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AGFO - Comité permanent

Agriculture et forêts


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DE L’AGRICULTURE ET DES FORÊTS

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts se réunit aujourd’hui, à 9 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport le problème grandissant des feux de forêt au Canada et les effets que les feux de forêt ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture, ainsi que sur les communautés rurales et autochtones, à l’échelle du pays.

Le sénateur Robert Black (président) occupe le fauteuil.

[Traduction]

Le président : Bonjour à tous. Quel temps humide et gris il fait dehors.

Avant de commencer, j’aimerais vous rappeler les règles d’utilisation de nos écouteurs et de nos microphones. Veuillez prendre note des mesures de prévention en vigueur pour protéger la santé et la sécurité de tous nos participants, y compris nos interprètes et les gens qui s’occupent des transcriptions. Merci de votre collaboration.

Je commencerai par souhaiter la bienvenue aux membres du comité, à nos témoins et à ceux qui nous regardent sur le Web. Je tiens à saluer les gens qui se trouvent dans la salle aujourd’hui, en particulier deux personnes venues de Banff, la mairesse, Mme Corrie DiManno, et le directeur général, M. Kelly Gibson. C’est un plaisir de vous accueillir aujourd’hui.

Je m’appelle Rob Black. Je suis un sénateur de l’Ontario et je préside ce comité. Je vais demander aux sénateurs de se présenter.

La sénatrice Simons : Paula Simons, de l’Alberta. Je viens du territoire visé par le Traité no 6.

Le sénateur McNair : John McNair. Je viens du Nouveau-Brunswick. Soyez les bienvenus.

La sénatrice McBean : Bonjour. Marnie McBean, de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Oudar : Manuelle Oudar, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Burey : Bonjour. Sharon Burey, sénatrice de l’Ontario.

[Français]

La sénatrice Petitclerc : Chantal Petitclerc, du Québec.

[Traduction]

La sénatrice Sorensen : Karen Sorensen, de l’Alberta, parc national de Banff. Il s’agit du territoire visé par le Traité no 7.

Le sénateur Richards : Dave Richards, du Nouveau-Brunswick.

La sénatrice Muggli : Tracy Muggli, sénatrice de la Saskatchewan, du territoire visé par le Traité no 6 qui est aussi la terre ancestrale des Métis.

Le président : Aujourd’hui, le comité poursuit son étude sur le problème grandissant des feux de forêt au Canada et les effets qu’ils ont sur les industries de la foresterie et de l’agriculture. Nous avons deux groupes de témoins aujourd’hui. Dans le premier, nous accueillons, à titre personnel, Mme Jen Beverly, professeure agrégée, feux de végétation, Département des ressources renouvelables, Université de l’Alberta, et M. Mike Flannigan, de la chaire de recherche en innovation de la Colombie-Britannique pour les services prédictifs, la gestion des urgences et la science des incendies, Université Thompson Rivers, qui se joint à nous par vidéoconférence. En personne, nous accueillons également M. William J. de Groot, spécialiste en gestion des incendies à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Bienvenue à tous. Merci de votre présence.

Je vous cède la parole, madame Beverly.

Jen Beverly, professeure agrégée, feux de végétation, Département des ressources renouvelables, Université de l’Alberta, à titre personnel : Merci. Bonjour, mesdames les sénatrices et messieurs les sénateurs. Merci de me donner l’occasion de prendre la parole aujourd’hui. Je vis et je travaille sur les terres ancestrales des Premières Nations et des Métis du territoire visé par le Traité no 6.

Je suis professeure agrégée spécialisée dans les feux de végétation à l’Université de l’Alberta. J’ai aussi combattu des feux de végétation en tant que pompière et j’ai été chercheuse scientifique au gouvernement fédéral.

J’étudie les feux de forêt au Canada depuis les années 1990 et j’ai été témoin des changements profonds qui ont marqué leur activité, leurs répercussions et les récits qui les encadrent. J’ai publié la première étude sur les évacuations qu’ils provoquent à l’échelle nationale. Nous avons conclu à l’époque que peu de Canadiens étaient touchés directement. C’était en 2011. En moins de 15 ans, les choses ont changé de façon abrupte. L’an dernier, plus de Canadiens ont été évacués qu’au cours des trois décennies couvertes par mon étude.

Lorsqu’une seule saison de feux de forêt comme celle de 2023 touche plusieurs régions du pays qui varient selon le type de forêt, le degré de gestion et l’utilisation des terres, nous savons que des processus climatiques de grande envergure sont à l’œuvre. Aucune étude, aucun expert, ni aucun modèle n’avaient prédit l’augmentation subite de la superficie brûlée enregistrée l’an dernier, ce qui prouve que nous ne comprenons pas entièrement à l’heure actuelle les facteurs capables d’amplifier de la sorte l’activité des feux de forêt.

L’an dernier en Alberta, la foudre a causé de grands feux plutôt inhabituels au printemps. Ces changements soudains dans le régime des incendies nous amènent à revoir ce qui peut arriver dans un climat en plein réchauffement. Nous ne pouvons plus nous fier aux données du passé pour prévoir et préparer l’avenir.

Après un incendie destructeur, il peut sembler facile de déterminer les facteurs qui l’ont provoqué. Par une sorte de biais qu’on appelle le préjugé rétrospectif, on acquiert une fausse certitude quant à la capacité de prévoir et d’atténuer ces événements. Les prévisions météorologiques ne sont pas fiables au-delà d’une semaine environ. Même le jour où nous savons qu’un feu extrême est possible, nous ne pouvons pas prédire avec précision où la foudre va frapper ni dans quelle direction le vent va souffler, et nous ne savons pas si une agglomération ou une autre zone de valeur se trouvera sur la trajectoire de l’incendie.

Le territoire où ces événements aléatoires peuvent se produire est immense. Nous avons compté 149 millions d’hectares au Canada qui risquent de subir des incendies extrêmes. Pour vous donner une idée, c’est l’équivalent de la superficie entière de la province de Québec. Près de 65 millions de ces hectares se trouvent dans des zones d’exploitation à long terme. À titre de comparaison, nous récoltons des produits sur environ 1 % de cette superficie chaque année. Les solutions proposées, comme la gestion des combustibles, le brûlage culturel et dirigé, l’adaptation des pratiques de gestion des terres et des forêts, sont prometteuses et peuvent être efficaces en de nombreux endroits, mais pas partout.

Même en nous concentrant très précisément sur les terres occupées par les gens et en essayant de réduire les combustibles dangereux qui y posent des risques extrêmes, nous devrions appliquer le programme Intelli-feu sur environ quatre millions d’hectares, au coût d’environ 20 milliards de dollars, et encore là, nous n’aurions aucune garantie d’efficacité dans des conditions extrêmes.

Il n’y a pas de commune mesure entre l’ampleur du problème et l’échelle à laquelle des mesures d’atténuation peuvent être déployées. Même en prenant dès maintenant des mesures ciblées et énergiques, il faudra attendre des décennies pour en tirer des avantages généralisés. C’est grâce à des décennies de planification de mesures d’atténuation et de préparation qu’on a pu sauver une grande partie de la ville de Jasper, mais on n’a pas pu éviter pour autant le déplacement de résidants ni des pertes assurées de près de 1 milliard de dollars, sans parler des suppressions de dépenses.

Au mieux, l’atténuation sert de complément à l’intervention en cas d’incendie; elle ne la remplace pas. Des améliorations à l’intervention comme telle pourraient faire une différence en ce qui concerne les évacuations, les effets de la fumée et les dommages. Il s’agit notamment d’augmenter les ressources et les effectifs locaux de lutte contre les incendies, de soutenir des innovations opérationnelles comme les interventions de nuit, d’intensifier la prévention stratégique, la préparation à la détection et la planification des interventions, d’appuyer en particulier les décisions de triage pour que les ressources soient affectées aux incendies les plus menaçants et, enfin, de se préparer aux évacuations inévitables.

Les divers paysages et collectivités au Canada exigent autant de solutions diverses. La gestion des feux de forêt peut et devrait être très différente d’un endroit à l’autre, même à l’intérieur d’une zone de gestion donnée. Les efforts pour imposer de haut en bas des normes, des méthodes et des orientations nationales risquent d’échouer, surtout s’ils procèdent d’une volonté de statu quo. Ce qu’il faut, c’est du financement pour appuyer des processus de planification décentralisés qui favorisent l’innovation et l’action locales en fonction des besoins locaux. L’élimination des obstacles au financement pour les chercheurs comme moi, qui travaillent en étroite collaboration avec les collectivités pour mettre au point des outils simples, pratiques et prêts à l’usage immédiat, pourrait accélérer davantage les choses. Merci.

Le président : Merci. Monsieur Flannigan, c’est à vous. Vous avez la parole.

Mike Flannigan, chaire de recherche en innovation de la Colombie-Britannique pour les services prédictifs, la gestion des urgences et la science des incendies, Université Thompson Rivers, à titre personnel : Merci à vous, monsieur le président, ainsi qu’aux membres du comité, de m’avoir invité.

Je suis honoré de me joindre à vous aujourd’hui. Je me trouve à Kamloops, sur le territoire ancestral et non cédé du peuple Tk’emlúps te Secwepemc.

La gestion des incendies est difficile et le devient de plus en plus en raison de l’augmentation des feux de forêt au Canada. Trois pour cent des incendies rasent 97 % de la superficie touchée. Cela se produit bien souvent en un nombre relativement restreint de jours avec des combustibles desséchés dans des conditions extrêmes de temps chaud, sec et venteux.

Quatre pour cent des forêts du Canada ont brûlé au cours de la saison des incendies de 2023, qui a fracassé des records. Le réchauffement planétaire entraîne des conditions météorologiques plus extrêmes, qui favorisent des incendies plus extrêmes. Jusqu’ici en 2024, le Canada accumule des pertes catastrophiques de plus de 8 milliards de dollars, en comptant celles de l’incendie dévastateur de Jasper. Les dépenses du gouvernement fédéral au titre des Accords d’aide financière en cas de catastrophe ont augmenté, dont celles liées aux feux de forêt.

Que pouvons-nous faire pour mieux nous préparer aux futures saisons des feux? Le programme Intelli-feu doit être obligatoire dans les endroits à risque élevé, sinon les braises permanentes capables de se déplacer sur des kilomètres finiront par trouver des maisons ou des entreprises à brûler. En tandem avec des gicleurs de protection des structures, Intelli-feu peut réduire nos pertes en cas d’incendie de forêt.

Systèmes améliorés d’alerte précoce. Nous savons à quel moment les conditions météo vont devenir extrêmes, et nous avons une bonne idée des endroits où de nouveaux feux vont se déclarer. Nous devons affecter plus de ressources à ces endroits à l’avance et non après coup. Même quand les conditions sont extrêmes, une première attaque vigoureuse peut venir à bout d’un feu qui est encore de faible ampleur.

Une solution à explorer serait de constituer une force nationale à déploiement rapide qui travaillerait main dans la main avec les organismes de gestion des incendies en place. Elle pourrait comprendre une flotte aérienne nationale ainsi que des équipes au sol. Au lieu de copier ce que d’autres pays font déjà en matière de gestion des urgences, nous pourrions être des chefs de file en agissant avant que la catastrophe ne frappe. Nous avons besoin d’une agence comme la FEMA américaine au Canada pour faire face à des catastrophes comme les feux de forêt.

Prévention et atténuation. Les incendies d’origine humaine sont évitables. Leur nombre a diminué au Canada grâce à des mesures comme l’interdiction de faire des feux et les campagnes de sensibilisation. La gestion de la végétation et des combustibles autour des collectivités peut aider à réduire les risques d’incendie dévastateur. Comme d’autres catastrophes possibles, les feux de forêt sont des problèmes à facettes multiples qui appellent une solution à plusieurs volets. Il n’y a pas de solution miracle. C’est notre nouvelle réalité. Nous devons apprendre à vivre avec le feu.

Les défis sont nombreux, mais nous devrions explorer des options pour mieux nous préparer aux feux de forêt extrêmes d’aujourd’hui et de demain. Le Canada possède les connaissances et les compétences nécessaires pour être un chef de file mondial dans ce domaine. Merci.

Le président : Merci, monsieur Flannigan. Pour être franc, nous avons perdu votre signal pendant environ 15 secondes plus tôt. Heureusement, vous nous aviez envoyé les transcriptions au préalable. Merci.

Nous passons maintenant à M. de Groot.

William J. de Groot, spécialiste en gestion des incendies, Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture : Bonjour à vous, monsieur le président, ainsi qu’aux membres du comité. Je vous remercie d’avoir invité l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, ou la FAO, et le Pôle mondial de gestion des incendies à prendre la parole dans le cadre de votre étude sur les feux de forêt au Canada. C’est un honneur d’être ici.

Je vous présente mon exposé aujourd’hui au nom de la FAO et du Pôle mondial grâce à la contribution de mes collègues de la FAO, Mme Lara Steil et M. Peter Moore. Je connais bien la situation des incendies au Canada, puisque j’ai travaillé comme spécialiste des incendies au Service canadien des forêts de Ressources naturelles Canada pendant 35 ans. Avant cela, j’ai travaillé pendant six ans comme pompier dans le Nord de l’Ontario.

Nous espérons que la participation de la FAO aujourd’hui pourra mettre en perspective l’expérience du Canada dans le contexte de la menace croissante des feux de végétation dans le monde.

