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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES ET DU COMMERCE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 2 février 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 15 heures (HE), avec vidéoconférence, afin d’étudier toute question concernant les banques et le commerce en général, tel que précisé à l’article 12-7(8) du Règlement.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Avant de commencer, j’aimerais rappeler à tous les sénateurs et témoins qu’ils doivent garder leur microphone en sourdine en tout temps, à moins que la présidence ne les reconnaisse par leur nom. Je demanderais également aux sénateurs d’utiliser la fonction « lever la main » lorsqu'ils souhaitent poser une question ou formuler un commentaire. Comme toujours, je vous demande d’être aussi brefs et précis que possible afin que nous puissions couvrir le plus de terrain possible.

Cela dit, nous allons maintenant commencer la partie officielle de notre réunion. Bonjour à tous, et bienvenue à la première audience du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m’appelle Pamela Wallin, je suis sénatrice de la Saskatchewan et j’ai l’honneur de présider ce comité.

J’aimerais présenter les membres du comité qui participent à la réunion d’aujourd’hui, en commençant par le vice-président, le sénateur Colin Deacon de la Nouvelle-Écosse. Il y a aussi la sénatrice Bellemare, qui est membre de notre comité directeur, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, le sénateur Quinn, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith, qui est également membre de notre comité directeur, le sénateur Woo et le sénateur Yussuff. On m’a également dit que la sénatrice LaBoucane-Benson pourrait se joindre à nous, mais je ne la vois pas pour l’instant.

Aujourd’hui, nous sommes très heureux d’accueillir le gouverneur de la Banque du Canada, M. Tiff Macklem.

Je vous remercie de votre coopération, monsieur, car les séances n’ont cessé d’être programmées puis annulées. Nous nous réjouissons donc vraiment de votre présence parmi nous. Le gouverneur est accompagné de la première sous-gouverneure, Mme Carolyn Rogers, afin de discuter d’un large éventail de questions, dont l’évolution du rôle de la Banque du Canada, l’inflation, les taux d’intérêt, l’assouplissement quantitatif, peut-être le resserrement quantitatif, et même les cryptomonnaies. Je vous souhaite la bienvenue, et je vous remercie tous de vous joindre à nous aujourd’hui.

Avant de commencer nos séries de questions, je vais demander au gouverneur d’amorcer la séance en faisant sa déclaration préliminaire.

Monsieur le gouverneur Macklem, la parole est à vous.

Tiff Macklem, gouverneur, Banque du Canada : Merci beaucoup, madame la présidente, et bonjour. Permettez-moi de vous dire à quel point je suis heureux d’être ici pour vous parler de l’annonce du taux directeur de la semaine dernière et du Rapport sur la politique monétaire de la Banque du Canada. De plus, je suis ravi d’être accompagné de la première sous-gouverneure, Mme Carolyn Rogers, qui témoigne devant votre comité pour la première fois. Elle s’est jointe au conseil de direction à un moment important.

Notre message s’articule autour de trois thèmes. Premièrement, les mesures monétaires d’urgence qui visaient à soutenir l’économie durant la pandémie ne sont plus nécessaires, et ont donc été retirées. Deuxièmement, les taux d’intérêt vont devoir augmenter pour maîtriser l’inflation. Les Canadiens doivent donc s’attendre à ce qu’ils suivent une trajectoire à la hausse. Et troisièmement, même s’il est compliqué de rouvrir l’économie après les vagues consécutives de COVID-19, les Canadiens peuvent être sûrs que la Banque du Canada va maîtriser l’inflation. Nous sommes résolus à la ramener à la cible de 2 %. Permettez-moi d’approfondir ces thèmes tour à tour.

Tout d’abord, la banque a pris des mesures énergiques face à la pandémie. Depuis le début, nous réagissons par des actions fermes et mûrement réfléchies qui sont fondées sur notre mandat. Et nous le faisons en communiquant clairement avec les Canadiens sur les moyens exceptionnels que nous avons mis en place pour soutenir l’économie et les conditions pour les retirer.

Nous avons dit que nous allions cesser d’utiliser des mécanismes d’octroi de liquidité d’urgence en appui aux marchés de financement essentiels quand le fonctionnement de ces marchés serait rétabli, et c’est ce que nous avons fait.

Nous avons dit que notre programme d’assouplissement quantitatif resterait en place jusqu’à ce que la reprise soit bien entamée. Nous avons donc commencé à le réduire progressivement au printemps dernier avant d’y mettre fin en octobre. L’annonce du taux directeur de la semaine dernière représente la dernière étape du retrait de nos mesures d’urgence.

Nous avons dit que nous continuerions à donner des indications prospectives exceptionnelles jusqu’à ce que les capacités excédentaires de l’économie se soient résorbées. Étant donné la vigueur de la reprise dans la seconde moitié de 2021, le conseil de direction a jugé que cette condition était maintenant remplie. Par conséquent, nous avons mis fin à notre engagement à maintenir le taux directeur à sa valeur plancher, soit 0,25 %.

Ensuite, nous voulons signaler clairement que nous nous attendons à ce que les taux d’intérêt doivent augmenter. De nombreux facteurs contribuent à l’inflation inconfortablement élevée observée en ce moment. Bon nombre d’entre eux sont des facteurs mondiaux qui reflètent les circonstances uniques créées par la COVID-19. À mesure que la pandémie va s’essouffler, les conditions vont se normaliser, et l’inflation va baisser. Cela dit, vu le resserrement des marchés du travail au pays et les signes de pressions accrues sur les capacités, le conseil de direction anticipe qu’il faudra relever les taux d’intérêt pour ramener l’inflation à la cible de 2 %.

[Français]

Enfin, les Canadiens peuvent être sûrs que la banque va maîtriser l’inflation. Les prix de nombreux biens et services montent vite. Il est donc plus difficile de joindre les deux bouts, surtout pour les ménages à faible revenu. Les prix des aliments, de l’essence et du logement ont tous augmenté plus vite que d’habitude. L’inflation devrait rester élevée pendant la première moitié de l’année avant de redescendre, mais comme cette pandémie est inédite, on ne sait pas à quelle vitesse elle va baisser. Cela dit, les Canadiens peuvent être sûrs que nous utiliserons nos outils de politique monétaire pour contrôler l’inflation.

Je vais maintenant parler de nos perspectives économiques et de la politique monétaire. Dans le monde, la reprise économique est forte, mais elle reste inégale. Elle continue d’être marquée par des problèmes d’approvisionnement. La forte demande des biens, combinée avec ces problèmes et avec les prix plus élevés de l’énergie, a fait grimper l’inflation.

Au Canada, l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation est maintenant au-dessus de notre fourchette cible et les mesures de l’inflation fondamentale ont légèrement augmenté. L’inflation devrait s’établir à près de 5 % dans les prochains mois, mais les pressions devraient baisser dans la seconde moitié de l’année. On s’attend à ce que l’inflation diminue assez vite et se situe près du taux de 3 % d’ici la fin de l’année. Elle devrait ensuite revenir graduellement tout près de la cible de 2 % en 2023.

En gros, les mesures des attentes par rapport à l’inflation et nos projections vont dans le même sens. Les attentes à plus long terme demeurent bien ancrées sur la cible de 2 %. Le conseil de direction juge essentiel que les attentes plus élevées à court terme n’aient pas d’effets sur les attentes à long terme et n’aient pas non plus d’influence durable sur l’inflation.

En octobre, on avait prévu que l’écart de production allait se refermer au deuxième ou au troisième trimestre de cette année. Cependant, la croissance au deuxième trimestre de 2021 a été encore plus forte que prévu. En raison d’un grand nombre de mesures, les capacités excédentaires se sont résorbées. L’emploi dépasse les niveaux d’avant la pandémie, les entreprises ont du mal à recruter du personnel et les salaires augmentent plus rapidement.

La progression rapide d’Omicron va peser sur la croissance au premier trimestre, mais les taux élevés de vaccination au pays et la capacité de la population de s’adapter aux restrictions devraient limiter les risques économiques à la baisse liés à cette vague. On prévoit une croissance annuelle de l’économie de 4 % cette année et d’environ 3,5 % en 2023. Le rebond des dépenses de consommation en services et la forte hausse des investissements des entreprises et des exportations expliquent ces projections.

[Traduction]

En tenant compte de tout cela, le conseil de direction a conclu que, selon notre projection, les taux d’intérêt vont devoir suivre une trajectoire à la hausse pour modérer la croissance des dépenses et ramener l’inflation à la cible. Bien sûr, nous avons discuté du moment propice pour commencer à relever le taux directeur. La formulation de notre politique monétaire a été mûrement réfléchie depuis le début de la pandémie, et nous sommes conscients que le variant Omicron va ralentir les dépenses au premier trimestre. Nous avons donc décidé la semaine dernière de ne pas changer le taux directeur, de mettre fin à notre engagement à le maintenir à sa valeur plancher, et d’indiquer qu’il faut s’attendre à une hausse des taux. Le moment et la vitesse de ces hausses seront guidés par notre engagement à atteindre la cible d’inflation de 2 %. Cela marque la fin de nos mesures monétaires d’urgence et signale que les taux d’intérêt vont monter. Comme il s’agit d’un changement de cap important pour la politique monétaire, nous avons jugé approprié d’avancer par étapes. En communiquant de façon claire et réfléchie, nous nous efforçons de rester centrés sur l’essentiel, afin que la politique monétaire donne confiance et ne soit pas une autre source d’incertitude.

Pour conclure, je vais parler d’un autre outil de politique monétaire important : notre bilan. La Banque du Canada va garder son portefeuille d’obligations du gouvernement du Canada à un niveau assez stable, au moins jusqu’à ce que nous commencions à relever le taux directeur. Nous évaluerons alors la possibilité de mettre un terme à la phase de réinvestissement et de réduire la taille du bilan de la banque en ne remplaçant pas les obligations du gouvernement du Canada qui arrivent à échéance. Et comme nous l’avons fait dans le passé, la banque expliquera ses intentions avant d’apporter des changements à sa façon de gérer son bilan.

Et maintenant, la première sous-gouverneure et moi serons ravis de répondre à vos questions.

La présidente : Je vous remercie, monsieur le gouverneur. Je vous suis très reconnaissante de votre déclaration. Vous avez soulevé de nombreuses questions. Pendant les séries de questions, j’interviendrai de temps en temps, car j’ai moi-même quelques questions à poser. Cependant, j’aimerais amorcer la série de questions officielle de notre séance d’aujourd’hui en donnant la parole au vice-président du comité, le sénateur Deacon.

Le sénateur C. Deacon : Monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure, nous sommes très heureux d’être ici avec vous aujourd’hui. Je veux me concentrer sur les Canadiens qui ne sont pas propriétaires de leur logement. Bon nombre d’entre eux sont soumis à des hausses de loyer [Difficultés techniques] en raison de l’augmentation considérable des prix des logements et du phénomène des « expulsions pour cause de rénovations » qui survient dans le pays. Ils remarquent une augmentation des coûts de la nourriture, de l’essence, du pétrole et du chauffage. En revanche, les gens ne voient pas beaucoup d’augmentations de salaire.

