LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mardi 25 octobre 2022
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 18 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonsoir et bienvenue à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques et du commerce. Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis la présidente de ce comité.
J’aimerais présenter les membres du comité, en commençant par le vice-président, le sénateur C. Deacon. Nous avons aussi la sénatrice Bellemare, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith et le sénateur Yussuff.
Aujourd’hui, nous poursuivons notre discussion sur l’état de l’économie canadienne, en particulier l’inflation. Pour la première partie, nous avons le plaisir d’accueillir M. Robert Kavcic, qui est directeur et économiste principal à la Banque de Montréal, ou BMO. Bienvenue et merci de vous joindre à nous par vidéoconférence ce soir. Monsieur Kavcic, la parole est à vous pour votre déclaration préliminaire. Allez-y, s’il vous plaît.
Robert Kavcic, directeur et économiste principal, Banque de Montréal : Je remercie le comité de m’avoir invité à prendre la parole ce soir.
L’économie canadienne est de toute évidence dans une période de grande incertitude et potentiellement difficile. Les prévisions de croissance ont été assez régulièrement révisées à la baisse, les pressions inflationnistes s’avèrent très persistantes, évidemment et il faudra continuer de resserrer la politique monétaire en conséquence. Mes observations préliminaires seront axées sur ces trois aspects.
Concernant les perspectives de croissance, nous pensons maintenant que la probabilité que le Canada entre en récession au cours des 12 prochains mois est très supérieure à 50 %. Plus précisément, nous prévoyons une croissance nulle au quatrième trimestre de cette année, une croissance négative aux premier et deuxième trimestres de 2023, puis une légère reprise au cours du deuxième semestre de l’année prochaine.
Nous sommes d’avis qu’une récession technique pourrait avoir une ampleur relativement faible, mais pourrait en revanche être assez longue. Étant donné la colossale demande excédentaire en entrée de pandémie, il est fort possible qu’on observe, pour compenser, une période prolongée de stagnation de l’économie, à un rythme inférieur au potentiel. D’ailleurs, dans nos prévisions de croissance du milieu de l’année en cours jusqu’à la fin de 2023, nous envisageons une croissance annualisée du PIB réel qui frôle le zéro. Cela reflète la période de stagnation que nous prévoyons pour la croissance sous-jacente.
Le marché de l’emploi est un facteur favorable. La réalité, c’est que nous entrons dans cette période alors que le marché de l’emploi est exceptionnellement resserré et qu’il y a une demande excédentaire historique pour des employés. Dans ce cycle, il est tout à fait concevable que l’affaiblissement de l’économie entraîne l’élimination d’un grand nombre de postes excédentaires au lieu de créer d’importantes pertes d’emplois. Voilà pourquoi nous pensons que le taux de chômage atteindra 6,5 % à la fin de l’année prochaine. C’est une augmentation marquée par rapport à l’été dernier — moins de 5 % —, mais ce n’est pas un niveau que l’on tendrait à considérer comme préoccupant et qui se traduirait par de nombreux cas de défaut de paiement et d’insolvabilité parmi les ménages. Dans le contexte actuel, c’est un point positif.
Pour ce qui est de l’inflation, nous avons vu l’inflation mesurée culminer à un peu plus de 8 %, en juin. Les prix de l’essence et de diverses ressources ont diminué et la hausse des prix des biens semble s’essouffler en raison de la baisse de la demande. Cependant, on observe toujours une tendance assez persistante pour les prix des services, et aussi, ce qui est très important, étant donné ce qu’on voit sur le marché du travail, des pressions à la hausse sur les salaires.
Le point à retenir, concernant l’inflation, c’est que réduire l’inflation de 8 % à 5 % environ sera probablement relativement rapide et facile. Cela pourrait arriver très bientôt, mais beaucoup plus de temps et de pressions politiques seront nécessaires pour franchir la prochaine l’étape, à savoir le passage du taux de 5 % à la cible de 2 % de la Banque du Canada.
Donc, à court terme, cela se traduit par des taux d’intérêt plus élevés, à commencer par la nouvelle hausse des taux de la Banque du Canada attendue demain par bon nombre d’observateurs. Nous pensons que la Banque du Canada resserrera encore ses taux de 100 points de base d’ici la fin de l’année. Nous estimons qu’à ce moment-là, la politique sera assez serrée et que l’inflation montrera des signes de modération au début de l’année prochaine. La Banque du Canada pourra alors faire une pause et permettre à certaines hausses de taux antérieures de faire sentir leurs effets dans le système, car cela prend du temps. Nous savons que la politique monétaire a un effet en décalage.
En fin de compte, la dure réalité pour l’économie canadienne, c’est que nous assistons probablement au resserrement le plus radical des coûts d’emprunt depuis au moins 30 ans au Canada. Nous commençons à en voir les conséquences sur le marché immobilier, dans lequel on observe d’importantes corrections dans la plupart des régions du pays, ainsi que sur la confiance des consommateurs et les attentes à l’égard de l’inflation.
Voilà le contexte, de notre point de vue. Je vais arrêter ici. Bien entendu, c’est avec plaisir que je répondrai à vos questions.
La présidente : C’était un excellent exposé, même si je ne dirais pas que vos propos sont réconfortants ou rassurants. Vous avez dit que des pressions politiques seront nécessaires pour passer du taux de 5 % au taux cible de 2 % de la Banque du Canada. Pouvez-vous préciser en quoi cela consiste?
M. Kavcic : Bien sûr. Ce que je veux dire, c’est que les taux d’intérêt doivent être plus élevés.
La présidente : D’accord.
M. Kavcic : Sinon, il faudrait resserrer davantage les taux d’intérêt, mais aussi maintenir des taux d’intérêt plus élevés pendant un certain temps, probablement, au lieu d’envisager la possibilité que la Banque du Canada fasse volte-face et réduise les taux rapidement.
La présidente : Vous ne parlez pas d’autres aspects budgétaires?
M. Kavcic : Non. Ce serait surtout lié à la politique monétaire.
La présidente : Très bien. Nous allons commencer notre première série de questions avec le sénateur Deacon, notre vice-président.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup, monsieur Kavcic, d’être parmi nous aujourd’hui.
Restons sur la question de l’immobilier. La valeur des propriétés résidentielles a augmenté considérablement dans l’ensemble du pays et commence maintenant à se stabiliser. Selon certaines informations que j’ai vues, le marché de Toronto, au Canada, a connu l’une des plus importantes bulles immobilières au monde. Actuellement, les propriétaires de propriétés locatives sont confrontés à la hausse des taux hypothécaires et des coûts, ce qui se traduit par des loyers plus élevés pour ceux qui n’ont pas eu le privilège de bénéficier de la hausse des prix de l’immobilier. C’est un contexte très difficile, car nous pourrions voir, comme au début des années 1980, une crise hypothécaire et immobilière, ce qui pourrait être très douloureux. J’aimerais savoir ce que vous en pensez, car je trouve qu’il est plutôt inquiétant que nous n’ayons pas réussi contrôler la bulle, même si nous savions qu’elle existait, et qu’elle soit maintenant frappée de plein fouet. Je vous laisse la parole.
M. Kavcic : C’est inquiétant, évidemment. C’est un aspect que nous avons surveillé tout au long de la pandémie. Très franchement, nous avons fait des mises en garde contre les conséquences de cette bulle assez tôt. À mon avis, ce que nous voyons maintenant, c’est l’excès qui se résorbe. C’est une question très complexe, mais je suis convaincu qu’il s’agit d’un des plus grands risques et d’un des principaux obstacles à surmonter pour l’économie canadienne.
Vous avez mentionné deux ou trois choses. Concernant les prix, nos prévisions officielles sont qu’il y aura un déclin des prix de 20 % du sommet au creux, à l’échelle nationale, du milieu à la fin de l’année prochaine. D’un point de vue réaliste, nous avons déjà vu une contraction de 20 ou 25 % dans certains marchés, notamment dans certaines parties du Sud de l’Ontario et en Colombie-Britannique.
La réalité, c’est que dans un marché où la quasi-totalité des emprunts hypothécaires sont contractés à des taux hypothécaires de 1,5 %, le taux d’emprunt dont les Canadiens ont profité jusqu’en 2021, si on augmente rapidement ces taux hypothécaires à 5 % et plus, en maintenant tous les autres facteurs à des niveaux constants — comme le montant de la mise de fonds et la durée de l’amortissement — pour conserver le même niveau d’accessibilité, il faut réduire le prix d’achat de l’actif d’environ 30 %, uniquement pour maintenir l’équilibre tel qu’il était. La correction des prix est inévitable, comme nous commençons déjà à le constater sur le marché. Le prix d’équilibre du marché n’est plus le même. En conséquence, certains investisseurs ou acheteurs de maisons seront en difficulté pendant un certain temps.
Je pense que l’important virage vers des hypothèques à taux variable que nous avons constaté tout au long de 2021 est un autre problème important dont nous devons être conscients. Selon mes calculs, les prêts hypothécaires à taux variable contractés à environ 1,5 % représentent environ 20 % de l’encours du marché hypothécaire. Actuellement, les ménages ne constatent pas nécessairement une hausse marquée de leurs paiements hypothécaires ou ne sont pas frappés de plein fouet, comme vous dites, mais les périodes d’amortissement s’allongent. Par conséquent, lorsque ces prêts hypothécaires arriveront à échéance et qu’il sera temps de les renouveler, le solde de bon nombre d’entre eux sera semblable au solde initial. Au cours des trois à cinq prochaines années, à moins d’un important renversement de tendance sur le plan des taux d’intérêt, bon nombre de ménages subiront un choc de paiement considérable. C’est un autre aspect que nous devons garder à l’esprit, au-delà du prix de l’actif lui-même.
Cela a aussi des répercussions sur le secteur de la construction résidentielle. Sur le plan de l’offre, nous avons des objectifs plutôt ambitieux au Canada, mais la réalité, c’est que les ventes d’habitations neuves sont actuellement au point mort, de sorte qu’au cours de la prochaine année, les constructeurs devront commencer à réduire le nombre de mises en chantier au lieu d’accroître davantage l’offre sur le marché. En sortie de cycle, il est fort possible que nous nous retrouvions à nouveau limités par une offre insuffisante et qu’il y ait des problèmes d’accessibilité lorsque tout se remettra en place.
Je sais qu’il y a là beaucoup d’éléments à décortiquer, mais ce sont certains des points essentiels.
Le sénateur C. Deacon : Pour ce qui est du secteur locatif, pouvez-vous nous dire quelle est l’incidence sur le coût du loyer pour les Canadiens? C’est une importante préoccupation. On parle des Canadiens qui n’ont pas cet actif sur lequel compter.
M. Kavcic : Le marché locatif, que vous avez mentionné, fait le contraire du marché de la revente. Alors que le marché de la revente s’est affaibli, le marché locatif s’est resserré et renforcé. Il s’y passe beaucoup de choses aussi. Le simple calcul arithmétique, c’est que l’augmentation des taux d’intérêt, pour l’investisseur propriétaire d’un immeuble à logements multiples, simplement en raison des coûts de possession de cet immeuble, exerce une pression à la hausse sur les loyers, si le marché peut l’absorber et est assez resserré pour absorber cette hausse. L’envers de la médaille, c’est que le marché est assez restreint pour l’absorber en raison du manque persistant de logements locatifs de qualité au Canada.
Parallèlement, nous observons une augmentation très rapide des flux d’immigration. Au deuxième trimestre, par rapport à la même période l’année dernière, nous avons constaté la plus forte augmentation brute des flux d’immigration internationale au pays en une décennie. On parle de quelque 500 000 à 600 000 personnes, en grande partie des étudiants et des résidents non permanents, qui se retrouvent généralement dans le marché locatif. Cela a entraîné un resserrement très rapide du marché locatif. La combinaison de tous ces facteurs entraîne des tensions dans ce côté du marché.
Un aspect que nous surveillons et qui pourrait atténuer légèrement la pression est le suivant : il est possible que ces deux ou trois dernières années — et rappelez-vous que les acheteurs de propriétés multiples étaient, à la marge, la plus importante source de la demande de logements pendant la pandémie —, beaucoup d’investisseurs aient testé le marché et constaté qu’ils ne peuvent obtenir le prix qu’ils espèrent ou qu’ils recherchent pour se départir d’une propriété, de sorte qu’ils retournent sur le marché locatif, étant donné que le resserrement du marché a entraîné une hausse considérable des loyers ces deux dernières années. De mon côté, j’espère que les effets de cette dynamique commenceront à se faire sentir, et que dans le contexte de la faiblesse du marché de la revente, une partie des logements déjà mis en chantier se retrouveront sur le marché locatif afin de réduire la pression dans ce marché.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Kavcic, d’être ici ce soir.
Pour résumer, vous avez mentionné que la correction du marché immobilier représentait le plus grand risque pour l’économie canadienne. On constate à certains endroits que le marché immobilier est déjà en baisse de 20 à 25 %, et la correction des prix ne peut être évitée. De nombreux ménages subiront un choc de paiement. Pourtant, pour ce qui est de vos prévisions sur l’ampleur de la récession, vous avez mentionné que vous prévoyez une récession peu profonde, avec un léger rebond dans le deuxième semestre de l’année prochaine. Je me souviens, d’après mon expérience dans le secteur bancaire, que l’hypothèque est la dernière chose que les Canadiens cesseraient de payer. Dans ce contexte, pourquoi prévoyez-vous seulement une légère récession?
M. Kavcic : Il y a plusieurs raisons. Je pense que la plus importante distinction à faire, du côté de l’immobilier, est qu’il existe une différence entre le prix de l’actif financier et les principes sous-jacents de l’offre et de la demande, qui sont davantage d’ordre démographique. Dans l’immobilier, ces facteurs démographiques liés à l’offre et à la demande sont encore solides : le besoin de continuer de construire et de fournir des biens immobiliers résidentiels est là, comme on le constate lorsqu’on regarde la courbe démographique, avec les ménages de la génération du millénaire et les flux d’immigration internationaux.
Quant au prix de l’actif lui-même, c’est une tout autre question, et c’est là qu’on a vu une bonne partie de l’écume du marché. Nous pensons que les taux d’intérêt plus élevés ont pour effet d’éliminer une bonne partie de l’écume du prix de l’actif lui-même et de réduire considérablement l’activité spéculative fondée sur la hausse des prix. Les facteurs démographiques sous-jacents de l’offre et de la demande sont toujours en place, ce qui devrait limiter la réduction de l’activité réelle, en fin de compte, même si, d’un point de vue nominal, on observe une baisse de prix. C’est une partie de la question. Dans ce contexte, je suis d’avis que les constructeurs auront beaucoup de difficulté à maintenir le rythme actuel des mises en chantier au cours des deux prochaines années.
