LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 17 novembre 2022
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier des questions concernant les banques et le commerce en général.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous ceux qui nous regardent et à ceux qui sont dans la salle avec nous. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente de ce comité.
J’aimerais maintenant présenter les autres membres, en commençant par le vice-président, le sénateur Colin Deacon. Nous avons aussi avec nous le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith, le sénateur Marwah, qui remplace le sénateur Woo, et je crois que c’est notre effectif pour l’instant.
Pour reprendre notre discussion sur l’état de l’économie canadienne et l’inflation, nous sommes heureux d’accueillir aujourd’hui M. Jean-François Perrault, premier vice-président et économiste en chef de la Banque Scotia. Monsieur Perrault, je vous remercie de votre patience et de votre indulgence. Nous vous avons invité à plusieurs reprises, puis des affaires internes nous ont empêchés de vous recevoir. Nous sommes donc très heureux que vous soyez ici. Je crois comprendre que vous avez une déclaration préliminaire?
Jean-François Perrault, premier vice-président et économiste en chef, Banque Scotia : Je n’avais pas prévu cela, mais je serai heureux d’en faire une, si vous le souhaitez.
La présidente : J’allais préparer le terrain pour vous parce que, pas plus tard qu’hier soir, je lisais cet article rédigé par deux agrégés supérieurs de recherches à l’Université Stanford, et j’ai pensé que c’était peut-être l’analyse la plus simple de l’état de l’économie canadienne par laquelle nous pourrions commencer :
La cause la plus importante de l’inflation au Canada est bien simple : à partir de 2020, le gouvernement a emprunté et largement distribué plus de 700 milliards de dollars. Les gens les ont dépensés, ce qui a fait grimper les prix.
Pouvez-vous nous dire si vous approuvez cette analyse de l’économie?
M. Perrault : Je ne l’approuve pas entièrement. Je pense qu’il faut commencer par comparer ce qui se passe chez nous par rapport au reste du monde, pour voir si nous faisons quelque chose de différent des autres pays. On constate ainsi que l’inflation au Canada est plus faible qu’aux États-Unis, en Europe et au Royaume-Uni, où les gouvernements ont pourtant mis en place des programmes massifs de dépenses de toutes sortes.
Lorsqu’on regarde l’inflation au Canada, environ les deux tiers de la hausse observée depuis la pandémie, disons depuis la fin de 2019, sont attribuables à des facteurs internationaux, comme l’inflation aux États-Unis, les fluctuations des prix du pétrole et l’étranglement de l’offre, tandis que le tiers environ tient à des facteurs purement canadiens, qu’on peut relier à l’emploi, aux salaires et à ce genre de choses.
Je pense que là où la question financière entre peut-être davantage en ligne de compte, c’est dans le rythme auquel nous retirons les mesures destinées à stimuler l’économie. Nous avons un problème d’inflation. Nous pensons qu’il aurait fallu retirer plus rapidement ces mesures de relance. Nous aurions peut-être alors moins d’inflation.
Aussi, peut-être que les mesures de relance ont eu un effet... Comme nous le savons, les Canadiens ont encore passablement d’argent dans leurs comptes bancaires. Il y a là un coussin assez appréciable, ce qui a pour effet d’atténuer, dans une certaine mesure, l’incidence de la hausse des taux d’intérêt sur l’économie. Par conséquent, la Banque du Canada devra probablement en faire davantage pour calmer les choses par rapport à ce qui serait arrivé dans le passé, étant donné que nous avons des centaines de milliards de dollars en dépôts supplémentaires dans le système. Ce ne serait pas le cas si le gouvernement n’avait pas été aussi généreux du côté financier.
La présidente : Merci de nous avoir donné le coup d’envoi.
Le sénateur C. Deacon : Merci de votre présence ici aujourd’hui, monsieur Perrault.
C’est aujourd’hui la première journée de la consultation entreprise par Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISDE, au sujet de la Loi sur la concurrence. Un certain nombre de témoins nous ont parlé de l’importance d’une solide concurrence pour gérer l’inflation. Le gouverneur a dit que c’était un allié très important dans la lutte contre l’inflation, les taux d’intérêt étant évidemment un instrument très grossier qui peut avoir beaucoup d’effets pervers, et la concurrence peut avoir une énorme incidence sur le consommateur.
J’aimerais que vous nous disiez ce que vous en pensez, pour voir si vous êtes d’accord et s’il y a une certaine unité de vues à ce sujet, et si vous avez quelque chose à ajouter.
M. Perrault : Absolument. Quand on parle de maîtriser l’inflation, cela peut se faire de deux façons. On peut la maîtriser en faisant baisser la demande. Après tout, l’inflation est fonction de l’écart entre la demande et l’offre. On peut utiliser les taux d’intérêt pour faire baisser la demande ou on peut recourir à des politiques, dans la mesure où c’est possible, pour augmenter l’offre. On comble l’écart en nous rendant essentiellement plus productifs, en nous amenant à produire davantage avec le même nombre de travailleurs, par exemple. Ce n’est pas une solution à court terme. Cela ne peut jamais l’être.
Les gouvernements — le nôtre y compris — essaient depuis longtemps d’accroître la productivité. Personne n’y arrive vraiment, mais c’est vu comme une sorte de solution magique. Si vous pouvez trouver des façons de le faire, vous réussirez à coup sûr à élever notre niveau de vie de façon non inflationniste. C’est en quelque sorte le Saint-Graal de la politique économique. Si vous réussissez à faire cela, vous valez littéralement votre pesant d’or.
Le sénateur C. Deacon : Merci. Un des problèmes que nous avons, c’est la faiblesse de notre loi sur la concurrence par rapport à d’autres économies du G7. Elle peut certainement aider à stimuler la croissance de la productivité en rendant le marché plus concurrentiel, et donc plus favorable à l’investissement commercial et aux gains qui en découlent. Êtes-vous d’accord avec cela?
