’est que la recherche est cloisonnée, tout comme les renseignements sur la contamination des sols. Tout d’abord, sur le plan historique — et pour revenir à ce que disait M. Price —, certaines des meilleures études dans le monde sont menées sur des sites établis à long terme pour étudier les impacts de la contamination des sols, par exemple. En Ontario, nous avions un site de renommée mondiale qui a permis de découvrir les causes de l’eutrophisation des masses d’eau. Le soutien pour ces sites de recherche — qui nécessitent non seulement des scientifiques et des ingénieurs de toutes sortes, mais aussi des personnes du milieu des sciences sociales, de la médecine et de la santé — est, selon moi, inestimable pour faire des découvertes intégrées qui ont une incidence réelle et qui ne sont pas cloisonnées dans les domaines de la science du sol, des sciences de la terre ou de la toxicologie.

Deuxièmement, la contribution d’intervenants des domaines des sciences sociales et des communications à ces types de sites est également inestimable, car ces personnes savent comment organiser des efforts de sensibilisation et diffuser des renseignements aux collectivités qui en ont besoin.

La sénatrice Burey : Monsieur Price, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Price : Je suis d’accord, et j’ajouterais que l’un des problèmes avec le cloisonnement, c’est qu’il s’agit simplement de communication sans savoir si l’autre partie — quelle qu’elle soit — s’intéresse à ce qui est communiqué. Qu’il s’agisse d’un champion des sols ou de mandats supplémentaires au sein des organismes qui financent les scientifiques — par exemple, le CRSNG, ou le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, les IRSC, ou les Instituts de recherche en santé du Canada, ou le CRSH, ou le Conseil de recherches en sciences humaines —, ces entités encouragent un plus grand engagement interdisciplinaire dans le cadre des collaborations. À l’heure actuelle, des appels de propositions du CRSNG, du CRSH et des IRSC exigent la participation de chercheurs d’autres disciplines. L’un de mes projets actuels exige la participation de spécialistes des sciences sociales, afin que nous puissions comprendre l’incidence des comportements des consommateurs sur la quantité de pertes et de déchets alimentaires et les conséquences sur le compostage des matières organiques.

Je ne pense pas qu’il soit nécessaire de renforcer la surveillance administrative. Nous devons plutôt créer des espaces qui permettent aux gens de s’engager les uns envers les autres et de communiquer — et sentir qu’ils peuvent communiquer — leurs messages clairement, et ensuite trouver des moyens d’intégrer cela dans les activités d’éducation qui sont d’une importance primordiale.

La sénatrice Burey : Pour approfondir la question de la surveillance de la qualité des sols — puisque vous avez abordé cette question, monsieur Price —, qui devrait être tenu responsable de notre manque de données? Qui devrait faire ce travail? Est-ce le gouvernement? Est-ce l’industrie? Veuillez me faire part de vos réflexions à ce sujet.

M. Price : C’est notre responsabilité à tous. Encore une fois, je vais parler d’un projet sur les sols que nous avons soumis au CRSNG, et qui consiste simplement à créer une grande base de données nationale sur les sols. Notre proposition fait intervenir des organismes gouvernementaux provinciaux et fédéraux, comme Agriculture et Agroalimentaire Canada et Environnement et Changement climatique Canada, ainsi que l’industrie. Elle intègre des données générées par l’industrie, mais hébergées au sein du gouvernement fédéral. Le seul objectif est de créer un centre unique pour les données sur les sols de l’ensemble du Canada.

Je ne vous demande pas de dire au CRSNG de nous financer. Toutefois, si vous pouviez le faire, je vous en serais grandement reconnaissant, car c’est le type d’initiative que nous souhaitons mettre sur pied. Nous disposons de renseignements dissociés d’un bout à l’autre du pays, mais nous reproduisons souvent le travail que d’autres ont déjà fait parce que nous ne savons pas que ces données existent. Nous avons donc besoin d’initiatives qui rassemblent les différents ordres de gouvernement, les établissements et l’industrie pour parler du partage de renseignements plutôt que de la protection des données. C’est un enjeu très important.

La vice-présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur Price.

La sénatrice Jaffer : Je remercie beaucoup les deux témoins.

J’ai une question de suivi sur ce que disait le sénateur Cotter au sujet de l’éducation. Monsieur Price, vous avez parlé d’enseigner aux étudiants d’université où mettre les ordures, etc. L’un ou l’autre d’entre vous a-t-il des programmes pour enseigner cela aux enfants? J’étais autrefois monitrice chez les Jeannettes, et ces petites filles répétaient au monde entier ce que je leur apprenais. Elles disaient à leurs parents ce qu’il ne fallait pas faire, et elles le disaient ensuite à tout le monde. Ces renseignements sont restés gravés dans leur mémoire. Elles sont maintenant beaucoup plus âgées. Je ne sais même pas si les gens savent encore ce que sont les Jeannettes, mais elles disent qu’elles n’ont jamais oublié ce qu’elles ont appris chez les Jeannettes. Avez-vous des programmes ou avez-vous travaillé sur la question?

J’aimerais d’abord entendre la réponse de M. Price, et ensuite celle de M. Alessi.

M. Price : Je vous remercie, sénatrice Jaffer. Je n’ai pas de programme précis, du moins pas au niveau de l’école primaire, même si selon moi, c’est l’endroit où il est important de commencer. Je sais que des écoles primaires de différentes provinces incluent les sols dans leurs programmes d’études.

Par contre, je participe chaque année à ce qu’on appelle Envirothon, c’est-à-dire un concours qui sert à former les élèves du secondaire qui s’intéressent à l’environnement et à les informer sur les sols en particulier, ainsi que sur le thème du concours. Je participe aussi fréquemment aux expo-sciences canadiennes. Cependant, il s’agit de petits groupes d’étudiants individuels qui s’intéressent grandement à ces domaines. Nous avons certainement besoin d’efforts de sensibilisation à plus grande échelle dans les écoles élémentaires pour informer les élèves de l’impact de leurs actions.

Je crains donc de ne pas avoir de programme de ce genre, mais je pense que c’est très important.

La sénatrice Jaffer : Je vous remercie. Monsieur Alessi, avez-vous de tels programmes?

M. Alessi : Ma réponse, sénatrice, sera semblable à celle de M. Price. Nous n’avons pas de programme continu ou à long terme.

Nous agissons de façon ponctuelle. Les professeurs se rendent, pendant leur temps libre et dans le cadre de leurs fonctions, dans les écoles secondaires et les écoles primaires pour y offrir des cours sur les sciences du sol, de l’eau et de la terre, des sujets qui font cruellement défaut dans les écoles primaires et secondaires.

À l’université, nous accueillons plusieurs milliers d’étudiants chaque été, maintenant que la pandémie est terminée. Ils travaillent dans des domaines précis, comme la médecine ou les communications, et l’un des groupes se concentre sur les sols et l’eau. Je le répète, il s’agit d’un exercice ciblé qui ne comprend peut-être que quelques dizaines d’étudiants, mais c’est un début et c’est quelque chose que nous devrions probablement développer.

La sénatrice Jaffer : Permettez-moi de vous soumettre ce qui suit. Nous devons également accomplir des efforts dans ce domaine; ce n’est pas que vous qui devez le faire. J’ai remarqué que lorsque je vais dans les écoles primaires, la première question que l’on me pose concerne les changements climatiques. Les enfants en sont très conscients. Ma recommandation serait donc — et elle s’adresse à vous comme à nous — d’envisager de déployer ces efforts non seulement à l’université et à l’école secondaire, mais aussi à l’école primaire.

Je vous remercie.

La vice-présidente : Très bien. C’est maintenant à mon tour de poser une question. Nous allons activer le chronomètre pour moi aussi.

Monsieur Alessi, vous avez un peu parlé de l’assainissement des sols à l’aide du biocharbon et de l’extraction des métaux lourds. Étant donné que cette partie de la réunion a été quelque peu déprimante jusqu’à présent, je me demande si vous pourriez nous parler des techniques dont nous disposons déjà et qui nous permettraient d’assainir les sols, et de ce sur quoi les recherches devraient se concentrer dans ce domaine.

M. Alessi : Pour ce qui est des contaminants conventionnels — et j’inclurais les hydrocarbures pétroliers, bon nombre d’autres polluants organiques et les métaux —, il existe des technologies d’assainissement très bien établies. Par conséquent, il s’agit davantage d’être prêts à investir de l’argent que de la nécessité de concevoir de nouvelles technologies. M. Price et moi-même avons tous deux parlé des contaminants émergents, j’inclurais donc aussi les produits pharmaceutiques. M. Price a dit à juste titre qu’il fallait mener des recherches sur les microplastiques et les plastiques en général, ainsi que sur les composés de SPFA.