L’autre partie, c’est que le marché du travail est également solide. Les ménages sortent de la pandémie en excellente situation financière. Il s’agit de la seule récession où nous avons observé une augmentation importante du revenu disponible des ménages. Ils ont économisé beaucoup, ce qui leur donne un bon coussin sur lequel s’appuyer. Quant au marché de l’emploi, nous espérons pouvoir traverser cette période de ralentissement avec une correction des prix des biens immobiliers et divers autres facteurs, mais sans enregistrer d’importantes pertes d’emplois en raison de la demande considérable sur le marché.
En quelque sorte, nous combinons l’ensemble des facteurs atténuants : le bilan financier positif des ménages en entrée de crise; la demande excédentaire sur le marché du travail — qui limitera les pertes d’emplois, espérons-le —; divers autres mécanismes régulateurs du système, par exemple le test de résistance qui a déjà démontré, espérons-le, la capacité des Canadiens de composer avec la montée des taux hypothécaires. Les répercussions sur l’économie réelle sont limitées ou échelonnées sur une plus longue période et ne sont pas un choc aigu important pour l’économie réelle, même si, en fait, les prix des actifs eux-mêmes baissent considérablement.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Kavcic, de votre présence.
Ma question porte sur le niveau d’endettement assez élevé des Canadiens. Un certain nombre de Canadiens ont un niveau d’endettement sans précédent, ou du moins que je n’ai pas vu de mon vivant. Ce que je n’ai pas entendu jusqu’à maintenant, de vous ou d’autres, est l’incidence sur le risque de forclusion pour les personnes qui sont déjà en difficulté.
Deuxièmement, sur la question plus générale, s’il y a une correction de l’économie et une récession, quelle est la probabilité que les gens fassent une faillite personnelle, étant donné qu’ils ne pourront pas continuer ainsi et qu’ils devront affronter les défis qui les attendent? Peut-on s’attendre à ce que cela se produise, en période de latence, pendant l’effondrement de l’économie, soit plus tard cette année ou au début de l’année prochaine? Avez-vous des observations à faire sur la suite des choses?
M. Kavcic : Ce sont des risques bien réels, car il s’agit de l’augmentation la plus marquée des coûts d’emprunt que nous ayons connue en une génération. Donc, nous en sommes conscients.
Permettez-moi de revenir à mon commentaire sur la situation financière des ménages au début de cette période. L’épargne est assez forte et le marché du travail est solide. C’est notre scénario de référence, et nous espérons que le marché du travail se maintiendra.
L’autre aspect, c’est que même si, au plus fort de la fièvre immobilière, les Canadiens empruntaient au taux de 1,5 % auprès d’une institution financière sous réglementation fédérale, ils se qualifiaient pour une hypothèque au taux de 4,75 %. Pendant la majeure partie de cette période, ils se qualifiaient à 5,25 % et, plus récemment, ils se qualifiaient au taux du marché plus deux points de pourcentage. Maintenant, dans certains cas, les taux de test de résistance se situent autour de 7 %. Je sais qu’il y a eu beaucoup de débats sur la raison d’être de taux de test de résistance si élevés alors que les taux d’intérêt étaient faibles. C’est d’ailleurs une bonne chose qu’ils aient été élevés, car les ménages seront maintenant mis à l’épreuve. Étant donné tous ces facteurs, on peut supposer que la capacité de payer est plutôt bonne dans l’économie canadienne.
Je pense que cela devrait limiter les défaillances hypothécaires. Historiquement, le Canada est un pays qui a un très faible taux de défaut de paiement de prêts hypothécaires parce que nous payons nos paiements hypothécaires en premier, nous avons des normes de prêt beaucoup plus prudentes, nous avons des tests de résistance qui ont été en place pendant toute cette période et nous avons un recours complet dans nos prêts hypothécaires ici, contrairement à certains épisodes passés que nous avons constatés dans d’autres pays. D’un point de vue historique, il y a un assez bon précédent de défaillances hypothécaires qui reste assez faible.
En ce qui concerne la faillite personnelle, je pense que c’est un peu plus préoccupant — pas nécessairement dans les 6 à 12 prochains mois, parce que la plupart des propriétaires de maisons sur des prêts hypothécaires à taux variable initial de 1,5 % ont des caractéristiques de paiement fixe qui font que leurs paiements n’augmentent pas réellement au rythme du resserrement de la Banque du Canada en ce moment. Cependant, au moment du renouvellement, ils seront frappés par un choc au niveau du paiement assez important, car ils renouvelleront et réamorceront leur prêt sur 20 ans à un taux d’intérêt probablement beaucoup plus élevé à ce moment-là. C’est un élément dont nous devons être conscients — pas le printemps prochain, mais dans trois, quatre ou cinq ans, en fonction du niveau des taux d’intérêt. Il est certain que ce sera un test assez important pour les ménages si les taux demeurent toujours à ces niveaux.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vais poser ma question en français, mais vous pouvez répondre en anglais si vous êtes plus à l’aise.
Ma question est simple : pensez-vous que la stratégie actuelle de la Banque du Canada réussira à ramener assez rapidement l’inflation au niveau visé, soit autour de 3 %?
[Traduction]
M. Kavcic : La stratégie de la Banque du Canada sera-t-elle fructueuse? Je pense que oui. Il existe de nombreux précédents à cet égard. Les questions auxquelles nous devons répondre sont les suivantes : pourquoi l’inflation est-elle élevée et le resserrement de la politique monétaire sera-t-il l’outil qui fera baisser l’inflation?
Il existe plusieurs raisons qui expliquent l’inflation élevée. De toute évidence, les prix des ressources naturelles ont connu de fortes fluctuations. Cela ne relève pas de la compétence du Canada et la politique de la Banque du Canada ne peut pas avoir d’incidence là-dessus — des facteurs comme les prix des aliments et du pétrole. La pandémie a entraîné des perturbations de l’offre qui ont contribué à la hausse des prix des voitures et des biens de consommation. Ces perturbations commencent à se résorber maintenant. Dans une certaine mesure, c’est une question qui échappe également au contrôle de la Banque du Canada.
Si l’on fait abstraction de ces deux facteurs et que l’on regarde ce qui reste, on constate qu’il y a encore une grande demande excédentaire dans l’économie canadienne, comme dans l’économie américaine. Cette demande excédentaire de main-d’œuvre et de dépenses de consommation — nous l’avons vu dans le secteur de l’immobilier également — est quelque chose que la politique de la Banque du Canada peut régler. Nous avons déjà parlé de l’immobilier pendant un certain temps. Vous avez vu ce qui est arrivé au marché du logement lorsque la Banque du Canada a augmenté les taux d’intérêt de 25 points de base pour la première fois. Le marché du logement s’est immédiatement calmé.
À notre avis, une grande partie de l’inflation dans le monde développé est attribuable à une demande excédentaire découlant d’une politique très souple pendant la pandémie, et c’est ce que des taux d’intérêt plus élevés vont permettre de ralentir. Nous savons que la politique monétaire prend un certain temps pour agir sur le système et faire baisser les chiffres de l’inflation. Cependant, j’ai assez confiance qu’en ce qui concerne les taux d’intérêt prévus à la fin de l’année et jusqu’en 2023, nous verrons des progrès assez importants en ce qui concerne le retour de l’inflation de base au Canada vers la cible.
La sénatrice Bellemare : Craignez-vous qu’il y ait un effet boomerang sur l’indice des prix?
M. Kavcic : Un effet boomerang pour ramener l’inflation à la baisse?
La sénatrice Bellemare : Non. Les taux d’intérêt, les hypothèques et les loyers augmentent, et il est plus coûteux d’investir, et cetera. Cela pourrait avoir un effet boomerang et augmenter l’inflation.
M. Kavcic : Il y a certainement des aspects de l’inflation qui sont déterminés par des taux d’intérêt plus élevés. Vous avez cité en exemple le coût des intérêts hypothécaires. Le logement est une composante unique de l’IPC car, lorsque les prix des logements baissent, ils sont désinflationnistes. Lorsque les taux d’intérêt augmentent, les prix des logements baissent. Cela a un effet désinflationniste immédiat, mais à moyen terme, les taux d’intérêt plus élevés contribuent à l’inflation directement dans l’IPC par l’entremise des coûts d’emprunt hypothécaire. Toutefois, il s’agit d’une composante assez faible de l’IPC global. Dans l’ensemble, je pense que la pression à la baisse exercée sur un vaste éventail de biens de consommation et d’articles ménagers par des taux d’intérêt plus élevés et une demande plus faible, notamment par l’entremise des salaires et du marché du travail, l’emporte largement sur toute pression à la hausse exercée par quelques composantes précises telles que les coûts des intérêts hypothécaires.
La présidente : Je voulais connaître votre avis à ce sujet : au cours des dernières semaines, nos témoins ont insisté pour dire que l’inflation est maintenant un problème national — qu’il ne s’agit pas de la guerre en Ukraine ou de la COVID ou de quoi que ce soit d’autre à ce stade, mais qu’il s’agit d’un comportement interne. Est-ce votre point de vue?
M. Kavcic : Oui, c’est en grande partie ce que nous pensons depuis le début. Même avant la guerre en Ukraine, nous avions une inflation bien supérieure à l’objectif. Je crois que ce qui s’est passé, c’est que la guerre a exagéré une grande partie de la pression inflationniste, notamment par le canal des produits de base. Avant cela, nous avions des preuves assez claires que l’inflation dépassait largement l’objectif. Avec les chiffres que nous voyons maintenant, en particulier du côté des services du panier de l’inflation, les prix des services sont très orientés vers le marché intérieur. Il ne s’agit pas des prix du pétrole ou des céréales. Il s’agit de services intérieurs, et divers aspects de la consommation intérieure sont toujours bien au-dessus de l’objectif également. Si vous regardez l’ensemble du panier de l’IPC, 80 ou 90 % des composantes individuelles se situent à 3 % ou plus en ce moment. L’ampleur de la situation vous indique que ce n’est pas, et cela n’a jamais été, un choc transitoire de l’économie venant de l’extérieur. C’était une demande excédentaire dans l’économie.
La présidente : Merci de ces remarques.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup de vos observations.
Vous avez été plutôt optimiste jusqu’à présent, ce qui semble contredire les propos que la ministre des Finances a tenus la semaine dernière. Vous dites que vous vous attendez à une légère récession.
Dans votre déclaration liminaire, vous avez fait référence à quelque chose que j’aimerais que vous clarifiiez. Vous avez dit, « à moins que quelque chose change dans les taux d’intérêt ». Parliez-vous de taux d’intérêt beaucoup plus élevés que ce que vous pensez?
M. Kavcic : Je pense que c’est probablement le risque pour nos prévisions, oui. Nos prévisions sont fondées sur l’hypothèse que la Banque du Canada aura fini d’augmenter les taux après 100 autres points de base d’ici la fin de l’année, et que nous commencerons à voir des signes assez importants de tendance baissière de l’inflation de base et de ralentissement du marché du travail, surtout du côté de la demande. Cela leur permettrait de faire une pause. Si d’autres facteurs se présentent et prolongent cette série d’inflation que nous connaissons, ou si l’inflation ne s’arrête tout simplement pas à ces niveaux, comme nous le prévoyons, alors le risque est de voir les taux d’intérêt augmenter et, oui, une récession plus grave. Si je devais pencher dans une direction, je pencherais probablement de ce côté plutôt que du côté le plus optimiste.
La sénatrice Marshall : J’aimerais entendre une option plus pessimiste de votre part, car je fais partie de ces propriétaires qui ont renouvelé leur prêt à 22 % dans les années 1980. Les taux d’intérêt actuels ne sont pas aussi élevés, et les gens ont du mal à s’en sortir. Si cette récession est plus grave que ce que vous prévoyez, les gens ont récemment acheté des maisons, avec l’encouragement du gouvernement, soit dit en passant, et ils ont des hypothèques qui dépassent la valeur de leurs maisons. Je pense qu’à un moment donné, lorsqu’ils commenceront à avoir du mal à payer leur hypothèque, ils vont simplement se débarrasser de ces actifs. Bien sûr, le gouvernement a assuré un grand nombre de ces prêts hypothécaires. Pourriez-vous être un peu plus pessimiste dans vos observations? Je suis plus pessimiste, et j’ai été surprise par les propos de la ministre des Finances la semaine dernière. Le Fonds monétaire international et beaucoup de gens disent que la récession sera profonde. Pourriez-vous parler du secteur du logement sur une note un peu plus pessimiste?
La présidente : Nous allons vous évaluer sur l’échelle du pessimisme, alors on vous écoute.
M. Kavcic : Sur cette échelle, je crois que j’étais plutôt pessimiste dans mes remarques liminaires.
Pour ce qui est des taux d’intérêt, voici ce qu’il en est. J’entends souvent dire que nos parents ont payé des hypothèques assorties de taux d’intérêt de 15 ou de 20 % à la fin des années 1980. Ce n’est pas si préjudiciable, mais ça l’est. Ce n’est pas le niveau qui compte; c’est le changement qui compte pour la croissance économique. Lorsqu’on vous donne des taux hypothécaires de 1,5 % et que vous vous y habituez, et que vous passez à 5 %, c’est tout aussi préjudiciable que le choc des taux d’intérêt que nous avons connu à la fin du cycle des années 1980 et qui a créé le ralentissement du marché de l’immobilier dans le Sud-Ouest de l’Ontario. Si l’on compare des pommes avec des pommes, c’est tout aussi stressant que celui-là. Beaucoup d’autres choses ont mal tourné au début des années 1990, et ce qui n’était au départ qu’une correction dans le secteur immobilier s’est transformée en une récession beaucoup plus longue et plus grave. Nous avons enregistré un déclin démographique important. Nous avons également connu une crise financière au Canada qui a grandement aggravé la situation. Nous ne nous attendons pas à cela cette fois-ci.
Pour revenir à ce que vous avez dit, si l’inflation ne s’effondre pas — et nous devons voir la Banque du Canada resserrer sa politique au-delà de ce que nous prévoyons dans nos prévisions et au-delà de ce que le marché des obligations prévoit —, oui, les ménages vont subir des pressions considérables, surtout au moment de renouveler un grand nombre de ces prêts hypothécaires. Lorsque vous avez des ménages qui sont submergés, pour ainsi dire, ou qui sont endettés, cela met du sable dans les rouages de l’économie parce que cela oblige de nombreux ménages à perdre leur mobilité et à être coincés dans leur situation actuelle. Si quelqu’un perd son emploi, par exemple, et veut changer de secteur d’activité dans une autre région du pays, si vous êtes endetté, vous ne pouvez pas partir. Cela ralentit la mobilité globale et le potentiel de l’économie. C’est certainement un problème auquel nous serons confrontés pendant un certain temps.