Chaque année, environ 1,1 million d’incendies rasent environ 400 millions d’hectares de végétation sur la planète. La plus grande partie des terres brûlées est composée de prairies, de zones arbustives et de savanes, mais la part des forêts peut aller chaque année jusqu’à 70 millions d’hectares.

Au Canada, selon des statistiques qui datent d’avant 2023, environ 8 000 incendies brûlent environ 2,5 millions d’hectares de forêt.

Le Canada abrite environ 10 % des forêts de la planète et subit 3,5 % des feux de forêt. Si avantageuse qu’elle soit, cette statistique ne nous met pas à l’abri, comme nous le constatons, de la menace grandissante des feux de forêt dans le monde.

Comme bien d’autres pays exposés aux incendies, le Canada a connu de nombreuses catastrophes causées par les feux de forêt au cours des deux dernières décennies.

Le régime des incendies au Canada pose de sérieuses difficultés en raison de ses grands feux de cime à haute intensité, qu’on retrouve aussi dans d’autres régions du monde.

Le Canada réussit très bien à éteindre les incendies, de sorte que seul un faible pourcentage d’entre eux échappent à l’attaque initiale et menacent des valeurs exposées. Il est difficile d’améliorer ce bilan de réussite parce que la plupart des incendies de forêt qui échappent à tout contrôle le font dans des conditions extrêmes de météo et de combustibles, qui dépassent les limites de la capacité d’extinction.

Comme dans bien d’autres pays, ce seuil de maîtrise des incendies est souvent dépassé chaque année au Canada. Pour cette raison, nous ne serons jamais en mesure de maîtriser tous les feux, peu importe les moyens de suppression dont nous disposerons.

Quelle est la solution à ce problème mondial grandissant? La première étape consiste à accepter que nous vivons maintenant dans un monde où les risques de feux de forêt sont plus élevés, notamment à cause des changements climatiques causés par les humains et des changements dans l’utilisation des terres. Nous n’avons d’autre choix que d’apprendre à vivre avec le feu.

Partout dans le monde, des pays adoptent la gestion intégrée des incendies, une approche holistique qui combine la prévention, la préparation, l’extinction et le rétablissement avec des considérations écologiques et sociales.

Par exemple, dans des pays comme l’Australie, le Brésil, l’Espagne et le Portugal, la participation de la collectivité et les programmes de brûlage dirigé s’avèrent efficaces pour réduire les charges de combustibles et les feux de forêt de grande envergure. Les principales leçons qu’on en tire comprennent l’investissement dans des mesures de prévention comme la réduction des combustibles dangereux, la promotion de collectivités résilientes face aux incendies et l’intégration du savoir ancestral, en particulier celui des peuples autochtones qui utilisent le feu depuis longtemps comme outil de gestion durable de l’environnement.

Pour s’adapter à l’évolution des régimes d’incendies, les programmes de gestion actuels, jusqu’ici axés sur l’extinction des feux, doivent maintenant viser en priorité une réduction globale des risques, la construction d’infrastructures résistantes aux incendies et une meilleure gestion du paysage, en mettant l’accent sur la prévention, l’alerte précoce, la préparation et la participation du public.

La coopération internationale jouera aussi un rôle essentiel dans la lutte contre la crise mondiale des feux de forêt. Le Canada a une longue et riche histoire dans la communauté mondiale des pompiers, qui remonte aux collaborations internationales du Service fédéral de sylviculture il y a un siècle. C’est pour cette raison qu’on le considère comme un chef de file dans l’étude et la gestion des feux de forêt.

Aujourd’hui, le Canada appuie déjà fermement le Pôle mondial de gestion des incendies, qui rassemble la communauté mondiale des pompiers, aide les pays à appliquer une gestion intégrée des incendies et facilite l’échange international de connaissances, de données et de savoir-faire en la matière.

Le Pôle mondial aidera les pays du monde entier à s’éloigner des programmes de suppression des incendies pour aller vers d’autres axés sur la prévention, l’atténuation des risques, l’alerte précoce et la résilience. Merci.

Le président : Merci à nos témoins. Nous allons passer aux questions des membres du comité.

Honorables sénateurs et sénatrices, vous avez cinq minutes chacun et chacune pour poser vos questions et entendre les réponses.

La sénatrice Simons : Madame Beverly, vous soulevez un point intéressant. Nous avons entendu parler du feu de forêt de Jasper, parce qu’il touchait la ville de Jasper, qui est connue et aimée de tout le monde au Canada.

Nous avons entendu parler un peu moins de l’incendie de la nation crie de Little Red River, mais il a quand même fait les manchettes parce qu’il a fallu évacuer des gens.

Ce dont nous n’entendons pas parler, ce sont les incendies qui font rage dans le Grand Nord et qui ne menacent pas l’habitation humaine, mais qui n’en libèrent pas moins toutes sortes de matières carboniques dans l’atmosphère.

Pouvez-vous nous donner une idée du pourcentage de feux de forêt en Alberta — pas de façon détaillée, mais en général — qui échappent à tout contrôle et qu’on laisse aller parce qu’ils ne touchent pas directement les êtres humains?

Mme Beverly : Plus précisément en Alberta, qui a une politique d’exclusion des incendies dans toute la province. Il y a toujours des situations où, par exemple, si les ressources sont limitées, on doit faire du triage. Certains feux sont alors sélectionnés pour une intervention limitée, voire nulle dans certains cas. C’est principalement dû à un manque de ressources.

Il y a eu des zones écologiques dans le passé, mais il n’y en a plus du tout maintenant. On tente d’éteindre l’incendie ou de l’évaluer, et on peut décider de le laisser brûler. Il n’est pas possible de calculer cela comme un pourcentage. Cela varie d’une année à l’autre selon les circonstances.

La sénatrice Simons : Il y en a un bon nombre?

Mme Beverly : En Alberta, moins que, par exemple, dans les Territoires du Nord-Ouest. Il y a beaucoup d’activité industrielle dans tout le Nord de l’Alberta. Il y a des camps, établis par des entreprises pétrolières, gazières et forestières. Même s’il n’y a pas de collectivités proprement dites ou de régions peuplées, il y a quand même des gens et des ressources. Il y a des efforts de suppression des feux dans toute la province.

Il existe des zones désignées. Sur le versant est des Rocheuses, par exemple, il y a des zones désignées où un plan de gestion différent est en vigueur pour permettre un scénario de « laisser brûler » ou d’incendie dirigé. On pratique la suppression dans une bonne partie de l’Alberta en raison de l’activité dans le Nord.

La sénatrice Simons : Voilà qui soulève une question intéressante.

Nous consacrons beaucoup de ressources à stopper des feux qui pourraient tuer et détruire des noyaux d’habitation, pas seulement en Alberta et dans les Territoires du Nord-Ouest, mais aussi dans le Nord du Québec et de l’Ontario. Il y a toutes sortes d’endroits où on ne peut pas aller sans encourir des coûts et des risques extraordinaires pour un faible rendement économique.

Je vais demander à M. de Groot. À votre avis, que devrions‑nous faire devant des incendies qui sont hors de contrôle, qui ne peuvent pas être combattus de façon réaliste par nos méthodes classiques, mais qui causent quand même des ravages? Les incendies de l’an dernier au Canada ont émis tellement de carbone dans l’atmosphère qu’ils ont éclipsé tous les efforts que nous faisions pour lutter contre les gaz à effet de serre dans d’autres régions.

M. de Groot : Je comprends le problème que vous décrivez. Je le visualise de la manière suivante : nous avons des îlots de grande valeur qui sont en péril, qui flottent dans une mer de combustible et qui, de temps à autre, deviennent hautement inflammables. Le problème est de savoir comment les protéger.

Vous avez raison, dans le Nord, on observe beaucoup d’incendies. Cela ne veut pas dire qu’on ne les gère pas; on les surveille. Quand ils se rapprochent d’endroits où il y a des gens, des collectivités, c’est certain qu’on prend des mesures.

Cependant, il y en a beaucoup en observation. C’est qu’il coûte très cher de combattre un incendie, comme vous l’avez dit. On peut le faire là-haut, mais cela n’a aucun sens parce que c’est la nature qui suit son cours. Nous ne pouvons pas éliminer entièrement le feu. En fait, il est bon d’en avoir dans le paysage parce qu’il brise la chaîne du combustible. Il y a de nombreux avantages à le laisser brûler sous surveillance.

La sénatrice Sorensen : Merci à tous d’être ici avec nous aujourd’hui. Madame Beverly, je vais commencer par vous. Vous avez dit dans une évaluation récente des feux de forêt de 2023 en Alberta — et nous vous avons entendue le dire aujourd’hui — que l’expansion de la superficie brûlée cette année-là ne concordait pas avec le bilan historique des années de feux extrêmes dans notre province, et qu’aucune étude, aucun expert, ni aucun modèle antérieurs ne l’avait prédite. Vous avez dit aussi que les dossiers opérationnels et la cartographie des incendies — la discussion sur la cartographie m’intéresse beaucoup — sont désuets, je suppose, parce que les paysages et les cours d’eau ont changé.

Tout d’abord, j’ai trouvé que les témoignages d’aujourd’hui donnent à tout le moins à réfléchir, mais qu’ils font aussi très peur. Si vous pouviez nous en dire un peu plus sur la préparation et la façon de savoir ce qui s’en vient, je vous en serais reconnaissante, mais vous n’avez pas l’air très optimiste.

Mme Beverly : Dans mon travail en évaluation des risques, il y a des années, j’utilisais ce qu’on appelait des « modèles probabilistes ». Nous essayions de modéliser les incendies selon des méthodes compliquées, en incluant la météo, les allumages et tout le reste, et nous avons découvert que ces prédictions probabilistes ne concordaient pas très bien avec ce qui s’était passé. En raison de l’incertitude, du caractère stochastique et aléatoire de ces événements, je ne peux pas vous dire quel temps il fera le 15 juillet prochain ni dans quelle direction le vent soufflera à n’importe quel moment au pays. C’est très difficile de prédire longtemps d’avance.

Comment s’y préparer? On passe du champ des prédictions au champ des possibles. Les modèles que j’ai élaborés ces dernières années, et les outils que nous mettons au point pour les collectivités et les organismes, visent tous des scénarios hypothétiques, dans le champ des possibles. Si vous vous fondez sur des données antérieures, l’an dernier, il y a eu des incendies en périphérie de Halifax. Si vous vous fondez sur des données historiques et sur les probabilités, vous vous dites que ce n’est pas très probable, mais ce n’est pas utile pour se préparer. Cela peut arriver. C’est possible dans de nombreux endroits où il n’y a pas eu d’incendie au cours des dernières années. De nombreuses collectivités ne se sentent peut-être pas menacées parce qu’il n’y a pas eu d’incendie dans l’Ouest canadien, par exemple, mais c’est possible.

Il s’agit de se préparer en fonction de divers scénarios. Passer en revue des scénarios hypothétiques peut révéler des points vulnérables qui n’étaient peut-être pas évidents, et vous pouvez dès lors vous en occuper.

La sénatrice Sorensen : Merci beaucoup. Monsieur Flannigan, ma question est pour vous. Vous avez dit que le Canada pourrait être un chef de file mondial en matière de prévention et d’atténuation des feux de forêt. J’aimerais que vous nous en disiez davantage à ce sujet. Vous en avez parlé un peu. Nous sommes toujours intéressés à savoir quelles mesures les différents ordres de gouvernement peuvent prendre pour y arriver. Vous avez mentionné d’autres pays et le fait que nous pouvons être un chef de file, mais est-ce qu’il y a des pratiques dans d’autres pays que nous devrions envisager aussi pour le Canada?

M. Flannigan : Oui. Je vous remercie de la question. Cette année, l’Alberta et la Colombie-Britannique ont eu la précaution de commander des ressources supplémentaires parce qu’elles ont vu venir une semaine à l’avance des feux extrêmes. C’est très bien. La Californie a une force de réaction rapide, mais elle reste réactive, alors que nous pouvons être proactifs. En fait, nous connaissons assez bien la météo la plupart du temps, de 7 à 10 jours à l’avance. Nous savons d’où vient le mauvais temps extrême. Nous avons des modèles de courants de feu, bien qu’ils nécessitent davantage de recherche. Le Canada a été longtemps un chef de file en matière d’incendies, et nous augmentons maintenant les dépenses de recherche dans ce domaine pour le redevenir.

La sénatrice Sorensen : Très rapidement, si vous prenez les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux, tout le monde doit faire ce qu’il peut. Selon certains de nos invités, il revient souvent aux municipalités de faire ce qu’elles peuvent pour prévenir le pire et s’y préparer. Parlez-nous de tous les ordres de gouvernement.

M. Flannigan : La gouvernance est un problème, absolument. La gestion des incendies est la responsabilité d’un propriétaire foncier. Il s’agit parfois de la province, parfois du territoire et parfois des municipalités. Ils doivent travailler ensemble, main dans la main. Sinon, nous aurons des problèmes. Nous en avons déjà parfois, souvent faute de communication et de commandement unifié. Ce sont des mots qui reviennent tout le temps, et c’est là souvent qu’il y a des problèmes. Ce sont des sujets sur lesquels nous devons encore travailler, à ce jour, en 2024.

La sénatrice Sorensen : Merci.

Le sénateur Richards : Merci de votre présence. Chers témoins, je vais faire un autre tour de table, parce que j’ai probablement le même genre de questions que tout le monde. Comment faire pour atténuer ce problème? Si héroïques que soient nos pompiers, les interventions se font à la pièce parce que nous ne sommes pas en mesure de prédire l’événement, comme Mme Beverly vient de le dire.