Nous avons constaté dans le rapport mis au point pour ESDC que la croissance des salaires au Canada a été inférieure d’environ 1 % par an à la faible croissance de notre productivité. Avec la hausse des taux d’intérêt, l’inflation croissante et l’absence de perspectives d’augmentation des salaires à ce stade, nous commençons à remarquer que notre politique monétaire a un effet disproportionné sur ceux qui se trouvent au bas de l’échelle de revenus.

Quels sont, selon vous, les outils ou les mesures en matière de politique monétaire que vous pourriez utiliser pour comprendre et aider à atténuer les pressions que les Canadiens ressentent clairement face à des taux d’inflation très élevés à l’heure actuelle [Difficultés techniques] et probablement encore plus élevés à l’avenir? Merci.

M. Macklem : Merci, sénateur Deacon. Nous avons eu un peu de mal à vous entendre, mais je pense avoir compris l’essentiel. Cela commence par la réduction de l’inflation. Nous sommes très conscients que la hausse des prix des aliments, de l’essence et de nombreux biens nuit aux Canadiens, et qu’elle a un effet disproportionné sur les Canadiens à faible revenu. Les Canadiens nous ont dit très clairement que lorsque l’inflation est élevée — et elle est actuellement trop élevée —, il leur est plus difficile de joindre les deux bouts et de payer leurs factures. La première chose à faire, conformément à notre mandat qui consiste à aider particulièrement les Canadiens à faible revenu — mais en fait tous les Canadiens —, est de ramener l’inflation à la cible. Je veux donner aux Canadiens l’assurance que nous sommes convaincus que l’inflation diminuera.

Permettez-moi de souligner que l’inflation que nous observons actuellement reflète, à bien des égards, les circonstances très particulières de la pandémie. En raison des restrictions que nous et tous les habitants de la planète avons subies, les ménages n’ont pas pu acheter bon nombre des services dont ils souhaitaient se prévaloir. Ils se sont donc tournés vers des biens. La demande de biens à l’échelle mondiale est donc très forte. En même temps, les chaînes d’approvisionnement mondiales sont compromises. Les entreprises ne peuvent pas produire autant de biens parce qu’elles doivent ralentir leur production pour respecter les restrictions locales. Des goulots d’étranglement sont apparus dans les transports, ce qui a fait grimper les prix des marchandises d’une manière très inhabituelle.

Alors que la pandémie s’estompe, ces goulots d’étranglement devraient passer. Les choses devraient revenir à la normale. Les ménages s’éloigneront des biens et se tourneront vers les services, ce qui réduira la pression. Ainsi, le prix des biens devrait diminuer.

Il faudra un certain temps. Il y a des arriérés. Nous croyons que l’inflation demeurera à près de 5 %, malheureusement, pour la première partie de cette année, mais qu’elle baissera assez rapidement au cours de la deuxième moitié de l’année, jusqu’à 3 % environ. La prochaine étape consiste à faire passer l’inflation de 3 % à notre objectif de 2 %. Pour cela, il faudra augmenter les taux d’intérêt. À l’heure actuelle, la capacité est absorbée et notre économie s’est rétablie, plus vite que nous le pensions. C’est une très bonne nouvelle pour tous les Canadiens. La hausse des emplois est importante. Les salaires augmentent et correspondent à peu près à ce qu’ils étaient avant la pandémie. Les intentions salariales montrent que les salaires dépasseront légèrement ces taux.

Je suis, moi aussi, d’avis qu’il faut des gains de productivité à l’appui de telles hausses. Je pourrais y revenir plus tard, mais il faut maintenir les taux d’intérêt élevés pour réduire les dépenses. La capacité doit être absorbée. Nous devons harmoniser l’offre et les dépenses, et revenir à un taux d’inflation de 2 %.

Selon nos prévisions dans le Rapport sur la politique monétaire, l’inflation reviendra au taux cible et la croissance sera bonne. Nous prévoyons une croissance de 4 % cette année et de 3,5 % l’année prochaine. Selon les prévisions, des emplois seront disponibles et le revenu des Canadiens augmentera.

[Difficultés techniques]

La présidente : Monsieur le gouverneur, à titre de suivi, certains membres de l’industrie financière — les présidents de banques — s’attendaient dans les jours après le pire de la pandémie à ce que les consommateurs dépensent de façon frénétique. Vous avez évoqué les difficultés associées à cela, tant pour les biens que pour les services. Je crois que vous faites plutôt partie de ceux qui pensent que les Canadiens préconisent l’épargne et l’austérité.

Qu’avez-vous constaté? Vous venez de parler de l’augmentation des taux d’intérêt pour freiner les dépenses.

M. Macklem : La reprise économique est menée par les consommateurs. Nous prévoyions depuis un bon moment une augmentation importante au cours de la deuxième moitié de l’année. En fait, l’augmentation a été plus importante que ce que nous avions prévu. Les dernières données sur le PIB, qui sont parues hier, appuient l’idée d’une augmentation importante, surtout au cours du quatrième trimestre. C’est pourquoi nous croyons que la capacité a été absorbée.

En ce qui a trait au débat au sujet des consommateurs, nous croyons tous qu’il y aura une augmentation importante des dépenses au sein des ménages, et nous l’avons déjà constatée. Toutefois, comme je l’ai dit plus tôt, les ménages n’ont pas pu acheter bon nombre des services qu’ils souhaitaient obtenir. Partir en vacances, aller au restaurant, tout cela était difficile — voire impossible —; par conséquent, ils ont accumulé un important excédent d’épargne. Le bilan des Canadiens s’est amélioré.

La question, pour l’avenir, est la suivante : que vont-ils faire de cette épargne excédentaire? Dans nos projections, nous avons déterminé qu’ils allaient en dépenser environ 20 %. Comment sommes-nous arrivés à cette prévision? Nous avons demandé aux Canadiens quels étaient leurs plans, et nous les avons écoutés. Cette prévision correspond grosso modo à nos données d’enquête.

Comme nous l’avons fait valoir dans le Rapport sur la politique monétaire, il y a un risque qu’ils dépensent plus que cela. Nous croyons qu’avec les réouvertures, l’augmentation de la demande de biens ralentira et la demande de services augmentera. Mais, comme les ménages ont des économies supplémentaires, on pourra observer une croissance continue pour les deux secteurs, ce qui donnerait lieu à une augmentation plus importante que ce que nous avons prévu. Ainsi, les taux d’intérêt devraient augmenter davantage pour freiner les dépenses et les abaisser au niveau de l’offre.

Il y a aussi le risque que les consommateurs gardent une plus grande partie de leurs économies. Jusqu’à maintenant, malgré la force de la consommation, ils n’ont pas encore pigé dans ces économies.

Donc, en gros, je crois que notre hypothèse et les risques sont bien équilibrés dans nos projections. Il est évident que les taux d’intérêt doivent augmenter. L’importance de cette augmentation dépendra des développements économiques. Si les consommateurs dépensent plus, il faudra une augmentation plus importante des taux d’intérêt.

[Français]

La sénatrice Bellemare : C’est mon tour, monsieur le gouverneur, de vous souhaiter la bienvenue. Je suis heureuse de pouvoir discuter avec vous de ces enjeux très importants.

J’aimerais vous remercier d’avoir inclus dans la nouvelle entente des considérations qui confirment que vous allez, et je cite :

[…] tenir compte d’un ensemble élargi d’indicateurs du marché du travail pour rechercher activement le niveau d’emploi durable maximal requis pour maintenir l’inflation à la cible.

Ce n’est pas le mandat dual, et c’est un peu moins que ce que beaucoup d’économistes demandaient, mais c’est un pas dans la bonne direction. Au moins, les Canadiens peuvent être rassurés sur le fait que la Banque du Canada prend en compte l’impact de ces politiques, surtout la hausse des indicateurs sur le marché du travail.

J’aimerais revenir au Rapport sur la politique monétaire. On constate que la tâche de la Banque du Canada est extrêmement difficile en ce moment parce que l’inflation, comme vous l’avez souligné, est un phénomène mondial. C’est un problème qui touche tout le monde. La solution repose en grande partie sur la reprise sur le plan des chaînes d’approvisionnement et sur les attentes inflationnistes qui ne doivent pas s’emballer. Tout cela est un casse-tête qui n’est pas facile à construire; la politique monétaire est quand même assez générale dans sa portée et son application.

Ma question est la suivante : comment peut-on adapter la politique monétaire et faire en sorte qu’elle favorise aussi une reprise sur le plan des chaînes d’approvisionnement et une reprise inclusive au sortir de la pandémie? Ne serait-il pas souhaitable de mettre également à profit la politique fiscale, pour avoir notamment des effets ciblés sur la politique monétaire, effets qui encourageraient une reprise sur le plan des chaînes d’approvisionnement et permettraient de réduire les ardeurs des consommateurs les plus fortunés?

Vous annoncez qu’il y aura une hausse des taux d’intérêt ou du taux directeur. Je crois qu’il est normal qu’il y ait des hausses, car le taux est bas depuis trop longtemps. Cependant, on sait que ces hausses toucheront les plus faibles de la population, ceux qui ont des hypothèques et qui font des budgets chaque semaine. Comment pouvez-vous voir là-dedans des outils fiscaux et une coordination?

M. Macklem : Merci, madame la sénatrice. J’aimerais tout d’abord vous remercier de votre engagement dans le débat concernant notre mandat. Je suis très heureux du mandat annoncé par la ministre des Finances en décembre dernier. Il est clair que notre cible d’inflation est encore à 2 %, et cela reste notre premier objectif.

Comme vous venez de le mentionner, on a précisé le rôle de l’emploi dans nos décisions. J’espère que vous avez vu notre récente politique monétaire où nous avons décrit — comme vous venez de mentionner — un plus large éventail d’indicateurs du marché de la main-d’œuvre. Ce que vous voyez en regardant ces indicateurs, c’est que les indicateurs les plus marqués, comme le taux d’emploi, le taux de chômage et le taux de participation dans le marché de la main-d’œuvre, sont à peu près au même niveau qu’avant la pandémie. Il y a aussi des mesures d’inclusivité de la reprise.

Comme vous l’aurez remarqué — et j’ai mis beaucoup l’accent sur ce sujet —, c’était une récession très inégale. Toutes les récessions inégales sont subies et sont particulièrement sévères pour les femmes, les jeunes femmes, les mères et les travailleuses à faible revenu. Grâce à la réouverture de l’économie et du secteur des services, on a vu que ces mesures d’inégalité ont beaucoup diminué. Il y a une très bonne nouvelle — je ne connais pas le mot en français, mais en anglais on parle de she-cession —, et c’est que la she-cession est maintenant terminée. L’emploi des femmes est maintenant à un niveau plus élevé qu’avant la pandémie. Par contre, il y a des secteurs, comme la restauration et le tourisme, où il y a encore du chômage.

La politique monétaire est un instrument macroéconomique qui ne peut pas cibler un secteur en particulier. Il y a des mesures budgétaires qui sont ciblées; de nouvelles mesures ciblées pour les secteurs les plus affectés ont été mises en place. Avec Omicron, ce sont ces mêmes secteurs qui sont les plus durement touchés. Comme on l’a vu dans la deuxième moitié de 2020, quand Omicron reculera, on a confiance que la demande fondamentale sur le plan de l’économie sera assez forte. Les ménages veulent consommer plus de services. On pense donc que ces secteurs seront plus forts à l’avenir.

