Aller au contenu
AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 11 avril 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 h 1 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner pour en faire rapport les questions concernant l’agriculture et les forêts en général et, à huis clos, pour discuter les travaux futurs du comité.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

Le président : Bonjour tout le monde. Je suis heureux de vous voir aujourd’hui. J’aimerais d’abord souhaiter la bienvenue aux membres du comité, aux témoins et aux personnes qui regardent notre réunion sur le Web. Je m’appelle Robert Black, je suis un sénateur de l’Ontario et je suis président du comité.

Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais demander aux sénateurs de se présenter, en commençant par notre vice-présidente.

La sénatrice Simons : Bonjour. Je suis Paula Simons, sénatrice de l’Alberta. Je viens du territoire visé par le Traité no 6.

La sénatrice Burey : Bonjour. Je suis Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

Le sénateur McNair : Bonjour. Je suis John McNair, sénateur du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Je suis Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

Le sénateur Oh : Bonjour. Je suis le sénateur Oh, de l’Ontario. Bienvenue à Ottawa.

Le président : Aujourd’hui, nos estimés témoins représentent l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Nous accueillons donc Beth Bechdol, directrice générale adjointe, Lauren Phillips, directrice adjointe, Division de la transformation rurale et de l’égalité des sexes et Nicholas Sitko, économiste principal, Division de la transformation rurale et de l’égalité des sexes.

Je crois savoir que Mme Bechdol et M. Sitko feront une déclaration préliminaire. Nous n’avons qu’un seul groupe de témoins aujourd’hui, et nous ferons donc preuve de souplesse en ce qui concerne le temps imparti. Nous vous donnerons de 7 à 10 minutes pour faire une déclaration préliminaire, et nous passerons ensuite aux questions. Si vous vous approchez des 10 minutes, je lèverai la main, et lorsque nous aurons atteint les 10 minutes, il faudrait conclure votre déclaration.

Cela dit, vous avez la parole, madame Bechdol.

Beth Bechdol, directrice générale adjointe, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture : C’est excellent. Je vous remercie beaucoup, sénateur Black et distingués membres du Sénat. Nous sommes très heureux d’être avec vous ici, à Ottawa. Nous sommes également très heureux d’avoir l’occasion de vous informer aujourd’hui d’un rapport très opportun et très important intitulé The unjust climate.

Il est très agréable de voir autant de visages familiers autour de la table. Tous les membres de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture tiennent à exprimer leur reconnaissance pour le soutien ininterrompu des membres du comité, pour la confiance qu’ils accordent à notre travail, pour le leadership dont plusieurs d’entre vous ont fait preuve en travaillant sur un grand nombre de nos priorités communes et pour avoir toujours attiré l’attention sur la sécurité alimentaire mondiale et sur d’autres questions importantes liées à l’agriculture.

Ces deux derniers jours, nous étions à Ottawa dans le cadre d’une conférence régionale informelle que nous avons organisée avec des hauts fonctionnaires du Canada et leurs homologues du gouvernement des États-Unis. Nous avons abordé toute une série de sujets, du commerce au climat en passant par l’égalité entre les sexes, et ces discussions ont été enrichissantes et très productives. Nous sommes heureux d’avoir la chance de clore notre voyage ici avant de retourner à Rome plus tard dans la journée — c’est le cas d’un grand nombre d’entre nous —, car cela représente une reconnaissance très spéciale du travail partagé.

Le Canada est visiblement un champion mondial de la promotion de l’égalité entre les sexes et de la lutte contre le changement climatique. Nous sommes donc convaincus que ce nouveau rapport soutiendra vos travaux dans ces deux domaines importants. Plusieurs d’entre vous se souviendront que nous avons tenu une séance spéciale, l’année dernière, à laquelle certains d’entre vous ont assisté et où nous avons présenté un autre rapport fondamental de notre organisme, intitulé La situation des femmes dans les systèmes agroalimentaires, qui présente des données importantes sur les écarts entre les sexes dans l’économie agroalimentaire mondiale.

Le rapport que nous vous présentons aujourd’hui fournit des données supplémentaires sur l’impact du changement climatique sur les personnes pauvres et, plus particulièrement, sur les femmes et les jeunes. Il met au premier plan les personnes qui subissent le plus durement la crise climatique et qui sont le plus souvent celles qui contribuent le moins aux émissions de gaz à effet de serre et à d’autres problèmes liés au climat.

Je suis heureuse d’être accompagnée aujourd’hui par M. Sitko et Mme Phillips. Comme vous l’avez dit, M. Sitko vous présentera les conclusions du rapport et nous serons heureux de répondre ensuite à vos questions, d’entendre vos commentaires et de participer à ce qui, je n’en doute pas, sera une discussion très intéressante et enrichissante.

J’aimerais maintenant vous céder la parole, monsieur Sitko.

Nicholas Sitko, économiste principal, Division de la transformation rurale et de l’égalité des sexes, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture : Je vous remercie, madame Bechdol. Bonjour, distingués sénateurs. Je suis très heureux d’être ici aujourd’hui. Je suis aussi très heureux de pouvoir partager avec vous certaines des principales conclusions de notre récent rapport, intitulé The unjust climate: Measuring the impacts of climate change on rural poor, women and youth.

Avant d’entrer dans le vif du sujet, j’aimerais vous donner un aperçu des données qui sous-tendent l’analyse contenue dans ce rapport.

Nous avons utilisé les données d’enquête sur les ménages de 24 pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Ces données d’enquête visent plus de 100 000 habitants des régions rurales dans ces pays et représentent, d’un point de vue statistique, 950 millions de personnes dans les pays à faible revenu et à revenu intermédiaire. Nous avons pris ces données d’enquête et nous les avons reliées dans le temps et dans l’espace à des données météorologiques satellitaires couvrant une période allant jusqu’à 70 ans. Grâce à cette combinaison d’ensembles de données, nous sommes en mesure d’établir comment des événements météorologiques extrêmes, comme les contraintes thermiques, les sécheresses et les inondations, ainsi que les changements de température à long terme, ont des répercussions différentes sur les populations rurales en fonction de leur niveau de richesse, de leur âge et de leur sexe.

Cela dit, je vais maintenant aborder quelques-unes des principales conclusions. Plus tard, nous aborderons plus en détail les résultats individuels des particuliers, en nous concentrant sur l’Afrique subsaharienne.

Nos recherches montrent que les phénomènes météorologiques extrêmes ont des effets néfastes disproportionnés sur les femmes en milieu rural, les personnes qui vivent dans la pauvreté et les populations âgées en milieu rural. Nous constatons qu’au cours d’une année moyenne, ces types d’événements climatiques extrêmes font perdre à ces populations rurales plus vulnérables de 3 à 8 % de leurs revenus totaux comparativement aux populations rurales moins vulnérables. Pour replacer ces chiffres dans un contexte financier, si l’on considère l’ensemble des pays à faible revenu et à revenu intermédiaire, ces populations subissent des pertes de revenus de 16 à 37 milliards de dollars par année. Ce sont des pertes de revenus considérables.

Les événements climatiques extrêmes ne sont pas les seuls facteurs qui ont des répercussions néfastes sur ces populations. L’analyse montre, par exemple, qu’à long terme, un changement de 1 degré dans les températures moyennes entraîne une réduction de 34 % des revenus des ménages ruraux dirigés par des femmes par rapport aux ménages dirigés par des hommes. Nous observons également que les ménages pauvres sont forcés de dépendre davantage de l’agriculture comme moyen de subsistance et qu’ils sont moins en mesure d’accéder à des revenus non agricoles en raison des hausses de température à long terme, ce qui les rend plus vulnérables, à long terme, aux changements climatiques.

Les ensembles de données concernant l’Afrique subsaharienne nous permettent de passer du niveau du ménage à celui de l’individu et aux parcelles agricoles individuelles gérées par des particuliers, et de connaître leur temps de travail et la manière dont ils répartissent leur travail.

En Afrique subsaharienne, nous observons que l’exposition aux événements météorologiques extrêmes pousse les femmes en milieu rurales à adopter, sur les parcelles qu’elles gèrent, des pratiques plus adaptées au climat à un rythme semblable ou parfois supérieur à celui sur les parcelles gérées par des hommes. Elles adoptent des pratiques telles que la culture intercalaire de céréales et de légumineuses, l’investissement dans l’irrigation, l’utilisation d’engrais organiques et d’autres pratiques semblables.

Les événements climatiques extrêmes les forcent également à travailler davantage. Ainsi, l’exposition à des événements climatiques extrêmes au cours d’une année moyenne oblige les femmes en milieu rural à travailler environ une heure de plus par semaine que les hommes, et cela s’ajoute à la charge déjà disproportionnée sur le plan des responsabilités et des soins domestiques à laquelle les femmes en milieu rural sont souvent soumises.

