LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 3 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour et bienvenue à tous. Il s’agit d’une réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis la présidente de ce comité. Je vais vous présenter les autres membres du comité présents aujourd’hui : le sénateur Colin Deacon, vice-président, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith, le sénateur Marwah, le sénateur Yussuff et la sénatrice Bellemare.
Aujourd’hui, nous allons poursuivre notre discussion sur l’état de l’économie canadienne et l’inflation. Malheureusement pour nous, notre réunion a lieu au moment où le gouvernement s’apprête à présenter son énoncé économique de l’automne, de sorte que nous devrons prédire ce qu’il va comporter s’il en est question dans nos discussions.
Nous avons deux groupes de témoins aujourd’hui. Nous accueillons pour commencer Janet Lane, par vidéoconférence. Elle est directrice du Human Capital Centre à la Canada West Foundation. Nous avons également Jack Mintz, chercheur émérite du recteur, École de politique publique de l’Université de Calgary. Bienvenue à vous deux. Nous allons commencer par les déclarations liminaires. Madame Lane, si vous voulez bien commencer. Merci.
Janet Lane, directrice, Human Capital Centre, Canada West Foundation : Bonjour, madame la présidente, mesdames et messieurs les sénateurs, monsieur Mintz. Je suis ravie d’être ici. Je vous remercie de m’avoir invitée à témoigner.
Au Canada aujourd’hui, il y a en même temps une pénurie de main-d’œuvre et une pénurie de travailleurs qualifiés. Dans de nombreuses régions du pays, ces problèmes se combinent de sorte que les entreprises sont incapables de doter les postes et de répondre à la demande relative à leurs produits et services. Près de la moitié du million d’offres d’emploi publiées à la fin du mois de septembre était affichée depuis plus de 60 jours. Les entreprises stagnent lorsqu’elles ne peuvent pas trouver les travailleurs dont elles ont besoin, ce qui a pour effet de réduire les investissements. La pénurie de travailleurs et le manque de compétences étouffent la croissance économique. Il n’y a que deux réponses immédiates à la pénurie de main-d’œuvre : l’immigration et l’augmentation de la participation au marché du travail.
D’autres experts ont sans doute parlé de la nécessité de l’immigration, et je me contenterai de souligner que nous devons faire beaucoup mieux en ce qui concerne la reconnaissance des titres de compétences étrangers si nous voulons garantir de meilleurs résultats aux personnes qui choisissent de venir dans ce pays. Les talents font l’objet d’une concurrence mondiale. Le gaspillage des compétences durement acquises par les immigrants n’est plus une option. Les gens iront là où leurs compétences seront récompensées.
Les employeurs ne peuvent plus miser sur les diplômes et les titres traditionnels pour s’assurer qu’ils recrutent des personnes capables de répondre à leurs besoins. Les emplois évoluent trop rapidement. Chaque emploi est désormais numérique. Les métiers et les professions sont devenus interfonctionnels, et le système d’enseignement postsecondaire n’a pas la souplesse nécessaire pour réagir.
Pour que le Canada demeure concurrentiel malgré le changement démographique — le nombre de personnes qui se retirent de la population active est plus élevé que celui des personnes qui y entrent —, il faut que les travailleurs canadiens deviennent plus productifs. L’augmentation de la productivité peut provenir d’une amélioration des compétences de base, notamment la capacité de lire, d’écrire, de calculer, de communiquer, de réfléchir et de maîtriser le numérique. Nombreux sont ceux qui ont un faible niveau d’instruction et qui doivent acquérir ces compétences de base.
Les compétences sont manifestement inadaptées, même pour les emplois les moins qualifiés. Sur le million d’emplois disponibles à la fin du mois de juin, 38 % ne comportaient pas d’exigence minimale en matière de scolarité et 23 % n’exigeaient pas plus qu’un diplôme d’études secondaires. Selon les données les plus récentes, qui datent de 2021, environ un tiers des personnes au chômage possédaient au maximum un diplôme d’études secondaires. Cette disparité s’explique par le fait que même les emplois peu qualifiés exigent certaines compétences particulières, y compris les plus élémentaires. Or, de nombreuses personnes, même celles qui ont un diplôme d’études secondaires, ne possèdent pas ces compétences.
Nous savons tous que l’éducation n’est pas du ressort du gouvernement fédéral, mais ce gouvernement dispose d’un levier qu’il peut utiliser pour favoriser l’augmentation des compétences et de la participation à la population active. Il s’agit des Ententes sur le développement du marché du travail conclues avec les provinces et les territoires et des autres montants qui sont envoyés aux provinces pour ce genre de choses. Ce financement devrait être assorti de recommandations précises sur la façon de l’utiliser pour former les gens afin qu’ils se joignent à la population active.
La Canada West Foundation recommande notamment de travailler à l’élaboration d’un cadre de compétences pancanadien. Les énoncés de compétences procurent un langage commun pour décrire les connaissances, les aptitudes et les attributs associés à chaque compétence. Un tel cadre permettrait d’établir, à l’intention des individus et des fournisseurs de programmes de formation, le profil des compétences et du niveau de compétence requis pour chaque emploi. Bien que chaque employeur ait des besoins particuliers, les profils de compétences des emplois peuvent et doivent être normalisés.
Nous devons évaluer les personnes en fonction des compétences qu’elles ont déjà acquises et établir celles qui leur manquent. Personne n’arrive sur le marché du travail totalement dépourvu de compétences, surtout les nouveaux immigrants, et pourtant ils sont régulièrement traités comme s’ils n’avaient aucune compétence. Les centres d’évaluation joueraient également ce rôle pour les personnes formées à l’étranger. L’évaluation consisterait à normaliser les compétences par rapport aux critères définissant les compétences. Ces critères seraient déterminés en collaboration avec les employeurs.
Il faut aussi évaluer les intérêts et les aptitudes des personnes et leur fournir de l’information sur ce que comportent les emplois. La compétence n’est qu’un élément d’un bon placement. Les personnes devraient être orientées vers l’emploi qui leur convient le mieux et, idéalement, être embauchées dans l’emploi qui leur convient le mieux, puis être formées à cet emploi. Les programmes de formation professionnelle enseignent les compétences requises. Il n’est pas nécessaire d’avoir des programmes et des formations standardisés qui obligent les personnes à commencer à la case départ.
Les compétences nécessaires à la vie courante, les capacités de lecture et d’écriture de base, entre autres, sont extrêmement importantes et sont souvent ce qui manque le plus au profil de compétences des gens. Il est plus efficace d’enseigner ces compétences en les combinant avec les compétences professionnelles plus techniques sur le lieu de travail. Enseigner ces compétences à des adultes sans leur fournir le contexte de leur utilisation sur le lieu de travail ne les aide pas à assimiler ce qu’ils apprennent.
Enfin, il faut encourager les employeurs — les inciter, même — à fournir la formation en milieu de travail. Les employeurs ne peuvent plus exiger des candidats prêts à l’emploi. Ils doivent faire partie de l’écosystème de la formation.
Un système comme celui que j’ai décrit contribuerait à faire en sorte que les milliards de dollars transférés aux provinces et aux territoires pour la formation de la main-d’œuvre se traduisent par une amélioration réelle des résultats pour les personnes, les employeurs et, en fin de compte, l’économie.
Je serai ravie de discuter de ces idées avec vous. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, madame Lane. Ce sont d’excellentes idées et suggestions.
Nous allons maintenant écouter la déclaration liminaire de Jack Mintz. C’est à vous, monsieur Mintz.
Jack Mintz, chercheur émérite du recteur, École de politique publique, Université de Calgary, à titre personnel : Merci beaucoup, sénatrice Wallin. Je présume que tout le monde m’entend bien. Je n’ai pas préparé de déclaration, et c’est en partie parce que je n’étais pas sûr de pouvoir témoigner aujourd’hui. La décision s’est prise il y a une demi-heure.
La présidente : Nous comprenons cela. Je sais que vous pouvez nous faire une déclaration spontanée de quelques minutes.
M. Mintz : D’accord.
Je veux parler de ce qui sera, à mon avis, une décennie très difficile, soit d’ici à 2030. Je ne parle pas de 2040 ou 2050. Je parle des huit prochaines années. Ce qui m’inquiète le plus, c’est que nous allons connaître une période de croissance économique très difficile, et cinq grands facteurs vont peser sur cette période.
J’ai abordé le premier facteur dans un certain nombre d’articles récemment, à savoir la démographie. Nous connaissons actuellement un vieillissement rapide de la population, et ce n’est pas seulement le cas au Canada. C’est le cas dans tous les pays à revenu élevé et dans de nombreux pays à revenu moyen. Les marchés internationaux deviendront plus concurrentiels, sur le plan de la main-d’œuvre, mais cela signifie également que notre main-d’œuvre sera moins dynamique et que nous connaîtrons par conséquent une croissance moindre. En outre, le départ à la retraite de nombreuses personnes âgées va entraîner des problèmes de productivité, car ces personnes devront compter sur leurs économies pour vivre, mais aussi sur les prestations qu’elles reçoivent des jeunes par l’intermédiaire du gouvernement pour financer diverses dépenses liées à l’âge, telles que les retraites, les coûts des soins de santé, et ainsi de suite. Tous ces facteurs vont constituer des défis très sérieux, mais cela signifie également que notre croissance par habitant va diminuer en raison de ce facteur de vieillissement.
Deuxièmement, nous avons des gouvernements qui sont maintenant très endettés, pas seulement au Canada où la situation n’est pas si mauvaise, mais dans le monde entier, ce qui signifie des taux d’intérêt réels plus élevés à l’avenir. Cela aura bien sûr un effet sur les décisions d’investissement, car le coût du capital sera plus élevé, et l’investissement sera essentiel pour l’innovation et l’adoption de nouvelles technologies.
Troisièmement, nous voyons maintenant un monde qui se divise en blocs, l’Est et l’Ouest. Le bloc Est sera dirigé par la Chine, le bloc Ouest par les États-Unis. Nous parlons d’in-shoring — la relocalisation des activités au pays —, nous parlons de friend-shoring — la relocalisation des activités dans des pays amis —, mais nous parlons aussi d’obstacles supplémentaires au commerce. Comme l’histoire nous l’a appris, quelle que soit la façon dont nous découpons le gâteau, lorsque vous augmentez les droits de douane ou les obstacles au commerce, cela entraîne une baisse de la productivité dans tous les pays, car ils ne sont pas en mesure de tirer pleinement parti de leurs avantages comparatifs. Ce sera une conséquence des problèmes de sécurité qui sont associés à cela.
Quatrièmement, il faudra...
La présidente : Monsieur Mintz, je dois vous interrompre. Malheureusement pour nous, les interprètes se sont arrêtés, ce qui signifie que la réunion est terminée pour l’instant. Nous allons devoir suspendre la séance pendant un moment pour examiner nos options. Je vais vous demander à tous, y compris Mme Lane, de rester connectés. Merci.
(La séance est suspendue.)
(La séance reprend.)
La présidente : Nous avons à nouveau des problèmes techniques aujourd’hui. À titre d’explication pour le public, les interprètes ne font pas l’interprétation du témoignage des témoins, ou du moins d’un des témoins. Le Règlement du Sénat m’interdit de poursuivre une réunion sans interprétation.
Je présente mes excuses les plus sincères à M. Jack Mintz. Notre greffière va reprendre contact avec vous pour essayer de fixer une autre date. Je ne saurais trop m’excuser. Je suis désolée pour tout le mal que vous vous êtes donné. Monsieur Mintz, si vous êtes d’accord, nous allons nous réunir avec vous ultérieurement.
M. Mintz : D’accord. Merci.
La présidente : Nous allons fixer une nouvelle date et le faire comparaître en tant que témoin. C’était une décision du comité de le faire comparaître, et il le fera. Monsieur Mintz, nous allons communiquer avec vous. Merci.
Nous allons maintenant poursuivre notre séance avec Janet Lane. Nous amorçons les questions avec notre vice-président, le sénateur Deacon. La parole est à vous.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup, madame Lane, pour votre excellent exposé.
Je pense au défi que représente la productivité de la main-d’œuvre, alors que le niveau d’investissement des entreprises par travailleur est si bas au Canada. Je pense aussi à la nécessité d’augmenter ce niveau afin de commencer à rattraper notre retard sur le plan de la productivité de la main-d’œuvre, en particulier dans les industries à forte intensité de propriété intellectuelle, car nous nous situons au quart du niveau des États-Unis en ce qui concerne l’investissement des entreprises par travailleur et à environ la moitié du niveau général de l’économie. Quel est votre conseil à cet égard concernant l’investissement des entreprises?