Comment notre structure nationale de gestion des incendies fonctionnerait-elle et dans quelle mesure serait-elle efficace s’il y avait un commandement central? Vous en avez parlé, monsieur Flannigan, alors l’un ou l’autre d’entre vous pourrait peut-être se prononcer là-dessus.

M. Flannigan : Je vais commencer si vous voulez. C’est une idée à explorer. À l’heure actuelle, le Canada n’a pas d’organisme fédéral de gestion des urgences. Nous avons de petites sections comme la Deuxième Force opérationnelle interarmées, la FOI 2, qui intervient rapidement, mais encore là, c’est réactif, pas proactif. Si nous avons un groupe national de pompiers qui sont bien formés et qu’on peut déployer rapidement, et que nous les déplaçons à l’avance vers ces endroits pour travailler avec les municipalités, les collectivités, les organismes de gestion des incendies et les provinces, nous pouvons être mieux préparés. Est-ce que cela va régler tous nos problèmes? Absolument pas, mais si cela empêche un seul feu comme ceux de Lytton, de Fort McMurray, de Slave Lake, de Jasper, de Barrington Lake... La liste est interminable et elle continuera de s’étirer jusqu’à ce que nous réglions la question.

Mme Beverly : Une de mes recommandations est d’augmenter les ressources et les effectifs locaux de lutte contre les incendies. Les organismes qui en sont responsables actuellement sont les mieux placés pour vous dire ce qu’il faut améliorer. Aucun de ceux avec lesquels j’interagis n’est venu me dire qu’il avait besoin d’un organisme national pour intervenir à sa place. Ce qu’on nous dit, c’est qu’on a besoin de plus de ressources sur place.

Quand on parle de la stratégie d’attaque initiale, c’est de l’intervention immédiate. Mais quand les services d’incendie sont débordés, que leurs ressources locales sont débordées, alors les feux se propagent, et vous faites venir des gens de l’étranger et d’autres régions du pays pour vous aider, mais la partie est déjà perdue. Je préconise plutôt une expansion locale des ressources et la consultation des organismes responsables.

Le sénateur Richards : Merci beaucoup.

La sénatrice Muggli : Bonjour à tous. Merci de vous être joints à nous aujourd’hui. Je ne sais pas qui pourrait répondre à cette question. Je vais commencer par vous, madame Beverly. C’est à propos du triage et de la communication.

Je me demande si nous avons une capacité suffisante d’accès aux réseaux cellulaires pour assurer une communication sans faille lors d’un feu de forêt. Si ce n’est pas le cas, y a-t-il des domaines auxquels nous devrions accorder la priorité pour obtenir cette capacité?

Mme Beverly : C’est une très bonne question. J’ai un étudiant à la maîtrise qui étudie cela pour l’Alberta. Il étudie la vulnérabilité du réseau de communication et cherche également à recouper ce réseau avec le réseau routier où les gens pourraient se déplacer lors d’une évacuation afin de relever les lacunes dans l’infrastructure de communication ainsi que les menaces qui pèsent sur les tours de téléphonie cellulaire, qui peuvent interrompre les communications. Il y a un manque de redondance dans ces tours à certains endroits. Il est donc en train d’élaborer un moyen d’évaluer cette vulnérabilité afin de déterminer les endroits où nous pourrions ajouter de nouvelles tours, par exemple, et de mieux comprendre où se situent les lacunes en matière de communication.

Nous sommes en train de terminer cette étude. Cela pourrait se faire à l’échelle nationale. Nous pouvons déterminer à l’avance où se situent ces lacunes et examiner les moyens de gérer cette vulnérabilité.

La sénatrice Muggli : J’ai hâte de voir le travail de vos étudiants. Merci.

[Français]

La sénatrice Oudar : Ma question s’adresse à M. de Groot. D’abord, merci aux trois témoins. Vous avez tous des témoignages vraiment intéressants qui éclairent les réflexions du comité.

Je voulais vous entendre sur le Pôle mondial de gestion des incendies. Vous avez parlé tout à l’heure de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, la FAO, et du fait que la FAO a créé ce pôle mondial en 2023. J’aimerais justement vous entendre sur le rôle du Canada au sein de ce pôle. Avez-vous des recommandations à nous faire, plus particulièrement sur l’intervention des Premières Nations? Nous avons entendu d’autres groupes au sein du comité. J’ai été très surprise d’entendre notamment que certaines Premières Nations étaient freinées dans les interventions qu’elles souhaitaient faire et qu’elles étaient peut-être moins sollicitées. J’aimerais vous entendre sur le rôle que le Canada pourrait jouer au sein de ce pôle mondial. Quelles recommandations avez-vous à nous faire? Qu’est-ce que vous avez à nous dire à ce sujet?

[Traduction]

M. de Groot : Je vous remercie de la question. Elle est excellente.

Le Pôle mondial de gestion des incendies est une initiative des Nations unies menée par la FAO, le Programme des Nations unies pour l’environnement et le Bureau des Nations unies pour la réduction des risques de catastrophe. L’objectif du pôle est de rassembler la communauté mondiale des pompiers et de les mettre en relation. L’objectif est de réduire les effets négatifs des feux de forêt sur les moyens de subsistance, les paysages et le climat mondial.

Le pôle s’efforce d’atteindre cet objectif en soutenant le partage international gratuit des connaissances, de l’expertise en matière de lutte contre les incendies et des données. Il aide également les pays à renforcer leurs capacités en matière de gestion intégrée des incendies.

La gestion intégrée des incendies est une approche globale de la gestion des incendies. Il ne s’agit pas seulement de pompes et de tuyaux. Cette approche comprend également l’aspect humain, comme le feu social et culturel, ainsi que le rôle écologique du feu. Elle essaie de composer avec cela, de trouver des moyens de traiter le problème en mettant l’écologie du feu de votre côté, en fait.

Un sujet important qui revient constamment est l’utilisation traditionnelle du feu, les peuples autochtones et les connaissances qu’ils ont acquises au fil des siècles sur la manière d’utiliser le feu pour des raisons culturelles, mais aussi pour se protéger. Il y a beaucoup à apprendre dans ce domaine. La base de connaissances y est très riche.

Je devrais probablement répondre à la première partie de votre question, qui concerne le rôle du Canada dans le pôle. Je peux dire que le Canada soutient fortement le pôle, tant sur le plan financier que sur celui de l’expertise. J’ai discuté avec la FAO et les représentants du Canada, et ils s’intéressent vivement aux questions autochtones et à leur place dans la gestion intégrée des incendies. C’est un sujet important.

La première réunion du comité du groupe directeur du Pôle de gestion des incendies aura lieu dans quelques mois. C’est là qu’ils établiront le cadre de la feuille de route à venir. Je sais que le Canada s’intéresse de près à cette question, en particulier à la participation des populations autochtones dans la gestion des incendies. Je sais que cette question est à l’ordre du jour des discussions sur le pôle. Je ne peux pas en dire plus pour l’instant, car ils ne se sont pas encore réunis.

Vous avez mis le doigt sur ce qui sera un aspect essentiel et une priorité pour le pôle et pour le Canada.

Le président : Merci.

La sénatrice McBean : Merci à tous. J’ai l’impression qu’en avançant dans cette étude, on nous présente une équipe d’intervention nationale et une équipe d’intervention locale.

Madame Beverly, comment la recherche universitaire sur les feux de forêt pourrait-elle être mieux intégrée dans la politique et la prise de décisions au niveau communautaire, mais aussi dans le soutien? Il s’agit presque des trois niveaux. Nous avons entendu parler de communautés locales, comme l’a dit la sénatrice Oudar, comme dans le cas de la nation crie de Little Red River où les communautés autochtones… En fait, les responsables de l’intervention fédérale sont venus sur place et ont dit à la communauté de s’asseoir et d’attendre. Comment l’intervention universitaire peut-elle être offerte aux trois niveaux?

Mme Beverly : C’est une très bonne question.

L’une des choses que j’ai constatées en travaillant avec les communautés et les organismes, c’est qu’il n’y a pas beaucoup de planification intégrée, et je pense que c’est dû à un manque de capacité.

Par exemple, j’ai travaillé directement avec une douzaine de communautés de l’ouest du Canada, en examinant leurs stratégies d’atténuation. Ce processus de planification communautaire inclut aussi, dans une certaine mesure, les organismes provinciaux. Cela varie d’une communauté à l’autre, en fonction des personnes qui défendent ces activités. C’est ce que nous avons constaté.

Des gens du secteur pétrolier et gazier m’abordent aussi. Les communautés des Premières Nations me demandent d’effectuer le même type de planification de l’atténuation et de la préparation pour d’autres valeurs du paysage, comme l’industrie forestière. Elles viennent une par une. Nous n’avons pas ce type d’intégration.

Si nous disposions d’un soutien pour les coordonnateurs afin d’appuyer ce genre de planification régionale intégrée de toutes les parties touchées par les incendies sur l’ensemble du territoire, cela mènerait à des innovations et à des pratiques exemplaires pour éclairer les politiques sur la façon de mieux intégrer les services.

La sénatrice McBean : C’est comme l’expression mener un cheval à… Je ne veux pas dire « à la rivière » dans une étude sur les feux de forêt. Vous avez toute cette information au niveau communautaire et national; si une réponse nationale ou internationale devait être présente, il faudrait que tout le monde soit sur la même longueur d’onde…

Mme Beverly : C’est cela. Je suis une fervente partisane de ce que j’ai vu. Il y a beaucoup d’innovation, de pratiques exemplaires et d’idées nouvelles qui viennent de la base. Tout est personnalisé. Chaque communauté et chaque paysage sont tellement différents. C’est là que l’on peut potentiellement trouver des solutions à partir de ce processus ascendant et les partager plutôt que d’essayer d’avoir une approche nationale descendante.

Je vois la possibilité à l’échelle locale de trouver des solutions et de les partager plus largement, ce qui est un modèle différent. Il s’agit de soutenir cette planification locale.

La sénatrice McBean : Monsieur Flannigan ou monsieur de Groot, avez-vous quelque chose à ajouter?

M. Flannigan : Je peux dire que 75 % des Canadiens sont favorables à une force nationale de lutte contre les incendies. Pour que cela fonctionne, il faut collaborer avec les provinces, les territoires et les municipalités. C’est à ce niveau-là que nous avons besoin d’efforts, d’un processus. Oui, chaque communauté est différente, mais il devrait y avoir un processus qui permette aux organismes, à l’organisme national s’il y en a un, et à la communauté locale de travailler ensemble main dans la main.

La sénatrice McBean : Merci.

M. de Groot : Je suis d’accord.

Nous n’avons pas de force nationale de lutte contre les incendies au Canada à l’heure actuelle. Comme l’a dit M. Flannigan, la protection des forêts relève du mandat du propriétaire foncier. Dans le passé, il y a environ 40 ans, nous avions une flotte nationale d’avions-citernes, qui a ensuite été absorbée par les provinces. En raison de la situation actuelle, la crise ne cesse de s’aggraver. Nous devons examiner toutes les options. C’est certainement un aspect qu’il faut examiner.

À titre d’autre exemple, en 2023, 12 pays sont venus en aide au Canada. Cela s’est produit grâce à l’engagement international du Canada sur le long terme. C’est pourquoi ces pays sont venus nous aider. Il est payant de s’impliquer au niveau international.

L’interopérabilité, c’est-à-dire la capacité à travailler ensemble, à disposer de personnes ayant la même formation, d’équipements similaires et à les faire fonctionner ensemble, est l’un des éléments qui en sont ressortis.

Je vois que mon temps est écoulé.

Le président : Merci.

La sénatrice Burey : Ne vous inquiétez pas, car nous allons continuer sur le même sujet et vous aurez l’occasion de le développer.

Tout d’abord, je vous remercie d’être venus et d’avoir partagé votre expertise, à la fois virtuellement et en personne. Nous avons beaucoup appris. Nous avons entendu le point de vue de la communauté autochtone, des Premières Nations et le fait qu’on leur interdit de lutter contre les feux en utilisant des méthodes traditionnelles éprouvées et leur expertise. Je vous en remercie infiniment. Des pompiers urbains nous ont dit à quel point il est difficile de faire la jonction entre les feux de forêt et les régions urbaines en raison d’un manque de coordination.

Au cours de toutes ces discussions, nous avons entendu le même argument : créons un organisme équivalent au FEMA. Je suis d’accord avec vous — je viens du secteur des soins de santé —, nous ne voulons pas d’une approche descendante. Vous avez dressé un tableau de l’urgence; la situation ne va pas s’améliorer, et nous devons donc adopter d’autres modes de pensée. Ce n’est pas l’un ou l’autre.

Je pense que le comité sénatorial fait un excellent travail pour nous aider à faire avancer les choses. Cela ne signifie pas qu’une approche descendante et une approche ascendante s’excluent mutuellement.

Je m’interroge sur vos idées. Monsieur de Groot, vous avez dit que nous vivions une époque nouvelle. Il y a tellement de choses qui doivent être intégrées.

J’essaie simplement de vous demander de préciser ce que vous n’avez pas eu l’occasion de terminer.

M. de Groot : Le fait que 12 pays soient venus au Canada pour nous aider pendant la crise est sans précédent. Nous sommes le premier pays à accueillir autant de personnes venues de loin pour travailler ensemble. La communauté internationale se pose beaucoup de questions. Comment cela a-t-il fonctionné? Quelles leçons pouvons-nous en tirer? C’est un premier pas dans cette direction.

