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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 7 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui à 9 heures afin d’examiner pour en faire rapport le problème grandissant des feux de forêt au Canada et les effets que les feux de forêt ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture, ainsi que sur les communautés rurales et autochtones, à l’échelle du pays.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous. Il est bon de voir des visages souriants et joyeux.

Avant de commencer, je voudrais demander à toutes les personnes présentes dans la salle de consulter les cartes qui se trouvent devant elles pour connaître les consignes visant à prévenir les problèmes de rétroaction acoustique. Nous devons aider et protéger les personnes qui travaillent pour nous dans les coulisses. N’oubliez pas que les microphones et les écouteurs doivent être tenus à distance. Veuillez les débrancher lorsque vous ne les utilisez pas.

Je voudrais commencer par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, à nos témoins présents en personne et en ligne. Je m’appelle Robert Black. Je suis un sénateur de l’Ontario et je préside ce comité.

Avant d’entendre nos témoins, j’aimerais commencer par demander aux sénateurs autour de la table de se présenter.

La sénatrice Simons : Bonjour, je suis Paula Simons. Je viens de l’Alberta, territoire du traité n° 6.

[Français]

La sénatrice Oudar : Bonjour. Manuelle Oudar, du Québec. Bienvenue.

[Traduction]

Le sénateur McNair : Je vous souhaite la bienvenue. Je suis John McNair, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice McBean : Bonjour. Marnie McBean, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Bonjour. Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice White : Kuei . Judy White, de Terre-Neuve-et-Labrador.

La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.

Le sénateur Richards : David Richards, du Nouveau-Brunswick.

Le président : Avant de débuter, j’ai de bonnes nouvelles à vous annoncer en lien avec nos travaux et notre rapport sur les sols. La semaine dernière, Postes Canada a dévoilé deux timbres : l’un pour rendre hommage aux farmerettes et l’autre aux soldats de la terre. Ce sont des jeunes hommes et des jeunes femmes qui se sont portés volontaires pour contribuer aux efforts de guerre en cultivant la terre en Ontario et dans d’autres provinces. Ces timbres visent donc à reconnaître et à honorer leur contribution. Si vous en avez la chance, procurez-vous-les à votre bureau de poste.

Sur ce, le comité poursuit aujourd’hui son étude sur les feux de forêt de plus en plus fréquents au Canada et leurs effets sur les industries de la foresterie et de l’agriculture.

J’ai le plaisir de souhaiter la bienvenue à nos premiers témoins aujourd’hui, soit tout d’abord, de l’Association des produits forestiers du Canada, Eric Johnson, vice-président aux relations gouvernementales, et Étienne Bélanger, vice-président des relations avec les Autochtones et de la foresterie; de Propriétaires forestiers du Canada, Andrew de Vries, directeur général, qui témoigne à distance; et de PRT Growing Services Ltd., Randy Fournier, chef de la direction.

Bienvenue et merci d’être parmi nous. Chacun d’entre vous disposera de cinq minutes pour sa déclaration préliminaire. Au bout de quatre minutes, je lèverai une main pour vous signaler qu’il vous reste une minute pour conclure. Lorsque je lèverai les deux mains, il sera temps d’arrêter.

La parole est à M. Johnson, suivi de M. De Vries puis de M. Fournier.

Eric Johnson, vice-président aux relations gouvernementales, Association des produits forestiers du Canada : Je vous remercie de me donner l’occasion de m’adresser à votre comité, honorables sénateurs, au sujet de l’incidence des feux de forêt sur l’agriculture, les industries forestières et les communautés autochtones.

Je suis ici au nom de l’Association des produits forestiers du Canada, ou l’APFC. Nous sommes la voix des producteurs canadiens de bois, de pâte à papier, de papier et de bioproduits à base de bois à l’échelle nationale. J’aimerais vous faire part de notre point de vue sur la façon dont le secteur forestier canadien peut contribuer à la résilience face aux feux de forêt.

Les effets des changements climatiques, notamment la hausse des températures, les sécheresses et les conditions météorologiques extrêmes, combinés à une tradition de suppression agressive des incendies, qui a conduit à une accumulation non naturelle de charges combustibles — des branches, des feuilles et des morceaux d’arbres hautement inflammables —, alimentent maintenant des saisons d’incendies de forêt plus sévères au Canada. La saison des incendies de 2023 a été la pire jamais enregistrée : plus de 17 millions d’hectares de terres ont brûlé, 2,2 milliards de tonnes de CO 2 ont été libérés dans l’atmosphère et des milliers de Canadiens ont été forcés d’évacuer leur domicile. Au cours de l’été 2024, l’incendie de Jasper a encore mis en évidence les effets dévastateurs des feux de forêt, puisqu’il a entraîné l’évacuation de plus de 20 000 personnes et causé des dommages importants à la ville et au parc national environnant. Ces incendies posent des risques importants pour la sécurité publique, les infrastructures et l’environnement et ont un effet disproportionné sur les communautés autochtones.

Le rôle que peut jouer le secteur forestier du Canada, par une gestion active des forêts, est capital pour l’atténuation des effets catastrophiques des feux de forêt. Intensifier les activités fédérales d’atténuation et de prévention des feux de forêt nous permettra de réduire considérablement les risques. L’Initiative pour un avenir résilient face aux incendies de forêt, annoncée en 2022, constitue une première étape louable, mais des investissements supplémentaires sont nécessaires dans tout le pays.

La foresterie intelligente face au climat offre une approche holistique qui intègre la gestion forestière à l’atténuation des changements climatiques et à notre adaptation à ceux-ci. Les méthodes de foresterie intelligente face au climat, telles que le boisement, l’éclaircissement des forêts et l’utilisation de techniques Intelli-feu, contribuent à la résilience des forêts et à la réduction de la charge de combustible. En adoptant la foresterie intelligente face au climat, nous pouvons restaurer les écosystèmes forestiers, atténuer les changements climatiques et créer une économie favorable à la nature qui profite à tous.

Les communautés autochtones pratiquent la gestion durable des forêts depuis des siècles. Il est essentiel de renforcer les capacités de gestion des incendies par les Autochtones, notamment en ce qui concerne les brûlages culturels et la planification collaborative de la gestion des urgences. Le gouvernement fédéral pourrait fournir un soutien financier et logistique pour faciliter le leadership autochtone dans l’élaboration et la mise en œuvre d’actions stratégiques anti‑incendies.

Pour réagir efficacement à la crise des feux de forêt, nous recommandons les quatre actions suivantes :

D’abord, renforcer les activités fédérales d’atténuation et de prévention des feux de forêt en investissant beaucoup plus dans des initiatives telles que l’Initiative pour un avenir résilient face aux incendies de forêt. Le gouvernement devrait s’inspirer de modèles qui fonctionnent bien, comme la Forest Enhancement Society of BC, faire de la prévention des incendies un objectif politique national prioritaire et réduire les obstacles réglementaires à cet objectif.

Deuxièmement, soutenir le développement et l’utilisation de modèles prédictifs d’incendie exemplaires qui sont précis, actualisés et adaptables pour permettre aux communautés forestières, aux Premières Nations, aux entreprises et au public de prendre des décisions éclairées pour la planification Intelli-feu, en se concentrant sur les modèles régionalisés qui reflètent les tendances récentes d’incendie.

Troisièmement, nous devrions renforcer la capacité de gestion des incendies par les autochtones en apportant un soutien financier et logistique aux communautés autochtones, en utilisant les clauses relatives aux Autochtones existantes dans l’Initiative pour un avenir résilient face aux incendies de forêt et dans le programme Combattre et gérer les feux de forêt dans un climat en changement.

Quatrièmement, nous devrions également organiser une conférence réunissant les parties prenantes pour discuter des politiques de lutte contre les incendies de forêt au pays.

En conclusion, le secteur forestier canadien est prêt à soutenir les efforts nationaux visant à atténuer la fréquence et la gravité croissantes des incendies de forêt. En intégrant les solutions du secteur forestier dans les cadres politiques et de gestion pertinents, nous pouvons créer des environnements de plus en plus résistants au feu, réagir plus rapidement et plus efficacement aux incendies et restaurer et régénérer les zones touchées. Il est essentiel que les gouvernements, les communautés et les industries travaillent en collaboration pour assurer la sécurité et la prospérité de nos forêts et de ceux qui en dépendent pour les générations à venir.

Merci beaucoup de votre temps.

Le président : Merci.

Andrew de Vries, Chief Executive Officer, Canadian Forest Owners : Bonjour. Merci de m’avoir invité à comparaître. Je vous présente mon témoignage depuis une petite localité dans le sud de la Colombie-Britannique.

Les Propriétaires forestiers du Canada, ou PFC, représentent 450 000 propriétaires fonciers d’un bout à l’autre du Canada. Nous assurons la gestion de 10 % de la forêt canadienne et nous produisons, fait très important, environ 20 % du bois au pays. C’est un grumier sur cinq qui transporte du bois issu de forêts privées. Il faut savoir que toutes les scieries au Canada comptent, dans une certaine mesure, sur ces forêts de tenure privée. Nous assurons la gestion de 25 millions d’hectares d’un océan à l’autre, de l’Île-du-Prince-Édouard à l’île de Vancouver, soit une superficie à peu près égale à celle de la Suède et de la Finlande. Ces forêts ont d’énormes retombées économiques: 14,5 milliards de dollars de revenus et 38 500 emplois directs.

Elles sont gérées depuis 100, 150, voire 200 ans et ont été transmises, dans bien des cas, de génération en génération dans une même famille. Ces forêts apportent une contribution essentielle dans différents domaines : les loisirs, des habitats pour les poissons et la faune, les produits forestiers non ligneux, la qualité de l’eau et la résistance aux feux de forêt, soit le sujet que nous examinons aujourd’hui.

Un grand nombre de forêts privées sont situées à proximité de nos villes, petites et grandes, et se trouvent souvent entre des terres publiques et les collectivités elles-mêmes. Comme je l’ai mentionné, ces forêts ont, dans bien des cas, été transmises de génération en génération et ont été gérées soigneusement pour en réduire la charge combustible. Cela ne s’observe toutefois pas partout.

Les PFC accueilleraient favorablement des incitatifs fiscaux et autres, comme ceux qu’a énumérés Eric Johnson. Ces incitatifs permettraient aux propriétaires forestiers de mieux gérer leurs forêts et ainsi de réduire la matière combustible.

Les États-Unis accordent des subventions pour aider les collectivités à se défendre contre les feux de forêt. Leurs fonds ressemblent à ceux que nous avons au Canada et sont souvent destinés à protéger des terres privées ou autochtones.

Au Canada, les forêts privées, une composante essentielle de la forêt au pays, ne sont pas gérées ni réglementées de la même manière que les forêts publiques. Cela fait longtemps que les propriétaires forestiers gèrent leurs forêts de façon à réduire les risques d’incendie. Ils continueront à le faire si on leur en donne les moyens et des incitatifs.

Comme le mentionnait Eric, nous aurons une abondance de biomasse au pays si nous faisons des coupes d’éclaircie précommerciaux et commerciaux. La Société pour l’amélioration de la forêt, dont parlait Eric, est un programme en Colombie-Britannique qui s’est révélé efficace. Nous sommes favorables à ces programmes et aux marchés qui accepteraient le bois obtenu par ces soins sylvicoles. Je pense notamment à la cogénération et aux usines de granulés et de pâtes et papiers. Nous voyons également d’un bon œil les marchés novateurs, y compris ceux des biocarburants, des bioplastiques et du biocharbon. Ce sont des solutions commerciales au défi que nous avons à relever.

Actuellement, nos membres sont actifs partout au pays et font de l’aménagement de peuplements et de la formation, en plus de combattre les feux de forêt. Bon nombre de nos membres disposent d’équipement léger ou lourd sur leurs terres pour combattre les feux. Une grande partie de nos petits et de nos grands exploitants ont investi dans de l’équipement sophistiqué, tel que des stations de surveillance météorologique et des stations permettant d’anticiper les feux afin de mieux gérer leurs terres. Ils travaillent en étroite collaboration avec des propriétaires de terres publiques, des gestionnaires et les provinces. L’un de nos grands exploitants dispose de ses propres avions, d’un hélicoptère et de camions afin de combattre les feux là où ils se déclarent, que ce soit sur des terres publiques ou des terres privées.

Nos associations provinciales de boisés, qui, ensemble, représentent chacune des provinces du pays, s’affairent à donner la formation Intelli-feu et de la formation de lutte contre les incendies à leurs membres, à des entrepreneurs et aux jeunes. Comme je l’ai dit, nos membres investissent dans de nouvelles technologies afin de mettre la main à la pâte.

Comme ils ont des terres à proximité des villes et des villages, les propriétaires forestiers doivent jouer un rôle de premier plan dans les stratégies de lutte contre les feux de forêt, et nous continuerons de gérer nos forêts dans cette optique. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie, monsieur de Vries.

Randy Fournier, chef de la direction, PRT Growing Services Ltd. : Honorables membres du comité sénatorial, je vous remercie de me donner l’occasion de venir discuter de l’importance capitale du rétablissement des forêts à la suite des feux de forêt. L’entreprise canadienne PRT Growing Services est le premier producteur de semis en importance en Amérique du Nord. Nous contribuons à faire pousser la prochaine génération de forêts grâce à nos pépinières, qui produisent plus de 600 millions de semis chaque année, soutiennent l’environnement et les habitats et alimentent l’économie rurale.