Mme Lane : Je ne suis pas experte en investissements des entreprises, mais ce que je sais, c’est que nous pouvons améliorer la compétitivité des travailleurs en augmentant leurs compétences. Dans un contexte de mondialisation, tout le monde a le même accès au capital. Le capital ira là où il obtiendra les meilleurs rendements. Tout le monde a accès à la technologie numérique. Elle est offerte dans le monde entier. L’une des seules choses qui peuvent distinguer un pays de ses pairs est d’avoir une main-d’œuvre plus productive du point de vue de la capacité de la main-d’œuvre.
Comme je l’ai dit dans ma déclaration, c’est un peu surprenant de réaliser combien d’emplois n’exigent pas d’études postsecondaires. Au Canada, nous avons l’impression que tout le monde doit faire des études postsecondaires, mais en réalité, une grande partie de la productivité se situe à un niveau de qualification inférieur. Cela ne veut pas dire qu’il s’agit de personnes non qualifiées, mais simplement de personnes moins qualifiées. Ces personnes moins qualifiées ne sont pas utilisées au mieux de leurs capacités. Elles ne sont pas assez stimulées. Elles ne reçoivent pas les bons niveaux de formation pour améliorer leur capacité de résoudre les problèmes et de tirer le meilleur parti des machines et des équipements qu’elles utilisent dans leur travail.
Cet été, j’étais dans une usine où absolument personne n’avait le moindre sourire. J’en ai bien vu un, mais c’était remarquable. Les gens avaient l’impression de ne pas être à leur place, de ne pas être valorisés et de ne pas faire un travail stimulant pour eux. C’était incroyablement répétitif. Je pense aussi que l’employeur ne leur a jamais demandé comment il pouvait améliorer les choses.
Les employeurs peuvent faire beaucoup pour s’assurer que leurs employés ont les compétences en lecture, écriture et calcul nécessaires pour résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés chaque jour, au lieu de laisser aller les choses, de laisser les machines tomber en panne et de provoquer des problèmes sur la chaîne de production. Nous ne formons pas non plus les gens suffisamment bien pour qu’ils puissent utiliser les machines en place de manière optimale. Nous donnons aux gens une formation très limitée lorsqu’ils arrivent dans certains de ces emplois moins qualifiés, bien que tout de même un peu qualifiés. Nous ne leur demandons pas de prendre une part active au travail. Nous ne les incluons pas dans les décisions relatives au travail. Nous nous retrouvons avec une main-d’œuvre très désengagée, et les gens ne produisent pas, de sorte que notre productivité diminue et que notre compétitivité est faible. Je pense vraiment que les employeurs sont la solution. Ce n’est pas seulement une question d’argent. Il s’agit des conditions de travail. Il s’agit de s’assurer que les gens sont bien formés. Nous pourrons alors utiliser au mieux l’investissement dont nous disposons.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.
Le sénateur Smith : Merci d’être avec nous aujourd’hui, madame Lane.
Pendant la pandémie, nous nous sommes inquiétés de la grande démission, mais nous avons accordé peu d’attention à la grande retraite qui se profile à l’horizon. Selon Statistique Canada, plus de 300 000 Canadiens ont pris leur retraite depuis le début de l’année, et une tranche de près de 20 % de la population en âge de travailler approche de l’âge de la retraite. Je sais que vous avez évoqué certains éléments à ce sujet dans votre déclaration liminaire, mais je voulais simplement me pencher sur les personnes qui partent à la retraite. Est-il possible d’encourager les gens à rester plus longtemps dans la population active? Lorsqu’ils atteignent l’âge de la retraite, beaucoup de gens ont tendance à stagner rapidement. Ils perdent un peu le sens de leur rôle dans la société. Je me demande simplement ce que vous pensez de la façon de gérer les départs, les retours, les immigrants qui arrivent dans notre pays et la reconnaissance de leurs compétences. Vous avez parlé de tous ces aspects tout à l’heure. Quel serait votre plan d’action?
Mme Lane : Je pense que nous devons absolument inciter une plus grande partie de la main-d’œuvre vieillissante à rester sur le marché du travail.
Pour certaines personnes — par exemple, dans les métiers —, le travail physique proprement dit ne sera plus tout à fait possible, mais leurs compétences et leur expertise sont très utiles pour la formation de la prochaine génération. Dans le système d’apprentissage, nous avons désespérément besoin d’apprentis. Si nous voulons construire les logements dont nous avons besoin pour les 500 000 immigrants qui vont arriver au pays, sans parler de ceux qui sont déjà ici, nous allons avoir besoin de gens de métier. Il n’y a aucun doute là-dessus. Nous avons besoin de quelques centaines de milliers d’apprentis chaque année. Qui va former ces gens? Lorsque les gens de métier en âge de prendre leur retraite quittent le marché du travail, c’est le système de formation qui part avec eux. Nous devons nous assurer que nous pouvons les garder sur le marché du travail, pas nécessairement dans les mêmes conditions que lorsqu’ils exerçaient leur métier, mais en les faisant travailler aux côtés de nos apprentis pour les aider à se former. Il y a une valeur énorme à cela. Nous n’avons pas valorisé ces personnes comme il le faudrait aujourd’hui. Encourager des personnes comme les compagnons qui sont proches de la retraite à penser à devenir davantage des enseignants ou des mentors et les payer pour qu’ils restent dans la population active serait très utile pour ce secteur particulier de l’économie.
Dans d’autres secteurs de l’économie, il faut effectivement changer la façon dont les employeurs perçoivent la valeur des personnes âgées. Elles pourraient refuser de faire des heures supplémentaires. Elles pourraient être disposées à travailler seulement, disons, six heures par jour. Mais on peut accommoder les gens qui ont toute cette expertise. Je pense que beaucoup d’employeurs comprennent que lorsque leurs employés prennent leur retraite, ils partent avec leurs connaissances organisationnelles et beaucoup d’information. C’est une perte réelle, et il est donc possible d’encourager les gens à rester en les accommodant par rapport à leur façon de travailler, à l’endroit et au moment où ils travaillent.
Nous devons faire quelque chose pour encourager les employeurs à commencer à percevoir différemment les personnes âgées. Je n’ai personnellement pas subi d’âgisme, mais je fais peut-être partie des quelques chanceux. À vrai dire, je sais que j’en fais partie, mais je pense qu’il faut encourager les employeurs à utiliser la capacité qu’ils ont déjà. Pour beaucoup d’employeurs, la main-d’œuvre qu’ils auront au cours des prochaines années est celle qu’ils ont aujourd’hui, mais même lorsque les choses changent très rapidement, ils devront former constamment de nouvelles personnes et leur apprendre constamment de nouvelles choses. Les employés plus âgés peuvent parfois mieux appliquer leurs connaissances — grâce à la formation — que les nouveaux travailleurs.
Le sénateur Smith : Comment pouvons-nous amorcer cette mobilisation? Qui va assurer le leadership?
Mme Lane : Je n’ai pas la réponse, mais encore une fois, je répète qu’il faut dire — c’est peut-être une tâche pour le gouvernement fédéral — aux employeurs de mieux s’occuper de leurs employés, les encourager à le faire. Je pense que le gouvernement fédéral a des outils qu’il pourrait peut-être utiliser, mais il faut que cela passe par les employeurs. S’ils veulent des candidats prêts à faire le travail, ils devront déployer des efforts en ce sens. S’ils veulent des travailleurs, ils devront rendre leurs emplois plus attrayants.
Le sénateur Smith : Merci.
La présidente : C’est la situation difficile dans laquelle de nombreux employeurs se trouvent lorsqu’on exerce des pressions sur eux pour qu’ils diversifient leur main-d’œuvre, mais qu’ils ont peut-être besoin d’une main-d’œuvre qui est moins diversifiée pour former la nouvelle. Ce sera un problème récurrent.
Mme Lane : En effet.
La sénatrice Bellemare : J’ai consacré beaucoup de temps aux mêmes dossiers, et je vous félicite pour ce que vous faites. Dans votre exposé, vous avez présenté très clairement ce qui pose problème. Comme vous l’avez dit, nous avons besoin d’un cadre de compétences. Nous devons évaluer les compétences des gens. Nous avons besoin de le faire dans le cadre de programmes de formation. On peut voir tous ces éléments d’un système de perfectionnement des connaissances dans de nombreux pays partout dans le monde. Vous le savez parce que vous savez de quoi vous parlez. De nombreux pays en Europe, en Asie et en Amérique du Sud ont une approche de perfectionnement des compétences tout au long de la vie des gens. Je pense que la question que le sénateur Smith vous a posée à propos de la façon de procéder est très importante, car si nous y répondons, nous serons en mesure de développer le perfectionnement des compétences au Canada.
Comme vous le savez, dans le domaine du perfectionnement des compétences, il y a une offre et une demande. Il faut des fournisseurs de services et des fournisseurs de perfectionnement des compétences, et il faut une demande pour qu’ils soient payés et qu’ils offrent leurs services. Au Canada, comme vous le savez, nous avons les gouvernements provinciaux et le gouvernement fédéral. De nombreux pays ont répondu à cette question en créant des comptes d’apprentissage personnel, et le gouvernement qui a l’argent investit dans ces comptes et dans les fournisseurs de services ou les administrations pour avoir une formation de qualité. Avez-vous pensé à faire collaborer les provinces et le gouvernement fédéral par l’entremise de partenaires sociaux afin de créer un cadre national et d’avoir des outils comme les comptes personnels ainsi que d’autres outils, puisque ce n’est pas une panacée? J’aimerais vous entendre là-dessus.
Mme Lane : Un certain nombre de personnes au pays se penchent là-dessus avec moi, ainsi qu’avec d’autres personnes, et nous sentons que nous sommes proches du point de bascule pour réaliser des progrès. Des entités comme le Centre des Compétences futures, le Conseil de l’information sur le marché du travail et toutes sortes d’autres organismes parrainés par le gouvernement travaillent très fort en ce sens.
Ce qu’il nous faut vraiment, c’est un grand projet pilote qui montrerait comment ce système fonctionnerait du début jusqu’à la fin. Nous en avons des petites parties, mais ce n’est pas un système harmonieux à ce stade-ci. Tout le monde parle de microcertifications, par exemple. C’est censé être la chose qui va nous sauver, mais les microcertifications qui ne tiennent pas compte des besoins de l’employeur ou qui ne sont pas normalisées dans le secteur de l’employeur ne sont pas très utiles, et elles ne sont pas transférables. Nous avons aussi besoin de formations sur demande pour que les gens puissent combler leurs lacunes lorsqu’ils les constatent, et le plus rapidement possible. À cette fin, un compte d’apprentissage personnel pourrait être une bonne idée pour certaines personnes.
L’idée avancée par le gouvernement fédéral concernant les comptes d’apprentissage personnel me préoccupait, car les gens ne savent pas nécessairement ce qu’ils doivent apprendre. J’ose dire que de nombreux fournisseurs de services en profiteront et donneront une formation dont la qualité n’est pas garantie. C’est déjà le cas, ce qui signifie que même si nous pensons avoir une assurance de la qualité en place, ce n’est pas nécessairement le cas.
Cela revient à ce que je disais, à savoir que nous avons absolument besoin de critères normalisés pour évaluer chaque compétence, et il faut les établir avec les employeurs, car ils sont les seuls à pouvoir nous dire si la personne fait le travail correctement ou non. Il y aura même des employeurs qui auront besoin d’aide pour comprendre à quoi cela ressemble. Ils savent que Joe est leur meilleur employé, mais ils ne peuvent pas nécessairement expliquer ce qu’il fait pour cela. Il faut offrir un certain soutien pour le travail accompli par l’équipe avec qui je travaille et moi-même, ainsi que d’autres personnes partout au pays, pour élaborer ce cadre avec les employeurs. C’est là qu’il faut commencer. Pour être honnête, sénatrice, je sais que vous déployez beaucoup d’efforts dans ce dossier. Il se fait beaucoup de choses d’un bout à l’autre du pays. Ce qui se fait n’est pas normalisé, mais nous commençons à rassembler des éléments pour comprendre les compétences nécessaires pour occuper différents emplois et dans différents secteurs.