M. Perrault : Oui, à 100 %. Je pense que les obstacles à la concurrence sont un problème majeur pour le Canada. Il n’y a qu’à voir la Loi sur la concurrence, les barrières commerciales entre les provinces ou la protection que nous accordons à notre économie au plan international. De toute évidence, le libre-échange est une excellente chose, mais nous ne le pratiquons pas. Nous pratiquons un commerce dirigé.
J’ai toujours été convaincu qu’en politique commerciale, la meilleure chose à faire est de simplement réduire les obstacles, peu importe ce que font les autres. Bien sûr, ce n’est pas idéal comme stratégie de négociation, mais cela vous force à être plus compétitifs. Cela peut être brutal, mais cela force une augmentation de la concurrence qui, au bout du compte, a des effets bénéfiques.
La Nouvelle-Zélande des années 1990 offre un excellent exemple de ce point de vue.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Perrault, de votre présence ici ce matin. Nous en avons déjà discuté, en commençant par votre publication de 2021 intitulée Pourquoi la Banque du Canada mène-t-elle seule ce combat contre l’inflation? Vous avez mentionné qu’il fallait plus de coordination entre les politiques monétaire et budgétaire.
Au vu des tendances, des politiques et des lois récentes, trouvez-vous que les choses sont en train de changer? Que pensez-vous de la récente mise à jour économique de l’automne, qui vient d’être publiée? Comment pouvons-nous éviter une récession, d’après votre analyse et ce que vous constatez jusqu’à maintenant? Combien de temps faudra-t-il, d’après vous, pour atteindre notre cible d’inflation qui, depuis longtemps, serait de 2 %, idéalement?
M. Perrault : Il y a beaucoup d’éléments à déballer ici. Je vais commencer par votre dernière question. Nous pensons que l’inflation se situera autour de la cible de la Banque du Canada quelque part au début de 2024. Nous sommes très loin de cela.
Est-ce que je trouve que la coordination est bonne entre les politiques monétaire et budgétaire? Non. En réalité, même si le problème de l’inflation vient en bonne partie de l’étranger, nous n’en avons pas moins un au Canada. La tâche de la politique monétaire est de maîtriser l’inflation, mais étant donné qu’on est si loin de la cible, étant donné l’écart, étant donné le temps qu’il faudra pour faire baisser l’inflation et étant donné le dur coup qu’elle porte au niveau de vie tant qu’elle est aussi élevée, nous pensons qu’il faut un peu plus de coordination et un peu plus d’aide de la part des responsables de la politique budgétaire pour essayer d’accélérer le retour de l’inflation à la cible visée.
Le gouvernement fédéral s’est montré somme toute assez responsable à cet égard, mais il est évident qu’il a un excédent de recettes parce que l’inflation est élevée. Cela lui a permis de dépenser ici et là pour aider les personnes à faible revenu, en particulier. Il est un peu difficile d’être contre cela, mais en réalité, tout ce qu’on fait pour atténuer l’effet de l’inflation ou des taux d’intérêt sur l’économie finit par rendre plus ardue la lutte contre l’inflation.
Au Canada, franchement, nous le constatons davantage au niveau provincial. Nous voyons des provinces mettre en place des politiques beaucoup plus vigoureuses, beaucoup plus importantes par leur incidence, là encore, sur les personnes à faible revenu, ce qui nuit encore plus à l’ajustement souhaité que ne le fait le gouvernement fédéral. Je pense que tous les ordres de gouvernement ne sont pas d’un grand secours du point de vue de la Banque du Canada.
Le sénateur Loffreda : Évidemment, les responsabilités financières sont extrêmement importantes en ce moment, mais on parle d’une économie de 3 billions de dollars au Canada. Vous parlez d’un programme de 12 milliards de dollars pour aider ceux qui en ont vraiment besoin.
Sachant tout cela et après l’avoir analysé, comment pensez-vous qu’on pourrait éviter une récession? Pensez-vous que la Banque du Canada devrait continuer à augmenter les taux d’intérêt? Pensez-vous que la coordination est en train de se faire entre le gouvernement et la Banque du Canada? Vous avez dit qu’elle devrait se faire dans une plus grande mesure, mais peut-être pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet.
M. Perrault : Je ne dirais pas qu’une récession est inévitable. Nous prévoyons une récession, mais très faible, de l’ordre de moins 0,1 % ou moins 0,2 % pour quelques trimestres. Essentiellement, nous voyons davantage une stagnation qu’une récession.
Cela dépend de quelques facteurs. Cela dépend, évidemment, du resserrement exercé par la Banque du Canada. La banque augmente les taux d’intérêt pour ralentir l’activité économique, alors s’il n’y a pas de ralentissement, on a un problème.
Cela dépend en grande partie de ce qui se passe à l’étranger. Il y a une récession en Europe, probablement aussi en Chine, et une forte baisse des prix des produits de base au cours des derniers mois. Ce sont d’énormes obstacles pour nous. Sans cela, nous ne serions probablement pas en récession.
Comment faire pour éviter une récession? Idéalement, on l’évitera si l’inflation diminue plus rapidement que nous le pensons au cours des prochains mois, ce qui permettra à la Banque du Canada de cesser d’augmenter les taux d’intérêt. Nous pensons que la banque doit continuer à les relever un peu — de 50 points de base encore en décembre — et probablement s’arrêter là. La simple réalité de l’inflation, c’est que tant qu’elle est supérieure à la cible, il faut réduire la demande et combler l’écart de production. C’est ce que la Banque du Canada essaie de faire.
On peut combler l’écart de production — c’est peut-être un peu technique — en croissant plus lentement que la production potentielle dans ce qu’on appelle un taux de croissance non inflationniste de l’économie. Il n’est pas nécessaire d’avoir une croissance négative. Si le potentiel de croissance est de 1,8 %, ce qui est à peu près ce que nous pensons, et que la croissance réelle est de 1 %, alors vous gaspillez une partie de cette demande excédentaire. Évidemment, plus on est négatif, plus on s’éloigne du potentiel et plus la situation se corrige d’elle-même.