Pour ce qui est des chaînes d’approvisionnement, c’est un phénomène global. Aux États-Unis et dans d’autres grands pays, on a mis en place certaines mesures pour essayer de réduire ces problèmes logistiques dans les ports et dans les transports. Au Canada, je pense que les investissements dans nos ports seront importants. Je sais qu’il y a déjà quelques ports, par exemple à Vancouver et au port de Prince Rupert, où il y a des investissements qui sont en cours. Les efforts que les gouvernements fédéral, provinciaux et municipaux pourront faire pour améliorer les choses et réduire ces goulots d’étranglement seront les bienvenus.

Le sénateur Massicotte : Bienvenue, monsieur Macklem. C’est avec plaisir que je vous rencontre à nouveau. Vous occupez un poste important et je vous souhaite bonne chance dans l’exécution de vos nouvelles fonctions.

J’aimerais que vous nous parliez de la façon dont le marché et les consommateurs ont réagi au cours des neuf derniers mois. Nous avons appris par différents quotidiens que les gens n’avaient plus confiance dans les institutions existantes en ce qui a trait à l’inflation. Une certaine panique s’est installée chez les consommateurs et les investisseurs. Vous avez tenté de les rassurer, mais le taux semble avoir augmenté plus que vous ne l’aviez anticipé.

Vous avez prononcé un discours qui explique pourquoi cela s’est produit. Vous avez parlé des investisseurs étrangers de l’immobilier et de la réaction du marché. On avait vraiment le sentiment de ne pas être en contrôle de la situation.

Il est fondamental d’avoir confiance en nos institutions, mais à cette occasion nous avons senti quelque chose de tout à fait contraire. C’est pourquoi j’aimerais que vous nous expliquiez ce qui s’est passé.

M. Macklem : Je vous remercie de votre question. J’aimerais profiter de l’occasion pour parler davantage de notre analyse et de nos prévisions par rapport à l’inflation. Dans notre Rapport sur la politique monétaire, vous verrez quelques graphiques qui expliquent tout cela en détail.

Comme je l’ai mentionné, la majeure partie de l’inflation que nous avons actuellement provient des fortes hausses du prix de plusieurs biens qui sont négociées mondialement. Au graphique 9 de notre Rapport sur la politique monétaire, on peut voir que le taux d’inflation actuel s’élève à près de 5 % et qu’environ trois points de pourcentage de ce taux d’inflation reflètent les fortes hausses du prix des biens où l’on éprouve des problèmes sur le plan des chaînes d’approvisionnement. Cela touche surtout les automobiles et les électroménagers.

Cela inclut également la nourriture, car les récoltes ont été faibles un peu partout dans le monde à cause des conditions climatiques. Au Canada, il y a eu une sécheresse dans l’Ouest, alors que plusieurs pays ont eu d’autres problèmes. Nous prévoyons que tout cela va s’atténuer dès le deuxième trimestre de cette année.

Habituellement, lorsque le taux d’inflation est à 2 %, le prix des services augmente à 3 % environ et le prix des biens augmente d’environ 1 %; la moyenne se situe donc à 2 %. Au cours des 25 dernières années, le taux d’inflation a toujours été très proche de 2 %.

Les circonstances actuelles sont uniques. Le prix des biens augmente d’environ 7 %, alors que la hausse du prix des services se rapproche de 3 %. La moyenne se situe donc beaucoup plus haut que notre cible de 2 %; elle est à 5 %, et il y a de bonnes raisons à tout cela.

Lorsque les restrictions liées au coronavirus commenceront à diminuer, il y aura une normalisation de la demande et de la production des biens. Ces pressions à la hausse sur le prix des biens diminueront. C’est pourquoi, pour la deuxième moitié de l’année, nous anticipons une diminution assez rapide de l’inflation sur le prix des biens. Cela peut même se produire plus rapidement que prévu, car nos prévisions n’évoquent pas de réelles baisses des prix, mais seulement une baisse du taux d’augmentation des prix. Il est possible que le prix de certains biens baisse et que l’on voie le taux d’inflation diminuer plus rapidement.

Toutefois, oui, il y a de l’incertitude au sujet de ces goulots d’étranglement et c’est difficile de tout prévoir. Nous n’avons jamais eu à rouvrir une économie à la suite d’une pandémie. C’est donc quelque chose de nouveau et, dans un tel contexte, je crois que nos prévisions sont assez équilibrées.

J’aimerais également souligner qu’avec une économie vigoureuse et un écart de production qui est pratiquement à zéro, il faut des taux d’intérêt plus élevés pour deux raisons. D’abord, il faut maintenir bien ancrées les anticipations de l’inflation de 1 %. De plus, il faut modérer la croissance de la demande et revenir à un marché davantage axé sur l’offre.

Selon nos prévisions, une trajectoire à la hausse des taux d’intérêt aura pour effet de modérer la demande. De plus, comme je viens de le mentionner, la courbe de cette hausse du taux d’intérêt dépendra des événements et de nos prévisions en ce qui a trait à l’inflation, parce que nous sommes bien déterminés à ramener le taux à 2 %.

Le sénateur Massicotte : J’aimerais qu’on aborde le sujet des investissements des entreprises. Dans votre rapport, vous semblez très optimiste quant à la croissance des investissements des entreprises.

Par ailleurs, depuis plusieurs années, le Canada est loin derrière les Américains. Le Canada traîne de l’arrière en ce qui a trait au marché, et on dirait que le gouvernement hésite à accorder des prêts à l’extérieur, ce qui me semble être un point négatif. Comment expliquez-vous cela?

Vous êtes optimiste actuellement, mais croyez-vous que le Canada pourra rattraper les États-Unis? Quels sont vos commentaires à ce sujet?

M. Macklem : À mon avis, il y a de bonnes raisons d’être optimiste. Durant la pandémie, les entreprises ont démontré qu’elles pouvaient s’adapter en augmentant leurs investissements numériques, et c’est une des raisons pour lesquelles l’impact de cette pandémie a été moins sérieux qu’on l’anticipait.

Aujourd’hui, nous assistons tous à des réunions virtuelles. En janvier dernier, le tiers des Canadiens travaillaient à partir de la maison. Nous avons trouvé différentes façons d’acheter et de nous divertir à la maison de manière virtuelle. Cela reflète les investissements numériques importants que les entreprises ont faits durant cette crise. Cela devrait se poursuivre. L’économie numérique a beaucoup avancé et évolue rapidement; cela doit continuer.

Il y a une forte croissance de la consommation. La demande extérieure de l’économie aux États-Unis est forte et la demande pour nos exportations restera donc assez solide. Le rendement des entreprises est variable, mais en moyenne les entreprises sont en bonne posture.

Selon un sondage mené auprès des entreprises sur leurs perspectives, leurs plans d’investissement sont parmi les plus forts depuis 1999, quand nous avons commencé à sonder les entreprises.

Je crois qu’il y a de bonnes raisons d’être optimiste. Je suis d’accord pour dire qu’il est très important que les entreprises fassent ces investissements. La semaine prochaine, j’irai parler aux chambres de commerce canadiennes et je leur transmettrai le même message.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Macklem, d’être avec nous aujourd’hui. J’aimerais vous parler de la phase de réinvestissement et de la période au cours de laquelle les obligations du gouvernement du Canada figureront au bilan. En fin de semaine, je lisais dans le Globe and Mail que la banque avait mis fin à sa dernière mesure d’intervention d’urgence en éliminant les indications prospectives. Vous en avez parlé brièvement, mais j’ai été surpris de lire sur votre site Web que vous mainteniez un réinvestissement de 433 milliards de dollars dans les obligations du gouvernement du Canada. C’est un engagement important.

Combien de temps durera la phase de réinvestissement, selon vous?

J’aimerais vous poser une question — rapidement — sur la croissance, puisqu’il s’agit là aussi d’une pente abrupte étant donné les fermetures attribuables au variant Omicron. La même semaine, le FMI révisait ses prévisions de croissance économique à la baisse, et tout indique que vous allez augmenter les taux d’intérêt dès que possible, et que le consommateur sera l’instrument de la reprise économique.

M. Macklem : Je vous remercie, monsieur le sénateur.

Je vais commencer par vous donner quelques faits, puis je répondrai plus directement à votre question. La réponse courte, c’est qu’il s’agit d’un enjeu stratégique et que nous prendrons les décisions par étapes pour l’avenir.

Avant la pandémie, notre bilan était de 120 milliards de dollars. Il se situe maintenant à 500 milliards de dollars. Il s’agit, dans une large mesure, d’obligations du gouvernement du Canada, qui correspondent à 425 milliards de dollars.

En ce qui a trait au programme d’assouplissement quantitatif — à son plus fort, nos achats représentaient 5 milliards de dollars par semaine —, nous avons des achats de marchés secondaires de l’ordre de 300 milliards de dollars dans notre bilan. Au printemps dernier, donc, nous avions réduit nos achats. Alors que la reprise gagnait en force, nous avions déterminé que l’assouplissement quantitatif n’était plus aussi nécessaire qu’avant, et nous l’avons graduellement réduit par étapes de 1 milliard de dollars. Nous sommes passés de 5 à 4, à 3 et à 2 milliards de dollars, et en octobre, nous avons mis fin à notre programme d’assouplissement quantitatif pour entrer dans la phase de réinvestissement, ce qui signifie que nous maintenons les obligations du gouvernement du Canada à un niveau constant. Nous avons fixé un objectif de 4 à 5 milliards par mois, ce qui correspond à environ 1 milliard de dollars par semaine. Au cours des derniers mois, nous avons maintenu la marque de 1 milliard de dollars par mois.

La semaine dernière, nous avons fait valoir qu’une fois le taux directeur augmenté, nous allions songer à laisser ces obligations disparaître de notre bilan. Dans les faits, cela signifie que nous n’allons pas acheter de nouvelles obligations pour remplacer celles qui viennent à échéance; ainsi notre bilan diminuera. C’est ce qu’on appelle le resserrement quantitatif. Je tiens à souligner que notre instrument principal pour réduire la stimulation fiscale, c’est l’augmentation du taux directeur. Nous avons une expérience de longue date avec l’augmentation et la réduction du taux directeur, nous comprenons les mécanismes et nous mesurons avec justesse les conséquences sur l’économie. Il s’agit de notre principal instrument et, comme nous l’avons indiqué très clairement, les taux d’intérêt doivent augmenter pour réduire la demande.

L’assouplissement quantitatif, s’il est utilisé, sert de complément. L’effet serait plus important sur la courbe de rendement; les rendements seraient accrus.

Le moment et le rythme choisis dépendront de nos décisions stratégiques, mais je crois que le message à tirer de la semaine dernière est le suivant : ce sera plus tôt que tard, et certainement plus tôt que ce qu’on avait d’abord prévu. Avant de mettre les choses en place, nous allons transmettre des renseignements supplémentaires sur le mode de fonctionnement de cet environnement.

La présidente : J’aimerais faire suite à la question du sénateur Woo, qui portait sur ce sujet. Il vous demandait pourquoi vous ne réduisiez pas la dette immédiatement et pourquoi vous attendiez la prochaine augmentation des taux d’intérêt, qui devrait être en mars. Y a-t-il une raison pour cela?