Je n’essaie pas de minimiser l’importance de ce problème. C’est un problème de taille. Ce ne sera pas un coup de massue immédiat à l’économie. Ce sera plutôt une couverture humide très lourde qui pèsera sur l’économie et les ménages pendant un certain nombre d’années à venir.
La présidente : Merci. Je pense que vous avez été assez pessimiste pour la sénatrice Marshall.
Le sénateur Gignac : Je suis ravi de vous revoir, monsieur Kavcic.
Premièrement, permettez-moi de féliciter les services économiques de BMO pour l’actualité de leurs prévisions. Je suis beaucoup de thèmes économiques de Bay Street. Vous avez été très précis jusqu’à présent sur les prévisions des taux d’intérêt.
Parlons du retard de transmission, de la politique monétaire et du taux neutre. Si vous pouvez répondre en trois ou quatre minutes, cela laisserait du temps à mes collègues.
Avec les gens qui ont choisi les taux variables au cours des deux dernières années, est-il juste de dire que le retard de transmission de la politique monétaire sera plus rapide cette fois-ci que dans le passé? Nous n’avons jamais vu autant de personnes opter pour un taux variable.
Deuxièmement, pour savoir si la politique monétaire actuelle est restrictive ou non, il faut se référer au taux neutre. Avant la pandémie, de nombreux experts ont mentionné le taux neutre. Je suis curieux de savoir si ce taux neutre est beaucoup plus élevé dans cette période postpandémique avec le changement mondial sous pression.
Si vous pouvez résumer la situation en trois ou quatre minutes, monsieur Kavcic, je vous en serais reconnaissant. Merci.
M. Kavcic : Ce sont certainement de bonnes questions.
Pour ce qui est de la rapidité de la transmission, je pense qu’il y a peut-être une part de vérité dans cette affirmation, mais la politique accuse encore du retard. Lorsque nous regardons ce qui se passe sur le marché hypothécaire à l’heure actuelle, nous disons que nous ne verrons pas cela pleinement intégré dans le marché immobilier avant au moins le milieu de l’année prochaine, si ce n’est plus tard, parce que les approbations de prêts hypothécaires préalables sont un bon exemple du retard de la politique. Vous avez encore des approbations préalables dans le système d’il y a 120 jours. Cela représente 125 points de base. Demain, ce sera encore plus de resserrement qui n’est pas encore pris en compte dans les contrats physiques que les Canadiens doivent conclure pour obtenir un prêt hypothécaire. Les prix d’aujourd’hui ne reflètent pas encore les taux d’intérêt sur le terrain. Nous verrons cela l’année prochaine; c’est donc une partie du problème.
Les prêts hypothécaires à taux variable sont évidemment plus courants maintenant. Donc, en théorie, oui, ces paiements devraient augmenter en temps réel à mesure que la Banque du Canada augmente les taux et restreint les dépenses discrétionnaires en temps réel. La grande majorité de la dette à taux variable au Canada, la dette hypothécaire, a une caractéristique de paiement fixe où, jusqu’à présent, les paiements n’ont pas réellement augmenté avec la hausse des taux directeurs de la Banque du Canada. Ils ont été intégrés au solde hypothécaire sous-jacent, et les amortissements ont effectivement été allongés. Je dirais qu’après-demain, si la Banque du Canada augmente les taux de 75 points de base, un grand nombre de personnes qui ont contracté des prêts hypothécaires aux alentours de 1,5 % avec une caractéristique de paiement fixe vont recevoir des appels téléphoniques de la banque parce qu’ils ne couvriront plus tous les intérêts de ces prêts. Dans cette mesure, oui, la répercussion est peut-être plus rapide.
Le sénateur Gignac : La politique monétaire est-elle restrictive? Est-elle très restrictive? Supposons qu’elle soit déjà à 4 % ou qu’elle n’est pas trop restrictive. Est-elle comparable au taux neutre?
M. Kavcic : Il y a deux façons de voir les choses. Le taux neutre est probablement plus élevé qu’il ne l’était dans le passé. Nous pensons qu’à l’issue de ce cycle, les taux neutres dans les pays développés finiront par augmenter par rapport à ce qu’ils étaient au cours de la dernière décennie. Le taux neutre devrait se situer entre 2,5 et 3 %. Nous n’avons pas d’estimation officielle à ce sujet, mais je pense que la direction est plus élevée.
En ce qui concerne le cycle actuel, même aux taux directeurs actuels, les taux d’intérêt sont encore négatifs en termes réels. Nous pensons que les taux d’intérêt réels doivent être nuls ou légèrement positifs après l’inflation de base, d’où notre prévision d’une hausse des taux directeurs de la Banque du Canada à 4,25 % et d’une inflation de base s’établissant à environ 4 ou 4,5 % pour atteindre des taux d’intérêt réels nuls, ce qui, selon nous, serait suffisamment restrictif pour faire baisser l’inflation et la demande.
La présidente : Très intéressant.
Le sénateur Smith : Merci, monsieur Kavcic, d’être ici ce soir.
Un récent reportage de la CBC s’est penché sur la question de la fraude hypothécaire. Dans le cadre de cette enquête, des agents d’infiltration se sont livrés à des activités frauduleuses, suggérant dans certains cas aux acheteurs potentiels de falsifier des documents relatifs au revenu et des lettres d’emploi afin d’obtenir une approbation. Je n’essaie pas de recréer de la négativité. Pourriez-vous vous prononcer sur le risque de fraude dans le secteur des prêts hypothécaires et ses répercussions potentielles sur l’économie en général, ainsi que la manière dont les banques contrecarrent cette pratique? La fraude s’est-elle étendue au point de créer un problème structurel pour certaines banques? Comment les banques vont-elles gérer cette situation? S’agit-il d’un problème mineur ou en évolution, ou d’un problème plus important?
M. Kavcic : Malheureusement, je n’ai pas grand-chose à dire à ce sujet, car je n’ai pas de données concrètes. Comme il est typique dans tout cycle qui devient dynamique et qui commence à prendre de l’effervescence, la fraude est généralement l’un des derniers marqueurs du cycle. Nous l’avons vu aux États-Unis. Nous avons vu divers autres exemples de cela dans le passé. Je ne suis pas surpris d’entendre ces anecdotes. Malheureusement, je n’ai pas grand-chose à ajouter à ce sujet, simplement parce que je ne suis pas dans la position où je regarde les hypothèques et où je traite les hypothèques qui passent par le bureau des prêts. Je n’ai pas non plus de données concrètes à ce sujet pour vraiment formuler des observations.
Le sénateur Smith : Ce que vous dites, c’est que les Canadiens sont des gens bien et qu’ils vont honorer leurs engagements envers les banques. Ô Canada. Merci beaucoup.
Le sénateur Woo : Mes questions concernent le secteur externe. D’abord, par rapport aux taux de change, la baisse continue du dollar canadien aggravera-t-elle l’inflation importée? Inversement, la faiblesse du dollar aura-t-elle un effet important sur les exportations et améliorera-t-elle notre excédent courant, favorisant ipso facto la croissance du PIB? Ensuite, pour élargir la question, la force du dollar américain attribuable au resserrement rigoureux de la part de la Réserve fédérale pourrait-elle obliger d’autres pays à prendre des mesures de resserrement, provoquant ainsi des récessions partout dans le monde et nous entraînant tous dans sa chute?
M. Kavcic : Oui, c’est un autre risque important. Comment l’économie américaine se porte-t-elle et que fait la Réserve fédérale? Nous avons aussi des préoccupations à ce chapitre. Pour les prévisionnistes, les preuves sont nombreuses que l’économie canadienne est plus sensible aux taux d’intérêt; par conséquent, elle commencera probablement à ralentir plus tôt et un peu plus abruptement que l’économie américaine. Nous le constatons déjà dans le secteur immobilier.
En outre, l’inflation commencera probablement à ralentir plus tôt au Canada qu’aux États-Unis étant donné les mécanismes de l’inflation au Canada et divers facteurs techniques que je n’expliquerai pas en détail ici. L’inflation ralentira sans doute plus tôt au Canada, ce qui devrait permettre, en théorie, à la Banque du Canada d’arrêter d’augmenter les taux avant la Réserve fédérale. Le problème, c’est que chaque fois que le marché sent que c’est ce qui va se produire, il entraîne à la baisse la valeur du dollar canadien, ce qui a un effet inflationniste, comme vous l’avez dit. D’après nos estimations — je pense que tout le monde s’entend là-dessus; la Banque du Canada a fait les mêmes calculs —, chaque fois que la valeur du dollar canadien diminue de 10 % par rapport au dollar américain, l’inflation au Canada augmente d’environ 0,5 à 0,6 point de pourcentage par la voie des prix à l’importation.
Au bout du compte, la Banque du Canada doit suivre d’assez près la Réserve fédérale si elle veut atteindre sa cible en matière d’inflation, même si certains secteurs, comme l’immobilier, connaissent un ralentissement beaucoup plus marqué ici qu’aux États-Unis. C’est certainement un risque sur le plan économique. Nous devons continuer à prendre des mesures de resserrement juste parce que la Réserve fédérale n’arrive pas à maîtriser l’inflation aux États-Unis. D’après moi, c’est un facteur dont nous devons tenir compte.
Pour répondre à votre question concernant le commerce, oui, selon moi, c’est possible qu’il y ait un résultat positif pour les exportations nettes, mais l’effet des taux de change sera peut-être limité par le fait que la demande aux États-Unis est probablement aussi en train de diminuer considérablement. Puisque la diminution des activités économiques a des répercussions sur l’effet des taux de change, cet effet ne compensera pas nécessairement le ralentissement; il l’amortira peut-être pour quelques secteurs de l’économie canadienne.
Le sénateur Woo : D’après vos prévisions, quelle sera la valeur du dollar canadien par rapport au dollar américain à la fin de l’année en cours ou au premier trimestre de l’année prochaine?
M. Kavcic : Sur le marché aujourd’hui, 1 $ en devise canadienne correspond à environ 73 ¢ en devise américaine. La valeur du dollar canadien devrait diminuer légèrement d’ici la fin de l’année, pour atteindre environ 72 ¢; à la fin de 2023, il devrait se situer autour de 75 ¢. Nous pensons que la valeur du dollar américain atteindra son plus haut niveau vers le premier trimestre de l’année prochaine. Cela correspond plus ou moins au moment où le taux de la Réserve fédérale devrait atteindre son sommet, et la réduction des taux aux États-Unis finira par avoir une incidence sur l’établissement des prix sur le marché.
Le sénateur Woo : Je vous remercie.
La présidente : Merci pour vos réponses. Nous allons passer à la deuxième série de questions, mais avant, j’aimerais demander à M. Kavcic si nous sommes actuellement en récession.
M. Kavcic : Selon les définitions traditionnelles, la réponse serait non. On peut en faire un exercice théorique : quelles caractéristiques définissent une récession? D’abord, il faut une baisse prononcée du PIB; la situation actuelle ne répond pas à ce critère. Ensuite, il faut que la chute du PIB dure depuis un certain temps — normalement deux trimestres —; ce n’est pas le cas au Canada. Il faut aussi qu’un grand nombre de secteurs soit touché. Oui, le secteur immobilier est en récession, mais le marché du travail dans son ensemble ne l’est pas, et les secteurs de service de l’économie non plus. Pour le moment, ma réponse serait donc non.
La présidente : Comment évalueriez-vous la situation aux États-Unis?
M. Kavcic : Mon évaluation de la situation aux États-Unis serait la même. En principe, les États-Unis ont enregistré une croissance négative durant deux trimestres, mais ils ne répondent pas aux autres critères d’une récession en raison de facteurs particuliers liés au commerce et aux stocks. Nous ne sommes pas encore rendus là.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie pour vos réponses extrêmement claires. Elles nous sont très utiles.
Je m’interroge sur le rôle des facteurs non monétaires dans la réduction de l’inflation au Canada. J’ai remarqué que le Bureau de la concurrence avait lancé une étude sur la concurrence dans le secteur de l’épicerie. Le Bureau de la concurrence occupe une place de plus en plus centrale au Canada. J’aimerais obtenir votre avis sur l’importance de la concurrence. D’après vous, est-il nécessaire d’accroître la concurrence pour stimuler l’innovation et encourager les entreprises à continuer à réfléchir afin de maîtriser l’inflation?
M. Kavcic : Ce sont certainement des arguments valables.
Cependant, nous devons, entre autres, tenir compte des délais. Les mesures dont vous parlez s’inscrivent dans le long terme. Certes, accroître la concurrence et la productivité à l’échelle des entreprises freinerait l’inflation. De telles mesures augmenteraient la production potentielle et réduiraient l’inflation au bout d’une plus longue période. Toutefois, nous aideraient-elles à juguler l’inflation au cours des six prochains mois? Probablement pas. C’est là que les politiques monétaires entrent en jeu. Selon moi, ce sont des objectifs très valables et des secteurs qui pourraient contribuer à augmenter la production potentielle et à maîtriser l’inflation. Toutefois, la situation actuelle demande des mesures promptes.
Le sénateur C. Deacon : Je comprends l’attention que vous portez à la question des délais, mais il s’agit d’une stratégie efficace à long terme. Je vous remercie.
La sénatrice Bellemare : Dans le même ordre d’idées, ne pensez-vous pas que la politique monétaire aura en fait une incidence négative sur la croissance de la productivité? Autrement dit, bien que les mesures prises aujourd’hui nous aident à juguler l’inflation à moyen terme, elles compromettent nos possibilités de stimuler la productivité.
M. Kavcic : À mon avis, il faut accepter d’affronter des difficultés à court terme pour réussir à réduire l’inflation. Si l’on considère l’économie dans son ensemble, on sait qu’un taux d’inflation faible et stable attire des investissements, ce qui stimule la productivité à long terme. Vous avez raison lorsque vous dites que nous allons provoquer des pertes importantes dans certaines industries. Par conséquent, il y aura probablement une réaffectation des ressources au sein de l’économie, ce qui est contre-productif en ce moment. Toutefois, à long terme, pour attirer des capitaux au Canada et des investissements dans les entreprises, et ainsi stimuler la productivité, nous devons faire en sorte qu’un taux d’inflation faible et stable soit l’une des caractéristiques principales de notre économie.