On comprend mal non seulement comment ces composés se déplacent et ce qu’il adviendra d’eux dans l’environnement, mais aussi — dans certains cas — leur origine, leur toxicité et les moyens indiqués pour les assainir.

Je pense qu’il s’agit là des principaux problèmes en matière d’assainissement des sols. Je peux également parler du biocharbon. C’est l’un de mes domaines d’expertise, et je pourrais donc en parler assez longtemps.

Essentiellement, on obtient du biocharbon en chauffant, en l’absence d’oxygène, de la biomasse résiduelle de tout type, comme des boues d’épuration provenant des usines de traitement des eaux municipales et des déchets agricoles qui sont produits à grande échelle. En somme, on obtient du charbon de bois. Le processus ne libère pas beaucoup de CO2. La majeure partie du carbone qui aurait fini sous forme de CO2 est piégée dans le charbon de bois. Ce processus présente plusieurs avantages.

Premièrement, nous pouvons enfouir ce carbone dans les sols et il ne se transformera pas en CO2 avant des centaines, voire des milliers d’années. Cela permet vraiment de chasser ce carbone. Au lieu de le laisser circuler pour qu’il se décompose et se transforme en gaz à effet de serre, nous le laissons dans le sol où il finira par se transformer en dioxyde de carbone et peut-être en méthane. Ce faisant, nous repoussons le problème 500 ans plus tard, et nous pouvons supposer que d’ici là, nous aurons résolu le problème des émissions de gaz à effet de serre.

Cette matière est également très bénéfique pour les sols à long terme. Les effets ne se feront sentir qu’après un certain temps. Prenez, par exemple, les cultures amazoniennes en Amérique du Sud. On y trouve de la terra preta qui agit encore des milliers d’années plus tard dans des sols qui étaient auparavant pratiquement infertiles. Cette matière présente un formidable double avantage.

La vice-présidente : Cette matière recueille seulement les éléments néfastes, les contaminants?

M. Alessi : Elle le peut. Elle peut absorber les contaminants. Il faut faire attention à ce que l’on utilise pour fabriquer le biocharbon, car si la matière première contient des contaminants, cela peut poser un problème. Nous pouvons en parler longuement, mais le biocharbon a tendance à concentrer des nutriments qui seront ensuite libérés plus lentement au fil du temps, ce qui est bon pour le sol. Les micro-organismes du sol aiment s’y attacher, ce qui accroît la diversité de la communauté microbienne du sol. Il y a une foule de répercussions positives : les cultures poussent mieux et il y a beaucoup de carbone dans le sol.

Par exemple, en Australie, il existe un site financé par le gouvernement où l’on utilise le biocharbon comme amendement de sol depuis plus de 20 ans. Il ne s’est pas passé grand-chose pendant un certain temps — il a fallu attendre 5 ou 10 ans —, mais on constate aujourd’hui une augmentation de 30 à 50 % du rendement des cultures sur ce site expérimental. C’est un projet fascinant.

La vice-présidente : Je vous remercie. Il me reste 1 minute et 20 secondes pour poser une question à M. Price.

Mon mari n’arrête pas de mettre des sacs en plastique dans le bac de compostage et j’ai envie de l’étrangler. Mais ce n’est pas un problème que vous pouvez résoudre pour moi le lendemain de la Saint-Valentin.

Vous avez parlé des microplastiques. Pouvez-vous nous donner quelques exemples de l’origine de ces microplastiques? J’espère qu’ils ne viennent pas de ce que mon mari n’arrête pas de jeter dans le bac.

M. Price : Ils viennent de là.

La vice-présidente : Des sacs en plastique? Y en a-t-il dans les bombes de bain et les exfoliants pour le visage que nous utilisons?

M. Price : Oui. Les vêtements et autres produits peuvent se décomposer en petits plastiques, mais la plupart des microplastiques proviennent des plastiques de plus grande taille que nous jetons dans nos sites d’enfouissement, dans le compost et dans nos poubelles de déchets organiques. Ils se décomposent en raison de ce contact physique. Par exemple, dans un système de compostage, ces matières sont retournées mécaniquement pendant 12 mois. Au fil du temps, ces sacs en plastique sont réduits en morceaux de plus en plus petits. Lorsqu’ils sont utilisés dans le sol, d’autres processus mécaniques et chimiques les décomposent. Cela commence par les produits de consommation en plastique que nous jetons, qui peuvent devenir non seulement des microplastiques, mais aussi des nanoplastiques. Nous les rendons de plus en plus petits.

Le problème est que, comme le biocharbon, ces plastiques deviennent des points chauds sur lesquels des éléments peuvent s’accrocher. Il peut s’agir de contaminants, ou ils peuvent contenir des contaminants qui s’échappent avec le temps. Une fois qu’ils se retrouvent dans le sol, en particulier à l’échelle microscopique et nanoscopique, il est littéralement impossible de les éliminer. Nous n’avons aucune capacité de filtrage pour le faire. Ce serait une énorme perturbation. Tout doit commencer par les politiques.

Le Canada a interdit les sacs à provisions dans les supermarchés. C’est un bon début, mais il faut aussi commencer par nos décisions individuelles, comme dans le cas de votre mari qui jette des sacs en plastique dans le bac de déchets organiques. Vous devriez peut-être continuer à l’encourager à ne pas faire cela.

La vice-présidente : Je vais lui montrer cette vidéo. Merci beaucoup.

La sénatrice McBean : Merci. C’est la première fois que je m’adresse à vous.

Au départ, je voulais poser une question toute simple, mais certaines questions posées par d’autres sénateurs et vos réponses ont changé la donne et l’ont rendue plus complexe.

En écoutant cette discussion, j’ai été frappée par le fait que le sol n’est pas renouvelable. Monsieur Price, je vous ai entendu dire que les déchets présents dans le sol proviennent principalement de secteurs autres que l’agriculture.

Mon collègue, le sénateur Oh, vous a demandé ce que vous feriez, et j’ai eu l’impression que le fardeau reposait sur les épaules des agriculteurs, comme c’est souvent le cas. Et puis, sénatrice Petitclerc, vous avez dit qu’ils allaient relever ce défi, mais qu’ils voulaient vraiment savoir comment tout cela fonctionne.

J’aimerais revenir à la question du sénateur Oh. Que peut faire le gouvernement? Nous parlons beaucoup des causes, des endroits où nous jetons les plastiques et de leurs effets. Nous voulons également surveiller la qualité du sol, qui dégrade la qualité de l’eau, mais j’ai l’impression que nous ne pouvons pas revenir en arrière. Que peut faire le gouvernement, entre autres, pour faire bouger les choses? Est-ce que ce seront les efforts de sensibilisation qui permettront d’éliminer les cloisonnements?

En passant, sénatrice Jaffer, les Brownies s’appellent maintenant les Embers. Ma fille était à une rencontre des Embers hier soir, donc les Brownies sont toujours fortes et bien vivantes.

Pour en revenir à mon propos, dans le cadre d’études sur les traumatismes cérébraux, les chirurgiens, les psychologues, les physiothérapeutes et tous les intervenants de la chaîne sont invités à participer à une discussion. Ils entrent dans une salle en pensant qu’ils ne sont pas au bon endroit, puis ils comprennent qu’ils doivent travailler tous ensemble. Je vais reposer la question du sénateur Oh : que peut faire le gouvernement? Il ne faut pas que tout repose sur les épaules des agriculteurs. Nous ne voulons pas nous contenter de surveiller le problème. Nous voulons l’enrayer. Comment tirer le meilleur parti d’une discussion comme celle-ci?

M. Price : Le gouvernement n’est pas une entité unique. Le gouvernement est composé de différents ministères et personnes qui s’intéressent à divers secteurs, comme l’économie, l’environnement et la santé.

Chaque secteur du gouvernement a un rôle à jouer. Interdisez les plastiques dans les supermarchés, dans les sacs et dans les emballages. Le gouvernement peut notamment jouer ce rôle, et réduire la quantité de plastiques en circulation.

Nous pouvons également fournir les ressources nécessaires aux meilleures pratiques agricoles. Si nous nettoyons les produits qui entrent dans le secteur agricole, les matières que les agriculteurs utilisent — les déchets alimentaires — ne seront plus une source de contamination, mais une ressource. Il faut sensibiliser les agriculteurs.

Les agriculteurs sont parmi les plus grands innovateurs. Parfois, ils sont les plus conservateurs, mais ils peuvent aussi être les plus grands innovateurs et ceux qui prennent le plus de risques. S’ils comprennent, comme M. Alessi y a fait allusion précédemment, qu’il y a peu de risques et beaucoup d’avantages pour eux, il est fort probable qu’ils adopteront ces pratiques.