M. Macklem : Comme je l’ai dit plus tôt, notre principal outil de politique monétaire, c’est notre taux d’intérêt. Il est donc logique de commencer par là. Le message de la semaine dernière était le suivant : lorsque nous l’aurons fait, à court terme, nous allons songer à y ajouter l’assouplissement quantitatif. La raison est simple : le taux d’intérêt représente l’instrument principal, alors nous allons commencer avec cela.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur, pour votre présence aujourd’hui.

Je voulais aborder la question de l’inflation, parce qu’elle est très préoccupante, surtout pour les consommateurs. Vous avez dit, dans votre déclaration préliminaire, que vous prévoyiez un taux de 3 % d’ici la fin de l’année et un taux de 2 % en 2023. Au printemps, lorsque vous parliez d’inflation, vous avez utilisé le terme « transitoire ». Ensuite, vous avez pris un pas de recul lorsque vous avez réalisé que ce n’était pas transitoire et que la situation durerait un peu plus longtemps que prévu. Les sénateurs ne sont pas des économistes, mais certains d’entre eux avaient prédit que la situation ne serait pas temporaire. Il n’est donc plus question d’une transition.

Quel est votre niveau de confiance à l’égard de vos projections de 3 et 2 %, étant donné l’enjeu associé à l’utilisation du terme « transitoire » au printemps? À mon avis, vous avez raté la cible à cet égard, et j’ai lu des articles qui remettaient en question la crédibilité de la Banque du Canada, ce que nous ne voulons pas. C’est une chose de questionner les gouvernements et de remettre leur crédibilité en question, mais c’en est une autre que de remettre en question celle de la Banque du Canada.

Quelles mesures prendra la banque pour rétablir sa crédibilité? Je crois qu’il s’agit d’un enjeu très important.

M. Macklem : La meilleure façon de convaincre les Canadiens que l’inflation reviendra à la cible de 2 %, c’est d’y revenir. Dans les faits, nous allons utiliser nos outils pour ramener l’inflation au taux cible.

L’un des avantages de publier des prévisions claires, c’est que les gens peuvent décider des adjectifs qu’ils veulent utiliser pour les décrire. Je ne vais pas en rajouter, mais nous avons indiqué clairement que nous nous attendions à ce que l’inflation demeure à un taux inconfortablement élevé pour la première moitié de l’année avant de redescendre assez rapidement au cours de la deuxième moitié de l’année, alors que la pandémie recule et que la situation se normalise.

Une incertitude plane à cet égard, évidemment. Les problèmes avec la chaîne d’approvisionnement et les goulots d’étranglement sont plus généralisés et durent plus longtemps que nous l’avions imaginé, et c’est l’une des raisons importantes pour lesquelles nous avons révisé nos prévisions.

Nous ne savons pas exactement combien de temps il faudra pour passer à travers les goulots d’étranglement et les arriérés, et les réduire. Comme je l’ai dit en réponse à la question précédente, le taux d’inflation pourrait diminuer plus rapidement, surtout s’il y a une inversion des prix dans nos prévisions. La pression sur le prix des biens diminue. Les prix n’augmenteront donc plus selon ces taux inhabituels, mais ils ne diminueront probablement pas non plus. Si les prix diminuent, le taux d’inflation pourrait être rétabli plus rapidement. Toutefois, les problèmes avec la chaîne d’approvisionnement pourraient durer plus longtemps.

Le virus est toujours présent. Il est possible qu’Omicron affecte les installations de production dans d’autres régions du monde. L’incertitude plane toujours.

Je tiens toutefois à souligner que nous travaillons — et que nous travaillerons — à gérer cette incertitude. Nous avons énoncé très clairement que les taux d’intérêt étaient à la hausse. C’est nécessaire pour réduire l’inflation. La vitesse et l’importance de cette augmentation dépendront des investissements et de ce qui sera nécessaire pour ramener le taux d’inflation au niveau ciblé. Il est évident que les taux d’intérêt doivent augmenter. Et la pente — l’importance de l’augmentation — dépendra des développements. Je crois que c’est la meilleure chose que nous puissions faire pour démontrer notre sérieux.

La sénatrice Marshall : Merci. Pouvez-vous m’inscrire à la liste des intervenants de la deuxième ronde, le cas échéant, madame la présidente?

La présidente : Oui, tout à fait.

La sénatrice Ringuette : Merci et bienvenue, monsieur le gouverneur. Je crois que c’est la première fois que vous témoignez devant le comité depuis votre nomination.

J’ai lu votre rapport de la semaine dernière, et je vous trouve très optimiste en ce qui a trait à la croissance de 4 %. J’essaie de réunir toutes les pièces du casse-tête.

Selon les données de votre rapport, par exemple, vous prévoyez une augmentation du taux d’exportation d’environ 2,6 %, ce qui réduira notre taux d’importation, mais cela ne correspond pas à la déclaration voulant que les consommateurs dépensent leurs économies au cours de la prochaine année. C’est ma première question.

Ma deuxième question fait suite à celle du sénateur Massicotte au sujet des investissements des entreprises. Vous avez dit que les entreprises avaient investi dans les activités numériques.

[Français]

Ils ont investi dans le numérique parce que tout le monde y a investi. C’était un élément essentiel, et non pas un élément de stratégie ou de productivité.

Vous savez, je pose toujours cette question chaque fois que nous recevons le gouverneur de la Banque du Canada, parce que je suis toujours très surprise que les entreprises canadiennes aient des réserves considérables et n’investissent pas dans le développement technologique, dans la robotique ou dans la productivité de leur entreprise. On peut comprendre qu’il y a des facteurs géopolitiques, mais depuis deux ans, ces facteurs n’ont fait qu’augmenter en importance dans la prise de décisions.

[Traduction]

Je vous trouve donc très optimiste, et c’est tant mieux pour vous. Selon votre enquête sur les perspectives des entreprises, près de 50 % d’entre elles disent vouloir investir. Ce serait intéressant de savoir de quel ensemble il s’agit. Est-ce qu’il s’agit du secteur du commerce de détail? Du secteur de la fabrication? De la transformation des aliments? Quel est le groupe visé par cette enquête?

M. Macklem : Je vous remercie, sénatrice. Je demanderai à la première sous-gouverneure, Carolyn Rogers, de parler de nos projections, puis je reviendrai à la question de la productivité et de l’investissement.

Juste pour faire la lumière sur un point qui porte à confusion, dans les tableaux que comprend le Rapport sur la politique monétaire où vous voyez le signe négatif devant les importations, c’est simplement parce que ces dernières sont soustraites du PIB. Les importations augmentent, mais elles réduisent le PIB et n’y contribuent pas, bien entendu. C’est simplement ainsi que nous présentons l’information dans le tableau.

Permettez-moi toutefois de demander à la première sous-gouverneure de dire quelques mots sur les fondements de nos projections de croissance, puis je reprendrai la parole pour traiter de l’investissement et de la productivité.

Carolyn Rogers, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Je vous remercie de la question.

Je préférerais m’adresser à vous en français aujourd’hui, mais ma maîtrise de cette langue figure sur la liste de choses que je dois améliorer dans mes nouvelles fonctions à la Banque du Canada. Je compte bien m’améliorer. Je reviendrai vous rencontrer à maintes reprises au cours de mon mandat et j’espère que pendant cette période, je pourrai vous parler dans les deux langues officielles. Pour aujourd’hui, permettez-moi de vous répondre en anglais.

D’où tirons-nous notre confiance? Dans votre question, vous avez parlé du rôle des exportations, et nous observons certainement la force de l’économie américaine. Comme les États-Unis sont notre plus important partenaire commercial, cela joue un rôle crucial dans la croissance que nous prévoyons pour l’économie canadienne.

De plus, comme le gouverneur l’a souligné, nous prévoyons également une capacité excédentaire. Nous pensons qu’un grand nombre de facteurs qui freinent les entreprises et l’économie s’évanouiront à mesure que la pandémie disparaît. Si on se rend dans une entreprise, qu’il s’agisse d’un restaurant ou d’une boutique, on voit que certains facteurs nuisent manifestement à la productivité, comme le préposé à l’accueil qui vérifie le passeport vaccinal ou les nombreuses personnes qui s’occupent du nettoyage ou de tâches semblables. Quand ces tâches disparaîtront à mesure que la pandémie s’éloigne, nous pensons qu’il pourrait y avoir une capacité excédentaire. Comme nous l’avons indiqué dans notre Rapport sur la politique monétaire et dans nos explications aujourd’hui, la demande est très élevée du côté du consommateur. Nous pensons que la demande du consommateur se rééquilibra entre les biens et services. Dans l’ensemble, nous jugeons que la demande restera forte, ce qui alimentera aussi notre croissance.

Nous pensons que l’économie recèle un grand potentiel qui continuera de se révéler à mesure que la pandémie perd de la vigueur. Ces facteurs alimentent notre confiance en la croissance à venir.

[Français]

M. Macklem : Pour revenir au sujet de la productivité et des investissements, je suis tout à fait d’accord pour dire que ceux-ci sont essentiels pour notre niveau de vie. Nous sommes une banque centrale qui cible l’inflation. La productivité et les investissements sont essentiels pour que le pays ait une bonne croissance avec une réduction de l’inflation.

Comme ma première sous-gouverneure vient de le souligner, pendant la pandémie — surtout lors de la deuxième moitié de l’année dernière —, nous avons vu une forte croissance liée à l’augmentation du nombre d’emplois. Nous avons vu des gains considérables sur le plan de l’emploi. Ce n’était pas vraiment à cause de la productivité, mais, comme l’a mentionné Mme Rogers, ce n’est pas surprenant que la productivité soit faible. Il y a des difficultés sur le plan opérationnel : on a besoin de plus de personnes, de plus d’espace; il est difficile de planifier, car il y a des goulots d’étranglement et des problèmes avec les chaînes d’approvisionnement. Tout cela a réduit la productivité. Lorsque ces problèmes seront réglés, nous pensons que la productivité va augmenter.

Selon nos prévisions, il y aura davantage de croissance sur le plan du PIB que de l’emploi. Le marché de la main-d’œuvre est serré actuellement. Il y a des occasions pour les entreprises d’embaucher des personnes des communautés moins représentées dans l’économie. La sénatrice Bellemare parlait justement plus tôt de l’importance d’une reprise inclusive. C’est une occasion d’améliorer l’inclusivité dès maintenant. Cependant, il y a des limites du côté de la main-d’œuvre, donc une plus grande part de notre croissance devrait venir de la productivité.

L’autre élément, c’est qu’on a besoin d’investissements effectués par les entreprises, comme vous l’avez mentionné. Les intentions d’investissements des entreprises sont fortes. Cela prendra du temps pour mettre tout cela en place, comme les investissements et le capital, mais c’est absolument essentiel pour maintenir une croissance de la productivité à moyen terme.

Pour être très clair, si l’on n’a pas cette augmentation de la productivité, on aura besoin d’augmenter davantage les taux d’intérêt pour réduire la croissance des dépenses des ménages et la croissance de la demande au sein de l’économie.

Nous allons suivre ce qui se passe de très près. Nous pensons que nos prévisions sont équilibrées. Il y a des risques des deux côtés, et nous pourrions avoir un rebond de la productivité plus fort que prévu. Si cela se produit, je pense que nous serions tous très contents, mais nous croyons que nos prévisions sont plutôt équilibrées.