Par exemple, je travaille actuellement sur un projet dans le secteur manufacturier, où les besoins sont vraiment criants au pays. Pour assurer la logistique manufacturière, il manque vraiment de bons travailleurs. Nous élaborons les cadres de compétences pour différents emplois dans le secteur manufacturier. Nous établissons les compétences et nous nous assurons de comprendre les critères pour les évaluer. Nous engageons ensuite des gens et nous les formons pour occuper ces emplois. C’est la solution parfaite, je pense, pour les emplois peu spécialisés où on n’est pas aussi productif qu’il le faudrait.
Je ne sais pas si cela répond à votre question. Je pense qu’il se fait de petites choses partout au pays. Ce qu’il faut selon moi, c’est une certaine coordination de ce qui se fait pour que nous puissions parler le même langage et pour pouvoir appliquer le profil de compétence d’un emploi donné à une autre personne qui fait le même travail à l’autre bout du pays.
La sénatrice Bellemare : Il serait très intéressant d’avoir un système de reconnaissance mutuelle qui repose sur des initiatives provinciales individuelles.
Mme Lane : Il est vrai que les différentes provinces ont différentes normes, par exemple pour certains corps de métiers, mais en vérité, ce n’est pas difficile à établir. C’est ce qui est fait partout en Europe. On établit les compétences de base et on explique ensuite les exceptions à la règle, par exemple. Pour nous aider, nous avons maintenant des moyens technologiques que nous n’avions pas il y a 20 ans ou même 10 ans, pour faire une interprétation en arrière-plan. Si vous dites « échalote verte » et que je dis « oignon vert », tout le monde sait que nous parlons de la même plante. La technologie nous permet d’avoir ce système de reconnaissance mutuelle.
Je crois — et c’est la raison pour laquelle je fais encore le même travail — que nous nous rapprochons de ce système. Je sais que nous avons juste besoin d’un petit coup de pouce, et j’espère vraiment que l’argent du gouvernement fédéral peut être investi d’une manière plus ciblée pour atteindre ces objectifs. Une grande partie de l’argent remis au cours de la dernière année n’a pas servi à atteindre ces objectifs. On s’est vraiment éparpillé. Il y avait beaucoup d’argent, mais il a servi à toutes sortes de choses, et je crois que nous devons cibler un peu plus l’utilisation de cet argent, car je suis convaincue que ce que je propose fonctionnera.
Le sénateur Loffreda : Je remercie Mme Lane, qui est directrice du Human Capital Centre à la Canada West Foundation, de s’être jointe à nous ce matin.
Dans vos observations, vous avez parlé de la pénurie de main-d’œuvre et de travailleurs qualifiés à laquelle nous faisons face, et vous avez présenté des chiffres inquiétants à cet égard. De nombreux experts croient que la pénurie de main-d’œuvre est une des raisons — voire un important facteur — qui expliquent l’inflation et les préoccupations pour l’avenir.
Vous avez également parlé de l’immigration. Malgré les taux d’immigration élevés — l’année dernière a été une année record —, nous avons encore ces pénuries de main-d’œuvre. Quels sont vos réflexions et vos commentaires à ce sujet? Vous avez parlé des titres de compétence étrangers dans votre réponse détaillée à la question de la sénatrice Bellemare. Pouvez-vous également en dire plus à ce sujet? Sommes-nous trop rigoureux ou restrictifs dans notre reconnaissance des titres de compétence étrangers? Nous pourrions pallier nos pénuries de main-d’œuvre ainsi. Pouvez-vous en dire plus long sur des pratiques exemplaires adoptées partout dans le monde?
La Canada West Foundation a publié récemment un mémoire qui énumère les différentes mesures prises par des pays dans le monde pour garder leurs étudiants étrangers. Comment ces mesures vont-elles aider? Pourraient-elles nous aider à pallier nos pénuries de main-d’œuvre au Canada?
Mme Lane : Wow, c’est toute une question. Merci.
Les responsables de l’immigration ont vraiment bien réussi à cibler des travailleurs pour des emplois précis. Je sais que nous passons beaucoup de temps à réfléchir aux emplois hautement spécialisés pour lesquels nous avons besoin de monde. Les systèmes sont en place pour attirer des gens. Nous ne réussissons pas toujours, pour les raisons que j’ai mentionnées, à savoir que nous ne reconnaissons pas nécessairement leurs compétences lorsqu’ils arrivent ici, bien que cela s’améliore dans certaines circonstances.
Au pays, il nous manque vraiment beaucoup d’immigrants pour occuper des emplois peu spécialisés. Puisque nous nous sommes concentrés sur les travailleurs hautement spécialisés, ce qui n’est pas une mauvaise chose, nous avons créé un problème, disons, dans le domaine de la construction. Il y a une énorme pénurie sur le marché du travail. Nous avions l’habitude de faire venir des immigrants qui occupaient ce qui est généralement considéré comme des emplois de manœuvre en construction. Ce ne sont pas seulement des emplois de manœuvre. Ils sont parfois très spécialisés, mais pas assez pour être considérés comme des emplois hautement spécialisés. Il ne s’agit pas des gens de métier, des architectes ou des ingénieurs dans le domaine de la construction. Ce sont les personnes qui font le travail concret de construction des routes, qui apportent l’équipement aux gens de métier et ainsi de suite. Il y a une grave pénurie de personnes pour faire ce travail, qui veulent le faire, même s’il est raisonnablement bien payé. On peut gagner de 20 à 25 $, voire jusqu’à 30 $ l’heure dans certains cas, mais le secteur de la construction manque vraiment de monde, et c’est une des raisons pour lesquelles beaucoup de projets de construction n’aboutissent pas. Je dirais que le gouvernement peut faire mieux en admettant au pays certaines des personnes moins qualifiées qui venaient occuper ces postes avant. La situation est la même dans le secteur de la restauration et le secteur de l’hébergement, et parfois dans le secteur de la vente au détail. On se concentre sur les immigrants hautement qualifiés, ce qui n’est pas une mauvaise chose, mais cela a mené à une diminution du nombre de personnes moins qualifiées admises au pays.
Comme je l’ai dit dans mon exposé, une grande partie des postes vacants ne sont pas des postes hautement spécialisés, et de nombreux employeurs sont prêts à former les gens sur place s’ils réussissent à en recruter. C’est une chose que nous pourrions faire au pays. En faisant passer le nombre d’immigrants à 500 000 au cours des prochaines années, nous pourrions faire de la place pour les autres travailleurs spécialisés, pas nécessairement hautement spécialisés, mais moins spécialisés qui, lorsque nous y pensons, ont bâti le pays. Nous devons en faire venir plus encore une fois.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Ringuette : Merci beaucoup, madame Lane. Je souscris totalement à ce vous cherchez à accomplir.
Faites-vous partie de l’entité fédérale — je pense qu’il est question des emplois futurs ou quelque chose du genre — qui a reçu l’année dernière 1 milliard de dollars sur cinq ans? Faites-vous partie de ce système?
Mme Lane : Non.
La sénatrice Ringuette : Le Centre des Compétences futures?
Mme Lane : Oh, le Centre des Compétences futures, oui. Je participe à deux ou trois projets financés par le Centre, et ce n’est pas la première fois. J’ai moi-même reçu des fonds du Centre. Je connais très bien le travail qu’il accomplit, et j’y participe, oui.
La sénatrice Ringuette : Merci. Car autrement, j’aurais dit qu’il devrait vous recruter.
La présidente : Je pense qu’il convient de préciser que la Canada West Foundation est un groupe de réflexion autonome.
Mme Lane : En effet.
La présidente : Merci.
La sénatrice Ringuette : Je comprends. Je demandais si elle faisait aussi partie de l’autre organisation.
Cela dit, dans vos travaux de recherche sur les compétences et l’incompatibilité, diriez-vous que les compétences numériques figurent parmi celles qui manquent le plus souvent pour avoir accès au marché du travail?
Mme Lane : Oui, de toute évidence, je pense que c’est vrai. C’est intéressant, car j’ai publié il y a quelques années un article qui disait que tous les emplois nécessitent des compétences numériques, mais qu’il n’est pas nécessaire que tout le monde sache comment coder. Il n’est pas nécessaire de savoir comment coder et de faire tout le travail de génie logiciel; il faut juste être en mesure d’utiliser rapidement et efficacement les formulaires qu’on se fait remettre au travail. Même les travailleurs d’usine se font dire comment assembler quelque chose à partir d’un ordinateur. Ils doivent savoir comment accéder à la demande sur l’ordinateur et comment cocher les cases une fois que le travail est fait. De nos jours, tout est informatisé, et je pense que les gens n’ont pas assez de compétences numériques. De plus, il n’y a également pas assez de personnes qui comprennent assez le fonctionnement des ordinateurs pour réfléchir à la façon de régler un problème à l’aide d’un ordinateur ou de l’automatisation. Même au niveau le plus élémentaire, de toute évidence, la dernière génération possède beaucoup de ces compétences, bien qu’elle n’ait pas nécessairement les capacités de lecture et d’écriture pour bien les utiliser de certaines façons. Ce sont les travailleurs plus âgés, de plus de 45 ans, qui ne possèdent pas toujours toutes les compétences numériques nécessaires, ce qui cause certainement des problèmes. Le codage est important, mais ce n’est pas nécessairement la solution. À vrai dire, c’est une combinaison de littéracie et de numératie ainsi que de capacité à résoudre des problèmes et à utiliser des ordinateurs qui permettent d’accomplir le travail plus rapidement.
La sénatrice Ringuette : Je suis certainement d’accord avec vous pour ce qui est des ententes relatives au marché du travail entre les gouvernements fédéral et provinciaux, et lorsque vous dites qu’il devrait y avoir une norme minimale pour la formation professionnelle dans les différentes provinces. Avez-vous déjà présenté ces recommandations au gouvernement fédéral d’une certaine manière?
Mme Lane : Eh bien, nous nous penchons là-dessus. Chaque fois que je fais une demande de financement, c’est pour accomplir ce genre de choses. Dans une étude que je vais publier d’ici quelques mois, du moins je l’espère, j’explique tout cela, c’est-à-dire l’idée que je vais présenter au gouvernement. J’ai également essayé de faire adopter ce genre d’approche à l’échelle provinciale. Emploi et Développement social Canada, ou EDSC, est au courant de mon raisonnement. En fait, je pense même que PrairiesCan, qui fait partie de Diversification de l’économie de l’Ouest canadien, est au courant — donc l’industrie —, et les scientifiques aussi. On est au courant, mais on n’a pas encore nécessairement adhéré au concept.
Le sénateur Yussuff : Merci, Janet Lane, de votre présence ici. J’ai deux questions.
Vous dites, de toute évidence, que les travailleurs ont besoin de compétences en littératie et en numératie pour les travailleurs comme base de l’apprentissage, et pourtant, beaucoup trop de travailleurs dans ce pays n’ont pas les compétences de base, et la collaboration entre le gouvernement fédéral et les provinces n’est pas aussi solide qu’elle l’était, si bien que nous perdons évidemment du terrain. Comment pouvons-nous amener les employeurs à reconnaître cet important aspect qui consiste à aider leurs travailleurs à acquérir de plus grandes compétences, mais aussi que la base pour y parvenir est qu’ils doivent apprendre à lire et à écrire correctement? C’est un défi de taille, mais ce n’est pas nouveau. Comment faire participer le gouvernement fédéral? Il a participé à un moment donné, puis il s’est complètement retiré de ce volet de financement pour aider à concrétiser le projet. Il y a beaucoup d’organisations qui continuent à promouvoir cela, car nous n’avons pas vu de changement de politique ou d’orientation, dans une large mesure.
Mme Lane : Exact. En fait, j’ai déjà dirigé une organisation financée par le gouvernement pour aider les adultes à améliorer leurs compétences en littératie et en numératie. J’en ai parlé brièvement dans ma déclaration parce que je pense vraiment qu’il y a beaucoup de programmes financés par le gouvernement fédéral dans le cadre d’ententes sur le développement du marché du travail qui visent à aider les gens à améliorer leurs compétences en littératie, en numératie et autres, mais il n’y a pas de contexte. C’est juste, « Vous devez faire ceci avant que nous puissions vous faire intégrer le marché du travail ».
