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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 12 décembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, afin d’examiner pour en faire rapport le cadre de la politique monétaire du Canada.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Nous sommes ici aujourd’hui pour notre dernière réunion de 2024. Je vous souhaite donc la bienvenue et vous remercie d’être ici. Bonjour à toutes les personnes présentes dans la salle et à celles qui se joignent à nous à distance. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis présidente de ce comité.

J’aimerais vous présenter les membres qui sont avec nous aujourd’hui : le sénateur Loffreda, vice-président; le sénateur Fridhandler; le sénateur Gignac; la sénatrice Ringuette; le sénateur Varone; et la sénatrice White. Merci à tous.

Avant de commencer, je vais prendre un instant pour saluer le sénateur Fridhandler et lui souhaiter la bienvenue. Il s’est joint au Comité, mais à titre d’information pour tout le monde, il est également le plus récent membre de notre comité directeur. Soyez le bienvenu.

Je tiens également à remercier tous les sénateurs et sénatrices de leur contribution et de leur collaboration à notre rapport provisoire. Il a fait l’objet d’une bonne couverture médiatique, et je pense qu’il était important qu’il le soit, comme nous avons pu le constater, même au cours de la dernière journée.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir par vidéoconférence Jeremy Kronick, vice-président, Analyse économique et stratégie, de l’Institut C.D. Howe. Monsieur Kronick, je suis sûre que vous avez une déclaration préliminaire à faire. Nous allons donc vous céder la parole tout de suite. C’est à vous.

Jeremy Kronick, vice-président, Analyse économique et stratégie, Institut C.D. Howe : Je remercie les membres du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie de m’accueillir ici aujourd’hui. C’est toujours un honneur de comparaître devant vous.

La Banque du Canada est une institution essentielle au pays. Son mandat, tel qu’énoncé dans la Loi sur la Banque du Canada, énonce des principes importants pour la politique de stabilisation, mais il précise aussi clairement que la banque doit tenir compte de ses propres limites. La politique monétaire ne peut pas tout régler, et il est essentiel de ne pas l’oublier au moment où nous commençons à envisager d’ajouter des objectifs que la banque doit atteindre.

Je sais que le Comité se préoccupe de la complexité croissante du monde dans lequel nous vivons aujourd’hui et de la nécessité d’accroître la transparence de nos institutions. Je crains que des gens interprètent mal ce qui s’est passé dans les dernières années et qu’ils en profitent pour apporter des changements importants aux objectifs de la banque même s’il n’est pas clair qu’ils soient nécessaires.

Malgré ce récent épisode d’inflation, depuis janvier 1996, lorsque la fourchette cible d’inflation de 2 % a été fermement mise en place, l’inflation s’est établie en moyenne à 2,1 %. C’est une réussite remarquable. Cette stabilité des prix permet aux consommateurs et aux entreprises de prendre des décisions avec une plus grande certitude qu’auparavant. Nous avons pu voir toute l’importance de ces ancrages attendus pour ramener l’inflation à l’intérieur de la fourchette cible au cours de cette récente hausse.

L’intérêt pour le double mandat est tout à fait compréhensible, puisqu’il s’appuierait sur une économie assortie d’un niveau d’emploi maximal. Cependant, si l’on accorde comme moi une grande importance à la crédibilité et à la responsabilité d’une banque centrale, il faut reconnaître que l’ajout d’un autre objectif dont la cible est une variable non observable comporte des risques et des défis. C’est d’autant plus inquiétant lorsqu’on regarde la plus récente entente de renouvellement conclue en 2021 entre la banque et le gouvernement fédéral, qui était beaucoup plus longue que les ententes précédentes et qui prévoyait des objectifs dont la valeur ne faisait aucun doute, comme le fait de s’attaquer aux changements climatiques et aux inégalités. Il est difficile d’établir des objectifs précis pour une banque centrale.

Une banque centrale a besoin d’objectifs facilement compréhensibles par le public, qui font qu’il est facile pour ce dernier de déterminer si l’autorité monétaire a réussi à les atteindre, et s’il est possible pour elle de le faire. Bon nombre de ces objectifs — en incluant, selon moi, le double mandat — ne correspondent pas à cette définition, contrairement au ciblage de l’inflation.

Pour ce qui est de la transparence et de la reddition de comptes, il serait tout à fait possible que le gouverneur en fasse davantage et témoigne plus souvent devant les parlementaires, par exemple. Toutefois, avant de laisser entendre qu’il y a des questions plus importantes en jeu à cet égard, il convient de signaler que la banque a maintenant un sous-gouverneur externe — bientôt deux —, qu’elle publie un résumé de ses délibérations, qu’elle fait paraître chaque trimestre son Rapport sur la politique monétaire qui explique le raisonnement derrière ses mesures et qu’elle tient une conférence de presse après chaque annonce à date fixe. Ses communications avec le public ont sensiblement augmenté au cours des 30 dernières années. À un moment donné, la banque courra un plus grand risque d’être instrumentalisée à des fins politiques. On peut voir que cela se produit déjà ici au Canada, et la même chose peut assurément être observée aux États-Unis. Il y a un seuil critique à respecter en matière de transparence et de reddition de comptes, mais je ne suis pas certain qu’il ne le soit pas actuellement.

Rapidement, en ce qui concerne les mesures de l’inflation fondamentale, je suis d’accord avec les témoins précédents pour dire qu’il est possible de réfléchir à l’indice des prix à la consommation, ou IPC, à des mesures qui excluent ce que nous considérons comme des composantes endogènes, comme le coût de l’intérêt hypothécaire. L’importance de ce facteur par rapport aux mesures existantes de l’inflation fondamentale dépendra de la fréquence à laquelle le coût de l’intérêt hypothécaire finira dans les queues de la distribution des variations de prix. Ce facteur mérite toutefois d’être pris en considération.

Je vais m’arrêter ici. Je vous remercie encore une fois de m’avoir donné l’occasion de discuter de cette institution essentielle qu’est la banque. J’ai très hâte de répondre à vos questions.

La présidente : Fantastique. Merci beaucoup. Vous avez soulevé des points intéressants et différents d’autres témoignages que nous avons entendus. Je pense que nous allons simplement plonger dans le vif du sujet. J’ai deux ou trois questions à vous poser, mais je vais d’abord laisser les autres poser les leurs. Le vice-président va commencer.

Le sénateur Loffreda : Des points intéressants ont déjà été soulevés. Je vous remercie d’être ici ce matin.

Vous avez dit que la politique monétaire ne peut pas tout régler, mais ce qui me préoccupe, c’est que 60 % du PIB du Canada provient des consommateurs. La dette des ménages par rapport au revenu disponible est extrêmement élevée. Même par rapport à l’Allemagne et aux États-Unis, qui sont à 100 %, le taux d’endettement des ménages au Canada dépasse 175 %.

Compte tenu de l’augmentation de ces niveaux d’endettement et de la dette publique — qui sont de plus en plus préoccupants —, comment la Banque du Canada devrait-elle équilibrer sa politique monétaire pour faire face à ces risques tout en maintenant la croissance économique?

M. Kronick : C’est une excellente question.

Le problème, quand nous insistons pour utiliser le ratio de la dette au PIB comme mesure, c’est qu’il amalgame des variables des stocks et des flux. La dette est une variable des stocks, et le PIB est une variable des flux. L’élément manquant, ce sont les taux d’intérêt. Si vous regardez l’évolution du ratio du service de la dette des ménages, c’est-à-dire le montant que vous devez retrancher chaque mois de votre revenu pour rembourser votre dette, dans les 35 dernières années, il a en fait fluctué entre 12,5 et 15, ce qui n’est pas une énorme fourchette. C’est parce que, pendant la majeure partie des 25 ou 30 dernières années, les taux d’intérêt ont baissé, si bien que le volet intérêts de votre emprunt hypothécaire a diminué pendant que la valeur de l’actif augmentait. Les coûts du service de la dette ne sont donc pas tellement différents, même si le ratio de la dette au PIB a augmenté pendant tout ce temps.

En fait, je préfère examiner le ratio du service de la dette pour évaluer le niveau de risque qui existe dans l’économie. Si le ratio de la dette au PIB du Canada a continué d’augmenter, c’est parce que nous n’avons pas connu l’effondrement qu’ont connu les États-Unis, par exemple, en 2008. Pendant un certain temps, leur ratio de la dette au PIB a diminué, avant qu’il ne recommence à augmenter.

Je n’ai pas nécessairement répondu à votre question, mais ce sont des points que je tenais à souligner parce qu’ils sont importants lorsque nous réfléchissons aux variables sur lesquelles nous nous penchons.

Pour ce qui est du rôle de la Banque dans le prix des actifs, c’est assurément un facteur dont l’on tient compte. On tient compte des effets qu’auront, par exemple, les fluctuations des taux d’intérêt sur le marché du logement, qui est en fait l’actif le plus important dont nous parlons ici. On veut comprendre, si les taux baissent ou augmentent, quelle incidence cela aura-t-il sur le consommateur, tant du point de vue de l’emprunt hypothécaire qu’il doit rembourser que de celui des dépenses de consommation et du reste de l’économie?

Ce n’est pas parce que ce n’est pas une composante explicite de la cible ou des objectifs de la banque que cela ne fait pas partie des considérations de la anque lorsqu’elle met en œuvre la politique monétaire.

Le sénateur Loffreda : Merci.

Le sénateur Gignac : Merci à notre témoin. Je partage votre point de vue sur la transparence et la communication. Elles se sont beaucoup améliorées, du moins au cours des dernières années.

Ma question porte sur le mandat. Vous avez une opinion bien arrêtée — je vous en sais gré —, mais pourquoi un double mandat comme celui de la Fed minerait-il la crédibilité de la banque? Nous avons entendu d’autres témoins qui ne partagent pas votre point de vue. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Puisque la Fed est crédible, si la Banque du Canada reproduisait son mandat, pourquoi cela minerait-il sa crédibilité?

M. Kronick : Je pense que vous avez raison : la Fed est de toute évidence une institution crédible. Cependant, elle a reconnu les questions épineuses qui découlent parfois d’un double mandat. Ma préoccupation vient en grande partie du fait que le niveau d’emploi maximal qu’exige le double mandat est un objectif non observable. Où se situe le niveau d’emploi maximal? Est-il de 3 %, 4 % ou 5 %? Est-ce qu’il varie cette année par rapport à l’an prochain en fonction de la conjoncture économique ou de l’évolution démographique? Un grand nombre de facteurs modifient la valeur du niveau d’emploi maximal.