Malgré les efforts déployés par les femmes africaines en milieu rural pour s’adapter et faire face au changement climatique, il n’en reste pas moins que leurs parcelles agricoles sont plus sensibles aux phénomènes météorologiques extrêmes. Nous constatons, par exemple, qu’un jour supplémentaire de contrainte thermique fait perdre aux parcelles gérées par les femmes environ 3 % de plus de leur valeur sur le plan de la production agricole que les parcelles gérées par des hommes.

Une autre conclusion inquiétante du rapport concerne l’effet que ces événements climatiques extrêmes ont sur le travail des enfants dans les régions rurales. En effet, nous observons qu’à la suite d’événements climatiques extrêmes au cours d’une année moyenne, les enfants âgés de 10 à 14 ans travaillent davantage — jusqu’à 50 minutes de plus par semaine — au détriment, bien entendu, du temps passé à l’école, du temps passé à jouer, etc.

Malgré ces constatations désolantes et inquiétantes, il n’en reste pas moins que les politiques et les investissements accordent peu d’attention aux populations vulnérables qui font face au changement climatique. Un rapport récent montre qu’en 2017-2018, seulement 1,7 % de l’ensemble des financements liés au changement climatique qui ont été suivis ont été versés aux petits producteurs. C’est une très petite partie. Cela représente environ 10 milliards de dollars, ce qui n’est même pas suffisant pour couvrir les pertes subies par certaines de ces personnes vulnérables.

Lorsque nous examinons les documents de politique des 24 pays visés par cette étude — il s’agit notamment des documents relatifs à la contribution déterminée au niveau national et des plans nationaux d’adaptation —, nous constatons que, dans l’ensemble de ces documents, environ 4 000 actions de lutte contre le changement climatique sont proposées et que, parmi celles-ci, seuls 6 % mentionnent les femmes, 2 % les jeunes et 1 % les personnes qui vivent dans la pauvreté. Ces populations ne reçoivent donc que très peu d’attention dans le cadre des politiques climatiques.

Bien sûr, nous avons besoin de plus d’attention politique et d’investissements stratégiques, mais nous avons aussi besoin d’interventions bien conçues et bien ciblées pour nous attaquer à ces vulnérabilités. Le rapport est beaucoup plus détaillé, mais je voudrais simplement souligner cinq points essentiels.

D’une part, nous avons besoin de politiques et de soutien pour remédier aux disparités dans l’accès aux ressources, notamment les terres, le crédit, le financement, etc. Nous devons nous concentrer sur la manière dont nous pouvons fournir des services d’appoint et des services consultatifs en matière de climat de manière plus efficace aux personnes vulnérables, qui sont souvent exclues des systèmes traditionnels. Les approches participatives, entre autres, se sont révélées efficaces.

Troisièmement, nous devons réfléchir aux moyens de faire face aux risques auxquels les populations rurales sont confrontées en matière d’adaptation aux changements climatiques et de les aider à compenser leurs pertes. Il s’agit par exemple d’intégrer les programmes de protection sociale aux services consultatifs en matière de climat afin de pouvoir accroître et élargir l’aide à ces populations en prévision de ces événements.

Quatrièmement, nous devons accorder plus d’attention à l’économie rurale non agricole et aux possibilités d’emploi non agricole. Les investissements dans l’éducation, les compétences non techniques, les infrastructures et l’ouverture de nouveaux marchés pour les populations vulnérables sont tous très importants.

Enfin, nous devons aller au-delà des contraintes matérielles et commencer à nous attaquer à certaines normes discriminatoires qui tendent à perpétuer les vulnérabilités dans ces endroits, notamment des normes sexospécifiques qui font peser sur les femmes une charge disproportionnée en matière de soins et de responsabilités domestiques, par exemple. Il existe des approches sexotransformatrices qui rassemblent des hommes et des femmes pour trouver des solutions à ce type d’enjeux et qui s’avèrent efficaces.

En conclusion, en adoptant une approche plus inclusive en ce qui a trait aux actions et aux investissements en matière de climat, nous serons en mesure de tracer un avenir favorisant une meilleure durabilité et une plus grande résilience face aux changements climatiques. Je vous remercie de m’avoir accordé votre temps et je me réjouis de répondre à vos questions.

Le président : Merci beaucoup pour votre déclaration liminaire.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup, et merci à tous d’avoir fait le voyage pour être ici. Que vous soyez venus de Washington ou de Rome, nous vous en sommes très reconnaissants.

Je voulais parler de deux facteurs, monsieur Sitko, que vous avez mentionnés dans votre analyse. L’un est l’accès à l’irrigation et l’autre l’accès au crédit. Vu l’augmentation des températures et des sécheresses, j’imagine que la pression et la concurrence pour l’accès à l’irrigation s’intensifient, et je me demandais si vous pouviez me dire si c’est l’un des facteurs qui font que les personnes socialement désavantagées en raison de leur âge, de leur sexe ou peut-être de leur appartenance à une minorité ethnique ont moins de chances d’avoir accès à l’irrigation et aux ressources en eau en général?

M. Sitko : Oui, c’est une excellente question. Merci beaucoup, sénatrice. Il est tout à fait vrai que les populations les plus vulnérables ont moins accès à l’irrigation, et je pense qu’il y a plusieurs raisons à cela.

Souvent, les populations vulnérables sont poussées vers des terres marginales où l’accès à l’eau est déjà limité. Elles n’ont souvent pas accès aux capitaux nécessaires pour investir dans des équipements d’irrigation ou aux services publics qui peuvent les fournir.

Même dans les cas où elles sont reliées à un système d’irrigation — je pense, par exemple, au travail que nous avons effectué au Sri Lanka — les populations vulnérables ont tendance à se trouver à l’extrémité de l’infrastructure d’irrigation. En d’autres termes, lorsqu’il y a une sécheresse et que les ressources en eau sont limitées, l’eau n’arrive généralement pas jusqu’au bout du canal d’irrigation.

Les populations situées au début du canal sont plus à même d’y accéder. Il existe donc de nombreuses dynamiques différentes liées à l’emplacement, à l’accès au crédit et aux capitaux pour investir dans l’infrastructure, ainsi qu’aux économies politiques des aménagements hydroagricoles.

La sénatrice Simons : Je voulais poser une question sur le crédit, et je vais peut-être la poser à Mme Phillips, car vous nous avez parlé de certains enjeux lors de votre dernière visite. À l’époque, vous aviez parlé du microcrédit et d’autres initiatives qui pourraient être prises pour aider les femmes en particulier à accéder au crédit. Je vais vous poser la question et ensuite, monsieur Sitko, vous pourrez poursuivre.

Que faut-il faire pour s’assurer que non seulement les femmes, mais aussi les jeunes et les personnes appartenant à des minorités au sein de leur propre communauté aient accès au crédit dont ils ont besoin?

Lauren Phillips, directrice adjointe, Division de la transformation rurale et de l’égalité des sexes, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture : Merci pour cette question. L’écart entre l’accès des hommes et celui des femmes aux services financiers de base est l’une des petites lueurs d’espoir que nous avons trouvées dans l’analyse que nous avons présentée l’année dernière. L’écart s’est réduit entre l’accès des hommes et celui des femmes aux services financiers de base, c’est-à-dire à l’épargne et aux niveaux de crédit de base. Toutefois, ces niveaux ne sont pas suffisants pour aider les gens à financer des entreprises ou à développer leurs pratiques agricoles, et en fait, les jeunes et les femmes manquent souvent de garanties telles que des terres, des titres de propriété ou d’autres types de biens ou de richesses qu’ils peuvent utiliser comme garanties pour accéder à des montants de crédit supérieurs.

Le fait que l’agriculture est considérée comme une pratique très risquée dans le domaine des prêts ainsi que la vulnérabilité de ces groupes signifient que les ressources publiques, qu’elles proviennent de sources internationales ou nationales, peuvent réellement contribuer à offrir une garantie contre le risque perçu par les institutions financières lorsqu’il s’agit de prêter davantage à ces groupes.

Il est certainement nécessaire d’adopter des pratiques innovantes en matière de garanties. Les femmes disposent de certaines formes de richesse qu’elles peuvent utiliser comme garanties. Les approches communautaires peuvent également contribuer à réduire les risques, car les communautés savent très bien qui est solvable au sein de leurs propres groupes de ménages, et elles contribuent à accroître les taux de remboursement, qui sont en fait généralement très élevés, même parmi les personnes pauvres et vulnérables des pays en développement.

La sénatrice Simons : Cela me semble être une réponse très complète.