L’autre question que vous avez soulevée — et j’ai été surpris d’entendre que les peuples autochtones ne sont pas autorisés à lutter contre les incendies. C’est vraiment confier à la communauté le soin de protéger les siens. C’est un moyen local, dans le Nord, où ils sont isolés. Ils peuvent fournir leurs propres services.

Il y a une autre chose à considérer. Lorsque des feux de forêt touchent une communauté, il y a deux types de pompiers. Il y a des pompiers qui luttent contre les feux de forêt et des pompiers urbains qui luttent contre les feux d’immeuble, et les deux ne devraient pas être mélangés. On n’enverrait jamais un pompier forestier dans une maison en feu. Il ne faut pas les mélanger.

Il y a une certaine formation polyvalente, mais ce qui fonctionne vraiment bien, ce sont les pompiers en milieu sauvage qui s’occupent de l’incendie avant qu’il atteigne la communauté, et c’est alors la communauté qui intervient. Ils comptent sur des experts sur la manière de protéger les maisons et ainsi de suite. C’est ce qui s’est produit dans certains cas. C’est une bonne façon de combiner les deux, mais il faut toujours qu’il y ait un commandement et un contrôle unifiés. C’est ce dont nous avons vraiment besoin.

C’est possible, mais nous devons trouver un moyen de le faire.

Mme Beverly : Un commandement unifié et le système de commandement des incidents, ainsi que le plan pour un commandement unifié peuvent être élaborés avant tout incendie. Cela peut se faire entre les multiples organismes qui, nous le savons, seront concernés. Je ne vois pas d’obstacle à l’heure actuelle à un commandement unifié, pour autant que des efforts soient déployés en ce sens à l’avance.

Lorsqu’il s’agit de déplacer des équipes et de disposer d’une réserve nationale de ressources, en tant que pompière, j’ai été envoyée un peu partout. J’ai combattu le feu au Montana, en Oregon, au Yukon, en Alberta et en Ontario. Il faut beaucoup de temps pour déplacer ces ressources un peu partout. Si les organismes provinciaux avaient un plus grand nombre d’équipes, d’hélicoptères et d’avions-citernes dans leur province, elles pourraient intervenir plus rapidement.

La sénatrice Burey : Merci.

La sénatrice Petitclerc : Je remercie nos témoins. Vos réponses sont très utiles.

J’ai une question à poser à M. Flannigan. Vous avez mentionné à plusieurs reprises le fait d’être proactif et non réactif, et que nous sommes trop réactifs et pas assez proactifs. Pourquoi? Quels sont les types d’obstacles à surmonter pour être plus proactifs? Il me semble logique que nous voulions prévoir et être proactifs. Quels sont les obstacles et quels seraient les éléments clés pour améliorer notre proactivité?

M. Flannigan : La gestion des urgences comporte quatre phases : la prévention, l’atténuation, la préparation, l’intervention et le rétablissement. Au Canada, notre intervention en réponse aux feux est excellente. Pour ce qui est de la préparation, nous avons encore du travail à faire. En ce qui concerne la prévention et l’atténuation, nous devons faire beaucoup plus d’efforts, car plus nous dépensons d’argent pour la prévention et l’atténuation, plus nous économisons de l’argent en fin de compte.

Nous devrions envisager d’utiliser des systèmes d’alerte précoce renforcés. Nous le faisons tous déjà, mais grâce à l’apprentissage automatique et à d’autres techniques plus récentes, nous pouvons mieux prévoir où se produiront les phénomènes météorologiques extrêmes, même localisés, et savoir où il faut s’attendre à de nouvelles mises à feu causées par la foudre et par l’homme.

Les incendies d’origine humaine peuvent être évités. Nous avons recours à des interdictions de feu, mais pas assez à l’interdiction de l’accès à la forêt. En 2023, la Nouvelle-Écosse a interdit l’accès à la forêt, mais le feu avait déjà commencé. C’est la même chose pour l’Alberta; ils ont fermé certains parcs, mais la province était déjà en feu. Nous devons le faire plus tôt.

Les interdictions d’accès aux forêts sont très impopulaires, mais très efficaces pour stopper les incendies d’origine humaine.

Les incendies provoqués par la foudre posent un problème, car les activités de gestion des incendies peuvent être débordées lorsque 100 nouveaux incendies se déclarent en 24 heures. Certains de ces incendies doivent faire l’objet d’un triage. Nous devons combattre ceux qui sont les plus proches des communautés et nous surveillons ceux qui se trouvent dans les régions éloignées.

La sénatrice Petitclerc : Il me reste un peu de temps, alors je vais peut-être aller un peu plus loin. Peut-être pourrais-je obtenir une réponse de votre part, madame Beverly, mais sommes-nous efficaces pour ce qui est de veiller à ce que la recherche universitaire se répercute sur le terrain et se traduise par des actions?

M. Flannigan : La collaboration avec les organismes de gestion des incendies, qu’ils soient locaux, provinciaux ou territoriaux, et avec le chercheur est la meilleure façon de procéder. Nous pouvons faire de la recherche et la laisser sur une étagère sans qu’elle soit utile, mais en collaborant avec les personnes qui luttent réellement contre les incendies, nous travaillons en tandem pour fournir de nouveaux produits qui aident à lutter…

La sénatrice Petitclerc : En fait, ce que je demande, c’est si nous sommes bons dans ce domaine. Faisons-nous les choses correctement?

M. Flannigan : C’est ponctuel. Certains chercheurs sont excellents et d’autres sont plutôt dans une tour d’ivoire, si je peux m’exprimer ainsi; ils font d’excellentes recherches, mais ne travaillent pas avec les organismes de gestion des incendies.

La sénatrice Petitclerc : Pouvez-vous ajouter quelque chose à ce sujet, le transfert de la recherche sur le terrain?

Mme Beverly : Bien sûr.

Nous développons, par exemple, un outil sous la forme d’un article de recherche scientifique que j’ai publié en 2010. Il a fallu environ 14 ans pour le rendre accessible aux utilisateurs. Il n’a pu être réalisé que grâce au temps que j’ai consacré à essayer de le transférer, en plus des efforts de mes étudiants.

Nous y parvenons, nous avons des logiciels pour nous aider, nous mettons ces outils entre les bonnes mains, et ils sont actuellement utilisés dans tout le pays par des communautés de plusieurs provinces. Cependant, cela prend beaucoup de temps. Pour les chercheurs universitaires, cela ne rapporte rien. Cela se fait au détriment de la publication, ce qui fait que je ne suis pas aussi productive.

Mais faire ces sacrifices est la seule façon de permettre que la science soit utilisée.

La sénatrice Petitclerc : Quatorze ans, c’est long.

Mme Beverly : C’est trop long. Quand nous parlons d’approfondir la recherche et de nous améliorer dans ce domaine, nous sommes à court de temps.

Le président : Terminez votre phrase.

Mme Beverly : Nous sommes à court de temps. Nous devons agir rapidement.

Le président : C’était votre phrase.

Mme Beverly : Nous devons agir rapidement et prendre des mesures dès maintenant. Nous ne pouvons pas faire une autre étude.

Le sénateur McNair : Merci, chers témoins, pour votre présence aujourd’hui.

Monsieur Flannigan, tout le monde a mentionné le groupe national de déploiement rapide ou l’équipe d’intervention rapide. Je voulais approfondir cette question. Existe-t-il un modèle ou une approche que vous recommanderiez pour un pays de la taille du Canada? Il n’est sans doute pas judicieux de la regrouper en un seul endroit. Comme vous l’avez dit, il s’agirait d’une combinaison de personnes capables d’intervenir avec du matériel, mais aussi d’hélicoptères et d’avions-citernes.

M. Flannigan : Oui. Un seul endroit ne suffirait probablement pas, mais le fait de déplacer ce groupe à travers le pays, de le déployer rapidement et d’utiliser des aéronefs permettrait de travailler en étroite collaboration avec les gouvernements provinciaux, territoriaux ou municipaux pour lutter contre les incendies. La Force opérationnelle interarmées 2, ou FOI 2, était à Jasper, mais il s’agit d’un petit groupe, et nous devons étendre et renforcer cette activité pour être sur place, parfois, pour faire face à l’urgence, mais idéalement pour arriver avant l’urgence et avant le feu afin que nous puissions éteindre les feux. Par exemple, les feux de Jasper ont été dévastateurs. Ils ont commencé à la base d’un arbre frappé par la foudre. Si vous aviez été dans les parages, vous auriez pu l’éteindre, et nous ne serions pas du tout en train de parler de Jasper. Il s’agirait simplement d’un feu qui a été éteint.

Le sénateur McNair : Concrètement, quels sont les chiffres de votre meilleure approche ou de votre approche dans un monde idéal?

M. Flannigan : Cela coûterait cher, mais combien dépensons‑nous pour les secours en cas de catastrophe et pour le secteur de l’assurance? Huit milliards de dollars sont consacrés à l’ensemble des événements extrêmes, mais ces chiffres augmentent, et si nous éliminons un seul de ces événements, l’investissement sera rentabilisé. Il s’agit probablement de milliards de dollars, mais dans un monde idéal, cela permettrait de faire face aux ouragans, aux inondations et aux tremblements de terre. Cela coûterait cher. Ce serait comme la Federal Emergency Management Agency, ou FEMA, avec une section spécialisée pour les incendies.

Le sénateur McNair : Merci. Madame Beverly, vous avez dit tout à l’heure que nous ne pouvions pas compter sur le statu quo. Nous devons essentiellement sortir des sentiers battus. Des témoins ont comparu devant ce comité, notamment des pompiers autochtones qui n’ont pas été autorisés à participer à la lutte contre l’incendie. Ils ont commencé à combattre l’incendie la nuit, sans autorisation, en travaillant de 8 heures à 20 heures, et cela a permis de sauver leur ville et leur communauté. Vous avez parlé de la lutte contre les incendies la nuit. Est-ce une option que vous proposez dans le cadre de la recherche de nouveaux moyens de lutte contre les incendies?

Mme Beverly : Je vous remercie de la question. Je ne faisais pas allusion à cette communauté et à la lutte nocturne contre les incendies qu’elle a menée. Je n’étais pas au courant. Cela m’intéressait. En Alberta, Alberta Wildfire a mené un projet pilote de lutte nocturne contre les incendies afin de tirer parti de ces conditions réduites pendant la nuit, et l’organisme a trouvé des moyens de le faire en toute sécurité et avec l’aide de drones et d’autres choses, car il y a plus de dangers la nuit, évidemment.

Traditionnellement, cela n’a pas été le cas. Je n’ai jamais combattu d’incendie la nuit lorsque j’étais pompière, mais c’est l’occasion d’examiner les solutions de rechange qui pourraient permettre de mieux utiliser nos ressources. Nous pourrions faire beaucoup plus pour allouer efficacement nos ressources et en faire plus avec les ressources existantes.

Le sénateur McNair : L’interdiction de lutte contre les incendies la nuit était motivée par des raisons de sécurité, je suppose?

Mme Beverly : Oui, c’est probablement pour cette raison, et il n’y avait pas de facteur de motivation pour aller dans cette direction. C’est ce que fait le gouvernement de l’Alberta, qui estime que cette solution est très prometteuse.

Le sénateur McNair : Au sujet du groupe d’Autochtones qui a combattu l’incendie la nuit, il a finalement été autorisé à rejoindre l’équipe de jour, ce qui a permis de sauver la ville.

Le président : J’ai une question. Imaginons que vous ayez chacun un crayon pour rédiger ce rapport. Donnez-nous une recommandation que vous aimeriez voir figurer dans ce rapport, en commençant par M. de Groot.

M. de Groot : J’ai assisté à une réunion il y a six ou sept ans. La Banque mondiale avait demandé à l’Union internationale des instituts de recherches forestières, ou IUFRO, d’étudier la situation des incendies et des changements climatiques. Il s’agissait d’un groupe de réflexion auquel participaient des experts du monde entier. C’était très instructif. M. Flannigan et moi-même avons assisté à cette réunion, qui nous a ouvert les yeux. Il y a beaucoup de similitudes dans le monde et beaucoup d’idées nouvelles.

En revenant de ce voyage, je me suis dit que cette réunion avait permis de mettre le doigt sur le problème et sur ce qui nous attendait. Ce que nous devons faire au Canada, c’est mettre en place un groupe de réflexion similaire pour élaborer un plan d’action. Comment faire face à ce qui se passe, et à ce qui va se passer? Je pense que ce serait une bonne chose.

Mme Beverly : Trier les décisions concernant l’allocation des ressources et les évacuations. Je pense qu’il s’agit là d’une priorité absolue. Nous ne pouvons pas empêcher les incendies. Ils viendront, et si nous pouvons prendre de meilleures décisions sur la manière d’allouer ces ressources et de mettre les gens à l’abri, nous atténuerons les conséquences. Pratiquement aucune recherche n’a été effectuée pour étayer les décisions de triage. En fait, je n’en connais aucune, et ce devrait être un domaine prioritaire à soutenir.

M. Flannigan : Les changements climatiques sont bien vrais, et nous devons nous y attaquer. Nous devons dépenser plus pour nous protéger. Nous devons explorer de nouvelles options. Je sais que c’est plus qu’une chose.

Le président : Merci.