La sénatrice Bellemare : Je vous remercie.
Le sénateur Gignac : J’aimerais avoir votre avis sur la relation entre la masse monétaire et l’inflation. La semaine dernière, nous avons reçu un professeur éminent de l’Université Johns Hopkins qui a provoqué une certaine réaction au sein du comité. Au début de ma carrière, tout était une question de masse monétaire. J’ai quelques cheveux gris. Vous savez ce que c’est. Pourtant, aujourd’hui, la Banque du Canada ne semble pas tenir compte de la masse monétaire. Le professeur a parlé d’une analyse qu’il a faite de nombreux pays et du lien qu’il a établi entre le taux d’inflation et la masse monétaire pays par pays. Devrions-nous porter attention à la masse monétaire? La Banque du Canada devrait-elle en tenir compte? J’aimerais savoir ce que vous en pensez.
M. Kavcic : Ma réponse est oui. De nombreux facteurs influent sur l’inflation, et il est très réaliste de penser qu’une augmentation importante de la masse monétaire alimente l’inflation. Après tout, le phénomène monétaire — trop d’argent se disputant trop peu de biens — est la cause classique de l’inflation, n’est-ce pas? La masse monétaire est bel et bien un facteur. Le Canada n’est pas le seul pays développé à avoir augmenté la masse monétaire, ainsi qu’à avoir mis en place des programmes d’assouplissement quantitatif et à avoir pris d’autres mesures semblables dans le but d’injecter des liquidités dans le système financier, surtout durant la pandémie de COVID-19. Oui, c’est un facteur qui contribue à l’inflation. Quant à moi, cette hypothèse est fondée.
Le sénateur Gignac : Je vais poser une autre question rapidement, pour la seule raison que la Banque du Canada ne rend pas compte de cet indicateur dans son rapport. La masse monétaire ne semble pas être dans sa mire. Je me demande si, à vos yeux, il s’agit d’une omission, ou si c’est tout simplement le reflet d’une ère nouvelle ou d’un nouveau régime. J’aimerais avoir votre avis à ce sujet. Nous recevrons le gouverneur de la Banque du Canada dans deux semaines.
M. Kavcic : Je pense que c’est probablement fondé, oui. Évidemment, je le répète, de nombreux facteurs influent sur l’inflation. Ce n’est peut-être pas le facteur prédominant, mais je pense qu’il serait juste de tenir compte des changements apportés à la masse monétaire.
Le sénateur Gignac : Je vous remercie.
Le sénateur Loffreda : J’ai des préoccupations liées au marché du logement, un secteur très important aux yeux de la population canadienne. Vous avez dit que vous vous attendiez à ce que l’économie canadienne connaisse une légère reprise durant la deuxième moitié de l’année prochaine. D’après vous, combien de temps les taux d’intérêt devront-ils demeurer élevés pour réussir à maîtriser l’inflation?
C’est parfois en examinant les causes qu’on arrive à mettre en place la politique monétaire appropriée pour l’avenir. L’économie croît depuis 40 ans. Bien entendu, la croissance économique ne peut pas se poursuivre indéfiniment, mais en ce moment, on observe des déviations importantes au chapitre des prix des logements et de l’inflation. Si vous aviez à nommer deux ou trois facteurs principaux qui expliquent la situation actuelle, quels seraient-ils? Vous avez mentionné la demande excédentaire. Les ressources sont limitées. La guerre a accéléré le processus. Pouvez-vous nous fournir plus de détails et nous donner votre avis à ce sujet?
M. Kavcic : Certainement. Les facteurs sont nombreux.
Je pense que l’explication la plus simple, c’est que durant la pandémie, plusieurs années de demande ont été comprimées en une très courte période. Or la façon la plus simple de soulager la pression causée par ce profond déséquilibre dans l’économie mondiale et au Canada, c’est au moyen des prix.
Prenez l’exemple des logements. La demande de logements a augmenté considérablement durant la pandémie parce que les gens recherchaient plus d’espace. Ils voulaient donc déménager dans des marchés différents. Au Canada, la situation démographique était telle que beaucoup de personnes qui pensaient peut-être acheter une maison dans quelques années ont décidé de devancer leur achat. Cependant, la hausse de la demande n’était pas accompagnée d’un accroissement de l’offre. Par conséquent, les prix ont augmenté; les taux d’intérêt peu élevés étaient aussi un facteur.
Pensez également à l’inflation touchant les biens de consommation. Qu’est-ce que beaucoup de gens ont fait pendant qu’ils étaient confinés au début de 2020? Ils ont rénové leur maison. Ils ont acheté des biens comme des vélos stationnaires et des appareils de télévision. La demande de biens de consommation a monté en flèche. Aux États-Unis, les dépenses de consommation consacrées aux biens ont augmenté d’environ 300 milliards de dollars par rapport à la période précédant la pandémie. Ce chiffre ne représente pas le total, mais bien le surplus relativement à la normale. On a parlé de contraintes liées aux chaînes d’approvisionnement, mais le fait est qu’aucune chaîne d’approvisionnement ne saurait répondre à une hausse si spectaculaire et soudaine de la demande. C’est pour cette raison qu’il y a des blocages dans les chaînes d’approvisionnement. Bien entendu, la façon de soulager cette pression, c’est par les prix.
La situation actuelle est le fruit d’un choc économique énorme. Nous finirons par rétablir l’équilibre, mais il faudra du temps étant donné l’ampleur du choc.
Le sénateur Loffreda : Avez-vous des prévisions pour ce qui est de la maîtrise de l’inflation et de la baisse des taux d’intérêt? Combien de temps faudra-t-il?
M. Kavcic : Oui. D’après nous, la Banque du Canada cessera d’augmenter les taux d’intérêt à la fin de l’année. Au cours des six derniers mois, on a commencé à établir les prix sur le marché en prévoyant que les taux seront réduits dès 2023 aux États-Unis et au Canada. Or depuis le début, nous croyons qu’il faudra plus de temps que cela pour maîtriser l’inflation. Selon nous, il faudra augmenter les taux jusqu’à 4,25 environ, et un peu plus haut aux États-Unis. Ensuite, les décideurs devront les maintenir à ce niveau pendant presque un an pour veiller à ce que l’inflation soit bel et bien contenue.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie.
La présidente : Votre remarque sur les chaînes d’approvisionnement est très intéressante. Que pensez-vous de l’énergie? À n’en pas douter, les prix augmenteront cette année au Royaume-Uni et en Europe. D’après vous, que se passera-t-il ici?
M. Kavcic : C’est un peu plus difficile de faire des prévisions par rapport à l’énergie parce que les changements dans l’approvisionnement et les perturbations géopolitiques peuvent avoir une grande incidence sur ce secteur, aujourd’hui comme toujours. C’est plus difficile à prédire.
Je m’attends à ce que l’hiver soit dur. À l’heure actuelle, nous avons un peu de répit en ce qui touche par exemple les prix du gaz naturel parce que la saison froide n’a pas encore commencé et que les stocks s’accumulent à de nombreux endroits. Durant l’hiver, ces stocks diminueront, ce qui exercera probablement une nouvelle pression à la hausse sur les prix du gaz naturel.
Les prix du pétrole sont aussi plutôt imprévisibles. Je pense que les membres de l’OPEP et de l’OPEP+ ont montré assez clairement qu’ils voulaient que les prix du pétrole atteignent certains niveaux, à en croire certaines décisions qu’ils ont prises récemment au chapitre de la production.
En dernier lieu, je dirai que les États-Unis représentent un acteur intéressant dans ce contexte parce que le pays compte aussi une forte capacité de production. Souvenez-vous de ce qui s’est passé en 2014-2015, lorsque le prix du pétrole a fortement chuté : la baisse était attribuable à l’augmentation marquée de la production américaine, ce qui avait grandement accru l’offre dans le marché. Le secteur du schiste aux États-Unis renferme une forte capacité, mais sa production n’est pas au maximum de sa capacité à l’heure actuelle, et ce, malgré des prix favorables. En effet, les investisseurs insistent pour assainir les bilans et réaliser d’autres objectifs similaires. Des pénuries de main-d’œuvre persistent dans divers pans de cette partie de l’économie américaine, ce qui empêche le pays de produire du pétrole au rythme qu’il voudrait peut-être atteindre. Il s’agit d’une valve d’approvisionnement potentielle plus près de chez nous, comparativement, bien entendu, au Moyen-Orient et à la Russie où des problèmes sévissent.
La présidente : Il faudra aussi voir les résultats des élections de mi-mandat chez nos voisins.
Le sénateur Yussuff : Au sujet de certaines des causes favorisant l’inflation, je dirai que le gouverneur de la Banque du Canada a consacré beaucoup d’énergie à donner des conseils sur les salaires. Pourtant, de façon générale, ils n’ont pas augmenté au même rythme que le taux d’inflation. Actuellement, je crois que l’augmentation des salaires se situe en moyenne à 5 %. Aucune discussion sérieuse n’a eu lieu sur les augmentations de prix qui font les manchettes cette semaine. Les Canadiens sont très fâchés contre les chaînes d’alimentation et d’autres compagnies par qui ils ont l’impression de se faire duper en raison des prix qu’ils sont forcés de payer. Pourtant, on parle peu des augmentations de prix auxquelles on assiste. La plupart des économistes préfèrent se concentrer sur les salaires, même s’ils n’ont pas assez augmenté pour que les travailleurs puissent suivre le rythme de l’inflation. Avez-vous une hypothèse quant à ce qui explique ce que j’appellerais une absence de commentaires sur le cours des prix dans l’économie? Ce sont ces prix qui font augmenter l’inflation et qui créent de réelles difficultés pour les consommateurs qui tentent de se payer des aliments et toutes sortes de produits.
M. Kavcic : Je dirai que la tension salariale commence à s’intensifier. Les salaires ont tendance à accuser un peu de retard dans le cycle. Habituellement, l’économie se resserre, puis apparaissent les pressions inflationnistes. Puis, en raison du décalage des négociations, des processus d’embauche et d’autres facteurs, les salaires augmentent un peu plus tard. Les salaires augmentent au rythme de l’inflation, mais pas aussi rapidement qu’aux États-Unis où le marché de l’emploi est sans doute encore plus tendu. Or, la tension sur les salaires s’intensifie. Dans les négociations au sein de la fonction publique, on voit les premiers rapports anecdotiques d’augmentations salariales de base beaucoup plus élevées que ce à quoi on nous avait habitués dans les 5 à 10 dernières années. Les données du secteur privé nous indiquent aussi que les salaires rattrapent peu à peu du terrain.
La simple réalité est que le marché du travail est incroyablement tendu, à un point tel que le Canada compte un million de postes vacants et environ un million de personnes au chômage. Par le passé, jamais n’avons-nous au Canada compté un poste vacant pour chaque personne au chômage. Les chiffres démontrent bien à quel point le marché du travail est tendu. Si vous dirigez une entreprise et que vous cherchez à embaucher du personnel, vous allez devoir payer le fort prix, un point c’est tout.
Je crois que c’est ce qui explique le sentiment d’urgence qui a également atteint la Banque du Canada : ses représentants savent que l’engrenage des salaires a commencé à tourner, l’inflation étant en toile de fond. S’ils laissent l’engrenage tourner trop longtemps, les salaires augmenteront, ce qui s’accompagnera d’une demande accrue qui exercera des pressions sur l’économie. À son tour, les pressions inflationnistes s’exacerberont. Et le cycle se poursuivra. C’est ce qui explique pourquoi nous assistons à ce cycle de resserrement prononcé.
Le sénateur Yussuff : Selon certaines des données publiées, les prix ont aussi augmenté d’environ 20 %; pourtant, on n’entend aucun commentaire sur l’augmentation des prix comparativement à ce que les travailleurs exigent. N’est-ce pas un peu injuste de rejeter toute la responsabilité sur les travailleurs, alors que les prix sont complètement déréglés?
M. Kavcic : À ce sujet, les salaires réels des travailleurs canadiens ont chuté, tout à fait, tout comme le pouvoir d’achat réel des ménages. C’est un des problèmes. C’est la raison pour laquelle la pression augmente : les entreprises connaissent une forte demande et ont la capacité de payer.
La présidente : Merci beaucoup. Je suis désolée qu’il ne reste plus de temps. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de vos commentaires, monsieur Kavcic. Vous avez été concis et êtes allé droit au but. Nous avons abordé de nombreux sujets. Merci de vous être joint à nous.
Des voix : Bravo!
La présidente : On vous applaudit.
Le sénateur Deacon va présider la deuxième partie de la séance. Merci.
Le sénateur Colin Deacon (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Nous accueillons M. Andrew Sharpe pour la deuxième partie de notre réunion. Le dernier échange entre le sénateur Yussuff et notre témoin précédent prépare parfaitement le terrain pour le directeur exécutif du Centre d’étude des niveaux de vie.
Andrew Sharpe, directeur exécutif, Centre d’étude des niveaux de vie : J’aimerais remercier les membres du comité de l’invitation à comparaître devant eux aujourd’hui.
Je suis le directeur exécutif du Centre d’étude des niveaux de vie, un organisme à but non lucratif effectuant de la recherche économique et basé à Ottawa, que j’ai fondé en 1995. Notre recherche est axée sur les niveaux de vie des Canadiens et, en particulier, sur les tendances en productivité, sur le marché du travail et sur le bien-être économique. Notre publication phare est le périodique International Productivity Monitor, une publication évaluée par les pairs et co-publiée avec le U.K. Productivity Institute de l’Université de Manchester.
Dans ma déclaration liminaire, je vais aborder cinq domaines : l’inflation, le marché du travail, la croissance potentielle, la productivité et le bien-être. Je pourrai approfondir ces sujets pendant la discussion. Je crois que mon exposé complète bien celui de M. Kavcic parce que je m’intéresse au long terme alors que lui s’est concentré sur le court terme.
L’inflation représente un problème majeur pour l’économie canadienne. Elle doit être ramenée entre 1 et 3 % dans un délai raisonnable. Je fais pourtant preuve d’un optimisme prudent à cet égard. Je vais vous donner quelques raisons expliquant cet optimisme.
Le taux d’inflation global annuel est passé de 8,1 % en juin à 6,9 % en septembre. La mesure d’inflation annuelle reflète ce qui s’est passé 12 mois plus tôt et, comme les augmentations marquées du passé faiblissent, le taux d’inflation diminue. Les récents taux d’inflation mensuels sont beaucoup moins élevés que les taux globaux annuels.