Pour les adultes qui n’ont jamais réussi à lire, à écrire et à compter, cela a été un combat difficile pour eux toute leur vie. Ils ont besoin de savoir pourquoi ils vont apprendre cela. Ils n’ont pas besoin de tout apprendre; ils doivent juste en apprendre assez. Une fois qu’ils en auront appris assez, ils connaîtront un certain succès, et le succès engendre le succès. À mesure qu’ils apprendront, ils voudront en apprendre toujours plus. Les recherches ont révélé qu’une fois que les adultes sont un peu instruits, ils le deviennent encore plus si vous leur en donnez l’occasion.
Je suggère que le gouvernement fédéral, dans le cadre de leurs ententes relatives au marché du travail, dise aux provinces, « Prenons ces programmes de formation qui disent que si vous suivez ce cours, vous serez probablement en mesure d’obtenir un emploi » et change l’approche à, « Si vous suivez ce cours, nous vous formerons, nous vous donnerons tout l’apprentissage et nous vous enseignerons ce que vous devez savoir pour bien faire ce travail ».
Cela ne fait que changer la structure de financement. S’ils bénéficient toujours de l’aide sociale, de l’assurance-emploi ou d’autres formes de soutien au revenu, vous prenez cet argent et vous l’investissez dans un salaire. Vous leur donnez un emploi et vous les formez à cet emploi, y compris les compétences en littératie et en numératie pour être en mesure de bien faire ce travail et de résoudre les problèmes dans ce travail. Ils auront alors un apprentissage qui leur restera. C’est quelque chose qui compte pour eux. Ils ont un emploi, ils ont le sentiment de réussir et ils veulent y rester attachés. Nous savons que les employeurs s’inquiètent de voir les gens partir s’ils les forment, mais nous savons aussi que la vérité est que si vous formez des gens, ils auront tendance à être plus fidèles. Pour les personnes qui n’ont pas réussi sur le marché du travail, ce n’est pas tout le monde qui pourra réussir, mais beaucoup de personnes pourraient réussir si elles étaient formées aux besoins des emplois qu’elles allaient occuper ou qu’elles occupent.
Ensuite, nous devons également consacrer des fonds à la mise en place de mesures de soutien afin de veiller à ce que les gens puissent se rendre au travail, qu’ils disposent des services de garde d’enfants dont ils ont besoin, qu’ils puissent s’absenter du travail pour des rendez-vous médicaux plutôt que d’être licenciés et qu’ils aient des jours de congé de maladie, entre autres choses.
La politique du gouvernement fédéral peut être très utile pour s’assurer que les gens restent au travail une fois qu’ils ont un emploi, et nous avons besoin que les employeurs disent, « Je vais vous embaucher puis vous former ». Ensuite, les fournisseurs de formation doivent trouver des moyens — et c’est possible — d’intégrer la formation en littératie et en numératie dans la formation technique pour les emplois pour lesquels ils forment les gens.
Le sénateur Yussuff : Vous y avez fait allusion dans votre déclaration liminaire. Les données disponibles révèlent que l’investissement des employeurs dans la formation sur le lieu de travail est relativement faible, et malgré la collecte de ces données année après année, cela n’a pas beaucoup changé. Certaines entreprises font de l’excellent travail pour offrir de la formation sur le lieu de travail, mais beaucoup d’employeurs dans ce pays ne le font toujours pas. Alors, bien sûr, nous perdons du terrain. On ne peut pas augmenter la productivité si on n’a pas un travailleur bien formé.
Cela varie d’une région à l’autre du pays. Le Québec est unique, mais il n’est tenu de s’engager qu’à hauteur de 1 % de sa masse salariale, et dans tout le pays, ce n’est même pas le minimum. Comment pouvons-nous amener les employeurs à considérer cela comme un intérêt personnel? Par ailleurs, les gouvernements fédéral et provinciaux ont-ils mis l’accent sur cette question? Nous ne voyons pas de changement dans les données d’une année à l’autre, et nous savons que les employeurs n’investissent pas autant qu’ils le devraient dans la formation en milieu de travail afin d’être beaucoup plus compétitifs qu’ils ne le sont à l’heure actuelle.
Mme Lane : Vous avez mis le doigt sur un problème de taille. Je continue de penser que lorsque la situation sera trop grave, on fera ce qu’il faut faire, mais jusqu’à présent, cela ne s’est pas produit. Aux États-Unis, lorsqu’ils n’arrivent pas à trouver la main-d’œuvre dont ils ont besoin, les employeurs disent généralement, « Eh bien, nous allons les former nous-mêmes ». Je connais un certain nombre d’initiatives très fructueuses là-bas. Nous avons essayé d’importer certaines idées des États-Unis au Canada.
Ce qu’il faudrait, ce sont des programmes d’incitatifs précis, peut-être par l’entremise du programme d’assurance-emploi ou d’autres programmes, ou peut-être une taxe de 1 % pour la formation. Je sais que c’est une réussite en Grande-Bretagne. Elle dit aux employeurs : « Vous faites partie de l’écosystème de la formation. Vous ne pouvez plus demander des candidats prêts à travailler. » Nous avons été un peu gâtés au Canada parce que nos systèmes d’éducation ont été très bons, mais ils ne suivent plus parce que les changements se produisent très rapidement. Les employeurs doivent faire partie de la solution.
L’un des projets sur lesquels je travaille actuellement ne verse pas de subvention pour les salaires des personnes qui reçoivent de la formation en cours d’emploi. Cela revient peut-être au même, mais en l’appelant subvention de formation plutôt que subvention salariale, on change la nature de la réflexion de l’employeur. Les employeurs se voient comme faisant partie de la solution. La formation prend du temps pour les employeurs. Ils pensent que cela peut prendre plus de temps que cela en vaut la peine. Si vous pouvez les inciter d’une manière ou d’une autre à dire, « Vous êtes payé pour suivre cette formation », pour subventionner leur temps plutôt que d’accorder une subvention salariale, c’est en fait une bonne chose. Nous pouvons faire cela avec nos programmes d’apprentissage en milieu de travail dans le système postsecondaire également. N’accordez pas une subvention pour le salaire, mais pour le temps nécessaire à la formation. Cela change le langage et l’objectif.
Le sénateur Marwah : Merci, madame Lane, de votre témoignage.
Vous avez mentionné dans votre déclaration liminaire que l’un des problèmes auxquels nous sommes confrontés est la reconnaissance des titres de compétences. C’est un problème de longue date, et nous avons tous entendu des histoires d’horreur de médecins qui conduisent des taxis. J’avais l’impression que ce problème s’améliorait. Avez-vous examiné en détail cette question et quelles mesures peuvent être prises pour accélérer le processus de reconnaissance? Y a-t-il des instances qui, à votre avis, reconnaissent mieux ces titres que d’autres?
Mme Lane : Je n’ai pas fait de recherches approfondies, mais je crois savoir que les États-Unis réussissent beaucoup mieux que nous. Dans le passé, nous avons eu l’impression que les normes canadiennes étaient plus élevées que les autres normes ailleurs dans le monde. Ce qui est intéressant, c’est la façon dont les ponts résistent et dont les patients se rétablissent dans d’autres régions du monde. Nous apprenons maintenant que dans les professions, il n’y a pas tant de différence que cela. Je crois savoir que nous faisons davantage de jumelage et que nous faisons un bien meilleur travail au niveau professionnel.
L’une des suggestions que j’ai formulées dans ma déclaration est l’idée de centres d’évaluation. Une fois que nous savons quelles sont les compétences, quelles sont les normes de compétence et quels sont les critères pour juger les compétences, une fois que nous savons cela, alors nous pouvons évaluer les compétences qui ont déjà été acquises par les personnes qui arrivent ici. Si quelqu’un arrive et dit qu’il est soudeur, plutôt que de dire que nous ne le croyons pas et qu’il devra acquérir une expérience canadienne et suivre un stage en milieu de travail pendant un an, nous pouvons l’évaluer pendant qu’il travaille à un centre d’évaluation. L’évaluateur ne doit pas forcément être présent. Vous pouvez filmer quelqu’un qui fait le travail et qui explique ce qu’il fait, pourquoi il procède de cette façon et pourquoi il ne le ferait pas autrement, et tout ce que signifie et comporte le travail qu’il est en train de faire. Si la personne suit ses étapes deux ou trois fois pour chaque tâche et prouve qu’elle peut s’acquitter de la tâche de manière fiable, alors elle devrait être évaluée comme ayant cette compétence. Une fois qu’on commence à acquérir un certain nombre de compétences, on est prêt à effectuer un travail particulier.
Ces centres d’évaluation, avec des évaluateurs formés et des normes de compétence et des critères, pourraient très rapidement évaluer où en sont les gens et déterminer la formation nécessaire pour combler leurs lacunes. Au lieu de forcer les gens à revenir à la case départ, on peut leur dire, « Vous avez ceci, mais il vous faut cela pour être prêts à travailler au Canada ». Ce processus pourrait se faire assez rapidement et, dans certains cas, ce pourrait être fait avant qu’ils quittent leur pays d’origine, ce qui les rendrait encore plus aptes à travailler à leur arrivée ici.
Je pense que nous devons changer la façon dont nous menons les évaluations. Nous devons travailler davantage avec les associations professionnelles, mais nous devons aussi travailler avec les employeurs qui comblent les postes qui ne sont pas de niveau professionnel pour déterminer ce qu’ils ont besoin que les gens soient capables de faire, et ensuite nous pouvons établir ce que ces personnes peuvent faire et combler les lacunes. Cela nous permettrait d’intégrer les gens sur le marché du travail, de les faire contribuer à la société et de les installer au Canada beaucoup plus rapidement.
La sénatrice Bellemare : Je veux juste dire que votre idée de commencer le perfectionnement des compétences par les centres d’évaluation est une brillante idée. Je pense que c’est une idée qui a été un peu élaborée aux États-Unis, à l’époque où Clinton était au pouvoir, mais qui a été repoussée par après. Je vous prie de nous envoyer le rapport que vous allez faire parvenir au gouvernement. Est-ce votre rapport?
Mme Lane : C’est le rapport de la Canada West Foundation, et je le rédige avec un collègue qui comprend les compétences probablement mieux que moi.
La sénatrice Bellemare : C’est votre rapport. Merci.
La présidente : Merci beaucoup, Janet Lane. Nous vous en sommes reconnaissants. Vous nous avez fourni d’excellents faits et conseils dans le cadre de notre étude et de la préparation de notre rapport. Nous tenons à remercier Jack Mintz qui était avec nous au début et nous lui présentons encore une fois nos excuses. Il reviendra en tant que témoin à un autre moment.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous accueillons Anthony Durocher, sous-commissaire, Direction générale de la promotion et de la concurrence au Bureau de la concurrence Canada, et Leila Wright, sous-commissaire, Direction générale de l’application numérique de la loi et du renseignement, aussi du Bureau de la concurrence Canada. Merci de vous joindre à nous en personne. Votre comparution devrait nous aider. La parole est à vous, monsieur Durocher, pour votre déclaration liminaire.
Anthony Durocher, sous-commissaire, Direction générale de la promotion de la concurrence, Bureau de la concurrence Canada : Bonjour, madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité. Je vous remercie de nous avoir invités à comparaître devant vous aujourd’hui.
[Français]
Le Bureau de la concurrence Canada protège la concurrence et en fait la promotion au bénéfice des consommateurs et des entreprises du Canada. Nous le faisons parce que la concurrence favorise la baisse des prix et l’innovation tout en alimentant la croissance économique.
Le bureau est un organisme indépendant d’application de la loi. À ce titre, nous sommes chargés d’assurer et de contrôler l’application de la Loi sur la concurrence du Canada. Cela comprend enquêter sur les abus de puissance commerciale, les fusions anticoncurrentielles, la fixation des prix et les pratiques commerciales trompeuses et lutter contre ces problèmes. Tous nos dossiers sont traités de manière confidentielle.
Au bureau, notre expertise quant à l’application de la loi et à la promotion de la concurrence a tendance à s’appliquer à l’échelle des marchés individuels de l’économie. Comme l’inflation est un indicateur macroéconomique, nous nous en remettons aux banques centrales et autres pour mesurer, interpréter ou prévoir l’inflation dans son ensemble. Elles sont les expertes dans ce domaine.
L’interaction entre la concurrence et l’inflation est complexe, mais moins de concurrence empire les choses et plus de concurrence améliore les choses. Des marchés ouverts et concurrentiels sont essentiels pour contrôler les prix.
[Traduction]
J’aimerais souligner trois points en lien avec cette question.