C’est en fait la même chose pour ce qu’on appelle le taux neutre. Le taux neutre fluctue; ce n’est pas un taux stagnant. Il est difficile de déterminer comment il évoluera. Je pense que quand on l’explique au public — si on prend par exemple la récente flambée de l’inflation —, il est facile pour les gens de voir que nous avons raté la cible de 2 % et que nous allons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour ramener notre politique monétaire au niveau de cette cible de 2 %.

Comment peut-on faire la même chose par rapport au niveau d’emploi maximal?

Si vous regardez les déclarations de la Fed, oui, elle a fait des commentaires au sujet du niveau d’emploi maximal, mais l’accent est surtout mis sur la cible d’inflation. Je ne vois pas quelle valeur la composante de l’emploi ajoute vraiment. L’approche de la Banque du Canada, comme celle de la plupart des banques centrales, consiste à utiliser une forme de ce qu’on appelle la règle de Taylor, qui tient compte de l’écart de production. La banque tient compte de l’écart de production lorsqu’elle ajuste sa politique monétaire afin d’atteindre la cible d’inflation.

Je comprends que la Fed est crédible — elle l’est hors de tout doute —, mais je ne vois pas quelle valeur nous ajouterions ici. En fait, le régime souple de ciblage de l’inflation que nous appliquons permet de ne pas être trop obsédé par la cible de 2 % — elle comporte une certaine marge de manœuvre — afin de tenir compte de ce qui se passe du côté de l’emploi.

Le sénateur Gignac : Ma deuxième question porte sur des sujets différents. Il s’agit du manque de diversification ou de la perception d’un manque de diversification à la Banque du Canada.

Contrairement à d’autres pays — les États-Unis ont un système différent, comme vous le savez, tout comme le Royaume-Uni —, au Canada, c’est le gouverneur de la Banque du Canada qui choisit ses collègues. Essentiellement, seriez-vous à l’aise si nous importions les pratiques exemplaires d’autres pays, peut-être comme celles du Royaume-Uni, où ce régime prend davantage la forme d’un conseil d’administration? Peut-être même que les parlementaires pourraient participer aux audiences pour la nomination d’un sous-gouverneur.

M. Kronick : C’est une bonne question. J’avoue que je n’ai pas d’opinions très tranchées à ce sujet. Au Canada, le gouverneur est nommé par le gouvernement, tout comme la première sous-gouverneure. Il y a deux membres du conseil de direction — et ce n’est pas un gros conseil — qui sont nommés par le gouvernement.

Encore une fois, je ne suis pas certain que ce soit devenu un problème majeur. Ce qui me semblait être un problème, et j’étais heureux de voir que l’on y a remédié — et cela est venu du Royaume-Uni —, c’était l’absence d’un membre externe au conseil. Je pense que cet ajout a beaucoup de valeur, et j’en suis heureux. Nicolas Vincent a été le premier, et on en ajoute maintenant un deuxième. Je pense qu’il est très utile d’obtenir le son de cloche de gens qui ne travaillent pas à la Banque du Canada.

Je pense que c’est une pratique exemplaire que nous avons importée. Comme je l’ai dit, j’estime que le fait que deux membres soient nommés par le gouvernement constitue une bonne approche.

Donc, en ce qui concerne l’approche dont vous parlez, je ne suis ni trop contre, ni trop pour.

La présidente : J’aimerais simplement préciser quelques-unes de vos réponses au sénateur Gignac, quand vous avez dit que la surveillance de l’emploi constituait un aspect non observable du mandat et que la banque devrait tenir compte du niveau d’emploi maximal. C’est le même problème avec les taux d’intérêt. Il y a une fourchette de 1 à 3 %. On vise 2 %, mais il y a une marge de manœuvre.

Pour ce qui est de l’aspect non observable du mandat, cela signifie-t-il simplement qu’on pourrait ne pas être en mesure d’exercer cette surveillance ou qu’on ne devrait même pas essayer de le faire?

M. Kronick : C’est un aspect non observable pour ce qui est de définir le « niveau d’emploi maximal ». Ce niveau n’est pas nul. On chercherait à obtenir un taux d’emploi naturel qui permettrait à suffisamment de gens de trouver le bon emploi et toute une série d’emplois structurels dont nous tenons compte.

Le défi consiste à déterminer quel est le niveau d’emploi maximal. Il importe davantage de déterminer s’il est de 3 %, 4 % ou 5 %, que de savoir si on l’atteint. Si on l’établit à 3 %, alors, bien sûr, on peut juger la banque par rapport au niveau d’emploi maximal de 3 %. La question est de savoir si c’est le bon niveau. C’est vraiment difficile à dire. Il est vraiment difficile de déterminer si le niveau d’emploi maximal fixé est le bon. Je pense que la banque aurait là tout un défi à relever.

La présidente : Et vous n’êtes pas à l’aise avec une fourchette cible, comme pour l’autre aspect, qui est de 1 à 3 %? Elle pourrait osciller entre 6 et 8 %, ou entre 5 et 7 %, selon ce que l’on détermine.

M. Kronick : D’accord. On peut procéder de cette façon, mais ce que je tiens à préciser, au sujet de l’aspect du mandat relatif à l’inflation, c’est qu’il y a effectivement une fourchette, mais la cible est de 2 %, et elle est très claire. C’est la cible que la banque s’efforce d’atteindre. Elle ne vise pas l’intérieur de la fourchette. On sait que l’on va rester dans la fourchette pendant un certain temps parce que ce n’est pas une science exacte, mais l’objectif est de 2 %, et c’est sur l’atteinte ou non de cette cible que la banque est habituellement jugée.

Je ne pense tout simplement pas qu’on puisse définir de la même façon le niveau d’emploi maximal et se donner les mêmes chances de réussite.

La présidente : Merci. C’est beaucoup plus clair.

Le sénateur Fridhandler : Je voulais simplement donner suite à la question du sénateur Gignac concernant la diversité au niveau de la haute direction de la banque. Pour ajouter à cela, je me demande s’il est nécessaire d’imposer la diversité géographique, compte tenu des différences qui existent à ce niveau dans tout le pays, de Terre-Neuve à la Colombie-Britannique en passant par le Nord. Devrions-nous davantage officialiser cette diversité?

M. Kronick : C’est une bonne question. D’une certaine façon, c’est l’organisation idéale, quand il y a une représentation géographique dans tout le pays.

Cependant, avec la politique monétaire et la façon dont nous visons ces objectifs, la cible d’inflation de 2 % n’est pas fixée par province, ville ou municipalité; c’est une cible globale de 2 % pour l’ensemble du pays. La Fed a ses banques de la Réserve fédérale partout au pays, et ce mode de fonctionnement comporte différentes pressions et différents défis, mais je pense que le fait que la politique monétaire vise simplement l’atteinte d’une cible pancanadienne rend la représentation géographique un peu moins nécessaire.

Idéalement, cependant, le conseil de direction compterait des représentants de partout au pays. Nous savons tous que les gens veulent être représentés dans nos différentes institutions, mais je n’irais pas jusqu’à rendre cette représentation obligatoire.

Le sénateur Fridhandler : Pour poursuivre dans la même veine, s’il y a plus à dire — même si vous avez été assez clair à ce sujet —, pouvez-vous nous faire part de vos réflexions sur l’équilibre à atteindre entre le fait d’imposer une transparence ou une reddition de comptes accrue à la haute direction de la banque par rapport aux risques imprévus et à l’instrumentalisation à des fins politiques?

M. Kronick : Comme je l’ai dit, il y a un seuil à respecter en matière de transparence et de reddition de comptes, sinon les institutions de cette nature vont échouer.

Ce qui m’inquiète, et on le voit encore — on l’a vu ici et ailleurs, certainement à la Fed —, c’est l’instrumentalisation à des fins politiques de notre banque centrale et des banques centrales en général. Il est vraiment essentiel de séparer la capacité d’imprimer de l’argent et celle d’en dépenser, et ce, peu importe le pays. Je crains que plus nous demandons au gouverneur de la banque centrale de comparaître devant les parlementaires, où il y a risque d’instrumentalisation politique, plus le processus de la banque comme tel risque d’être détourné. C’est ce qui m’inquiète.

Mais, encore une fois, je pense qu’il faut atteindre un certain seuil. Si nous voulons obliger le gouverneur à comparaître devant les parlementaires une ou deux fois par année, c’est probablement un compromis acceptable. Je ne suis pas sûr de vouloir aller beaucoup plus loin. Comme je l’ai dit, je pense que la banque a beaucoup progressé pour ce qui est de ses communications avec le public au cours des trois dernières décennies.

Le sénateur Fridhandler : Je vous remercie de cette précision.

Iriez-vous jusqu’à exiger que la banque produise de temps à autre les transcriptions détaillées de ses discussions sur l’établissement des taux?

M. Kronick : Je pense que le résumé des délibérations permet d’atteindre un bon équilibre parce qu’on veut que les conversations se déroulent librement. C’est la même raison pour laquelle nous appliquons la règle de Chatham House lors des activités organisées par l’Institut C.D. Howe; pour que les gens puissent discuter librement. Nous n’avons pas besoin de la transcription textuelle de ce qui s’est passé lors de ces réunions; je pense que le résumé représente probablement le bon équilibre à atteindre entre transparence et souplesse.

Le sénateur Varone : Merci, monsieur Kronick, d’être ici. L’une des citations qui m’a fasciné et qui vous a été attribuée est la suivante :

Le régime que nous avons mis en place au début des années 1990 n’est pas brisé, bien au contraire. Nous ne devrions donc pas essayer de le réparer.

Je comprends tout cela en ce qui concerne le mandat unique de la Banque du Canada dans la lutte contre l’inflation. Ce qui me laisse perplexe toutefois, c’est votre commentaire sur l’emploi et sur le fait qu’il est difficile d’en déterminer le niveau maximal.

Les premiers témoins ont semé la confusion chez moi en ce qui concerne le lien entre le taux d’inflation et l’IPC, quand ils ont commencé à parler d’IPC-tronq, d’IPC-méd et d’indice de référence, et ils m’ont alors perdu en ce qui a trait à la mesure de l’inflation.