Il incombe au gouvernement de financer la recherche qui permettra de surveiller les sols et de comprendre les répercussions de différents éléments, de réglementer les aspects qui sont des sources potentielles de contamination, et de fournir des outils aux agriculteurs pour qu’ils aient le sentiment de pouvoir les utiliser en toute sécurité et qu’ils sachent quelle est la meilleure pratique à adopter pour les utiliser.

M. Alessi : Premièrement, je pense qu’il est encore très important de surveiller la santé des sols. Nous avons toujours besoin de données. Nous serons encore confrontés à des changements climatiques importants au cours des 50 prochaines années; ils auront une incidence sur la distribution et la santé des sols au cours des prochaines décennies.

M. Price a dit à peu près la même chose que j’aurais dite. Sénatrice, vous avez parlé des deux côtés de la médaille. Il y a d’abord les choix personnels, que ce soit au niveau du consommateur ou de l’agriculteur. C’est la base.

L’autre côté de la médaille, ce sont les changements systémiques qui sont opérés par les échelons supérieurs. Cela peut se faire par le biais de règlements qui, dans certains cas, peuvent être perçus négativement, mais les règlements peuvent avoir des retombées positives en favorisant les gestes verts et les industries vertes.

C’est certainement ce que nous constatons. Je vous ai donné un exemple. Nous avons un problème majeur — et c’est un problème mondial — de tas de cendres volantes, et les résidus miniers sont très répandus au Canada. Nous avons beaucoup d’industries pétrolières et gazières. Il y a plus de 800 000 puits rien qu’en Alberta, dont beaucoup sont abandonnés et orphelins et produisent de l’eau saline. Tous ces éléments ont une incidence sur les sols.

Beaucoup d’amas de résidus contiennent des ressources précieuses, surtout dans le contexte de l’engouement pour les piles au lithium et l’énergie verte. Tandis que les déchets à la surface posent problème, ceux qui sont enfouis et se sont transformés en minerai peuvent devenir des sources de revenus. On peut ainsi créer des emplois, tout en remettant le site en état.

La sénatrice McBean : Oui, j’ai l’impression que vous êtes en train de prêcher des convertis. Je veux m’assurer de faire bon usage du temps que vous nous accordez.

Quelle peut être notre contribution? Si la réglementation est exemplaire, comme vous l’avez dit à la sénatrice Petitclerc, alors ce qu’il faut, ce sont des mesures incitatives. Comment peut-on faire avancer le dossier?

La vice-présidente : Vous venez d’un milieu où le temps compte; je dois vous dire que votre temps est écoulé.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je vais m’exprimer en français, mais vous pouvez me répondre en anglais. J’aimerais poursuivre dans la même veine, à savoir ce qu’on peut faire.

Je remplace aujourd’hui un membre du comité. Je siège aussi au Comité des banques, du commerce et de l’économie, et je m’intéresse beaucoup à la main-d’œuvre, à la formation et au développement des compétences. On oublie souvent que si on veut briser les vases clos, peut-être qu’il faudrait développer les compétences pour faire face à la crise climatique et s’y attaquer directement dans les écoles aux niveaux primaire, secondaire et universitaire. Pour ce qui est de la main-d’œuvre, on doit développer des compétences de bonne action dans les sociétés.

J’aimerais vous entendre à ce sujet, car je trouve qu’on oublie souvent cette dimension. Si on brise les vases clos et que l’on atteint les enfants, ils retourneront à la maison en disant à leurs parents : « Hé, vous ne pouvez pas faire cela! ». J’aimerais entendre votre opinion sur le développement des compétences et ensuite la reconnaissance de ces compétences.

[Traduction]

M. Alessi : Je vous remercie pour la question, sénatrice Bellemare. J’étais enfant quand les premiers programmes de recyclage de bouteilles et de boîtes de conserve ont été lancés. Je me souviens justement avoir dit à mes parents qu’il nous fallait un bac pour les boîtes de conserve. Après, nous en avons eu un pour le plastique. Comme vous l’avez bien dit, ce sont les enfants, curieusement, qui ont sensibilisé leurs parents et leurs grands-parents à cet enjeu, et aujourd’hui, c’est rendu normal.

M. Price a déjà abordé le sujet, et je pense que j’en ai parlé, moi aussi. Vous avez mentionné les écoles de niveau primaire. À mon avis, c’est aux niveaux primaire — ou peut-être intermédiaire — et secondaire qu’il faut agir.

Je ne suis certainement pas expert en la matière. Je me suis déjà rendu dans des écoles primaires et secondaires pour présenter des exposés sur la science de l’environnement, mais je me demande s’il ne serait pas pertinent de discuter avec des intervenants du milieu de l’éducation des niveaux primaire et intermédiaire. Les professeurs peuvent présenter des exposés, mais j’ai l’impression qu’il faudrait apporter des modifications au curriculum.

En ma qualité de professeur de géologie, j’ai constaté qu’un des problèmes systémiques que nous — les scientifiques — avons, c’est que les universités reçoivent des étudiants qui n’ont jamais suivi de cours de géologie, ce qui comprend, en quelque sorte, la science de l’environnement. Ils ont des connaissances dans les domaines de la chimie, de la biologie, des mathématiques et de la physique, ainsi que dans toutes les autres sciences fondamentales.

Il faut revoir en profondeur les matières enseignées aux niveaux primaire, intermédiaire et secondaire. C’est probablement la solution.

M. Price : Merci, sénatrice Bellemare. Je suis d’accord : les universités qui se trouvent dans des collectivités offrent beaucoup de possibilités. L’Université de Guelph, par exemple, est un grand établissement situé dans une ville plutôt petite de l’Ontario. Les enfants de l’école primaire peuvent se rendre à l’université et discuter avec différentes personnes pour découvrir comment fonctionne la recherche.

Notre université, située en Nouvelle-Écosse, organise souvent une journée communautaire. Les élèves du primaire et du secondaire prennent congé pour venir visiter le campus avec leur famille. Nous pouvons alors leur montrer tout le travail que nous faisons dans les domaines de l’agriculture et des sciences de l’environnement.

Cela dit, pour apporter un changement systémique, il faut modifier le curriculum. C’est l’élément fondamental pour atteindre chaque élève. Il ne suffit pas d’éduquer les élèves; il faut également éduquer les enseignants qui transmettent les ressources et les connaissances aux élèves. Sinon, il se peut que les enseignements reçus ne soient pas tout à fait adéquats.

La sénatrice Bellemare : Selon vous, faudrait-il également améliorer les compétences de la main-d’œuvre en offrant des stages très brefs sur ces questions au sein des entreprises?

M. Alessi : Ce serait une excellente idée, surtout si c’était bien structuré. Parfois, de tels programmes sont mal organisés ou peu utiles, mais si c’était concis et pertinent — il faudrait bien y réfléchir —, j’appuierais tout à fait la proposition.

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais vous entendre tous les deux sur la recherche — d’abord M. Alessi, suivi de M. Price. Il y a du financement, mais je sais qu’il est insuffisant. J’aimerais savoir comment les sujets de recherche sont choisis et par qui.

Êtes-vous satisfaits de la liberté que vous avez par rapport aux sujets ciblés pour les recherches et les travaux à faire maintenant? Y a-t-il des critères externes? Avez-vous quelque chose à dire là-dessus?

M. Alessi : Je dirais que le milieu de la recherche au Canada se porte généralement bien. Bien entendu, on pourrait se plaindre du financement, mais la situation est plutôt bonne.

Les chercheurs choisissent les sujets sur lesquels ils travaillent; ils n’ont qu’à présenter des demandes pour les subventions qui les intéressent. J’aime profiter des occasions : quand je vois un appel qui relève de mon domaine, si je crois pouvoir y répondre efficacement et si je pense que mon équipe a les compétences nécessaires, il se peut que je demande une subvention pour faire un travail que je ne faisais pas avant. Après, les chercheurs ont la liberté intellectuelle de choisir leurs étudiants, la direction du projet et les pistes pertinentes.

Bien entendu, à l’échelle fédérale, cela dépend en grande partie du financement offert. Si, comme à l’heure actuelle, il y a beaucoup d’appels portant sur les métaux critiques — le gouvernement fédéral a beaucoup d’argent pour les minéraux critiques, et les provinces aussi, d’ailleurs —, de nombreux chercheurs se tournent vers ce domaine puisque le financement est là.

Je dirais que les décisions prises par le gouvernement fédéral quant au financement qu’il offre ont une grande incidence sur les domaines de recherche, mais les universitaires sont libres de travailler sur les sujets qu’ils veulent — d’après mon expérience, en tout cas.

La sénatrice Petitclerc : Je présume qu’ils sont aussi indépendants.