M. Sitko : Oui, c’est une réponse très complète.

Le sénateur Oh : Merci à tous. C’est un plaisir de vous revoir tous. Je tiens à remercier la FAO pour son excellent travail de cartographie et de surveillance du secteur de la sécurité alimentaire mondiale.

La question que je vous pose aujourd’hui est la suivante: comment la FAO évalue-t-elle l’impact des changements climatiques sur la sécurité alimentaire mondiale, en particulier dans les régions vulnérables ?

Deuxièmement, pouvez-vous formuler des recommandations visant à renforcer la résilience du secteur agricole au Canada face à la multiplication des phénomènes météorologiques extrêmes et à l’évolution des conditions climatiques?

M. Sitko : Je commencerai par la première question. Les méthodologies utilisées pour évaluer les impacts des changements climatiques sur la sécurité alimentaire englobent une grande partie de ce que nous avons fait dans le cadre de ce rapport. Il s’agit essentiellement de relier les informations dont nous disposons sur la sécurité alimentaire déclarée par les gens. Nous utilisons une série de huit questions permettant d’établir le degré de gravité, allant d’une insécurité alimentaire modérée à une insécurité assez grave, où l’on saute des repas parce que l’on n’a pas d’accès physique à la nourriture. Il s’agit de l’échelle de mesure de l’insécurité alimentaire vécue. Cette échelle est utilisée pour mesurer et surveiller la sécurité alimentaire, et nous pouvons la relier aux données climatiques et météorologiques afin de comprendre comment l’un influence l’autre. C’est la méthodologie standard.

Bien sûr, les choses se compliquent, car les événements météorologiques ont des effets sur la production, mais ils sont aussi des covariables. Ils couvrent de vastes zones. Ils ont également des effets sur les prix. Il existe donc une dynamique entre les changements dans la production et les changements dans les prix.

Certains agriculteurs peuvent bénéficier de l’évolution des prix lorsqu’ils augmentent, mais ce n’est pas le cas pour la plupart d’entre eux, dans ce contexte, parce qu’ils ne produisent pas un surplus suffisant, ce qui a des effets très négatifs sur leur sécurité alimentaire. Merci.

Mme Bechdol : Pour répondre à la deuxième question concernant les recommandations possibles pour améliorer la résilience du Canada en matière d’agriculture, je soulignerai le lien très intéressant qu’il y a lieu de faire avec un autre document dont nous avons discuté au cours des deux derniers jours, alors que nous étions ici avec des collègues d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, ou AAC, d’Affaires mondiales Canada, ou AMC, et des homologues des États-Unis. Ce document s’intitule Achieving SDG 2 without breaching the 1.5 °C threshold, ce que l’on pourrait traduire pas « réaliser l’objectif de développement durable 2 sans dépasser le seuil de 1,5 °C de réchauffement climatique ».

Il s’agit d’un document au sujet duquel nous pouvons vous fournir de plus amples renseignements. Vous pouvez le trouver sur le site Web de la FAO. C’est quelque chose que nous avons présenté en avant-première à la COP en novembre dernier. Il s’agit en fait d’une feuille de route qui s’étend sur plusieurs années. Nous n’en sommes qu’aux premières étapes de l’élaboration de recommandations et de suggestions dont les pays du monde entier pourront s’inspirer en fonction des besoins particuliers de leur propre économie agricole. Ces recommandations et suggestions touchent un certain nombre de domaines.

Vous savez, il n’est pas possible d’adopter une approche unique pour les ajustements qui sont requis en matière d’agriculture. Dans ce document, nous nous concentrons sur 10 domaines thématiques. Certains d’entre eux sont bien sûr très pertinents pour vous, comme la production végétale, la production animale, la sylviculture, la pêche et l’aquaculture, les pertes et gaspillages alimentaires, les marchés de l’énergie et les systèmes énergétiques, pour n’en citer que quelques-uns.

Chacun de ces domaines fait l’objet d’un certain nombre de recommandations et de suggestions. Ainsi, dans le domaine des cultures, des techniques de sélection nouvelles et différentes nous permettent d’obtenir des variétés de plantes qui résistent à la sécheresse ou qui tolèrent mieux la chaleur. Dans le domaine de l’élevage, on parle d’une meilleure sélection, d’une meilleure génétique, d’une meilleure assimilation des aliments, autant d’éléments qui, je pense, permettront d’améliorer nos chances de continuer d’avoir une production animale durable sur cette planète tout en réduisant les émissions qui proviennent de ce secteur particulier de l’agriculture. Il y a aussi l’agroforesterie. Il y a un certain nombre de domaines qui, je pense, sont très pertinents pour votre comité, votre travail et vos prises de décisions.

Notre intention est de faire en sorte qu’au cours des deux prochaines années, l’orientation de cette feuille de route se fasse moins mondiale et plus régionale. Toujours au cours des deux prochaines années, nous aimerions même arriver à collaborer avec les pays sur les approches particulières qu’ils pourraient adopter à partir de ce cadre et de cette feuille de route. Je pense que ce document vous fournira de nombreux exemples concrets de choses qui peuvent être faites. Je vous remercie.

Le sénateur Oh : Je vous remercie.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Monsieur Sitko, vous avez dit dans vos notes d’introduction que chaque jour de température extrême réduisait la valeur totale des récoltes produites par les agricultrices de 3 % comparativement à celles des agriculteurs masculins. Je n’ai pas tous les détails. J’aimerais comprendre pourquoi. En fait, j’aimerais connaître le contexte de tout cela et avoir des exemples. Pourquoi y a-t-il une différence de 3 % quand il s’agit d’une agricultrice par opposition à un agriculteur?

[Traduction]

M. Sitko : Merci, madame la sénatrice. Excellente question. Je pense qu’il y a beaucoup de choses qui sous-tendent les différences que nous observons. Nous constatons, par exemple, que les parcelles gérées par les femmes se concentrent souvent sur une gamme plus étroite de cultures, davantage axées sur la sécurité alimentaire. La diversité de leurs systèmes de culture est donc parfois moindre. Elles utilisent souvent moins d’intrants améliorés, tels que des variétés de semences améliorées, des engrais et autres, en partie à cause des contraintes auxquelles elles sont confrontées en matière d’accès au crédit, au capital, etc.

Les systèmes de production sont donc moins diversifiés et les intrants améliorés, moins utilisés. Souvent, les parcelles des femmes sont situées dans des zones plus marginales, des collines en pente, où la qualité du sol est faible, etc. Il y a un déficit inhérent de fertilité en raison de ces normes discriminatoires qui façonnent en quelque sorte l’attribution des terres en fonction du sexe.

Ce sont quelques-unes des principales explications de ce phénomène.

Mme Phillips : J’ajouterai peut-être une autre série de contraintes auxquelles les femmes sont confrontées, à savoir qu’elles œuvrent dans des parties de la chaîne de valeur agricole qui sont moins rentables. Elles peuvent tirer moins de revenus d’ensembles de production similaires parce qu’elles travaillent sur des cultures qui ne sont pas aussi prisées par les marchés. Comme l’a dit M. Sitko, elles travaillent sur des cultures qui ont à voir avec la sécurité alimentaire plutôt que sur des cultures de base ou des cultures à grande valeur ajoutée. Par conséquent, si le marché local se transforme, elles risquent de perdre davantage que les hommes.

Pour revenir à certaines des questions posées par la sénatrice Simons, les femmes sont également beaucoup moins susceptibles d’avoir une assurance pour se protéger contre les pertes et elles ont moins accès à l’irrigation.

La sénatrice Petitclerc : Si je comprends bien, parce qu’elles partent d’une situation où la vulnérabilité est plus grande, lorsque des événements extrêmes se produisent, elles... Peut-on dire que dans ces cas-là, les femmes qui travaillent dans l’agriculture ne le font peut-être pas pour les mêmes raisons que les hommes, ou dans le seul intérêt de l’agriculture? C’est un peu ce que j’ai compris. Contrairement aux entrepreneurs qui sont axés sur les marchés, les femmes sont peut-être davantage axées sur la nécessité de nourrir leur famille. J’aimerais simplement avoir l’heure juste, en fait. C’est une question. J’ignore de quoi il retourne.

Mme Phillips : Si vous me le permettez, je pense que les femmes ne sont pas toujours perçues comme les agricultrices de leur famille, bien qu’elles soient effectivement des agricultrices et qu’elles consacrent une grande partie de leur temps à l’agriculture.

Lorsque quelqu’un vient poser des questions, il demande qui est l’agriculteur et c’est l’homme qui répond, n’est-ce pas? Les femmes ne sont pas considérées comme l’agriculteur principal de leur famille. De nombreuses femmes aimeraient être chefs d’entreprise en agriculture ou dans un autre domaine, mais elles manquent souvent de temps et de ressources pour y parvenir.