Lorsque les taux d’inflation sont élevés, la demande affaiblie exerce une pression à la baisse sur les augmentations de prix. Il est improbable que les prix de l’énergie continuent à augmenter; les prix de l’immobilier, pour leur part, diminuent.
L’inflation n’en demeure pas moins un problème puisqu’elle fait diminuer les niveaux de vie en raison de la baisse des revenus de vie et réels, comme on en a parlé au cours de la première partie de la séance. C’est ce qui se produit lorsque le taux d’augmentation des salaires et d’autres sources de revenus est à la traîne comparativement à celui des prix à la consommation. C’est ce à quoi nous avons assisté dans l’économie canadienne en 2022.
Ce qui importe, c’est de protéger les niveaux de vie des Canadiens aux échelons les plus bas de la répartition des revenus. J’ai été ravi de constater que les récentes politiques du gouvernement fédéral visaient dans une certaine mesure cet objectif.
Le risque que comporte l’inflation élevée actuelle est que les attentes inflationnistes augmenteront selon ces taux à la hausse et s’ancreront dans les demandes salariales et le comportement face aux prix. Une spirale de salaires et de prix croissants s’ensuivra. J’avancerais qu’on n’a pas encore prouvé que c’est ce qui se passe actuellement dans l’économie canadienne. Nous pourrons en discuter pendant la période de questions.
Le marché du travail représente la grande réussite de l’économie canadienne des dernières années. Dans les années 1960, le Conseil économique du Canada a défini le « plein emploi » comme étant une conjoncture où le nombre de postes vacants égale le nombre de personnes sans emploi. M. Kavcic a mentionné ces circonstances dans ses observations. Selon cette définition, le Canada connaît en fait le plein emploi étant donné le million de postes vacants égal au million de personnes au chômage.
Il s’agit d’une formidable situation pour une économie puisque les avantages sociétaux du plein emploi sont nombreux. Par exemple, il n’y a aucune perte de production potentielle causée par une main-d’œuvre sous-utilisée. Les revenus d’emploi pour la population sont plus importants, ce qui réduit la pauvreté. Le niveau de bonheur et la qualité de vie d’un travailleur actif sont beaucoup plus élevés que ceux d’une personne au chômage, surtout si cette personne demeure longtemps sans emploi. Les travailleurs, surtout ceux aux échelons inférieurs de la répartition des salaires, jouissent d’un pouvoir de négociation plus acéré et peuvent obtenir des salaires réels, ce qui fait augmenter la médiane des salaires au même rythme que la productivité de la main-d’œuvre. Ce devrait être l’objectif de l’économie canadienne. Tout le monde devrait avancer au taux global de la croissance de la productivité. En dernier lieu, les recettes gouvernementales tirent énormément parti du plein emploi, comme on l’a récemment vu en Ontario et au palier fédéral.
L’une des priorités absolues de l’économie canadienne consiste à maintenir cette situation de plein emploi ou d’emploi maximal. On a reconnu l’importance de cette priorité dans l’entente entre le ministère des Finances du Canada et la Banque du Canada en décembre 2021 qui a vu le renouvellement de la cible d’inflation.
J’aimerais mentionner que les pénuries de main-d’œuvre, qui peuvent caractériser le plein emploi, sont souvent considérées comme l’équivalent — ou le revers de la médaille — des pénuries d’emplois ou du chômage. À mon avis, une pénurie d’emplois est un mal social beaucoup plus dangereux qu’une pénurie de travailleurs. Le chômage se traduit par une perte de production potentielle pour l’économie qui ne peut jamais être récupérée. Une pénurie de main-d’œuvre se traduit par une diminution des ventes et des profits pour un employeur, mais la ressource n’est pas gaspillée.
Le troisième point de mon exposé porte sur la croissance économique potentielle de l’économie canadienne. Le taux de croissance potentielle d’une économie est déterminé par l’offre de main-d’œuvre potentielle — c’est-à-dire le nombre de travailleurs potentiels et le nombre d’heures moyen que les travailleurs désirent travailler — et par la tendance de la croissance de la productivité de la main-d’œuvre — ou son potentiel de croissance —, qui correspond à la production horaire.
En 2021, le Centre d’étude des niveaux de vie a publié un rapport sur la croissance potentielle de l’économie canadienne. Il s’agit d’un concept ancré sur le long terme. Pour la période s’échelonnant de 2018 à 2042, on projetait une croissance économique de 1,7 % par année : 1 % provient de la croissance de la productivité de la main-d’œuvre et 0,7 % provient de l’apport de la main-d’œuvre. De nos jours, la croissance de l’offre de main-d’œuvre est grandement attribuable à l’immigration au Canada, et non pas à une augmentation naturelle. Une priorité clé des politiques gouvernementales doit être de renforcer la croissance potentielle de l’économie canadienne.
Permettez-moi de maintenant aborder la productivité. La croissance de la productivité représente la seule source viable d’augmentations du niveau de vie des Canadiens. La croissance globale de la productivité de la main-d’œuvre au Canada depuis 2000 se situe aux environs de 1 % par année. Dans les trois décennies après la Deuxième Guerre mondiale, la moyenne était de 3 % par année. Il faut 70 ans pour doubler les niveaux de vie si la productivité de la main-d’œuvre augmente de 1 % par année; il en faut 23 si la productivité de la main-d’œuvre augmente de 3 % par année. Il est évident que les niveaux de vie augmentent actuellement à un rythme beaucoup plus lent que par le passé.
Pourquoi la croissance de la productivité est-elle plus lente maintenant qu’elle l’était dans la période qui a immédiatement suivi la guerre? J’avancerais que la croissance de la productivité est grandement stimulée par la technologie. Ainsi, notre faible croissance de la productivité de la main-d’œuvre suggère que le rythme des changements technologiques est moindre que pendant l’âge d’or de la croissance — pendant le troisième quart du XXe siècle —, et ce, en dépit de la révolution numérique. Je serai heureux d’en parler plus en détail pendant la période de questions.
Les politiques économiques canadiennes sont déjà largement favorables à la croissance de la productivité. Notre économie est très axée sur le marché. Il est improbable que des changements dans les politiques publiques canadiennes fassent augmenter la croissance annuelle de la productivité de la main-d’œuvre de, disons, 1 à 2 %. Cela représenterait un gigantesque changement. Nous devons néanmoins continuer à nous efforcer de cerner et de mettre en œuvre des politiques favorisant la productivité.
Pour conclure, je parlerai brièvement du bien-être économique. En mettant trop l’accent sur la croissance du PIB, on peut oublier ce qui importe davantage pour les Canadiens que le PIB, soit leur bien-être économique. La Banque du Canada énonce en effet que son objectif consiste à développer au maximum le bien-être économique, et non pas le PIB.
Au Centre d’étude des niveaux de vie, nous avançons que le bien-être économique comporte quatre dimensions : la consommation, les catégories de richesses, l’inégalité et la sécurité économique. Nous avons conçu l’indice du bien-être économique pour le Canada, les provinces et les pays de l’OCDE qui étudie l’évolution du bien-être économique. C’est avec plaisir que je le décrirai plus en détail pendant la période de questions.
Je vais m’arrêter ici, monsieur le président.
Le vice-président : Merci beaucoup, monsieur Sharpe. Je veux d’emblée vous présenter mes excuses. J’ai oublié de vous remercier de votre compréhension de la semaine dernière lorsque nous avons dû annuler notre réunion à la dernière minute en raison d’une décision de prendre une pause-repas de deux heures puisque le comité n’avait pas la permission de siéger. Je vous remercie de votre compréhension et d’être revenu aujourd’hui. Nous tenons à tout prix à entendre votre témoignage.
Nous allons commencer par les questions du sénateur Loffreda.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Sharpe, d’être parmi nous.
Vous êtes un spécialiste du marché du travail. J’ai lu votre récente publication d’août 2020 où vous expliquiez l’augmentation des profits générés par les actions et l’affaiblissement du pouvoir de négociation des travailleurs. Vous avez mentionné trois raisons : la mondialisation, les changements technologiques et le déclin du taux de syndicalisation. Selon vous, après la pandémie, quelles seront les répercussions sur la mondialisation, sur les marchés du travail et sur une possible récession ou reprise potentielle? Croyez-vous que la mondialisation jouera un aussi grand rôle qu’avant la pandémie?
M. Sharpe : La mondialisation s’est grandement accrue avant la pandémie. Je crois que nous assisterons maintenant à sa stabilisation, voire son déclin. Par exemple, on parle maintenant de relocalisation, soit de rapatrier la production de l’étranger en Amérique du Nord. Je ne crois pas que les effets seront énormes, mais le phénomène se concrétisera certainement en périphérie du mouvement central. Je pense que, à l’avenir, la mondialisation sera moindre qu’elle ne l’était par le passé. Par conséquent, les pressions à la baisse sur les salaires s’amoindriront. Moins d’emplois s’expatrieront du Canada vers le Mexique ou la Chine. Je crois que la situation favorisera le pouvoir de négociation des travailleurs.
La mondialisation, les prix en Chine et l’expatriation des emplois vers des pays où le coût de la main-d’œuvre est beaucoup plus abordable expliquent, entre autres facteurs, la baisse des salaires depuis de nombreuses années. Rappelons-nous que ces pays ont connu d’importantes augmentations salariales; la mondialisation serait donc moins susceptible de défavoriser les travailleurs des économies développées et du Canada. C’est l’argument que je fais valoir. Je pense que la menace de la mondialisation pesant sur les travailleurs s’est amoindrie.
Vous avez soulevé le pouvoir de négociation, qui représente un facteur essentiel. Dans l’étude que vous avez mentionnée, nous démontrons que ce qui compte le plus, c’est que les travailleurs retirent les avantages de la croissance de la productivité.
On peut examiner deux paramètres liés aux travailleurs. L’un d’entre eux est le salaire moyen, ce qui inclut les travailleurs des échelons supérieurs; l’autre est le salaire médian, qui représente le salaire du travailleur à l’échelon du milieu. Nous démontrons que, au Canada, le salaire moyen a augmenté beaucoup plus rapidement que le salaire médian au cours, disons, des 40 dernières années en raison des augmentations salariales des mieux nantis. La rémunération des PDG — le pour cent de la population le plus riche — constitue l’exemple le plus évident. Les travailleurs qualifiés et les travailleurs très scolarisés s’en tirent mieux que les travailleurs ayant terminé peu d’années d’études.
Fait intéressant, cette situation s’est atténuée au fil du temps. Le pouvoir de négociation dans les années 2010 était beaucoup plus robuste que dans les années 1980, 1990 ou même 2000. L’écart entre la croissance de la productivité et les salaires médians s’est énormément réduit. L’écart existe encore. Dans un certain sens, les travailleurs n’obtiennent toujours pas leur juste part du gâteau, mais l’écart s’est beaucoup amoindri dans les années 2010. Je prédis que, à l’avenir, l’écart s’amenuisera encore davantage puisque le taux de chômage est faible, ce qui représente un net avantage pour les travailleurs. Je crois que, dans son ensemble, la situation s’avère positive pour la société.
Le sénateur Loffreda : Et quelle sera l’incidence sur une possible récession et la reprise qui s’en suivra?
M. Sharpe : Encore une fois, je tiens compte de la situation à long terme. Il y aura une récession, qui sera probablement très importante, mais nous ne nous centrons pas sur la conjoncture à court terme. Nous nous centrons plutôt sur ce qui se passera dans 20 ou 30 ans. S’il y a une récession, une reprise suivra; je peux vous le garantir. Espérons que nous pourrons revenir sur la bonne voie. Nous allons perdre des extrants à court et à moyen terme, mais j’espère que nous pourrons les récupérer en dépassant la tendance au fil du temps. Les récessions entraînent des conséquences négatives, cela ne fait aucun doute; elles peuvent freiner la croissance potentielle, c’est vrai, et nous voulons en réduire le plus possible les effets. Nous adoptons une vision à long terme. Ce qui est important, pour l’avenir, ce sont les forces à long terme, comme la croissance de la productivité. Il ne s’agit pas d’un facteur cyclique. La productivité varie selon les cycles, mais nous examinons ses effets à long terme.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le vice-président : Monsieur Sharpe, j’aimerais vous poser une autre question, rapidement, sur ce sujet.
Selon les récents travaux de l’Institut C.D. Howe, aux États-Unis, les investissements des entreprises — qui favorisent la croissance de la productivité — sont environ quatre fois plus élevés par travailleur qu’au Canada.
M. Sharpe : Le taux de croissance est quatre fois plus élevé?
Le vice-président : Quatre fois plus élevé, par travailleur.
M. Sharpe : Je crois que ce chiffre est erroné. Ce taux est plus élevé aux États-Unis, oui. C’est peut-être la moitié de cela, mais quatre fois... Il faut tenir compte de nombreux facteurs techniques, notamment la parité du pouvoir d’achat des investissements dans les deux pays. J’ai vu ces études et on y parle d’investissements deux fois plus élevés, mais pas quatre fois plus.
Bien sûr, nous voulons plus d’investissements. Ils sont essentiels à la productivité. On peut faire valoir que nous n’investissons pas suffisamment comparativement à d’autres pays, et il faudrait effectivement en faire plus. Toutefois, la situation n’est pas désastreuse. Nous avons fait d’importants investissements dans de nombreux secteurs. On peut toujours faire mieux. Par exemple, j’ai parlé de la faible croissance de la productivité au Canada. La réduction du taux de productivité, qui est passé de 3 % à 1 % n’est pas attribuable uniquement à une diminution des investissements. Ils sont importants, mais ils ne sont pas l’unique facteur à prendre en compte pour expliquer les variations en matière de productivité.
Le vice-président : Je crois qu’au fil de la réunion, nous allons vouloir entendre vos propositions de politiques sur la croissance de la productivité.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup. D’abord, je voudrais remercier Andrew Sharpe d’être avec nous. Nous sommes de la même école, en ce sens que nous nous connaissons depuis longtemps puisque nous nous sommes rencontrés à l’université. Nous avons eu les mêmes professeurs.
[Traduction]
Je sais que vous vous centrez sur les tendances à long terme en matière de productivité et de bien-être. Toutefois, avant la COVID, tout allait très bien. Les prix étaient stables, nous étions en situation de plein emploi et la productivité augmentait. Puis la COVID a frappé et tout s’est arrêté brusquement. Ensuite est venue l’inflation, puis la politique monétaire à titre de solution, mais il s’agit d’un outil très général. C’est comme si l’on avait recours à la chimiothérapie pour un cancer local, mais qu’on risquait de tuer le patient. Comment pourrons-nous maintenir le plein emploi, maintenir la croissance de la productivité et aborder la question des changements climatiques, et ce, tout en même temps? Parce que si nous oublions le climat, lui ne nous oubliera pas. J’en sais quelque chose. Qu’en pensez-vous?