Tout d’abord, si la plupart des experts ne considèrent pas la concurrence comme un outil anti-inflationniste important à court terme, il existe des preuves selon lesquelles les marchés concurrentiels peuvent contribuer à contrecarrer les pressions inflationnistes, du moins dans une certaine mesure. Grâce au processus concurrentiel, au fil du temps, les consommateurs peuvent bénéficier de prix plus bas qui sont à la fois mesurables et efficaces.
Ensuite, certains s’inquiètent du fait que le contexte inflationniste actuel puisse constituer un incitatif ou une couverture supplémentaire pour camoufler les comportements anticoncurrentiels. Nous avons fait preuve d’une vigilance accrue et nous travaillons étroitement avec nos partenaires internationaux et nationaux pour éradiquer les comportements anticoncurrentiels qui risquent d’aggraver la situation.
Enfin, nous nous exprimons davantage. Nous soulignons l’importance de la réforme de la loi sur la concurrence et de l’élaboration de politiques plus vastes et propices à la concurrence. Nous mettons en évidence les problèmes qui nuisent aux consommateurs et à notre rendement économique, comme nous espérons le faire avec notre étude de marché sur le secteur de l’alimentation au détail.
Nous considérons les marchés concurrentiels comme une solution à double fonction. Ils peuvent contribuer à alléger les pressions inflationnistes tout en stimulant la productivité. Cela contribue à son tour à une croissance plus forte et plus inclusive qui, à long terme, aidera les Canadiens à retrouver leur pouvoir d’achat.
Notre message général est simple: le Canada a besoin de plus de concurrence. Il existe un important potentiel inexploité pour accroître la concurrence de notre économie, non seulement pour contrer les pressions inflationnistes, mais aussi pour favoriser une croissance plus forte et plus inclusive.
Je vous remercie de nous donner l’occasion de comparaître aujourd’hui, et nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Nous vous sommes reconnaissants de votre présence ici pour discuter de cette question. Nous avons entendu le témoignage du gouverneur de la Banque du Canada sur la question de savoir si une concurrence accrue serait utile. Nous approfondirons la question.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue et merci aux témoins. En ce moment, vous avez jusqu’au mois de juin 2023 pour faire une analyse en ce qui concerne les épiceries. Cela a fait couler beaucoup d’encre. Les gens sont sceptiques quant aux résultats que cela apportera, car par le passé, il y a déjà eu des analyses. Pourriez-vous nous indiquer si le Bureau de la concurrence Canada a assez de mordant s’il trouve quelque chose? Quelles sont les conséquences, les pénalités financières et les répercussions si vous trouvez des coupables?
M. Durocher : Merci pour la question. Pour commencer, j’aimerais faire la distinction entre une étude de marché et notre travail de mise en application de la loi. Comme je l’ai expliqué, le travail de mise en application vise à détecter et prendre les mesures pour empêcher des cartels, la fixation des prix, les fusions anticoncurrentielles et les abus de pouvoir dominants dans l’économie. Pour ce faire, on dispose de pouvoirs pour aller chercher de l’information, pour faire nos enquêtes et pour transmettre les dossiers aux tribunaux.
En ce qui concerne ce qu’on a annoncé il y a quelques semaines, il s’agit vraiment d’une étude de marché. Donc, c’est différent de notre rôle de mise en application. Ce n’est pas une enquête sur un acte quelconque qui pourrait aller à l’encontre de la concurrence au Canada; on vise plutôt à comprendre ce qui se passe à l’heure actuelle dans ce secteur et comprendre si la hausse des prix que l’on constate est vraiment attribuable à un changement de la dynamique concurrentielle. On veut comprendre ce qui se passe et faire des recommandations pour voir de quelle façon on peut hausser la concurrence dans le marché. L’étude de marché se distingue du travail de mise en application.
En ce qui concerne la question à savoir si la loi a assez de mordant, c’est une question très importante. On a cette discussion en ce moment à savoir quelles sont les mesures à prendre pour moderniser la Loi sur la concurrence. On a vu de premiers amendements mis en place en vertu de la Loi d’exécution du budget, en juin dernier. On s’attend à ce que le gouvernement entame très bientôt une consultation majeure concernant la Loi sur la concurrence pour s’assurer, entre autres, que le bureau a les outils nécessaires pour protéger et promouvoir la concurrence au Canada.
Le sénateur Gignac : C’est important parce que la confiance du public est ébranlée. Tout le monde ici connaît plusieurs anecdotes de gens qui accusent la guerre en Ukraine ou d’autres raisons, et on voit des entreprises qui utilisent ce genre d’excuses pour justifier des hausses de prix qui semblent exagérées.
On a déjà vu, au Canada, un contrôle des prix et des salaires. Cela date d’il y a longtemps, je ne pense pas que vous étiez sur le marché du travail à cette époque.
Y a-t-il des pratiques semblables dans d’autres pays? En ce moment, nous n’utilisons que la politique monétaire pour combattre l’inflation. Avez-vous analysé d’autres pistes à partir des expériences d’autres pays dont le Canada pourrait s’inspirer pour venir à bout de la lutte contre l’inflation?
M. Durocher : Merci beaucoup pour la question. La politique sur la concurrence et la concurrence, on ne voit pas cela comme un moyen pour traiter l’inflation à court terme.
L’important, à moyen ou long terme, est d’avoir une économie concurrentielle. C’est très important pour assurer la confiance à l’égard des marchés et la performance de l’économie en matière de productivité.
On a des exemples d’autres pays où on a observé les démarches entreprises pour promouvoir la concurrence dans l’économie qui ont eu des retombées importantes. Je donne l’exemple de l’Australie. Dans les années 1990, le pays a mis en place une série de politiques de concurrence qui a transformé l’économie. Cela comprend la révision de 1 800 lois et politiques dans tous les secteurs de l’économie. On a mesuré l’impact de ces mesures en 2005 et on a découvert que le produit intérieur brut a augmenté de 2,5 %, c’est-à-dire de 5 000 $ par foyer en Australie.
On a des exemples, à l’étranger, de l’impact de la concurrence. Dans le contexte de l’inflation, ce sont des exemples concrets pour démontrer l’importance de la concurrence.
Le sénateur Gignac : Pouvez-vous communiquer cette information au greffier? Merci beaucoup.
M. Durocher : Avec plaisir.
[Traduction]
Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins d’être ici. C’est un plaisir de vous accueillir parmi nous ce matin.
Votre message général est simple: le Canada a besoin de plus de concurrence pour avoir une croissance plus forte et plus inclusive. Où en avons-nous le plus besoin? Y a-t-il certains domaines que vous avez cernés où il n’y a pas assez de concurrence? Pourquoi n’y a-t-il pas assez de concurrence? Beaucoup vont blâmer les politiques, les règlements, et cetera, mais si nous examinons des secteurs critiques, comme la concurrence dans les épiceries — et je sais que récemment, le 24 octobre 2022, le Bureau de la concurrence a lancé une étude de marché sur la concurrence dans les épiceries. Pourquoi n’avons-nous pas assez de concurrence? Que pourrait-on faire? Y a-t-il une politique gouvernementale ou une loi qui pourrait être mise en place pour promouvoir une plus grande concurrence?
M. Durocher : Merci beaucoup de la question.
Je pense que la concurrence se manifeste dans l’ensemble de l’économie. Il y a certainement des secteurs où les enjeux liés à la concurrence sont examinés par le Bureau de la concurrence dans un contexte d’application ou de défense des intérêts. Je pense que les exemples incluent les services financiers, où nous avons souvent examiné ces secteurs, et il y a aussi le marché des télécommunications, bien entendu, et nous continuons d’examiner ce secteur, et les soins de santé également. Les produits pharmaceutiques sont également importants, de même que les produits d’épicerie. Il y a un certain nombre d’enjeux.
L’augmentation de la concurrence sur ces marchés, je dirais, est tributaire de deux facteurs. Le premier est les restrictions privées à la concurrence dans l’économie. Il s’agit de la conduite et de l’action des parties privées et des entreprises privées. C’est vraiment une question qui relève de la Loi sur la concurrence. C’est l’outil clé dont nous disposons au Canada pour protéger et promouvoir la concurrence. Il est donc important de s’assurer que la loi est mise à jour et qu’elle soit assortie d’outils nécessaires pour réglementer les comportements qui nuisent à la concurrence.
L’autre consiste à examiner les restrictions publiques à la concurrence. Il s’agit de politiques et de lois gouvernementales qui peuvent accroître les obstacles à l’entrée dans les secteurs ou rendre plus difficile le changement de clientèle. Dans ce cas, il peut incomber au gouvernement de s’assurer que nous apportons une optique de concurrence à nos politiques et règlements existants, ou que nous l’appliquons à de nouvelles politiques et réglementations afin de garantir que les restrictions publiques à la concurrence minimisent réellement les distorsions du processus concurrentiel et des forces du marché.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vais continuer dans la même veine de questions, parce que c’est la façon dont on peut augmenter la concurrence. Vous avez mentionné qu’on peut appeler à la restriction privée et avoir des comportements responsables privés et publics. Pouvez-vous nous donner des exemples publics?
Nous sommes des parlementaires, donc nous pouvons peut-être jouer un rôle du côté public de la chose, dans des secteurs particuliers, pour améliorer la concurrence.
M. Durocher : Absolument. Un exemple concret qui me vient à l’esprit est d’augmenter la concurrence en matière de services financiers. Si on regarde le mouvement d’open banking — je m’excuse, je n’ai pas le terme en français —, c’est un exemple très significatif de la façon de promouvoir la concurrence et de faire en sorte de donner plus de pouvoir aux consommateurs en ce qui concerne leurs données, pour leurs services financiers. On sait que le ministère des Finances travaille à mettre en place un système pour promouvoir cela. Ce serait un exemple concret de ce qu’on peut faire dans le secteur financier pour promouvoir la concurrence et faciliter l’entrée de nouveaux acteurs pour faire concurrence aux plus gros d’entre eux.
Un autre exemple serait le secteur de la télécommunication, avec Internet et les services sans fil. En ce qui concerne la réglementation qui affecte le secteur, le Bureau de la concurrence Canada en fait beaucoup pour promouvoir la concurrence auprès du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) dans ce secteur. On essaie d’amener les preuves pertinentes pour s’assurer que la réglementation du CRTC est la plus concurrentielle possible.
La sénatrice Bellemare : Qu’en est-il du secteur des biens?
M. Durocher : Chaque secteur a une réalité unique quant à ce qui pourrait augmenter la concurrence. Il est évident que si on se penche sur la vente des biens en général, l’influence du commerce en ligne et les mesures pouvant être prises pour faciliter les nouvelles technologies afin d’avoir un impact sur la promotion de l’innovation et les nouveaux acteurs pouvant entrer pour perturber ces marchés, ce serait quelque chose d’assez important.
Au bureau, on s’attarde à l’impact de l’économie numérique et à la façon de promouvoir la concurrence dans ces marchés. La mobilité des données est de plus en plus importante. On en a parlé dans le contexte des services financiers, mais on va de plus en plus voir les données et leur importance, qui peuvent être transférées entre les services. Cela sera de plus en plus important pour promouvoir la concurrence dans toute l’économie.
La sénatrice Bellemare : Merci.
[Traduction]
Le sénateur Marwah : Je remercie les deux témoins.
Je serai bref. J’aimerais obtenir vos commentaires sur la concurrence dans un monde numérique. Selon vous, les pouvoirs que vous confère la Loi sur la concurrence sont-ils de portée assez vaste ou souple pour s’appliquer au monde numérique, ou considérez-vous qu’une réforme s’impose? Si une réforme est nécessaire, a-t-on entrepris des travaux en ce sens? Dans quels domaines une réforme serait-elle nécessaire pour accroître votre efficacité?
M. Durocher : Je vais demander à ma collègue, Leila Wright, de répondre à cette question.
Leila Wright, sous-commissaire, Direction générale de l’application numérique de la loi et du renseignement, Bureau de la concurrence Canada : Merci beaucoup.
Nous avons beaucoup réfléchi à la façon d’améliorer la Loi sur la concurrence pour qu’elle soit mieux adaptée à l’économie numérique. Comme mon collègue M. Durocher l’a mentionné dans sa déclaration, une première série de modifications est entrée en vigueur au cours de la dernière année pour que nous puissions être plus efficaces dans l’économie numérique.