Qu’elles soient commerciales ou non, les forêts constituent un actif canadien majeur qui contribue largement à la richesse économique, à l’environnement et au patrimoine culturel. Pourtant, l’approche du Canada concernant le rétablissement des forêts à la suite de grands feux, d’un ouragan dans l’Atlantique ou d’une épidémie de dendoctrones du pin témoigne d’un fossé entre, d’une part, notre amour des arbres et, d’autre part, les efforts que nous déployons pour nous assurer de la longévité de nos forêts, qui sont essentielles pour l’environnement et la prospérité des régions.

L’abondance d’arbres au pays alimente notre complaisance. Il ne suffit pas d’aimer les arbres; il faut également reconnaître leur importance. Le Canada a besoin d’une politique nationale qui reconnaît l’importance de l’infrastructure forestière en tant que moteur économique et la clef de voûte écologique qui, lorsqu’elle s’effondre, doit être restaurée rapidement.

Quand nous tenons à quelque chose, nous l’entretenons et le remplaçons immédiatement lorsqu’une catastrophe, par malheur, se produit. Contrairement à d’autres pays, le Canada n’agit pas immédiatement lorsque des arbres sont détruits. Un mois après le passage de l’ouragan Helene, l’État de Géorgie a annoncé du financement pour restaurer rapidement la forêt. La terre sera dûment préparée et les semis commandés afin de les mettre en terre dans les plus brefs délais, tout comme cela s’était produit après les feux de forêt en Louisiane en 2023.

Les gestes sont parlants. Après deux années de feux de forêt sans précédent, la sous-utilisation de la capacité excédentaire des pépinières au pays mine notre réponse déjà insuffisante.

Les récents incendies de forêt ont été sans précédent. Le nombre d’incendies en 2023 est resté dans les normes historiques, mais la superficie détruite a été plus de cinq fois supérieure à la moyenne sur 10 ans du Canada. Cette immense zone contiguë a détruit les banques de semences naturelles, et les semences restantes se trouvent sur des périmètres trop éloignés, ce qui signifie que les forêts ne peuvent pas se renouveler suffisamment étant donné l’ampleur de la destruction.

Si nous ne donnons pas d’urgence un coup de main à dame Nature, les terres dévastées risquent de subir une conversion définitive de leurs écosystèmes. En effet, les incendies de forêt ravagent bien plus que les arbres. Ils ont aussi un impact sur les communautés autochtones et rurales et sur la prospérité. Ils endommagent également les habitats locaux et l’environnement.

Cette réalité exige une politique nationale qui accorde une importance réelle aux arbres. PRT recommande quatre pistes de rétablissement après une catastrophe, afin de garantir la résilience de l’infrastructure forestière, la productivité économique et la durabilité pour les générations à venir.

Premièrement, il faut reconnaître que les forêts sont des infrastructures essentielles et donner la priorité à la reforestation après une catastrophe, car elle est essentielle à la protection de la richesse économique et environnementale. Une intervention rapide pour restaurer les forêts afin de sauvegarder les compétences fédérales en matière de commerce international et d’environnement est cruciale pour la prospérité nationale.

Deuxièmement, il faut redéployer les fonds du programme 2 milliards d’arbres pour maximiser le reboisement après une catastrophe. La structure actuelle ne permet pas de répondre aux demandes de reboisement après un incendie de forêt et manque de souplesse dans la recherche de solutions à l’échelle nationale. Il convient de réorienter les fonds pour replanter les forêts publiques détruites en couvrant cent pour cent des coûts approuvés pour les provinces participantes et les terres fédérales. Cette formule auto-assurée rétablira la perte des forêts publiques afin de garantir que la prospérité rurale et l’environnement ne souffrent pas davantage.

Troisièmement, il faut accélérer l’accès aux terres. Les procédures bureaucratiques actuelles sont intrinsèquement lentes, ce qui retarde le reboisement en temps voulu et signifie que l’on passe à côté d’une période propice à un rétablissement efficace. Un accès rapide aux terres pour la récupération et la préparation des sites permettra un reboisement plus rapide et plus rentable afin de restaurer la valeur économique et écologique à long terme. Pensez à l’État de Géorgie.

Quatrièmement, il faut permettre le reboisement privé sur les terres publiques, les options d’investissement privé volontaire pour un reboisement en temps opportun, le reboisement financé par le privé sur les terres publiques afin d’atteindre les objectifs en matière de durabilité ou de compensation carbone. La propriété des forêts pourrait alors être transférée à l’État sous forme de bail après une période conforme aux normes de permanence mondiales, soit environ 40 ans. Il convient de restaurer les terres forestières publiques en encourageant le recours aux solutions climatiques significatives du secteur privé pour planter les arbres nécessaires à l’échelle nationale sur les terres publiques plutôt qu’ailleurs.

Ces thèmes rendent compte du fait que notre approche et notre rythme de reboisement actuels sont insuffisants pour compenser une destruction d’une telle ampleur. Dame Nature n’est pas en mesure de bien se rétablir. En l’absence d’une politique de reboisement rapide, les vastes terres canadiennes endommagées par les incendies de forêt se dégraderont et compromettront l’environnement, la stabilité économique et la prospérité des populations rurales et autochtones.

PRT souhaite contribuer à une solution nationale sans qu’il soit nécessaire de recourir aux subventions. Grâce à une volonté fédérale efficace de mobiliser les ressources et le secteur dans une réponse post-catastrophe, le Canada peut consolider sa richesse économique et environnementale en reconnaissant que les forêts sont une infrastructure renouvelable qui relève de la richesse nationale et de l’équilibre environnemental.

Mesdames et messieurs les sénateurs, le gouvernement doit veiller à ce que les forêts du Canada continuent de répondre aux besoins de la population, de l’économie et de l’environnement. Votre soutien est essentiel pour mettre en place une politique nationale de reboisement qui permet de réagir rapidement après une catastrophe afin de soutenir les économies rurales, d’aider l’environnement à se rétablir et de restaurer le patrimoine naturel qui nous est si cher.

Nous vous remercions de votre temps et de votre attention.

Le président : Merci beaucoup. Nous allons maintenant passer aux questions des sénateurs. Sénateurs, comme toujours, je vous rappelle que vous disposez de cinq minutes pour vos questions en incluant la réponse.

Normalement, ma première question est la suivante : « Que voudriez-vous inclure dans un rapport? ». Chacun d’entre vous a formulé des recommandations, et je vous en remercie. Je n’ai pas d’autres questions.

La sénatrice Simons : Monsieur Fournier, je voudrais commencer par vous. C’est un nouveau concept que j’entends. J’ai toujours eu l’impression que non seulement les forêts se renouvelaient elles-mêmes après un incendie de forêt, mais qu’un incendie de forêt pouvait même être sain pour le cycle de vie de la forêt. Je viens du Centre-Nord de l’Alberta. Certains arbres ne peuvent se réensemencer qu’après un incendie.

Si les incendies et les cycles d’incendie sont, dans une certaine mesure, naturels et même une partie saine du cycle de vie à long terme d’une forêt, comment décider s’il faut reboiser et où? Y a‑t-il un risque de monoculture si l’on introduit plusieurs jeunes plants de la même espèce? Comment décider quels plants conviennent à quelles zones forestières? En théorie, il est possible d’introduire des arbres qui ne sont pas originaires de la région.

Ensuite, je me demande si l’un des autres témoins, peut-être monsieur Johnson ou monsieur Bélanger, veut répondre à la proposition de monsieur Fournier.

M. Fournier : Merci, madame la sénatrice. Permettez-moi de féliciter l’Alberta pour son formidable leadership après les feux de forêt. J’ai vu ce qui s’est produit dans cette province, les fonds qui ont été libérés et la reconnaissance de l’importance d’un rétablissement rapide. C’est tout à fait louable. Merci.

Vous posez une excellente question. Si vous n’y voyez pas d’inconvénient, je vais illustrer mon propos. Ce qui importe, c’est la différence entre un incendie de cette taille et un autre de cette taille. Vous avez raison, les forêts et la nature ont une capacité de régénération, mais il y a un problème de superficie et d’ampleur maintenant. Au fil des ans, la superficie brûlée devient de plus en plus étendue. C’est ce que nous avons constaté en 2023, l’année où elle était 5 fois supérieure à la moyenne sur 10 ans. À cause de cette ampleur, le couloir détruit est large. Pour illustrer, les pommes de pin ne volent pas, alors comment l’ensemencement peut-il se faire à partir des bords? Il faut du temps. Lorsque les limites extérieures sont aussi éloignées l’une de l’autre, on se retrouve avec des prairies permanentes au milieu parce que l’ensemencement naturel ne peut se faire avant que les espèces envahissantes ne prennent le dessus.

C’est ce que nous voulons dire. Nous sommes en territoire inconnu. Honnêtement, la donne a changé. Les années 2023 et 2024 nous ont laissés avec un niveau de problème d’un autre ordre. Avec tout le respect que je dois au gouvernement et à ses processus bureaucratiques et de planification, nous sommes à un moment où il faut faire la différence entre une salle d’urgence et une opération chirurgicale planifiée. Dame Nature peut agir seule à une certaine échelle, mais nous sommes arrivés à un point où cette échelle, de l’avis de beaucoup, a été dépassée dans certaines régions. Cela ne signifie pas que tous les feux de forêt doivent être traités de la même manière, mais l’ordre de grandeur indique que nous devons intervenir.

Pour répondre à votre question sur les monocultures, etc., quel que soit le gouvernement auquel nous nous adressons dans ce grand pays, il y aura des recommandations de plantation. On ne peut pas simplement décider qu’on veut maintenant des bleuets là où il y avait auparavant des rosiers. Il y aura une zone naturelle à restaurer, un mélange naturel d’espèces à planter, comme je l’ai dit dans mes commentaires, que la forêt soit commerciale ou non commerciale.

Si nous parlons du climat, le dioxyde de carbone ne se préoccupe pas de savoir s’il s’agit d’une forêt commerciale ou non commerciale. Ce qui compte, c’est l’existence d’une infrastructure forestière. Ce que nous recommandons, c’est un retour à l’état naturel, mais si nous laissons dame Nature prendre son temps, on pourrait avoir une réversion permanente ou, au minimum, un rétablissement qui prendra plus d’un siècle, parce que dame Nature doit passer par une série d’étapes successives avant d’y arriver. Si nous intervenons, nettoyons et replantons, le couvert forestier peut redevenir ce qu’il était en l’espace de quelques dizaines d’années, au lieu d’attendre plus longtemps.

J’espère avoir répondu à votre question. Voici mon point de vue sur les raisons pour lesquelles dame Nature a besoin d’un coup de pouce en ces temps sans précédent.

La sénatrice Simons : J’aimerais que l’un des messieurs qui travaillent sur les terres publiques me dise s’il s’agit d’une formule que vous approuveriez. Les gouvernements fédéral et provinciaux devraient-ils assumer la totalité des coûts? La foresterie commerciale a-t-elle sa place dans ce processus de reboisement?

Étienne Bélanger, vice-président des relations avec les Autochtones et de la foresterie, Association des produits forestiers du Canada : Nous serions prêts à appuyer cette recommandation et cette évaluation pour compléter la partie difficile de cela. Le fait que le cycle des incendies ne soit plus naturel et qu’il y ait plus d’incendies neutralise la capacité de régénération. La taille de l’incendie est importante, mais aussi le rythme auquel les incendies reviennent. Si un feu revient trop tôt après un premier incendie, les arbres ne sont pas matures et ne sont pas encore prêts à s’auto-régénérer. Au Québec, l’année dernière, on a estimé que jusqu’à 40 % de la zone brûlée ne se régénérerait pas, ce qui est dramatique. Cela modifiera le territoire forestier et la composition de la forêt et aura un impact sur l’environnement et les ressources économiques qu’on peut en tirer.

Lorsque nous exploitons des terres publiques, nous avons l’obligation de les renouveler, mais en réalité, personne n’est tenu de faire la même chose après les incendies. Nous comptons sur la régénération naturelle dans ce cas. En tant que propriétaires forestiers, la Couronne et les provinces pourraient décider d’intervenir dans ces zones où la régénération a échoué afin de rétablir la santé de la forêt. Cela aurait pu être très utile dans le cadre du programme 2 milliards d’arbres, mais ce n’était pas son objectif principal. Il pourrait encore être repensé. Le programme 2 milliards d’arbres a également permis d’accroître la capacité et la production des pépinières, et cela devrait se poursuivre à long terme afin que ces investissements aient un sens et parce que nous aurons besoin de cette capacité à l’avenir.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup. Je suis désolée d’avoir été un peu en retard. Je suis une sénatrice de l’Alberta.

Je vais commencer par M. Fournier. J’avais une question tout à fait différente à poser, mais votre exposé était excellent. J’aimerais que vous développiez un peu plus — et cela a été dit dans l’un de vos commentaires — l’idée de traiter les forêts comme des actifs. J’étais autrefois maire de Banff et nous avons travaillé dur pour que notre forêt urbaine soit considérée comme un actif afin d’avoir la possibilité d’obtenir du financement pour l’entretenir. Il y a le feu, oui, mais il y a aussi les chablis, et bien d’autres choses aussi. Ce mot m’a vraiment intrigué. Je n’avais pas entendu cela depuis que j’étais maire, cette idée que la forêt soit considérée comme un actif pour des raisons de financement.