[Traduction]

La présidente : Je vais maintenant intervenir. Nous en sommes encore à la première liste des sénateurs qui ont des questions, alors que plus de la moitié de la séance est passée. Je demanderais donc de nouveau à tout le monde d’être aussi discipliné que possible quand ils posent des questions et quand ils leur répondent.

Toutes mes excuses, sénateur Gignac. Nous aurions dû vous accorder la parole avant, mais nous allons maintenant le faire.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bonjour, monsieur le gouverneur, et merci d’être avec nous. Je suis très content de pouvoir interagir avec vous à nouveau comme économiste, mais aussi dans un forum différent à titre de nouveau sénateur.

Avant de poser ma première question, je veux profiter de l’occasion pour vous féliciter de votre leadership et du travail de votre équipe depuis le début de la pandémie. Le fait d’adopter des mesures musclées a permis d’assurer le bon comportement et le bon fonctionnement des marchés financiers, et aussi, comme vous l’avez signalé, de l’économie canadienne, qui est revenue le mois dernier au niveau où elle était avant la pandémie.

Ma question fait suite à la discussion que vous avez eue avec ma collègue la sénatrice Marshall. Vous avez mentionné que l’inflation devrait diminuer de 5 % à peu près, et de 3 % d’ici la fin de l’année. Avec ce qui se passerait du côté des chaînes d’approvisionnement, vous prévoyez une amélioration, et par la suite, vous parlez d’une inflation de 2 %.

Que se passerait-il si les restrictions du côté de l’offre — que ce soit les problèmes de chaînes d’approvisionnement ou l’appareillement sur le marché du travail — prenaient plus de temps que prévu, ce qui ferait en sorte que l’inflation demeurerait résiliente, plus élevée, et ce, plus longtemps que prévu?

Les Canadiens doivent-ils s’habituer à vivre avec des taux d’intérêt plus élevés, et peut-être même à avoir un taux directeur au-delà du taux neutre, ou alors, étant donné que cela vient des restrictions du côté de l’offre, les Canadiens devront-ils vivre avec un taux d’inflation élevé plus longtemps que prévu?

M. Macklem : Je vais commencer par souligner que si votre scénario se réalise, oui, ce sera plus difficile.

L’autre élément que je veux souligner, c’est que le conseil de direction de la Banque du Canada est déterminé à s’assurer que l’anticipation de l’inflation à moyen et à court terme reste bien ancrée sur notre cible.

Actuellement, avec la hausse de l’inflation, nous anticipons que le taux restera à environ 5 % pour la deuxième moitié de l’année.

Les anticipations sur l’inflation à court terme ont augmenté. On peut le voir dans nos sondages, dans ceux des consommateurs et des entreprises. Vous comprendrez qu’on peut utiliser les cotes de rendement pour produire les anticipations par rapport à l’inflation.

Tous ces indicateurs montrent clairement qu’à court terme, les anticipations d’inflation ont monté et sont à peu près conformes à nos prévisions. Ce dont nous voulons nous assurer, c’est que ces augmentations d’anticipations à court terme ne commencent pas à affecter les anticipations à moyen et à long terme. Si cela se produit, cela créera une inflation plus durable, et il sera beaucoup plus difficile de réduire le taux d’inflation pour qu’il atteigne la cible que nous souhaitons.

Nous avons signalé très clairement que les taux d’intérêt emprunteront une trajectoire à la hausse pour deux raisons.

Premièrement, l’écart de production est fermé, la demande s’accroît plus vite que l’offre, et l’on devra diminuer la croissance de la demande en rapport avec l’offre.

L’autre raison, c’est qu’on devrait maintenir les anticipations de l’inflation bien ancrées. Si elles ne sont pas bien ancrées, ce sera beaucoup plus difficile de réduire les coûts liés à un taux d’inflation supérieur.

Nous regardons tout cela de près, mais nous ne faisons pas que regarder. Nous gérons ces risques, et les décisions que nous avons prises la semaine dernière marquent un changement important dans la direction de la politique monétaire. Nous allons continuer d’ajuster la politique monétaire afin de gérer ces risques.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Smith : Je vous remercie, monsieur le gouverneur, de témoigner devant nous aujourd’hui. Nous savons que la banque a la tâche difficile de réduire le coût de la vie, mais aussi de chercher à prévenir les fluctuations marquées des prix des actifs, dont nous connaissons l’influence sur le comportement des ménages et l’ensemble de l’économie.

Auriez-vous l’obligeance d’expliquer comment la banque gère ces attentes et cherche à contrer la bulle immobilière sans provoquer de fluctuations prononcées des prix?

M. Macklem : Comme vous l’avez fait remarquer, le logement constitue le plus important actif d’un propriétaire. De nombreux Canadiens voudraient s’aventurer sur le marché immobilier, mais la tâche s’avère difficile.

Je laisserai la première sous-gouverneure dire quelques mots sur notre point de vue dans le domaine du logement et sur les risques afférents.

Mme Rogers : Je vous remercie de cette question, sénateur.

Je sais que le prix des logements est un problème qui hante les personnes qui cherchent à entrer sur le marché immobilier pour la première fois. C’est un problème persistant au Canada. Il tracasse tout le monde et la banque en a certainement déjà parlé. Même avant la pandémie, elle s’est exprimée à un certain nombre de reprises au sujet des déséquilibres sur le marché immobilier.

Pour comprendre notre point de vue dans ce domaine, le mieux est de prendre du recul et d’examiner la question. Nous classons les facteurs qui influencent le marché immobilier en deux catégories, l’une étant plus cyclique. Les taux d’intérêt jouent certainement un rôle ici. Il ne fait aucun doute qu’une longue période de faibles taux d’intérêt joue sur le prix des logements.

Plus récemment, toutefois, comme bien des choses que nous avons observées, les fluctuations sont en grande partie attribuables à la pandémie. Depuis deux ans, c’est principalement à la maison que nous vivons, travaillons et même passons nos heures de loisirs, ce qui a influencé les préférences de bien des Canadiens en matière de logement, bien entendu. Nombreux sont ceux qui veulent plus d’espace. Ainsi, de nombreux logements se sont retrouvés sur ce que nous appelons le marché de la revente, lorsque des gens possédant déjà un logement cherchent à en acquérir un plus grand. Cela a certainement stimulé l’activité sur le marché immobilier.

C’est le genre de dynamique — comme bien des choses au cours de la pandémie — dont le gouverneur a parlé et qui devraient s’atténuer au fil du temps, au même rythme que la pandémie elle-même s’atténue.

Autre facteur très important, nous nous intéressons sur les effets structurels ou plus persistants des déséquilibres sur le marché immobilier. La banque est d’avis que l’offre constitue certainement le plus gros problème que nous pouvons résoudre dans ce domaine. L’offre de logements ne peut tout simplement pas soutenir le rythme de la demande au Canada, et ce, depuis un certain temps. Je sais qu’un certain nombre d’efforts sont déployés à l’échelle fédérale, provinciale et municipale. La banque leur offre tout son soutien, ravie de voir que cela se produit et espérant que cela continue. Au bout du compte, nous considérons que le déséquilibre sur le marché immobilier se résoudra principalement par une augmentation de l’offre.

Le sénateur Smith : Puis-je poser une question?

Mme Rogers : Bien sûr.

Le sénateur Smith : Ce qui me préoccupe, c’est que si les taux d’intérêt — de l’argent facile — s’établissent à 1,8 % et qu’on a une hypothèque de cinq ans à taux fixe pour un montant modeste de 50 000 $ avec des versements de 207 $ par mois, ce n’est pas vraiment un problème pour la plupart des gens. Mais si le taux d’intérêt passe subitement de 1,8 à 3 ou 3,5 % et double et qu’une jeune personne a une hypothèque de 250 000 $, je ne vois pas comment les choses pourraient tourner autrement que par un grand nombre de reprises et une nouvelle dynamique sur le marché immobilier. J’essaie simplement de comprendre.

Lorsqu’on tente de maintenir de faibles taux d’intérêt et de ramener l’inflation à son taux limite, est-il raisonnable de s’attendre de pouvoir le faire en gérant le marché immobilier comme il l’a été traditionnellement jusqu’à maintenant, comprenant que ce ne sont pas le gouvernement fédéral ou les administrations municipales qui construisent des logements, mais des entrepreneurs et des gens qui en ont la possibilité parce qu’ils disposent de terrain pour le faire? J’essaie de comprendre la dynamique.

Mme Rogers : Je ferai certainement référence ici à une mesure instaurée par le Bureau du surintendant des institutions financières quand j’y travaillais précédemment, c’est-à-dire le taux admissible minimum pour les hypothèques.

Le sénateur Smith : Il s’agit du test de résistance, n’est-ce pas?

Mme Rogers : C’est le test de résistance, en effet, qui vise à régler le problème que vous venez d’évoquer. Il faut s’assurer que les personnes qui empruntent actuellement à des taux d’intérêt extrêmement faibles pourront encore honorer leurs versements quand les taux augmenteront. Le taux plancher est de 5,25 %, et c’est celui qui est appliqué lors des tests de résistance que les gens doivent réussir. L’écart est grand entre le taux actuel et celui de 5,25 %. Cela nous procure une marge de sécurité qui, selon nous, nous aidera à résoudre le problème que vous avez soulevé.

Ce qui nous rassure aussi, c’est l’augmentation des économies dont nous avons parlé plus tôt. Au cours des deux dernières années, les ménages ont amélioré leur bilan. La dette des ménages a décru, mais le prix élevé des logements les oblige à étirer l’élastique, car leurs hypothèques sont plus élevées. On observe dans l’économie une vulnérabilité généralisée que nous garderons à l’œil, mais nous considérons qu’il existe des facteurs atténuants.

Le sénateur Smith : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure, de prendre le temps de témoigner aujourd’hui.

Le taux d’inflation fait l’objet de beaucoup d’obsession, et avec raison. Je pense que la plupart des Canadiens souhaiteraient que l’inflation diminue. J’ai eu la chance de lire la plupart des documents d’information que la banque a fournis. Je pense que je suis assez convaincu que l’objectif stratégique visé à court et à moyen terme nous amènera là où nous devons aller.

J'ai une question à vous poser sur le mandat de la banque. Au fil de l’histoire, le mandat de la banque a toujours concerné l’inflation. La banque a enfin des recommandations supplémentaires concernant ce mandat afin de tenter de rendre l’économie plus durable et plus équitable. Peut-être pouvez-vous expliquer comment la banque déploiera autant d’efforts pour déterminer comment y parvenir.

Vous n’ignorez pas que pendant trois décennies environ, un certain segment de l’économie ne s’en est pas très bien sorti en raison des salaires stagnants et, dans une bonne mesure, nous avons assisté à la croissance de secteurs précaires au pays. Dans le cadre de votre nouveau mandat, comment vous et la banque entendez utiliser ces nouveaux outils pour contribuer à l’établissement d’une économie plus inclusive au pays et pour donner aux travailleurs canadiens le sentiment que leur vie est aussi importante que celle des travailleurs en entreprise?

M. Macklem : Je voulais vous féliciter, sénateur Yussuff. Je pense que c’est la première fois que nous avons l’occasion de nous rencontrer dans ce rôle. Je vous félicite de votre nomination.