Dans de nombreux cas, elles manquent également d’infrastructures sociales. Par exemple, elles ne sont pas intégrées aussi facilement dans les coopératives ou les groupes de producteurs, et elles n’ont peut-être pas accès aux technologies ou aux services de vulgarisation.

Le sénateur McNair : Merci de votre présence.

À l’instar de mes collègues, je trouve ahurissant les statistiques et le montant colossal de 37 milliards de dollars de pertes supplémentaires que subissent les ménages dirigés par des femmes comparativement aux ménages dirigés par des hommes. Tout le monde s’efforce de comprendre pourquoi il y a une différence entre les exploitations agricoles dirigées par des femmes et celles dirigées par des hommes. Vous avez abordé certaines de ces raisons.

Le rapport intitulé The unjust climate indique que la vulnérabilité aux changements climatiques des personnes vivant dans les zones rurales est à peine prise en compte par les plans nationaux de lutte contre les changements climatiques. J’aimerais savoir ce que fait votre organisation pour soutenir les personnes qui vivent dans les zones rurales et qui sont aux prises avec les changements climatiques, en particulier les agricultrices. Le rapport que vous avez dévoilé lors de la COP fait peut-être partie de votre plan d’action à cet égard.

J’aimerais aussi savoir ce que vous pensez que le gouvernement du Canada devrait faire précisément pour soutenir les agricultrices et les communautés autochtones face à la transformation de l’environnement climatique.

Mme Phillips : La FAO travaille de manière globale avec d’autres partenaires pour essayer de soutenir les personnes vulnérables qui sont confrontées à ce type de pertes. Elle leur fournit des moyens et des formations. Elle les aide à accéder aux ressources et elle leur donne des méthodes pour tenter d’examiner les raisons pour lesquelles les femmes ne peuvent pas participer autant à ce type d’organisations collectives, comme je l’ai mentionné.

Nous disposons donc d’un grand nombre de méthodes axées sur l’autonomisation des femmes, car les femmes autonomes, comme nous l’avons montré dans un rapport précédent, sont beaucoup plus susceptibles d’avoir un revenu familial plus élevé et une plus grande résilience face aux chocs climatiques et autres. Par conséquent, les approches qui tentent non seulement de combler certaines lacunes en matière d’actifs et de ressources, mais aussi de modifier les normes sociales afin que les femmes se sentent plus à même de prendre des décisions au sein de leur famille et d’être traitées sur un pied d’égalité au sein de leurs collectivités sont des approches très efficaces. Nous faisons beaucoup de travail de terrain en ce sens, et ce, dans toutes les régions où ces domaines se développent.

En ce qui concerne le gouvernement du Canada, Mme Bechdol pourra peut-être ajouter quelque chose, mais nous apprécions beaucoup le fait que le gouvernement du Canada rappelle constamment à tous les membres de la FAO l’importance de l’égalité des sexes et de l’autonomisation des femmes, ainsi que le rôle très important que jouent les peuples autochtones en ce qui a trait à la protection de la biodiversité et à l’utilisation de pratiques adaptées au climat. Nous avons travaillé en étroite collaboration avec le gouvernement, et ce dernier fournit d’importantes ressources dans un certain nombre de pays pour mettre en œuvre des approches qui valorisent vraiment les connaissances et les capacités des femmes et des peuples autochtones.

M. Sitko : Pour ajouter à cela, nous nous trouvons actuellement à un moment critique des cycles de la politique climatique. Avant la COP qui se tiendra au Brésil en 2025, tous les pays sont invités à soumettre à nouveau des documents révisés quant à leur contribution sur le plan national. Il s’agit des lignes directrices nationales en matière de lutte contre les changements climatiques, c’est-à-dire comment les pays entendent atteindre leurs objectifs en matière d’atténuation et d’adaptation. Lors des cycles précédents, nous avons constaté que ces documents ont dans une vaste mesure fait l’impasse sur les questions relatives à l’inclusion et à la vulnérabilité. Nous avons donc une occasion sans pareille de commencer à faire avancer ces enjeux. Je pense que la FAO est bien positionnée pour travailler avec les pays afin de mettre à contribution certaines des idées que nous avons développées dans nos programmes et de les intégrer de manière plus approfondie dans les documents de politique climatique que les gouvernements soumettront.

La sénatrice Burey : Merci beaucoup de votre présence. C’est formidable de faire partie de ce comité, car, c’est bien connu, nous recevons toutes les personnes brillantes. Beaucoup de mes collègues ont posé la plupart des questions que je voulais poser, mais j’ai quand même pu en trouver quelques autres.

Il est également très intéressant de constater que toutes les choses que nous avons entendues au cours de notre étude sur l’état des sols concernant l’accès à la terre — en particulier pour les groupes marginalisés, les pauvres, les femmes vivant dans la pauvreté et les noirs, notamment en ce qui concerne la souveraineté alimentaire —, que toutes ces choses sont les thèmes qui ressortent. J’attends avec impatience votre feuille de route sur l’objectif de développement durable 2, Faim « zéro », qui pourrait éventuellement aider le Canada.

Certaines de nos jeunes agricultrices nous ont parlé du concept de fiducie foncière et de l’amélioration de l’accès à cet arrangement, non seulement pour les femmes, mais aussi pour les nouveaux immigrants qui pourraient vouloir accéder à la terre.

Pouvez-vous nous parler de cela dans une perspective mondiale et nous dire ce que nous pourrions apprendre ici, au Canada?

Mme Phillips : Je vous remercie.

Il existe un certain nombre de moyens nouveaux et novateurs pour permettre aux gens d’accéder à la terre sans qu’il soit nécessaire d’obtenir un titre de propriété officiel. Dans de nombreux pays où nous travaillons — pas dans le contexte du Canada, mais dans certaines parties de l’Afrique et de l’Asie —, il existe d’autres moyens d’accorder des droits non officiels ou des droits d’intendance, ou même de créer des droits fonciers collectifs pour les peuples autochtones ou pour d’autres groupes. Les descendants d’Africains en Amérique latine préfèrent souvent avoir, par exemple, des droits fonciers collectifs plutôt que des droits fonciers individuels.

L’idée des fiducies foncières est excellente, car il y a un déficit important à l’échelle mondiale en ce qui concerne l’accès des femmes à la terre. C’est la même chose pour les jeunes qui n’ont pas encore hérité de la terre. Ils sont moins susceptibles d’y avoir accès. Dans de nombreuses régions du monde, les parcelles sont de plus en plus petites parce que les taux de croissance démographique sont encore très élevés. Pour ce qui est d’accéder à la terre, les jeunes femmes sont particulièrement désavantagées alors qu’elles dépendent de l’agriculture et des systèmes alimentaires pour assurer leur subsistance. Il y a donc une lacune importante à combler.

La sénatrice Burey : Comment pensez-vous que nous pourrions combler cette lacune?

Mme Phillips : La FAO travaille sur plusieurs types de dossiers. Nous aidons les gouvernements à mettre en œuvre un ensemble de lignes directrices facultatives concernant la gestion des régimes fonciers. Notre expertise permet ainsi aux gouvernements d’adopter des pratiques exemplaires pour améliorer l’accès aux terres des personnes vulnérables.

Nous évaluons également les politiques territoriales des gouvernements pour déterminer leur degré d’inclusivité. Par exemple, nous travaillons en ce moment avec le gouvernement de la Sierra Leone pour rendre ses lois plus inclusives en matière de droits des femmes à accéder à la terre et à en hériter. Des États membres viennent donc nous consulter pour obtenir des conseils précis sur la manière d’améliorer leurs règlements et leurs lois fonciers. Par exemple, le gouvernement du Kenya a procédé au cours des deux dernières années à une augmentation considérable du nombre d’enregistrements, ce qui a permis à de nombreuses femmes d’obtenir des terres.

Le président : J’ai moi-même quelques questions pour vous. Ma première question ne concerne pas le rapport, mais plutôt la manière dont vous vivez la situation sur le plan personnel. Vous avez évoqué un rapport précédent dont nous avons entendu parler l’année dernière. Vous savez qu’un rapport sur l’état des sols va bientôt être présenté. Il y a toujours de mauvaises nouvelles dans les rapports que vous présentez, et dans les nôtres aussi d’ailleurs.

Comment chacun d’entre vous parvient-il à rester motivé? Par exemple, je vois que vous venez récemment de dévoiler qu’une somme de 37 milliards de dollars a été perdue par les femmes et les jeunes. Et il ne s’agit là que d’un rapport préoccupant parmi d’autres. De quelle manière parvenez-vous à conserver votre propre motivation? Qu’est-ce qui vous pousse à vous lever chaque matin?