À l’heure actuelle, nous pensons que nous avons besoin d’une légère récession pour essayer d’amener l’inflation là où nous la voulons. À vrai dire, il ne semble pas que ce soit sérieux. C’est juste une petite pause. Évidemment, l’économie canadienne demeure très forte. Elle ralentit, bien sûr; elle doit ralentir, mais le marché du travail se maintient. Il est encore remarquablement fort. Nous voyons encore des signes que les dépenses de consommation sont plus élevées, bien franchement, que nous l’aurions cru.
Ces facteurs donnent à penser que l’économie fonctionne à haut régime et qu’un léger ralentissement ne serait pas si malsain. Il permettrait en quelque sorte de rééquilibrer les choses pendant un certain temps.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue à mon ex-confrère économiste en chef. J’ai deux questions; je vous demanderais donc de donner des réponses assez courtes. Voici la première. Ce matin, le président de la Banque de la Réserve fédérale de St. Louis a dit que les hausses des taux d’intérêt n’avaient pas eu de répercussions sur l’économie. Il a même fait allusion au fait que, selon la règle de Taylor, il faudrait penser à une fourchette de 5 à 7 % sur les fonds fédéraux américains, qui serait appropriée. Selon vous, les hausses des taux d’intérêt ont-elles eu de répercussions sur l’économie canadienne? De plus, pensez-vous que les taux d’intérêt pourraient monter, tant au Canada qu’aux États-Unis?
M. Perrault : Je vous remercie de la question. En premier lieu, le marché du logement est en correction au Canada et c’est manifestement en fonction de la hausse des taux d’intérêt. On voit les répercussions. Les gens paient plus pour leurs hypothèques, les loyers augmentent et tout est lié à la question du resserrement de la politique monétaire. On sait qu’il y a des répercussions, c’est indéniable. Les répercussions sont peut-être moins fortes aux États-Unis qu’elles le sont ici, mais on les observe.
Quant à la hausse éventuelle, on pense que la banque pourrait arrêter à 4,25 %. Aux États-Unis, on pense que cela s’arrêtera plutôt à environ 5 %, mais essentiellement, cela se fera en fonction de la performance de l’inflation. Il faut admettre que personne n’est très confiant en sa capacité de prévoir l’inflation. On a fait de grosses erreurs ces dernières années, pas seulement le secteur privé, mais aussi les banques centrales, la Banque du Canada, la Réserve fédérale, les fonds monétaires, tout le monde a fait un peu le même genre d’erreur. On a sous-estimé l’inflation. Même si on pense qu’on a besoin de hausser un tout petit peu plus les taux d’intérêt pour contrôler l’inflation, il faut admettre qu’il y a quand même un risque que l’inflation ne fasse pas ce qu’on avait prévu.
Le sénateur Gignac : Cela m’amène à ma deuxième question. J’ai posé cette question plus tôt cette semaine. Dans l’énoncé économique, le gouvernement a annoncé qu’il mettait fin aux obligations à rendement réel qui existent depuis 30 ans. S’agit-il d’un manque de confiance du gouvernement à l’égard de la Banque du Canada?
Tout à coup, on va arrêter d’émettre des obligations à rendement réel, puisque le document précise que, en ce qui concerne les obligations à rendement réel, le coût était beaucoup plus élevé cette année à cause de l’inflation accélérée. Croyez-vous que c’est une erreur de la part du gouvernement de cesser d’émettre des obligations à rendement réel? Le Canada sera le seul pays du G7 qui n’émettra plus d’obligations à rendement réel, alors qu’on a lancé tout cela en grande pompe en 1991, en même temps que la cible de la Banque du Canada.
M. Perrault : Je crois que c’est une erreur. C’est une question de gestion de la dette et de minimiser les coûts de l’intérêt. Je comprends qu’il s’agit d’instruments chers dans un contexte d’inflation élevée, mais le fait est que ces instruments donnent une perspective sur les anticipations inflationnistes. Il y a des mesures de sondage — la Banque du Canada a fait ses propres sondages — et il y a toutes sortes d’instruments pour avoir une perspective sur les anticipations. Il n’y a pas vraiment d’instruments de marché au Canada autre que celui-là. C’est une perte, selon moi. Plus nous avons d’information sur l’évolution des anticipations, mieux servis nous serons, ainsi que la Banque du Canada.
[Traduction]
La sénatrice Marshall : Merci. Il semble que nous soyons pris dans une spirale : la Banque du Canada augmente les taux, alors le service de la dette devient plus lourd pour le gouvernement, qui aide pourtant davantage les personnes défavorisées. Certains économistes disent que les dépenses rendent plus difficile pour le gouverneur de la banque de faire baisser l’inflation.
Comment fait-on pour briser le cycle? Il semble que nous soyons dans un cycle présentement. Le gouverneur augmente les taux, de sorte que le gouvernement doit dépenser davantage et payer davantage en frais de service de la dette, ce qui fait encore grimper l’inflation, alors le gouverneur augmente encore les taux.
Cela nous ramène à la question du sénateur Loffreda. Comment rapprocher la politique budgétaire et la politique monétaire? Est-ce que c’est un problème? Comment le gouverneur de la Banque du Canada s’y prend-il pour faire cela? J’ai quasiment l’impression qu’il a une lourde tâche sur les bras parce que la ministre des Finances continue de dépenser. Comment briser le cycle? Si vous étiez le gouverneur de la banque, que feriez-vous pour briser ce cycle? Je sais ce que moi, je ferais, mais vous, que feriez-vous?
M. Perrault : C’est une question chargée. Écoutez, il y a une raison pour laquelle les banques centrales comme la Banque du Canada sont indépendantes. Elles ont des décisions très difficiles à prendre. Elles doivent augmenter les taux d’intérêt pour maîtriser l’inflation, et cela cause du tort à l’économie.