Lorsque vous dites que la moyenne a été de 2,1 %, je suppose que vous parlez de l’intégralité de l’IPC et non d’un autre indice. S’ils utilisent ces autres éléments tangibles à d’autres fins, pourquoi ne pourrait-on pas en faire autant pour l’emploi? Si vous avez un mandat d’emploi de base, mais que vous pouvez ensuite définir l’emploi structurel ou les autres formes d’emploi, ce ne sont alors que d’autres formes de cibles. Je ne vois pas pourquoi l’une serait difficile à déterminer et l’autre non. Je ne suis pas sûr d’avoir bien compris.

M. Kronick : Je crois que oui, mais si ma réponse ne couvre pas tout, n’hésitez pas à me relancer.

Pour que ce soit clair, la cible de la banque est l’IPC global. C’est ce que l’on vise lorsque l’on cible un taux d’inflation de 2 %. Pour ce qui est des mesures de base — IPC-tronq, IPC-méd et ainsi de suite —, la banque ne les cible pas. Ce sont des outils que la banque utilise pour essayer d’extraire la tendance sous-jacente des prix. L’indice des prix à la consommation comprend des éléments très volatils, et il faut donc en tenir compte lorsqu’on réfléchit à la tendance sous-jacente des prix. C’est à ce niveau que l’inflation totale — l’IPC global — se situera après 18 à 24 mois, une fois que tous les chocs auront secoué l’économie.

La banque ne cible pas l’IPC de base. On utilise ces mesures de base comme outils. On les publie pour montrer aux gens ce que l’on utilise comme mesures des tendances sous-jacentes.

Je ne vois pas de lien clair entre cet aspect et la question d’un double mandat. La question est de savoir quel serait l’équivalent de l’IPC global que l’on ciblerait dans le cadre d’un régime visant un niveau d’emploi maximal. Il est là le défi. Il faudrait définir, d’une façon ou d’une autre, quel est le niveau d’emploi maximal. Encore une fois, il fluctue. Il n’est pas toujours le même. Ce n’est pas comme l’inflation. Le niveau d’emploi maximal pourrait être de 4 % dans une économie en un an, mais si la situation démographique évolue et si les États-Unis imposent des tarifs douaniers de 25 %, peut-être qu’il fluctuera un peu. Allez-vous modifier cette cible l’an prochain et expliquer aux gens que nous visons maintenant 5 % ou 3 %? C’est tout un défi à relever. Encore une fois, si vous examinez les déclarations faites par la Fed au fil des ans, lorsque celle-ci fait ses annonces, cette cible y figure, mais pas au même titre que la cible d’inflation.

On pourrait l’inclure, mais je soupçonne que cela ne changera pas grand-chose à la façon dont la banque centrale fonctionne. Encore une fois, nous fonctionnons avec un régime souple de ciblage de l’inflation qui nous permet de ne pas avancer aveuglément au risque d’emprunter la mauvaise voie pour l’économie simplement pour atteindre la cible de 2 %. Nous avons prévu cette souplesse. J’espère que cela répond à la question.

Le sénateur Varone : Oui. Merci.

La sénatrice Ringuette : Ma question fait suite à celles du sénateur Gignac et du sénateur Fridhandler.

Nous procédons actuellement à l’examen du mandat pour formuler des recommandations. Je vois que nous avons également la responsabilité de veiller à ce que la structure en place soit un outil utile pour la banque. À cet égard, la structure est indépendante du gouvernement en ce qui concerne le fonctionnement, le mandat et l’objectif.

Récemment, un certain politicien a menacé de congédier le gouverneur de la banque. En ce qui concerne l’indépendance de la banque et de sa nécessité pour son intégrité et pour le travail qu’elle fait au nom des Canadiens, dans quelle mesure est-elle utile pour la crédibilité de la banque auprès des Canadiens? Elle a aussi un certain impact à l’extérieur du pays. J’aimerais avoir votre opinion là-dessus.

M. Kronick : Je vous remercie de la question. Cette situation n’est pas unique au Canada en ce qui concerne la réaction des gens, comme les politiciens et d’autres personnes, à l’égard des banques centrales parce que l’inflation a grimpé en flèche. En fait, je pense que c’est l’une des raisons pour lesquelles le mandat relatif à l’inflation est si important. Beaucoup de gens ont oublié ce que c’était que d’avoir un taux d’inflation élevé parce que cela faisait longtemps que ce n’était pas arrivé. Maintenant que nous avons fait face à la situation après notre dernier renouvellement, lorsque nous avons mis toutes ces autres mesures en place, je pense que cela devrait rappeler aux gens à quel point la hausse de l’inflation n’est pas souhaitable. Elle a des effets dévastateurs pour les gens qui se trouvent au bas de l’échelle des revenus.

J’espère que cela aura l’effet d’un signal d’alarme. Ce qui n’est pas utile, c’est que des politiciens interviennent pour dire ce que la banque centrale devrait ou ne devrait pas faire. Cependant, c’est au public et au gouvernement que la banque centrale rend des comptes. C’est une fonction et une institution du gouvernement. Lorsqu’elle n’atteint pas ses objectifs, on lui demande de rendre des comptes.

On ne devrait pas nécessairement juger le gouverneur d’une banque centrale selon qu’il a atteint ou non sa cible, mais plutôt sur la façon dont il réagit lorsqu’il ne l’atteint pas. La Banque du Canada, c’est vrai, a tardé à augmenter les taux pour ralentir l’inflation. Il est vrai qu’il s’agit d’un concours de circonstances aussi uniques que nous aurions pu l’imaginer, mais elle a été l’une des premières banques centrales, sinon la première, à commencer à resserrer sa politique monétaire. Quand on s’est rendu compte de l’erreur commise, on a réagi. C’est un bon signe du point de vue de l’indépendance.

Je ne pense pas que les déclarations des politiciens soient utiles lorsqu’il s’agit de la banque centrale, mais par ailleurs, lorsque l’inflation est très élevée, cela devient un enjeu politique.

La sénatrice Ringuette : Merci.

Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Kronick, d’être ici. La banque joue un rôle très important dans la vie des Canadiens, non seulement dans l’économie en général, mais aussi sur le plan personnel. Si vous êtes propriétaire d’une maison, les taux hypothécaires auront une incidence sur votre portefeuille. Si vous avez un emploi et si la banque augmente les taux, cela pourrait ralentir l’économie, ce qui aura une incidence sur votre vie.

Compte tenu du rôle important de la banque, nous voulons nous assurer que celle-ci a une légitimité, non seulement dans le contexte de la structure politique à laquelle elle doit rendre des comptes, mais, de façon générale, nous voulons aussi qu’elle ait une légitimité auprès des Canadiens qui ont des préoccupations à l’égard des décisions de la banque, pour faire en sorte que cela ne soit pas un concept abstrait ou un aspect dont la banque ne tient aucunement compte.

Compte tenu de cette réalité et du fait que la banque a mieux réussi à communiquer au public ce qu’elle fait et quels sont ses objectifs, pensez-vous que nous pourrions faire un meilleur travail en ajoutant des exigences supplémentaires pour la banque? Si vous vivez en Colombie-Britannique ou à Ottawa, vous ne voyez pas la banque de la même façon et votre rapport avec elle n’est pas le même. Il est vraiment essentiel que les Canadiens comprennent mieux le rôle de la banque dans leur vie, mais aussi ce qu’elle tente d’accomplir pour le plus grand bien de la gestion de l’inflation, mais en même temps, qu’ils reconnaissent que la banque essaie d’examiner toutes les variables dont elle doit tenir compte lorsqu’elle prend une décision qui aura des répercussions sur leur vie et, en fait, sur l’économie.

M. Kronick : Je crois que j’aurais répondu à cette question en reprenant la fin de votre intervention. Lorsque la Banque du Canada fixe les taux d’intérêt, oui, elle le fait en gardant à l’esprit la cible d’inflation, mais l’écart de production représente une grande partie de l’équation. Il reflète la différence entre la production réelle et la production potentielle. La banque est très consciente de la conjoncture économique. En fait, c’est ce qui motive une grande partie de sa décision. Elle ne fait pas que simplement augmenter les taux de façon machinale parce que l’inflation est à la baisse. Elle examine l’état de l’économie, tant sur le plan réel que potentiel.

Vous avez raison de dire qu’il faut essayer de communiquer davantage avec les Canadiens. J’ai parlé de toutes sortes de choses, mais la banque est maintenant présente sur les médias sociaux. Elle a une présence sur diverses plateformes pour essayer de nouer des liens avec les gens de différentes façons. S’il y a des façons d’expliquer encore plus clairement au public ce qu’elle fait et comment cela les touche, alors je suis tout à fait d’accord. J’y crois. Je pense qu’elle fait une tonne de choses. La comparution du gouverneur devant les parlementaires est-elle une façon d’améliorer l’aspect communication? Peut-être. Une ou deux fois par année, ce serait peut-être utile, mais je pense qu’on essaie de bien des façons différentes de communiquer avec le public. Je ne considère toutefois pas que les avantages de comparutions plus fréquentes l’emporteraient nécessairement sur les inconvénients posés par le risque d’instrumentalisation à des fins politiques.

Le sénateur Yussuff : Si vous me le permettez, en ce qui concerne la dernière question que ma collègue vous a posée, c’est aussi une façon de soustraire le risque d’ingérence politique au mandat de la banque, si la banque parle aux Canadiens et s’ils comprennent mieux le caractère indépendant du travail qu’elle fait pour leur compte.

M. Kronick : Voulez-vous dire en témoignant devant les parlementaires?

Le sénateur Yussuff : Non, je parle des gens du public en général, parce que ce sont eux qui, au bout du compte, s’ils sont satisfaits de ce que fait la banque, et malgré les critiques qui peuvent être formulées par des partis politiques, comprennent au moins que la banque prend ses décisions pour leur bénéfice, plutôt que de devoir subir les critiques des intervenants politiques parce qu’elle ne fait pas ce qu’ils pourraient vouloir entendre.

M. Kronick : Bien sûr, mais je dirais qu’elle le fait déjà en grande partie. C’est en grande partie de cette façon qu’elle a amélioré son répertoire de moyens de communication au fil des ans.

Encore une fois, la conférence de presse qui suit chacune des annonces faites à date fixe fait l’objet d’une énorme couverture médiatique. J’ai été interviewé à la CBC et sur BNN Bloomberg hier pour parler de la décision de la banque.