M. Sharpe : C’est tout un programme : les changements climatiques et la productivité.
En ce qui a trait à l’inflation, la Banque du Canada doit évidemment y aller doucement avec l’augmentation des taux d’intérêt. Je crois qu’elle doit prendre au sérieux la question de la spirale des salaires et des prix. On rattrape enfin l’écart des salaires. Les salaires augmentent, ce qui est normal. C’est ce que l’on veut. Mais on ne veut pas vivre avec une inflation de 6 ou 7 %. Je crois qu’il faut réduire l’inflation. Sa stabilité pendant plusieurs décennies a eu un effet positif sur l’économie canadienne. Il faut que ce soit un objectif à atteindre. Je crois que la Banque du Canada doit faire très attention à l’augmentation des taux d’intérêt. Nous savons déjà qu’il y aura une augmentation demain et peut-être une autre légère augmentation ensuite. Comme l’ont dit les représentants de la Banque de Montréal, nous espérons que la situation se stabilisera après une augmentation d’un point de pourcentage.
Rappelons-nous qu’un taux d’intérêt de 4 % n’est pas particulièrement élevé en réalité, puisque l’inflation sera peut-être de l’ordre de 3 %. Dans les années 1980 et 1990, les taux d’intérêt étaient de 6 ou 7 %. La dette du gouvernement était très élevée; la situation était désastreuse. Aujourd’hui, les taux d’intérêt sont beaucoup plus bas. Nous ne sommes pas en situation de crise comme c’était le cas à cette époque.
J’aime à penser que la question de la productivité se réglera d’elle-même. Qui est responsable de la productivité? C’est le secteur commercial. Si des mesures incitatives à l’investissement sont en place et permettent aux membres du secteur d’investir et de faire de l’argent, ils vont le faire. Nous avons besoin du bon cadre à cet égard. Comme je l’ai dit plus tôt, le cadre de la croissance de la productivité au Canada est positif, dans l’ensemble. Notre société est orientée vers le marché, ce qui a une incidence positive sur la productivité.
Pour les changements climatiques, il y a la taxe sur le carbone, que nous jugeons être une bonne chose. Il faut mettre en place toutes sortes de politiques de réglementation pour réduire les émissions dans divers secteurs. Nous n’avons pas beaucoup étudié ce domaine alors je ne peux pas vous présenter un programme à cette fin, mais il y a de nombreuses personnes mieux placées que moi pour vous parler de l’objectif de la consommation énergétique nette zéro d’ici 2050. J’ose croire qu’il s’agit d’un objectif sérieux pour le gouvernement et les politiques. Je crois qu’une approche axée sur le marché, associée à une réglementation, est la voie à suivre pour les changements climatiques.
La sénatrice Bellemare : Donc, vous êtes assez optimiste et vous ne croyez pas que le taux d’intérêt dépassera les 4,5 %.
M. Sharpe : Qui sait? Tout dépend des réactions. Il se peut que l’inflation continue de diminuer... et il y a des indications à cet effet, comme je l’ai dit dans mon discours préliminaire. L’inflation de mois en mois et de trimestre en trimestre est bien en deçà de 6 % maintenant, et le cours du pétrole a déjà augmenté. Le prix des maisons a commencé à baisser. Si les salaires augmentent de 8 % subitement, les effets se feront sentir.
La sénatrice Bellemare : Mais vous ne croyez pas que la politique de regroupement façonnera la situation du plein emploi?
M. Sharpe : J’espère que non. Je suis peut-être naïf à cet égard. Je crois que nous pourrions vivre dans une économie où les taux d’intérêt sont de 4 à 5 % pour une courte période, étant donné qu’ils ne sont pas si élevés et qu’ils auraient dû être augmentés un peu plus tôt. Je suis plutôt optimiste en ce sens. Il y aura un léger repli, mais j’espère que nous pourrons revenir à notre croissance potentielle. C’est le principal enjeu, comme je l’ai dit plus tôt. Il faudrait passer de 1,7 à 2 %. C’est ce que devrait être notre objectif.
La sénatrice Bellemare : Un objectif durable.
M. Sharpe : Tout à fait.
Le sénateur Woo : Merci, monsieur Sharpe. C’est très intéressant.
C’est la transition parfaite : je voulais vous poser une question sur l’évolution de la tendance et la façon de l’accroître. Vous avez parlé de deux composantes : 1 % provenant de la croissance de la productivité et 0,7 % provenant de l’offre de main-d’œuvre. Premièrement, quel est le nombre d’immigrants pris en compte dans l’augmentation de 0,7 % de l’offre de la main-d’œuvre? Est-ce qu’on parle des 300 000 à 400 000 par année actuels?
M. Sharpe : Nous aimons utiliser des chiffres officiels, alors nous avons utilisé les prévisions de Statistique Canada relatives à la population pour faire nos projections. Je crois qu’elles datent de 2019. Depuis, le gouvernement a rehaussé ses cibles en matière d’immigration. Statistique Canada n’a pas de nouvelles prévisions qui en tiennent compte, mais je crois que la croissance générale de la population augmenterait de 0,2 à 0,3 point de pourcentage. Si nous arrivons à attirer 400 000 immigrants par année, l’effet sur l’offre de main-d’œuvre sera important, ce qui augmentera notre potentiel. Cela n’améliorera pas notre productivité, mais notre croissance, oui.
Le sénateur Woo : Donc, ce taux de 0,7 % est historique.
M. Sharpe : Il est calculé en fonction d’environ 250 000 immigrants. Il ne s’agit pas d’un taux historique parce que les cibles ont toujours augmenté, mais elles n’ont jamais atteint les 400 000 immigrants.
Le sénateur Woo : Si le gouvernement donne suite à son plan d’accueillir 400 000 immigrants, l’évolution de la tendance pourrait être plus grande.
M. Sharpe : Tout à fait.
Le sénateur Woo : C’est facile à comprendre.
En ce qui a trait à l’augmentation de la productivité, votre prévision de 1 % me semble quelque peu pessimiste. Vous semblez sous-entendre que nous allons atteindre la frontière technologique. Nous ne pourrons pas vraiment aller plus loin.
M. Sharpe : Non, nous continuons d’aller plus loin, mais selon un taux de 1 % seulement.
Le sénateur Woo : Vous avez parlé d’un partage plus important des gains de productivité avec la main-d’œuvre que par le passé. Une théorie veut que l’augmentation des salaires soit une façon d’accroître la productivité, en raison notamment des effets de substitution. Cette théorie n’est pas très populaire dans le milieu des affaires. Quelle est votre opinion à ce sujet? Pouvons-nous avoir recours à une telle stratégie pour augmenter le taux de 1 %?
M. Sharpe : Premièrement, vous avez raison : c’est une mesure incitative. Si les coûts liés à la main-d’œuvre augmentent, les employeurs auront tendance à remplacer les travailleurs par des machines. C’est ce qui arrive tout le temps parce que le rapport capital-travail augmente. Les employeurs ajoutent toujours de nouvelles machines plus rapidement qu’ils n’embauchent de nouveaux travailleurs. Je ne sais pas si cette politique sera la plus efficace pour accroître la productivité. Il ne faudrait pas augmenter d’un seul coup les salaires de 4 % et prétendre qu’on augmentera la productivité. Cela pourrait entraîner la perte d’emplois. Si c’est le marché qui s’en charge, c’est très bien, mais je ne crois pas qu’on doive établir une politique publique ou un gouvernement qui dise : « Nous allons augmenter les salaires pour obtenir des gains de productivité. » J’espère que la situation se réglera d’elle-même. C’est une caractéristique positive d’une économie forte. L’augmentation réelle des salaires est plus importante et les employeurs sont plus enclins à remplacer la main-d’œuvre par du capital.
Il faut toutefois faire une mise en garde : on parle ici de productivité de la main-d’œuvre, mais Statistique Canada produit une autre mesure de la productivité, appelée la productivité multifactorielle, ou productivité totale des facteurs, qui tient compte du capital et de la main-d’œuvre. En raison de l’augmentation du rapport capital-travail, la productivité totale des facteurs augmente moins rapidement que la productivité de la main-d’œuvre. Plutôt que d’une augmentation de 1 %, on parle d’une augmentation de 0,5 % au cours des 20 dernières années. Il y a donc deux façons de mesurer la productivité.
Les salaires élevés ont une incidence positive sur la productivité, mais je ne crois pas qu’ils représentent le facteur le plus important à cet égard. La technologie est beaucoup plus importante.
Le sénateur Woo : Et vous croyez que le marché s’occupera de lui-même?
M. Sharpe : Oui. Je ne crois pas que le gouvernement doive mettre en œuvre une politique visant une augmentation précise des salaires.
Le sénateur Woo : Est-ce le rôle du gouvernement de favoriser les investissements dans les technologies ou celui du marché?
M. Sharpe : Les deux. Le marché a tout à gagner en innovant et en adoptant les techniques les plus productives qui soient. C’est la clé.
Le vice-président : Monsieur Sharpe, permettez-moi de me corriger. Les entreprises américaines investissent deux fois plus d’argent par employé que les entreprises canadiennes, mais les investissements dans la PI sont quatre fois plus importants aux États-Unis qu’au Canada. Je tenais à le préciser, et cela revient à ce que vous venez de dire. L’avenir de l’économie réside dans l’investissement dans la PI.
Le sénateur Gignac : Je suis heureux de vous revoir, monsieur Sharpe.
Comme la ministre des Finances vous consulte régulièrement avant la présentation du budget ou une mise à jour financière, que conseilleriez-vous pour combler l’écart entre le Canada et les États-Unis en matière de productivité?
Ma deuxième question est la suivante : dans le cadre de cette transition, si nous voulons atteindre la carboneutralité d’ici 2050, croyez-vous que les fonds de pension du Canada — qui sont énormes — pourraient avoir un rôle à jouer?
M. Sharpe : Nous parlons depuis tant d’années de l’écart de productivité entre le Canada et les États-Unis, mais nous n’avons pas réussi à le combler. Dans le secteur des affaires, notre productivité représente environ 75 % de celle des États-Unis. Elle a déjà été plus élevée, jusqu’à 90 %, mais elle a baissé par la suite.
Comment pouvons-nous combler l’écart? Il faut que notre croissance de productivité soit plus grande que celle des États-Unis, mais comment peut-on faire? Il y a bien sûr un problème d’investissement, qui a été souligné. Nous investissons moins d’argent par travailleur, qu’il s’agisse d’investissements dans la PI ou d’investissements totaux. Ce serait bien de pouvoir combler cet écart, mais on peut faire mieux dans de nombreux secteurs en ce qui a trait au capital humain.
Les États-Unis sont des leaders mondiaux en matière de technologie. Nous n’arriverons probablement jamais à atteindre leur niveau, étant donné leurs économies d’échelle. L’économie des États-Unis est beaucoup plus importante que la nôtre. Ils ont les plus grandes universités de recherche au monde. Ils sont au cœur des avancées technologiques. Ils ont Silicon Valley. Ils ont donc un avantage, alors je doute que nous arrivions un jour à combler l’écart en matière de productivité. Or, nos politiques visent à augmenter les investissements, à renforcer le capital humain et à accroître la concurrence, ce qui est important. Nous sommes moins compétitifs que nos homologues américains dans de nombreux marchés. La concurrence accrue pourrait avoir une incidence positive sur la productivité.
Je ne crois pas que cela arrivera du jour au lendemain. Comme je l’ai dit dans mon discours préliminaire, il est très difficile pour un gouvernement d’avoir une incidence sur la productivité. Il faut influer sur le comportement des entreprises, mais il y a déjà des facteurs qui les incitent à agir comme elles le font. Le gouvernement ne pourrait probablement pas vraiment combler l’écart en 10 ans en adoptant des politiques. S’il y avait un grand boom dans l’économie canadienne, on pourrait peut-être combler cet écart plus efficacement que par l’entremise de politiques gouvernementales.
Le sénateur Gignac : Vous ne proposez pas que le gouvernement fédéral, avec d’autres incitatifs pour les entreprises...
M. Sharpe : Cela dépend des incitatifs dans certains domaines. Nous nous sommes penchés sur ces questions au cours des quatre dernières décennies. Des gens brillants à Finances Canada, où je travaillais, se sont penchés sur la question. Ils n’ont pas encore trouvé de solution. Je ne sais pas s’ils y parviendront un jour. Je suis un peu pessimiste quant à la capacité des politiques à résoudre les problèmes structurels fondamentaux qui sont responsables des écarts de productivité dans notre économie.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Sharpe, je vous remercie d’être avec nous.
Évidemment, être totalement optimiste ou totalement pessimiste dépend du point de vue. Nous siégeons au Sénat, et nous ne sommes pas ce qu’on pourrait appeler de la première jeunesse. Nous sommes un peu plus âgés que cela. La tendance démographique suggère que, pour la première fois dans l’histoire de notre pays, la population est vieillissante. Cela va présenter des défis supplémentaires pour notre pays à l’avenir. De plus en plus de personnes prennent leur retraite.
Nous avons également de bonnes politiques publiques qui vont avoir une incidence sur les générations futures de Canadiens. Nous avons, pour la première fois, une politique nationale en matière de garde d’enfants. Nous avons vu les effets de cette politique sur l’économie du Québec et sur la participation des femmes à l’économie. Nous allons maintenant voir ce que cela va apporter au reste du pays à ce sujet.
Cela dit, parmi toutes les mesures dont vous avez parlé pour faire face à certains facteurs structurels qui ont des répercussions sur l’économie, il y en a une dont vous n’avez pas parlé — il s’agit de données de l’OCDE —, et c’est le fait d’investir pour essayer de hausser les compétences des travailleurs au niveau de celles des autres pays, ce que nous n’avons pas beaucoup fait. L’un des moyens de combler l’écart, évidemment, c’est d’investir dans la machinerie et l’équipement, mais qu’en est-il des compétences? Quand on regarde les investissements des employeurs dans les compétences au pays, on constate qu’ils sont plutôt faibles. On ne parle pas beaucoup de ce que nous pouvons faire pour aider les Canadiens à acquérir des compétences afin de suivre un marché du travail en constante évolution. Comment pouvons-nous aider les Canadiens, en particulier les jeunes et les nouveaux immigrants qui arrivent au pays et qui veulent participer au marché du travail? Ils sont très qualifiés dans leur pays, mais en arrivant au Canada, nous ne les laissons pas travailler dans les domaines pour lesquels ils sont qualifiés dans leur pays.