De l’autre côté, il y a les politiciens qui ne veulent pas que leurs électeurs souffrent, comme l’inflation nous en offre un excellent exemple. L’inflation fait mal, cela ne fait aucun doute. Il y a une raison pour laquelle la Banque du Canada se fixe une cible de 2 %. Il y a de la valeur à cela. Lorsqu’on dépasse la cible, cela cause du tort. Cela fait aussi augmenter rapidement les recettes de l’État. D’une certaine façon, c’est un peu la manne pour les gouvernements. Nous voyons le gouvernement fédéral et les provinces dépasser leurs objectifs financiers même en augmentant les dépenses, parce que les recettes entrent à flots avec une inflation élevée.
Je pense que le gouverneur doit faire ce qu’il a à faire : nous dire ce qu’il pense qui va se passer avec l’inflation, fixer les taux en conséquence et, autant que possible, convaincre les gouvernements de la nécessité d’un effort massif. Plus les gouvernements feront obstacle à cet ajustement, plus ils lui compliqueront la tâche.
En définitive, il faut respecter le fait que les objectifs sont en quelque sorte contradictoires. Il veut ralentir les choses et, naturellement, les premiers ministres provinciaux et le premier ministre ne tiennent pas à en faire les frais. Ce sont après tout des politiciens qui dépendent de leur élection. Il y a donc une bonne raison pour que le gouverneur y échappe.
La sénatrice Marshall : Nous continuons pourtant à nous dire que cette fois-ci, ça va ralentir et que le prochain rajustement du taux sera moins élevé. Je ne vois tout simplement pas comment les choses vont ralentir au goût des gens. Il semble que nous ayons la banque d’un côté et le gouvernement de l’autre; lequel des deux réagira en premier?
M. Perrault : Ce ne saurait être la Banque du Canada. Il y a une raison pour laquelle notre pays s’est engagé à atteindre la cible d’inflation de 2 % et une raison pour laquelle nous avons une banque centrale indépendante. C’est parce que nous avons décidé collectivement, nous ou les gouvernements précédents, que l’atteinte de 2 % est une priorité des plus importantes pour notre pays, ce qui fait que le gouverneur doit continuer dans cette veine jusqu’à ce que cet objectif soit atteint. Nous pensons pouvoir y arriver pour peu que nous augmentions le taux, mais il se pourrait qu’il faille y mettre le paquet, voire donner lieu à toute une récession.
La sénatrice Marshall : Pensez-vous que les dépenses du gouvernement sont suffisamment importantes pour avoir une incidence sur le taux d’inflation? Beaucoup d’économistes sont de cet avis. Si le gouvernement ralentissait ses dépenses, le gouverneur de la banque aurait la tâche plus facile.
M. Perrault : Nous avons examiné et regroupé les mesures provinciales et fédérales qui ont été adoptées au fur et à mesure, ce qui nous fait supposer que la Banque du Canada a un indice de 25 points de base. Notre prévision pour la banque sera donc de 4 % d’ici la fin de l’année, si les gouvernements ne font pas ce qu’ils font. Ce n’est pas beaucoup, mais c’est important par rapport à la marge. Lorsque l’inflation est aussi problématique qu’elle l’est, on ne veut surtout pas ajouter de nouveaux obstacles, car il y en a déjà plus qu’il n’en faut.
La sénatrice Marshall : C’est très utile. Merci.
Le sénateur Smith : Merci de votre présence, monsieur Perrault. Vous avez mentionné que le Canada entrerait en récession technique en 2023. Oxford Economics brosse un tableau particulièrement pessimiste pour le Canada et les États-Unis comparativement au Royaume-Uni, à la zone euro et au Japon. L’un des risques les plus marqués signalés est la montée en flèche du prix des maisons et la hausse de l’endettement des ménages qui en résulte. Pouvez-vous nous dire si le marché canadien du logement risque de ralentir l’économie? Comment va-t-il retrouver l’équilibre?
M. Perrault : C’est une bonne question. Les observateurs internationaux qui suivent ce qui se passe en Europe, au Canada et dans d’autres pays, ont tendance à regarder le logement d’un même œil, c’est-à-dire en adoptant une sorte d’approche européenne. On examine les taux d’intérêt, le service de la dette, le ratio de la dette au revenu et d’autres éléments. Le marché canadien est très différent de celui d’autres pays, compte tenu de l’explosion démographique que nous vivons sans pour autant rester au diapason du côté de la construction. Ces dernières années, le prix des maisons a grimpé de manière phénoménale, ce qui est dû, dans une large mesure, à un déséquilibre entre le nombre de personnes et le nombre de maisons que nous avons. La faiblesse des taux d’intérêt ne fait qu’accentuer le problème, tandis que la normalisation des taux à la hausse contribue à l’ajustement que nous constatons. Nous pensons que c’est en grande partie temporaire. Une fois que les taux hypothécaires auront atteint un sommet et se seront stabilisés, cet écart considérable entre le nombre de maisons et celui qui serait nécessaire commencera à se réaffirmer. Dans un an ou deux, nous nous retrouverons dans une situation où, espérons-le, la dynamique des prix des logements ne se traduira pas par une augmentation de 20 à 30 %, mais plutôt par un rythme de croissance raisonnable à partir de là.
L’ajustement que nous prévoyons serait de l’ordre de 20 à 25 %. Nous sommes en deçà de 10 à 15 %, selon le marché dont il s’agit. De 20 à 25 % semble énorme, et ça l’est. Apprendre à un Européen que les prix vont baisser de 20 à 25 %, c’est un scénario quasi apocalyptique.
Le prix des maisons a augmenté si rapidement au Canada que, si nous nous situons entre 20 et 25 %, c’est là où nous en étions, selon le marché, du début jusqu’au milieu de 2021. Ce n’est pas comme si on essayait de rattraper des années d’appréciation des prix. On ne recule que de 18 mois. Évidemment, les gens qui ont acheté leur maison depuis ont décidemment réussi leur coup. Tous ceux qui ont acheté leur maison en 2020 vous diront qu’ils n’en reviennent pas de ce que leur maison peut valoir en 2021.