Mme Phillips : Deux choses parviennent à me réconforter. D’abord, nous recevons beaucoup d’attention de la part de certains gouvernements comme celui du Canada. Ces gouvernements présentent nos données probantes à la population, et semblent désireux d’en apprendre plus sur la situation. Je trouve qu’il s’agit d’un signe plutôt encourageant.

Ensuite, j’aime pouvoir être en mesure de m’engager avec les communautés sur le terrain. J’ai eu l’occasion de me rendre à Gujarat, en Inde, pour présenter le rapport à un grand groupe d’agricultrices. Il était très encourageant de constater, alors que mes propos étaient traduits dans la langue locale, que ces femmes étaient déjà familières avec une grande partie de nos recommandations politiques, et qu’elles les approuvaient. Ces agricultrices nous ont fait part de leurs propres expériences, qui étaient similaires à celles dont nous avions démontré l’efficacité.

Il est donc gratifiant de constater que nous avons à la fois l’attention des décideurs politiques dans des pays comme le Canada, et celle d’agricultrices sur le terrain dans des pays comme l’Inde.

M. Sitko : J’ai grandi au sein d’une communauté rurale, et mon travail m’amène à passer beaucoup de temps avec des agriculteurs. Par ailleurs, lors de mes recherches de doctorat, j’ai vécu un an en Zambie au sein d’une communauté rurale.

Ce qui me motive, c’est de voir ces gens qui vivent de la terre, qui travaillent très fort, et qui sont confrontés à de nombreux défis, mais n’abandonnent pourtant jamais. Améliorer les conditions de travail et de vie de ces gens, voilà ma principale source de motivation.

Mme Bechdol : Merci d’avoir posé des questions très personnelles à chacun d’entre nous. Je pense que vous commencez à comprendre les éléments communs qui nous motivent. Vous savez, monsieur Black, j’appartiens à une famille du Midwest américain qui possède une exploitation de maïs, de soja et de blé depuis sept générations. Ma sœur est la toute première femme en sept générations à avoir pris possession de l’exploitation familiale. C’est elle qui prend toutes les décisions en matière de plantation, de gestion de l’équipement, de finance, de commercialisation et de marketing. Bref, ma sœur s’occupe de tout. Pour moi, même si l’on parle ici de l’Indiana et non d’un pays défavorisé, cela montre le pouvoir des femmes dans l’agriculture, leur résilience, les risques qu’elles prennent, mais aussi les risques qu’elles ne souhaitent pas nécessairement prendre, mais qui leur sont imposés. J’en suis tout à fait convaincue.

À l’instar de mes collègues, je viens d’être affectée à un nouveau poste de responsabilités. En gros, mon rôle est de superviser des travaux en matière de situations d’urgences et de résilience aux catastrophes. En octobre, j’étais en Afghanistan, et il y a tout juste deux semaines, je me suis rendue en mission en Somalie. Ce sont deux des pays les plus pauvres, instables, et conflictuels au monde. La reprise économique et l’amélioration des conditions de vie des populations passent avant tout par l’agriculture. À la FAO, nous savons que la planète a besoin d’organisations internationales robustes. Nous sommes conscients que le monde s’attend à des résultats concrets de notre part, et nous allons tout mettre en place pour y arriver.

Le président : J’ai une autre question. Quelles sont les implications des conclusions de ce rapport pour la coopération et la collaboration internationales dans la lutte contre les vulnérabilités partagées? J’aimerais obtenir quelques précisions à ce sujet, merci.

Mme Phillips : Je pense que l’un des éléments les plus importants de la liste des recommandations politiques est le suivant: malgré l’existence de différentes vulnérabilités, nous manquons de ressources financières et d’écoute de la part des décideurs, et notamment sur l’impact des changements climatiques sur les femmes pauvres et les populations selon le groupe d’âge. Pour les entreprises internationales, l’une des priorités, comme l’a mentionné M. Sitko, est d’influencer les décideurs politiques sur ce genre d’enjeux. Par ailleurs, une grande partie du financement de la lutte contre les changements climatiques est octroyé à de grands projets axés sur l’atténuation au sein des économies les plus avancées. Cependant, je pense qu’il est nécessaire de réorienter une partie du financement vers les pays les plus pauvres.

J’imagine que M. Sitko souhaite aborder certaines recommandations supplémentaires.

M. Sitko : L’une des principales conclusions est que les vulnérabilités auxquelles les populations rurales sont confrontées diffèrent considérablement. Elles varient en fonction des types de phénomènes météorologiques auxquels ils sont confrontés et de leur statut social. Souvent, les documents politiques que nous analysons parlent de populations vulnérables — les femmes, les jeunes, les peuples autochtones, et ainsi de suite —, comme s’il s’agissait d’un vaste groupe homogène. L’une des conclusions importantes de ce rapport est qu’il existe différents types de vulnérabilités, qu’elles ne sont pas toutes identiques. Les facteurs de vulnérabilité sont multidimensionnels, et se manifestent tant à l’intérieur des exploitations que dans la société en général. Dans cette optique, les gouvernements doivent mettre en place des mesures beaucoup plus multidimensionnelles et nuancées.

La sénatrice Simons : Suite aux grandes questions existentielles du sénateur Black, j’ai l’impression que mes propres questions risquent de paraître quelque peu prosaïques.

Vous avez dit que cette agrégation de données concerne 24 pays. Je ne vois pas la liste de données, et je me demande donc si vous pourriez nous fournir un exemple d’économie moyenne. Quels sont les pays les plus riches, si je peux utiliser ce terme, et les pays les plus pauvres? Inutile de nous citer la liste complète des 24 pays, mais j’aimerais savoir lesquels se situent au sommet et en bas de l’échelle.

J’aimerais également comprendre les caractéristiques des personnes les plus défavorisées. Est-ce pire au bas de l’échelle, ou au sommet? Autrement dit, où se situe l’écart le plus important?

M. Sitko : En réponse à votre première question, la Géorgie et l’Arménie sont des exemples de pays qui se situent dans la moyenne. L’Irak, la Mongolie, le Viêt Nam, le Pérou et de nombreux pays d’Afrique subsaharienne comme le Burkina Faso et la Sierra Leone se situent en bas de l’échelle. Voilà le type d’écarts que contient le rapport.

Je ne suis pas certaine de bien comprendre votre seconde question.

La sénatrice Simons : Existe-t-il une corrélation entre le développement et... Ce n’est sans doute pas le bon terme...

M. Sitko : Je vois. À l’échelle nationale.

La sénatrice Simons : À l’échelle nationale. Par exemple, j’imagine que dans un pays plus favorisé, le différentiel est plus important que dans un pays pauvre où pratiquement toute la population se trouve en situation de survie. Mais c’est peut-être exactement l’inverse. À partir des données que vous avez compilées, pourriez-vous m’indiquer quels sont les pays les plus susceptibles de présenter un écart important.

M. Sitko : D’accord, je comprends maintenant votre question. Il s’agit en fait d’une excellente question.

Nous n’avons pas exploré ce sujet en profondeur, mais d’après la littérature scientifique, les pays les plus développés possèdent des institutions stables qui permettent d’atténuer certaines des vulnérabilités auxquelles les populations sont confrontées. Ces pays riches se sont dotés de systèmes de protection sociale qui fonctionnent bien, et d’infrastructures en relativement bon état. Ainsi, lorsqu’une inondation se produit, elle ne décime pas complètement toutes les infrastructures routières, comme ce fut le cas dans le sud du Malawi, où je me trouvais, lorsqu’un cyclone a frappé la région et a complètement détruit le réseau routier. En ce sens, les pays qui disposent de plus de ressources financières sont généralement mieux à même de répondre aux vulnérabilités de leurs populations. Quant à savoir s’ils le font en pratique, c’est une autre question, mais voilà ma réponse sur le plan théorique.

Mme Phillips : Bien entendu, les vulnérabilités climatiques diffèrent d’une région à l’autre. Au Pérou ou dans un autre pays d’Amérique du Sud, les inondations représentent habituellement le risque le plus élevé, alors que dans un pays plus pauvre, c’est souvent la sécheresse. Comme l’a dit M. Sitko, la capacité du gouvernement à prévenir et à atténuer les pertes est assez élevée dans un certain nombre de pays. Il s’agit tant de pays riches que de pays pauvres, et cela dépend de leur vulnérabilité à la sécheresse, aux inondations et à d’autres types de phénomènes météorologiques extrêmes.

La sénatrice Simons : Il s’agit donc avant tout d’une question de géographie.

J’ai une autre question. L’un des chiffres les plus inquiétants, à mon avis, de ce rapport est celui qui indique que les températures extrêmes ont poussé les enfants à augmenter leur temps de travail hebdomadaire de 49 minutes par rapport aux adultes dans la force de l’âge. C’est presque une heure de plus. Quand on parle d’enfants, quelle est la définition? S’agit-il de personnes de moins de 18 ans, de moins de 16 ans, ou de moins de 14 ans? Est-ce que cela signifie que beaucoup d’enfants travaillent plus fort, ce qui complique l’accès à l’éducation au sein d’un établissement de qualité?