Avez-vous des suggestions sur la façon pour nous de remédier à ce problème? Je ne veux pas parler du taux de syndicalisation qui constitue manifestement un défi pour le pays. J’aimerais vous entendre à ce sujet.
M. Sharpe : Bien sûr. Nous nous sommes très bien débrouillés pour ce qui est de l’éducation postsecondaire. Nous avons l’un des pourcentages les plus élevés de la population active qui a fait des études postsecondaires parmi les pays de l’OCDE. C’est en grande partie grâce à nos collèges, tant les cégeps au Québec que nos collèges communautaires dans le reste du pays. C’est une force de l’économie canadienne.
Vous avez tout à fait raison. En ce qui concerne la formation en milieu de travail offerte par les employeurs canadiens, il semble qu’ils en offrent beaucoup moins par travailleur que les employeurs d’autres pays. Je ne sais pas si c’est parce que les gens qui sortent de nos collèges communautaires sont bien qualifiés qu’ils n’ont pas besoin de les former ou si c’est pour d’autres raisons. Nous pourrions certainement améliorer la formation. Comment peut-on s’y prendre? On pourrait penser que les employeurs seraient portés à offrir une formation supplémentaire à leurs employés, mais ils ne semblent pas le faire parce qu’ils craignent parfois le maraudage. S’ils forment un employé, une autre entreprise viendra le recruter. C’est un problème souvent évoqué.
Quelle est la solution politique à ce problème? Ce n’est pas simple. Le Québec a imposé une taxe de 1 % aux employeurs pour qu’ils offrent de la formation. À ce qu’il semble, cela n’a pas beaucoup fait bouger les choses au Québec. Je pense qu’il est vraiment difficile de faire participer les employeurs.
Je suis très impliqué dans ce dossier depuis de nombreuses années. Des conseils sectoriels ont été créés dans les années 1980, comme le CCCES, le Conseil canadien du commerce et de l’emploi dans la sidérurgie. Le gouvernement fédéral a financé alors 25 groupes industriels patronaux-syndicaux pour qu’ils se concentrent sur l’enjeu de la formation. Le Québec a également fait beaucoup dans ce domaine. Cela fait des décennies que nous nous concentrons sur la formation au Canada, sans beaucoup de succès. Le gouvernement fédéral n’a pas soutenu les conseils sectoriels comme il l’a fait dans le passé, alors la formation est un vrai problème.
Le gouvernement fédéral travaille sur ce dossier depuis des décennies, et il y a encore beaucoup de travail à faire. Je n’ai pas de réponse facile. On aimerait penser qu’un employeur a intérêt à s’assurer que ses employés sont bien formés. Encore une fois, comme vous l’avez mentionné, les données montrent que nous faisons moins que les autres pays.
Le sénateur Yussuff : En ce qui concerne la politique nationale de garde d’enfants, quels sont les indicateurs que vous avez examinés pour déterminer dans quelle mesure cette politique va stimuler le PIB du pays et favoriser la participation des femmes à l’économie en général?
M. Sharpe : Nous savons qu’au Québec elle a eu un effet positif sur la participation des femmes à la population active. Cela a contribué à la croissance de l’économie et des recettes fiscales. Pierre Fortin est un tenant de cette politique. Il s’adressera à vous plus tard ce mois-ci. Il pourra certainement vous en parler plus en détail que moi. Je pense qu’elle aura un effet positif. Il faudra quelques années pour que cela se manifeste. Elle aura pour effet d’augmenter le taux de participation des femmes, ce qui aura un effet positif sur la croissance de la population active et la croissance potentielle de l’économie. L’effet sera assez faible, toutefois, probablement de 0,1 à 0,2 point de pourcentage tout au plus. Ce n’est pas comme si cela allait tout à coup donner un coup de fouet à la croissance potentielle de l’économie canadienne. C’est très positif, mais cela n’aura pas un gros effet. C’est une bonne politique sociale, cependant.
La sénatrice Marshall : Monsieur Sharpe, je vous remercie d’être avec nous.
Lorsque vous avez parlé de l’inflation dans votre déclaration liminaire, vous avez mentionné que nous connaissons une baisse du niveau de vie en raison de l’inflation. Est-ce quelque chose que vous observez sur une longue période? Pouvez-vous affirmer qu’au cours de la dernière décennie, notre niveau de vie a diminué ou augmenté, même par rapport à d’autres pays? L’impression que j’ai est que nous tirons de l’arrière.
M. Sharpe : Vous avez tout à fait raison. C’est un sujet qui est très proche de notre mandat. Je peux en parler pendant longtemps.
On peut mesurer le niveau de vie de nombreuses façons. Évidemment, les résultats dépendent de la mesure utilisée. Une mesure standard est le PIB par habitant. Le PIB pose de nombreux problèmes, toutefois, mais c’est la mesure standard. Nous examinons notre taux de croissance et déterminons où nous nous situons par rapport aux autres pays.
Notre niveau de vie a baissé par rapport à celui d’autres pays, car le facteur clé du PIB par habitant est la productivité. La croissance de notre productivité a été plus lente que celle de nombreux autres pays. Nous sommes encore assez bien placés. En fait, nous nous situons probablement dans le tiers supérieur des pays de l’OCDE, mais nous ne sommes pas dans le quart supérieur. De nombreux pays européens, en particulier, ont un niveau de vie plus élevé que le nôtre, et c’est parce que le taux de croissance de notre niveau de vie a été relativement faible au cours des dernières années.
Il y a un problème avec le PIB. Souvent, les gens regardent le revenu personnel et se disent qu’ils veulent tenir compte uniquement du revenu personnel disponible après impôt. Ce sont d’autres façons de voir les choses. On constate alors que la performance est légèrement meilleure pour diverses raisons techniques. Toutefois, même dans ce cas, notre taux de croissance et notre niveau de vie ont ralenti. L’important, toutefois, c’est qu’il reste positif. Ce n’est pas comme si le niveau de vie obtenu avec ces mesures diminuait. Il peut le faire pendant certaines périodes, comme en 2022. Il va baisser parce que l’inflation est très élevée. Ces dernières années, notre niveau de vie a fait des gains positifs. Au fil du temps, le taux de variation du niveau de vie se rapproche de celui de la productivité de la main-d’œuvre, donc environ 1 %. De fait, au cours des 20 dernières années, notre niveau de vie calculé en fonction du PIB par habitant a progressé d’environ 1 % par an.
La sénatrice Marshall : Lorsque vous regardez en arrière et que vous faites vos comparaisons, est-ce que le ralentissement semble remonter à 20 ans?
M. Sharpe : Comme je l’ai dit, il y a eu deux phases de ralentissement. Dans la période de l’après-guerre, de 1945 à 1973, souvent appelée l’âge d’or du capitalisme, notre niveau de vie a crû à un bon rythme parce que la croissance de notre productivité était très élevée. Il a augmenté d’environ 3 % par année. Il y a eu ensuite le choc pétrolier en 1973 et la croissance de la productivité a chuté, etc. Il y a eu ensuite la révolution informatique qui a stimulé la productivité dans la seconde moitié des années 1990. Entre 1973 et 2000, qui a été une année clé, il a probablement augmenté de 1,5 % par année. Depuis 2000, il a de nouveau baissé un peu parce que la productivité a baissé, malgré la révolution informatique. Il augmente maintenant d’environ 1 % par année. Nous sommes sur une trajectoire positive ascendante. C’est juste que le rythme de croissance ralentit.
La sénatrice Marshall : Quels sont les pays qui nous devancent?
M. Sharpe : Parlez-vous des taux de croissance ou des niveaux?
La sénatrice Marshall : Je dirais les taux de croissance.
M. Sharpe : Eh bien, dans le monde en développement, le grand bond en avant a été, bien sûr, la Chine, car jusqu’à son récent ralentissement, elle avait une croissance de la productivité d’environ 7 % ou 8 % par année. Son niveau de vie se situait, disons, à 10 % de celui du Canada. Aujourd’hui, il se situe probablement autour de 40 % de celui du Canada. L’Inde a également beaucoup progressé. Donc, les pays en développement, encore une fois, ont un grand potentiel de croissance parce que leurs technologies sont inférieures aux nôtres. Ils adoptent les technologies occidentales, et cela leur donne un coup de pouce pour accroître leur productivité.
La sénatrice Marshall : L’impression que j’ai est que des pays même comme l’Australie nous devancent.
M. Sharpe : C’est vrai. C’est un bon point. À bien des égards, l’Australie et le Canada sont des jumeaux. Nous sommes si semblables sur tant de fronts. Nous avons fait des études à ce sujet. Dans l’ensemble, je dirais que nous les avons légèrement surpassés dans l’immédiat après-guerre, mais ils ont repris du poil de la bête au cours des dernières années. Je dirais qu’ils nous dépassent maintenant. Notre niveau de vie est en baisse par rapport à celui des Australiens. Il avait l’habitude d’être légèrement supérieur, mais il est maintenant légèrement inférieur. Ils sont un très bon pays pour servir de modèle aux pratiques du Canada.
La sénatrice Marshall : C’est intéressant. Je vous remercie.
La sénatrice Ringuette : J’aimerais votre opinion sur ce qui suit : notre comité a constaté qu’au cours des deux dernières décennies, nos entreprises canadiennes n’investissent pas vraiment dans la productivité, qu’il s’agisse de capital machine ou de capital humain, et elles ont des réserves. Aujourd’hui, la Banque du Canada augmente les taux d’intérêt, créant ainsi une sorte d’incitatif à conserver ces réserves et à profiter de ces nouveaux taux d’intérêt. S’il n’y a pas d’investissements et pas d’augmentation de la productivité, alors il n’y a relativement pas d’augmentation de l’offre à l’échelle nationale, car notre témoin précédent a dit que l’inflation est maintenant essentiellement d’origine nationale. Comment arrêter ce cycle? Comment amener le milieu des affaires à utiliser ses réserves et à faire les investissements appropriés pour l’avenir de leurs entreprises et pour les générations futures de Canadiens?
M. Sharpe : Je vous remercie de la question.
Ce n’est pas comme si les investissements dans l’économie canadienne avaient disparu. Si on regarde la part des investissements dans le PIB en valeur nominale, ce qui est probablement la bonne façon de faire, il n’y a pas eu de baisse massive des investissements au Canada. Évidemment, cela dépend du type d’investissements. Si on regarde le secteur résidentiel, les investissements ont été considérables. Ils sont en train de décliner. Toutefois, si on regarde, disons, le secteur non résidentiel, les structures, par exemple, nous nous sommes extrêmement bien débrouillés, notamment dans les sables bitumineux. Il y a eu des investissements massifs dans les sables bitumineux. Ce n’était sans doute pas une bonne chose pour la planète, mais nous avons eu des investissements très importants. Nous avons maintenant des investissements dans les sources d’énergie de remplacement, comme l’énergie éolienne, solaire et hydroélectrique. Nous avons eu de gros investissements. Il y a eu beaucoup d’investissements dans l’économie canadienne. Nous pouvons discuter de...
La sénatrice Ringuette : J’aurais sans doute dû préciser le secteur manufacturier.
M. Sharpe : Oh, le secteur manufacturier. D’accord. Même dans ce secteur, il y a eu des investissements.
Maintenant, est-ce que les entreprises détiennent beaucoup de ressources en espèces qu’elles pourraient investir? Je suis sûr que c’est le cas dans certains secteurs. Les banques, par exemple, ont beaucoup de réserves. On voit que la Banque Royale dispose de 10 millions de dollars qu’elle peut utiliser pour acheter HSBC. Il est certain que de nombreuses sociétés ont des réserves excédentaires qu’elles peuvent déployer. Elles pourraient sans doute les distribuer à leurs actionnaires sous forme de dividendes, procéder à un rachat ou investir elles-mêmes dans la technologie. Je pense qu’il serait judicieux que davantage d’entre elles investissent à l’interne dans les dernières technologies, car nous avons un grand écart dans le niveau d’investissements dans les TIC — les technologies de l’information et des communications —, et cela inclut les logiciels par travailleur, par rapport aux États-Unis. Même si, en principe, nous disposons de certaines des meilleures technologies au Canada dans de nombreux domaines, les données officielles montrent qu’il y a un écart dans ce type d’investissements.
Comment amener les employeurs à investir davantage? Eh bien, je suppose que cela tient à leur façon de penser. L’investissement est lié à ce qu’ils pensent de l’avenir. S’ils pensent que l’avenir est favorable, l’esprit animal sera plus fort et ils investiront. En ce sens, le fait d’avoir un climat d’affaires avantageux, ce que je pense que nous avons au Canada parce que les gouvernements sont généralement favorables aux entreprises, devrait être un facteur positif. Cependant, ce n’est pas comme si le gouvernement pouvait forcer les entreprises à investir. Il faut qu’elles veuillent investir. Elles doivent voir les possibilités.
La sénatrice Ringuette : Je suppose que ma question était plus en rapport avec les réserves de liquidités que possèdent les entreprises, et qu’elles avaient lorsque le taux d’intérêt était de 1 %. Pensez-vous que l’augmentation des taux d’intérêt sera un incitatif accru pour elles de continuer à garder ces réserves?
M. Sharpe : Encore une fois, cela dépend du secteur manufacturier. Certains secteurs sont plus dynamiques et ont un plus grand potentiel que d’autres, donc cela dépend beaucoup du secteur. Toutefois, si les entreprises voient un taux de profit qui dépasse ce qu’elles peuvent obtenir simplement en gardant leur argent à la banque, j’aime à penser qu’elles passeront à l’action et investiront. Elles sont effectivement incitées à rechercher des occasions de faire plus d’argent pour leurs actionnaires.
La sénatrice Bellemare : Je veux poursuivre sur la question des compétences. Je sais que vous y avez réfléchi dans le passé. Au Canada, nous avons beaucoup parlé du développement des compétences, mais je ne pense pas que nous ayons beaucoup investi collectivement. C’est toujours la responsabilité de la personne ou des employeurs, mais ce n’est pas un objectif collectif.
Vous avez parlé de l’Australie et du fait qu’ils sont assez semblables à nous. Ils ont une stratégie de développement des compétences basée sur un cadre national de compétences, et la plupart des pays du monde misent maintenant sur le développement des compétences et l’apprentissage continu. Il y a un pays qui a une façon très intéressante de financer cela. Il s’agit de Singapour. J’aimerais vous entendre à ce sujet. Ils ont adopté un cadre national, et ils ont des comptes qui sont comme des comptes publics, et ce que les gens dépensent est automatiquement remboursé. C’est financé par le gouvernement. Que pensez-vous de cela?