M. Fournier : Je vous remercie de votre question, madame la sénatrice. Je suis très fier de travailler dans l’industrie des produits forestiers. Il s’agit d’une ressource naturelle renouvelable sans égale. Lorsque je parle d’actifs, il y a l’actif de la prospérité rurale et de l’économie rurale. Si nous ne commençons pas à mettre en place une politique industrielle qui accorde de l’importance à ces actifs, nous assisterons à une migration encore plus importante vers les centres urbains. C’est inévitable parce que notre politique finira par vider le cœur du Canada de sa substance.

J’en parle également comme d’un actif d’infrastructure, et je dis bien « infrastructure ». Pour moi, c’est la même chose qu’un pont ou qu’un bâtiment du gouvernement fédéral. Il s’agit d’une infrastructure financée par les contribuables qui est essentielle à la prospérité nationale, tant sur le plan économique qu’environnemental. Quand on pense aux efforts déployés pour l’habitat et la faune, comme les efforts considérables déployés au Québec pour le caribou, on se rend compte que ce que nous essayons de réparer est, d’une certaine manière, ce que nous avons en fait contribué à créer et à détruire. Moins il y a d’activité économique dans les forêts, plus il y aura de problèmes tôt ou tard.

J’ai entendu tout à l’heure M. de Vries parler de la Finlande et de la Suède et de la taille des forêts privées canadiennes exploitées par les propriétaires qu’il comparaît à ces pays. Si vous regardez la Finlande et la Suède, elles traitent leurs forêts comme un actif. Elles produisent ce que le Canada produit, voire plus, sur une surface équivalente à la taille d’une chaussure par rapport à l’ensemble de la garde-robe dont nous avons la chance de disposer.

C’est une partie de notre problème. Nous avons des arbres en abondance, et nous pouvons les voir. Si vous pensez à la morue de l’Atlantique — et je ne veux pas me lancer dans une discussion sur la monoculture —, à quel moment arrive-t-on à un point de basculement où quelque chose ne peut pas se régénérer par lui-même? C’est pourquoi je considère ce secteur comme une infrastructure nationale essentielle. Nous ne pouvons pas attendre qu’elle ait disparu pour commencer à faire ce qui est inévitable, à créer des comités, etc., sur la manière de la restaurer. Le véritable travail consiste à ne pas la perdre dès le départ.

J’ai parlé du rétablissement après un incendie de forêt, mais je me fais l’écho des commentaires de l’Association des produits forestiers du Canada et d’autres commentaires sur l’atténuation et la façon d’éviter que cela se produise. En réalité, je ne peux pas vous dire où ni quand, mais je vous garantis qu’il y aura au moins un incendie de forêt l’année prochaine, et je suis presque sûr que je peux mettre un « s » à la fin. Je ne sais pas si ce sera un record ou colossal, mais j’ai le sentiment que nous sommes en territoire inconnu.

Aujourd’hui, toute la structure de notre gouvernement n’est pas axée sur le maintien de l’infrastructure, mais sur la façon de réagir si quelque chose survient. C’est pourquoi je plaide pour la protection de l’environnement, des habitats et de la prospérité. Il faut les considérer comme des infrastructures. On ne laisse pas un pont ou un bâtiment se dégrader. Les gens vont constamment les rénover ou les réhabiliter et assurer leur sécurité. Nous devons faire de même avec nos forêts.

Je vais vous donner un dernier exemple : l’importance que nous accordons à une maison familiale. Nous ne nous contentons pas de l’aimer, nous la chérissons. Si, par malheur, elle est détruite, personne ne s’assoit et attend qu’elle se régénère ou de voir ce qui va se passer. Il faut procéder, la démolir et repartir à zéro. C’est la triste réalité après un incendie de forêt. Il faut que nous accordions la même importance à nos forêts à l’échelle nationale et veiller à ce que les provinces et le gouvernement fédéral soient sur la même longueur d’onde, de manière à ce que, lorsque des incendies surviennent, nous soyons dans la salle d’urgence. Il ne s’agit plus d’un plan, mais d’un triage, et nous devons agir en conséquence.

La sénatrice Sorensen : Je nous encourage vivement à examiner cette question dans notre rapport. Au niveau municipal — je ne sais pas ce qu’il en est des autres municipalités —, nous avons certainement inscrit notre forêt urbaine dans notre plan d’actifs sur 100 ans et nous avons fait de notre mieux pour la financer avec l’argent des contribuables. Je pense que c’est une excellente idée.

M. Fournier : Comme vous l’avez dit, il s’agit d’actifs de la Couronne. Il s’agit d’une auto-assurance. Il ne s’agit pas d’une subvention, de distribuer l’argent du gouvernement. C’est comme un bâtiment gouvernemental. Il s’agit d’un actif auto‑assuré à un moment donné. Il faut parfois réinvestir dans cet actif. Je vous remercie.

Le président : Je vous remercie. Je doute que nous ayant le temps pour une deuxième série de questions. Nous avons sept personnes qui attendent; sept fois cinq minutes, cela fait plus d’une demi-heure.

Le sénateur Richards : J’ai quelques questions. La question de la sénatrice Simons est tout à fait pertinente. Lorsque j’étais enfant, je devais ramasser des pommes de pin pour les replanter. Je l’ai fait pendant tout un été lorsque j’étais en 11e année.

Le problème avec le pin, c’est qu’il ne s’adapte pas au sol comme l’épinette ou les espèces indigènes qui ont été brûlées ou remplacées par une coupe à blanc ou tout autre type de coupe. Il ne s’adaptait pas aussi bien au sol, ne protégeait pas le niveau d’eau des rivières et ne durait pas aussi longtemps. Comment pouvons-nous atténuer cela? Comment procéder pour que le reboisement donne le même type de forêts qu’avant l’incendie? Comme le dit la sénatrice Simons, les feux de forêt ont tendance à se régénérer au fil du temps. Vous pourriez peut-être répondre à cette question.

J’ai ensuite une petite question pour M. Johnson.

M. Fournier : Je vous remercie pour votre question, sénateur. Notre entreprise exploite 28 pépinières en Amérique du Nord, du nord-ouest du Pacifique jusqu’au sud-est des États‑Unis. Nous voyons des prescriptions de reboisement, des régimes de plantation, de même que des activités et plans de toutes sortes.

Votre question est tout à fait pertinente, et je dirais que, d’un point de vue canadien, nous parlons principalement de terres qui relèvent de la compétence provinciale. Nos provinces font un travail fantastique en établissant les règles de base pour le reboisement, sur la façon de procéder. Je suis convaincu que les provinces exercent un grand contrôle sur ce qui doit se passer. Il faut toutefois travailler à améliorer les choses sur le terrain, parce que si nous sommes aux prises avec des feux de forêt historiques et que nous y revenons trop tard... Si l’on revient cinq ou dix ans après, c’est beaucoup trop tard pour récupérer les terres endommagées. C’est là où, à mon avis, il y a un risque de passer de ce qui était là avant à ce qui est là maintenant.

Voici donc ce que je recommande à ce sujet. Nous savons ce qui est perdu dans un feu de forêt. Nous connaissons la composition de la forêt. Les administrations provinciales savent tout à fait ce qui était là et ce qui devrait être rétabli. Il incombe à l’industrie et au gouvernement de veiller à ce que nous agissions efficacement pour ramener les choses à ce qu’elles étaient. Autrement, nous risquons de créer quelque chose qui ne devrait pas être là.

Je vous félicite pour le travail que vous avez fait pour récupérer les pommes de pin. PRT a organisé la collecte de cônes de pin rouge cette année parce qu’il y a un manque de semences au Canada. Nous l’avons fait parce que nous reconnaissons que l’on ne peut pas uniquement planter des épinettes. Il faut que le reboisement s’inspire de la nature plutôt que de la monoculture. Merci.

Le sénateur Richards : J’aimerais poser une question à M. Johnson, rapidement. Parmi les cinq réserves des Premières Nations qui se trouvent sur le territoire où je vis, deux ont leur propre service d’incendie. Les autres doivent compter sur l’aide des communautés blanches aux alentours. À quoi ressemble la situation ailleurs au Canada? Savez-vous combien de Premières Nations ont leur propre capacité, leurs camions qu’ils peuvent utiliser en cas d’incendie? Est-ce qu’elles doivent compter sur l’aide d’autres communautés? Si c’est le cas, ne trouvez-vous pas qu’il s’agit d’un fort prix à payer?

M. Bélanger : Je n’ai pas tous les détails, mais nous savons que la capacité des Premières Nations à contribuer à la lutte contre les feux de forêt s’accroît. Cependant, il y a un manque de reconnaissance à l’égard de ces personnes et de leurs ressources, et une sous-utilisation de celles-ci, de sorte que nous faisons encore venir de nombreux pompiers de l’extérieur du pays qui se rendent sur le territoire traditionnel des Premières Nations. Il faut offrir du soutien et de la formation à ces gens pour qu’ils obtiennent les qualifications dont ils ont besoin pour être reconnus et pour pouvoir contribuer à ces efforts. C’est problématique dans la situation actuelle.

Le sénateur Richards : Le plus tôt sera le mieux. S’il y a un incendie dans une réserve des Premières Nations et qu’il n’y a personne sur place pour tenter de le maîtriser rapidement, il faut attendre l’aide de l’extérieur. Lorsque l’aide arrive enfin, il se peut que l’incendie soit hors de contrôle.

M. Bélanger : Je suis du même avis que vous. Je crois que ces ressources sont sous-utilisées à l’heure actuelle.

La sénatrice Marshall : Ma question s’adresse à vous tous, parce que vous avez tous évoqué la nécessité de politiques et de solutions nationales. Cela donne l’impression que l’on peut faire mieux. J’aimerais savoir ce qui se passe à l’échelon national. Est-ce qu’il y a une organisation canadienne en place, comme la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante?

J’aimerais aussi en savoir plus sur vous interactions avec les divers ordres de gouvernement. Nous pourrions peut-être entendre le représentant des Propriétaires forestiers du Canada pour commencer, puisque nous ne l’avons pas encore entendu. À votre avis, est-ce que l’on pourrait faire mieux à l’échelon national?

M. de Vries : Oui. Randy Fournier s’est très bien exprimé sur le sujet, tout comme Eric Johnson, dans leurs exposés. M. Johnson et M. Bélanger connaissent probablement mieux que moi les politiques nationales.

Ce que je peux dire, c’est que nos propriétaires forestiers privés travaillent en étroite collaboration avec les provinces, et nous n’avons pas vu beaucoup de partage de l’empreinte fédérale avec les propriétaires forestiers privés d’un océan à l’autre. Je me trompe peut-être au sujet de certaines administrations. Il y a peut-être des activités en cours, mais en règle générale, nous ne sommes pas au cœur des politiques nationales, malheureusement. Je pense que c’est un élément clé qui doit changer, car nos forêts se trouvent habituellement près des collectivités, autour des villes et des villages.

M. Fournier a abordé des points très importants dans sa déclaration préliminaire sur le fait de traiter la forêt comme un actif. C’est exactement ce que nous faisons. Il a également parlé de la nécessité d’intervenir non seulement après les incendies, mais aussi après les ouragans et d’autres événements du genre pour aider les propriétaires.

Comme nous le savons, il y a eu d’importants ouragans en Nouvelle-Écosse et au Nouveau-Brunswick au cours des dernières années. Les propriétaires des terres de la Nouvelle-Écosse en subissent toujours les conséquences. De nombreuses forêts ont été détruites. Il faut beaucoup de temps pour récupérer tout ce bois à un taux efficace, et la valeur du bois d’œuvre a chuté, parce que nous n’avons pas pu récupérer le bois et remettre la forêt en état. M. Fournier a dressé le portrait des forêts de la Couronne, et c’est la même chose dans les forêts privées.

La sénatrice Marshall : Est-ce que le gouvernement fédéral intervient lorsqu’il y a un problème localisé, dans une certaine province ou une certaine région? Je ne veux pas m’acharner sur gouvernement fédéral, mais nous avons une organisation interagences qui coordonne les avions et les pompiers en cas d’incendie; est-ce qu’il y a une organisation semblable pour la gestion des forêts?

M. Johnson : Oui. En ce qui a trait à la compétence fédérale, Parcs Canada assure la gestion des forêts qui lui appartiennent. Pour ce qui est de la répartition des compétences, il n’y en a pas beaucoup. Il y a beaucoup de règlements sur ce que nous ne pouvons pas faire — qu’il s’agisse des espèces en péril ou des règlements de Pêches et Océans Canada, par exemple —, mais il n’y a pas beaucoup de coopération ou d’intégration en matière de gestion forestière des diverses terres de la Couronne.

Nous avons beaucoup parlé de ce qui se passe après un feu de forêt, mais nous n’avons pas abordé ce qui devrait se passer avant. Dans les collectivités à risque, on pourrait procéder à l’éclaircie mécanique ou au brûlage dirigé. On pourrait construire des coupe-feu et sauver ces collectivités. Si l’on examinait la question du point de vue de la sécurité publique avant qu’il y ait une urgence publique, on pourrait réduire le nombre d’évacuations chaque année.