La sénatrice Simons : J’ai deux questions rapides à poser à Mme Beverly. Il était généralement admis que les feux de forêt se déclenchaient à la suite d’une erreur humaine, qu’il s’agisse de feux de camp mal éteints ou de véhicules tout-terrain conduits par temps sec. Vous avez tous parlé essentiellement de la foudre. Les changements climatiques sont-ils à l’origine d’une augmentation du nombre d’orages ou est-ce simplement parce que la forêt est tellement sèche que les éclairs sont plus susceptibles de provoquer des incendies qu’auparavant?

Mme Beverly : C’est une très bonne question. Je ne pense pas pouvoir y répondre maintenant. Nous nous penchons sur ces questions, mais la réponse la plus simple est qu’il y a certainement plus de jours dans l’année où ces choses peuvent se produire, où la foudre peut causer un incendie. Constate-t-on également une augmentation d’éclairs? Nous savons que nous assistons à un changement; nous l’avons vu l’année dernière en Alberta, avec la foudre qui se produit beaucoup plus tôt que nous ne l’aurions jamais imaginé au début du printemps. C’est ce qui s’est passé l’année dernière. Est-ce que cela va continuer? Nous espérons que non, mais pour ce qui est de l’occurrence des foudroiements, nous nous penchons là-dessus, mais ce sont les conditions météorologiques. Des conditions météorologiques propices aux incendies. Il y a de plus en plus de sécheresses.

La sénatrice Simons : L’un de vos domaines d’expertise concerne les protocoles d’évacuation. L’un des véritables défis, c’est que bon nombre de ces communautés sont très difficiles à évacuer, même dans une ville de la taille de Fort McMurray, qui n’a qu’une autoroute au sud et une autoroute au nord, et c’est tout. Jasper dispose de deux accès routiers, dont l’un a été bloqué par un incendie. Dans la nation crie de Little Red River, il fallait évacuer les gens en canot. Que devons-nous savoir sur les infrastructures dont nous avons besoin pour pouvoir évacuer les personnes?

Mme Beverly : C’est une autre très bonne question. Je travaille et collabore avec deux ingénieurs en transports, Steven Wong, de l’Université de l’Alberta, et Amy Kim, de l’Université de la Colombie-Britannique, et c’est précisément ce que nous avons étudié. Nous avons mis au point des outils d’évaluation simples qui montrent les voies d’accès du feu dans une communauté, et nous pouvons voir si elles coupent les voies d’évacuation, ou les routes de sortie, pour les communautés qui ont des routes, ce qui permet de déterminer à l’avance la menace le long de ces voies et de chercher à l’atténuer. Pour les communautés qui n’ont pas de routes, c’est encore plus difficile.

La sénatrice Simons : Lors de l’une de nos dernières sessions, des témoins des Territoires du Nord-Ouest nous ont dit que le seul moyen d’évacuer les gens était d’utiliser de petits avions, ce qui est un moyen très inefficace d’évacuer une communauté.

Mme Beverly : La planification stratégique des évacuations pourrait être la clé pour mettre au jour ces vulnérabilités et prendre des mesures afin d’être prêt en cas d’incendie.

La sénatrice Simons : Merci beaucoup. Merci à tous les témoins, en particulier à M. Flannigan, qui s’est levé pour être avec nous à 6 heures du matin, heure du Pacifique.

Le sénateur Richards : Merci. Je vais juste poser une petite question à M. Flannigan. Existe-t-il un protocole précis concernant l’interdiction d’accès aux forêts, qui est déjà en place? Il ne vient pas toujours après le début de l’incendie? Je sais qu’au Nouveau-Brunswick, nous avons interdit l’accès aux forêts même s’il n’y avait pas d’incendie. S’agit-il d’une interdiction sélective, car des milliers de personnes travaillent dans les forêts au Nouveau-Brunswick? Je me demande simplement comment vous vous y prendriez pour respecter l’étiquette ou la loi. Est-ce à cause de la chaleur ou d’un orage? Comment décidez-vous d’interdire l’accès aux forêts?

M. Flannigan : Cela varie d’une région à l’autre. En Ontario, il existe une entente avec l’industrie sur la définition des conditions d’incendie extrêmes : c’est à ce moment-là que l’interdiction est mise. En général, elle ne dure qu’un jour ou deux au maximum. Le propriétaire foncier accepte ces conditions à l’avance, et lorsqu’elles sont remplies, l’accès à la forêt est interdit.

Le sénateur Richards : C’est ce que je dis. Ce système est également en place au Nouveau-Brunswick. Je me demande simplement si vous voulez que ce soit une décision plus extrême à une certaine période de l’année, par exemple.

M. Flannigan : Chaque propriétaire foncier doit s’en occuper. Ce que je dis, c’est qu’il faut aborder le problème d’une manière qui permette l’interdiction d’accès préventive, comme ils l’ont fait au Nouveau-Brunswick.

Le président : Mesdames et messieurs les témoins, merci beaucoup pour votre temps, votre participation, vos témoignages et vos idées aujourd’hui.

Pour notre deuxième groupe de témoins d’aujourd’hui, nous accueillons, à titre personnel, Mme Sarah Henderson, directrice scientifique, Services de santé environnementale, Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique, et directrice scientifique, Centre de collaboration nationale en santé environnementale, et le Dr Vincent Agyapong, professeur et directeur, Département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université Dalhousie. Bienvenue, et merci d’être ici.

Vous avez chacun cinq minutes pour votre présentation. À vous la parole, madame Henderson.

Sarah Henderson, directrice scientifique, Services de santé environnementale, Centre de contrôle des maladies de la Colombie-Britannique, et directrice scientifique, Centre de collaboration nationale en santé environnementale : Merci beaucoup, monsieur le président, et merci de me donner l’occasion d’être ici avec vous ce matin, honorables sénatrices et sénateurs.

Je voudrais maintenant changer un peu de sujet et parler de la fumée des feux de forêt, en espérant vous convaincre qu’il s’agit d’une facette importante des situations d’urgence liées aux feux de forêt.

Je suis ingénieure en environnement et épidémiologiste environnementale de formation. Depuis plus de 20 ans, j’étudie les effets sur la santé de la fumée des feux de forêt en Colombie-Britannique, au Canada et dans le monde entier. Je suis considérée comme une experte internationale dans ce domaine. Je travaille quotidiennement sur le territoire non cédé des peuples salish du littoral, qui comprend les territoires des nations Musqueam, Squamish et Tsleil-Waututh, dans ce que nous appelons maintenant Vancouver, en Colombie-Britannique.

Mon premier message important à votre intention aujourd’hui est que les répercussions économiques de la fumée des feux de forêt dépassent de loin les répercussions économiques des feux proprement dits, mais qu’on y prête beaucoup moins attention. Je vais vous l’expliquer en prenant l’exemple des feux de forêt de l’année 2017, qui a été une saison extrême en Colombie-Britannique, parce qu’on n’a pas encore de chiffres estimatifs sur les répercussions économiques des effets sur la santé de la saison des feux de forêt de l’année 2023. Pour mémoire, la saison 2017 en Colombie-Britannique a été une saison record, avec 1,2 million d’hectares incendiés. La fumée s’est propagée dans la plupart des régions du Canada. On a évacué 65 000 personnes dans la province cet été-là, mais presque tous les Canadiens ont été exposés à la fumée de ces feux à une concentration qui serait considérée comme cliniquement significative par l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis, soit une augmentation de 0,2 microgramme par mètre cube de la moyenne annuelle de PM2,5. Nous y reviendrons.

Cette concentration de MP2,5 est associée à environ 2 700 décès supplémentaires dans le pays, dont certains au moment même où la fumée se propageait et d’autres durant la période qui a suivi. Le total des coûts associés à ces décès, en comptant les visites à l’hôpital, les visites à l’urgence, les absences du travail et l’absence des enfants à l’école, s’est élevé à 23 milliards de dollars. En comparaison, il n’y a pas eu de décès pendant les feux de forêt cette année-là. La lutte contre les feux de broussaille au Canada a coûté 1,5 milliard de dollars, et les pertes assurées en Colombie-Britannique se sont élevées à environ 130 millions de dollars.

Malgré leur ampleur, les répercussions de la fumée restent souvent une considération secondaire. On perçoit le phénomène comme une nuisance et non comme un aspect important de l’urgence touchant la santé et le bien-être de tous les Canadiens.

Je vous ai mis ici un chiffre tiré d’un récent document expliquant la raison d’être d’un satellite de lutte contre les feux de forêt au Canada. On voit bien les coûts des soins de santé qui y sont associés depuis quelques années.

Mon deuxième message important est que les effets de la fumée des feux de forêt sur la santé ne sont pas répartis uniformément au sein de la population. Ils touchent de façon disproportionnée les personnes les plus vulnérables. La raison en est, d’une part, que certaines personnes sont plus exposées et, d’autre part, que d’autres sont plus vulnérables.

Ce sont surtout des enfants et des nourrissons que je veux vous parler, parce qu’il y a de plus en plus de données les concernant. Premièrement, des données probantes portant sur des décennies attestent que l’exposition des femmes enceintes, des enfants et des nourrissons à la pollution atmosphérique est dommageable. Jusqu’à présent, on sait que la fumée des feux de forêt est associée à de graves problèmes à la naissance, comme la prématurité, un faible poids et la mortinatalité, et il y a de plus en plus de données y associant les fausses couches en début de grossesse. On sait que les enfants exposés à la fumée dans l’utérus ont plus d’infections respiratoires en début de vie et sont plus susceptibles de souffrir d’asthme et d’autres maladies chroniques.

On sait également que la santé des enfants exposés durant la petite enfance et l’enfance est compromise à vie. En Californie, on a fait une étude très intéressante sur des primates non humains exposés à la fumée de feux de forêt pendant la petite enfance, qui révèle que leurs poumons n’ont jamais atteint la taille des poumons des singes qui n’avaient pas été exposés. Ces singes ont également souffert d’un dérèglement de leur système immunitaire tout au long de leur vie. Et ils ont transmis les marqueurs génétiques de ce dérèglement immunitaire à leur progéniture, ce qui indique que ces effets peuvent se répercuter sur des générations.

Enfin, je tiens à souligner que les Autochtones du Canada sont les premiers à être exposés à la fumée des feux de forêt et qu’ils le sont le plus durement. Ils vivent généralement dans des endroits où les feux de forêt sont plus fréquents. De nombreuses études partout dans le monde attestent que les répercussions sur la santé des Autochtones sont disproportionnées par rapport aux répercussions sur la santé de l’ensemble de la population.

Je vous ai fourni des références dans les documents que j’ai envoyés par courriel. Je vous remercie de m’avoir invitée.

Le président : Merci.

Vincent Agyapong, professeur, directeur du département de psychiatrie, Faculté de médecine, Université Dalhousie, à titre personnel : Merci, monsieur le président, et merci aux membres du Sénat de m’avoir invité. Je m’appelle Vincent Agyapong et je suis professeur et directeur du département de psychiatrie à l’Université Dalhousie. Mes recherches portent sur la psychiatrie des catastrophes et sur la santé mentale dans le monde. C’est à ce titre que je vais vous parler des effets des feux de forêt sur la santé mentale et des moyens d’atténuer certains effets psychologiques.

Je précise, pour vous donner un peu de contexte, que j’ai vécu à Fort McMurray et y ai exercé comme psychiatre de 2013 à 2016 et que j’ai été témoin des feux de forêt de mai 2016. Ces feux ont détruit la forêt et la faune et incendié plus de 2 000 maisons, provoquant l’évacuation massive de toute la population de la ville des sables bitumineux.

Je me souviens du pandémonium causé par les scènes horribles de buissons en feu et de la nécessité d’évacuer des patients au Centre de santé régional Northern Lights avant de me diriger vers le nord, vers les sables bitumineux, plutôt que vers Edmonton, avec ma famille, parce que les feux avaient rendu les routes menant au sud impraticables.

Je me rappelle la gratitude des gens qui avaient pu fuir indemnes et celle de nombreux résidents à l’égard des pompiers qui tentaient de sauver notre ville de la destruction. Me reste aussi en mémoire le degré d’anxiété, d’incrédulité et de désespoir de nombreux résidents de Fort McMurray pendant les six semaines d’évacuation.

Depuis, je dirige une équipe qui étudie les effets à court, moyen et long terme des feux de forêt de 2016 sur la santé mentale des résidents.

J’ai également créé des outils numériques novateurs en santé mentale qui ont permis de soutenir les premiers intervenants et les Canadiens touchés par les feux de forêt et d’autres catastrophes naturelles, comme la pandémie de COVID-19.

Quant aux répercussions sur les résidents directement touchés et sur les collectivités six mois après les feux de forêt de Fort McMurray en 2016, la probabilité de prévalence du TSPT parmi les adultes était d’environ 12,8 %. La prévalence correspondante du trouble anxieux généralisé et du trouble dépressif majeur parmi les adultes était respectivement de 19,2 % et de 14,8 %.

La prévalence de cet état est restée élevée ou a augmenté 18 mois après l’incendie et elle a considérablement augmenté cinq ans après l’incendie. Il faut rappeler que les résidents de Fort McMurray ont également été touchés par les inondations de 2020 et vécu la pandémie, comme tout le monde au Canada, et c’est peut-être ce qui explique cette augmentation spectaculaire.

Parmi les enfants et adolescents de la 8e à la 12e année, 18 mois après les feux de forêt, 37 % remplissaient les critères de probabilité de TSPT, 31 % ceux de la dépression probable, 17 % ceux de la dépression probable à un degré au moins modéré, 27 % ceux de l’anxiété probable, et 15 % ceux de la consommation d’alcool. En trois ans et demi, la prévalence de ces troubles a, elle aussi, augmenté et non diminué.