En fait, on pourrait faire valoir que depuis la crise financière, lorsque la politique budgétaire a eu très peu d’effet — parce que nous étions, en quelque sorte, dans une ère d’austérité à l’époque —, les banques centrales ont dû intervenir et prendre toutes sortes de mesures. Elles sont sorties de l’ombre. On pourrait dire qu’on leur a accordé trop de crédit ou qu’on les a trop blâmées, compte tenu de ce qu’elles peuvent accomplir avec les outils dont elles disposent.

Nous n’avons pas encore parlé de politique budgétaire, mais au bout du compte, celle-ci est le principal moteur de l’économie. La politique monétaire dispose d’un outil. On peut ajouter l’assouplissement quantitatif et l’orientation prospective, si vous voulez, comme outils non conventionnels, mais elle n’a qu’un seul outil, et c’est un taux d’intérêt rudimentaire. Nous essayons d’accomplir beaucoup de choses avec ce seul outil.

J’examine la politique budgétaire, et c’est le principal moteur de la politique gouvernementale. Les autorités financières ont beaucoup plus de contrôle sur le potentiel à long terme de l’économie qu’une banque centrale.

La présidente : Je n’ai pas eu l’occasion d’entendre vos commentaires hier, mais que pensez-vous de la réduction des taux de cette semaine? Est-elle adoptée en prévision des tarifs douaniers, ou plutôt en tenant compte du fait que les taux devront peut-être augmenter de nouveau si nous nous dirigeons vraiment vers une récession?

M. Kronick : Je pense que c’est davantage pour la première raison que pour la seconde. C’était mon point principal hier.

Si l’on examine les données nationales et si ce n’était de la menace de ces tarifs, je pense que les données nationales auraient justifié une réduction de 25 points de base. L’on a constaté une hausse des dépenses de consommation au troisième trimestre. La construction de logements a connu une hausse. Les investissements des entreprises demeurent très faibles, comme je le disais au sujet du potentiel de l’économie.

Je pense que le souci d’équilibre entre les données et les mesures de base qui demeurent au-dessus de 2 % — à 2,4 % ou 2,5 %, ou à peu près — aurait entraîné la nécessité d’une réduction de 25 points de base, mais que la menace de ces tarifs justifie une réduction de 50 points de base.

Je n’étais pas vraiment certain de la direction que la banque allait prendre, mais en ce qui concerne le rapport sur le marché du travail de vendredi dernier, pour revenir au double mandat, je pense que la hausse du taux de chômage est venue confirmer la nécessité d’une réduction de 50 points de base.

La présidente : C’est ce que vous sembliez dire au début. Puisque la banque semble déjà tenir compte des préoccupations en matière d’emploi, il n’est pas nécessaire d’ajouter ce deuxième aspect à son mandat. Est-ce bien ce que vous dites?

M. Kronick : Oui, je pense qu’il s’agit sans équivoque d’un outil. Cet outil fait partie de l’équation, et je pense que c’est très bien ainsi, comme je l’ai dit, étant donné qu’il est difficile d’estimer le niveau d’emploi maximal et la production potentielle, et qu’ils fluctuent. Je ne pense pas que ce soit le genre de mandat ou d’objectif souhaitable pour une banque centrale.

Il vaut mieux avoir la certitude qu’elle s’acquitte de son mandat, et elle le fait. Il le faut. Pour bien fixer les taux d’intérêt de manière à atteindre la cible d’inflation, il faut comprendre la différence entre le taux réel et le taux potentiel. Il faut donc que ce soit un facteur que la banque estime et qu’elle essaie de déterminer, mais pas un élément à présenter au public comme une cible à atteindre toutes les six semaines.

La présidente : Je vous remercie.

Nous allons faire un deuxième tour rapide. Puisque notre témoin ne peut rester avec nous que jusqu’à et quart, nous allons essayer de lui consacrer encore quelques minutes.

Le sénateur Loffreda : Ne craignez-vous pas que notre dollar déjà chancelant s’affaiblisse en raison de la récente réduction des taux d’intérêt? Pouvez-vous nous glisser un mot sur l’harmonisation du cadre de politique monétaire du Canada avec les politiques budgétaires fédérales? Devrions-nous mettre en place des outils de politique monétaire précis, comme l’assouplissement quantitatif ou le contrôle de la courbe des taux, et en faire des caractéristiques permanentes du cadre stratégique du Canada?

M. Kronick : Comme ce sont deux questions distinctes, je vais essayer d’y répondre séparément.

Pour ce qui est du taux de change, oui, je suis inquiet. Cependant, l’économie d’il y a 30 ans était constituée aux deux tiers de biens et d’un tiers de services, et le taux de change est vraiment important dans un tel contexte. Quand l’économie est constituée aux deux tiers de services et d’un tiers de biens, il l’est un peu moins.

En ce qui concerne l’écart entre notre taux de financement à un jour — notre taux directeur — et celui du gouvernement fédéral, il est encore un peu envisageable qu’il se creuse et que le taux de change continue de se déprécier avant que cela ne devienne nécessairement un problème à mon avis. J’espère que cela répond à la première partie de votre question.

En ce qui concerne les politiques budgétaires et monétaires, l’un des avantages de la cible de 2 % est qu’elle est censée contraindre la politique budgétaire. Elle est censée être contraignante, parce que si le gouvernement fédéral dépensait trop — comme on pourrait l’affirmer sans crainte de se tromper après la première période de la pandémie de COVID-19 —, cela mènerait à l’inflation, et la banque centrale devrait alors augmenter les taux d’intérêt. Les gens seraient donc mécontents, parce qu’ils n’aiment pas l’inflation. Il s’agit en quelque sorte d’un outil qui permet de veiller à ce que la politique budgétaire soit orientée dans la bonne direction.

Pour ce qui est de l’assouplissement quantitatif, c’est l’un des outils qui se trouvent dans le coffre. À ma connaissance, aucune loi ne l’interdit. Je pense qu’on lui attribue une trop grande part — et je le dis au sens négatif —, de répercussions sur l’inflation cette fois-ci. Je ne crois pas que les achats d’instruments d’emprunt ont été nécessairement inflationnistes. Je pense plutôt que ce sont les dépenses comme telles qui l’ont été.

Quant à savoir si le gouvernement aurait pu dépenser comme il l’a fait sans les achats de la banque centrale, je suppose que oui. Ç’aurait peut-être été à des taux d’intérêt légèrement plus élevés, mais je suppose qu’on aurait pu le faire de toute façon, alors je ne suis pas de ceux qui pensent que l’assouplissement quantitatif est en grande partie responsable de l’inflation observée.

Cependant, il faudrait aussi expliquer pourquoi, en 2008, alors que d’autres pays ont procédé à un assouplissement quantitatif, il n’y a pas eu ce genre d’inflation ici. Je ne pense donc pas que ce soit un facteur aussi important que certains l’ont laissé entendre. Je pense que c’est un bon outil en ce sens qu’il fait baisser les taux d’intérêt à plus long terme, et il y a probablement une légère augmentation de l’inflation qui peut en découler, mais elle n’est probablement pas aussi importante que les gens le laissent entendre.

Le sénateur Loffreda : Merci.

Le sénateur Fridhandler : L’avocat en moi veut s’assurer que nous faisons tout ce que nous devons faire. Une partie de notre étude consiste à examiner les changements législatifs à apporter au mandat de la Banque du Canada.

Y a-t-il quelque chose qui, selon vous ou vos collègues de l’Institut C.D. Howe, doit être corrigé dans la Loi sur les banques ou dans des règlements connexes ou d’autres lois?

M. Kronick : Non, je ne crois pas que nous ayons besoin d’apporter des changements, mais puisque je ne suis pas avocat, vous êtes peut-être mieux placé que moi pour répondre à cette question.

Ce que j’ai toujours aimé du mandat, c’est qu’il nous donne la souplesse nécessaire pour tenir ce genre de discussions. Il permet au gouvernement de mettre en place le mandat qu’il juge approprié et il requiert que la banque centrale soit indépendante sur le plan opérationnel.

Je dois préciser ce dernier point. La banque n’est pas complètement indépendante. Elle est indépendante sur le plan opérationnel. Le gouvernement peut déterminer le mandat et les cibles qu’il veut que la banque atteigne, mais c’est à elle de les atteindre.

Pour ma part, cette séance porte sur le mandat en soi et sur d’autres aspects dont nous avons discuté, mais je pense qu’il y a une différence entre l’indépendance pure et l’indépendance opérationnelle.

Le sénateur Gignac : Monsieur Kronick, revenons à cette discussion sur le double mandat. Vous pourrez nous faire parvenir une réponse par écrit plus tard.

Bien sûr, la définition du niveau d’emploi maximal est un véritable problème. La Fed a le même défi à relever. Elle a un double mandat. Ce que j’ai remarqué, c’est que la Banque du Canada est effectivement crédible dans sa lutte contre l’inflation.

Si l’on dresse un bilan de ce qui s’est passé, le taux de chômage aux États-Unis est de 4,2 % et il est maintenant de 6,8 % au Canada. C’est le plus grand écart observé en 30 ans. Au Canada, le taux de chômage est passé de 6,5 % à 6,8 %. Aux États-Unis, il est demeuré plus ou moins stable autour de 4 %.

L’inflation mesurée par l’indice de référence au Canada est inférieure de 1 % à celle observée aux États-Unis. Si vous consultez le Rapport sur la politique monétaire, vous verrez qu’aux États-Unis, on fait des prévisions sur le taux de chômage. Ici, la Banque du Canada n’en fait aucune. Il me semble qu’on ne se soucie pas de ce qui se passe sur le marché du travail, mais je suis peut-être trop sévère en affirmant cela.

Pourriez-vous me convaincre qu’il vaut mieux s’en tenir au mandat actuel, parce qu’il semble que sur le marché du travail, on a souffert de cette politique monétaire sévère au cours des deux dernières années?

M. Kronick : Oui, je ne pense pas qu’on puisse examiner les différences entre les deux économies et laisser entendre que c’est la politique monétaire qui a été le moteur du succès de l’économie américaine. Nous pourrions tenir une autre séance complète ici sur ce qui, selon moi, a été le moteur de la réussite économique du Canada par rapport à celle des États-Unis.