Pour répondre à la question de la sénatrice Sorensen au sujet des actifs, il y a une façon assez facile de déterminer la valeur des forêts : le carbone représente la moitié du poids d’un arbre. Nous avons associé un prix au carbone. Un calcul très simple nous permet de comprendre la valeur de nos forêts. Nous pourrions construire des maisons et remettre les forêts en état; nous pourrions en faire des pâtes et papiers et les valoriser.

Il est important d’assurer la bioénergie et un chauffage centralisé, et de créer des sources pour cette fibre, afin que nous puissions d’abord gérer les feux et ensuite avoir un marché pour les fibres. Il faut un écosystème complet.

La sénatrice Petitclerc : Je remercie les témoins d’être avec nous. Vos commentaires sont à la fois intéressants et utiles. Ma première question s’adresse à M. de Vries.

Je dois admettre que je suis très intriguée par la façon dont les choses se passent pour les propriétaires forestiers. Ma question est plutôt d’ordre pratique. J’essaie de comprendre le fonctionnement de tout cela. Si un incendie ravage vos terres, quelles sont les étapes pour évaluer les dommages et trouver des solutions comme le reboisement? Dans quelle mesure pouvez-vous obtenir de l’aide, et de la part de qui? J’essaie simplement de me faire une idée de la mécanique du rétablissement après un incendie pour les propriétaires forestiers.

M. de Vries : Merci beaucoup. J’aimerais revenir sur les trois étapes que nous devons prendre en compte, et que M. Johnson a mentionnées. Il faut parler de prévention et valoriser ces actifs. De nombreux propriétaires forestiers prennent soin de leurs peuplements forestiers pour réduire au minimum les charges en carburant et s’assurer qu’ils préservent non seulement l’habitat du poisson et de la faune, mais aussi la valeur du bois d’œuvre. Je pense que les mesures dont nous avons parlé — l’éclaircie mécanique, l’éclaircie précommerciale et l’éclaircie commerciale — sont des mesures de prévention.

Lorsqu’il y a un incendie sur un territoire forestier privé... Il ne faut pas oublier que je représente à la fois des membres qui possèdent aussi peu que 10 acres et d’autres qui ont des dizaines de milliers d’acres. Souvent, les propriétaires forestiers sont à proximité de leurs forêts — ce n’est pas toujours le cas, mais souvent — et ils ont une bonne idée des risques qui se présentent chaque saison.

Comme sur les terres de la Couronne, si la foudre frappe sur nos terres — et elle frappe de façon aléatoire, alors nous allons en être la cible —, les mesures dépendront de l’ampleur de l’incendie et des attributs saisonniers. Est-ce un été chaud et sec? L’été est-il pluvieux? Les propriétaires forestiers privés interviennent au meilleur de leurs capacités, qui sont parfois très sophistiquées, et peuvent éteindre les feux très rapidement. S’ils ne sont pas en mesure de le faire eux-mêmes tout de suite, ils communiquent avec les organismes provinciaux, qui assurent un rôle coordonné à l’échelle provinciale. Cela s’est concrétisé partout au Canada au cours des derniers étés. Lorsque les incendies sont de grande envergure, on gère nos forêts de la même façon que l’on gère celles de la Couronne. Nous faisons partie d’un même système.

J’aimerais également réitérer le point soulevé par M. Fournier au sujet du reboisement. Les propriétaires forestiers, pour la plupart, récoltent les arbres et reboisent les forêts promptement. Si leurs terres sont la cible d’un grand feu de forêt ou d’une autre perturbation naturelle, comme un ouragan, ils peuvent être dépassés par les événements. Ils ne seront peut-être pas en mesure de gérer la situation. Je pense que M. Bélanger a soulevé un très bon point au sujet de la possibilité de réoutiller le programme 2 milliards d’arbres pour aider les propriétaires dans ces situations, et nous serions prêts à participer à ces systèmes également. Ces forêts se trouvent souvent dans les collectivités et à proximité de celles-ci.

La sénatrice Petitclerc : J’aimerais poser une question au sujet du rétablissement forestier. Est-ce qu’il y a des lacunes en ce qui a trait aux mesures que doivent prendre les propriétaires privés pour le rétablissement et le reboisement? Est-ce qu’ils sont laissés à eux-mêmes ou est-ce qu’on leur offre un soutien approprié?

M. de Vries : Nous sommes habituellement laissés à nous-mêmes, puisqu’il s’agit de nos actifs, mais la situation varie selon les provinces. Je ne connais pas bien les politiques fédérales en la matière. Souvent, les propriétaires des forêts sont capables de s’en occuper, mais dans le cas d’une catastrophe naturelle à plus grande échelle, alors ils sont comme tout le monde. Si un petit incendie se déclenche dans votre maison, vous pouvez vous en occuper, mais si votre maison est détruite, il faut faire venir les entrepreneurs et les experts. C’est la même chose pour nous.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

La sénatrice McBean : Merci. Monsieur de Vries, la sénatrice Petitclerc vous a posé une question sur les efforts des propriétaires de forêts privées en matière d’atténuation, qui correspondent ni plus ni moins aux mesures d’Intellifeu, mais vous pourriez peut-être nous parler des mesures incitatives ou des systèmes de soutien qui pourraient encourager un plus grand nombre de propriétaires à investir dans l’atténuation des feux de forêt. Comme vous le dites, ces forêts se trouvent tout près des communautés. Vous pourriez peut-être nous parler des mesures incitatives et des mesures de soutien avant et après les incendies.

M. de Vries : Merci. Pour ce qui est de la période précédant le feu, nous plaidons depuis de nombreuses années — depuis 2011 — pour la mise en place d’un régime d’épargne et d’investissement sylvicole personnel, le REISP, qui serait semblable à un REER. De nombreux propriétaires de petites forêts procéderont à une ou deux récoltes au cours de leur vie. Ils connaissent une hausse de revenu; ce revenu est imposé, habituellement à un taux élevé, et ils ne peuvent pas y accéder directement. Le REISP est comme un REER en ce sens qu’il permettrait de reconnaître les avantages de ces revenus de récolte, de les investir dans un compte distinct et de les utiliser au fil des ans pour reboiser, améliorer l’infrastructure routière et améliorer la résilience face aux incendies.

D’autres pays... La France et la Norvège ont des programmes semblables qui encouragent les aménagistes forestiers à économiser à long terme de la même manière. Nous avons plaidé en ce sens par le passé. Un comité sénatorial précédent a fait cette recommandation, tout comme le Comité des finances de la Chambre des communes, mais elle n’a pas été mise en œuvre. C’est un système fondé sur des incitatifs que nous préconisons fortement, et qui contribuerait à accroître la résilience aux incendies.

Je pense que nous avons discuté aujourd’hui des possibilités de réoutiller le programme 2 milliards d’arbres pour accroître la résilience aux feux de forêt. Nous appuierions une telle initiative.

Pour ce qui est de l’après-incendie, tout dépend de son ampleur. Bon nombre des propriétaires peuvent gérer les petits incendies; ils ont des plans en place à cet effet. Mais s’il s’agit d’un incendie d’une grande ampleur ou d’un incendie catastrophique, nous nous retrouvons dans la même situation que tout le monde. Nous n’avons pas nécessairement l’occasion de participer aux efforts d’atténuation, et parfois l’ampleur est telle que nous ne pouvons pas le faire. Les propriétaires fonciers de la Nouvelle-Écosse sont encore en train de nettoyer les dégâts laissés par les ouragans. Il n’y a pas de marché pour ce bois tombé; il s’est dégradé, et est difficile à sortir. Si vous possédez 100 acres, vous vous retrouvez avec plein de bâtons sur vos terres, et plus de cultures.

La sénatrice McBean : Je pense à toutes ces publicités de CHIP sur l’hypothèque inversée, qui vous permet de miser sur vos actifs pendant que vous êtes encore en vie.

Monsieur Fournier, quelles stratégies PRT Growing met-elle en œuvre dans sa production de semis pour accroître la résilience des forêts face aux feux de forêt? Y a-t-il des espèces ou des sélections génétiques particulières qui conviennent mieux? Modifiez-vous génétiquement les cultures pour qu’elles soient plus résistantes aux changements climatiques?

M. Fournier : Merci pour cette question, madame la sénatrice. Comme toute autre entreprise qui approvisionne un marché, nous offrons ce que les clients demandent. Cela dit, au Canada, les normes de planification sont très bien définies, et les clients nous demandent donc des produits appropriés pour les régimes de plantation provinciaux. À cet égard, nous concentrons nos efforts et nos avancées sur les essences de feuillus. Nous reconnaissons l’importance des forêts résistant aux incendies et nous reconnaissons la direction que la nation va devoir prendre, indépendamment des opinions. Nous savons que c’est la direction à prendre. Nous investissons des fonds privés avant que le besoin ne se fasse sentir. Nous serons ainsi en mesure d’approvisionner l’industrie des produits forestiers, les propriétaires de boisés privés et d’autres intervenants.

Respectueusement, pour revenir aux commentaires de M. Bélanger et au point de vue de l’Association des produits forestiers du Canada, la capacité des pépinières est suffisante au Canada. Il n’est absolument pas nécessaire que le gouvernement fédéral ou les provinces augmentent cette capacité. Le financement privé est tout à fait en mesure d’augmenter la capacité afin de répondre à bon nombre de ces nouveaux défis, tels que les forêts Intelli-feu.

Nous discutons également avec les Premières Nations et les partenaires autochtones de la mise en valeur des plantes indigènes. Il s’agit d’un domaine très spécialisé aujourd’hui, mais nous reconnaissons que les normes de planification de l’avenir ne consisteront pas à replanter seulement des conifères dans une forêt. Nous commençons maintenant à nous intéresser de plus près aux plantes indigènes. Je ne prétendrai pas que nous avons la solution aujourd’hui, mais compte tenu de notre taille, nous ferons partie de la solution le jour venu.

La sénatrice Burey : Merci de partager votre expertise avec nous. J’en apprends toujours beaucoup à ce comité. C’est fascinant.

J’ai été surprise par vos déclarations concernant l’urgence, le fait que nous nous trouvons en terrain inconnu et que nous devons élaborer une meilleure stratégie et un meilleur plan. J’ai été particulièrement frappée par l’analogie de la salle d’urgence et de l’opération programmée. Je suis médecin, donc l’analogie m’a vraiment parlé. C’est tellement vrai.

Vous avez fait un certain nombre de recommandations, et je m’adresse à tout le monde. Je lisais le rapport du commissaire à l’environnement et au développement durable, et je vais juste le citer :

Compte tenu des premiers résultats enregistrés en matière de plantation d’arbres et de la difficulté d’établir des partenariats tôt dans le programme, il est peu probable que le programme 2 milliards d’arbres atteigne ses objectifs, à moins que des changements importants soient apportés.

C’était en 2023. Je vous pose la question parce que nous avons parlé du programme 2 milliards d’arbres : quelles leçons précises allons-nous utiliser dans les stratégies que vous pensez que nous devrions avoir à l’avenir?

M. Fournier : C’est une excellente question, madame la sénatrice. Je vous en remercie. Le programme 2 milliards d’arbres partait d’une bonne intention. L’exercice a permis de très bien définir l’enjeu. Ce qu’il n’a pas du tout réussi à déterminer, c’est la manière de procéder. C’est sur ce point que nous devons nous améliorer. Pour revenir à la question précédente de la sénatrice Marshall, ce qui manque au programme 2 milliards d’arbres, c’est une virgule. Je l’ai dit au cabinet du ministre, nous l’avons répété à maintes reprises au cours des deux dernières années : le programme part d’une bonne intention, mais comment en tirer parti? La virgule qui manque — je reviens à mon analogie de la salle d’urgence —, c’est que lorsque des événements se produisent, les règles du jeu ne changent pas nécessairement, mais la façon dont on les applique, elle, change. La planification et la gestion forestières sont par nature des activités à long terme. Elles sont planifiées sur des décennies. Les gens pensent à l’avenir; c’est ainsi. Or, un ouragan ou un feu de forêt qui fait rage s’apparente à une situation dans une salle d’urgence. Je peux prévoir une opération du cœur, qui sera programmée six mois à l’avance. Mais si j’ai une crise cardiaque, les plans tombent à l’eau, et nous devons plutôt passer à l’action immédiatement.

Je peux vous dire en toute franchise que nous avons eu une conversation, pas plus tard qu’hier, avec l’un de nos partenaires des Premières Nations — je dis « partenaires », mais nous travaillons en vue d’un partenariat, je ne veux donc pas induire le comité en erreur. Il est prêt à réaliser une initiative avec nous. Et le programme 2 milliards d’arbres nous offre une aide formidable : nous pouvons obtenir des fonds, réaliser l’initiative, et appliquer toute une série de normes contre les feux de forêt pour restaurer les forêts, mais elles se trouvent sur des terres de la Couronne. Cela signifie que la province a son mot à dire, comme il se doit. En réalité, parce que c’est un bien de la Couronne, que c’est le rôle de la province de le restaurer, mais qu’elle n’a ni le temps ni les ressources, le secteur privé intervient. À partir du moment où un groupe déclare « Je vais prendre ce terrain en charge et le restaurer, » d’après ce que j’ai compris, il assume la responsabilité de terminer le travail qu’il a commencé, c’est-à-dire le programme Foresterie en croissance libre pendant 15 ans. Il faut faire de la surveillance, des rapports et de la restauration si tout ne tourne pas rond. Si un groupe reçoit un financement de 5 ans dans le cadre du programme 2 milliards d’arbres, il vient d’assumer une responsabilité de 15 ans.