Nous avons également fait une étude qui a révélé que les personnes ayant déclaré avoir reçu du soutien de la part de leur famille et de leurs amis étaient mieux protégées sur le plan de leur santé mentale et mieux soutenues par la collectivité.

Nous avons examiné d’autres facteurs, comme l’argent versé par les compagnies d’assurance et le gouvernement de l’Alberta. Ces mesures ne protègent pas de façon significative le bien-être psychologique des gens comparativement au soutien de la famille et des amis.

Par exemple, ceux qui ont déclaré avoir reçu un soutien absolu de la famille et des amis étaient environ 13 fois moins susceptibles d’avoir des symptômes de trouble dépressif majeur.

En 2013, nous avons également examiné un mode d’intervention, le programme Text4Hope, en Alberta et en Nouvelle-Écosse, et nous avons constaté que les messages texte de soutien quotidiens pouvaient réduire le fardeau psychologique lié à l’anxiété, à la dépression et aux symptômes du TSPT chez les résidents touchés par les feux de forêt.

Merci.

Le président : Merci à vous.

La sénatrice Simons : Après ce témoignage, docteur Agyapong, vous pourrez rester travailler avec nous tous.

Ma première question s’adresse à Mme Henderson. Je vis à Edmonton, où, désormais, certains jours d’été, les gens sont avertis de ne pas sortir s’ils ont une faible capacité pulmonaire, et où ils portent un masque, comme ils l’ont fait pendant la pandémie de COVID, quand ils vont dehors. La plupart des gens ont tendance à le voir comme un inconvénient, quelque chose qui les empêche d’avoir une fête ou un pique-nique.

Quelles sont les conséquences pour la santé de vivre dans une ville comme Edmonton, Saskatoon ou Calgary? Edmonton est particulièrement touchée par la fumée. De quoi devrait-on s’inquiéter en matière de santé?

Mme Henderson : Quand on parle de pollution atmosphérique, on parle d’effets sur la santé sur deux échelles de temps différentes. Il y a des effets immédiats, et c’est pourquoi nous conseillons à certaines personnes de rester à l’intérieur si la qualité de l’air est mauvaise.

Il y a aussi les effets de la pollution atmosphérique que nous subissons toute notre vie. On sait que les gens qui résident dans une ville très polluée ont une moindre espérance de vie et sont exposés à une plus grande incidence de presque toutes les maladies chroniques imaginables.

Reste à savoir si vivre dans une ville comme Edmonton, où l’on est exposé de façon très sporadique, mais extrême, est la même chose que vivre dans une ville très polluée.

La sénatrice Simons : Comme Pékin ou New Delhi?

Mme Henderson : Exactement, où c’est pollué jour après jour. La fumée des feux de forêt pourrait avoir moins d’impact, parce qu’il y a des périodes de répit entre les périodes d’exposition.

D’un autre côté, les expositions sont beaucoup plus extrêmes dans de nombreux cas, et elles sont beaucoup plus complexes. La fumée des feux de forêt est une forme de pollution atmosphérique très complexe et toxique.

Faute de preuves supplémentaires, je dis toujours qu’il vaut mieux supposer que c’est du même ordre. Il faut supposer que ces expositions épisodiques ont les mêmes effets que la vie dans une ville très polluée. Jusqu’à présent, les preuves limitées dont nous disposons le confirment.

Selon une étude effectuée à l’Université McGill il y a quelques années, si on vit dans une zone exposée aux feux de forêt, on risque davantage de contracter un cancer du poumon et du cerveau, comme si on vivait dans une ville très polluée.

La sénatrice Simons : Qu’en est-il de la combinaison de la fumée des feux de forêt et de la pollution industrielle, comme ce serait le cas à Fort McMurray ou à Edmonton?

Mme Henderson : Effectivement. Dans bien des cas, la fumée des feux de forêt va submerger la pollution industrielle. Cela alourdit le fardeau global de l’exposition à vie.

Au sujet de la fumée des feux de forêt au Canada, il faut surtout comprendre que nous avons une excellente réglementation de la pollution atmosphérique provenant d’autres sources, comme les usines et les véhicules, parce que les données accumulées depuis des décennies attestent que la pollution atmosphérique est nocive pour la santé humaine.

Ces sources diminuent donc et allègent le fardeau de l’exposition à vie, alors que les feux de forêt se multiplient. Somme toute, il faut les considérer comme le fardeau global de l’exposition à vie des gens.

La sénatrice Simons : Passons à la question de la santé mentale. J’ai des amis à Fort McMurray qui ont été évacués pendant l’incendie. L’un d’eux était un jeune homme, ex‑employé de mon bureau, qui a été marqué et est resté traumatisé.

En fait-on assez pour aider les gens à composer avec les conséquences d’une situation aussi stressante? Je pense aux écoliers, aux parents et à tous ceux qui ressentent ce stress extrême de se demander s’ils vont en sortir vivants.

Dr Agyapong : Oui. Par exemple, le ministère de la Santé de l’Alberta fait beaucoup pour essayer d’augmenter ses effectifs dans les services de santé mentale à Fort McMurray. Je suis parti en 2016 et, jusqu’à maintenant, on n’a pas vraiment réussi à recruter un autre pédopsychiatre. D’autres psychiatres offrent des services de pédopsychiatrie, mais je ne pense pas que l’effectif en pédopsychiatrie soit suffisant pour affronter efficacement cet enjeu.

Il faut donc faire davantage pour inciter une équipe de pédopsychiatrie à se rendre à Fort McMurray.

La sénatrice Simons : Partout au pays, nous avons un problème chronique d’accès à des soins de santé mentale — on a besoin de psychiatres et de psychologues.

Mme Henderson disait que ce sont les communautés autochtones qui sont le plus touchées par la fumée, mais ce sont aussi souvent les communautés autochtones qui sont le plus touchées par la menace d’incendie et le stress de l’évacuation. Je sais que, pour les membres d’une communauté comme la nation crie de Little Red River, c’est un facteur de stress supplémentaire que d’être évacués dans une communauté entièrement blanche ou majoritairement blanche. Ils se sentent étrangers là où ils ont été évacués.

J’ai utilisé tout mon temps.

Le président : Si vous avez une question, vous pourrez la poser au deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Oudar : Madame Henderson, je suis vraiment très heureuse que vous soyez là. Je vous rassure : je pense que tous les membres du comité sont très soucieux des effets des incendies sur la santé. Je suis nouvelle au comité, mais dans les premières questions que j’ai posées quand le comité s’est penché sur le sujet, cela a été vraiment... J’ai été surprise de lire l’étude du Bureau de la qualité de l’eau et de l’air de Santé Canada sur les effets de la fumée des incendies de forêt sur la santé humaine, particulièrement le chapitre sur la reproduction et le développement. Ce matin, vous avez très bien exposé tous ces effets, non seulement sur la grossesse, mais aussi sur l’enfant à naître. C’est vraiment préoccupant de voir les effets de l’exposition aux deuxième et troisième trimestres de la grossesse et les dommages que cela peut causer à l’enfant.

Je voudrais vous donner du temps pour que vous nous parliez des effets à long terme sur la santé des enfants, mais aussi sur la santé en général. J’ai lu attentivement toute cette étude. Je vous ai écoutée aussi. Cela me préoccupe de comprendre qu’on se retrouve à constater un épuisement des antioxydants, des changements biochimiques dans le corps, une altération du cycle cellulaire, des dommages à l’ADN aussi — en gros, tout ce qui peut compromettre le système immunitaire d’une personne. Bref, toute la réponse immunitaire se trouve à être endommagée.

Ce qu’on remarque plus loin dans le rapport, c’est que cela affecte surtout des populations vulnérables — vous l’avez mentionné et je vous en remercie —, plus particulièrement les Premières Nations. Je ne suis pas scientifique, je suis avocate, donc je n’ai peut-être pas utilisé les bons mots. En lisant cette partie, j’ai plutôt constaté que nos comportements finissent par atteindre de façon disproportionnée les Premières Nations. Je pense que le fait de se pencher sur cette problématique nous évitera d’adopter des comportements à long terme pouvant entraîner une discrimination dans ces effets médicaux. Je suis désolée, ma question est longue.

Dans l’étude, on conclut qu’il n’y a pas assez d’études ni de résultats. Je suis mitigée face à cela, parce que je trouve que, avec l’éclairage que vous avez apporté sur la question aujourd’hui, il y a assez d’études pour agir. Arrivez-vous à la même conclusion que Santé Canada, soit qu’il n’y a pas assez d’études, ou y en a-t-il suffisamment? A-t-on une réponse suffisamment claire et scientifique aujourd’hui pour passer à l’action et ne pas attendre d’autres études? Je voulais vous permettre de compléter votre réponse. Je suis désolée pour la longueur de ma question.

[Traduction]

Mme Henderson : Je vais répondre à la dernière partie de la question.

Les scientifiques n’ont jamais assez d’études, c’est une vérité universelle. Mais nous avons suffisamment de données probantes. La pollution atmosphérique est nocive pour la santé humaine. La fumée des feux de forêt est une forme de pollution atmosphérique complexe et grave. Elle l’est partout.

Ce qu’il faut maintenant, c’est réfléchir à la façon dont nous protégeons les gens quand cela arrive. Nos spécialistes nous disent qu’il y aura d’autres incendies. On peut prendre certaines mesures, mais il y aura d’autres incendies. Il faut donc envisager des mesures efficaces pour réduire l’exposition à la fumée dans la population.

Premièrement, la grande majorité des Canadiens passent la plus grande partie de leur temps à l’intérieur. On a donc besoin d’air intérieur plus sain pour aider à protéger les gens. Et il faut réfléchir aux moyens de réduire leur exposition à la fumée quand ils sont dehors. La sénatrice Simons a parlé de masques. C’est une forme très efficace d’autoprotection pour certaines personnes. Il y a d’autres mesures à prendre, comme réduire l’exercice à l’extérieur pour ne pas respirer intensément ou péniblement.

Ce qu’il faut d’abord et avant tout, c’est que la population soit informée. M. Flannigan a parlé de FireSmart Canada, qui est un excellent programme à l’échelle du pays. La population doit apprendre à se protéger de la fumée et à réagir en cas d’exposition.

Merci.

La sénatrice Muggli : Merci à vous deux d’être venus aujourd’hui. Je vous en suis reconnaissante. J’ai travaillé dans l’administration des soins de santé, principalement dans le domaine de la santé mentale et de la toxicomanie. Il y a environ six ans, j’ai vécu la pénible expérience d’une tragédie communautaire quand j’ai dû diriger une intervention en santé mentale. L’intervention communautaire en cas de traumatisme est difficile. Il est important de comprendre la capacité existante d’une communauté de gérer des événements traumatisants, puis de savoir quelle est la bonne façon d’intervenir; on ne peut pas simplement envoyer des gens au hasard pour essayer de soutenir la communauté. Voilà certaines des choses que j’ai apprises.

Docteur Agyapong, avez-vous une idée de la bonne approche à adopter pour soutenir une communauté à la suite d’un événement traumatisant? Y a-t-il de la formation qui pourrait aider à renforcer la capacité d’une communauté de sorte que, lorsqu’il se produit des événements traumatisants, une stratégie en matière de santé mentale soit en place pour soutenir les communautés?

Dr Agyapong : Merci beaucoup.

Je pense que nous devrions examiner la question sous deux angles. Il y a d’abord la prévention et le renforcement de la résilience dans toutes les communautés vulnérables aux incendies avant que les événements ne se produisent, puis il y a l’approche à adopter pour y faire face une fois que les gens sont dans la situation.

En ce qui concerne le renforcement de la résilience, nos recherches montrent que ceux qui ont déclaré avoir reçu du soutien de la famille, des amis et de la communauté avaient été protégés. Nous devrions commencer à bâtir des institutions communautaires — des organismes sans but lucratif — qui appuient les soins de santé mentale dans la communauté. Nous devrions commencer à construire des installations récréatives qui contribuent aux soins de santé mentale. Nous devrions commencer à intégrer la littératie en santé mentale dans les milieux de travail et les écoles afin que les gens soient au courant de certaines des choses qu’ils peuvent faire pour protéger leur bien-être mental et psychologique. Cela va renforcer la résilience en prévision du jour où la catastrophe pourrait frapper.

Lorsque la catastrophe frappe, comme vous l’avez dit, vous pouvez sauter dans l’action et vouloir aider. L’aide que vous offrez n’est peut-être pas vraiment ce qui soutient le bien-être mental. Lorsqu’une catastrophe survient, il est important d’accroître les ressources consacrées aux programmes locaux, dans la communauté, que les gens connaissent bien. Par exemple, quelles ressources donnons-nous à l’Association canadienne pour la santé mentale pour accroître les ressources et la formation qu’elle offre à son personnel? Si nous utilisons des ressources et des programmes localisés, nous serons mieux en mesure d’obtenir de meilleurs résultats qu’en parachutant simplement des programmes en provenance d’ailleurs.

La sénatrice Muggli : J’aimerais que vous me disiez si vous savez s’il existe des programmes précis pour former les gens aux interventions communautaires en cas de traumatisme. Une chose que j’ai trouvée utile dans la situation que j’ai vécue, c’est que le réseau scolaire et les réseaux de santé mentale de l’autorité sanitaire avaient suivi la même formation pour répondre aux événements traumatisants dans la communauté. C’était incroyablement utile parce qu’ils appliquaient la même orientation et parlaient le même langage. Ils ont compris comment travailler ensemble pour surmonter la situation.