M. Alessi : Oui, tout à fait.

La sénatrice Petitclerc : C’est ce que je voulais savoir. Si les fonds proviennent du fédéral, par exemple, ou peut-être parfois du privé, je veux m’assurer que vous avez l’indépendance nécessaire pour dire : « Tel groupe ou tel gouvernement veut peut-être telle chose pour des motifs politiques, mais voici ce dont le Canada a besoin en ce moment. »

M. Price : Je suis d’accord avec M. Alessi. Nous avons l’indépendance nécessaire pour décider quels sujets nous voulons étudier. Nous n’avons aucun contrôle sur le financement offert dans un domaine particulier à un moment donné. Il faut saisir les occasions. Quand il y a un appel dans un domaine que nous trouvons important d’étudier, nous essayons d’y répondre.

L’enjeu principal — je reviens aux vases clos —, c’est que les problèmes auxquels nous faisons face ne peuvent pas être réglés individuellement; or les chercheurs ont l’habitude de travailler isolément. Nous créons nos propres petits territoires de recherche — nos laboratoires individuels. Ce qu’il faut, ce sont des appels de financement multidisciplinaires nous obligeant à communiquer avec d’autres collègues qui mènent des travaux semblables ou qui ont des intérêts en commun.

La vice-présidente : Merci beaucoup, monsieur Alessi, monsieur Price. Vos témoignages étaient fort pertinents. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir contribué à notre étude.

Pour la deuxième partie de la réunion, nous recevons M. Subhasis Ghoshal, professeur de génie civil et directeur de l’Institut Trottier pour le développement durable en ingénierie et en conception de l’Université McGill; et M. Francis Zvomuya, professeur au département de la science du sol de la faculté des sciences agricoles et alimentaires de l’Université du Manitoba. Messieurs, je vous remercie tous les deux d’être venus à Ottawa pour témoigner aujourd’hui. Je vous invite à présenter vos déclarations préliminaires. Nous allons commencer par M. Ghoshal.

Subhasis Ghoshal, professeur de génie civil et directeur de l’Institut Trottier pour le développement durable en ingénierie et en conception, Université McGill, à titre personnel : Merci beaucoup, madame la présidente, honorables sénateurs et sénatrices, d’avoir entrepris le travail important d’examiner, pour en faire rapport, l’état de la santé des sols au Canada. Je vous suis reconnaissant de m’avoir invité à vous faire part de mes connaissances et de mon avis sur la contamination et l’assainissement des sols.

Mes domaines principaux de recherche et d’enseignement à l’université sont la contamination et l’assainissement des sols et des eaux. Mes recherches portent aussi particulièrement sur l’utilisation de nanomatériaux biocompatibles et sécuritaires pour la fertilisation et la protection des cultures, dans le but de réduire l’empreinte environnementale de l’agriculture.

Les sols constituent une ressource non renouvelable qui se génère lentement; en effet, il faut environ 1 000 ans pour produire un centimètre de sol de bonne qualité. Ils rendent des services écosystémiques importants; par exemple, ils fournissent de l’eau propre et des aliments, en plus de stocker en toute sécurité de très grandes quantités de carbone. D’ailleurs, environ la moitié des objectifs de développement durable des Nations unies sont liés à la santé des sols. Cependant, la contamination peut affecter les services écosystémiques rendus par les sols et nuire à l’atteinte de plusieurs objectifs de développement durable.

Au Canada comme dans nombre de pays industrialisés, la contamination des sols est très répandue. Toutefois, certaines caractéristiques climatiques et géologiques ont un effet particulier sur la distribution des contaminants et sur l’assainissement des sites. Elles comprennent l’hiver long et glacial; la vaste superficie, qui contribue à l’éloignement des sites contaminés; ainsi que des particularités géologiques ou géographiques, comme le pergélisol et les gisements de sables bitumineux en Alberta et en Saskatchewan. Ces caractéristiques créent des conditions propres au Canada.

La nature et la distribution des contaminants présents dans les sites au Canada reflètent les activités de divers secteurs, dont l’extraction des ressources, la fabrication, la production d’énergie, l’agriculture et les activités militaires. L’élimination des déchets et des eaux usées ainsi que les transports contribuent aussi à la contamination des sols. Toutefois, les causes principales de la contamination continue des sols sont les déversements accidentels, le mauvais entretien des installations d’entreposage de produits chimiques et la mauvaise utilisation des produits chimiques.

Un grand nombre de sites qui ont été contaminés dans le passé à cause de déversements ou d’anciennes pratiques industrielles n’ont pas encore été décontaminés en raison d’un manque de ressources consacrées à l’assainissement ou d’enjeux juridiques qui empêchent de mener des activités sur les sites en question. Des lois et des politiques rigoureuses sont en place au Canada pour prévenir la pollution et pour encourager l’utilisation sécuritaire des produits chimiques. Néanmoins, des sites ont été contaminés dans le passé, et d’autres continuent à être contaminés aujourd’hui. Même si l’on sait très bien qu’il y a des sites contaminés partout au pays, il n’existe pas de répertoire exhaustif de ces sites. C’est l’une des raisons pour lesquelles la population canadienne ignore l’ampleur du problème de la contamination des sols.

Les connaissances et les compétences des institutions universitaires, gouvernementales et industrielles canadiennes dans les domaines de la caractérisation des contaminants des sols, de l’évaluation des effets sur l’environnement et de l’assainissement des sites contaminés sont parmi les meilleures au monde. Toutefois, cela ne suffit pas pour assurer la prévention de la contamination et l’assainissement rapide des sites contaminés. Au Canada, on a tendance à préférer les technologies d’assainissement traditionnelles aux technologies émergentes pour la majorité des sites. Il faut davantage de ressources, de possibilités et de mesures incitatives pour favoriser l’application des connaissances aux nouvelles technologies d’assainissement et de prévention. Le gouvernement, l’industrie, le milieu universitaire, les incubateurs technologiques et les innovateurs doivent travailler ensemble pour promouvoir les nouvelles technologies et pour favoriser la formation entrepreneuriale en vue d’accélérer le nettoyage des sites contaminés.

Il est important d’accélérer l’assainissement des sites contaminés, mais il est encore plus crucial de veiller à ce que les produits chimiques qui doivent être rejetés dans les sols et dans d’autres milieux naturels soient sécuritaires et dégradables, et à ce que les rejets soient compatibles avec la capacité de la terre d’assimiler les produits chimiques et les déchets. La meilleure façon d’assurer des sols plus propres pour l’avenir, c’est en prévenant la future contamination persistante et pratiquement irrémédiable des sites.

L’utilisation d’engrais et de pesticides compte parmi les pratiques actuelles susceptibles d’être améliorées. En général, seulement environ 10 à 20 % des pesticides et des engrais répandus dans les champs agricoles se rendent jusqu’à la plante; le reste demeure dans le sol ou se dissipe dans l’environnement.

En outre, le secteur agricole utilise de plus en plus de plastique. On a observé qu’au lieu d’être retirés, les paillis de plastique appliqués sur les terres agricoles sont parfois intégrés au sol lorsque les terres sont labourées à la fin de la saison. Les paillis de plastique sont bons pour l’agriculture, mais les résidus de plastique ne contribuent pas à la durabilité de l’environnement.

Il faut adopter des pratiques durables, réfléchir aux répercussions sur le cycle de vie, créer des économies circulaires qui transforment les déchets en ressources...

La vice-présidente : Je suis désolée de vous interrompre, monsieur Ghoshal, mais vos cinq minutes sont écoulées. Nous aurons de nombreuses questions pour vous, cependant.

M. Ghoshal : D’accord, merci.

La vice-présidente : La parole est à M. Francis Zvomuya.

Francis Zvomuya, professeur, Département de la science du sol, Faculté des sciences agricoles et alimentaires, Université du Manitoba, à titre personnel : Merci, madame la présidente, honorables sénateurs et sénatrices, de m’avoir invité à vous parler de cet aspect important de la santé des sols. Je suis ravi qu’on lui montre enfin le respect qui lui est dû depuis si longtemps.

Je suis né et j’ai grandi au Zimbabwe. C’est là que j’ai obtenu mon baccalauréat en agriculture, avec une spécialisation en science du sol. Ensuite, j’ai fait une maîtrise en science du sol à l’Université de Reading, en Angleterre. Puis je suis retourné au Zimbabwe pendant quelques années, pour ensuite entreprendre un doctorat en science du sol à l’Université du Minnesota, aux États-Unis.

La science du sol fait partie de ma vie depuis plus de la moitié de mes jours. C’est ma profession et ma passion. Depuis que j’ai obtenu mon doctorat, je travaille comme pédologue. J’ai d’abord été chercheur invité, puis scientifique intérimaire au Centre de recherche et de développement de Lethbridge d’Agriculture et Agroalimentaire Canada. Là, j’ai participé à des recherches sur les aspects de la santé des sols liés à l’utilisation de compost et de fumier — non seulement comme sources de nutriments pour les cultures, mais aussi comme matières contribuant à la remise en état des terres en Alberta —, ainsi que sur les sols perturbés par l’extraction de l’énergie. Depuis que je me suis joint à l’Université du Manitoba, je travaille aussi dans le domaine de l’assainissement des terres.