Un autre changement ces deux dernières années est l’augmentation de notre financement dans le budget fédéral. Dans le budget de 2021, le gouvernement nous a accordé 96 millions de dollars sur cinq ans, puis 27,5 millions de dollars par la suite. Ces fonds nous ont permis de trouver des façons d’accroître notre efficacité dans l’économie numérique, en plus d’intensifier notre travail d’application et de promotion. Nous avons créé une nouvelle direction au sein du Bureau de la concurrence. Il s’agit de la Direction générale de l’application numérique de la loi et du renseignement, que je dirige. Son mandat est d’accroître nos compétences et nos connaissances sur l’évolution de l’économie numérique afin de mieux appuyer notre travail d’application de la loi et de promotion, pour veiller à ce que l’économie numérique soit la plus concurrentielle possible.
Le sénateur Marwah : Je comprends, et je suis d’accord avec vous. D’un côté, il y a les modifications et vos pouvoirs, et de l’autre, l’application de la loi. Je suis heureux d’apprendre que vous travaillez sur le volet de l’application. Ma question porte davantage sur vos pouvoirs. Vous avez dit que certaines modifications ont été apportées. Est-ce suffisant? Doit-on en faire davantage, à votre avis? Si vous pensez qu’il faut en faire plus, de qui cela relèverait-il?
M. Durocher : Il y a eu une première série de modifications importantes et utiles qui visaient certainement à rendre le Bureau de la concurrence plus efficace. Nous croyons fermement qu’un examen élargi de la loi est nécessaire. En fait, nous attendons que le gouvernement entreprenne cet examen plus large de la Loi sur la concurrence.
Le Bureau de la concurrence a formulé un certain nombre de recommandations. Ces recommandations ont été faites dans le contexte d’une consultation, lancée par l’ancien sénateur Howard Wetston, qui a fait autorité chez les spécialistes du droit de la concurrence. Nous avions alors présenté, en tant qu’organisme responsable de l’application de la loi, une liste de plus de 30 recommandations sur les façons d’améliorer la Loi sur la concurrence pour nous donner les moyens de protéger et de promouvoir la concurrence dans l’ensemble de l’économie, y compris dans les services numériques.
Certaines questions d’intérêt qui susciteront maints débats, selon nous, sont liées à notre loi en matière de fusionnements. Le Canada a en effet adopté une approche unique pour l’examen des fusions dans une optique antitrust. Quant au rôle des gains d’efficience, le Canada fait figure d’exception sur la scène internationale. Par conséquent, on pourrait dire que la tolérance à l’égard de la concentration économique au Canada est plus grande que dans la plupart des autres pays. C’est important, car les fusions sont un enjeu important en ce qui a trait à la protection de la concurrence dans l’économie, car elles entraînent une concentration et, par conséquent, une diminution de la concurrence. C’est une question majeure qui suscitera un vif débat sur la pertinence de modifier nos lois.
D’autres enjeux sont liés à l’étude des marchés. Nous avons parlé de notre étude sur le secteur de l’épicerie. Un des problèmes, c’est que nous ne disposons pas du pouvoir d’exiger la production de renseignements dans le cadre de nos études. Nous pouvons examiner un secteur, mais nous dépendons uniquement de renseignements qui nous sont fournis volontairement ou de renseignements accessibles au public. Les autres pays partenaires du G7 ont, pour la plupart, le pouvoir d’exiger la production de renseignements afin d’aller véritablement au fond des choses et comprendre les enjeux. Il s’agit d’un obstacle fondamental à notre rôle de protection de la concurrence; cela nous empêche d’avoir une connaissance approfondie de l’état actuel du marché.
Les fusions et les études de marché sont deux exemples probants d’enjeux qui pourraient, selon nous, susciter d’importants débats. Je peux vous dire qu’au Bureau de la concurrence, nous sommes très enthousiastes à l’idée d’un tel débat et d’un examen de nos lois.
Le sénateur Marwah : Je vous remercie.
La présidente : J’aimerais revenir sur une question de temps, car je sais que lorsqu’il a abordé le sujet, le ministre a dit qu’il faut « améliorer l’accès à la justice pour les personnes lésées par des comportements dommageables ». Par rapport au prix des billets d’avion, aux tarifs de téléphonie cellulaire ou aux produits d’épicerie, maintenant, vos études à ce sujet tardent à se concrétiser et prennent beaucoup de temps. Y a-t-il un changement qui permettra aux particuliers de recourir à vous comme mécanisme pour obtenir réparation?
M. Durocher : Une des modifications qui a été apportée en juin dernier et qui a reçu la sanction royale permet aux parties privées d’intenter elles-mêmes des recours en vertu de l’article 79 de la Loi sur la concurrence, la disposition sur l’abus de position dominante. Cette modification importante vise précisément à permettre aux gens d’intenter des recours et à éviter que le Bureau de la concurrence soit la seule entité chargée de l’application d’une de ces dispositions clés. Nous avons évidemment entendu les commentaires selon lesquels l’impossibilité d’obtenir des dommages-intérêts pourrait décourager les gens à le faire, mais il s’agit sans contredit d’un important point de départ.
La présidente : Nous y reviendrons plus tard.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins de leur présence.
Aujourd’hui même, si vous demandez aux Canadiens ordinaires de parler de leurs difficultés à joindre les deux bouts, vous constaterez qu’ils sont très en colère par rapport à des choses qui touchent leur vie de tous les jours, comme le prix de l’épicerie ou le prix de l’essence pour leur véhicule. Ils vous diront qu’ils pensent qu’il y a quelque chose de corrompu dans notre pays. Ils ont peut-être raison, de mon point de vue, car les augmentations de prix qu’ils voient et qu’ils subissent leur compliquent certainement la vie. Il n’y a pas de mécanismes ni d’outils pour y remédier. Ils comptent sur les efforts d’organismes comme le vôtre pour faire la lumière sur cette situation et, en fin de compte, pour changer les comportements, étant donné le travail que vous faites relativement à la concurrence entre les épiceries et aux augmentations de prix.
Je reviens au point que vous avez soulevé plus tôt, à savoir que vous ne pouvez pas les obliger à vous donner les données dont vous avez besoin pour faire enquête. Dans ce cas, de quels moyens musclés disposez-vous? Essentiellement, c’est ce qui sous-tend votre enquête et vous donne un portrait complet de l’état du marché. Soyons justes : comment les consommateurs canadiens peuvent-ils être certains de ce qui se passe? Nous pouvons dire que la hausse des prix des produits est normale, qu’elle peut se répercuter sur les consommateurs, mais lorsque cela ne correspond pas à la hausse réelle, on a affaire à une tentative délibérée de fausser le marché. Donc, comment est-il censé y avoir de la concurrence? Je suis conscient que votre organisme dépend de ses maîtres politiques. Pourriez-vous expliquer cela aux gens qui nous regardent de façon à ce qu’ils puissent comprendre comment nous pouvons améliorer votre rôle de chien de garde au nom du public.
M. Durocher : Prenons l’étude sur le secteur de l’épicerie. Nous ne pouvons pas exiger la communication de renseignements. Je précise que nous n’enquêtons pas sur des actes répréhensibles dommageables précis que nous aurions constatés sur le marché. Cela dit, nous examinerons le secteur attentivement avec les outils à notre disposition, et si nous découvrons des preuves d’actes répréhensibles, nous enquêterons et prendrons les mesures appropriées.
Quant à la confiance des Canadiens à l’égard du Bureau de la concurrence, je dirais que ces jours-ci, nous prenons des mesures et agissons avec un sentiment de vigilance accrue afin de nous protéger de pratiques anticoncurrentielles dans un environnement inflationniste. C’est un aspect que les professionnels du Bureau de la concurrence prennent très au sérieux, et nous utilisons tous les outils à notre disposition pour protéger et promouvoir la concurrence à cet égard.
Pour revenir à l’étude sur le secteur, nous sommes convaincus de pouvoir présenter au gouvernement, en fin de compte, d’importantes recommandations sur la façon d’améliorer la concurrence dans le secteur. Nous nous attendons à ce que des centaines de parties intéressées nous transmettent leurs idées et leurs solutions pour accroître la concurrence au sein du marché. Nous discuterons avec nos homologues internationaux pour comprendre ce que les autres pays ont fait à cet égard, ce qui contribuera à nous éclairer. Nous sommes convaincus de pouvoir présenter un rapport contenant d’importantes recommandations en juin 2023.
Mme Wright : Permettez-moi d’ajouter aux propos de M. Durocher. Il parle de nos capacités d’étudier le marché. Nous avons également des capacités d’application de la loi qui nous permettent d’exiger des renseignements. Plus tôt cette année, le commissaire de la concurrence a déclaré que le Bureau de la concurrence n’aura aucune tolérance à l’égard des entreprises qui profitent de la période d’inflation pour augmenter les prix plus qu’il le faut ou qui adoptent des pratiques anticoncurrentielles comme la fixation des prix avec leurs concurrents.
En outre, nous avons annoncé plus tôt cette année que nous faisons partie d’un groupe de travail international sur les perturbations de la chaîne d’approvisionnement que nous avons créé avec nos homologues de la Nouvelle-Zélande, de l’Australie, des États-Unis et du Royaume-Uni. Dans le cadre de ses travaux, le groupe cherche en particulier à déterminer s’il existe des preuves que certaines entreprises profitent des perturbations de la chaîne d’approvisionnement pour augmenter les prix et se livrer à des activités collusoires comme la fixation des prix.
Le Bureau de la concurrence fait un travail considérable qui témoigne de la vigilance dont nous faisons preuve en cette période d’inflation et de la surveillance que nous exerçons sur le marché pour prévenir les activités anticoncurrentielles illégales.
Le sénateur Yussuff : Étant donné les lacunes que vous avez soulignées concernant vos pouvoirs et votre autorité, et à la lumière des travaux de notre collègue retraité, le sénateur Howard Wetston, comment le Sénat peut-il vous aider à effectuer la réforme nécessaire pour votre organisme afin d’accroître la confiance des Canadiens devant les défis qui pourraient se poser périodiquement alors que l’économie traverse des cycles comme celui que nous connaissons actuellement?
M. Durocher : Je vous remercie de la question.
Voici comment la politique sur la concurrence fonctionne au Canada : le Bureau de la concurrence est chargé de l’application de la Loi sur la concurrence, mais celle-ci relève du ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique et de son ministère. Nous travaillons en étroite collaboration avec le ministère pour discuter de nos expériences avec la mesure législative et des points à améliorer, mais fondamentalement, toute question relative à d’éventuelles modifications relève d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada.
Pour ce qui est du Sénat, je dirais que nous avons certainement un grand intérêt pour les questions qui sont soulevées au comité sur les questions de concurrence. Il est essentiel d’examiner constamment les politiques et les programmes sous l’angle de la concurrence, que ce soit ici ou dans d’autres comités. Beaucoup de mesures peuvent être prises, pour revenir au système bancaire ouvert, par exemple, pour véritablement accroître la concurrence au pays. Ce comité fait un excellent travail à cet égard, pour mettre en lumière certaines de ces questions. Je pense que c’est très important.
La présidente : Je vous remercie de ce conseil.
Le sénateur C. Deacon : Madame Wright et monsieur Durocher, je vous remercie d’être ici avec nous. C’est un plaisir pour moi, comme vous le savez. Je suis un fervent partisan de la réforme du droit de la concurrence.
Le travail du sénateur Wetston a été mentionné à plusieurs reprises. Je suis fier d’héberger tout ce travail sur mon site Web. J’encourage tous ceux qui veulent en apprendre davantage sur cet excellent processus à consulter le site.
Je veux poursuivre dans la veine des deux questions précédentes pour savoir ce qu’il faut faire entretemps, étant donné l’annonce de l’examen — approfondi et inclusif, espérons-le — de la Loi sur la concurrence. Sans compter que nous sommes à Ottawa, où un tel processus peut s’étirer sur des années.
Je m’interroge sur le renforcement des outils, dans l’intervalle, alors que nous constatons une croissance et des profits considérables dans certains de nos secteurs à structure oligopolistique, c’est-à-dire pratiquement tous les secteurs. Nous constatons une forte croissance des profits dans ces secteurs, en raison de l’inflation et de la hausse des prix. J’ai notamment souligné l’exemple des banques, dont les profits ont augmenté à un taux six fois plus élevé que le taux de l’inflation durant la pandémie, augmentations de frais comprises.