Nous retournons à ce niveau, à notre avis, pour remonter à partir de là en vue des cibles d’immigration très élevées que nous avons.
Le sénateur Smith : Au Canada — vous l’avez dit —, on s’attend à ce que le taux directeur de la Banque du Canada soit de 4,25 % d’ici la fin de l’année. Vous avez signalé que la Réserve fédérale américaine devra hausser son taux à 5 % en 2023. Compte tenu de nos relations commerciales très étroites avec les États-Unis, l’économie canadienne se ressentira-t-elle d’un taux directeur plus élevé au sud de la frontière? Quelles sont les répercussions?
M. Perrault : Il y en a deux ou trois principales. Premièrement, la Réserve fédérale fait un peu de notre travail, car quand l’économie américaine ralentit, nous ralentissons nous aussi. Cela aide à alléger la pression sur l’inflation aux États-Unis et chez nous. Lorsque l’inflation est plus faible aux États-Unis, la nôtre a tendance à s’affaiblir aussi en raison de nos nombreux échanges commerciaux. Il y a donc un avantage à cela.
Le problème, c’est que les attentes des États-Unis en matière de taux ont été plus incisives que dans la plupart des autres pays. On a constaté une appréciation importante du dollar américain. La dynamique s’est inversée quelque peu au cours des dernières semaines, mais la vigueur du dollar américain, qui reflète les attentes en matière d’intérêt et une forte aversion au risque — ce qui a été un facteur important cette année —, fait baisser la valeur de notre dollar canadien et d’autres devises, d’où l’augmentation du prix de nos importations. Il y a un certain compromis à faire.
Jusqu’à il y a environ trois semaines, le dollar canadien était extrêmement faible. Il ne fait aucun doute que cela va accroître les pressions inflationnistes.
Depuis, essentiellement parce que les données sur l’inflation aux États-Unis étaient beaucoup plus basses que ce que nous avions prévu il y a quelques semaines, nous avons assisté à un revirement spectaculaire des marchés, y compris du côté du taux de change. Le dollar canadien a baissé de 4 ou 5 cents au cours des 10 derniers jours, ce qui aide à compenser la situation en partie. Ce sont les principaux canaux. L’affaiblissement des États-Unis nous avantage sur le plan de l’inflation. L’ennui avec la hausse des taux, c’est qu’elle ne peut pas avoir d’incidence sur le taux de change, qui semble essentiellement s’être frayé un chemin depuis une semaine ou deux.
La présidente : Pourriez-vous nous dire ce qui se passe sur les marchés à l’heure actuelle?
M. Perrault : Cela se résume à la réponse donnée au sénateur Gignac, à savoir qu’il y a eu énormément d’incertitude au sujet de l’inflation. Au cours des 18 derniers mois, les marchés et les banques centrales ont essentiellement dit que l’inflation ralentirait dans quelques mois, ou d’ici six mois. Il n’en est rien. Par conséquent, les attentes en matière d’intérêt se sont multipliées tout au long de l’année. La question était la suivante : du point de vue du marché — surtout du point de vue des États-Unis —, jusqu’où les États-Unis devront-ils hausser les taux d’intérêt pour contrôler l’inflation? Plus les taux américains sont élevés, plus l’économie américaine est faible, ce qui réduit les bénéfices et pose de nouveaux défis aux marchés.
Vous voyez donc que les marchés sont incroyablement volatils à mesure que les données indiquent que l’inflation va commencer à se redresser, et ils font le contraire quand on obtient des données qui laissent entendre que l’inflation ne se redresse pas. Il y a eu une volatilité remarquable sur les marchés boursiers et du crédit qui est en grande partie attribuable à la notion de savoir si nous allons maîtriser l’inflation. Serons-nous plus à l’aise avec l’inflation?
Je dirais qu’au cours de la dernière semaine ou des 10 derniers jours environ, nous évitons d’accorder trop d’attention aux fluctuations et aux indicateurs mensuels, mais ce qui s’est passé, c’est que les données d’octobre pour l’inflation aux États-Unis étaient plus faibles que prévu. Nous attendions une surprise positive à l’égard de l’inflation. Nous l’avons eue, et elle a créé un sérieux regain de certitude quant à la voie à suivre. Mais il y a encore beaucoup d’incertitude. Il y a eu une hausse importante des marchés boursiers et une baisse assez marquée des taux d’intérêt. Cela va peut-être répondre à nos attentes.
La présidente : C’était très utile. Merci.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Merci d’être parmi nous, monsieur Perrault.
Hier, on a dit aux nouvelles que les coûts des loyers augmentaient beaucoup et qu’on était déçu parce que l’inflation n’avait pas baissé comme on le pensait. On sait que la hausse des taux d’intérêt peut avoir un effet de rebond sur la hausse du coût des loyers. Ne pensez-vous pas que le Canada devrait faire comme d’autres pays, comme les États-Unis et certains pays européens, qui ont prévu des déductions fiscales pour les frais de taux d’intérêt, ce qui empêche de reporter la hausse du coût de la vie sur les loyers et permet de lutter efficacement contre l’inflation?
M. Perrault : Le problème fondamental avec les loyers, c’est un déséquilibre de l’offre, donc ce qui est disponible pour se loger, que ce soit des loyers ou des propriétés, par rapport à la population. Tant qu’on ne règle pas ce problème... C’est un vase communiquant : on monte les taux d’intérêt pour faire ralentir l’économie, cela augmente le coût des hypothèques et les gens ne se qualifient plus pour certaines hypothèques. Ils doivent se loger et, comme il n’y a pas assez de maisons, ils doivent louer un appartement, ce qui fait augmenter le prix des loyers.