M. Sitko : Excellente question. Au sein de notre organisation, les personnes âgées de 10 à 14 ans sont considérées comme des enfants. Les enfants analysés dans notre échantillon travaillent déjà en moyenne 15 heures et demie par semaine dans des activités agricoles et non agricoles, mais pas dans des activités domestiques.

Les ménages sont souvent confrontés à ce genre de chocs, et doivent trouver des moyens de survivre, ce qui implique souvent de retirer les enfants de l’école pour qu’ils puissent participer à des activités rémunératrices. Fait intéressant, ce chiffre est fortement corrélé avec le travail des femmes. En effet, en situation de crise, on observe que les femmes travaillent davantage. Il se peut qu’elles emmènent leurs enfants avec elles sur leur lieu de travail, car elles ne sont souvent pas en mesure de s’acquitter des frais de scolarité et des frais connexes. C’est ce que nous avons constaté.

La sénatrice Simons : Avez-vous ventilé ces données selon le genre? Savez-vous par exemple si les filles sont plus nombreuses que les garçons à travailler dans les champs et à être retirées de l’école?

Mme Phillips : Pas dans cette étude, mais en général, nous avons constaté que 70 % du travail des enfants s’effectue dans le secteur de l’agriculture à l’échelle mondiale, et cela inclut des enfants de moins de 10 ans dans certains cas. Il y a toutes sortes de jeunes adolescents qui travaillent dans des conditions dangereuses, ce qui est une forme de travail des enfants.

En général, les garçons consacrent un peu plus d’heures au travail des enfants que les filles, mais les filles sont très sollicitées pour des tâches telles que la collecte d’eau ou de bois de chauffage pour leur famille, ce qui constitue une forme de travail des enfants si cela interfère avec leur parcours scolaire. La répartition du travail des enfants est différente entre les jeunes filles et les jeunes garçons, mais, en général, nous n’avons pas été en mesure de déterminer si le travail des enfants affecte davantage les jeunes filles ou les jeunes garçons.

M. Sitko : Les jeunes filles sont plus susceptibles d’être retirées de l’école lorsque des phénomènes météorologiques extrêmes se produisent. Il existe toute une documentation bien établie à ce sujet.

La sénatrice Simons : Nous parlons sans cesse ici de la façon dont nous laissons ce fardeau à nos enfants et petits-enfants, mais il s’agit là de l’impact réel, tangible et mesurable des changements climatiques à l’heure actuelle. Des enfants perdent leur enfance pour faire face aux conséquences des changements climatiques, tandis que nous jouons les violons pendant que la planète brûle.

Le président : Et voilà. Ceux et celles qui ne se tournent pas vers la présidence n’ont pas droit à quelques minutes supplémentaires. Nous allons maintenant passer à la troisième série de questions.

La sénatrice Petitclerc : Je ne sais pas si ma prochaine question cadre avec le mandat de votre organisation. Ce rapport est un portrait de ce qui se passe actuellement, et c’est très angoissant. Nous savons que cette crise climatique n’est pas près de se résorber. Nous commençons à disposer de suffisamment de données pour connaître les tendances. Quelqu’un fait-il de la modélisation, des projections? Dans ce cas, serions-nous capables de prédire ce qui se passera dans 10 ans afin de trouver des solutions? Vous parliez de distance, de sécheresse et de distance par rapport à une source d’eau potable. Voyez-vous où je veux en venir? Quels genres de solutions s’offrent à nous?

M. Sitko : Nous sommes en mesure d’établir plusieurs scénarios possibles en matière de changements climatiques, y compris en matière de répercussions socioéconomiques. La modélisation de ces scénarios est difficile, comme vous pouvez l’imaginer. La température est une donnée plutôt facile à analyser, mais la modélisation des précipitations tend à être plus difficile. On peut dire que certaines zones sont plus exposées à la sécheresse ou aux inondations, mais l’ampleur exacte de ces phénomènes est difficile à modéliser.

À ma connaissance, il n’existe pas encore d’études portant sur la modélisation des répercussions socioéconomiques différentielles en cas de catastrophes climatiques. Notre analyse jette les bases d’un tel modèle, grâce à différentes données sur l’espace et le temps. On peut donc dire que nous posons les assises des prochaines études sur le sujet.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie. Je me dis que la présentation de ce genre de scénarios climatiques risque d’inciter nos gouvernements à investir dans différents programmes axés sur l’agriculture, l’innovation et la résilience.

Mme Bechdol : Je peux peut-être intervenir très brièvement pour en parler de façon générale. Je crois que ce que vous décrivez, sénatrice, fait partie des avancées majeures qui se profilent dans le suivi des données météorologiques, des données liées au climat et aux conditions météorologiques, qui démontrent évidemment une plus grande variabilité des tendances que ce que nous avons vu par le passé. Les progrès en matière d’innovation, comme l’analyse numérique, l’analyse géospatiale et l’intelligence artificielle, permettent tous ensemble d’ouvrir la porte à une grande variété de nouvelles possibilités quant à la façon dont nous analysons, évaluons et, comme vous le dites, prédisons des phénomènes.

Il s’agit d’un domaine de travail très important pour l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et un certain nombre d’autres collègues dans ces endroits fragiles ou touchés par la crise climatique, car ce n’est pas uniquement une question d’analyse et d’évaluation. Lorsqu’on a ce genre d’information prévisionnelle, il faut savoir réagir en conséquence et être prêt à prendre différentes mesures. Il y a donc beaucoup de travail qui se fait pour la préparation aux catastrophes, la réduction des risques de catastrophes et la prise de mesures anticipatives.

Dans une organisation comme la nôtre, nous pouvons effectuer le genre d’analyse importante que font nos collègues, puis prendre des mesures concrètes sur le terrain, notamment en construisant les berges des rivières qui, nous le savons, sont sujettes à des inondations, ou en déplaçant les gens hors des zones, des villages et des collectivités vulnérables. Il y a toutes sortes d’interventions, et si nous parvenons à mieux comprendre la modélisation et l’évaluation, nous pourrons, au bout du compte, prévenir davantage de préjudices et de dommages qui touchent les collectivités agricoles et les moyens de subsistance.

La sénatrice Petitclerc : Merci à vous deux.

La sénatrice Burey : Je suis la pédiatre au sein du comité, mais la sénatrice Simons a pris la relève et elle a attiré mon attention sur les problèmes touchant les enfants. Vos données tiennent-elles vraiment compte des effets non seulement sur le travail des enfants — chose que vous devez assurément examiner —, mais aussi sur les taux de mortalité infantile? Cela a-t-il augmenté? Il y a la propagation de maladies — je pense à la rougeole qui circule en ce moment — et, bien sûr, nous devons faire face à de futures pandémies et reconnaître qu’elles viendront s’ajouter à ces phénomènes climatiques. Vos données ont-elles permis de le démontrer? Vous avez peut-être d’autres données.

M. Sitko : Nos données n’ont pas permis d’examiner ces résultats précis, mais nous savons, par exemple, qu’au fur et à mesure que le climat change, la distribution des vecteurs de diverses maladies s’étend à de nouveaux endroits qui en étaient exempts. La salubrité de l’eau est menacée par les fortes pluies, et cetera, ce qui entraîne des maladies comme la dysenterie et la typhoïde. C’est certainement un sujet de préoccupation.

Mme Phillips : Nous savons également que la pandémie a eu de profondes répercussions sur la sécurité alimentaire mondiale. L’augmentation marquée de l’insécurité alimentaire entre 2019 et 2020 dans toutes les régions où les femmes subissent un fardeau disproportionné est attribuable à la pandémie et au manque d’accès à la nourriture ainsi qu’aux baisses de revenu chez les deux groupes. Nous savons que, pendant les périodes d’insécurité alimentaire, les enfants sont particulièrement vulnérables à l’émaciation ou aux retards de croissance parce que la nutrition durant la petite enfance est très limitée dans le temps. Si les enfants n’ont pas accès à des aliments sains pendant cette période importante de leur vie, il peut y avoir des répercussions très négatives.

Nous savons également que les femmes qui n’ont pas de sécurité alimentaire ne peuvent pas bien nourrir leurs bébés par l’allaitement. Nous sommes donc conscients que les crises comme la COVID, mais aussi les conflits, peuvent avoir des répercussions très négatives sur la sécurité alimentaire des femmes et des hommes et que, de façon générale, les enfants en subissent les effets plus rapidement que les adultes.