Si l’on considère les taux directeurs et le resserrement de la politique monétaire, c’est presque la même chose. En fait, mon argument tient encore plus dans ce scénario parce que les banques centrales ont réagi à peu près de la même manière quand l’inflation a dépassé la cible. L’une des façons a eu une incidence très différente de l’autre sur l’économie. Cela donne à penser qu’il est encore plus difficile de définir quel serait le niveau d’emploi maximal dans ces deux situations.

Je dois également souligner qu’aux États-Unis, on ne calcule pas le taux chômage comme nous le faisons ici. C’est une autre question dont nous devrions aussi discuter.

Si j’examine les deux scénarios, je ne pense pas que ce soit un argument en faveur d’un double mandat.

La réalité, c’est que pour ce qui est du potentiel de l’économie américaine au cours des trois dernières années, peu importe ce que l’on peut penser de l’Inflation Reduction Act — un nom ridicule —, ou IRA, du gouvernement Biden, elle constitue un outil remarquablement puissant du point de vue de l’investissement et du potentiel de l’économie américaine.

Au cours des trois dernières années, notre politique financière a consisté en grande partie à favoriser la consommation. En revanche, l’IRA vise à favoriser les investissements. Si l’on augmente les investissements, on multiplie le potentiel de l’économie. C’est ce qu’on a fait aux États-Unis.

Cela permet à l’économie de croître davantage. Si nous avions fait la même chose, nous aurions pu obtenir des résultats semblables. À mon avis, cela n’a rien à voir avec la politique monétaire.

La présidente : Excellent. Merci.

Monsieur Kronick, je vous remercie de votre participation et de vos observations, qui ont été très utiles. Merci, Jeremy Kronick, vice-président, Analyse économique et stratégie à l’Institut C.D. Howe. Nous vous laissons partir à l’heure prévue. Merci.

M. Kronick : Merci à vous tous. C’est une étude extrêmement importante.

La présidente : Merci. Nous sommes d’accord.

Notre prochain témoin est Douglas Porter, économiste en chef à BMO Groupe financier. M. Porter analyse et commente notre économie depuis des années. Nous sommes heureux de vous accueillir aujourd’hui dans le cadre de notre étude sur le mandat de la Banque du Canada et sur d’autres questions connexes. Soyez le bienvenu. Vous pouvez faire votre déclaration préliminaire.

Douglas Porter, économiste en chef, BMO Groupe financier : Merci, madame la présidente et honorables sénatrices et sénateurs. Je suis heureux de me joindre à vous aujourd’hui pour vous aider dans votre étude sur la politique monétaire du Canada. Je m’appelle Doug Porter et je suis l’économiste en chef de BMO.

En tant qu’économiste en chef de l’une des plus grandes banques du Canada, je considère, avec mon équipe, que l’étude de la politique monétaire du Canada est un sujet crucial, quand nos clients de partout au pays et dans le monde naviguent dans les eaux de leur propre situation financière.

Les dernières années ont représenté une période de bouleversements sans précédent, la pandémie de COVID-19 ayant entraîné des mesures de relance vigoureuses et des taux d’intérêt à un creux record, suivis d’une augmentation spectaculaire de l’inflation à l’échelle mondiale et d’une hausse correspondante du taux du financement à un jour de la Banque du Canada.

Je suis d’avis que l’augmentation de l’inflation a été causée à la fois par des facteurs liés à l’offre et à la demande dans une mesure généralement égale et par des facteurs mondiaux et nationaux.

Compte tenu de la même tendance à l’inflation observée dans les économies développées au cours des dernières années, il semble que les facteurs mondiaux aient joué un rôle un peu plus important dans le pic d’inflation.

Aujourd’hui, nous nous rapprochons du taux d’inflation que cible la Banque du Canada. Les récentes réductions de taux confirment ce succès.

Hier, la Banque du Canada a réduit son taux du financement à un jour de 50 points de base pour le faire passer à 3,25 %, ce qui correspond à la tranche supérieure du taux d’intérêt neutre comme le conçoit la banque, et il est inférieur de 175 points de base au taux d’il y a seulement six mois.

À mon avis, la Banque du Canada a assez bien traversé ces tempêtes. Il est certain que la banque a pris des décisions qui, avec le recul, auraient pu être exécutées différemment. Dans l’ensemble, les efforts de nos banques centrales ont été positifs. Les difficultés qu’elles ont éprouvées n’étaient pas propres au Canada, alors que bon nombre des situations auxquelles tous les décideurs ont dû faire face ces dernières années étaient uniques.

Nous avons eu la chance de bénéficier d’un système monétaire relativement stable au fil des ans grâce aux mesures prudentes que la banque a prises indépendamment. Je suis heureux de vous faire part de mon point de vue sur la façon dont ces efforts ont fonctionné et sur les perspectives économiques du Canada.

Je serai heureux de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Merci, monsieur Porter. Nous allons commencer par le sénateur Loffreda, vice-président.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Porter, d’être avec nous ce matin.

J’aimerais commencer par une question d’ordre général. Quelles sont vos perspectives à court et à moyen terme pour l’économie canadienne? Comment le cadre de la politique monétaire devrait-il s’adapter à ces projections? Il se passe beaucoup de choses. Il y a beaucoup de choses à discuter. Je vous donne carte blanche pour entamer la discussion.

M. Porter : Merci, sénateur. Oui, c’est un environnement remarquablement complexe, mais nous avons déjà vu des situations un peu plus complexes. Il s’agit en effet d’une autre situation inhabituelle.

Si l’on ne tient compte que des facteurs nationaux, j’étais devenu beaucoup plus optimiste au sujet de l’économie canadienne à court terme, c’est-à-dire pour la période 2025-2026.

Avec le recul, il ne fait aucun doute que le Canada a eu beaucoup de difficultés, surtout par rapport aux États-Unis, et même par rapport à d’autres économies développées, mais je ne crois pas qu’il soit si compliqué de comprendre pourquoi.

Pour simplifier, le Canada est l’une des économies les plus sensibles aux taux d’intérêt au monde; c’est à la fois à cause du niveau relativement élevé d’endettement des ménages chez nous et de la rapidité avec laquelle cette dette se renouvelle, et parce que le secteur du logement dans notre économie pèse beaucoup plus lourd que dans bien d’autres économies. Or, le logement est évidemment très sensible aux variations des taux d’intérêt.

Cela a été un fardeau pour l’économie canadienne au cours des dernières années. Maintenant que les taux d’intérêt baissent rapidement, l’arme à double tranchant qu’est une économie sensible aux taux d’intérêt joue en notre faveur.

Nous pensons que le secteur du logement et les dépenses des consommateurs canadiens vont reprendre de la vigueur au cours des prochaines années. Déjà au cours des derniers mois, le marché de l’habitation a commencé à reprendre le dessus.

Nous avons en fait observé des développements relativement positifs du côté des dépenses de consommation. En ce qui concerne ces dernières et le logement, nous espérions que l’économie reviendrait à des taux de croissance normaux d’environ 2 % au cours des deux prochaines années, après avoir eu du mal à croître d’un peu plus de 1 % ces dernières années.

Bien entendu, cette perspective a été fortement assombrie par cet important et nouveau risque d’incertitude qui pèse sur le commerce. Nous essayons tous de savoir dans quelle mesure ces menaces sont sérieuses, si elles seront réellement mises en œuvre, pendant combien de temps elles resteront en place et quelle sera l’ampleur des tarifs douaniers.

Les répercussions possibles sur le Canada ont été examinées dans un certain nombre d’études économiques. La mesure dans laquelle le Canada exercera des représailles aura son importance. Dans l’éventualité où il n’y aurait pas de représailles, selon les meilleures estimations, ces tarifs pourraient réduire le PIB du Canada jusqu’à hauteur de 2 %.

Je ne m’attends pas à ce que les décideurs de notre politique économique restent les bras croisés si nous sommes frappés par des tarifs douaniers de 25 %. Je suppose que les taux d’intérêt baisseront encore plus rapidement qu’ils ne le feraient normalement.

Je m’attends également à d’autres mesures de stimulation au chapitre de la politique budgétaire au cours des deux prochaines années, et j’ai aussi l’impression que le dollar canadien s’ajustera assez fortement. Toutes ces mesures compenseront en quelque sorte l’impact des tarifs douaniers, mais il ne fait aucun doute qu’il y aura un effet négatif très important pour l’économie canadienne si nous devions faire face à des tarifs de 25 %. Même en adoptant une politique très musclée, nous estimons que ces tarifs réduiront probablement le PIB canadien d’au moins un point de pourcentage.

La présidente : J’aimerais parler de la possibilité d’une récession. Je sais qu’il y a beaucoup d’incertitude. Nous avons parlé des tarifs, de leur taux de mise en œuvre et ainsi de suite. Cette semaine, le gouverneur a dit qu’il ne prévoyait rien de tout cela, mais beaucoup d’autres économistes disent que nous sommes déjà rendus là, techniquement parlant. Quelle est votre évaluation de la situation?

M. Porter : Je vous remercie de cette question. Hier, on a demandé directement au gouverneur comment il réagirait à l’affirmation selon laquelle l’économie est en récession. Il a souligné que selon la définition semi-officielle d’une récession, il faut au moins deux trimestres de PIB négatif. Or, nous n’en sommes pas là.

Je pense que l’aspect sur lequel on pourrait se concentrer pour dire que nous sommes dans une période de ralentissement furtif, c’est peut-être le PIB par personne. Je ne pense pas que ce soit nécessairement la mesure parfaite non plus. Si nous examinons les indicateurs généraux — comme les dépenses de consommation, les ventes d’automobiles, la construction de logements et ce genre de choses —, la période actuelle ne correspond tout simplement pas à ce que nous considérerions comme une récession au sens traditionnel.

Nous vivons assurément une période de croissance très lente. La période récente a été difficile. Le taux de chômage a augmenté au cours de la dernière année, mais il convient de souligner que le Canada a également réussi à créer beaucoup d’emplois au cours de la même période. En fait, la croissance de l’emploi a été aussi forte qu’aux États-Unis. Au lieu de cela, nous avons constaté que l’économie et la croissance de l’emploi n’ont pas pu suivre le rythme très rapide de la croissance démographique, et c’est ce qui a eu tendance à faire augmenter le taux de chômage au cours de la dernière année et qui a causé une très forte croissance de la population active.

Cela ne correspond pas vraiment à la définition traditionnelle d’une récession, mais il ne fait aucun doute que l’économie canadienne a connu une période difficile au cours des dernières années.

La présidente : Merci.