L’Union européenne a adopté, de toute évidence, une approche très ferme à cet égard, en plus d’avoir une loi sur la concurrence beaucoup plus musclée. Elle a adopté une position beaucoup plus ferme. J’ai lu une publication de l’IRPP à ce sujet.
J’aimerais connaître votre avis sur cette période intermédiaire, car le Canada a tout un défi à relever. Le président l’a mentionné, comme les témoins précédents. Comment composer avec cela, dans le contexte où la réforme de la Loi sur la concurrence pourrait prendre plusieurs années à se concrétiser? Je préférerais une avenue beaucoup plus rapide.
M. Durocher : Je vous remercie de la question.
La solution repose en partie sur l’établissement d’une culture de la concurrence au pays. C’est d’ailleurs l’une des priorités de notre commissaire, M. Matthew Boswell. Il est important de favoriser la valorisation de la concurrence dans le domaine économique.
Prenons un peu de recul : la dernière révision majeure de la politique en matière de concurrence au Canada remonte à 2008, avec un groupe d’experts indépendant présidé par M. Red Wilson. Une des principales conclusions du rapport final de 2008 était que le Canada est considéré comme un pays qui n’accorde pas assez d’importance à la concurrence dans la conduite de ses affaires économiques. C’est un aspect très important. Je dirais que j’ai bon espoir qu’il y aura un renversement de tendance.
Des mesures importantes ont été prises dans la dernière année. Le budget du Bureau de la concurrence a été augmenté après avoir stagné pendant une décennie. C’est un facteur très important, comme Mme Wright l’a souligné. Les premières modifications apportées à la Loi sur la concurrence étaient importantes. Cet examen élargi est d’une importance capitale pour nous donner les outils dont nous avons besoin.
Entretemps, il ne faut pas oublier l’importance de mettre la concurrence en lumière : nous devons saisir sa valeur, et pas seulement pour les consommateurs, mais aussi pour notre économie. Comme nous sommes nombreux à le savoir, le Canada est reconnu pour son retard en matière de croissance de la productivité. Nous savons que la concurrence et l’intensité de la concurrence favorisent la productivité et la croissance de l’innovation. Le rapprochement de ces deux facteurs grâce à des discussions comme celle-ci à des comités d’envergure constitue une étape importante pendant la transition : la culture de la concurrence se renforcera grandement au Canada, tant dans la mentalité du grand public qu’auprès des consommateurs et des entreprises.
Mme Wright : Je peux aussi parler de la nouvelle direction qui a été créée au sein du Bureau de la concurrence : la Direction générale de l’application numérique de la loi et du renseignement. Cette direction a vu le jour pour aider le bureau à affûter ses outils, tant du côté de l’application de la loi que du côté de la promotion.
Cette direction regroupe différents champs d’expertise qui manquaient au bureau auparavant. Nous comptons une équipe pour l’analyse de données qui pourra maintenant mettre son expertise à profit afin d’accroître la vitesse et l’efficacité du bureau et de mieux comprendre comment les compagnies se servent des données à leur avantage dans l’économie numérique.
De son côté, notre équipe du renseignement veillera à cerner les méfaits aussi rapidement que possible pour que nous puissions cibler les marchés nécessitant soit des efforts d’application de la loi ou de promotion afin de rendre les marchés plus concurrentiels.
Nous comptons aussi sur une équipe axée sur la technologie qui veillera à comprendre les nouvelles technologies dans le marché afin que nous tirions profit plus rapidement d’une longueur d’avance.
Nous pouvons également nous appuyer sur une équipe se penchant sur l’économie comportementale. Nous constatons de plus en plus que les compagnies, en cette ère numérique, utilisent cette discipline pour servir leurs intérêts. Elles induisent parfois les consommateurs en erreur en s’appuyant sur des données comportementales, ce qui leur permet de comprendre comment les manipuler.
Au sein du Bureau de la concurrence, nous mettons sur pied un centre d’expertise afin de mieux comprendre ce domaine et ainsi savoir comment demeurer vigilants et rester au courant de cet enjeu dans l’économie.
Le sénateur Smith : Bienvenue, et merci de comparaître devant nous.
Le budget de 2022 a apporté des changements à la Loi sur la concurrence en ce qui a trait à la fixation des salaires et aux accords de non-débauchage. Il est prévu que certains des changements entrent en vigueur à l’été 2023. Pouvez-vous expliquer l’incidence de la fixation des salaires et des ententes de non-débauchage sur la concurrence au Canada? Puis, en question complémentaire, y a-t-il des secteurs précis de notre économie où la fixation des salaires et les ententes de non-débauchage sont plus répandues comparativement aux autres milieux?
M. Durocher : Je vous remercie de la question.
La plupart des changements annoncés dans le budget sont entrés en vigueur sur-le-champ. Les changements aux dispositions criminelles, y compris sur la fixation des salaires et le non-débauchage, entreront en vigueur en juin 2023 afin de donner suffisamment de temps aux entreprises pour se conformer à la loi. Essentiellement, les changements érigeront en infraction les ententes entre employeurs pour établir les taux versés à leur main-d’œuvre et les ententes mutuelles stipulant de ne pas débaucher des employés.
Depuis la mise en œuvre de ces modifications, nous organisons des séances d’information publiques et nous hébergeons un portail pour permettre aux Canadiens et aux entreprises de nous poser des questions. La disposition sur la fixation des salaires et les ententes de non-débauchage attire énormément d’attention, à juste titre, parce que les entreprises veulent respecter ces exigences législatives. Nous planifions, d’ici la fin de l’année civile, de publier un document d’orientation afin que le milieu des affaires comprenne avec plus de clarté et de certitude les conséquences des changements, ce qui leur permettra de les respecter. Nous nous inspirons grandement des questions et de la rétroaction reçues pour rédiger le document que nous publierons.
Pour ce qui est des secteurs où les changements sont pertinents, il est difficile de cerner un secteur en particulier à l’heure actuelle. Nous savons qu’il existe également, dans le milieu commercial, de nombreuses ententes contenant des clauses de non-sollicitation; les avocats étudieront donc minutieusement le document d’orientation que nous diffuserons.
Ce qu’il faut retenir, c’est que nous allons publier un document d’orientation dans les prochains mois et que nous allons consulter le grand public à ce sujet, l’objectif étant de le peaufiner bien avant juin 2023.
Le sénateur Smith : Pouvez-vous nous faire part de détails intéressants ou de renseignements préliminaires qui retiennent votre attention?
M. Durocher : Nous y réfléchissons très assidûment depuis quelques mois. Les événements à l’international influencent également notre réflexion. À titre d’exemple, aux États-Unis, on s’est aussi penché sur ces types d’ententes dans une perspective criminelle; la compréhension de l’expérience américaine s’avérera donc importante.
De la part du grand public, nous avons reçu des dizaines de questions à propos de la répercussion des changements dans des scénarios précis. Nous nous attelons actuellement à analyser la correspondance reçue afin de garantir que notre document d’orientation sera aussi utile que possible.
Le sénateur Smith : Merci.
Le sénateur Loffreda : Je reviens au lancement du 24 octobre 2022, par le Bureau de la concurrence, de l’étude de marché sur la concurrence entre les détaillants de l’alimentation. Vous avez mentionné que vous publierez le rapport en juin 2023 — si c’est exact — et que vous faites partie d’un groupe de travail international. Cela dit, nous sommes au fait de l’incidence de l’inflation à l’épicerie et sur nos provisions; nous la subissons tous, et les Canadiens s’en préoccupent grandement. Pourquoi avez-vous lancé l’étude? Était-ce précisément en réponse au phénomène que je viens de décrire? Y a-t-il d’autres milieux en proie à une inflation préoccupante pour lesquels vous envisagez de lancer une étude similaire? Comme vous faites partie du groupe de travail international, savez-vous si d’autres pays entament des études similaires? D’autres pays ont-ils dévoilé des résultats? Ou de quelles leçons tirées dans votre travail jusqu’à présent pouvez-vous nous faire part?
M. Durocher : J’aimerais simplement faire une distinction : le groupe de travail international se concentre davantage sur le volet de l’application de la loi, alors les membres ne mènent pas nécessairement d’études. Il s’agit d’un groupe de travail international qui étudie les problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement qui pourraient traverser les frontières. L’objectif est de cerner et de communiquer de l’information sur ce qui se passe afin d’appliquer la loi en ce sens.
Le sénateur Loffreda : Pouvez-vous nous faire part de leçons tirées de cette collaboration?
M. Durocher : Je ne peux communiquer publiquement de renseignements provenant de ce groupe en raison de la nature confidentielle des activités. Je dirai toutefois que, sur la scène internationale, nous travaillons en très étroite collaboration avec nos partenaires de l’étranger pour évaluer ce qu’ils entendent dans certains marchés et discuter des dossiers qui retiennent leur attention. Cette mise en commun nous aide à orienter nos efforts, ici aussi, au Canada.
Pour ce qui est du secteur de l’alimentation au détail, l’étude est en branle depuis un certain temps, ou nous envisageons de la mener depuis un certain temps. Il fallait entre autres nous assurer de disposer de toutes les ressources nécessaires. Notre équipe de promotion de la concurrence, ici au Canada, est petite, mais puissante, et nous venons tout juste de terminer une étude de très grande envergure sur les services de santé numériques. Jusqu’à maintenant, nous avons publié deux de nos trois rapports analysant comment améliorer la concurrence dans le secteur des soins de santé numériques et comment en tirer parti. Le sujet était bien entendu très important et brûlant d’actualité pendant la pandémie. À la fin de cette étude, nous avons pu passer à la suivante, soit celle sur l’alimentation au détail. Bien honnêtement, nous avons porté beaucoup d’attention aux inquiétudes croissantes des Canadiens quant à leurs expériences à l’épicerie et, bien entendu, à ce que les électeurs communiquent aux parlementaires. Nous voulions nous assurer de mettre notre expertise sur la concurrence à contribution dans un secteur qui importe grandement aux Canadiens à l’heure actuelle.
Le sénateur Loffreda : Croyez-vous que la concurrence fait défaut dans ce secteur, au Canada? Le cas échéant, pourquoi? Ce secteur est tellement essentiel, et il importe aux Canadiens. Le problème est-il attribuable aux grandes sociétés qui en acquièrent de plus petites? Il faudrait peut-être que le gouvernement examine la question un jour parce que c’est un secteur où les erreurs ne sont pas permises. Ce secteur est essentiel pour les Canadiens. Pourquoi la concurrence fait-elle défaut?
M. Durocher : Un des facteurs ayant déclenché l’étude est le désir de mieux comprendre si les augmentations récentes de prix pourraient s’expliquer par une évolution de la dynamique concurrentielle chez les détaillants de l’alimentation. Je ne veux pas présumer d’une réponse à cette question parce que c’est ce que nous allons étudier. L’objectif vise à formuler des recommandations, mais l’enjeu est important.
J’ajouterai que nous sommes intervenus dans ce secteur au fil des ans en examinant les fusions et en forçant la vente de magasins dans des marchés locaux partout au Canada à cause de problèmes de concurrence. Nous avons mené une enquête des plus poussées, qui a pris fin en 2017, sur la pratique de Loblaws auprès de ses fournisseurs. De plus, une enquête est bien entendu en cours sur la fixation des prix du pain. Nous continuons de nous intéresser activement à ce secteur, mais, dans le cadre de cette étude de marché, nous examinons globalement la concurrence des détaillants alimentaires afin de déterminer les étapes que pourra prendre le gouvernement pour accroître la concurrence à l’avenir.
La présidente : Je veux simplement revenir à la question des délais puisque nous savons que votre processus se caractérise par sa longueur et sa lenteur. Le sénateur Yussuff a soulevé certains de ces enjeux. Fournissez-vous des moyens de communication — comme des audiences publiques, un site Web, ou tout autre outil — permettant au grand public de décrire à tout le moins ce qu’il vit? Les renseignements pourraient s’avérer utiles pour vous, mais pourraient aussi représenter une soupape de sûreté.
M. Durocher : Tout à fait, madame la présidente. Depuis le début de l’étude sur le secteur de l’épicerie, nous hébergeons un portail où nous invitons les Canadiens à nous faire part de leurs expériences. Je crois comprendre que le portail a déjà suscité beaucoup d’intérêt. Les Canadiens expriment leurs expériences, leurs inquiétudes et leurs idées quant à la façon de favoriser la concurrence. L’interaction et la rétroaction du grand public sont primordiales dans ce processus.