Mes domaines principaux d’enseignement et de recherche sont la conservation, les contaminants et l’assainissement.

J’ai aussi mené des travaux sur les nouveaux contaminants non traditionnels. Des témoins précédents ont parlé des produits pharmaceutiques, ainsi que des antibiotiques issus des biosolides, des boues d’épuration et du fumier. En Alberta, nous avons effectué des recherches sur les antibiotiques administrés aux animaux. Le fumier de ces animaux est ensuite épandu sur les terres agricoles puisqu’il est riche en nutriments, mais il faut connaître les effets de ces antibiotiques sur les superbactéries ou sur le développement de la résistance aux antibiotiques.

Je me suis également penché sur la place essentielle de l’agriculture dans nos vies.

Quel est l’état des sols utilisés en agriculture urbaine, dans nos cours arrière? Dans de nombreux quartiers, la teneur en fer des sols est élevée. Quelles en sont les répercussions? Quelle quantité de fer se retrouve dans les légumes que nous consommons quotidiennement?

Votre comité s’intéressera davantage aux contaminants qui se retrouvent dans les terres agricoles. Je ne vais pas entrer dans le détail des différentes sources de contaminants; d’autres témoins vous en ont déjà parlé. L’assainissement à grande échelle est très difficile. Il faut indéniablement mener d’autres recherches pour trouver des méthodes d’assainissement des champs contaminés et d’élimination des déchets qui sont à la fois plus efficaces et moins coûteuses.

Dans mon programme de recherche, j’étudie la phytoremédiation, c’est-à-dire l’utilisation de plantes pour tenter d’extraire ces contaminants. Des recherches supplémentaires sont encore nécessaires, car le processus est très lent. Lorsque des plantes poussent sur un terrain, elles protègent le sol, mais elles maintiennent également les contaminants en place et les empêchent de migrer vers des milieux plus vulnérables.

En conclusion, en tant qu’agronome pédologue, je suis ravi de l’étude que vous menez sur la santé des sols. Je me fais l’écho des propos des témoins précédents sur la nécessité d’une approche plus intégrée et plus harmonisée pour définir la contamination — les sites contaminés — et pour créer une base de données. Tous pourraient utiliser cette recherche.

Enfin, je vous fais part de ma citation préférée; elle a été attribuée à l’ancien sénateur du Nebraska, Bob Kerrey, qui a également été gouverneur de cet État. Il aurait dit : « Si nous manquons d’eau, nous demandons au ciel qu’il nous envoie de la pluie, mais si nous manquons de terre, nous demandons le pardon. »

Certains des efforts déployés pour voir si nous pouvons assainir efficacement les sols contaminés sont de petites contributions pour demander ce pardon. Merci.

La vice-présidente : Merci beaucoup. C’était très poétique.

Je vais maintenant passer aux questions. Les sénateurs disposeront de cinq minutes chacun pour la séance de questions et réponses.

Le sénateur Oh : Merci aux témoins de leur présence.

Ce matin, nous avons interrogé le groupe de témoins sur le soutien du gouvernement fédéral aux agriculteurs. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur des exemples fructueux de projets lancés au Canada ou dans d’autres régions qui ont permis d’améliorer efficacement la santé des sols en agriculture? Vous avez tous les deux une vaste expérience, alors pouvez-vous nous parler un peu des projets que vous avez vus et qui ont reçu un appui utile du gouvernement?

M. Zvomuya : Je félicite le gouvernement fédéral ainsi que les provinces et les territoires pour les efforts visant à essayer de remédier aux dommages ou aux risques causés par les contaminants.

L’assainissement, comme je l’ai dit, est un véritable défi. C’est pourquoi nous avons besoin de la recherche. Nous avons besoin d’un financement important pour la recherche afin d’essayer de trouver des stratégies qui peuvent aider à assainir les sites contaminés.

Au niveau fédéral, on peut trouver très peu de renseignements, en dehors de la réglementation et des orientations accessibles et très complètes des lignes directrices du Conseil canadien des ministres de l’Environnement, ou CCME. Elles sont très efficaces, mais en même temps, nous avons besoin d’informations provenant des sites en question. Nous devons générer l’information. J’ai constaté beaucoup d’efforts — pas directement, mais par l’intermédiaire de chercheurs — pour mettre des fonds de recherche à notre disposition afin que nous puissions examiner des stratégies.

Je peux vous donner un exemple. Au Manitoba, j’ai effectué des recherches sur la phytoremédiation — l’utilisation de plantes pour extraire les nutriments. L’objectif était de résoudre certains des problèmes dans le lac Winnipeg causés par l’eutrophisation. Les sources contribuant à cette eutrophisation sont les déchets, les boues d’épuration et les biosolides qui sont, en même temps, une bonne source de nutriments. Ce sont de bons engrais organiques, mais, en même temps, comme l’ont mentionné les autres témoins, ils contiennent aussi des contaminants — pas seulement des contaminants métalliques, mais aussi certains contaminants émergents comme les produits pharmaceutiques et les antibiotiques.

Nous avons mené des recherches financées par le gouvernement fédéral, les provinces et les municipalités. Nous nous penchons sur une ville située au sud de Winnipeg. Nous avons mis des stratégies à l’essai en travaillant avec Canards Illimités Canada, qui regroupe des experts des milieux humides. Que pouvons-nous faire pour éviter que ces contaminants ne se retrouvent dans les terres agricoles? Je sais que nous avons besoin de nutriments, mais l’application de ces nutriments en même temps que les contaminants ne nous aide pas.

Nous avons essayé la phytoremédiation, dans des lagunes municipales. Cela se fait dans les villages ou les petites villes qui n’ont pas de station d’épuration et qui se servent de ces points de stabilisation pour traiter les eaux usées. Nous nous sommes donc dit : « Et si nous traitions ces eaux sur place afin d’éviter que les contaminants ne s’infiltrent dans les terres agricoles? » Avec l’aide de Canards Illimités Canada, nous avons transformé une lagune primaire en station d’épuration. Il s’agit d’une zone humide destinée à l’assainissement des contaminants. Comme peu de déchets industriels se retrouvent dans la lagune, la plupart des contaminants sont des nutriments. Si les nutriments se dispersent et ne sont plus nécessaires, ils deviennent des contaminants. Pouvons-nous donc [Difficultés techniques] faire en sorte que cela ne cause pas de [Difficultés techniques] dans le lac Winnipeg?

Pour ce qui est de la lagune secondaire, qui n’était pas très humide au moment du déclassement, nous l’avons convertie en site de phytoremédiation terrestre, ce qui signifie que nous y faisons pousser des quenouilles. Nous n’avons pas eu besoin de les planter, car elles poussent partout. Le premier été, il n’y avait pas de plantes. L’été suivant, les quenouilles pullulaient. Le projet est couronné de succès. Les quantités de contaminants ont baissé et, même en cas d’inondation, ils sont séquestrés dans les biosolides et le système racinaire et sont peu susceptibles de s’infiltrer dans les ruisseaux et les autres plans d’eau.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Merci beaucoup d’être présent parmi nous aujourd’hui. C’est un plaisir de vous entendre dans le cadre de cette étude.

[Traduction]

J’aimerais revenir à un commentaire que vous avez fait, monsieur Ghoshal. Pardonnez-moi si je ne vous cite pas correctement, mais je crois vous avoir entendu dire que seuls 10 à 20 % des engrais parviennent à la plante. D’autres témoins ont également fait état de ce pourcentage, et nous ont aussi dit qu’il existe entre autres des options de rechange biologiques.

Je pense que ma question très simple est la suivante : comment pouvons-nous changer la donne alors que nous disposons de ces informations, mais qu’il semble y avoir un fossé entre les agriculteurs et les universitaires? Est-ce parce que l’industrie réussit à vendre ces produits avec brio? Il me semble qu’il s’agit là d’un défi qu’on pourrait surmonter, mais est-ce qu’on y travaille?

M. Ghoshal : Je ne pense pas qu’on y travaille assez rapidement. Fondamentalement, l’enjeu est que nous devons changer de paradigme et passer de l’apport d’engrais au sol à l’apport d’engrais aux plantes. Dès que l’on donne de l’engrais au sol dans l’intention qu’il aille aux plantes, une grande proportion se perd.

Nous pulvérisons des plantes. C’est bien connu. Mais la plupart des engrais ne peuvent pas vraiment être appliqués sur les feuilles, car si on pulvérise des quantités suffisantes, c’est tout simplement trop pour les feuilles — elles s’en trouvent brûlées. Il faut donc appliquer des quantités très diluées de façon répétée, ce qui devient alors rentable.