La sénatrice Ringuette : J’aimerais avoir une opinion plus claire en réponse aux trois questions suivantes.

Premièrement, en ce qui concerne le mandat actuel de la Banque du Canada, seriez-vous d’accord pour qu’il reste inchangé ou qu’il y ait un deuxième aspect ajouté au mandat en ce qui a trait au niveau d’emploi maximal?

Ma deuxième question concerne la fréquence d’examen, qui est actuellement fixée à cinq ans. Devrait-elle rester ainsi, ou devrait-on la ramener à trois ans dans la conjoncture économique actuelle?

Troisièmement, devrait-il y avoir plus de sous-gouverneurs externes rattachés à la banque?

M. Porter : Je vous remercie de ces questions. J’y répondrais peut-être dans l’ordre inverse en commençant par la troisième, sénatrice. Pour ce qui est d’avoir un plus grand nombre de sous-gouverneurs externes, il est intéressant de noter que la banque a maintenant un sous-gouverneur externe et qu’elle en cherche un deuxième. Cela tient en partie au fait que toutes les banques centrales ont dû faire face à des difficultés liées à l’inflation dans la foulée de la pandémie.

Je dois dire que la banque est en contact étroit avec le secteur privé. Nous avons des rencontres officielles avec la banque au moins une fois par année. Ses responsables sollicitent aussi fréquemment notre opinion d’autres façons. Je sais très bien qu’ils suivent les attentes des marchés financiers. Je fais partie du Conseil de la politique monétaire de l’Institut C.D. Howe, qui essaie de suggérer le taux que devrait établir la Banque du Canada dans la semaine qui précède l’annonce de sa décision. Je crois comprendre que la Banque du Canada écoute et suit les recommandations du conseil. En fait, je pense que la banque fait pas mal de sensibilisation. Pour ce qui est de savoir si elle doit en faire davantage, je laisse à d’autres le soin d’en juger, mais je pense que la banque fait un assez bon travail lorsqu’il s’agit de solliciter et d’écouter l’opinion d’autres parties.

Concernant la réduction de la durée du mandat de cinq à trois ans, je dirais qu’en général, un mandat de cinq ans est approprié. Vous pourriez faire valoir qu’en raison des circonstances exceptionnelles de la pandémie et de ce qui s’est passé sur le plan de l’inflation juste après, ce n’aurait pas été une mauvaise idée de se demander si cette durée était appropriée vu la cadence accélérée imposée par ces circonstances très exceptionnelles. En général, toutefois, je pense qu’un mandat de cinq ans est approprié. Cela correspond plus ou moins à un cycle économique type, un peu plus court peut-être, mais je pense que c’est une durée raisonnable. À certains égards, cela m’amène à votre dernière question.

Dans l’ensemble, je dirais que le mandat nous a bien servis. Il a donné d’assez bons résultats. Cela ne veut pas dire qu’on ne peut pas y apporter quelques changements, l’ajuster ou le revoir. Il convient de faire un examen approfondi tous les cinq ans et de toujours se demander si c’est la bonne façon de procéder. Cela fait partie de notre réflexion sur la pertinence d’envisager un double mandat ou non. Personnellement, je pense que le mandat doit être le plus étroit et le plus ciblé possible simplement parce qu’en réalité, les dirigeants de la banque ne disposent que d’un seul outil important — et j’imagine que vous avez déjà entendu cela —, ce sont les taux d’intérêt. En gros, cela signifie qu’ils peuvent atteindre une seule cible à la fois.

Quand ce mandat a été établi, l’idée était que la meilleure chose que la Banque du Canada pouvait faire pour l’économie — et cela inclut l’emploi —, c’était d’instaurer un contexte très stable et prévisible pour l’inflation. Je ne suis pas ici pour vous dire que c’est la panacée et que c’est nécessairement un gage de succès, mais je pense qu’il faut éviter de trop demander à la politique monétaire et de trop compter sur elle. J’ai tendance à croire qu’il vaut mieux garder le cap.

Je suis d’accord avec le dernier ajustement mineur effectué par la banque pour tenir compte de l’évolution de l’emploi et surveiller la situation afin que le balancier ne penche pas trop d’un côté ou de l’autre. C’est probablement la bonne façon de voir les choses, mais ma réponse courte, c’est que nous procédons de cette manière depuis 30 ans, généralement avec succès. Je ne suis donc pas favorable à l’idée d’apporter un changement majeur au mandat.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Yussuff : D’autres pays ont modifié le mandat de leur banque centrale et, peu importe l’indicateur ou la mesure que vous utilisez pour évaluer cela, ce changement semble avoir donné de très bons résultats, même s’ils ont élargi la responsabilité de leur banque en lui confiant un double mandat. J’entends ce que vous et vos collègues dites, mais si c’était le cas, d’après ce que nous pouvons observer et mesurer de l’expérience d’autres pays, cela n’enlève rien au mandat fondamental de la banque qui consiste à gérer l’inflation.

Parallèlement, comme nous voulons nous assurer que notre économie se porte bien et que les Canadiens ont des emplois, nous devons réfléchir à cela, tout en sachant que la banque ne dispose que d’un seul outil. Il s’agit d’un outil important parce que s’il est utilisé de manière à causer d’importants préjudices aux particuliers et aux entreprises qui empruntent de l’argent, il y aura des répercussions. Ce n’est pas un outil neutre. Il peut être utilisé à diverses fins, selon que la banque décide d’en tirer parti de manière plus ou moins audacieuse. Dans le cas qui nous occupe, l’objectif est de faire baisser l’inflation.

Le mandat d’autres banques centrales semble avoir été ajusté assez facilement et servir le but que leur institution politique s’est fixé. Si nous faisions la même chose ici, cela n’alourdirait pas beaucoup la responsabilité de la banque, n’est-ce pas?

M. Porter : Je vous remercie, sénateur. Ce ne serait pas un gros changement, c’est vrai. En fin de compte, la Banque du Canada souhaite évidemment que l’économie canadienne se porte le mieux possible, notamment que le taux de chômage soit le plus bas possible.

Un témoin précédent a laissé entendre que notre notion du plein emploi ou d’un taux de chômage satisfaisant a évoluée avec le temps. Quand j’ai commencé à analyser l’économie, dans les années 1980, on considérait que 8 % était un taux de chômage normal ou neutre. C’était perçu comme un taux très positif pour l’économie. Aujourd’hui, nous considérons que 8 % est un taux de chômage très insatisfaisant.

C’est une cible flottante qui peut varier grandement en fonction de la démographie.

Je serais un peu plus inquiet si nous cherchions à atteindre simultanément une cible d’inflation et un taux de chômage précis. Comme je l’ai mentionné tout à l’heure, le léger ajustement que la banque a récemment apporté au cours de son dernier mandat pour tenir compte du niveau de chômage et essayer d’atteindre le plein emploi, tout en respectant le plus possible la cible d’inflation, était probablement une bonne chose à faire. Elle n’était pas tenue d’atteindre un chiffre à tout prix.

Je tiens à rappeler que la banque s’est donné comme objectif — et je suis d’accord — de stabiliser l’inflation à un niveau de 2 %. C’est probablement l’une des meilleures choses que la politique monétaire peut faire pour ramener le taux de chômage à un niveau relativement bas.

Depuis la fin de la pandémie de COVID, ces deux objectifs ont été un peu contradictoires. En 2022, nous avions probablement le taux d’emploi le plus serré ou le plus sain que je n’avais jamais vu auparavant, tout comme bon nombre d’entre nous. Le taux de chômage est passé sous la barre des 5 %. À un moment donné, nous avions plus d’un million d’emplois vacants, un nombre égal au nombre de chômeurs. Le taux de chômage n’avait jamais été aussi serré.

Au même moment, hélas, nous avions également le taux d’inflation le plus élevé des 40 dernières années. Il est clair que ces deux objectifs étaient conflictuels. Si le marché du travail était resté aussi serré, cela aurait probablement eu pour effet de maintenir l’inflation à ces niveaux élevés pendant un certain temps. Malheureusement, la politique a dû assouplir le marché de l’emploi pour faire baisser l’inflation.

Le sénateur Fridhandler : Sous la direction du gouverneur Macklem, la Banque du Canada a fait de grands progrès pour être plus transparente et rendre des comptes à la population. Quel est votre avis à ce sujet et avez-vous d’autres mesures à proposer pour que la banque continue à s’améliorer sur ce plan.

M. Porter : Je vous remercie, sénateur.

La stratégie de communication a évolué de manière intéressante depuis quelques années. En général, je dirais que la Banque du Canada est devenue beaucoup plus ouverte et transparente et davantage engagée auprès du public. Ce sont là des changements positifs.

Il y a une vingtaine d’années, par exemple, la banque a commencé à modifier les taux d’intérêt à des dates d’intervention fixes, comme nous les appelons. Dans les années 1980 et 1990, elle pouvait les modifier à tout moment, ce qui suscitait une grande incertitude au sein des marchés financiers et de la population.

La banque s’est dotée d’une sorte de programme de communication. Les dirigeants font de plus en plus de discours publics, notamment devant les chambres de commerce du pays. Les conférences de presse sont une forme d’intervention relativement nouvelle. La prise de parole après chacune des décisions prises est même devenue un exercice courant sous la direction de M. Macklem

La publication des résumés des délibérations du conseil de direction est aussi un phénomène récent. Ces résumés nous donnent une idée des décisions qui ont présidé à chaque décision relative aux taux d’intérêt.

La banque n’a cessé de faire des progrès en matière d’ouverture et de transparence. C’est positif dans l’ensemble. Pour revenir à ce que vous disiez, ce changement s’est accéléré sous la direction de M. Macklem.

L’idée n’est pas de laisser planer le mystère, mais la banque ne peut être totalement ouverte, parce que nous ne connaissons pas l’avenir, tout simplement. Les dirigeants ne veulent pas dévoiler toutes leurs cartes, car la situation peut changer radicalement. Ils ne veulent pas faire de promesses qu’ils ne pourront tenir ni donner des directives que les circonstances et les événements risqueraient de démentir.

Nous sommes peut-être arrivés à la limite raisonnable de l’ouverture et de la transparence. Je ne vois pas ce que nous pourrions demander de plus à la banque centrale en ce moment, à part, peut-être, quelques déclarations publiques de plus par année. Il est vrai que les dirigeants de la Réserve fédérale américaine font beaucoup de discours, ce qui est une initiative très positive, à mon avis. Ils sont beaucoup plus ouverts qu’ils ne l’étaient il y a une vingtaine d’années.