En ce qui concerne notre mandat, je formulerais quelques remarques. Je pense que les deux mots clés qui le décrivent sont « continuité » et « clarté ». Il y a de la continuité et le mandat renouvelé indique clairement que notre objectif premier demeure la stabilité des prix. La cible reste de 2 %.

L’entente clarifie également le rôle important que la Banque du Canada doit jouer afin de tenter d’atteindre le niveau d’emploi durable maximal. La banque admet que l’emploi durable maximal n’est pas directement observable, ni même mesurable, tout en reconnaissant que l’emploi joue un rôle important dans ses décisions.

De plus, cela ajoute de la clarté au sujet de la souplesse intégrée à notre régime souple de gestion de l’inflation et des situations dans lesquelles nous entendons exploiter cette souplesse quand elle peut s’avérer particulièrement utile.

Je pense que vous pouvez voir, dans la décision que nous avons prise la semaine dernière et dans les documents que nous avons publiés, l’attention que nous portons aux marchés du travail. Ce n’est pas un phénomène qui date de la semaine dernière. Nous l’avons observé tout au long de la crise et au fil de la pandémie, et nous avons déjà parlé des effets très inégaux de la pandémie sur le marché du travail et du fait qu’elle a des effets disproportionnés sur les travailleurs à faible revenu. Comme je l’ai fait remarquer au cours d’une de mes réponses précédentes, la bonne nouvelle, c’est que nous avons observé de solides gains d’emplois, particulièrement pendant la deuxième moitié de l’année dernière, où ils se concentraient dans les secteurs les plus durement touchés. Voilà qui a considérablement réduit les inégalités.

Les travailleurs des secteurs de l’hébergement, des arts et du divertissement n’ont certainement pas l’impression que l’économie s’est rétablie. La Banque du Canada se doit d’examiner l’ensemble de l’économie, et de façon générale, nous jugeons que le marché du travail s’est rétabli. Un examen des statistiques macroéconomiques, du taux d’emploi et du taux de participation permet de constater qu’ils sont de retour aux niveaux d’avant la pandémie. Ces mesures de l’inégalité ont substantiellement diminué.

Si vous examinez le large éventail d’indicateurs du marché du travail que nous avons fourni, vous verrez qu’il existe encore des secteurs où nous espérons voir une amélioration continue. Le chômage à long terme est encore trop élevé, preuve que certains secteurs ont été touchés de façon disproportionnée et demeurent fragiles. Une partie des travailleurs de ces secteurs sont sans emploi depuis bien trop longtemps.

Dans d’autres secteurs, les travailleurs à faible revenu ont repris le collier, mais pas encore aux niveaux d’avant la pandémie. Il existe un potentiel à cet égard. Pour l’autre groupe, soit celui des travailleurs âgés — terme que j’utilise avec appréhension, voyant l’âge que nous avons tous, car je pense que nous sommes tous dans la catégorie des travailleurs de 55 ans et plus —, le taux d’emploi n’est toujours pas revenu aux niveaux d’avant la pandémie. Le problème est en partie attribuable au vieillissement de la population, puisque l’âge moyen dans la catégorie des travailleurs de 55 ans et plus est plus élevé qu’avant la pandémie. Il n’est pas étonnant qu’à mesure que les gens vieillissent, leur taux de participation au marché du travail décroisse.

Nous allons devoir examiner la question un peu plus en profondeur pour déterminer si la pandémie a accéléré le départ à la retraite ou si des gens ont involontairement perdu leur emploi. Il faut effectuer plus de travail pour aller au fond des choses.

Dans nos projections, nous prévoyons encore une solide croissance de 4 % pour cette année et de 3,5 % pour l’année prochaine. Cela devrait offrir une occasion. À mesure que la pandémie perd de la vigueur, les secteurs les plus touchés devraient se rétablir. Dans nos propres projections, nous prévoyons une solide croissance, particulièrement au chapitre de la consommation de services, ce qui devrait contribuer à améliorer l’emploi dans certains des secteurs les plus touchés.

Au bout du compte, la politique monétaire est un outil d’ensemble très macroéconomique. Nous ne pouvons pas cibler des groupes précis. Il existe d’autres instruments stratégiques, comme la politique fiscale, qui peuvent être utilisés pour les aider.

J’ajouterais que dans l’avenir, il faut que les politiques visent à accroître l’offre sur le marché du travail, que ce soit sur le marché immobilier ou sur le marché du travail. Par exemple, le plan du gouvernement pour améliorer l’accès et réduire le coût dans le domaine de la garde d’enfants est un bon exemple de politique pouvant contribuer à améliorer la participation des parents — particulièrement celle des mères — au marché du travail, à faire croître le marché du travail et l’économie, à créer d’autres espaces où le Canada peut croître, et à améliorer les revenus et le bien-être des Canadiens.

Ainsi, que ce soit sur le marché immobilier ou le marché du travail, de façon générale, les politiques qui améliorent l’offre et aident les gens à s’aider eux-mêmes seront essentielles pour favoriser la croissance.

La présidente : Le sénateur Woo a une question de suivi à ce sujet. Vous avez indiqué à l’instant que vous ne pouvez pas observer directement l’emploi durable maximal. Comment, alors, saurez-vous que vous l’avez atteint, et comment saurons-nous que vous le savez?

M. Macklem : Permettez-moi de vous dire un mot sur le travail que nous accomplissons sur ce plan. Dans le rapport de la semaine dernière, nous nous sommes efforcés de souligner le large éventail d’indicateurs du marché du travail que nous suivons. En plus de ce que nous avons publié la semaine dernière, il existe un document analytique du personnel qui traite de cette question plus en détail.

À l’heure actuelle, nous évaluons la situation du marché du travail par rapport à ce qu’elle était avant la pandémie. C’est logique. C’est un point de référence évident. À mesure que nous avançons, il deviendra un élément de l’histoire. Le marché du travail est dynamique. Il y a le vieillissement. Des forces importantes ont des répercussions sur l’économie : les nouvelles technologies, la numérisation. Les changements climatiques vont également avoir des effets sectoriels très différents dans l’économie, à une échelle qui aura des conséquences globales. Nous devrons travailler constamment pour évaluer les points de repère pertinents lorsque nous examinerons ce vaste ensemble d’indicateurs du marché du travail, et il se pourrait bien qu’il y ait d’autres indicateurs également. Ce travail est déjà commencé et vous le verrez dans les mois à venir.

Nous ne serons pas en mesure de donner un chiffre sur l’emploi durable maximal. Nous examinerons un large éventail d’indicateurs du travail, y compris des éléments comme les salaires ainsi que le nombre de personnes qui travaillent dans les différentes cohortes d’âge et de sexe. Nous ne pourrons pas donner de chiffre, mais on peut obtenir une évaluation du resserrement général du marché du travail et de la capacité non utilisée dans ce dernier. Évidemment, si le marché du travail se resserre trop, cela se traduira par une augmentation de l’inflation et ce sera un signal que nous en sommes là.

Le sénateur Quinn : Bonjour, monsieur le gouverneur, bonjour madame la sous-gouverneure. Je vous remercie de votre présence aujourd’hui. C’est très intéressant. L’information qui nous a été fournie à l’avance, de même que les réponses aux questions qui ont été posées m’ont amené à modifier un peu mes questions.

Vous avez parlé de certains des aspects sur lesquels je voulais en savoir un peu plus, comme le vieillissement de la main-d’œuvre et l’augmentation des départs à la retraite.

Au cours des dernières semaines, j’ai parlé à divers groupes de différents secteurs. Il y a un thème récurrent qui suscite de plus en plus d’inquiétudes à mesure que je m’adresse à des groupes. Oui, il y a des départs à la retraite et on manque de personnes pour occuper les postes vacants. Ce qui est encore plus préoccupant, c’est que le nombre de jeunes Canadiens qui étudient dans des domaines qui les amèneront à travailler dans des secteurs critiques, le transport étant l’un d’entre eux, n’est pas suffisant. Un problème chronique se profile — dans le transport ferroviaire, routier et maritime en particulier —, et c’est qu’on manque de personnes pour acheminer nos produits vers les différents marchés, qu’ils soient nationaux ou internationaux.

Les analystes de la banque se penchent-ils sur ces facteurs? Il ne s’agit pas tant des postes vacants, mais des gens que nous formons pour occuper ces postes? Merci.

M. Macklem : Ce que l’on observe actuellement dans l’économie, c’est qu’il y a une forte demande de travailleurs qui possèdent des compétences numériques. Lorsqu’on examine le taux d’emploi des personnes qui ont des compétences numériques, on constate qu’il est bien supérieur à ce qu’il était avant la pandémie. Malgré cette forte embauche, il y a beaucoup de postes vacants et cela va probablement continuer. Cette pandémie a accéléré le passage à une économie numérique. Je ne pense pas que nous soyons en train de revenir en arrière.

La formation est donc très importante. Nos universités et nos collèges doivent réagir. Avant d’être gouverneur, j’étais doyen de l’École de gestion Rotman. Je sais qu’à l’Université de Toronto et dans un certain nombre d’autres établissements de premier plan au Canada, on s’est efforcé d’élargir ces programmes. De manière plus générale, je pense que les collèges et les universités doivent intégrer les compétences numériques dans tous les programmes, et pas seulement en ingénierie, en mathématiques et en statistiques. Les compétences numériques vont devenir des compétences professionnelles essentielles dont tout le monde a besoin.

Les entreprises ont également la responsabilité et la possibilité de former leurs travailleurs. Grâce aux nouvelles plateformes numériques, il est beaucoup plus facile de former les gens et de rejoindre un plus grand nombre de personnes au sein des entreprises. Ce type d’investissement sera essentiel pour réaliser certains des gains de productivité dont nous avons parlé précédemment.

L’autre secteur dans lequel nous constatons qu’il y a des pénuries importantes — et cela remonte à avant la pandémie —, c’est celui des métiers spécialisés. À l’heure actuelle, il y a de graves pénuries dans le secteur des transports. Je sais que vous en savez beaucoup sur les ports. Nos ports ont besoin de personnel et d’une meilleure logistique. Par exemple, les inondations en Colombie-Britannique ont perturbé davantage nos voies de transport, et il sera extrêmement important de remédier à la situation.

En ce moment, il faut absolument essayer d’améliorer la circulation des marchandises au Canada et dans le monde. Tout ce que peuvent faire les différents gouvernements à cet égard sera utile pour que les gens puissent acheter les produits qu’ils veulent et que les entreprises puissent obtenir les produits dans lesquels elles veulent investir. Il y a un certain décalage entre la demande de main-d’œuvre et les compétences. Notre pays doit s’efforcer de réduire ce décalage.

L’autre pièce du casse-tête est l’immigration. Il est évident que, pendant la pandémie, il a été très difficile de faire venir des immigrants. Il y a toujours un retard sur ce plan, mais nous sommes heureux de constater que l’immigration reprend. Il sera important de nous assurer que notre système d’immigration est efficace pour faire venir des personnes qui possèdent les compétences dont nous avons besoin pour assurer la croissance de ce pays.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur le gouverneur.

Je voudrais poser une question pour conclure cette première partie. Notre temps s’écoule rapidement.