En réponse à la question précédente sur la façon dont les gouvernements fédéral et provinciaux pourraient collaborer, qu’est-ce que je recommande? Imaginez une simple virgule qui dirait que les règles s’appliquent toutes, mais que lorsque le secteur privé ou un groupe de Premières Nations se lance dans la remise en état d’un bien de la Couronne et que son financement ne dure que cinq ans, le gouvernement provincial ou fédéral assume la responsabilité pour les dix années suivantes. De toute façon, il s’agit de vos biens. L’industrie s’est mobilisée pour vous aider à remettre ce bien de la Couronne en état, mais on ne peut pas s’attendre à ce qu’elle assume l’entière responsabilité au-delà des moyens financiers qu’elle reçoit.

C’est ce que je dirais à propos de la différence entre une opération chirurgicale planifiée et les situations d’urgence. Il y a des mesures qui doivent être prises, et il manque une virgule dans notre politique du programme 2 milliards d’arbres.

La sénatrice Burey : Y a-t-il d’autres commentaires?

M. Bélanger : L’une des raisons pour lesquelles l’objectif du programme 2 milliards d’arbres ne sera probablement pas atteint à temps est qu’on s’est d’abord concentré sur les terres privées et les zones urbaines environnantes, au lieu d’établir des partenariats avec les autorités provinciales afin de réaliser le programme 2 milliards d’arbres sur les terres de la Couronne dès que possible et de tirer parti de cette possibilité. Cela a pris du temps et a donné lieu à des discussions complexes sur les conditions à remplir pour aller sur les terres de la Couronne, mais du point de vue de la remise en état et étant donné notre ère moderne d’adaptation au climat, cela aurait pu être l’objectif initial.

La sénatrice Burey : D’accord. Merci beaucoup. S’il y a d’autres commentaires, ils peuvent être formulés par écrit.

Le président : Vous aimeriez avoir des réponses écrites à cette question?

La sénatrice Burey : Oui.

Le président : J’invite tous les témoins à répondre par écrit s’ils croient avoir d’autres commentaires à ajouter.

Le sénateur McNair : Messieurs, je vous remercie d’être ici aujourd’hui. La discussion est intéressante. Nous pourrions poursuivre cette conversation toute la journée, et nous aurions encore des questions à vous poser.

Monsieur Fournier, vous remportez le premier prix pour l’autocollant qui vous représente probablement tous les quatre et qui dit « J’aime la sylviculture canadienne » sur votre ordinateur.

M. Fournier : Je suis désolé. J’avais oublié qu’il était là. Je m’en sers pour retenir mes notes.

Le sénateur McNair : Nul besoin d’être désolé. Il est très approprié.

M. Fournier : Merci.

Le sénateur McNair : Vous avez parlé de certains éléments, mais j’y reviendrai. Votre organisation, monsieur Fournier, a été citée dans un article récent sur le partenariat avec le gouvernement des Tłı̨chǫs dans le cadre du plus grand projet de plantation d’arbres jamais réalisé dans les Territoires du Nord‑Ouest, afin de soutenir et d’intensifier les efforts de reboisement dans cette région. Votre organisation a déclaré :

Le gouvernement tłı̨chǫ a mis en place une réponse sans précédent aux feux de forêt dévastateurs de 2023, faisant preuve d’un leadership essentiel à la santé future des forêts ravagées [...]

Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, et s’agit‑il d’un exemple très concret de votre premier thème : la reconnaissance des forêts comme des infrastructures essentielles?

M. Fournier : C’est une excellente question, merci. Il s’agit des terres autogérées des Tłı̨chǫs. C’est le territoire sur lequel ils ont le pouvoir de prendre des décisions et d’agir. Franchement, quand on pense à tout ce dont nous avons parlé aujourd’hui... Nous avons parlé du secteur commercial, de prospérité rurale, d’environnement. Ce n’est pas une question de crédits de carbone ou de vanité. Il s’agit d’une communauté qui reconnaît avoir perdu un habitat forestier essentiel à son mode de vie traditionnel. Il s’agit de replanter ce qu’elle a perdu afin de s’assurer que, notamment, les habitudes migratoires de la faune ne se déplacent pas : ce qui a été perdu a déplacé le mode de vie traditionnel. Ce sont évidemment les raisons pour lesquelles ils se sont engagés dans cette voie. La raison pour laquelle c’est sans précédent... Et nous tenons absolument à ce que ce soit un exemple à suivre. Nous sommes un partenaire de ce projet, mais pas le seul. Même si j’aimerais pouvoir nous attribuer tous les honneurs, ce sont en fait leurs dirigeants qui ont lancé la collecte de semences indigènes. Ils ont pris l’initiative de recueillir des semences sur les terres des Tłı̨chǫs. Ce qui a été perdu a été récupéré. Ce qui restait est maintenant entreposé chez PRT Growing Services.

Nous avons traité les semis. Nous allons semer le premier million de semis en février et mars dans nos serres et nos pépinières pour préparer la première plantation. Au cours des cinq prochaines années, entre 10 et 12 millions d’arbres seront plantés. Ce qu’il faut retenir, c’est que si on laisse Dame Nature s’en charger, il y aura des arbres et la végétation reviendra, mais elle sera principalement composée de trembles et de pins gris. Ce ne sont pas les seules essences qu’il y avait dans le passé, et ce n’est pas ce qui est souhaitable pour les Tłı̨chǫs en matière d’habitat et de faune.

Il y aura un mélange d’épicéas, qui sont tous indigènes à la région, mais le fait est qu’une norme de plantation a été élaborée pour répondre à un besoin de la communauté. Nous saluons cette décision. Si l’on pense à ce microcosme et à tout ce qui a été dévasté au pays, il n’y a aucune excuse pour ne pas faire la même chose d’un océan à l’autre. C’est simplement une question de leadership, et j’applaudis le gouvernement tłı̨chǫ pour ce qu’il a entrepris.

[Français]

La sénatrice Oudar : Ma question s’adresse à M. Fournier. Tout d’abord, je voudrais vous remercier tous les quatre ce matin pour ces informations très pertinentes.

Monsieur Fournier, vous avez parlé d’une chose très intéressante, soit une politique nationale. Merci des suggestions que vous avez faites au sujet d’une politique que nous devrions avoir. Ce ne sont pas que des mots creux, mais quelque chose de très concret sur le fait de considérer les forêts comme des infrastructures, des actifs, de maximiser le rétablissement et d’adopter davantage d’éléments pour le reboisement. Vous avez piqué ma curiosité avec un élément qui n’a pas été mentionné par d’autres groupes; comme vous l’avez souligné, je pense que vous voulez attirer notre attention sur la bureaucratie, qui est une procédure trop lourde pour favoriser la restauration de façon efficace et efficiente.

Si le temps ne vous permet pas de nous donner des exemples concrets qui pourraient éclairer le comité pour ce qui est de recommandations auprès du gouvernement, vous pourriez nous les fournir par écrit.

Qu’est-ce que vous voulez signaler au comité en ce qui concerne cette bureaucratie qui semble être un obstacle pour vous? Quelles solutions pourrait-on apporter pour être plus efficients?

[Traduction]

M. Fournier : Excellente question. Ce sur quoi j’attire l’attention — et je pense l’avoir déjà dit, mais je vais le répéter —, si je prends la perspective de RNCan ou du Service canadien des forêts et que je parle de « processus bureaucratiques, » j’entends qu’ils sont délibérément lents. La raison en est que nous sommes une nation développée. Nous sommes forts d’une longue histoire et, de ce fait, nous avons mis en place des politiques et des procédures qui se veulent fiduciaires. Nous marchons, nous ne courons pas. Nous réfléchissons, nous planifions et nous exécutons, et c’est là une discipline et une rigueur solides et appropriées.

Cependant, pour en revenir à mon analogie sur les urgences, si quelqu’un perdait son emploi demain, l’assurance emploi lui serait versée dans les deux semaines, car nous avons mis en place une structure pour répondre à ce genre de situation. Dans les faits, les forêts se mesurent en décennies et en siècles, et nos politiques, procédures et méthodologies sont conçues en conséquence. Cela ne veut pas dire que c’est malavisé, mais c’est insuffisant pour réagir à de tels feux de forêt historiques.

Je donnerai l’exemple de Jasper. Je le dis très respectueusement. Nous avions prévu une réunion avec les cadres supérieurs de RNCan à un moment où nous avons pensé annuler la réunion, parce que la tragédie à Jasper a eu des répercussions humaines. Il y a des répercussions sur la communauté, et il y a un temps et un lieu pour tout. Mais comme l’organisation de réunions prend du temps, nous nous sommes dit qu’il fallait au moins avoir une conversation. Ce qui m’a frappé à l’issue de cette discussion... Et je ne le dis pas pour dresser un portrait négatif de RNCan, mais pour donner un exemple du fonctionnement de nos processus. Nous étions là à dire qu’il fallait agir. Que pouvons-nous faire pour aider? Comment pouvons-nous faire commencer le processus avec des semis? Comment pouvons-nous être prêts? Il faut compter environ 18 mois à partir du moment où l’on plante une graine — c’est comme un bébé, il faut 9 mois pour qu’elle grandisse —, et nous avons l’hiver au Canada, donc on ne plante pas les semis avant le printemps suivant. Comment pouvons-nous aider et comment pouvons-nous nous rendre sur les lieux? Voici une réponse qui m’a frappé : « Merci, c’est une excellente idée, mais nos scientifiques sont en route. » C’est à ce moment-là que j’ai pris du recul et que j’ai saisi la situation. Je me suis dit que c’est là notre problème. C’est la réponse parfaite à donner lorsqu’on a un problème à long terme. C’est une excellente réponse lorsqu’on a le temps d’étudier les causes des maladies cardiovasculaires, et non pas lorsqu’on arrive à la salle d’urgence : ce n’est plus le moment d’étudier comment traiter le problème de santé.

Voilà mon commentaire sur la bureaucratie. Ce n’est pas que nous ayons des défauts, et ce n’est pas que je dénonce notre approche en disant : « Honte à nous. » Nos systèmes fonctionnent, mais pas en situation d’urgence. Nous sommes dans une situation où nous avons besoin de ce virage. C’est pour le bien des contribuables, de l’économie, de l’environnement et de tout le monde. J’espère avoir été clair, madame la sénatrice.

Le président : Merci beaucoup aux témoins : M. Johnson, M. Bélanger, M. Fournier et M. de Vries. Merci beaucoup pour votre participation aujourd’hui et pour la passion que vous avez tous manifestée. Nous vous sommes grandement reconnaissants de vos témoignages et de vos idées.

Chers collègues, nous accueillons, dans notre deuxième groupe de témoins de la journée, le chef Conroy Sewepagaham de la nation des Cris de Little Red River; le chef Collin Pierrot de la collectivité à charte K’ahsho Got’ine, bande des Dénés de Fort Good Hope; et Darcy Edgi, président de la Fondation K’ahsho Got’ine.

Bienvenue, messieurs, et merci d’être parmi nous. Vous disposez de cinq minutes pour vos déclarations liminaires. Lorsqu’il restera une minute, je lèverai la main, et lorsqu’il restera 20 secondes, je lèverai les deux mains. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir conclure à ce moment-là.

Conroy Sewepagaham, chef, nation des Cris de Little Red River : Bonjour. J’espérais avoir un peu plus de caféine pour être fonctionnel.

Monsieur le président, honorables sénateurs, je vous remercie de l’invitation. Notre communauté a traversé des moments difficiles au cours des dernières années. J’ai transmis des notes, mais je vais improviser, comme pour la plupart de mes interventions.

Nos communautés sont Garden River, Fox Lake et John D’Or Prairie. Ces trois villages composent la nation crie de Little Red River. L’année dernière et l’année précédente, comme on l’a dit, la tâche a été ardue. Avant de débuter, j’aimerais dire quelques mots à l’intention de ceux qui nous écoutent dans notre communauté.

[mots prononcés en cri]

Monsieur le président, honorables sénateurs, comme nous l’avons dit, au printemps 2023, cette journée a commencé comme n’importe quel jour de printemps. Puis, rapidement, la fumée a envahi l’air, et le ciel s’est assombri. Dans les 72 heures qui ont suivi, nous avons dû évacuer les 4 000 habitants du village de Fox Lake. Nous avons utilisé des bateaux, des canots, des barges — toutes les embarcations que nous avons pu trouver pour les faire traverser jusqu’à la rivière de la Paix. Heureusement, personne n’a été blessé. Heureusement, aucune vie n’a été perdue. L’incendie de Paskwa en 2023 a ravagé les maisons de 800 habitants. Dans son sillage, il a également brûlé ou endommagé plus de 100 maisons. Pendant cette période, pendant l’évacuation, nous avons vu de nombreux exemples de gens et de résidents de tous horizons se rassembler et nous aider à traverser cette période difficile.