Le sénateur McNair : Ma question est simple: qu’espérez-vous voir ressortir de ce rapport? Vous parlez d’élaboration de politiques et de tout le reste, mais il est évident qu’une bonne partie de ce travail tient à l’augmentation du financement provenant de pays à revenu élevé. Avez-vous entrepris un examen quelconque à ce stade-ci pour déterminer l’ampleur du financement nécessaire pour atteindre certains de vos objectifs?

Mme Phillips : Je vais vanter les mérites de ce rapport au nom de mon collègue, mais c’est la première fois qu’on essaie de quantifier les pertes attribuables aux changements climatiques pour les groupes les plus pauvres, pour les femmes et pour les gens par tranche d’âge. En fait, il n’y avait presque pas de données auparavant qui montraient l’ampleur de ces pertes, et j’ai donc l’impression que le manque d’attention accordée à ces groupes dans les documents de politiques était peut-être dû au fait que les gens ne savaient pas — ils ont peut-être supposé — que les pauvres étaient touchés de façon disproportionnée, mais nous avions vraiment besoin des chiffres.

Par conséquent, si nous pouvions au moins avoir une conversation sur l’importance des pertes que nous avons évaluées dans le cadre des efforts visant à transformer les systèmes alimentaires pour les rendre plus résilients aux changements climatiques, ce serait déjà un pas dans la bonne direction. M. Sitko a dit qu’environ 10 milliards de dollars seront versés à tous les petits exploitants agricoles dans le monde, mais les pertes estimatives s’élèvent à environ 34 milliards de dollars américains. Il faudrait donc au moins tripler le financement de la lutte contre les changements climatiques pour ces groupes vulnérables, si nous poussons l’analyse un peu plus loin.

M. Sitko : Je dirais que nous espérons également que le rapport permettra de recentrer l’attention sur les personnes, et ce n’est pas seulement une question de vulnérabilité.

Je pense qu’il y a un autre aspect important pour ce groupe : il est essentiel de faire participer les gens des régions rurales et les agriculteurs au processus de lutte contre la crise climatique. Sans la participation de ces personnes aux mesures d’atténuation et d’adaptation, nous ne pourrons pas atteindre notre objectif. Ces petits agriculteurs exploitent une bonne part des terres de la planète. Ils contrôlent une grande partie des forêts. Ils jouent un rôle clé dans ce dossier.

Même si le rapport met l’accent sur la vulnérabilité — et nous devons nous y attaquer —, je pense que le fait de mettre davantage l’accent en général sur les gens et sur le rôle que les habitants des régions rurales jouent dans la lutte contre la crise climatique est un objectif primordial.

Le président : Je vous remercie. J’ai quelques questions à vous poser.

Y a-t-il eu des surprises ou des résultats inattendus dans votre analyse concernant la façon dont l’exposition aux chocs météorologiques et aux changements climatiques influe sur les moteurs de la transformation rurale? Êtes-vous tombés sur des choses auxquelles vous ne vous attendiez pas?

M. Sitko : Oui. Merci, sénateur.

Le plus important pour moi a été l’effet des stress climatiques sur les jeunes. Si vous regardez la teneur des discussions, il s’agit souvent de personnes vulnérables comme les femmes, les jeunes et les personnes vivant dans la pauvreté. Ce que nous avons constaté, en fait, c’est que les jeunes sont mieux à même de faire face aux stress climatiques que les personnes âgées en milieu rural parce qu’ils sont en mesure d’accéder à des possibilités de revenu hors ferme, disons, à un taux plus élevé. Cela pourrait se faire par la migration ou par l’entremise d’autres mécanismes.

Cela ne veut pas dire qu’ils ne sont pas plus vulnérables. À long terme, ils devront endurer un climat beaucoup plus rigoureux que celui auquel font face leurs parents. Cependant, à court terme, ils arrivent à mieux s’adapter aux stress climatiques que les personnes âgées en milieu rural.

J’estime donc qu’il est important de reconnaître que nous devons également penser aux populations rurales plus âgées et à leur expérience des changements climatiques.

Mme Phillips : J’ai moi aussi été surprise par cette constatation en ce qui a trait aux jeunes.

Dans la version longue du rapport, il y avait un autre point bien précis : les jeunes parviennent même à acheter des actifs qui font l’objet de ventes au rabais. En cas de sécheresse, par exemple, les agriculteurs plus âgés peuvent vendre leur bétail, et les jeunes peuvent avoir accès à un certain revenu pour acheter des actifs.

C’était là une constatation surprenante parce que, comme l’a dit M. Sitko, on croit souvent que les jeunes, les femmes ou les groupes autochtones sont les plus vulnérables aux changements climatiques, mais nous avons constaté quelque chose de légèrement différent.

Le président : Je vous remercie.

Je dis toujours aux gens que le Sénat n’a pas d’argent pour les programmes, mais que devrions-nous encourager nos collègues de l’autre endroit à faire pour que le Canada appuie et fasse avancer ce dossier? Qu’aimeriez-vous que nous communiquions?

Mme Phillips : Il faut continuer d’insister, comme M. Sitko l’a dit, sur le fait que les changements climatiques constituent une crise tant pour l’environnement que pour les humains et que les vulnérabilités des gens varient en fonction de l’endroit où ils vivent et de leur statut socioéconomique. Le Canada fait souvent valoir cet argument dans les tribunes multilatérales, et nous lui en sommes très reconnaissants. Il faut continuer de concentrer les ressources non seulement sur les technologies qui peuvent aider à surmonter la crise climatique, mais aussi sur les types de programmes sociaux qui font partie des recommandations de ce rapport — des choses auxquelles nous ne pensons peut-être pas. Nous pensons à des semences résistantes à la sécheresse, mais nous ne pensons pas à la protection sociale ou à l’autonomisation des femmes comme solutions à la crise climatique, et je crois que le gouvernement serait très bien placé pour soulever ces points.

Mme Bechdol : Je me permets d’intervenir moi aussi pour ajouter qu’il faut nous aider à vraiment sonner l’alarme et à faire comprendre qu’il y a, en effet, un sentiment d’urgence. Ce n’est peut-être même pas suffisant pour bien décrire l’ampleur du défi et la conjoncture dans laquelle nous nous trouvons.

Il y a un autre point très important pour notre organisation en ce qui concerne le financement et la mobilisation des ressources : on croit souvent à tort que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture recueille des fonds pour ses propres activités, alors qu’en réalité, notre travail et notre modèle s’appuient sur notre réseau de plus de 140 bureaux nationaux partout dans le monde. Nous sommes en interaction constante avec les ministères chargés de l’agriculture, de l’environnement et de l’approvisionnement en eau, ainsi qu’avec les collectivités agricoles et les dirigeants de villages. Nous sommes présents dans bon nombre de ces endroits qui, de toute évidence, font partie de cet important travail.

Pour nous, c’est une question de jumelage. Il s’agit vraiment de cerner les enjeux, de recueillir de l’information et d’attirer l’attention sur le pays lui-même, puis de dégager un besoin très précis et de faire part de ces possibilités à des gouvernements comme celui du Canada et à des partenaires qui sont en mesure de fournir, à mon avis, des ressources très importantes.

Il serait certainement très utile d’attirer l’attention sur les conclusions générales et sur le travail que cette équipe a accompli, mais il faut continuer de travailler en étroite collaboration avec nous pour trouver la meilleure façon de saisir les possibilités en fonction des besoins de financement précis et ciblés.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : J’aimerais poser une dernière question. De toute évidence, il y a une énorme différence entre les pays qui ressentiront le plus les effets catastrophiques des changements climatiques. Certains des pays que vous avez énumérés, monsieur Sitko, sont des pays que je ne considère pas comme étant aussi vulnérables.

Ce n’est pas vraiment l’objet de l’étude, mais c’est une question qui en découle. À quel point l’écart sera-t-il pire? Je ne veux pas insinuer que la Géorgie et l’Arménie ne font pas face à d’autres difficultés, mais ce n’est pas la même situation qu’en Somalie.

Nous avons passé notre vie à essayer d’égaliser les conditions économiques des pays du Sud. Je me rends compte que tout le travail que nous avons effectué au cours des 60 dernières années va s’effondrer à mesure que les températures augmentent.

Le président : Qui veut répondre à cette question?

M. Sitko : Je suis tout à fait d’accord. Le défi que posent les changements climatiques, surtout dans les endroits les plus fragiles, est difficile à comprendre.

Songez aux endroits où le climat change le plus rapidement. Évidemment, c’est dans les régions polaires. Le Canada sait donc très bien ce qui se passe. C’est là que le climat se réchauffe le plus rapidement. La Mongolie, par exemple, fait partie de cette étude, et c’est l’un des pays qui se réchauffent le plus rapidement.