Je me demande si vous êtes au courant des programmes qui pourraient être offerts pour aider les communautés à renforcer leurs capacités en cas d’événements traumatisants.

Dr Agyapong : Il y a des programmes de mieux-être et de rétablissement qui sont utilisés à différents endroits et dans différents contextes. Il existe déjà dans les communautés de nombreux programmes locaux qui peuvent être appuyés, financés et utilisés, probablement avec le même effet. Il ne s’agit pas de répandre partout les mêmes programmes, mais d’examiner ce qui fonctionne dans les contextes locaux et de fournir les ressources appropriées.

La sénatrice McBean : Comme c’est souvent le cas, on a une question à poser, mais la réponse a déjà été donnée en grande partie, mais madame Henderson, je vis à Toronto. J’ai grandi en me faisant dire que ma ville était polluée, alors j’ai emmené ma famille à Whistler pour des vacances en 2017 et, comme vous le savez, ce fut une année épouvantable. Vous avez dit que la fumée était considérée comme une nuisance, et j’ai dit : « Dans cette catégorie? » Nous avions un enfant de deux ans avec nous, et ma femme nous interdisait de sortir en disant : « On nous dit de rester à l’intérieur », et elle nous demandait de faire tout ce que vous avez dit.

Comme vous le savez, la plupart des habitants de la Colombie-Britannique n’ont même pas de climatisation. Donc, quand on reste à l’intérieur, le fait de fermer les fenêtres sert-il vraiment à autre chose que de chauffer la maison? Vous avez laissé entendre que les masques réduisent les inconvénients, mais je vais vous poser la question suivante : avez-vous réfléchi à l’idée d’une population sensibilisée aux risques qu’entraîne la fumée? Comment les masques seraient-ils distribués? Quelle recommandation devrions-nous en tirer?

Mme Henderson : Premièrement, le simple fait de rester à l’intérieur avec les portes et les fenêtres fermées est-il utile? La réponse dépend du bâtiment, mais en général, c’est non. On constate une infiltration de la fumée qui oscille entre une proportion de 60 % et de 100 % dans l’environnement intérieur, même si les portes et les fenêtres sont fermées, selon l’enveloppe du bâtiment. De plus, s’il fait trop chaud à l’intérieur, vous vous exposez à un risque d’exposition à la chaleur, et c’est encore pire pour vous que l’exposition à la fumée. Ce n’est donc pas la situation idéale.

Des travaux sont actuellement en cours dans le cadre du Code national du bâtiment du Canada pour examiner la question de la chaleur et veiller à ce qu’un endroit où l’on peut rester au frais soit prévu dans chaque construction neuve, dans chaque nouvelle maison qui est construite et, idéalement, ce serait un endroit où l’air est plus frais dans toutes les maisons au Canada, afin que les gens aient un endroit où se réfugier en sécurité. Les masques sont-ils efficaces? Ils peuvent être très efficaces s’ils sont bien ajustés à votre visage. Sinon, ils sont efficaces à environ 50 %, au mieux, et pour les enfants et les gens qui ne seront pas en mesure de bien porter un masque, ce n’est tout simplement pas la meilleure solution possible. On ne peut pas dormir avec. On ne peut pas les porter toute la journée. Ils sont très chauds. Ils font transpirer. Ils suscitent toutes sortes de préoccupations, mais ils ont leur place dans la panoplie des mesures à envisager.

À quoi ressemble une société sensibilisée aux risques qu’entraîne la fumée? C’est une excellente question, et je pense que votre expérience montre comment les gens de partout au Canada se sentent lorsqu’il y a des gens qui disent : « C’est naturel; ça va; cela ne m’inquiète pas. » Il est essentiel de veiller à ce que les gens sachent que la fumée peut nuire à leur santé et qu’ils peuvent prendre des mesures pour se protéger. La première chose que je conseille, c’est de vous demander où vous respirez en ce moment et quelles sont vos possibilités de réduire votre exposition là où vous respirez en ce moment, parce que c’est ce qui va vous aider à ramener votre exposition de peut-être 100 % à peut-être 50 %. Il s’agit simplement de saisir ces petites occasions tout au long de la journée. Vous ne pouvez pas arrêter de respirer, alors vous devez toujours penser à des façons de réduire votre exposition partout où vous allez.

La sénatrice McBean : Auriez-vous conseillé à ma famille de quitter Whistler et de retourner à Toronto?

Mme Henderson : Non.

La sénatrice McBean : Je veux savoir quelles options s’offrent aux gens.

Mme Henderson : Ce n’est pas une solution pratique. Nous ne pouvons pas évacuer toute la ville d’Edmonton lorsqu’elle est envahie par la fumée. Ce que j’aurais dit, c’est que votre enfant de deux ans est très vulnérable à ces expositions, parce qu’il s’agit de poumons d’un enfant en développement et qu’ils se développent assez rapidement. Ces expositions présentent toutes sortes de risques de perturber ce développement. Alors, il s’agit de prendre des précautions supplémentaires, parce que vous avez un enfant de deux ans avec vous, et pensez aux endroits plus sains où passer du temps, et aux meilleurs moments pour aller à l’extérieur lorsque la fumée n’est pas aussi envahissante.

Le président : Merci beaucoup.

La sénatrice Burey : Merci beaucoup de votre expertise et de votre contribution. Notre comité voulait entendre parler des effets sur la santé. Je dois vous dire que je suis diplômée de l’Université Dalhousie, alors je vous souhaite la bienvenue. Je ne pouvais pas m’empêcher de le mentionner.

Vous avez entendu la dernière discussion sur la façon de coordonner les services, de s’assurer d’adopter des pratiques exemplaires, des politiques et des stratégies qui vont tenir compte de la nouvelle normalité. Il ne s’agit pas seulement, comme vous l’avez dit en parlant de la pandémie de COVID-19, du traumatisme et de la résilience psychologique qu’il faut intégrer dans la nouvelle normalité de notre société. Il a été question d’un effort de coordination de la gestion des sinistres. Il ne s’agit pas ici de se débarrasser des interventions locales, parce que vous donnez à juste titre des ressources. Que pensez-vous d’un effort global de coordination? Pas seulement en ce qui concerne les feux de forêt, parce que cela vaudra pour tout ce que nous avons à faire. Que pensez-vous de cette proposition ou de cette discussion?

Dr Agyapong : C’est une excellente idée, surtout parce que — comme vous l’avez dit — il y a eu la pandémie, des inondations dans de nombreuses régions du Canada et des feux de forêt. Nous savons que ces événements se produisent dans différentes régions. Tout à coup, vous avez accès à un organisme national de coordination pour vous assurer que l’intervention est cohérente et que les ressources sont bien déployées pour soutenir les communautés locales. Si nous laissons l’entière responsabilité aux collectivités locales, il y aura des disparités dans la mise en œuvre de certaines des meilleures pratiques fondées sur des données probantes.

Par exemple, en Alberta, lors de la pandémie, nous avons été en mesure de déployer le programme de messages texte, auquel environ 60 000 personnes ont pu s’abonner, et ainsi bénéficier de trois mois d’intervention. Nous avons pu démontrer que les personnes qui ont profité de l’intervention avaient moins d’idées suicidaires, moins de symptômes dépressifs et moins de symptômes d’anxiété que celles qui n’en avaient pas profité. D’autres provinces n’ont pas eu cette possibilité, mais s’il y avait eu un organisme national de coordination, une intervention comme celle-là, qui s’est avérée efficace, aurait pu être déployée à l’échelle nationale. Je suis d’accord avec cette idée.

Mme Henderson : Ce que j’aimerais idéalement, c’est que le problème de la fumée, lorsque nous parlons de la situation des feux de forêt, soit intégré à l’ensemble de la discussion afin qu’il n’arrive pas dans une réflexion élaborée après coup. Quand on parle de feux de forêt aux nouvelles, on parle aussi de fumée. Nous devons diffuser de l’information sur la fumée ainsi que de l’information sur les feux de forêt et sur la santé mentale, et traiter la situation comme un tout plutôt que comme un ensemble de problèmes disparates.

La sénatrice Burey : Merci.

La sénatrice Petitclerc : Merci à vous deux d’être ici aujourd’hui. J’ai une question simple. Du point de vue physique, médical et psychologique, j’aimerais que vous m’expliquiez simplement ce qui se passe immédiatement après un incendie dans une communauté. Qu’est-ce qui est fait? Qu’est-ce qui n’est pas fait? Qui testons-nous? Évaluons-nous la santé de tout le monde? Comment cela se fait-il concrètement? Quelles sont les lacunes? Je ne sais pas qui veut commencer.

Dr Agyapong : Je peux vous parler de mon expérience, car j’ai vécu les feux de forêt de 2016. À ce moment-là, nous avons été évacués vers le nord, dans la région des sables bitumineux, où nous sommes restés 48 heures avant d’être transportés par avion jusqu’à Edmonton. L’intervention immédiate a consisté à nous fournir les produits de première nécessité, comme une brosse à dents, un oreiller, des vêtements, et ainsi de suite. Cependant, il n’y avait pas de coordination en ce qui concerne le bien-être psychologique parce que, comme vous pouvez l’imaginer, tout le monde, y compris les cliniciens en santé mentale, devait d’abord veiller à son propre bien-être. Tout le monde était en détresse.

C’est là que nous devons envisager d’autres moyens et options qui ne font pas toujours appel aux ressources humaines, mais plutôt à la technologie. Comment pouvons-nous mieux utiliser la technologie dans de telles circonstances pour aider les gens?

Lors des feux de forêt de 2023 en Alberta et en Nouvelle-Écosse, lorsque nous avons travaillé en collaboration avec les Services de santé de l’Alberta et la Régie de la santé de la Nouvelle-Écosse, nous avons déployé la technologie, et des milliers de personnes se sont inscrites au programme. Vous pouvez donc imaginer le nombre d’humains qu’il aurait fallu pour assurer ce niveau d’intervention, mais avec la technologie, vous pouvez atteindre de nombreuses personnes simultanément, et sans que cela coûte autant.

Nous devons trouver des façons de vraiment soutenir les gens et recourir davantage à la technologie.

Mme Henderson : À ma connaissance, il n’y a pas d’approche systématique en ce qui concerne la fumée et l’exposition à la fumée. Nous avons certainement essayé de travailler avec les gestionnaires des urgences pour mettre en évidence les populations qui seront le plus à risque avec ces expositions, comme les femmes enceintes, les nourrissons et les enfants. Il y a une sensibilisation au sein du personnel de la gestion des urgences, mais je ne vois toujours pas de preuve qu’il y a une réponse coordonnée et systémique pour essayer de protéger ces populations très vulnérables.

La sénatrice Petitclerc : Si un incendie se déclare près d’une communauté et qu’aucun système ne prévoit qu’il faut évaluer tous les enfants, par exemple, ou les personnes vulnérables, alors il faut qu’une personne présente des symptômes, peut-être, ou qu’elle soit préoccupée pour que l’on évalue son état?

Mme Henderson : Il n’y a certainement pas de système pour évaluer la population en général. Pour quiconque se rend à la salle d’urgence ou à son médecin, même dans ces circonstances, la communauté médicale est peu sensibilisée à la fumée des feux de forêt et à ses effets sur la santé. Cela dépend de chaque médecin ou de chaque clinicien.

La sénatrice Petitclerc : Je comprends qu’il faut tellement de ressources, mais dans un scénario idéal, avec les données dont vous disposez, ne devrait-on pas adopter des approches de plus large portée?

Mme Henderson : Une chose que nous faisons en Colombie-Britannique, pour renforcer l’élément technologique, c’est un programme que nous avons appelé Smart Mom. Si vous êtes enceinte, vous pouvez vous inscrire pour recevoir des messages texte pour une grossesse en santé. Si nous savons qu’il y aura de la fumée dans une communauté, nous envoyons un message aux personnes qui y sont inscrites.

Mais ce n’est qu’un tout petit morceau du casse-tête.

La sénatrice Sorensen : Merci. Je pense que mes questions s’adresseront à vous deux. Vous parlez de capacités très différentes, physiques et mentales.

Ma question est la suivante : comment l’exposition à la fumée des feux de forêt ou au traumatisme des feux de forêt touche‑t‑elle les gens différemment en fonction de facteurs comme l’âge, la génétique ou le statut socioéconomique?

Ensuite, j’aimerais vous demander à tous les deux — et vous venez de parler un peu de communication — quelle est la meilleure façon de communiquer efficacement les niveaux de risque au moment où le risque se produit, mais aussi comment faire savoir aux gens que ce qu’ils ressentent pourrait devoir être évalué?

Dr Agyapong : Merci beaucoup.

Pour ce qui est de votre deuxième question sur la façon dont nous communiquons avec les gens, il est certain que l’utilisation des ressources locales peut être un très bon moyen de communication. Encore une fois, cependant, comme je l’ai indiqué, la technologie, comme la messagerie texte, permet d’intégrer des liens vers les ressources dont les gens ont besoin dans ce genre de messages, et les gens peuvent ainsi savoir quoi faire. Cela peut comprendre des ressources supplémentaires en santé mentale et en santé physique.

Ce sont là quelques-uns des moyens très importants.

J’ai manqué votre première question.

La sénatrice Sorensen : Elle porte davantage sur la façon dont l’exposition au traumatisme des feux de forêt touche les gens différemment en fonction de leur âge, de leur statut socioéconomique et de la génétique.

Dr Agyapong : Oui.