La sénatrice Bellemare : Dans le système fiscal, ne devrions-nous pas prévoir des déductions fiscales pour les particuliers sur le plan des frais hypothécaires, comme celles qui existent dans bien des pays?
M. Perrault : Je suis propriétaire, donc, pour être honnête, j’aimerais bien cela. Dans les circonstances actuelles, comme il y a un déséquilibre entre l’offre et la demande, toute mesure qui augmente l’abordabilité, comme un crédit d’impôt sur les paiements d’intérêt, accentuerait le déséquilibre entre l’offre et la demande. À court terme, cela aide les gens; à long terme, cela fait monter les prix encore plus qu’ils auraient augmenté.
La sénatrice Bellemare : En fait, il s’agirait peut-être d’augmenter plus, et que l’inflation augmente encore plus. Cela pourrait réduire l’effet rebond. C’était l’objectif dans les pays qui les ont adoptées par le passé.
M. Perrault : C’est l’exemple que je donnais relativement à l’Europe. On a une situation particulière au Canada. La croissance de la population est si forte que cela ne se compare pas à ce qui se fait en Europe. Cette dynamique complexifie la politique économique en ce qui a trait à la gestion de l’inflation ou du marché du logement, car on a cette contrainte sur le plan de l’offre du logement. Ce n’est pas une contrainte en Europe, aux États-Unis et ailleurs dans le monde. C’est propre à ce qui se passe ici. Les résultats qu’on pourrait obtenir d’ailleurs ne s’appliquent pas nécessairement ici.
[Traduction]
La présidente : C’est un point important que vous soulevez, car nous voyons aussi les chiffres de l’immigration.
Le sénateur Yussuff : Merci de votre présence, monsieur Perrault. Les défis auxquels les Canadiens sont confrontés ne sont pas exclusifs à chacun d’entre nous, mais il demeure que certains s’en tirent relativement bien par rapport à ceux qui éprouvent des difficultés dans cette économie. Compte tenu de cette réalité, la plupart des mesures du gouvernement visent à aider les gens qui souffrent le plus. Or, la plupart des mesures adoptées pour l’instant ne sont pas permanentes. Elles sont prises à titre temporaire pour reconnaître la réalité en fonction du contexte.
N’étant pas économiste, je ne saurais présumer de formuler mon commentaire et ma question dans ce contexte. Nous ne sommes pas à l’abri des difficultés qu’éprouvent les gens, et nous devons veiller à ce que leur lutte ne soit pas aussi pénible qu’elle pourrait l’être si le gouvernement n’intervenait pas.
Comment aborderiez-vous ce que fait le gouvernement pour reconnaître les gens qui reçoivent de l’aide?
M. Perrault : Si on veut faire quelque chose pour aider, plus les mesures sont ciblées et temporaires, mieux c’est. C’est tout à l’honneur du gouvernement fédéral et de certains gouvernements provinciaux. Donc, c’est fait de la bonne façon, si vous voulez, mais la conséquence, c’est qu’il faut plus d’adaptation. Il n’est pas question de tergiverser. En fait, ce que la Banque du Canada essaie de faire, c’est de ne causer aucun préjudice. Il faut encourager les gens à épargner et à dépenser un peu moins. Je sais que l’inflation est un problème, surtout pour les gens qui se trouvent au bas de l’échelle des revenus; cela ne fait aucun doute. Si j’étais politicien, je ferais probablement quelque chose de semblable à ce qui a été fait, c’est-à-dire m’efforcer d’aider ceux qui ont le plus besoin d’aide, mais en comprenant que je prolonge par là la douleur ou que je déplace le fardeau de l’adaptation de ces personnes pour le placer sur les épaules d’autrui.
Le sénateur Yussuff : Nous ne parlons pas de chiffres; nous parlons de gens. Nous devons reconnaître qu’il y a beaucoup de douleur, sauf que nous ne ressentons pas tous la même chose.
Ce qui ressort clairement de ce que nous lisons dans les médias et de ce que révèlent les données, c’est que les prix ont largement dépassé l’inflation. Les nouveaux prix qu’on nous annonce chaque soir au téléjournal ne font que révolter les gens à l’idée de ce qu’ils doivent payer. Cela n’a rien à voir avec les chiffres rajustés en fonction de l’inflation. Je comprends que nous devions nous attaquer à ce problème, mais il y a des gens qui ne s’en tirent que beaucoup mieux puisqu’il s’agit d’une mesure inflationniste. Il me semble, pour être juste, qu’on ne tient pas suffisamment compte des gens qui s’en tirent beaucoup mieux à l’égard des rajustements de prix que ceux qui subissent le fardeau de l’inflation dans notre société. Ne convenez-vous pas qu’il s’agit d’une hypothèse raisonnable au vu des chiffres que nous annoncent les médias?
M. Perrault : Il ne fait aucun doute que l’inflation est extrêmement douloureuse, surtout pour les personnes à faible revenu. Si on veut concevoir un ensemble de politiques pour essayer de les aider — et elles ont besoin d’aide; c’est évident et je n’en discute pas —, il faudra probablement penser à un ensemble de mesures neutres sur le plan financier. Tout en offrant du soutien à certaines personnes, on doit trouver un moyen d’enlever ce soutien à d’autres segments de la population. Ce n’est pas une question collective, car il s’agit de particuliers. On peut par exemple augmenter les impôts des gens plus nantis, de façon à ce que l’impact soit neutre au niveau financier et que le solde budgétaire ne soit pas touché; on ne fait que changer la façon dont ce solde est dépensé. Si j’étais premier ministre, c’est ainsi que je verrais les choses dans un monde où l’inflation est élevée et où je veux aider les gens. On ne peut pas aider les gens sans ce genre d’ajustement.
Le sénateur Yussuff : Nous vivons à une époque intéressante, et notre fédération n’est pas la seule à fonctionner ainsi. Lorsque nous y arriverons, je ne pense pas que je serai là à vous poser des questions.