M. Sharpe : Je ne connais pas vraiment l’exemple de Singapour. Je n’y suis pas opposé, mais il faudrait que j’en examine les détails. Là encore, l’employeur met de côté une certaine somme d’argent pour l’employé, et l’employé peut s’en servir. Je pense que c’est une bonne idée. Je pense que tous les employeurs devraient affecter des fonds pour leurs employés. Toutefois, la question de savoir si l’État les forcera ou non à verser un certain montant est délicate.
Cependant, comme vous le savez bien, de nombreux efforts ont été déployés en général au Canada dans les années 1990 et 2000 afin d’améliorer notre situation en matière de formation, en collaboration avec les conseils sectoriels et les conseils de développement de la main-d’œuvre. Nous passons en revue ces problèmes depuis très longtemps, et nos cicatrices le prouvent. Je suppose que nos efforts n’ont pas été particulièrement fructueux. Nous les avons en quelque sorte abandonnés au cours des dernières années. Je pense que l’une des raisons pour lesquelles nous l’avons fait, c’est que, dans le passé, les syndicats ont été des défenseurs très importants de l’accroissement de la formation. Les syndicats jouaient un rôle clé dans les conseils de développement de la main-d’œuvre au Canada et au Québec, et désormais, le rôle des syndicats dans ce domaine est moins significatif. Les syndicats offrent toujours des cours de formation, mais la densité de la main-d’œuvre a diminué. La main-d’œuvre n’est pas une force aussi importante dans la société canadienne qu’elle l’était dans les années 1970. C’est peut-être la raison pour laquelle il y a moins de discussions en général portant sur ces questions de formation au Canada.
Le vice-président : Chers collègues, il reste quatre intervenants. Nous allons essayer de leur accorder deux minutes chacun pour poser des questions et obtenir des réponses.
Le sénateur Woo : Don Wright partage votre enthousiasme pour le niveau de vie en tant que mesure appropriée de l’amélioration du bien-être. Il a écrit un article pour le Forum des politiques publiques. Vous en avez peut-être pris connaissance. Il soutient que nous devrions mesurer le revenu par habitant plutôt que le taux de croissance globale du PIB, mais il va plus loin en disant que si nous prenions au sérieux le revenu par habitant à titre de mesure du bien-être des Canadiens, nous devrions limiter l’immigration chaque fois que les taux salariaux n’augmentent pas au même rythme que l’inflation. Autrement dit, s’il n’y a pas de croissance réelle des salaires, il faut réduire l’immigration. J’aimerais entendre votre point de vue à ce sujet, s’il vous plaît.
M. Sharpe : Je suis favorable à l’immigration au Canada. Il est bénéfique d’avoir une plus grande croissance démographique. Notre pays est grand. La solution consiste à répartir les immigrants dans l’ensemble du pays, au lieu qu’ils soient tous concentrés à Toronto et Vancouver. C’est ce qui se produit en ce moment. Par exemple, nous déployons de nombreux efforts dans le Canada atlantique, où ils accroissent considérablement le nombre d’immigrants qu’ils reçoivent.
Vous avez raison. Il est évident que nous ne pouvons pas faire augmenter le revenu moyen par travailleur en faisant venir plus de monde. Mais je ne crois pas que ce soit l’objectif global. Nous voulons avoir une société diversifiée. Nous voulons accroître notre potentiel. Les immigrants apportent beaucoup d’idées. Ils sont très entreprenants. Ils constituent une grande force pour la société canadienne. Je ne voudrais pas limiter l’immigration simplement à cause du niveau de vie.
Le sénateur Woo : Je suis heureux de l’entendre. Merci.
Le sénateur Loffreda : Vous avez mentionné que l’état du marché du travail était une réussite : un million d’emplois vacants pour un million de chômeurs. Vous avez dit que les pénuries de ressources étaient moins préoccupantes qu’un taux de chômage élevé. Vous avez fait valoir que l’éducation postsecondaire était une énorme réussite, car nous nous en sortons très bien à cet égard. Pourtant, lorsque nous examinons l’un de vos articles qui ont paru dans les médias en 2016, nous voyons que vous citiez certains chiffres. Peut-être pouvez-vous nous en dire davantage à propos des statistiques qui ont été publiées récemment. Le pourcentage de titulaires de doctorats et de maîtrises qui occupaient des emplois peu rémunérés s’élevait à 8 % en 1997, et il a grimpé en 2016, en s’établissant à 12 %. Premièrement, est-ce toujours le cas? Deuxièmement, cela signifie-t-il que nous ne créons toujours pas d’emplois pour la main-d’œuvre hautement qualifiée au Canada? Que pourrait-on faire pour améliorer ces statistiques?
M. Sharpe : Pouvez-vous répéter ces statistiques? Je n’étais pas sûr de les avoir bien retenues.
Le sénateur Loffreda : En juillet 2016, dans un article publié par CBC News, vous avez mentionné que le pourcentage de personnes titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat qui occupaient des emplois peu rémunérés était passé de 8 % en 1997 à 12 % en 2016. C’est ce que vous avez déclaré à l’époque.
M. Sharpe : Je ne m’en souviens pas du tout. Je suis étonné, car il existe une réelle demande de main-d’œuvre hautement qualifiée — c’est-à-dire des personnes titulaires d’une maîtrise ou d’un doctorat. Cela dépend évidemment du domaine dans lequel ils se spécialisent, mais il est certain que dans la plupart des domaines, les personnes titulaires d’un diplôme de troisième cycle n’ont pas beaucoup de difficultés à trouver des emplois, comparativement aux personnes moins instruites. Il faudrait que je vérifie ces chiffres.
Le sénateur Loffreda : Nous créons suffisamment d’emplois pour la main-d’œuvre hautement qualifiée?
M. Sharpe : Oui, tout à fait. Ce qui est bien en ce moment, c’est que, dans le passé, nous avons créé de nombreux emplois pour les diplômés des écoles secondaires. Ce qui advient dans cette économie fortement axée sur la main-d’œuvre — c’est-à-dire une économie de plein emploi —, c’est que nous créons des emplois pour les gens au bas de l’échelle. Le plein emploi est le message clé que je veux faire passer. Le plein emploi permet d’intégrer des personnes qui avaient des difficultés à trouver des emplois par le passé, parce que les employeurs ont vraiment besoin de ces travailleurs et veulent les former et les intégrer à la population active. Je pense que le plein emploi a un effet positif disproportionné sur les personnes situées au bas de l’échelle du marché du travail. Les personnes en haut de l’échelle peuvent toujours s’occuper d’elles-mêmes.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le sénateur Yussuff : Je me sens coupable de poser la question suivante, car je crois en connaître la réponse. Vous êtes néanmoins le témoin à interroger. Je vais quand même la poser afin qu’elle figure dans le compte rendu. Mes collègues le font tout le temps en comité. Je ne me sens donc pas coupable du tout.
Le taux de syndicalisation s’est certainement maintenu, mais il n’a pas augmenté. Il s’élève à 29 % ou 30 %, selon les mesures. Malgré la redistribution des revenus, l’une des raisons pour lesquelles le niveau de vie est élevé au Canada, c’est que les travailleurs appartiennent à des syndicats. Les syndicats entraînent un avantage salarial de 4,50 $. Pourtant, nous avons vu des gouvernements arriver successivement au pouvoir, d’une manière ou d’une autre, et tout ce qu’ils souhaitaient faire, c’est de restreindre la manière dont les travailleurs peuvent avoir accès à la couverture syndicale. Nous avons observé les avantages que les syndicats apportaient non seulement ici, mais aussi dans le monde entier. L’une des dimensions dont les pays européens parlent toujours avec fierté, c’est le fait qu’ils ont un niveau de vie plus élevé et, pour la plupart, ce sont des pays fortement syndiqués. En fin de compte, quand allons-nous cesser de penser, par réflexe, que le fait de restreindre l’accès des travailleurs canadiens aux syndicats est une bonne chose plutôt qu’une mauvaise chose? En fait, un taux de syndicalisation accrue contribuerait à accroître la répartition de la richesse et à faire croître l’économie canadienne, car les travailleurs toucheraient plus de revenus, ce qui leur permettrait de dépenser davantage et de faire ce que nous voulons qu’ils fassent.
M. Sharpe : Je suis d’accord. J’ai travaillé au Centre canadien du marché du travail et de la productivité pendant de nombreuses années. C’était un groupe patronal-syndical. J’ai travaillé en étroite collaboration avec les syndicats, et je pense que les syndicats ont un effet très bénéfique sur la société, à bien des égards. Je crois que le gouvernement fédéral s’est récemment penché sur le Code du travail et a tenté de le rendre plus simple, du moins à l’échelle fédérale, bien que malheureusement ce code ne s’applique qu’à environ 10 % de l’ensemble des travailleurs. Il est plus facile d’organiser les travailleurs à ce niveau. Toutefois, le problème se situe à l’échelle provinciale. Les mesures à prendre relèvent donc vraiment des provinces.
Je suis d’accord avec vous. Cependant, il est évident que vous souhaitez qu’il y ait un certain équilibre entre les intérêts du patronat et les intérêts des syndicats. Ces intérêts varient avec le temps, et certaines provinces trouvent un meilleur équilibre pour les travailleurs. Par exemple, nous avons un gouvernement néo-démocrate en Colombie-Britannique. La situation des travailleurs dépend de la dynamique de la situation politique de chaque province. Dans l’ensemble, je pense qu’il serait positif à bien des égards d’avoir un plus grand taux de syndicalisation.
Le sénateur Yussuff : Au Québec, le taux de syndicalisation est de 40 %. Les travailleurs ont le droit d’adhérer à un syndicat et de passer en revue une liste de conditions de travail. Les gouvernements qui se sont succédé ne se sont pas attaqués à cette politique parce qu’ils ont compris qu’elle était utile pour améliorer le niveau de vie et la répartition de la richesse dans la société québécoise.
M. Sharpe : C’est vrai. L’attitude envers les syndicats varie selon les provinces. Le Québec est plus favorable aux syndicats que les autres provinces. Les syndicats ont joué un rôle important dans l’histoire du Québec, alors que, disons, en Alberta, l’attitude à l’égard des syndicats n’est peut-être pas aussi positive.
Le vice-président : Vous avez parlé de l’Australie comme d’une bonne nation à laquelle se comparer. La Australian Competition and Consumer Commission — Commission australienne de la concurrence et de la compétition — a mené la campagne en faveur des systèmes bancaires ouverts, des droits relatifs aux données sur les consommateurs et des données ouvertes. Elle a fait preuve d’un grand leadership à cet égard. Si nous voulons avoir une économie plus novatrice, qui entraîne une plus grande croissance de la productivité, dans quelle mesure est-il important pour nous d’avoir des politiques gouvernementales innovantes qui guident ce changement? Les Australiens font certainement preuve de leadership.
M. Sharpe : Absolument. Je suppose que cela dépend de votre définition de l’innovation. Certaines personnes pourraient penser qu’une politique innovante pourrait aller à l’encontre des intérêts d’un certain groupe. Pour innover, il faut se débarrasser des barrières, et les gens ont parfois intérêt à protéger certaines barrières. Dans l’ensemble, si vous définissez l’innovation comme une pratique exemplaire et que les gens savent quelle est la pratique exemplaire à adopter... au Canada, il y a certainement de nombreux cas où nous n’avons pas adopté des pratiques exemplaires. Regardez certains de nos systèmes de paie, Phénix ou les applications ArriveCAN. Nous n’avons pas appliqué des pratiques exemplaires dans ces cas-là. Si le gouvernement peut adopter des pratiques exemplaires et innover, c’est évidemment un aspect très positif pour l’ensemble de l’économie.
Le vice-président : Merci beaucoup.
Le sénateur Gignac : Je veux parler du rôle de l’immigration. Je pense que la géopolitique a une incidence sur l’immigration, et le Canada semble actuellement très attrayant pour différentes raisons. La croissance de la population canadienne est assurée à 80 % par l’immigration, qui est l’une des plus rapides de l’Organisation de coopération et de développement économiques, au moment où nous parlons. Quelle est l’incidence de cette croissance non seulement sur le PIB — car nous savons que, si la croissance de la main-d’œuvre est plus rapide, le PIB augmente plus rapidement —, mais aussi sur la productivité? Existe-t-il un moyen de la mesurer, parce que nous attirons des cerveaux? Du point de vue du travail, nous faisons face à une concurrence en ce qui concerne les cerveaux, mais nous disposons d’excellentes universités. Devons-nous être plus agressifs et mieux placés pour garder les étudiants qui viennent étudier ici — vous voyez ce que je veux dire? Quelle est l’incidence de l’immigration sur la productivité?
La présidente : Malheureusement, vous n’avez que 30 secondes pour répondre à la question.
M. Sharpe : Je dirais simplement que les immigrants sont formidables parce qu’ils choisissent de venir au Canada eux-mêmes. Qui vient au Canada? Eh bien, ce sont les personnes qui prennent cette décision par elles-mêmes et qui sont motivées à partir et à aller de l’avant. J’ai employé de nombreux immigrants au centre, et ils ont tous très bien réussi. Les étudiants sont formidables, car nous attirons souvent d’excellents étudiants de l’étranger. Il est formidable de pouvoir leur offrir des possibilités d’emploi au Canada. Un très grand nombre de ces étudiants restent au Canada, deviennent des citoyens canadiens et contribuent à la société. Je suis très favorable aux immigrants, qui nous permettent d’améliorer non seulement la croissance potentielle, mais aussi la croissance de la productivité du travail. Nombre de nos grands entrepreneurs sont des immigrants. Je regarde le Canada atlantique, et les principaux entrepreneurs qui s’y trouvent sont souvent des immigrants, des gens qui ont de nouvelles idées et qui arrivent de l’étranger. Dans l’ensemble, je suis très favorable à l’idée d’utiliser l’immigration pour améliorer la productivité.
Le sénateur Gignac : Vous pouvez compléter votre intervention en présentant une réponse écrite, si vous le souhaitez. Merci.
Le vice-président : C’est exact. Si vous avez l’impression que l’une de vos réponses a été interrompue, je m’en excuse. N’hésitez pas à envoyer des compléments d’information par écrit à la greffière.
Monsieur Sharpe, je vous remercie infiniment de tout ce que vous faites au Centre d’étude des niveaux de vie et du temps que vous nous avez consacré aujourd’hui.
(La séance est levée.)