Dans toutes les études que nous avons faites, nous avons toujours considéré les facteurs qui augmentent la probabilité que les gens soient affectés. Nous tenons compte de l’âge. Nous avons fait une étude sur les enfants, qui était très différente de l’étude sur les adultes. Pour l’étude sur les adultes, nous avons examiné des personnes de 18 à 90 ans. Nous n’avons pas constaté d’association entre l’âge et les effets sur la santé mentale.

Nous avons tenu compte du sexe, du logement et de l’emploi. Aucune corrélation n’a été observée avec le fardeau psychologique.

La sénatrice Sorensen : D’accord, merci. Et vous, madame Henderson?

Mme Henderson : Toute personne qui est en période de croissance est plus à risque, parce que, encore une fois, les processus cellulaires sont perturbés. Plus votre croissance est rapide, plus votre risque est grand.

La sénatrice Sorensen : D’accord.

Mme Henderson : Pour ceux qui sont en pleine croissance, je dirais que la santé de base est le principal indicateur. Ceux dont la santé de base est compromise en raison d’une maladie préexistante, de la pauvreté ou de l’âge seront plus vulnérables à la fumée que ceux qui sont en bonne santé, peu importe leur âge. Évidemment, à mesure que les gens vieillissent, leur état de santé de base a tendance à diminuer, ce qui les expose à un risque plus élevé.

Pour ce qui est de la meilleure façon de communiquer, quelques options s’offrent à nous en Colombie-Britannique. Il y a le Smoky Skies Bulletin qui est envoyé dans les communautés lorsque nous nous attendons à de la fumée. Il y a aussi la cote air santé, ou CAS.

Mais je dirais qu’il serait aussi possible d’utiliser certains des plus gros outils dont nous disposons. Tout le monde a reçu un message d’alerte sur son téléphone hier. Je crois qu’il peut y avoir des circonstances où il serait logique de communiquer par ce genre de canaux.

Le président : C’est notre analyste de la Bibliothèque qui rédige le rapport final. Qu’est-ce que vous aimeriez qu’elle retienne de vos exposés?

Mme Henderson : La fumée des feux de forêt n’est jamais bonne pour la santé humaine. Il est possible de protéger la santé humaine au moyen d’interventions efficaces. Malheureusement, ces interventions nécessitent des changements de comportement au niveau individuel et des changements au niveau de l’ensemble de la société. Nous devons les examiner de haut en bas pour en arriver à une population sensibilisée aux risques qu’entraîne la fumée.

Dr Agyapong : Merci beaucoup.

De mon point de vue, il faut considérer les choses à deux niveaux : la prévention et l’intervention. Pour ce qui est de la prévention, je veux qu’on consacre plus de ressources aux programmes de santé mentale au niveau communautaire, dans les écoles et les milieux de travail, et qu’on renforce la capacité des organismes locaux sans but lucratif de les aider à réagir aux situations au moment où elles se produisent.

De plus, nous devons intégrer la technologie dans la gestion des crises liées aux catastrophes naturelles qui surviennent au Canada.

Le président : Merci.

Nous avons avec nous trois sénateurs au deuxième tour, ce qui devrait nous amener à la fin, à moins qu’il y en ait d’autres. Nous allons commencer par un tour de trois minutes par question.

La sénatrice Simons : Je voulais donner au Dr Agyapong l’occasion de répondre à ma dernière question sur les mesures de soutien en santé mentale pour les personnes vivant dans des communautés éloignées et autochtones.

Je voulais ensuite poser une question à Mme Henderson. Nous parlons beaucoup de la qualité de l’air extérieur, mais je veux parler de la qualité de l’air intérieur, à laquelle nous avons été sensibilisés pendant les pires années de la pandémie. Je me souviens d’avoir rendu visite à ma mère à l’hôpital pendant les saisons des grands feux de forêt, et l’hôpital était plein de fumée. Cela m’a étonné parce que j’aurais cru qu’un hôpital aurait les meilleurs appareils de filtrage de l’air.

Que devons-nous faire pour veiller à ce que nos écoles, nos hôpitaux et nos autres édifices publics aient les bons appareils de filtration de l’air pour protéger les gens à l’intérieur?

Dr Agyapong : Merci beaucoup.

J’ai travaillé à Fort McMurray et j’ai souvent vu des patients des communautés des Premières Nations qui ne peuvent pas être rejoints par la route, sauf pendant la saison froide quand les routes d’hiver sont ouvertes.

Nous avons une occasion en or d’utiliser la technologie, comme les vidéoconférences, pour les aider comme nous le faisons, mais probablement pas autant que nous devrions le faire.

Il sera utile pour nous d’envisager de fournir intentionnellement les ressources et de cibler ces communautés au moyen de programmes cliniques de télésanté accrus, non seulement en situation de crise, mais aussi en examinant certains programmes de renforcement de la résilience conçus intentionnellement pour ces communautés virtuelles.

Nous n’aurons jamais assez de thérapeutes ou de psychiatres en santé mentale, même dans les grandes villes. Pour combler leur manque dans ces communautés vulnérables, nous devons intentionnellement fournir ces ressources et tirer parti de la technologie.

Mme Henderson : Au cours des prochains mois, une société internationale technique des génies thermique et climatique, l’ASHRAE, publiera ses lignes directrices sur la protection des occupants des bâtiments commerciaux, des écoles et des hôpitaux contre la fumée des feux de forêt. Je siège à ce comité depuis quatre ans. Nous avons grandement besoin de ces lignes directrices.

Il y aura au moins un cadre pour une discussion universelle sur la façon de protéger la qualité de l’air intérieur lorsqu’il y a de la fumée à l’extérieur.

La sénatrice Simons : Pouvez-vous voir à ce que nous obtenions une copie de ce rapport?

Mme Henderson : Ce ne sera pas un rapport. Il s’agira de lignes directrices de l’ASHRAE. Je ne sais pas si elles seront distribuées gratuitement. Je vais demander au comité si je peux vous en distribuer un exemplaire à l’avance.

La sénatrice Simons : Merci.

Mme Henderson : Je vous en prie.

La sénatrice Muggli : Docteur Agyapong, toujours sur le sujet de la santé mentale, si vous pouvez nous parler de votre expérience à Fort McMurray, je sais que c’était un événement traumatisant. En fait, j’ai hébergé l’un des imams de Fort McMurray et sa famille qui se sont rendus jusqu’à Saskatoon en voiture parce qu’ils n’arrivaient pas à trouver un endroit où rester en chemin. J’ai vu à quel point ils étaient traumatisés.

J’aimerais savoir s’il y a des études ou, dans l’ensemble, si vous avez remarqué une augmentation de problèmes de santé mentale particuliers, notamment des tendances suicidaires.

Dr Agyapong : Absolument. Avant les feux de forêt de 2016, nous avions à Fort McMurray un logement de 10 lits où, souvent, il y avait environ quatre lits vides parce que nous avions amélioré la réactivité aux patients externes, qui étaient aiguillés vers un médecin de famille et ainsi de suite.

Après les feux de forêt, il y a eu une augmentation des visites aux services d’urgence, particulièrement dans les camps d’exploitation des sables bitumineux. Des gens qui avaient besoin d’y être admis.

D’autres études révèlent également que les données de suivi sur cinq ans et les données sur trois ans et demi montrent que la situation empire au lieu de s’améliorer. Je pense que c’est parce que les feux de forêt ont rendu les gens vulnérables ou plus à risque de vivre d’autres expériences traumatisantes.

Nous avons publié un article dans le Journal of Psychotraumatology. Nous avons suggéré que les personnes qui ont été touchées par les feux de forêt, les inondations et la pandémie de COVID-19 étaient 18 fois plus susceptibles de souffrir d’un trouble anxieux généralisé et 11 fois plus susceptibles de souffrir d’un trouble de stress post-traumatique, comparativement à ceux qui ont traversé la pandémie seuls et qui ont vécu dans la ville de Fort McMurray. De toute évidence, les feux de forêt ont un impact psychologique négatif.

La sénatrice McBean : Madame Henderson, revenons aux zones protégées contre la fumée. Le Fonds pour accélérer la construction de logements, qui a conclu des ententes avec le gouvernement fédéral et les municipalités, cherche à construire des maisons rapidement. Pensez-vous qu’un programme comme celui-ci devrait être utilisé pour ajouter en priorité des constructions protégées contre la fumée dans ces ententes? À quoi ressemblerait une zone ainsi protégée dans une maison ou un immeuble d’habitation?

Mme Henderson : Tout d’abord, je dirais qu’il ne faut pas seulement une protection contre la fumée, mais aussi contre les aléas du climat. La fumée est l’un des nombreux dangers climatiques où l’environnement intérieur peut nous aider à nous protéger contre ce danger. Nous devrions tenir compte de tous les dangers lorsque nous parlons de nouveaux logements au Canada.

Il y a deux choses dont il faut tenir compte lorsqu’on parle de l’infiltration de fumée de feu de forêt à l’intérieur, l’une étant de l’empêcher d’entrer et l’autre de l’éliminer une fois qu’elle est entrée.

Tout d’abord, nous voulons construire des enveloppes qui nous permettent de garder la fumée à l’extérieur afin qu’il n’y ait pas de fuite et qu’il n’y ait pas trop de fumée à l’intérieur.

Deuxièmement, nous voulons pouvoir éliminer la fumée de l’air qui entre par filtration, que ce soit par filtration par induction ou par des filtres à air portatifs. Ce sont les deux éléments clés. Tout cela sera décrit dans les lignes directrices de l’ASHRAE.

Pour revenir au thème de la technologie, nous vivons dans un monde où nous pouvons utiliser des capteurs assez peu coûteux pour évaluer la qualité de l’air intérieur. Nous pouvons surveiller le dioxyde de carbone et les particules fines en circulation à l’intérieur. Commencer à intégrer ces technologies dans les maisons de la même façon que nous surveillons l’humidité et la température des maisons est tout simplement la chose intelligente à faire dans un contexte de changements climatiques.

La sénatrice Burey : Encore une fois, en ce qui concerne les effets sur la santé mentale, j’aimerais que vous nous en disiez davantage sur les effets psychologiques à long terme après une catastrophe. La plupart des gens pensent que les effets se limitent à ceux de la catastrophe comme telle, mais des effets psychologiques se feront sentir à plus long terme. Vous avez parlé des effets cumulatifs des traumatismes. Parlez-nous des effets à long terme.

Je n’ai pas entendu parler des problèmes d’apprentissage qui se déclarent par la suite, surtout chez les enfants. Vous avez parlé de l’effet sur l’ensemble du système. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet?

Dr Agyapong : Oui, merci. Comme le montrent les données qui ont été communiquées, la prévalence de ces problèmes psychologiques a en fait augmenté et non diminué, ce qui fournit des preuves convaincantes qu’il y a des effets psychologiques à long terme. La question est de savoir pourquoi nous constatons une augmentation et non une diminution de ces troubles.

Habituellement, lorsque les gens vivent des événements traumatisants, on s’attend à ce que, avec le temps, les effets du traumatisme s’estompent et que l’état de la personne s’améliore, ce qui est le cas pour la plupart des gens.

La réalité, c’est que les données indiquent que ces effets demeurent beaucoup plus longtemps que prévu. Nous devons examiner les autres facteurs en jeu dans ce dossier. Nous sommes tous au courant de la pandémie de COVID-19 qui, en soi, a été très stressante pour tout le monde et a accru, à l’échelle mondiale, les niveaux de symptômes psychologiques.

Nous avons également indiqué qu’il y avait eu des inondations à différents endroits. Malheureusement, Fort McMurray est l’un des endroits touchés par les inondations. Je pense que l’augmentation est liée aux multiples événements qui ont ébranlé Fort McMurray.

Les prix du pétrole se sont effondrés et il y avait beaucoup de chômage à l’époque. Avec le chômage, les inondations, la pandémie de COVID-19 et les feux de forêt, ces augmentations étaient vraiment à prévoir.

Mme Henderson : Je n’ai pas beaucoup parlé des effets biologiques de la fumée sur le corps. L’un des effets importants à retenir, c’est que certaines de ces très petites particules sont assez petites pour passer à travers les poumons dans le sang, puis traverser la barrière hémato-encéphalique. La fumée peut donc avoir un impact direct sur le cerveau.

Nous savons que les enfants ne réussissent pas aussi bien à l’école les jours où il y a de la fumée. Nous savons qu’il y a un déficit d’attention les jours de fumée. Nous savons que ces expositions précoces semblent être associées au développement de maladies comme le trouble du déficit de l’attention avec hyperactivité, ou TDAH, et le trouble du spectre de l’autisme. Nous pouvons donc nous attendre à ce qu’il y ait des répercussions directes sur la santé cérébrale des enfants.

Le président : Merci. Sur ce, je remercie les témoins de leur participation et de leurs témoignages aujourd’hui. Nous vous sommes reconnaissants de vos observations.

Je tiens à remercier les membres du comité de leur participation toujours active et de leurs questions réfléchies. Je veux prendre un moment pour remercier les gens qui nous appuient derrière et sur les côtés, nos interprètes, l’équipe des Débats qui transcrit cette réunion, les préposés aux salles de comité, les techniciens des Services multimédias, l’équipe de radiodiffusion, le centre d’enregistrement, la Direction des services d’information, le personnel de notre bureau et, bien sûr, notre page, Alex. Merci à chacun d’entre vous.

S’il n’y a pas d’autres questions, chers collègues, la séance est levée.

(La séance est levée.)

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