Le sénateur Fridhandler : Pour revenir à la question de la sénatrice Ringuette au sujet des sous-gouverneurs, j’aimerais savoir si la diversité régionale de notre pays est bien représentée au sein de la direction de la Banque du Canada ou s’il y aurait lieu de désigner des sous-gouverneurs issus des diverses régions du pays?

M. Porter : Merci.

D’après ce que je comprends, la direction cherche à représenter la diversité régionale par d’autres moyens. Avec un groupe relativement restreint de sous-gouverneurs, il est difficile de représenter adéquatement toutes les régions du pays.

C’est un sujet qui fait débat depuis de nombreuses décennies. En fait, nous devons plutôt nous demander comment la politique monétaire réagit aux variations régionales au sein de l’économie. C’est une question qui se pose par intermittence. Bien sûr, il vaudrait probablement la peine de demander à un groupe d’experts de se pencher là-dessus.

Il est toutefois intéressant de signaler que les disparités régionales au sein de l’économie canadienne se sont beaucoup atténuées avec le temps. Nous avons déjà souligné cet écart très étroit. Pour le comprendre, il suffit d’examiner les taux de chômage d’une province à l’autre. L’écart entre le taux de chômage le plus élevé et le plus bas au pays est plus étroit que jamais auparavant. Les écarts économiques ont vraiment diminué, et on peut dire la même chose des taux de croissance.

Évidemment, s’il se produit des fluctuations importantes dans les prix des produits de base, les écarts entre les régions peuvent être plus marqués, mais ces dernières années, il n’y a pas eu d’écarts marqués d’une région à l’autre sur le plan économique.

En général, la Banque du Canada est d’avis — et j’aurais tendance à être d’accord — que nous ne pouvons avoir qu’une seule politique monétaire. Nous devons l’établir pour l’économie globale du pays. Dans une certaine mesure, c’est la politique financière et même la politique fiscale des provinces qui doivent contribuer à atténuer une partie des écarts régionaux susceptibles de survenir. La politique monétaire peut difficilement agir dans les différentes régions du pays. Selon moi, son rôle est de réagir à la situation macroéconomique générale du pays, tout en tenant compte du fait que certaines régions du pays pourraient s’en tirer exceptionnellement mal ou exceptionnellement bien dans certaines circonstances, et de tenir compte de cela au moment d’établir sa politique.

La présidente : Permettez-moi d’intervenir brièvement au sujet du résumé des délibérations. Des témoins nous ont expliqué que la règle de Chatham House s’applique pour la simple raison qu’elle permet la tenue d’un débat sans entrave ni restriction. Autrement, les participants hésiteraient à proposer des idées plus intéressantes ou plus radicales si leur nom était révélé. Partagez-vous cette préoccupation?

M. Porter : Oui, madame la présidente, je la partage. Il est préférable que les commentaires demeurent anonymes dans le résumé des délibérations.

C’est intéressant. C’est une initiative assez nouvelle. Je pense que nous sommes en train de trouver notre voie. Même en tant qu’analystes des marchés financiers, nous sommes en train d’apprendre à lire ces résumés et à trouver une façon de les utiliser. Même si nous y avons accès depuis peu de temps, je pense que leur utilité est déjà démontrée. À un certain moment, nous avons constaté un léger désaccord au sein du conseil d’administration sur la meilleure façon de procéder. En fait, c’était une nouvelle intéressante pour le public d’apprendre qu’il y avait un léger désaccord, un désaccord raisonnable, je dirais. Bien sûr, l’économie est une chose complexe et les gens raisonnables peuvent avoir des divergences d’opinions.

Ces publications nous ont permis de voir de quel côté penchaient la banque et l’opinion minoritaire.

La présidente : Pour revenir à votre bref commentaire sur la nomination des sous-gouverneurs, je pense que tout le monde se réjouit qu’ils soient plus nombreux, mais il reste que c’est le gouverneur qui les choisit. Pensez-vous que ces nominations devraient faire l’objet d’un examen parlementaire public — sans que la décision soit définitive — et que ce processus devienne obligatoire?

M. Porter : C’est une question intéressante. À mon avis, ce serait une bonne chose que le public apprenne à connaître les nouveaux sous-gouverneurs. Je ne m’opposerais pas à ce qu’ils soient présentés officiellement.

La présidente : Excellent. Je vous remercie de cette réponse.

Le sénateur Gignac : Monsieur Porter, soyez le bienvenu. Comme nous avons tous les deux assisté, en tant qu’économistes en chef, aux assemblées annuelles de la Banque du Canada, je me réjouis que vous ayez accepté notre invitation.

Nous analysons trois éléments dans le cadre de notre étude spéciale. Le troisième concerne les mesures de l’inflation fondamentale. Les mesures ont changé au fil des années. C’était d’abord l’indice IPCX, qui a été remplacé par l’IPC-tronq, puis par l’IPC-comm, parmi d’autres. Pourriez-vous expliquer au comité l’importance et le rôle de l’inflation fondamentale dans la politique monétaire?

Le gouverneur semble parfois concentrer son attention sur l’inflation globale et, d’autres fois, sur l’inflation fondamentale. Hier, dans le communiqué de presse d’ouverture, les dirigeants ont dit qu’ils surveilleraient l’inflation fondamentale au cours des prochains mois. Pourriez-vous nous dire dans quelle mesure ce concept est important et si l’indice que la banque utilise actuellement est le bon? Je veux parler de l’IPC-tronq et de l’IPC-méd.

M. Porter : Je vous remercie de ces questions, sénateur. Je suis heureux de vous revoir également.

Je crois comprendre que cette question a été soulevée par les témoins du groupe précédent. Pour être bien clair, ce que la Banque du Canada vise et, au bout du compte, ce qui importe, c’est l’inflation globale. Je répète que s’ils analysent les mesures de l’inflation globale c’est davantage pour s’en servir comme guide et pour éviter d’être distraits par certaines circonstances ponctuelles qui risquent de faire grimper l’inflation globale temporairement. Par exemple, une modification de la TPS peut avoir un effet temporaire sur l’inflation globale. Les banques centrales ont toujours eu tendance à éliminer certains éléments volatils, surtout la hausse des prix de l’essence et des aliments, parce qu’une forte hausse étalée un mois peut facilement être inversée le mois suivant. C’est pourquoi la banque a tendance à s’appuyer sur des mesures d’inflation fondamentales.

Personnellement, je trouve que plus la mesure est simple, mieux c’est. Nous devons privilégier la simplicité. Plus la banque est cohérente sur ce front, mieux c’est. Je pense aussi que l’inflation globale est tout aussi importante que n’importe quelle autre mesure parce qu’en fin de compte, c’est ce à quoi les particuliers et les entreprises sont confrontés quotidiennement. Ils n’ont pas à composer avec l’inflation fondamentale, mais avec l’inflation globale. Quand nous parlons du coût de la vie, c’est vraiment l’inflation globale qui compte et c’est ce que la banque doit cibler. Personnellement, je n’ai pas de mesure préférée, mais je privilégie toutefois la cohérence et la simplicité. Plus c’est simple, mieux c’est.

Rappelons-nous pourquoi l’indice des prix à la consommation IPCX — qui élimine huit éléments volatils précis — a été abandonné il y a une vingtaine d’années. C’est parce que les taux d’assurance automobile avaient grimpé en flèche sur une courte période. Ces taux étaient pris en compte dans la mesure de l’inflation fondamentale. À l’époque, cette mesure a conduit à ce que je qualifierais d’erreur stratégique : les taux d’intérêt ont bondi, alors qu’ils n’augmentaient pas aux États-Unis. Cela a entraîné une forte hausse du dollar canadien. Par la suite, les taux d’assurance automobile ont beaucoup diminué, l’inflation fondamentale a chuté abruptement et la banque a fini par annuler les hausses des taux d’intérêt. Rétrospectivement, cela semble avoir été une erreur stratégique, et les dirigeants de la banque ont pensé avoir été fourvoyés par cette mesure d’inflation fondamentale. Ils ont ensuite commencé à s’appuyer sur d’autres mesures comme l’IPC-méd l’IPC-tronq.

Entre l’IPC-tronq et l’IPC-méd, je préfère la deuxième mesure. Elle est relativement simple et facile à expliquer. En fait, je pense qu’aucune des deux n’est facile à expliquer, mais la deuxième l’est davantage et elle a donné un bon résultat au fil des ans. J’aurais donc tendance à garder celle que vous utilisez déjà, sans y apporter beaucoup de changements. Je n’aurais pas nécessairement choisi l’IPC-méd pour mesurer l’inflation fondamentale initialement, mais maintenant que la banque l’utilise, je m’y tiendrais probablement.

Le sénateur Gignac : Ma prochaine question porte sur un autre sujet. Ce n’est pas le sujet principal de notre étude spéciale, mais puisque vous êtes un très éminent économiste en chef dans une grande banque, j’aimerais avoir votre avis sur le rôle de la Banque du Canada et les mesures macroprudentielles. Pensez-vous que la Banque du Canada doit jouer un rôle de premier plan dans les mesures macroprudentielles? Si jamais de nouvelles perturbations de l’offre se produisaient, pourraient-elles être davantage liées à des mesures macroprudentielles qu’à la politique monétaire? Êtes-vous satisfait de la façon dont ces mesures sont appliquées au Canada?

À un moment donné, je me suis demandé si quelqu’un ne s’était pas endormi aux commandes pour permettre à la moitié des ménages bénéficiant d’un taux variable de passer à un niveau supérieur quand le taux d’intérêt s’établissait à 2 %. Les deux années suivantes ont été éprouvantes pour eux. Il semble que personne n’ait été tenu responsable de ces mesures macroprudentielles prises il y a deux ans.

M. Porter : Merci pour cette question. Il s’agit là d’un débat très vaste. Je vais insister surtout sur le point où vous voulez en venir, c’est-à-dire la hausse vertigineuse des prix de l’immobilier durant la pandémie de COVID ainsi que l’augmentation de 50 % observée en l’espace de deux ans et la grave détérioration de l’abordabilité du logement, une crise qui perdure aujourd’hui.