D’après ce que vous avez dit aujourd’hui et, en gros, depuis votre nomination, vous vous exprimez beaucoup plus sur toute une série de questions de politique sociale : l’importance des femmes sur le marché du travail, les politiques environnementales, les besoins en logement, la main-d’œuvre, la nature de la main-d’œuvre et son évolution. S’agit-il d’un nouveau rôle que vous essayez de définir pour le gouverneur, qui doit établir un lien entre ses activités à certaines des réalités que le public observe? Certaines personnes appellent cela un « changement d’orientation de la mission ». Vous avez peut-être une autre façon de le décrire.

M. Macklem : J’ai une autre façon de le décrire.

Tout d’abord, je tiens à souligner que tout ce que nous étudions, tout ce dont nous parlons s’appuie sur notre mandat. Nous devons comprendre ce qui se passe dans l’économie. Et je pense que la pandémie a vraiment montré que les effets de la pandémie varient beaucoup d’un secteur à l’autre. On ne peut pas comprendre la macroéconomie sans creuser davantage et examiner les répercussions sur différents secteurs et différents travailleurs.

Si l’on se projette dans l’avenir, les changements climatiques seront notre plus grand défi. Ils auront des répercussions sur tous les secteurs de l’économie, mais pas de la même manière. Ils auront des effets très différents, et ce, à un degré tel qu’ils auront des conséquences macroéconomiques. Nous allons donc devoir regarder les choses de plus près et comprendre.

C’est une raison importante pour laquelle nous examinons les choses de plus près. Nous devons le faire pour être efficaces, pour servir les Canadiens et pour faire notre travail.

L’autre chose que je voudrais souligner, c’est que nous passons plus de temps à essayer d’écouter les Canadiens. Nous avons renouvelé notre mandat à un certain nombre de reprises maintenant et nous avons discuté régulièrement avec des spécialistes et des acteurs des marchés. Cette fois-ci, nous avons fait un effort concerté pour parler aux Canadiens. Nous avons mené une enquête intitulée « Parlons inflation! » à l’échelle du pays. Nous avons organisé une série de groupes de discussion. Le tout a été très instructif. Nous en avons beaucoup appris sur la façon dont l’inflation touche les gens. L’une des choses que j’ai vraiment retenues, c’est que bien que l’inflation se situait à environ 1 % au moment de l’enquête, les Canadiens nous ont dit très clairement qu’ils n’aimaient pas l’inflation. Elle leur complique la tâche lorsqu’ils doivent payer leurs factures et planifier les choses. Ils veulent que l’inflation soit à un niveau bas et stable.

Pour revenir à la question de la sénatrice Bellemare, l’autre chose qui est ressortie, c’est que si certains étaient en faveur d’un double mandat et d’autres non, et les avis divergeaient beaucoup à cet égard, dans l’ensemble, on sentait que les gens voulaient des emplois. Ils voulaient que l’emploi soit pris en compte dans la politique monétaire, ce qui se reflète dans notre nouveau mandat, je pense.

Lorsque nous pensons à l’avenir, quelles sont les autres grandes questions qui toucheront tous les Canadiens? Nous prévoyons la possibilité de l’émission d’une monnaie numérique de banque centrale. Une monnaie numérique sera un élément qui touchera tous les Canadiens. Nous avons donc des spécialistes qui travaillent au volet technologique. L’une des choses que vous verrez cette année, c’est que nous nous adresserons plus directement aux Canadiens. Qu’attendent-ils d’une monnaie numérique? Quelles sont leurs aspirations? Comment l’utiliseraient-ils? Quelles sont leurs préoccupations?

Nous venons travailler tous les jours au service des Canadiens, et il est important que nous comprenions leurs perceptions, leurs aspirations, leur degré de confiance à l’égard de la banque et leurs préoccupations pour bien remplir notre rôle.

Alors, oui, nous sommes plus présents que par le passé, et cela va continuer, mais je tiens à souligner que nous le faisons au service des Canadiens et dans le cadre de nos mandats.

La présidente : Le temps qui nous est imparti s’écoule rapidement, et je veux donner à mes collègues la possibilité d’intervenir. Je vais vous demander de poser des questions très brèves — de ne pas faire de longues observations préliminaires — et je demanderais au gouverneur de s’en tenir à des réponses brèves également, car il nous reste environ 20 minutes, et cinq ou six membres du comité attendent toujours.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Afin de faire suite à ce que vous venez de dire, monsieur Macklem, compte tenu de la recherche granulaire qui se fait de plus en plus à la Banque du Canada — l’organisme de la Banque du Canada n’est pas politique, mais bon —, avez-vous des discussions régulières avec le ministère des Finances pour être en mesure de coordonner d’une manière soutenue des objectifs communs? Comme vous l’avez dit, l’efficacité de la politique monétaire dépend des politiques sur le plan microéconomique.

Quand vous augmenterez les taux d’intérêt et que vous resserrerez la politique monétaire, devrait-on avoir des craintes sur le plan de l’endettement étranger? Est-ce que notre dette sera détenue à l’étranger? Avez-vous des craintes de ce côté?

M. Macklem : En ce qui concerne votre première question, il y a des discussions à plusieurs niveaux entre la Banque du Canada et le ministère des Finances. Oui, nous partageons nos prévisions, des informations économiques ainsi que nos sondages avec le personnel du ministère des Finances. Conformément à la législation, le ministre et le gouverneur... Je ne connais pas le mot en français dans la législation, mais je pense qu’en anglais, c’est —

[Traduction]

Elle prévoit que le gouverneur et le ministre des Finances discutent régulièrement. Je peux vous assurer que c’est vrai. Nous partageons nos points de vue, ce qui nous aide tous les deux dans le cadre de nos mandats respectifs.

[Français]

Votre deuxième question concerne l’endettement public. La dette du Canada a beaucoup augmenté durant la crise pour une très bonne raison. La bonne nouvelle, c’est que, malgré cette forte hausse, si l’on compare avec d’autres pays du G7, l’endettement est encore assez bas. Une grande partie de cette dette est financée à long terme donc oui, une augmentation du taux d’intérêt affectera le niveau de la dette. Cependant, en ce qui concerne la dette à long terme, cela ne va pas changer le coût de celle-ci.

Cela prendra un bon moment avant que les taux d’intérêt plus élevés aient un effet. Oui, cela aura un effet sur les ménages, les entreprises et le gouvernement. Donc, oui, cela créera un effet, mais non, nous ne craignons pas que cela crée une crise fiscale.

La sénatrice Bellemare : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Loffreda : Encore une fois, je remercie le gouverneur et la sous-gouverneure. J’aimerais obtenir vos commentaires sur la proportion de la dette du gouvernement du Canada que la Banque du Canada détient présentement. Selon La revue financière, de Finances Canada, le gouvernement a vendu environ 1 billion de dollars d’obligations jusqu’à la fin de novembre. Cette information figure dans la plus récente édition de La revue financière, qui a été publiée vendredi dernier, soit le 28 janvier. Je crois comprendre qu’à l’heure actuelle, la proportion est d’environ 43 %, comparativement à 46 %, comme l’indiquait le Rapport sur la politique monétaire en octobre.

Si la banque poursuit sa phase de réinvestissement, quel effet cela aura-t-il sur les obligations détenues par la banque? Continuerez-vous à détenir à peu près la même chose? Y a-t-il un lien? Et n’y a-t-il pas lieu de s’inquiéter?

M. Macklem : Cela devient un peu hypothétique. Nous avons indiqué qu’une fois que nous aurons augmenté les taux d’intérêt, nous envisagerons de mettre un terme à la phase de réinvestissement et de laisser les obligations disparaître de notre bilan. Mais avec cette importante mise en garde, comme vous l’avez indiqué, la proportion de la dette publique détenue par la Banque du Canada a atteint un sommet d’environ 46 %. Comme nous sommes entrés dans la phase de réinvestissement, essentiellement, les émissions sont plus élevées que nos achats. Nos achats sont beaucoup plus faibles maintenant. La proportion a donc commencé à diminuer. Elle est passée de 46 à 43 %.

Maintenant, le rythme exact de cette baisse dépend des émissions du gouvernement, mais vous avez vu que sur plusieurs mois, la proportion est passée de 46 à 43 %. Donc, si nous devions rester dans la phase de réinvestissement, elle continuerait à baisser progressivement. Si nous laissons les obligations du gouvernement disparaître de notre bilan — autrement dit, si nous n’achetons pas de nouvelles obligations pour remplacer celles qui viennent à échéance —, la proportion commencera à diminuer plus rapidement.

Le sénateur Loffreda : Est-ce préoccupant?

M. Macklem : Non. Je pense que le recours à l’assouplissement quantitatif ainsi que les indications prospectives exceptionnelles se sont avérés être des outils de politique très efficaces pour soutenir l’économie pendant la reprise. L’économie s’est maintenant rétablie. Nous n’avons pas besoin de mesures monétaires d’urgence. Nous ne sommes plus dans les niveaux d’urgence. Nous avons indiqué que les taux d’intérêt augmenteront et que nous envisagerons un resserrement quantitatif lorsque nous aurons relevé notre taux directeur.

L’économie est en forte croissance. Les taux d’intérêt n’ont jamais été aussi bas. Notre bilan est plus important qu’il ne l’a jamais été. Il est temps de commencer à normaliser tout cela. Nous n’avons pas besoin de ces politiques exceptionnelles.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice Marshall : J’ai constaté que la ministre des Finances a déposé les Comptes publics juste avant Noël, et qu’il y avait une note dans laquelle on faisait référence à la perte de 19 milliards de dollars liée aux achats d’obligations du gouvernement du Canada par la Banque du Canada. Je n’ai pas compris la note et j’ai dû contacter les vérificateurs pour obtenir une explication.

Lorsque vous dites maintenant que vous n’allez pas procéder à un assainissement radical du bilan, que vous allez simplement maintenir le réinvestissement de 433 milliards de dollars, vous dites qu’à ce stade, vous allez simplement laisser les obligations arriver à échéance. Le faites-vous parce que si les taux d’intérêt augmentent, en laissant simplement les 433 milliards de dollars arriver à échéance, on évite qu’il y ait des pertes similaires aux 19 milliards de dollars signalés dans les Comptes publics, ou on diminue la possibilité qu’il y en ait?

M. Macklem : Permettez-moi d’être très clair sur ce point. Nous ne menons pas une politique monétaire pour maximiser les revenus ou minimiser les pertes. Nous le faisons pour accomplir notre mandat, qui est de contrôler l’inflation. C’est vraiment la raison pour laquelle une banque centrale indépendante existe : pour qu’elle puisse atteindre son objectif en matière de politique.

Au fil du temps, la politique monétaire... La Banque du Canada est très rentable. Si on a le monopole de l’impression des billets de banque, on les imprime à un coût très faible. Puis, l’autre élément qu’on détient dans le bilan, ce sont des obligations du gouvernement du Canada. C’est le cours normal des choses. Il ne s’agit pas d’assouplissement quantitatif. C’est tout simplement normal. Des intérêts sont versés sur ces obligations. Ces bénéfices sont régulièrement transférés au gouvernement. Or, nous ne dirigeons pas la Banque du Canada pour maximiser ces profits. Nous la dirigeons pour accomplir notre mandat.