Les feux ont enfin été éteints en juin de cette année. Nous avons ensuite dû nous préparer à reconstruire notre communauté de Fox Lake pendant l’hiver. Or, les travaux ont été repoussés parce que la saison du transport sur les routes de glace est passée de 120 jours à moins de 45 jours, ce qui est la plus courte saison jamais enregistrée. Cette année, le printemps a été chaud, mais pluvieux. Heureusement, nous avons pu poursuivre nos activités, car nous avons pu traverser le lac et transporter les biens et services plus légers vers Fox Lake. Nous attendons maintenant l’hiver pour acheminer les carburants, les matériaux de construction et tout ce dont nous avons besoin pour reconstruire notre communauté.

Cette année, malgré un printemps pluvieux, l’été a été sec. Il y a eu de forts vents et, pendant deux mois, jusqu’en juillet, nous avons connu une sécheresse. Puis, un orage s’est abattu sur nos communautés situées dans les collines des monts Caribou, ce qui a déclenché une nouvelle série d’incendies. Nous avons donné le nom de « complexe Semo » à l’ensemble de ces nombreux feux. Pour la première fois dans l’histoire de notre nation, les résidents de nos trois villes ont dû être évacués; 8 700 résidants et membres de la communauté qui s’étaient installés sur notre territoire ont été évacués.

Je le répète, nous sommes soulagés que ces incendies n’aient pas semé la destruction dans leur sillage; personne n’a été blessé. Nous ne pouvons toutefois pas en dire autant de nos forêts. Nous avons un quota de coupe de bois d’œuvre de 15 000 kilomètres carrés. Cet incendie a brûlé notre gagne-pain. Les pertes sur le plan des revenus et des emplois s’élèvent, selon nos estimations, à 150 millions de dollars. Au vu des incendies successifs que nous avons connus, nous pensons qu’il s’agit là de la nouvelle normalité.

Je serai heureux de répondre aux questions que vous pourriez avoir. Merci.

Le président : Merci. Nous passons au chef Pierrot

Collin Pierrot, chef, Collectivité à charte K’ahsho Got’ine, bande des Dénés de Fort Good Hope : Bonjour. Je suis le chef Collin Pierrot. Je viens des Territoires du Nord-Ouest, de la région du Sahtu. Je viens d’une communauté où l’on parle le [mots prononcés en déné].

Notre bande s’appelle K’ahsho Got’ine, ce qui veut dire « peuple du grand saule ». Ma communauté compte 900 membres, mais il n’y en a qu’un peu plus de 500 qui habitent dans la communauté.

Je tiens tout d’abord à vous remercier de nous avoir invités à cette réunion pour que nous vous racontions ce qui s’est passé en juin 2024. Mon collègue Darcy Edgi est président de la Fondation K’ahsho Got’ine. Il s’agit d’une zone protégée, d’une zone de conservation que le Canada finance. Mais revenons à l’histoire que nous voulons vous raconter.

Notre communauté, à l’instar de celle du chef Conroy, n’est pas reliée à une autoroute. L’été, nous sortons de la communauté en avion ou en bateau. En juin 2024, j’étais en réunion à Yellowknife. J’avais décidé de prendre congé pendant la fin de semaine et de rester quelques jours là-bas. Or, le samedi matin, vers 8 h 30 ou 9 heures, j’ai reçu un appel téléphonique alors que je m’apprêtais à déjeuner. On m’appelait pour me dire qu’un incendie avait été repéré à l’extérieur de notre communauté, à moins d’un kilomètre. Je suis resté au téléphone pour me renseigner toutes les cinq minutes sur le genre de fumée qui s’échappait de l’incendie.

En 1988, alors que j’avais 18 ans, j’ai commencé à lutter contre les incendies. J’ai continué jusqu’en 2016. Je sais donc très bien comment fonctionnent les incendies ; j’ai une solide connaissance des causes et des conditions météorologiques qui les accompagnent. J’ai demandé à mon agent administratif principal de continuer à me tenir au courant de la fumée qui s’échappait. Puis, je lui ai demandé d’appeler tous les conseillers de la bande, dont M. Edgi, ici présent, qui est également conseiller de bande. Nous avons réuni le conseil. J’étais au téléphone. Mon sous-chef, M. Joseph Tobac, était sur le terrain lorsque l’incendie s’est déclaré. Il est revenu et je lui ai demandé d’ordonner une évacuation d’urgence et de déclarer l’état d’urgence dans la ville. Pendant que j’étais au téléphone, tout a été mis en place et l’évacuation a commencé sans tarder.

La piste de notre aéroport n’est pas très longue, mais elle est assez large pour qu’un appareil Dash 7 — qui peut accueillir 40 à 42 passagers — puisse y atterrir. Nous avons procédé à l’évacuation, en commençant par les personnes plus âgées, à l’aide d’un petit Beechcraft. Entretemps, j’ai communiqué avec notre député provincial, qui m’a aidé à entrer en contact avec le ministre de l’Environnement et du Changement climatique, ou ECC. Je lui ai demandé d’envoyer des avions plus gros afin d’accélérer l’évacuation. Il s’est ensuite écoulé environ deux heures, puis, vers 13 h 30, j’étais de retour dans la communauté. Lorsque je suis arrivé, tout ce que je pouvais voir, c’était un mur de flammes qui se dirigeait vers la communauté.

Mon frère aîné était avec moi dans l’avion. Comme moi, il possède de vastes connaissances en matière de lutte contre les incendies. On a fait appel à lui pour former les pompiers d’ECC. Il était donc avec moi. Nous sommes arrivés en avion. Nous avons attendu un moment pour voir si le ministère allait envoyer des équipes.

Le président : Vous pouvez prendre votre temps, mais je vous saurais gré de conclure.

M. Pierrot : Le ministère avait envoyé une équipe de trois personnes sans expérience. Fort heureusement, 85 à 90 % des membres de ma communauté sont d’anciens pompiers. Dans une petite communauté comme la nôtre, la majorité des membres du personnel municipal possède une expérience dans le domaine de la lutte contre les incendies. Lorsque l’incendie s’est déclaré, nous avons demandé de l’équipement pour lutter contre les incendies. On nous a dit d’aller rapidement à la base d’ECC pour l’obtenir. Cependant, nous avons découvert qu’il n’y avait pas d’équipement; il n’y avait peut-être que cinq boyaux, c’est tout. Nous avons donc utilisé nos deux camions-citernes, qui servent à distribuer l’eau à la communauté, et un camion de pompiers. Vingt d’entre nous sont montés à bord et ont commencé à combattre le feu.

Les avions fournis par le ministère se sont rendus à Norman Wells où les employés prépareraient un mélange avec un agent ignifuge afin de nous aider à lutter contre l’incendie. Malheureusement, ils ont découvert, rendus là-bas, qu’il n’y avait pas de produit ignifuge. Ils ont dû faire deux heures et demie de vol pour retourner à Yellowknife afin de préparer le mélange. Il y a eu un autre aller-retour. L’opération a duré 8 heures; les pilotes ont donc épuisé leur temps de vol. Les pilotes doivent respecter une limite de 8 heures de vol, et ils l’ont épuisée avec un seul largage. C’est tout.

Pendant les 25 premières heures, nous avons été laissés à nous-mêmes pour combattre l’incendie, sans équipement de lutte contre les incendies; le ministère ne nous a rien donné pour nous aider dans ces efforts. Pendant les quatre premiers jours où le feu faisait rage, nous avons dû nous débrouiller seuls, sans équipement. Il a fallu tout ce temps pour...

Le président : Je vous remercie. Je sais qu’il y a beaucoup de questions, alors nous allons commencer la série de questions. Je m’excuse de vous interrompre.

La sénatrice Simons : Tansi. Merci beaucoup de votre présence parmi nous.

Chef Sewepagaham, je sais que vous avez également de l’expérience dans le domaine de la lutte contre les incendies. Nous venons d’entendre le témoignage troublant de M. Pierrot sur l’absence de réaction de la part d’ECC. Pouvez-vous nous dire si vous avez eu une expérience semblable pendant les deux années où les feux ont fait rage?

M. Sewepagaham : Mes observations vont dans le même sens que celles de mon collègue, le chef Pierrot. Notre communauté compte environ 1 500 foyers. Chaque foyer compte deux ou trois pompiers forestiers. À part l’industrie forestière, c’est le principal moteur de notre économie. Lorsque les incendies de 2023 se sont déclarés, le ministère a dit à quelques milliers d’entre nous que nous ne pouvions pas intervenir. Malgré notre formation et nos compétences, nous avons dû attendre d’être appelés. Nous avons notre propre opération de lutte contre les feux de forêt et nous sous-traitons nos services à la province.

La sénatrice Simons : Vous combattez donc les incendies dans d’autres collectivités, mais on vous a dit que vous ne pouviez pas défendre votre propre communauté.

M. Sewepagaham : Oui, c’est exact.

Nous avons pris les devants. Nous avons laissé les équipes de jour mener leurs opérations et nous avons combattu le feu à Paskwa et à Fox Lake, pour notre communauté, pendant la nuit. Nous luttions contre cet incendie entre 21 heures et 6 heures du matin. Nous repartions une heure avant que les équipes de jour, c’est-à-dire les entrepreneurs et tous les autres pompiers provinciaux, ne reviennent. Nous avons fait cela pendant près d’un mois, jusqu’à ce qu’ils nous demandent enfin de venir combattre le feu le jour.

La même chose s’est produite en 2024, lorsque l’incendie était aux portes des trois villes. Le ministère a attendu entre deux semaines et près d’un mois avant de permettre à bon nombre de nos équipes de combattre ces incendies.

Je ne dis pas qu’il ne nous a pas demandé de les aider; il a fait appel à une ou deux équipes de sept personnes. Cependant, si des milliers de personnes sont prêtes à lutter contre ces incendies, on devrait leur demander leur aide. Nous avons appris, dans la lutte contre les incendies, que dès que nous voyons la fumée, l’objectif est de réduire, de contrôler ou de maîtriser l’incendie dans les 24 heures. Or, à l’instar de mon collègue et de mon ami dans le « vrai Nord », nous n’avons pas nécessairement ce luxe, en particulier dans les collectivités éloignées du Nord de l’Alberta et des Territoires du Nord-Ouest.

La sénatrice Simons : Je ne suis pas sûre que les gens comprennent à quel point votre communauté est éloignée. Huit mille personnes y habitent; ce n’est pas une petite communauté, mais il est vraiment difficile de s’y rendre.

Vous avez parlé de l’exploitation forestière. Puisque nous sommes au Comité de l’agriculture et des forêts, pouvez-vous nous parler de l’importance et de l’ampleur de l’exploitation forestière dans votre communauté, et de l’incidence de ces pertes? Pouvez-vous faire de l’exploitation forestière ailleurs?

Le président : Il vous reste 30 secondes.

M. Sewepagaham : La destruction de ces forêts signifie que nous avons perdu l’équivalent d’environ 70 années d’emploi. La croissance de notre forêt boréale mixte et à feuillus prend beaucoup de temps. Ma génération ne tirera pas nécessairement les mêmes avantages de l’exploitation forestière que les générations précédentes. Nous enregistrerons des pertes jusqu’à ce que les arbres repoussent.

La sénatrice Simons : Merci de votre présence.

La sénatrice Marshall : Chef Sewepagaham et Chef Pierrot, vous avez parlé du processus d’évacuation. Je représente Terre‑Neuve-et-Labrador où il y a beaucoup de collectivités isolées. Pouvez-vous nous en dire plus sur le processus d’évacuation que vous avez suivi? Aviez-vous déjà un plan d’évacuation?

Quelle est votre principale recommandation en matière d’évacuation en cas d’incendie? Lorsqu’un feu se déclare, la panique s’installe, et il faut agir vite.

M. Sewepagaham : Je recommande à mes collègues ici présents de veiller à ce que la communication soit au cœur de leurs efforts. Assurez-vous d’envoyer à tous vos concitoyens, membres ou villes les bonnes informations à des moments précis. On finit par répéter les mêmes choses, mais plus les gens et les membres disposent d’informations sur ce qui se passe réellement sur le terrain, plus ils sont calmes. Assurez-vous de disposer d’un plan d’intervention d’urgence en cas de feux de forêt. Nos plans d’évacuation nous ont permis d’écarter nos membres de tout danger, et cela nous a aidés à regagner un peu d’humanité.

La sénatrice Marshall : Vous aviez donc déjà un plan d’évacuation avant que le feu ne soit déclaré.

M. Sewepagaham : Oui, c’est exact.

La sénatrice Marshall : Et vous, chef Pierrot? Vous avez dit que vous avez eu accès à des avions grâce à votre piste d’atterrissage, alors que le chef Sewepagaham a dû utiliser des bateaux et des canots. Aviez-vous un plan d’évacuation en place? Saviez-vous qu’un processus serait enclenché dès que vous sauriez qu’il fallait procéder à l’évacuation?

M. Pierrot : J’ai oublié de mentionner que je suis chef depuis 2022. Au moment de ces feux, cela faisait environ huit mois que j’étais en poste. Je suis tombé sur un vieux plan d’urgence qui devait être mis à jour. Nous ne l’avons pas utilisé.