Des recherches ont probablement été publiées lentement au cours de la dernière décennie, et elles montrent qu’il est possible de fabriquer de minuscules particules de ces engrais et de les introduire dans les plantes. Elles se dissolvent lentement dans la plante et libèrent ces engrais. On peut en faire autant avec les pesticides. Rien n’entre en contact avec le sol, ce qui augmente considérablement l’efficacité de l’absorption.

Je travaille dans le domaine de la recherche et j’essaie de réfléchir à des matériaux sûrs à utiliser. Dans le cadre de nos travaux, nous utilisons la silice. Elle est très abondante dans le sol en milieu agricole, et des formes sûres de silice seraient donc le matériau idéal. Les recherches sont menées, mais la communication avec les agriculteurs est très inefficace en ce qui concerne la mise en œuvre de ces solutions. Les nano-engrais, comme on les appelle, sont une autre option, mais ils ne sont pas utilisés de façon uniforme.

Tout d’abord, je pense qu’il faut des études pour certifier que ces produits sont sûrs, et ensuite le gouvernement, les organismes paraétatiques et les établissements universitaires doivent encourager leur utilisation en garantissant leur sûreté et en enseignant comment les utiliser. Je pense qu’on peut accomplir des progrès fondamentaux dans ce domaine.

La sénatrice Petitclerc : Des recherches sont menées. Nous devons aider les agriculteurs à prendre connaissance des solutions, et nous devons nous assurer qu’elles sont rentables pour eux?

M. Ghoshal : Oui. Même du côté de la recherche, je pense que nous avons besoin de soutien pour réaliser des essais sur le terrain. C’est là que les organismes de réglementation et les ministères peuvent vraiment aider. Il faut réduire les risques : « D’accord, allez-y, essayez les solutions, nous verrons ce qui se passe et nous corrigerons le tir au besoin. » Ainsi, nous parviendrons à un résultat souhaitable.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

La sénatrice Jaffer : Merci à vous deux. Vous détenez tous les deux une connaissance approfondie des sols.

L’un des grands défis — non seulement dans les villes, mais aussi dans les campagnes — est la fermeture des stations-services qui laisse des sols pollués. J’ai deux questions à vous poser : quelle est l’incidence des fuites de réservoirs souterrains de pétrole et de gaz sur le rendement des sols agricoles? Je connais la réponse à cette question, mais ma plus grande question est la suivante : comment le gouvernement fédéral devrait-il collaborer avec les provinces, les territoires et les municipalités pour assainir ces sites? Dans le cadre de vos recherches sur la cartographie et d’autres éléments connexes, pouvez-vous déterminer à l’avance ce qu’il en est? Pouvez-vous intégrer cet aspect dans votre réponse? Monsieur Ghoshal, je vous écoute en premier, puis je donnerai la parole à M. Zvomuya.

M. Ghoshal : Oui, les installations de stockage de pétrole et les stations-services sont de très grandes sources de contamination. Il est assez surprenant que la contamination se produise et se poursuive pendant un certain temps avant que l’on s’en rende compte, puisque l’activité d’une station-service consiste à vendre de l’essence. Les exploitants savent exactement quelles quantités ils achètent et vendent, et quelles quantités se perdent, mais c’est pourtant ce qui se passe parfois. Je pense que des lois plus strictes sont maintenant en vigueur pour s’assurer que les fuites ne se produisent pas. Il existe de l’équipement comme des réservoirs à double paroi avec des capteurs...

La sénatrice Jaffer : Mais qu’est-ce que vos recherches vous ont appris? Comment ce que vous disiez sur la cartographie pourrait-il aider?

M. Ghoshal : Je vois.

La sénatrice Jaffer : Désolée, je ne voulais pas vous couper la parole; si je ne vous avais pas interrompu, c’est la présidence qui m’aurait interrompue.

M. Ghoshal : Les technologies pour nettoyer ces sites existent. Ces sites sont relativement faciles à nettoyer, car la contamination est près de la surface du sol. Or, bien souvent, nous ne savons pas où une ancienne station-service a pu exister. Une base de données serait donc très importante pour savoir où les anciennes stations-services se trouvaient : elle pourrait indiquer le potentiel de contamination. Je ne suis pas au courant de telles bases de données. Il pourrait très bien y en avoir qui en gardent la trace, mais les stations-services existent depuis longtemps.

En ce qui concerne l’agriculture, je suppose que les grandes exploitations agricoles disposent d’installations de stockage de carburant.

La sénatrice Jaffer : Je suis désolée; je n’ai plus de temps. Je vous présente mes excuses.

M. Ghoshal : Aucun problème.

M. Zvomuya : Pour reprendre là où il s’est arrêté, en ce qui concerne l’agriculture, je dirais que le point positif est que la plupart des stations-services sont situées en retrait des terres agricoles. Pour ce qui est des sites d’anciennes stations-services qui finissent par être cultivés, je sais qu’au Manitoba, il existe une base de données pour localiser toutes les terres agricoles situées au-dessus d’une ancienne station-service. Je ne sais pas s’il existe une base de données indiquant l’emplacement de tous les sites qui étaient auparavant des stations-services, mais l’avantage est que, dans la plupart des cas, la remise en état des sites de stations-services implique l’excavation du sol. Si l’on veut reconvertir un tel site en terre agricole, il faut emprunter de la terre prise ailleurs. Quel que soit l’endroit d’où l’on emprunte de la terre, ce site doit également être remis en état pour redevenir du sol, ce qui représente un véritable défi.

Dans l’ensemble, je ne dirais pas que les stations-services ont une incidence considérable sur les terres agricoles, simplement en raison de leur emplacement.

La vice-présidente : Sénateur Oh, je vais donner à M. Ghoshal l’occasion de répondre à la question que vous avez posée au début. Monsieur Ghoshal, vous souvenez-vous de la question?

M. Ghoshal : Oui.

La vice-présidente : Très bien. Nous vous écoutons.

M. Ghoshal : Vous avez demandé quelle était la contribution du gouvernement. Je pense que la contribution la plus importante consiste à réglementer l’utilisation de pesticides et d’engrais sûrs dans l’agriculture grâce au travail et aux règlements connexes de l’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire, ou ARLA, et de l’Agence canadienne d’inspection des aliments, ou ACIA.

Les gouvernements fédéral et provinciaux ont également fait du bon travail pour promouvoir les pratiques exemplaires en matière d’épandage de boues d’épuration traitées ou de biosolides sur les terres, ce qui réduit vraiment le besoin d’engrais synthétiques. Il existe également de très bons programmes encourageant les bonnes pratiques en matière de gestion de l’eau et des sols, de milieux humides, etc.

Ce qui fait défaut, ce sont les orientations sur la manière d’assainir les sols agricoles, en particulier étant donné les contaminants émergents, tels que les produits pharmaceutiques et les substances perfluoroalkylées et polyfluoroalkylées dont nous avons parlé. Je ne pense pas que nous sachions comment nous y prendre. Les plastiques constituent un problème majeur, et il faut davantage de lignes directrices pour mieux les utiliser. La quantité de plastique utilisée dans les exploitations agricoles a considérablement augmenté, et certaines pratiques font multiplier le plastique dans le sol année après année. Par conséquent, il faut miser davantage sur le choix de plastiques dégradables ou le financement de l’innovation et de la recherche en vue de créer des plastiques compatibles avec les pratiques agricoles.

Le sénateur Oh : Le plastique dégradable que vous avez mentionné est-il lui aussi nocif pour le sol?

M. Ghoshal : Il n’a pas fait l’objet de suffisamment d’études. Il est peut-être dégradable en laboratoire, mais il n’y a pas eu assez de recherches sur le terrain. La collecte de ces plastiques coûte très cher. Les agriculteurs posent de grandes feuilles de plastique en guise de paillis, ce qui permet d’économiser l’eau, de prolonger la saison de culture et de réduire les pesticides. Cela comporte des avantages. Cependant, je pense que relativement peu de gens prennent la peine d’enlever ces plastiques. Je pense que le temps manque à la fin de la saison des récoltes, et il faut choisir entre faire les récoltes ou ramasser le plastique. Il est nécessaire d’établir de la réglementation et des lignes directrices sur la meilleure façon d’utiliser le plastique. Sinon, le plastique contribuera à la dégradation des sols.

La sénatrice Burey : Merci de votre présence, de votre expertise et de tout votre travail.

Je suis pédiatre de formation, et je m’intéresse donc toujours à la santé des enfants et des femmes enceintes, bien entendu. Vous avez parlé de la contamination des sols ou des réseaux hydrographiques par les produits pharmaceutiques. Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe de ce côté? Comment en mesurer les répercussions? Des recherches sont-elles en cours pour mesurer l’incidence sur la santé humaine?