Nos gouvernements provinciaux font partie de la solution, car ils font partie du problème et, oui, je pense qu’on reconnaît dans une certaine mesure ce que nous faisons tous.
Mais en même temps, le défi auquel nous faisons face quant au moyen d’améliorer le niveau de vie dans ce pays, à savoir la productivité, est un problème que vous avez décrit comme étant unique à notre pays. Ce n’est pas unique au monde; d’autres pays sont confrontés au même problème.
Au bout du compte, alors que nous sortons de la récession ou de la période inflationniste dans laquelle nous nous trouvons, nous devons déterminer comment, collectivement, nous pouvons faire mieux pour accroître la productivité, car il y va de la prospérité de tous les Canadiens. Je vais peut-être vous laisser le dernier mot sur des mesures que vous jugez pratiques, mais aussi utiles, que nous pourrions envisager à long terme.
M. Perrault : Le moyen le plus difficile sur le plan politique, mais le plus efficace, serait de reconsidérer les obstacles au commerce interprovincial. Nous savons depuis longtemps qu’ils peuvent entraîner des pertes de production économique de plusieurs milliards de dollars par année. Cela nuit à la concurrence et aux investissements, mais c’est une chose extrêmement difficile à faire sur le plan politique. C’est là-dessus que je concentrerais mon énergie à court terme, car cela peut avoir une incidence à long terme sur la façon dont notre économie est structurée et dont nous tirons parti de nos forces tout en réduisant nos faiblesses. C’est la voie à suivre pour la répartition la plus efficace des capitaux au pays. C’est là que je concentrerais mon énergie.
Cela dit, je ne suis peut-être pas politicien, mais je ne suis pas naïf au point de croire que cela se fera du jour au lendemain.
Il faut aussi trouver des moyens d’accroître considérablement les investissements. Nous pouvons nous valoir du code fiscal et des divers programmes gouvernementaux, mais nous devons miser plus efficacement que par le passé sur le capital humain de chaque unité de main-d’œuvre.
C’est plus dur à faire qu’à dire. Mais si on leur offre de verser 25 % sur 10 millions de dollars d’investissement en capital, il est presque impensable que les agriculteurs n’y réagiront pas vite fait. Ce n’est peut-être pas le moyen le plus intelligent de s’y prendre, mais il y a des façons d’améliorer spectaculairement l’investissement qui pourraient être rentables rapidement sur le plan de la productivité. Quant à savoir si cela a des effets durables sur la façon dont nous voyons les choses, c’est une autre histoire. Je serais très favorable — et nous l’avons été; nous avons déjà écrit à ce sujet dans le passé — à des mesures qui permettraient de réduire considérablement le coût de l’investissement au Canada afin que les entreprises puissent proliférer.
La présidente : Aux fins du compte rendu, je ne me souviens pas du nombre de rapports que le comité a publiés pour réclamer l’élimination des obstacles au commerce interprovincial. Nous ne cessons de le réclamer.
Pour ce qui est de votre deuxième point concernant l’incitation à l’investissement, le gouvernement finira par choisir les gagnants et les perdants.
M. Perrault : Cela semble horrible parce qu’on dirait que c’est de l’aide sociale aux entreprises, mais la proposition que nous avions, au début de la pandémie, c’était d’avoir un programme où il s’agirait de verser 25 % de l’investissement de n’importe quelle entreprise dans un large éventail de secteurs, en limitant le temps à un délai de deux ans pour le faire, et ce sans choisir de gagnants ni limiter l’offre en fonction de l’industrie ou de la région du pays. C’est coûteux, mais uniquement si cela fonctionne.
Le sénateur Marwah : Merci, monsieur Perrault, d’être parmi nous ce matin. L’idée reçue, c’est que l’inflation est en grande partie attribuable aux chocs sur la chaîne d’approvisionnement — je crois que vous en avez touché un mot dans votre déclaration préliminaire — plutôt qu’aux politiques budgétaires adoptées pour gérer la pandémie. On a beaucoup insisté sur l’aspect financier : que fait la Banque du Canada? Quelles sont les répercussions des taux d’intérêt?
J’aimerais savoir ce que vous pensez des chocs sur la chaîne d’approvisionnement. Que pouvons-nous faire? Est-ce que nous nous contentons de dire que c’est au-delà de notre contrôle et que nous n’y pouvons pas grand-chose? Y a-t-il quelque chose que nous devrions mieux faire, pas seulement maintenant, mais aussi pour nous protéger contre les futurs chocs? Est-ce que la récupération d’entreprises parties s’installer à l’étranger constitue un problème? Quelles sont les solutions à envisager du côté de l’offre?
M. Perrault : Permettez-moi de revenir un peu en arrière. À notre avis, même si une grande partie de l’inflation à laquelle nous faisons face au Canada est de nature étrangère et se produit à l’extérieur de nos frontières, c’est surtout lié à la demande. Les gouvernements du monde entier ont stimulé l’économie. Il est clair que nous, nous avons exagéré; cela ne fait aucun doute. La demande a augmenté extrêmement rapidement et les entreprises n’ont pas pu rester à la hauteur. C’est en grande partie ce qui s’est passé avec l’inflation; du moins, c’est notre interprétation. Il y a des goulots d’étranglement, des pénuries de puces et divers facteurs qui ont exacerbé la situation, mais c’est notre point de vue.
Pour ce qui est de l’approvisionnement, nous commençons à repenser notre façon de voir les chaînes d’approvisionnement, ce qui aurait dû être fait il y a longtemps, et il s’agit d’y intégrer la transition vers une économie verte. Mais cela commence à l’époque de Trump, lorsque nous avions un accord de libre-échange avec les Américains qui n’est devenu que du papier mouillé d’un seul coup, quand on a commencé à nous imposer toutes sortes de conditions. Trump a explicitement exprimé son désir de rapatrier la production aux États-Unis.