Je le répète, je me suis fié à mes connaissances et à la formation que j’avais suivie en lutte contre les incendies. Il fallait réunir le personnel et les membres de la communauté. Nous avons commencé par cela. Nous avons d’abord évacué les personnes âgées, les bébés, les mères et tous ceux qui avaient des problèmes respiratoires à cause de la fumée. Ils ont été les premiers à quitter les lieux.

La sénatrice Marshall : Est-ce que tout le monde a été évacué par avion?

M. Pierrot : Oui. Avant le début de l’incendie, des jeunes participaient à un camp de pêche près du fleuve MacKenzie, à environ 10 kilomètres, où ils apprenaient à faire sécher le poisson. La moitié des membres de la communauté sont allés à Norman Wells et Délı̨nę, et les 150 restants ont été évacués par bateau. Nous ne pouvions plus attendre; nous les avons donc évacués par bateau, jusqu’à ce camp de pêche. Ils y sont restés pendant trois semaines et demie.

La sénatrice Marshall : Vous avez mentionné le Dash 7. J’essaie d’établir un lien avec la côte du Labrador. D’où venaient les Dash 7?

M. Pierrot : De Yellowknife.

La sénatrice Marshall : S’agissait-il d’avions du gouvernement ou d’entreprises privées?

M. Pierrot : Ils appartenaient à des entreprises privées. Un des avions appartenait à Air Tindi, et l’autre à Summit Air.

Le président : Mes excuses. Il y a tant de questions. Je vous remercie de votre témoignage.

La sénatrice Sorensen : Merci à tous de votre présence. Je vais poursuivre dans la même veine que la sénatrice Simons. Les deux chefs ont répondu à mes questions dans une certaine mesure, mais j’aimerais leur donner un peu plus de temps pour qu’ils nous en disent davantage. Je vais commencer par le chef Pierrot. J’aimerais savoir qui mène les opérations de lutte contre les incendies et d’évacuation. Vos commentaires à cet effet étaient intéressants, et j’aimerais vous entendre à ce sujet.

Enfin, chef Sewepagaham, je suis curieuse de savoir, compte tenu des pertes importantes, dont la perte d’infrastructures, et de l’impact économique, si votre communauté a accès à des mesures de soutien.

Mais j’aimerais d’abord savoir comment les choses se sont passées dans votre communauté avec les premiers intervenants.

M. Pierrot : Bien franchement, les choses ne se sont pas bien passées. D’habitude, les premiers intervenants sont les membres de la GRC et les infirmières qui sont dans la région. C’est triste à dire, mais lorsque l’évacuation a commencé, la GRC a utilisé son avion privé pour évacuer ses membres et leurs familles en premier. Plus tard, ce sont les membres du ministère de la Santé qui sont partis. Ensuite, les deux magasins, le Northern et l’épicerie coopérative ont été évacués et nous avons été laissés à nous-mêmes. Nous avons dû nous dépêcher pour contribuer aux efforts d’évacuation tout en nous préparant à combattre cet incendie. En somme, nous avons dû nous débrouiller seuls pour protéger notre communauté.

La sénatrice Sorensen : C’est très difficile à entendre.

Monsieur, pourriez-vous nous parler de la communauté aujourd’hui et nous dire quelles sont les mesures de soutien en place?

M. Sewepagaham : À l’heure actuelle, nous devons défendre notre cause et tordre quelques bras au sein du gouvernement fédéral. En fait, nous parlons presque tous les mois des politiques en place. Nous n’en voulons pas aux gens — je vous le rappelle — je n’en veux à personne autour de cette table, je n’en veux pas au personnel, mais j’ai une dent contre les politiques actuellement en vigueur pour les Premières Nations, surtout au gouvernement fédéral, pour les Premières Nations qui vivent dans des réserves, particulièrement en ce qui concerne la lutte contre les incendies et la gestion des incendies après les ravages qu’ils ont causés dans notre communauté. Ce qui a beaucoup nui à nos efforts de reconstruction, c’est la bureaucratie qui nous est imposée. Même si j’explique aux agents des bureaux régionaux que si nous voulons reconstruire Fox Lake, nous ne voulons pas reconstruire Fox Lake telle qu’elle était auparavant, mais telle qu’elle devrait être.

La sénatrice Sorensen : Merci. La sénatrice Simons l’a déjà fait remarquer — et je suis également sénatrice de l’Alberta —, lorsque nous avons vu la dévastation à Jasper, nous avons tous été horrifiés par ce qui est arrivé à Jasper, mais la visibilité que ces événements ont eue et les mesures prises y ont été manifestement très différentes.

M. Sewepagaham : Le contraste est assez frappant, mais il faut continuer d’avancer.

La sénatrice Sorensen : Merci, monsieur.

La sénatrice Burey : Merci, chefs. C’est un honneur d’être ici avec vous et de vous écouter nous raconter tout cela. C’est l’un des rôles du Sénat, je dois dire, et je suis très heureuse que vous ayez pu venir aujourd’hui pour nous communiquer cette information.

J’aimerais savoir ce qui se passe depuis l’incendie. Vous avez dit que 800 résidents étaient toujours sans domicile. Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur la situation et sur les besoins?

M. Sewepagaham : Jusqu’à maintenant, en novembre, nous avons pu reconstruire un certain nombre de maisons — vous devriez voir les visages souriants des personnes qui ont une maison flambant neuve —, mais environ 60 % des gens attendent encore que leur maison soit reconstruite. Le plus grand défi que nous avons, à Fox Lake, est logistique, car nous devons nous coordonner pour faire la majorité de nos constructions en hiver. Cependant, l’année dernière, nous avons dû composer avec des problèmes logistiques concernant les routes de glace menant à la communauté. Le moins que l’on puisse dire, c’est que cela a coûté cher, parce qu’il y a un barrage en amont qui, malheureusement, a coulé en janvier, de sorte que l’eau a emporté nos ponts de glace. C’est pourquoi notre période de construction est passée de 120 jours à moins de 45 jours. Nous espérons qu’il ne nous faudra pas 10 ans pour tout reconstruire. Nous espérons arriver à le faire en cinq ans, en touchant du bois.

La sénatrice Burey : J’aimerais entendre le chef Pierrot. À quoi cela ressemble-t-il chez vous? Y a-t-il des membres de la communauté déplacés qui ne sont pas en mesure de revenir?

M. Pierrot : Pendant l’incendie, comme je l’ai dit, une vingtaine de membres de la communauté se sont portés volontaires. Nous avons un service d’incendie. Au moment de l’incendie, nous avons eu un conflit avec Environnement et Changement climatique Canada. Les pompiers sont arrivés avec une équipe et ont dit qu’ils prenaient le feu en charge. Nous les avons laissés faire, mais le feu a repris. À l’époque, j’ai transformé notre service d’incendie en ce que nous appelons maintenant la « brigade incendie ». Les 20 personnes qui ont contribué à lutter contre les feux ont intégré cette brigade, et nous avons pris l’incendie en charge. Le premier jour a été le plus difficile, parce qu’il y avait un mur de flammes d’environ 200 pieds de hauteur qui avançait vers nous. Nous n’avons pas perdu ces structures, et tout le monde a pu rentrer chez soi.

La sénatrice Burey : Qu’en est-il de la santé mentale et des autres questions de santé depuis? Y a-t-il du soutien? Dans le peu de temps qu’il me reste — je suis désolée, je sais que nous n’aurons pas le temps de finir... Vous pouvez aussi me répondre par écrit, mais vous pouvez commencer.

M. Sewepagaham : Disons les choses comme elles sont, sénatrice : chaque fois que les membres de ma communauté, y compris moi-même, sentent l’odeur de fumée, nous repensons automatiquement à ce jour-là.

La sénatrice Burey : C’est un traumatisme, oui.

M. Pierrot : Pendant l’incendie, deux personnes ont perdu la vie. L’une était un pilote d’hélicoptère qui nous aidait dans la lutte contre l’incendie, et l’autre, un jeune homme qui a perdu la vie avant l’incendie. À l’époque, nous avons communiqué avec de nombreux ministres pour leur demander d’envoyer des équipes de soutien psychologique pour les pompiers. La plupart des pompiers avaient un lien de parenté avec le jeune homme décédé, mais nous n’avons reçu aucune aide. Aujourd’hui encore, aucune équipe de soutien psychologique n’est venue nous aider, niet.

La sénatrice Burey : Merci, chef.

Le sénateur McNair : Merci, messieurs, d’être ici aujourd’hui pour parler de tout cela. Il est incompréhensible et inimaginable de se retrouver seul sur le terrain face à ses problèmes dans de telles circonstances.

Pour revenir aux professionnels de la santé, ils ont fui en avion avant vous. J’admire le fait que vous puissiez être ici aujourd’hui et dire que vous n’êtes pas en colère contre les gens; vous êtes en colère contre la bureaucratie ou les choses qui n’ont pas bien fonctionné, et il s’agit de trouver des solutions. Je vous félicite de votre approche si positive pour tenter de remédier à la situation.

Tous les spécialistes affirment que les gardiens autochtones sont essentiels dans la lutte contre les incendies de forêt au Canada. Je pense que j’ajouterais les mots « d’urgence » après « lutte » ici. Nous savons à quel point il est important d’intervenir dès que le feu se déclare, comme vous l’avez dit, pour essayer de l’éteindre dans les 24 heures. Il y a des progrès. En 2023, je pense qu’il fallait se battre très fort pour que des gens soient envoyés au front. En 2024, cela a été un peu différent.

Monsieur Edgi, votre communauté, ou votre fondation, vos gardiens, essentiellement, se sont d’abord démenés pour évacuer les membres de la communauté cette année, je crois, en 2024, lorsque des incendies de forêt ont menacé la ville de Fort Good Hope, dans les Territoires du Nord-Ouest, mais ensuite, surtout, grâce à la formation que vous aviez, vous avez joint la ligne de front et avez finalement contribué à sauver la ville. Y a-t-il des progrès dans la reconnaissance du savoir-faire autochtone dans ce domaine, pour que ces compétences soient mises à contribution?

Darcy Edgi, président, Fondation K’ahsho Got’ine : Personnellement, j’étais là du début à la fin. Lorsque l’incendie s’est déclaré, nous avons transformé un camion à eau en camion de pompiers, et c’est moi qui le conduisais. Le mur arrivait, donc nous avons coupé quelques arbres et inondé le sol au milieu. Il y avait des gars derrière nous qui luttaient contre le feu qui franchissait la zone où nous étions, pour éteindre les foyers d’incendie, mais nous avons sauvé la ville, la communauté. Nous avons été laissés à nous-mêmes. Même lors de l’accident d’hélicoptère, mon camion a été le premier à arriver. Nous n’avons jamais reçu d’aide psychologique, rien. J’ai vu une énorme flamme, et je ne savais même pas que c’était un hélicoptère qui brûlait. Nous avons simplement fait notre travail.

ECC a envoyé des pompes au tout début — un tas d’équipement, cinq pompes —, mais elles n’avaient pas de clapets de pied et ne pouvaient pas atteindre la source d’eau, donc elles étaient inutiles. Nous avons modifié un camion de pompiers et quatre camions à eau, que nous avons transformés en camions de pompiers. C’est comme cela que nous avons commencé à combattre l’incendie.

Nous avons lutté pendant des jours sans jamais nous arrêter. Nous passions 20 ou 23 heures sans dormir, nous dormions de deux à quatre heures, puis nous nous levions et recommencions à combattre le feu. Mais nous avons sauvé notre ville, chaque maison, et une seule personne a péri, le pilote de l’hélicoptère. Je suis triste pour sa famille. Je suis reconnaissant qu’il ait été là pour nous aider.

La sénatrice McBean : Je vous remercie d’être venus jusqu’ici. Je m’excuse pour toutes les fois où nous devons vous couper la parole pour entendre toute l’information. J’aimerais vous céder mon temps de parole, chef Pierrot. À la fin de votre histoire, vous disiez que les pilotes avaient gaspillé tout leur temps de vol. Avez-vous une conclusion à ajouter à votre déclaration du début?

M. Pierrot : Une fois notre mission accomplie, nous avons eu un peu de temps pour nous retrouver et pour mettre en commun ce que nous avions vécu. J’ai appris qu’après l’évacuation, deux membres de mon conseil étaient allés au camp de pêche, où se trouvaient les personnes évacuées, et que trois conseillers s’étaient rendus à Norman Wells, où s’étaient réunis tous les autres évacués. Moi-même, M. Edgi et deux autres conseillers sommes restés dans la communauté. Nous étions donc dispersés à différents endroits.

Après avoir échangé nos bilans respectifs, nous avons déterminé qu’il nous fallait des fonds pour nos services d’incendie, qui ne sont pas très bien financés en ce moment. Le financement se résume à une allocation mensuelle de 500 $ versée au chef. Notre camion à incendie date d’une autre époque.

J’ai demandé à ECCC de vérifier si la communauté pouvait obtenir du financement pour le corps de pompiers que nous avons établi récemment. ECCC a formé une équipe à Fort Good Hope, mais malheureusement, personne ne veut se joindre aux efforts de lutte contre les incendies du gouvernement. Ils ont essayé de toutes les manières, mais personne ne s’est porté volontaire. C’est tout le contraire pour notre corps de pompiers.