M. Ghoshal : Je peux commencer. Oui, des recherches sont menées, bien sûr, pour examiner leurs conséquences sur la santé humaine. Nos travaux portent surtout sur la contamination et la décontamination des sols, mais nous nous penchons aussi sur ce qu’il advient des substances chimiques, leur mode de répartition, etc. Les recherches ne manquent pas sur le sujet et montrent clairement qu’elles se retrouvent dans les plantes et les aliments.

Je crois qu’il existe des règlements pour surveiller la qualité des aliments et savoir s’ils sont fortement contaminés et s’ils présentent des risques. Des cadres sont en place pour y remédier. Toutefois, nous sommes exposés à de faibles niveaux de substances chimiques et à une multitude d’ingrédients chimiques actifs comme les produits pharmaceutiques et les substances perfluoroalkylées, et les recherches sur les effets de ce cocktail à long terme sont insuffisantes. Nous avons une idée de ce que les effets des substances chimiques prises séparément pourraient être et des niveaux d’exposition considérés comme sûrs à long terme, mais je pense que nous n’arrivons pas à comprendre les effets d’une exposition à de multiples agents en même temps.

M. Zvomuya : Je peux ajouter quelques commentaires. J’ai effectué des travaux de recherche sur les effets des antimicrobiens. Nous avons aussi mené des travaux en collaboration avec Agriculture et Agroalimentaire Canada à Lethbridge et à Saskatoon. Dans le cas du fumier du bétail en particulier, les inquiétudes sont liées au dosage. Lorsque des antibiotiques sont administrés aux animaux, jusqu’à 90 % peut se retrouver dans l’urine et le fumier. Quand on étend du fumier qui contient de faibles concentrations d’antibiotiques directement sur le sol, et que l’on expose ainsi de faibles concentrations de pathogènes potentiels à de faibles niveaux d’antibiotiques, on court alors le risque de voir ces agents pathogènes développer une résistance aux antibiotiques. C’est le principal problème, et c’est pourquoi lorsque je vais voir mon médecin, il insiste pour que je prenne les antibiotiques qu’il m’a prescrits jusqu’à la fin du traitement.

Beaucoup de recherches sont actuellement menées sur l’ampleur de la résistance aux antibiotiques dans le sol. Nous en menons à l’Université du Manitoba, et nous collaborons avec des chercheurs à Agriculture et Agrolimentaire Canada au fédéral.

Il en va de même quand on applique des boues d’épuration ou des biosolides sur des terres agricoles. On expose alors les bactéries et les agents pathogènes à de faibles niveaux d’antibiotiques qui vont accroître leur capacité de développer une résistance à ces antibiotiques. Lorsque ces antibiotiques sont ensuite prescrits à des gens qui sont infectés par ces agents pathogènes, ils n’ont aucun effet.

La sénatrice Burey : Je vous remercie.

La vice-présidente : Je vais maintenant me prévaloir de la prérogative de la présidence et poser quelques questions. Monsieur Ghoshal, au début de votre déclaration, vous avez parlé du fait que le temps froid et les conditions climatiques au Canada mènent à une redistribution des contaminants dans le sol qui n’aurait sans doute pas lieu dans d’autres conditions climatiques. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Ghoshal : Oui, bien sûr. Le temps froid modifie, par exemple, la structure physique du sol. Dans certains cas, cela peut empêcher le déplacement des polluants dans le sol. Dans d’autres cas, cela crée, en fait, des fissures par lesquelles les polluants peuvent plus facilement se répartir. La répartition peut donc se faire différemment. De plus, nous nous en remettons souvent aux micro-organismes qui sont naturellement présents dans le sol pour décomposer certains polluants.

L’hiver est une période pendant laquelle une bonne partie de l’activité microbiale ralentit vraiment. Il n’y a pas d’eau, alors les microbes sont moins actifs. Les micro-organismes ont donc plus de temps pour décomposer les polluants, ou encore il faut beaucoup plus de temps pour assainir les sols parce qu’il y a beaucoup de mois pendant l’année au cours desquels l’activité n’est pas possible. Ce sont là quelques exemples des effets de l’hiver sur le sol.

La vice-présidente : Des études sont-elles menées pour effectuer un suivi et savoir quels sont les effets des changements climatiques et des nouvelles tendances climatiques sur la pollution des sols, ou est-ce que nous n’en sommes pas encore là?

M. Ghoshal : Des gens commencent à examiner la question, mais les études portent sur une région très précise. En fait, c’est ainsi qu’il faut procéder, car les effets des changements climatiques ne sont pas les mêmes d’une région à l’autre, d’un type de sol à l’autre, au pays. On commence à peine à étudier la question, et on essaie de comprendre ces nouvelles conditions climatiques. Je dirais donc que les effets sur la pollution des sols commencent à peine à être étudiés.

La vice-présidente : Je vous remercie.

Monsieur Zvomuya, dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé de la pollution par le plomb, particulièrement dans les sols urbains. Il n’y a plus de plomb dans l’essence depuis longtemps, alors d’où provient cette pollution par le plomb? S’agit-il des séquelles de l’époque où il y en avait encore?

M. Zvomuya : Oui, c’est la réponse. Une fois dans le sol, le plomb y reste. Les plantes absorbent très peu de plomb, alors il reste dans le sol, et il n’est pas vraiment lessivé. Lorsqu’il se trouve dans la couche arable, il reste très près de la surface pendant très longtemps, car il ne se décompose pas. Il n’est pas biodégradable, ce qui veut dire que les microbes dans le sol qui décomposent certains contaminants organiques ne décomposent pas le plomb. Il demeure donc dans le sol très longtemps.

Oui, ce sont les séquelles de l’époque où l’essence, mais aussi la peinture, contenait du plomb. Dans le bon vieux temps, la peinture au plomb était souvent utilisée pour peindre les maisons, et c’est ce que nous avons constaté dans certains quartiers à Winnipeg. Dans ces vieux quartiers, plus les échantillons sont prélevés près d’un immeuble, plus les niveaux de plomb sont élevés.

La vice-présidente : Cela ne touche probablement pas vraiment l’agriculture rurale à grande échelle, mais qu’en est-il des gens qui ont des jardins en ville? Si je sème des carottes dans ma cour arrière et que j’habite dans un vieux quartier au centre-ville, quels sont les risques que je serve à ma famille des carottes bourrées de plomb?

M. Zvomuya : C’est une question très importante et nous essayons de sensibiliser les communautés à ce sujet. Lorsque les résultats de notre première enquête ont été publiés, il y a eu un vent de panique. Nous sommes allés dans des maisons où les légumes pourrissaient, etc.

Vous avez posé une question très importante au sujet des carottes. C’est un des légumes pour lesquels il faut être très prudent, car le plomb n’est pas absorbé, dans une large mesure, par les plantes. Dans le cas de la plupart des légumes racines comme les carottes et les pommes de terre, le plomb se colle à la peau. Il est donc toujours bon de les peler avant de les manger.

Dans le cas des légumes verts, bien souvent, la contamination ne vient pas des racines, mais de la poussière. Il faut donc bien laver ces légumes pour réduire les risques d’empoisonnement par le plomb.

La vice-présidente : Je vous remercie. Y a-t-il des cas d’empoisonnement par le plomb dans certaines régions rurales? Nous parlons des villes, mais y a-t-il des tests d’effectuer pour déterminer le pourcentage de plomb présent dans les terres agricoles?

M. Zvomuya : Pas que je sache. Dans les régions rurales, le plomb se trouve probablement en grande partie près des routes — les anciennes routes —, et il provenait des émanations de l’essence au plomb. Je ne connais pas d’autres rapports sur ce sujet. Dans le cas des cultures comme le grain, les fruits, etc., très peu se retrouvera dans la partie de la plante que nous consommons.

La vice-présidente : Je vous remercie. Cela nous rassure un peu.

La sénatrice Petitclerc : Ma question porte sur un sujet qui me préoccupe beaucoup, soit les façons de traiter les sols et les effets que cela a sur la santé humaine, en particulier sur nos enfants, et pour être honnête, sur mes enfants.

Vous en avez parlé un peu, même si vous avez dit que ce n’est pas votre domaine de recherche. Il y a des contaminants dans les sols. On parle des pesticides, mais on parle aussi des antibiotiques qui, si j’ai bien compris, sont transmis des animaux au fumier et aux sols. Je comprends qu’il n’y a pas de données claires sur le fait qu’ils se retrouvent ensuite dans nos assiettes, et possiblement consommés par des femmes qui sont enceintes ou qui allaitent.

Je sais que ce n’est pas précisément votre domaine de recherche, mais travaillez-vous en étroite collaboration avec d’autres chercheurs qui sont des experts dans ce domaine? Travaillez-vous en vase clos? Avez-vous des échanges? Effectuez-vous des recherches ensemble?