La sénatrice Marshall : D’accord, mais la question...

M. Macklem : Oui, j’aborderai aussi l’autre point. Mais il était important de soulever ce point pour commencer.

Vous avez raison, car dans notre bilan actuel, il est indiqué — comme à chaque mois — qu’il y a une indemnité. Les obligations que nous détenons génèrent donc des gains ou des pertes évaluées à la valeur du marché en fonction de l’évolution des taux d’intérêt. Comme nous avons acheté ces obligations au plus fort de la crise, lorsque les taux d’intérêt étaient extrêmement bas sur toute la ligne, et que l’économie est en train de se redresser — c’est une bonne chose —, les taux des obligations à plus long terme ont augmenté. Notre bilan affiche donc une perte évaluée à la valeur du marché.

Lorsque nous nous sommes lancés dans l’assouplissement quantitatif, nous savions que c’était une possibilité. Le ministère des Finances du gouvernement du Canada a indemnisé la Banque du Canada à cet égard. La valeur de cette indemnité est inscrite dans notre bilan. Je crois qu’elle est d’environ 7 milliards de dollars actuellement, mais elle fluctue en fonction des taux d’intérêt. Sa valeur changera également — pour revenir au commentaire du sénateur Loffreda — en fonction de la taille de notre bilan. La reprise est entamée, et cela aura aussi des répercussions.

Si nous devions vendre activement des obligations dans notre bilan, toute perte ou tout gain serait concrétisé. Si nous ne les vendons pas, si nous les conservons simplement jusqu’à l’échéance, ces gains ou ces pertes ne se concrétiseront pas.

La sénatrice Marshall : Je comprends. Je vous remercie.

La présidente : Je vous remercie beaucoup.

Le sénateur Massicotte : Monsieur Macklem, j’aimerais très rapidement aborder la question du marché immobilier. Vous vous attendez à ce que ce marché se stabilise grâce à votre politique monétaire. Mais qu’est-ce que cela signifie? Personnellement, en raison du syndrome « pas dans ma cour » et des municipalités, je suis convaincu que l’offre continuera d’être insuffisante sur ce marché. Quel est votre objectif? Essayez-vous de faire disparaître l’augmentation de 30 % des prix des logements qui a été observée au cours des 12 derniers mois? Autrement dit, cela ne serait pas très populaire. Je présume que quelques parlementaires seraient d’accord avec cela. Mais si vous voulez éliminer l’incidence inflationniste, c’est ce qu’il faut faire.

Lorsque vous parlez de « rééquilibrer les marchés du logement », quel est l’objectif? Qu’espérez-vous voir se produire par rapport aux prix?

M. Macklem : Nous menons une politique monétaire pour l’ensemble de l’économie. Nous n’avons pas d’objectif particulier pour le secteur du logement. Il est évident que nous ne voulons pas créer d’instabilité financière, mais notre objectif est de ramener l’inflation à la cible tout en favorisant une croissance robuste. Le secteur du logement fait partie de l’économie, mais ce n’est certainement pas toute l’économie.

Permettez-moi de donner la parole à la première sous-gouverneure, Mme Rogers, qui vous en dira davantage sur nos perspectives en matière de logement.

Mme Rogers : Oui, j’allais dire la même chose que le gouverneur. En effet, nous n’avons pas d’objectif en ce qui concerne le prix des logements. Ce n’est pas l’une de nos cibles; nous ciblons l’inflation.

Sénateur, vous faisiez peut-être référence aux prévisions à court terme à l’égard du marché du logement que nous avons formulées dans notre Rapport sur la politique monétaire. Et cela revient en partie à la dynamique dont j’ai parlé dans ma réponse à la question précédente, à savoir que les effets des préférences des Canadiens en matière de logement s’atténuent en même temps que la pandémie. Il est toutefois certain qu’une trajectoire ascendante des taux d’intérêt aura un effet modérateur sur la demande.

Nous pensons que les niveaux élevés d’activité que nous observons actuellement dans le secteur du logement diminueront progressivement en même temps que la vitalité. C’est l’une des pressions qui s’exercent sur les prix. Nous observerons donc un certain ralentissement, mais je tiens à ce qu’on comprenne bien, comme l’a dit le gouverneur, que nous n’avons pas d’objectif ou de cible en tête pour le marché du logement. Ce n’est pas notre domaine.

Le sénateur Massicotte : Je vous remercie.

[Français]

Le sénateur Gignac : C’est une question un peu plus pédagogique, académique. Dans les cycles précédents, on disait que les délais de transmission des changements de cap de la politique monétaire pouvaient prendre de neuf à quinze mois avant d’exercer leur plein impact sur l’économie. Dans la mesure où la majorité des Canadiens ont opté pour des hypothèques à taux variable durant la pandémie, et dans la mesure où vous avez recours aux bilans, est-ce encore vrai et quelle est la « règle du pouce »? Est-ce que la Banque du Canada, avec ces délais de transmission, devra aller au-delà du taux neutre pour rapporter l’inflation à 2 %, ou devra-t-elle réagir plus rapidement?

M. Macklem : Comme vous le savez, sénateur Gignac, il y a une expression bien connue dans le milieu économique qui nous vient de Milton Friedman :

[Traduction]

La politique monétaire se caractérise par des délais longs et variables.

[Français]

Il y a deux côtés : oui, l’endettement des Canadiens est élevé. Nous disons depuis longtemps que c’est une vulnérabilité. Si l’endettement est élevé, cela peut avoir plus d’impact quand on augmente les taux d’intérêt. D’un autre côté, un des aspects uniques de cette crise, c’est que le taux d’épargne a beaucoup augmenté, donc les ménages ont accumulé beaucoup plus d’épargne. Le bilan des ménages moyens s’est amélioré. Il est important de souligner qu’il y a de la diversité : quelques ménages ont acheté une maison; ils ont peut-être un peu poussé leur capacité et ils ont contracté plus de dettes. Il y a cependant d’autres ménages qui ont beaucoup épargné durant cette crise. Il y a une certaine diversité, et il est difficile de dire si l’impact d’une hausse des taux d’intérêt sera plus ou moins sévère. On va suivre cela de près. Nous avons envoyé un signal très clair selon lequel le taux d’intérêt suivra une trajectoire à la hausse.

Nous prendrons des décisions à chaque réunion en indiquant qu’il s’agit bien d’une trajectoire à la hausse. Cela suppose qu’il y aura une série d’augmentations, et non pas une seule. On peut, après un bout de temps, prendre une pause et examiner quel en est l’impact.

Ces décisions dépendront du développement économique et, surtout, de ce qui se passe avec l’inflation et avec nos prévisions concernant l’inflation. Quand nous ferons une pause, ou si nous décidons de faire une pause, la pente de cette hausse des taux d’intérêt dépendra du développement. Nous suivrons de près l’impact des hausses des taux d’intérêt et nous pourrons faire des ajustements.

Le sénateur Gignac : Merci.

[Traduction]

Le sénateur Yussuff : Monsieur Macklem, comme vous le savez, nous n’avons pas réalisé des gains de productivité extraordinaires au cours des deux dernières décennies. C’est un phénomène qui se répète dans les données de l’OCDE en matière d’investissement dans la formation, les machines et l’équipement, malgré les fortes indications de divers ministres des Finances. Étant donné la nature de la reprise et la volonté de faire mieux à l’avenir, la banque a-t-elle le désir de communiquer aux entreprises, lorsqu’elles se penchent sur leurs investissements, des façons de mieux investir, afin d’encourager un gain de productivité plus élevé? En même temps, nous reconnaissons que notre main-d’œuvre est vieillissante. Nous devons renouveler les niveaux de compétences de nos jeunes au sein de la population diversifiée. Le gouvernement ne précise pas suffisamment ses intentions dans ce domaine. La banque prévoit-elle d’encourager les entreprises à commencer à prendre cette question plus au sérieux?

M. Macklem : Je m’adresserai aux membres de la Chambre de commerce du Canada la semaine prochaine et, oui, je vais les encourager en ce sens. C’est la réponse courte.

Au fil de la reprise qui suit la pandémie, nous recommençons à nous attaquer à certaines des questions récurrentes auxquelles nous faisons face depuis un certain temps. Et je pense que nous avons raison de nous demander quels changements ont été apportés ou quels changements pourraient être apportés.

Je suis convaincu qu’au sortir de cette pandémie, nous aurons la possibilité d’apporter ces changements. Nous avons tous dû vivre avec beaucoup plus de changements au cours de cette période. Les travailleurs ont dû faire face à de nombreux changements. Les entreprises ont dû s’adapter beaucoup plus rapidement qu’auparavant. Elles ne pouvaient pas se permettre de rester stagnantes. Elles ont dû modifier leurs activités et trouver des moyens de répondre aux besoins de leurs clients. Elles ont également dû trouver un moyen d’assurer la sécurité de leurs employés ou de leur permettre de travailler à distance.

Je crois qu’une telle occasion existe, et qu’il est important de la saisir. Au bout du compte, notre niveau de vie est directement lié à la productivité. Comme je l’ai dit plus tôt, la banque centrale a une cible en matière d’inflation et nous allons ramener l’inflation à cette cible. Plus la croissance de la productivité sera élevée, plus le nombre de personnes que nous pouvons attirer dans la population active sera élevé, plus nos travailleurs seront productifs grâce à une éducation et à une formation de qualité, plus l’économie sera étendue, inclusive et productive et plus notre niveau de vie sera élevé.

Oui, il s’agit d’une responsabilité partagée. Les Canadiens comptent sur la Banque du Canada pour maintenir une inflation faible et stable. Ils comptent sur les entreprises pour investir dans les immobilisations et les personnes. Ils comptent sur les gouvernements pour créer un environnement d’investissement sain et pour soutenir l’éducation, afin de préparer les gens au marché du travail. Nous devrons travailler tous ensemble pour réaliser cette ambition.

La présidente : Monsieur Macklem, je vous remercie beaucoup de vos commentaires. Je remercie également les membres du comité de leurs questions. Nous avons abordé un grand nombre d’enjeux aujourd’hui en seulement deux heures. J’aimerais remercier officiellement le gouverneur, M. Tiff Macklem, ainsi que la première sous-gouverneure, Mme Rogers. Nous vous remercions beaucoup d’avoir participé à la réunion d’aujourd’hui et nous avons hâte de vous accueillir à nouveau. Toutes les questions que vous avez soulevées se trouvent sur notre liste de choses à examiner pendant la présente session. Nous espérons vous revoir bientôt.

Honorables sénateurs, nous arrivons à la fin du temps imparti pour la réunion. Je tiens seulement à vous rappeler que la semaine prochaine, nous aurons une séance à huis clos plus longue pour discuter des prochaines étapes et des études qui seront prioritaires. Nous avons même invité quelques témoins à participer à une courte séance à la fin de ce processus, et nous vous tiendrons au courant des réponses que nous recevrons.

Encore une fois, je remercie tout le monde, et je remercie le gouverneur, la première sous-gouverneure et tous les membres du personnel qui ont travaillé dans des conditions très difficiles aujourd’hui. Heureusement, nous n’avons pratiquement entendu aucun coup de klaxon. Je vous remercie beaucoup. Nous nous reverrons la semaine prochaine.

(La séance est levée.)

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