La sénatrice McBean : Je me demande bien qui voudrait se joindre à l’équipe de lutte contre les incendies d’ECCC, qui était arrivée sur place avec des équipements inutilisables, alors que votre équipe possède des connaissances historiques.

Pourriez-vous décrire les incidences des feux de forêt précédents sur vos communautés et votre mode de vie traditionnel? Ce feu était différent. De loin, vous perceviez que la fumée était inhabituelle, d’où votre décision d’ordonner l’évacuation.

M. Pierrot : Tout le monde sait de quelle couleur est la fumée des feux qui viennent de se déclencher. Au début, lorsque le feu couve, la fumée est blanche. Dès qu’elle devient gris et noir, nous savons que le feu est devenu un feu de cime et qu’il a atteint son paroxysme. La fumée était pour moi un des moyens d’évaluer la situation.

J’ai perdu le fil de mes pensées. Pourriez-vous répéter votre question?

Le président : Vous avez 30 secondes.

La sénatrice McBean : Je vais vous donner le reste de mon temps. Avez-vous encore quelque chose à dire? Monsieur Edgi, vous avez parcouru une longue distance. Souhaitez-vous nous dire quelque chose?

M. Edgi : Les politiques du ministère qui énoncent de ne pas combattre le feu... Cette équipe de nettoyage du terrain devait intervenir. Nous avons sauvé notre communauté parce que nous avons combattu le brasier. Nous ne l’avons pas attendu. Si nous l’avions attendu, nous aurions brûlé.

La sénatrice McBean : Merci.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Mes collègues l’ont dit. Dans cette étude, nous avons entendu plusieurs experts, universitaires et chercheurs, qui ont décrit les événements, mais entendre ce qui s’est passé de la bouche de ceux qui y étaient, c’est très important et très précieux. Je vous suis très reconnaissante d’avoir livré ces témoignages.

Chef Conroy, je vous félicite de votre attitude positive. Vous avez décrit comment les choses s’étaient passées en 2023 et comment l’histoire s’est répétée en 2024. Dans les deux cas, vos connaissances et votre expertise sur la lutte contre les incendies ont été mises de côté.

J’ai deux questions. Je voudrais savoir — je vous pose la question à vous deux — quels enseignements ont été retirés. Avez-vous espoir que ces situations précises ne se reproduiront pas? Je pense à vos connaissances et à votre expertise sur le terrain qui ont été ignorées et aux interventions qui se sont avérées vraisemblablement inadéquates. Avez-vous espoir que l’histoire ne se répétera pas?

M. Sewepagaham : De notre point de vue, l’histoire se répétera seulement si nous agissons de la même façon que lors des années précédentes. Si nous pouvions modifier certaines de ces politiques et y mettre un peu d’humanité, les connaissances autochtones locales seraient intégrées à nos processus de gestion des feux et des programmes de gardiens pourraient être mis en place. Un bon nombre de ces feux auraient pu être maîtrisés en 24 heures si nous ne nous trouvions pas en région éloignée aux prises avec un manque d’infrastructures et de ressources.

Nous, les résidants des communautés du Nord, nous en avons assez de notre statut d’observateurs. Voilà pourquoi nous faisons nous-mêmes ce qui s’impose pour sauver nos localités. Je ne veux pas parler pour les autres chefs et pour M. Edgi, mais nous referions exactement la même chose parce que la construction de maisons dans le Nord s’étend sur des années.

La sénatrice Petitclerc : Encore une fois, je vous laisse mon temps, mais j’aimerais que vous reveniez, chef Pierrot, à ce que vous avez dit sur les feux qui, selon vous, seraient la nouvelle normalité et sur la nécessité de renforcer notre résilience. Vous avez dit quelque chose qui m’a interpellée. Vous avez affirmé que vous ne vouliez pas rebâtir les choses comme elles étaient, mais plutôt comme elles devraient être. Je suppose que la notion de « ce qui devrait être » s’applique à cette nouvelle normalité qui englobe l’augmentation possible des événements climatiques. Comment rebâtir « comme cela devrait être » dans un esprit de résilience?

M. Sewepagaham : Il faut établir de solides partenariats avec tous les types et tous les niveaux de gouvernement. Il ne faut pas que les Premières Nations travaillent en vase clos.

La sénatrice Petitclerc : Merci. Oui. Ajouteriez-vous quelque chose si la présidence me donnait 10 secondes?

M. Pierrot : La question portait sur les types de changements à apporter, si je ne me trompe pas. Étant donné ce que je vois et les changements à réaliser, il faut appliquer ces changements, non pas seulement au niveau des communautés, mais aussi au niveau des gouvernements, et ce, en raison des changements climatiques qui évoluent très rapidement.

Les printemps ne sont plus ce qu’ils étaient. Le printemps commence au début du mois d’avril à présent, et la végétation commence à s’assécher. Habituellement, les gens attendent le mois de juin pour s’organiser. Ils ne pensent pas à le faire en avril ou en mai, même si la végétation est tellement sèche que nous l’entendons craquer sous nos pieds. Personne n’a assimilé la nouvelle donne. Tout le monde attend au mois de juin, qui est la période normale pour mettre en place les techniques de protection contre le feu.

La sénatrice Petitclerc : Merci.

La sénatrice White : Je remercie les chefs et M. Edgi de nous avoir décrit leur réalité. Beaucoup de mes collègues sont scandalisés à l’idée que ces choses se produisent encore en 2024. Comme je suis membre d’une Première Nation, malheureusement, rien de tout cela ne me surprend. C’est formidable d’avoir cette tribune qui permet aux sénateurs d’en savoir plus sur vos situations respectives.

J’aimerais que vous expliquiez un peu plus — pour l’édification des sénateurs ici présents — comment les connaissances autochtones et le savoir traditionnel vous permettraient de mieux vous préparer. Mettons de côté les politiques du gouvernement fédéral. Dans quelle mesure seriez‑vous mieux préparés si vos propres connaissances et pratiques étaient mises à contribution en sus des mécanismes de soutien du gouvernement?

M. Pierrot : Bien honnêtement, il y a deux ans, comme je l’ai mentionné, j’ai perdu confiance dans le service des incendies du gouvernement des Territoires-du-Nord-Ouest, après le feu à Hay River, en 2023, lorsque le gouvernement a été vraiment lent à agir pour l’évacuation du hameau d’Enterprise et de la ville de Yellowknife. Au début de l’incendie, moi et les autres responsables de la communauté avons demandé aux membres de notre communauté d’évacuer Yellowknife. C’était quatre jours avant que le gouvernement ne donne son ordre d’évacuation.

Quelque chose m’a frappé en écoutant les nouvelles et en voyant le maire de Fort Smith en larmes qui suppliait les résidants de quitter la ville. On n’entend pas souvent les maires implorer les citoyens de quitter leur ville. Je me suis d’abord demandé où étaient les pompiers spécialistes des feux de forêt. Leur quartier général se trouve pourtant dans cette ville. Où étaient-ils? Pourquoi ont-ils abandonné les gens et laissé le maire supplier les citoyens d’évacuer les lieux? C’est à cet instant que ma confiance envers ces gens a été rompue et que j’ai décidé de prendre les choses en main.

Comme nous l’avons mentionné dans nos déclarations liminaires, nous avons demandé en 2023 à des pompiers du Yukon de venir aider à former des membres de notre communauté en collaboration avec nos quatre gardiens déjà en fonction. Nous avons formé 30 personnes et nous étions prêts pour 2024. Je suis heureux que cette formation ait été donnée parce que nous aurions été pris de court si nous ne l’avions pas reçue. Merci.

Le président : Chef Sewepagaham, avez-vous quelque chose à ajouter? Vous avez environ 45 secondes.

M. Sewepagaham : Mahsi’cho de nous avoir fait part des expériences que vous avez vécues. Je veux donner aux autres le plus de temps de parole possible parce qu’ils ont parcouru des distances très longues pour venir témoigner. À propos des connaissances autochtones que nous pouvons intégrer à notre lutte contre les incendies, la liste est longue. Comme le chef l’a mentionné, nous pouvons donner des instructions fondées sur notre observation des feux de cime. Nous pouvons noter les changements dans le sol de nos localités respectives. Puisque nous habitons sur la ligne de front, nous remarquons les changements à la minute près, y compris les modifications du microclimat. Voilà quelques-unes des contributions que nous pouvons apporter.

Une autre façon de contribuer, lorsque les commandants des interventions arrivent dans nos communautés et nous disent comment le feu va se comporter, est de dire à ces derniers qu’étant donné l’élévation des monts Caribou, les vents prendront une direction qui ne correspond pas à leurs prévisions ou à leur documentation.

Je donne cet exemple parce que cela se produit à tout coup lorsque le ministère analyse le comportement de feux complexes. Un collègue pensait que le feu allait se comporter de telle ou telle façon, mais nos gardiens du savoir, nos gardiens du feu et nos pompiers ont conclu que les choses allaient évoluer autrement en raison des souffleries causées par la morphologie de la montagne. Bon nombre de scientifiques et de collègues qui font de la recherche de haut niveau n’avaient pas mentionné ce facteur. Ce n’est pas sur l’ampleur des incendies que les recherches doivent porter, mais plutôt sur la vitesse de propagation à laquelle ils occasionnent le plus de destruction.

Le sénateur Richards : Merci de votre présence. J’ai deux questions assez brèves. Chef Pierrot, en combien de temps le feu a-t-il atteint son paroxysme? Initialement, ce n’était pas un feu de cime. En combien de temps a-t-il commencé à se propager dans les cimes? Les choses ont dû progresser assez rapidement.

M. Pierrot : J’ai reçu l’appel environ à 9 h 30. Le feu était déjà à son paroxysme probablement à 11 h 30.

Le sénateur Richards : Le feu s’est-il propagé plus rapidement que la normale? Je serais curieux de savoir quelle a été la vitesse de propagation de ce feu.

M. Pierrot : Oui. Le feu s’est propagé plus rapidement que la normale en raison des changements climatiques et de la sécheresse du sol. À ce degré de sécheresse, le feu peut produire ses propres conditions et son propre vent.

Le sénateur Richards : Une fois que l’incendie est devenu un feu de cime, il produit son propre vent. Il est complètement autosuffisant.

Chef Sewepagaham, j’ai demandé aux témoins du groupe précédent combien de réserves ou de nations des Premières Nations avaient leurs propres capacités de lutte contre les incendies, ce qui devrait être le cas pour chacune d’entre elles. Vous avez dit que les autorités vous ont exhorté à ne pas combattre le feu. C’est comme s’ils vous interdisaient de vous défendre dans votre propre maison.

Je trouve incompréhensible qu’ils vous aient interdit de combattre le feu.

M. Sewepagaham : Sénateur, comme notre collègue l’a mentionné, nous sommes habitués à être soumis à des interdictions, même si nous savons pertinemment que les choses se passeraient différemment si nous agissions.

Le sénateur Richards : Je suis heureux d’apprendre que vous êtes allés à l’encontre des instructions des autorités et que vous avez combattu le feu. Bravo.

M. Sewepagaham : Si nous n’avions pas combattu le feu pendant la nuit... Les Premières Nations ont toujours combattu les feux. En creusant dans le sol, surtout dans nos collectivités ou dans notre localité de John D’Or, il est souvent possible de voir des strates générées par les feux qui se produisent annuellement dans le cadre de brûlages culturels ou d’activités de gestion des feux. Si nous n’avions pas combattu le feu pendant la nuit en profitant d’une lacune dans les politiques du ministère, nous aurions perdu 41 maisons de plus.

Le sénateur Richards : Pensez-vous que les autorités ont compris et qu’elles vont réévaluer leurs façons de faire avec vous?

M. Sewepagaham : Je l’espère parce que nous nous sommes finalement résolus à embaucher une entreprise de drones avec laquelle nous avons établi un partenariat. Nous avons intégré les connaissances autochtones dans le système de gestion des feux par l’intelligence artificielle, Fire AI. De cette manière, la participation de nos gardiens du savoir à la lutte contre les incendies est permanente. Leur expertise technique et leurs connaissances locales ne se perdront pas. Nous avons des « aînés numériques » qui nous aident du haut des airs à combattre le feu au sol.

Le président : Chef Sewepagaham, chef Pierrot, monsieur Edgi, je vous remercie d’être venus témoigner aujourd’hui. Nous sommes désolés des contraintes de temps. Nous devons céder la place à un autre comité. Vos témoignages et vos observations nous seront très utiles. Les analystes de la Bibliothèque du Parlement ont pris en note vos interventions. Si vous souhaitez nous transmettre des informations supplémentaires, n’hésitez pas à les faire parvenir par écrit au greffier.

Je tiens à remercier les membres du comité. Votre participation active et vos questions approfondies et pertinentes font progresser notre étude.

J’aimerais aussi souligner les efforts que déploient le personnel de nos bureaux et l’équipe qui nous soutient, de même que les interprètes, les employés qui font la transcription des réunions, le préposé aux salles des comités, les techniciens en services multimédias, l’équipe de la radiodiffusion, le centre d’enregistrement, la Direction des services d’information ainsi que notre page pour la journée. Merci beaucoup. Nous ne pourrions accomplir notre travail à chaque réunion sans votre aide.

(La séance est levée.)

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