M. Zvomuya : C’est une excellente question. Oui, nous collaborons. Historiquement, le système faisait en sorte qu’un pédochimiste était aussi un chercheur. Les pédochimistes travaillaient en vase clos, et les écologistes des sols travaillaient en vase clos, etc. De nos jours, il y a beaucoup de collaboration et d’intégration entre ces domaines.

J’ai parlé précédemment des recherches que nous menons sur les antibiotiques. Je peux examiner leur biodégradation ou leur décomposition, et ce qui se passe lorsqu’ils sont appliqués, mais la résistance aux antibiotiques n’est pas mon domaine d’expertise. Il faut des microbiologistes qui sont spécialisés dans ce domaine. Il y a beaucoup de collaboration en cours.

Le gouvernement fédéral a le mérite d’offrir maintenant des possibilités de financement qui encouragent les travaux de recherche tant multidisciplinaire qu’interdisciplinaire. Des chercheurs qui ne collaboraient pas normalement le font maintenant, et on repousse ainsi les frontières pour tenter de régler ensemble des problèmes complexes. La réponse courte est donc oui, il y a beaucoup de collaboration.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie.

M. Ghoshal : J’ajouterais qu’en plus des collaborations actuelles, Santé Canada a de solides programmes dans le cadre desquels on explore les effets à long terme de l’exposition à ces produits. Il y a des programmes de collectes de sang et d’analyse auprès de diverses populations au pays pour savoir quels types de substances chimiques se trouvent dans leur sang.

Il se peut que je me trompe, mais je pense qu’il n’y a pas assez d’études épidémiologiques sur les effets à Iong terme. C’est sans doute un domaine où il faudrait intensifier les efforts.

La sénatrice Burey : Vous avez répondu à toutes mes questions. Je vous remercie beaucoup.

La sénatrice Jaffer : Pour revenir à ce que je vous ai demandé plus tôt, pourriez-vous nous parler des politiques de gestion des terres qui sont en place, ou qui devraient l’être, aux niveaux municipal, provincial et fédéral pour atténuer les effets de la pollution sur les sols partout au pays?

M. Zvomuya : Je pense qu’il faut utiliser la réglementation. C’est l’outil le plus efficace dont disposent les gouvernements.

La sénatrice Jaffer : Les gouvernements appliquent-ils leurs règlements? Nous avons toutes sortes de règlements qui n’ont aucun mordant parce qu’ils ne sont pas vraiment appliqués. Sont-ils appliqués? Y a-t-il des conséquences? Y a-t-il une reddition de comptes?

M. Zvomuya : C’est parfois le cas. Je pense que cela dépend des contaminants. Dans le cas des nouveaux contaminants — comme les antibiotiques dont nous parlons —, à ma connaissance, il n’y a pas de lois qui s’appliquent à eux.

J’ai entendu des témoins précédents parler de la contamination au cadmium. Pour un agriculteur, c’est aussi une question de profits, car si son blé, son riz ou son grain dépasse le seul permis, il aura de la difficulté à le vendre. Ce n’est donc pas seulement une question de réglementation. Les agriculteurs sont de bons gardiens de leurs terres, et ils veulent aussi en tirer un bon profit. Si leur récolte est contaminée, la possibilité d’en tirer un bon revenu diminue aussi.

La sénatrice Jaffer : Le problème n’est pas ce que l’agriculteur fait, mais ce que ses voisins font ou ce que le pays fait, n’est-ce pas? On ne peut pas couper les terres de tout le reste.

M. Zvomuya : Oui.

M. Ghoshal : Je dirais qu’il y a la réglementation, et que les règlements donnent des résultats dans la mesure où ils sont appliqués.

La sénatrice Jaffer : C’est ce que je dis.

M. Ghoshal : Aux niveaux fédéral et provincial, on procède à une surveillance de la qualité des terres à divers endroits, mais l’information n’est souvent pas claire sur la fréquence de cette surveillance et sur les résultats. La diffusion de cette information rassurerait sans doute la population.

La sénatrice Jaffer : Puis-je vous demander à tous les deux, si vous repensez à mes questions, de faire parvenir au comité les recommandations, à votre avis, que nous devrions soumettre au gouvernement à ce sujet? Nous allons préparer le rapport bientôt, alors il faudrait que ce soit au cours des deux ou trois prochaines semaines.

La vice-présidente : Je ne dirais pas que c’est choquant, mais je dirais que c’est inquiétant d’entendre parler de tout ce que l’on sait déjà, en fait, sur les sources de pollution des sols qui existent, qu’il s’agisse du plomb dans l’essence que l’on utilisait dans les années 1970 ou des eaux usées et des résidus provenant de la production pétrolière et gazière en Alberta.

Vous avez mentionné, comme l’ont fait aussi les témoins précédents, je crois, que nous avons des technologies pour nettoyer en partie la pollution provenant des hydrocarbures, mais que nous ne les utilisons pas. Nous ne les avons pas utilisées, et nous n’avons pas une base de données centrale contenant une liste de tous les lieux où se trouvent des sites contaminés. L’allocation des ressources est une question de volonté politique.

Quelle mesure aimeriez-vous voir mise en place pour que plus de gens soient motivés par l’idée d’utiliser les technologies que nous avons pour restaurer les sites et nettoyer les dégâts que nous avons faits?

M. Ghoshal : Je crois qu’il faut que ce soit une priorité pour tous les niveaux de gouvernement de procéder à la décontamination d’un plus grand nombre de sites et de le faire plus rapidement.

Nous avons beaucoup de sites contaminés, et je pense qu’il n’y a pas assez d’argent pour les décontaminer tous, alors on établit les priorités à partir des risques et du niveau d’exposition des gens qui habitent autour de ces sites.

Tout bouge, les gens vont et viennent dans les régions, et les modèles d’utilisation des terres peuvent changer. Je pense que les sites contaminés sont une bombe à retardement et que si on ne s’en occupe pas rapidement, ils vont se détériorer et la facture va grimper.

Pour ce qui est d’informer la population, ce serait un bon point de départ de savoir le nombre de sites contaminés et l’endroit où ils sont situés pour que les gens puissent poser des questions sur les risques pour leur sécurité et sur ce qu’ils doivent et ne doivent pas faire. C’est sans doute un bon point de départ pour entamer un débat qui pourrait nous aider à accorder plus d’importance à ce dossier.

M. Zvomuya : Je suis d’accord avec M. Ghoshal, mais j’aimerais ajouter ceci : on vous a parlé déjà du besoin de mettre en place une stratégie nationale qui comprendrait une base de données sur les sites contaminés. En travaillant sur les contaminants et la restauration des sites, j’ai remarqué qu’un élément porte à confusion : la définition d’un contaminant. Avant de pouvoir mettre en place une stratégie ou une base de données commune, nous avons besoin d’une définition commune de ce qu’est un site contaminé. À titre d’exemple, au Manitoba, d’où je viens, quand on regarde le nombre de sites contaminés sur le site Web, on constate qu’il est passé de quelques centaines à seulement quatre ou cinq au cours des dernières années. Les contaminants n’ont pas disparu. C’est la définition d’un site contaminé qui a changé.

La vice-présidente : C’est une façon de régler le problème : changer les règles du jeu.

M. Zvomuya : Ils font maintenant une distinction entre ce qu’ils définissent comme des sites contaminés — des sites dont les contaminants causent déjà des torts ou dont les torts sont imminents — et ce qu’ils appellent les sites touchés. Ces sites contiennent des contaminants, mais qui ne présentent pas un risque imminent pour la santé ou l’environnement.

Quand on consulte le Répertoire des sites contaminés fédéraux, il n’y a pas cette distinction. On inclut à la fois les sites que le Manitoba qualifie de contaminés et de touchés. Une harmonisation des définitions serait un bon point de départ pour ensuite mettre en place une base de données nationale que nous pourrions tous utiliser et exploiter.

La vice-présidente : Je vous remercie. C’est une réponse très utile.

Monsieur Ghoshal et monsieur Zvomuya, je tiens à vous remercier sincèrement de votre participation aujourd’hui. Vos témoignages nous sont très utiles pour notre étude. Je vous remercie également d’être venus à Ottawa pour être avec nous aujourd’hui.

Je tiens aussi à remercier les membres du comité pour leur participation active et leurs excellentes questions.

Pour poursuivre la pratique instaurée par le sénateur Black, je veux remercier le personnel qui nous soutient dans nos travaux : les interprètes, l’équipe des débats chargée de la transcription des délibérations, le préposé de la salle du comité, le technicien des services multimédias, l’équipe de diffusion, le centre d’enregistrement, la DSI, et notre merveilleuse page.

Notre prochaine réunion est prévue — le mot « prévue » est en italique — le mardi 27 février à 18 h 30, et si tout va bien, nous poursuivrons l’audition des témoins pour notre étude sur la santé des sols. Nous parlerons plus précisément de l’acquisition de terres.

(La séance est levée.)

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