La présidente : En question complémentaire, j’aimerais savoir s’il existe un mécanisme, avant l’achèvement l’an prochain du rapport définitif, pour que vous effectuiez entretemps une analyse des commentaires du grand public.
M. Durocher : Un grand nombre de commentaires seront rendus publics, alors tous pourront les consulter. Par le passé, il est arrivé que nous publiions des rapports intitulés « Ce que nous avons entendu. » Dans le cas qui nous occupe, je crois que nous tentons de trouver l’équilibre entre, d’une part, l’importance d’agir rapidement et avec souplesse pour rédiger un rapport définitif et, d’autre part, les dispositions de confidentialité prévues dans notre processus que nous devons respecter. Nous sommes conscients de l’importance d’agir vite. Les enjeux liés au droit de la concurrence et à la concurrence sont, par leur nature, complexes, mais nous savons qu’il nous faut agir rapidement.
Le sénateur C. Deacon : Encore une fois, je suis tellement heureux que vous soyez tous deux parmi nous.
Le gouverneur et la première sous-gouverneure de la Banque du Canada ont souligné, plus tôt cette semaine, l’importance d’une concurrence accrue pour accélérer la croissance économique et lutter contre l’inflation. La concurrence représente un inestimable allié pour ces priorités de la Banque du Canada.
Je veux aborder un domaine précis : le droit de réparer. Les pressions inflationnistes qui bafouent le droit de réparer des consommateurs pour les articles qu’ils achètent se transforment en problème grandissant. C’est d’autant plus vrai dans une économie axée sur les données, et je suis ravi que vous, madame Wright, dirigiez cette équipe au Bureau de la concurrence. Je réfléchis au besoin d’intégrer différents textes de loi puisque les pouvoirs empêchant les abus ne se retrouvent pas nécessairement dans la Loi sur la concurrence. Je pense aux projets de loi C-27 et C-11, ainsi qu’à d’autres projets de loi qui touchent directement à la concurrence. Le droit de réparer est de plus en plus essentiel dans le secteur agricole et pour quiconque possède un véhicule. En étant privés du choix de réparateurs pour leurs appareils, petits et gros — et comme la concurrence ne s’intensifie pas dans ce secteur de l’économie —, les consommateurs doivent payer des sommes exorbitantes qui montent en flèche.
Pouvez-vous vous prononcer là-dessus? J’ai vu que vous prenez beaucoup la parole à ce sujet dans les médias sociaux et j’aimerais entendre vos conseils.
M. Durocher : Je vous remercie de la question.
Nous faisons la promotion du droit de réparer grâce à des outils de sensibilisation de plus grandes envergures. Nous tentons en effet d’attirer l’attention sur l’enjeu et de fournir notre expertise alors que d’autres pans du gouvernement envisagent des modifications législatives ayant une incidence sur le droit de réparer.
La réforme du droit d’auteur représente un grand dossier à l’heure actuelle. Nous essayons de mettre notre expertise à profit et de formuler des recommandations précises pour promouvoir adéquatement le droit de réparer alors que les textes de loi sur la PI — la propriété intellectuelle — sont modifiés.
D’autre part, il faut s’assurer que les consommateurs sont conscients de leurs droits et des avantages assortis au droit de réparer. Comme vous l’avez relevé, nous venons de lancer une série de vidéos sur les médias sociaux qui expliquent nos efforts en matière du droit de réparer, l’importance de ce droit et pourquoi il importe pour la concurrence et pour l’affranchissement des consommateurs.
Le volet environnemental représente un autre facteur. Plus les consommateurs utilisent leurs produits longtemps, moins ils génèrent de déchets. Le droit de réparer est donc bénéfique pour l’économie, la concurrence, les consommateurs et, en prime, pour l’environnement.
La sénatrice Bellemare : Je me pose une question : comment mesurez-vous l’ampleur de la concurrence dans l’industrie du pétrole et du gaz pour les automobilistes qui font le plein d’essence? Les prix fluctuent constamment, et ils augmentent ces temps-ci. D’aucuns affirment que les compagnies profitent des événements d’ailleurs pour fixer des prix arbitraires. Enquêtez-vous aussi sur cet enjeu?
Mme Wright : Je peux expliquer comment nous menons généralement nos analyses de la concurrence. Avant de ce faire, j’aimerais souligner que le Bureau de la concurrence est très au fait des prix de l’essence et que nous consacrons beaucoup de temps à ce dossier. Il y a quelques années, nous avons même publié un rapport — que je serais heureuse d’acheminer à ce comité — expliquant les différents marchés impliqués dans le secteur pétrolier et gazier et la façon dont les fluctuations dans chacun de ces marchés peuvent influencer le prix à la pompe pour les consommateurs. Nous avons effectué cet exercice pour que le grand public puisse réellement saisir les différents facteurs qui sont pris en considération.
Généralement, une analyse de la concurrence commence par la définition du marché en question. Nous devons cerner le marché du produit et l’emplacement de ce marché; puis, dans ce marché précis, nous déterminons s’il existe une préoccupation relative à la concurrence. Le nombre de concurrents efficaces y est-il suffisant? Nous effectuons une analyse économique; ce type d’analyse sert donc à comprendre les marchés.
Le Bureau de la concurrence est également doté d’une direction étudiant les cartels. Elle détermine si les concurrents dans les industries, y compris dans l’industrie de l’essence, fixent les prix. Les employés de cette division cherchent activement à comprendre si les prix similaires d’une station-service à l’autre s’établissent ainsi naturellement dans le marché ou s’ils s’expliquent par une quelconque activité illégale.
J’espère avoir répondu à votre question.
La sénatrice Bellemare : Merci.
Le sénateur C. Deacon : J’aimerais tourner un peu le regard vers le reste du monde et comparer les différences qui existent entre le Canada et d’autres pays. La situation est telle au Canada que le Bureau de la concurrence relève désormais du ministre plutôt que du Parlement. Je me demande quelles différences il peut y avoir à l’échelle mondiale qui pourraient nous aider à comprendre où il y aurait possibilité pour nous de vraiment pousser en tant que comité. Je pense que ce que nous avons entendu, en vérité, c’est que votre travail rejoint beaucoup ce que nous faisons autour de cette table, il est donc important pour nous de comprendre l’étendue de vos pouvoirs, et peut-être de quels pouvoirs vous devriez disposer et ce qui se fait dans d’autres pays. Chose certaine, le président Biden exerce une forte pression en ce sens. C’est incroyable de voir les efforts déployés. Pourriez-vous me donner un aperçu général de ce qui nous différencie et des éléments sur lesquels nous sommes peut-être à la traîne?
M. Durocher : Je serai heureux de répondre à cette question.
Nous faisons souvent des analyses comparatives avec nos homologues internationaux, je dirais particulièrement avec les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Europe, l’Australie et la Nouvelle-Zélande, parce qu’il y a des similitudes dans nos modes de fonctionnement et que ce sont des partenaires commerciaux communs du Canada. Ce que nous observons dans les autres pays, je dirais que nous pouvons l’absorber au Canada et en tirer des pratiques exemplaires. Ils adoptent une approche pangouvernementale de la concurrence.
Prenons l’exemple des États-Unis, le président Biden a signé un décret présidentiel pour promouvoir la concurrence dans toute l’économie américaine, puis a créé le Conseil de la concurrence de la Maison-Blanche. Si vous regardez bien la composition de ce conseil de la concurrence, vous verrez que les plus hautes instances du cabinet américain y sont représentées. Ce conseil a tenu trois réunions à ce jour, qui ont eu des résultats tangibles, dont deux auxquelles le président Biden a assisté, et où le conseil a examiné les différents secteurs de l’économie et les mesures qu’ils peuvent prendre pour stimuler la concurrence. Il s’agit assurément d’un modèle intéressant que nous surveillons et qui produit des résultats tangibles.
Dans le monde, l’Australie est toujours un pays qui a une très forte culture de la concurrence dans ses façons de faire. Elle prend la chose très au sérieux. Elle a notamment procédé à des réformes dans les années 1990 pour reconnaître qu’il n’y avait pas assez de concurrence dans son économie et pour trouver des moyens de la stimuler. Encore une fois, la chose la plus importante à retenir de cette expérience, c’est l’ampleur des avantages qu’elle en a retirés. Après coup, la Commission australienne de la productivité a analysé ces avantages et les a évalués à 2,5 % du PIB du pays, au moins. Elle jugeait cette estimation prudente.
Lorsque nous examinons les exemples et ce qui se passe ailleurs, de notre point de vue, le message qui se dégage, c’est que nous avons tout intérêt à miser réellement sur la concurrence au Canada pour faire croître notre productivité, parce que le potentiel est grand.
Nous sommes constamment à l’affût de changements. Nous savons que l’équipe chargée de la politique de la concurrence à ISDE est très attentive à ce qui se passe ailleurs également. Il s’agit en partie de nous tenir au courant des bonnes approches en matière de concurrence quand nous examinons notre propre législation également, parce qu’il y a beaucoup de changements qui sont envisagés en ce moment. Il y a la loi sur les marchés numériques qui est entrée en vigueur en Europe et qui représente un grand changement pour les grandes plateformes numériques. Nous surveillerons toute nouvelle mesure législative. La sénatrice Klobuchar, aux États-Unis, a d’ailleurs déposé des projets de réforme des lois antitrust très ambitieux. Nous verrons ce qu’il en adviendra après les élections de mi-mandat. Nous suivons de très près les développements internationaux pour voir comment nous pouvons améliorer notre travail au bureau et nos lois également.
Le sénateur C. Deacon : Auriez-vous quelque chose à ajouter, madame Wright, en ce qui concerne l’importance des données et de leur portabilité à mesure que nous avançons? C’est fondamental afin de générer de la valeur pour les citoyens.
Mme Wright : Absolument. La portabilité des données est tellement importante. Nous avons fait de nombreuses recommandations en faveur de services bancaires ouverts et pour souligner l’importance de ces services, mais les avantages de la portabilité des données ne se limitent pas aux services bancaires ouverts; elle s’applique à de nombreux marchés et dans différents secteurs maintenant.
Je me souviens qu’à l’époque où nous étudiions les services bancaires ouverts, une étude avait été réalisée au Royaume-Uni pour estimer la valeur des avantages que l’économie britannique tirait des services bancaires ouverts. Je ne me souviens plus du chiffre, du montant précis, mais la valeur des avantages qu’on peut tirer de ce genre d’obstacle à la concurrence sur le marché était stupéfiante. Plus nous le verrons au Canada, plus nous serons en mesure d’accueillir d’autres concurrents dans l’économie numérique et d’être vraiment concurrentiels.
Le sénateur C. Deacon : J’aurais une petite question simple pour terminer. Je sais, madame la présidente, que c’est ma dernière minute. Elle porte sur la concurrence entre les produits fabriqués au Canada ou les produits locaux. Il y a un mythe urbain selon lequel si nous ouvrons davantage la porte à la concurrence, nous n’attirerons que des entreprises étrangères sur notre marché. C’est une question totalement à part. Observez-vous des pratiques exemplaires où que ce soit dans le monde pour stimuler la concurrence locale?
M. Durocher : Nous estimons que les données sont très claires sur ce point. Si nous voulons que les entreprises canadiennes soient plus concurrentielles à l’étranger, cela doit commencer chez nous. Toutes les recherches sérieuses mettent ce fait en évidence. L’intensité concurrentielle au sein du pays est ce qui permet aux entreprises d’être plus concurrentielles à l’étranger. Si nous voulons que les entreprises canadiennes soient plus concurrentielles à l’étranger, cela doit commencer chez nous, et nous devons favoriser l’intensité concurrentielle dans l’économie canadienne.
La présidente : Merci beaucoup à nos témoins : Anthony Durocher, sous-commissaire à la Direction générale de la promotion de la concurrence, au Bureau de la concurrence du Canada, et Leila Wright, sous-commissaire à la Direction générale de l’application numérique de la loi et du renseignement, également au Bureau de la concurrence du Canada. Nous vous remercions de vos observations. S’il y a des documents qui nous seraient utiles, selon vous, je vous prie de nous les faire parvenir.
La semaine prochaine sera la semaine du Souvenir, donc nous nous reverrons le mardi de la semaine suivante pour continuer notre étude sur l’état de l’économie. Merci de votre contribution.
(La séance est levée.)