Prenez des endroits comme l’Afrique de l’Ouest, où il y a des vagues récurrentes de chaleur extrême, au-delà des seuils supportables pour les humains, si bien que, dans certaines régions de ces pays, il est parfois impossible de travailler à l’extérieur pendant certains mois de l’année. Cela représente un défi de taille pour le secteur agricole, et nous devons y faire face. L’Amérique centrale connaît également des sécheresses, en plus d’être frappée par de multiples ouragans, ce qui rend très difficile la possibilité de maintenir un moyen de subsistance dans le secteur agricole.

Que pouvons-nous faire? Nous devons investir dans des façons d’atténuer ces problèmes, mais nous pouvons aussi reconnaître qu’à certains endroits, les moyens de subsistance du passé ne seront pas viables à l’avenir, et nous devons vraiment réfléchir à des solutions de rechange dans ces endroits.

Le président : Je vous remercie.

La sénatrice Petitclerc : Dans le cadre des différentes études que nous avons menées au sein de notre comité, nous entendons toujours parler des problèmes que pose le travail en vase clos. Encore une fois, ce n’est peut-être pas directement lié à ce rapport et à votre mandat, mais j’ai l’impression que de nombreux intervenants entrent en ligne de compte, comme les pièces d’un casse-tête, quand vient le temps de trouver des solutions. Nous avons beaucoup parlé de la vulnérabilité des femmes en ce qui concerne l’agriculture et les changements climatiques, mais vous avez aussi mentionné que les jeunes filles seront les premières à être retirées de l’école.

Ma question est d’ordre très général : dans quelle mesure tous les intervenants travaillent-ils et communiquent-ils ensemble? Devons-nous nous attaquer aux racines des problèmes? Faisons-nous en sorte que les filles restent à l’école afin qu’elles soient mieux outillées pour atténuer les effets lorsqu’elles commenceront à travailler dans le secteur agricole? Comment vont les choses à cet égard?

Mme Phillips : Il y a deux changements positifs. Premièrement, les rapports qui sont produits par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, ou GIEC, et qui portent sur les changements climatiques adoptent de plus en plus une approche multisectorielle, c’est-à-dire qu’ils tiennent compte du sexe et des vulnérabilités des personnes. C’est important parce que ces types de rapports techniques ou scientifiques étaient autrefois axés sur la modélisation climatique et sur la nécessité d’amener des scientifiques à se pencher sur le climat à titre de spécialistes de l’environnement, sans inclure des spécialistes en sciences sociales dans la discussion. Or, dans le dernier rapport, soit la sixième édition, les choses ont commencé à changer, et une plus grande importance a été accordée aux personnes. Je pense que c’est positif parce que nous pouvons commencer à réfléchir aux enjeux de façon plus globale.

Le deuxième changement, c’est que les systèmes agroalimentaires sont de plus en plus pris en compte à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture et au sein du système des Nations unies. Ce point de vue — c’est-à-dire la prise en compte de l’agriculture et de tous les éléments du système alimentaire, de la ferme à l’assiette — nous aide à réfléchir de façon globale aux diverses parties du secteur qui doivent intervenir sur le plan de la santé et de l’éducation pour rendre le système alimentaire résilient, nutritif, inclusif et durable — voilà autant de résultats que nous aimerions voir à l’avenir.

Mme Bechdol : Je terminerai mon intervention en formulant une observation au sujet de notre position au sein du système des Nations unies et du reste de la communauté multilatérale mondiale.

J’aimerais pouvoir dire que nous avons finalement compris que nous devions travailler ensemble avec bienveillance et gentillesse, mais je reconnais que la crise elle-même a créé le besoin et l’urgence de le faire. Qu’il s’agisse des autres organisations qui font équipe avec les Nations unies et qui sont implantées à Rome comme nous, notamment le Fonds international de développement agricole et le Programme alimentaire mondial, ou des autres partenaires des Nations unies qui sont établis à New York, les gens admettent très clairement aujourd’hui que les organisations ne peuvent pas tenter d’avoir leur propre incidence et de se procurer la quantité limitée de fonds ou de ressources qui sont fournis.

Même à l’extérieur du système des Nations unies, je constate que les organisations reconnaissent la nécessité de travailler de concert avec d’autres types de partenaires non gouvernementaux. Il existe une véritable dynamique en faveur d’un véritable partenariat et d’une collaboration avec le secteur privé, la société civile et les institutions universitaires et scientifiques.

Je ne dirais pas que nous avons déjà trouvé la bonne voie vers ces types de partenariats transformationnels, mais ils sont en cours de formation. À l’instar de Mme Phillips, j’estime qu’il s’agit là d’une évolution très positive.

La sénatrice Petitclerc : Je vous remercie de votre réponse.

Le sénateur Oh : Nous avons beaucoup parlé de l’aide. Cependant, j’ai remarqué, au cours des dernières années, qu’aucun cadre très sérieux n’avait été établi pour cerner tout ce qui se passe sur tous les continents. Le calme semble régner en ce qui concerne les questions d’approvisionnement alimentaire. Est-ce vrai?

Mme Bechdol : Nous avons vraiment essayé d’articuler le débat sur la sécurité alimentaire mondiale autour de trois piliers. Le premier est la disponibilité alimentaire, le deuxième est l’accessibilité alimentaire et le troisième est l’abordabilité alimentaire. Le message que l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture adresse au monde entier, c’est qu’il n’y a pas de problème de disponibilité à l’échelle mondiale; il y a suffisamment de nourriture sur cette planète pour nourrir les gens qui l’habitent. Les problèmes que nous rencontrons sont liés à l’accessibilité et à l’abordabilité.

Nous constatons un problème d’accessibilité lié à la guerre en Ukraine, et nous en remarquons un à Gaza. Il en va de même en mer Rouge, en raison des attaques qui s’y sont produites. Nous observons le canal de Panama et les effets que la sécheresse a sur la possibilité d’acheminer des cargaisons par cette voie commerciale très importante. Nous devons donc être attentifs à l’accessibilité.

Parallèlement, un certain nombre de pays continuent à mettre en œuvre différents types de mesures de protection des marchés pour faire face à ces différentes dynamiques, qu’il s’agisse de mesures de protection des exportations ou d’autres types de politiques qui, à leur tour, ont un effet de distorsion sur l’acheminement des denrées alimentaires vers d’autres marchés qui en ont grandement besoin.

La question de l’abordabilité nous préoccupe également de plus en plus. Ces préoccupations sont particulièrement liées à même une étude comme celle que vous menez, qui se concentre essentiellement sur l’Afrique subsaharienne et les régions où les effets de la récession économique causée par la pandémie de la COVID se font encore sentir, et où les sources de revenus ne se sont pas rétablies. En outre, comme nous le savons tous, l’inflation relative aux prix des denrées alimentaires est bien réelle, et les consommateurs des États-Unis, de l’Italie et du Canada la sentent même dans leur propre portefeuille. C’est un problème que nous devons aussi nous employer à combattre.

Le sénateur Oh : Les coûts humains — les catastrophes naturelles.

Mme Bechdol : Oui, les deux. C’est très clair.

Le sénateur Oh : Je vous remercie de votre réponse.

Mme Bechdol : Je vous remercie de votre attention.

Le président : Fort bien. Je remercie infiniment les témoins, c’est-à-dire Mme Phillips, M. Sitko et Mme Bechdol, de leur présence aujourd’hui. Nous vous sommes très reconnaissants de votre participation, de vos témoignages et de vos idées. Nous espérons que vous avez trouvé la réunion utile.

Je tiens également à remercier chaleureusement mes collègues, c’est-à-dire les membres du comité, de leur participation active et de leurs questions très réfléchies. Je voudrais également prendre un moment pour remercier, en votre nom et en notre nom, les personnes qui nous soutiennent ici, dans la salle, et les personnes qui sont derrière nous, notamment les interprètes, l’équipe des débats qui transcrit nos réunions, le préposé à la salle de comité, le technicien des services multimédias, l’équipe de télédiffusion, le centre d’enregistrement, la Direction des services d’information et notre page, lesquels nous soutiennent tous. Nous ne pourrions pas faire ce travail sans eux. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre soutien. Merci beaucoup.

Nous allons faire une courte pause et revenir pour une brève séance à huis clos. Ce n’est pas prévu à l’ordre du jour, mais nous avons confié un travail à notre analyste au cours de la dernière réunion, et elle veut nous en parler.

Mesdames et messieurs les sénateurs, consentons-nous à suspendre brièvement la séance, afin de passer à la partie à huis clos de notre réunion?

Des voix : Oui.

Le président : Nous allons maintenant suspendre la séance pour reprendre nos travaux à huis clos.

(La séance se poursuit à huis clos.)

Haut de page