À mon avis, la Banque du Canada devrait tenir davantage compte des prix des logements et de l’évolution du marché immobilier quand elle établit sa politique. Je comprends qu’à certains égards, cela va à l’encontre de ce que j’ai dit plus tôt au sujet de la nécessité de se concentrer sur un seul outil, une seule cible. Je crois cependant qu’en ce qui concerne le coût de la vie en général, au-delà du mandat de juguler l’inflation, bien sûr, l’IPC tient rigoureusement compte des prix de l’immobilier et du coût du logement, mais cela peut avoir une incidence beaucoup plus vaste sur la perception générale de l’inflation au sein de la population. Cela a une incidence concrète sur le coût réel de la vie, et pas seulement sur la perception qu’en a le consommateur ou le ménage type.

La hausse vertigineuse des prix des maisons durant la pandémie était, selon moi, un épisode très déplorable. Oui, je crois que la Banque du Canada devrait prendre beaucoup plus au sérieux ce qui se passe sur le marché immobilier quand elle établit des politiques.

Le sénateur Gignac : Au Canada, le ministre des Finances est essentiellement le président du conseil de direction, si je comprends bien, du ministère des Finances qui applique ce genre de politique macroprudentielle. Au Royaume-Uni, c’est la Banque d’Angleterre qui joue ce rôle. Est-ce exact?

M. Porter : Je pense que oui, c’est exact.

Le sénateur Gignac : Merci.

Le sénateur Varone : Je vous remercie d’être ici, monsieur Porter. Quand le président Trump a entamé son premier mandat, le taux de change du dollar canadien était autour de 80 ¢. À l’aube de son deuxième mandat, il se situe à environ 70 ¢.

En général, quand des tarifs douaniers sont appliqués, la première victime est l’emploi. La Banque du Canada a-t-elle suffisamment d’outils à sa disposition pour s’adapter à ces circonstances? Si elle ne dispose que des taux d’intérêt, il me semble alors que nous ne sommes pas suffisamment préparés. Tout peut arriver ici.

M. Porter : Je vous remercie de cette question. Vous avez raison de dire que la politique monétaire joue un rôle limité dans une guerre commerciale. C’est ce que je vous répondrais, je suppose. La réalité, c’est que la politique monétaire de la Banque du Canada n’est tout simplement pas en mesure de réagir efficacement à la menace des droits de douane. Ce n’est pas une lacune, c’est simplement la réalité. Nous aurions besoin de mettre en place toute une gamme de mesures. Une partie de ces mesures serait de nature fiscale. Une autre partie, comme je l’ai dit plus tôt, serait liée au taux de change.

Pour revenir à ce que vous disiez, le taux de change est légèrement supérieur à 70 ¢, soit l’un des taux les plus bas des 20 dernières années. Les deux seuls autres épisodes où il a été plus faible, c’est au plus fort ou au tout début de la pandémie de COVID et au moment de l’effondrement des prix du pétrole, en 2015 et 2016. Le dollar canadien traverse une période de faiblesse, mais nous sommes loin du record enregistré en 2002, quand il est passé sous la barre des 62 ¢. Le dénominateur commun de bon nombre de ces épisodes et l’une des raisons pour lesquelles le dollar canadien est faible maintenant, c’est que le dollar américain est très fort.

C’est intéressant. Je faisais remarquer hier que le dollar canadien s’est en fait raffermi ces dernières semaines et ces derniers mois par rapport au dollar australien, et ce, même si l’Australie n’a pas du tout modifié ses taux d’intérêt qui sont actuellement plus élevés que ceux du Canada. L’Australie n’est pourtant pas menacée par les droits de douane. Il est intéressant de noter que les fluctuations du dollar canadien depuis les élections et même avant sont, en fait, le revers d’une hausse généralisée du dollar américain.

Il est indéniable que le dollar canadien s’est beaucoup affaibli, mais je dirais que c’est parce que le dollar américain connaît un sommet historique et que le dollar canadien est dans un creux historique.

Pour répondre à votre question au sujet de la réponse de la Banque du Canada, il est réaliste de dire qu’elle dispose d’un outil important et je pense qu’elle l’utiliserait. Si nous devions être frappés par les droits de douane, la banque soutiendrait l’économie dans la mesure du possible. Cela signifierait que, si le Canada était confronté à des droits de douane, les taux d’intérêt seraient beaucoup plus bas qu’ils ne le seraient autrement.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Yussuff : Pour continuer sur cette lancée, je suppose que dans ce contexte, si les États-Unis imposent des droits de douane élevés, la faiblesse du dollar serait une bonne nouvelle pour nos exportations. Nos produits deviendraient alors très attrayants pour les marchés étrangers, ce qui contribuerait à stabiliser l’économie. D’ailleurs, s’ils doivent payer ces droits, les Américains pourront certainement acheter des produits canadiens. C’est en quelque sorte une arme à double tranchant. L’importation de produits serait plus coûteuse, mais en même temps, comme nous comptons largement sur nos exportations, un dollar faible pourrait aplanir certains des défis auxquels nous pourrions faire face avec les droits de douane.

M. Porter : Oui, sénateur, c’est exactement ainsi que je vois les choses. Pour être clair, je ne pense pas que notre devise se déprécierait assez pour contrebalancer pleinement les droits de douane. Ce serait un fardeau partagé par l’économie. Une partie serait payée par les consommateurs américains, une autre serait absorbée par nos producteurs et une autre par un taux de change plus faible qui, dans une certaine mesure, affaiblit notre pouvoir d’achat global. Cela entraînerait probablement une certaine pression à la hausse sur les marchandises importées. Nous le constatons presque instantanément, notamment dans les prix de l’essence et les prix de certains aliments. Pour nos importations sur ce front, nous constaterions une hausse de l’inflation.

L’imposition de tarifs généraux ne serait pas du tout positive pour l’économie. Nous sommes tous d’accord là-dessus, je pense. Comme je l’ai dit, les conséquences pour nous seraient une dépréciation de notre devise, une baisse du niveau de vie en raison de la faiblesse de notre dollar et, probablement, un affaiblissement de nos finances publiques, sans parler des tarifs que nous devrions payer.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Porter, je passe à ma dernière question. Certains pays ont exploré diverses approches en matière de politique budgétaire et monétaire. Quelles leçons le Canada peut-il tirer de ces divers cadres non conventionnels comme la théorie monétaire moderne, l’assouplissement quantitatif, la planche à billets, parfois appelée la monnaie hélicoptère, la monétisation de la dette et les fonds souverains? Vous avez déjà parlé du double mandat. Pouvons-nous nous inspirer des méthodes explorées ailleurs dans le monde? Chacune comporte des risques et des possibilités, bien entendu. Nous n’avons pas le temps d’en parler longuement, mais est-ce que des idées vous viennent à l’esprit?

M. Porter : Merci, sénateur. C’est intéressant. La théorie monétaire moderne, que vous venez de mentionner, était très d’actualité juste avant la pandémie. Dans une certaine mesure, elle a été mise à épreuve durant la pandémie aux États-Unis. Nous avions d’importants déficits budgétaires et des mesures de relance ciblées sous plusieurs formes. Cette situation est apparue durant le premier mandat de M. Trump à la fin de 2020 et s’est poursuivie en 2021. L’idée était que nous pouvions accumuler de très importants déficits budgétaires — à condition de pouvoir emprunter dans votre propre devise —, la seule contrainte étant l’inflation. C’est ce que dit la théorie monétaire moderne.

Hélas, les tests ont démontré que nous nous sommes heurtés à l’inflation réelle assez rapidement. Les vastes mesures de relance qui ont été lancées, particulièrement aux États-Unis, tant sur le plan monétaire que financier, ont en fait joué un rôle important dans l’inflation. Ce n’était certes pas le seul facteur. Les perturbations au niveau de l’offre ont également joué un rôle très important. Comme je l’ai dit, nous avons traversé une succession de circonstances exceptionnelles.

Selon moi, la théorie monétaire moderne a échoué à son premier test important, et je ne voudrais pas en faire l’expérience au Canada. Je pense que c’est la seule leçon que nous avons apprise en 2021 : il est dangereux de tester la théorie monétaire moderne.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.

La présidente : Une dernière remarque, si vous le permettez. Je sais que tout le monde s’inquiète des droits de douane, de ce qu’ils signifient, de leurs répercussions et de l’urgence de mettre de l’ordre dans nos affaires. Comme nous avons eu l’occasion de nous pencher sur cette question à maintes reprises au comité, nous avons appris que tant que nous n’aurons pas réglé notre problème de productivité, nous serons toujours vulnérables.

M. Porter : Merci, madame la présidente. D’une certaine façon, cela nous ramène au dollar canadien. Je travaille dans le milieu depuis assez longtemps pour me souvenir de la parité, même avant celle que nous avons connue il y a une dizaine d’années. C’est intéressant. Nous sommes passés de périodes de parité à 90 ¢, à 80 ¢ et maintenant à 70 ¢, même si notre taux d’inflation était pratiquement égal à celui des États-Unis au cours de cette longue période. Pourquoi notre devise s’est-elle dépréciée au fil du temps? En gros, c’est parce que nous avons eu besoin de cette dépréciation pour demeurer concurrentiels, parce que notre productivité est relativement faible.

Je sais que la baisse de notre productivité à la fin de la pandémie a suscité beaucoup d’inquiétudes. Je dirais que ce problème a touché une bonne partie des pays industrialisés, pas tellement les États-Unis, mais une grande partie du monde.

Ce qui me préoccupe le plus, c’est notre faible productivité sur une longue période. Sur une période de 30 ou 40 ans, notre croissance annuelle moyenne a été d’environ 1 %, tandis qu’aux États-Unis, elle était de près de 2 %. C’est peut-être une question de mesure, mais, en général, ces chiffres sont exacts, notre productivité a été faible. Il vaudrait la peine d’entreprendre une étude approfondie sur les causes de cette faiblesse. Je pense qu’elle est attribuable à nos niveaux relativement faibles de dépenses en capital dans notre économie, et nous devons chercher à savoir pourquoi. Pourquoi les entreprises ne sont-elles pas prêtes à investir massivement dans notre pays?

La présidente : Je vous remercie. Comme toujours, vos propos sont très réfléchis et pertinents. Nous vous sommes très reconnaissants pour vos observations. Merci à M. Porter, économiste en chef à BMO Groupe financier.

C’est ainsi que prend fin notre réunion d’aujourd’hui, la dernière de 2024. Nous reprendrons notre étude de la question au retour de la relâche. Merci à tous.

(La séance est levée.)

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