Ce qui se passe avec la Russie, l’Ukraine et la Chine rend la transition extrêmement vulnérable. Songeons à l’importance de sources stables de toutes sortes de métaux et de minéraux ainsi que d’autres biens, pour lesquels nous comptons excessivement sur la Chine, par exemple.
Je regarde ce qui se passe partout dans le monde et, même si ce qui se passe en Russie est troublant, et même si ce qui se passe en Chine est difficile pour l’économie chinoise, je pense que c’est une occasion en or pour nous. Si nous sommes en mesure de tirer profit de cela en utilisant les accords commerciaux que nous avons, ou en misant sur la stabilité de nos systèmes économiques, politiques et judiciaires et les vastes capacités que nous avons en matière de métaux et de minéraux — qui sont partiellement exploités — en plus de ce que je considère honnêtement comme une politique d’immigration incroyablement avant-gardiste — qui consiste essentiellement à accroître notre capital humain à pas de géant par rapport à d’autres pays —, ce sont autant de facteurs pour épeler un argument très convaincant pour le Canada dans les années à venir. Je ne sais pas si nous en sommes encore là, mais si j’étais le gouvernement, l’une de mes principales priorités serait de tirer parti de ce qui se passe actuellement à l’échelle internationale, compte tenu du niveau des compétences et des ressources dont nous disposons, car nous occupons une position unique à l’échelle mondiale.
Le sénateur Marwah : J’ai tendance à être d’accord avec vous. Le Canada a une excellente occasion de tirer parti des inefficacités qui ont découlé de la guerre en Ukraine, de la situation en Chine et ainsi de suite.
Je regarde les accords de libre-échange que nous avons signés — j’en ai parrainé beaucoup — et je constate dans tous les cas que nos exportations augmentent beaucoup plus lentement que nos importations. Le libre-échange n’aide pas autant que nous le voudrions.
Pourquoi? Avez-vous des idées sur la façon dont nous pourrions profiter de cette occasion?
M. Perrault : Il est évidemment préférable de réduire les restrictions commerciales que d’en imposer davantage. Cela ne fait aucun doute. Je n’ai jamais pensé que les accords de libre-échange changent la donne en ce qui concerne le fonctionnement de notre économie. Ils ouvrent des marchés dans une certaine mesure. Au bout du compte, si nous ne sommes pas aussi productifs que nos concurrents et que nous ouvrons à la concurrence, nous finissons par être moins concurrentiels. Résultat, nous importons davantage et exportons moins. La dynamique commerciale ne joue pas en notre faveur.
Il y a des études qui laissent entendre que certains accords de libre-échange ont eu de très bonnes répercussions, mais, à mon avis, la dimension commerciale n’a jamais consisté à compter sur ces accords. Au lieu de cela, il faut compter sur l’esprit de compétition et sur des politiques qui y sont favorables. Si on fait cela et que l’on conclut plus d’accords commerciaux, on ne se portera que beaucoup mieux. Nous avons mis davantage l’accent sur l’ouverture des marchés plutôt que de veiller à être aussi concurrentiels que possible et à tirer parti de ces marchés et d’autres où il n’y a pas d’accord commercial, car il y en a beaucoup.
La présidente : Pouvons-nous conclure avec vos réflexions sur la relation entre la Banque du Canada et le ministère des Finances ou la ministre? Avec tous les assouplissements quantitatifs que nous avons vus, la banque a commencé à être de plus en plus critiquée, car elle était utilisée comme un pion et perdait de sa crédibilité. D’autre part, vous dites qu’ils doivent travailler de façon plus coordonnée afin que le gouvernement aide plus directement la banque à atteindre ses objectifs, plutôt que de dépenser de l’argent, ce qui pourrait être contre-productif.
Comment voyez-vous cette relation? Comment cela devrait-il fonctionner? La ministre des Finances et le gouverneur se parlent, ils se rencontrent et discutent. Voulez-vous une structure plus formelle ou une structure moins formelle? Que proposeriez-vous?
M. Perrault : Je ne crois pas qu’il soit nécessaire de modifier la structure actuelle. J’y ai travaillé pendant un bon moment. Je ne pense pas que les choses aient beaucoup changé depuis mon départ. C’est un organisme indépendant. Le défi auquel nous faisons face est unique en ce sens que, habituellement, les gouvernements stimulent l’économie lorsque les choses ne vont pas très bien. Il y a donc un alignement des intérêts. Lorsque les choses ne vont pas très bien, l’inflation est faible, alors la Banque du Canada baisse les taux habituellement, et le gouvernement aide de son côté en travaillant dans le même sens. C’est un peu le contraire qui s’est produit depuis la pandémie.
Je ne crois pas un seul instant que la Banque du Canada ait été influencée politiquement parlant. Je ne partage pas du tout ce point de vue. Je sais que certains le font, mais pas moi. Je pense que le gouverneur a été indépendant. Il a commis des erreurs, bien sûr. Chaque banquier central a fait des erreurs, et nous pouvons passer en revue toutes ces erreurs si vous voulez, mais je ne pense pas qu’elles soient de nature politique. Je ne pense pas que ce soit à cause de pressions politiques indues ou d’une influence indue de la part des députés de l’opposition.
La présidente : C’est très utile. Merci. C’est de la documentation dont nous avons besoin pour le compte rendu. Encore une fois, nous remercions M. Jean-François Perrault, premier vice-président et économiste en chef à la Banque Scotia. Nous sommes heureux de vous avoir enfin vu et d’avoir pu avoir cet entretien en personne. Merci encore de votre temps et de vos observations.
Le sénateur Colin Deacon (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Je m’appelle Colin Deacon et je suis vice-président du comité. Nous avons le plaisir d’accueillir M. Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal. Monsieur Fortin, je vous remercie de vous être joint à nous par vidéoconférence. Vous avez la parole pour votre déclaration préliminaire.
[Français]
Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Tout d’abord, j’aimerais insister sur le fait que je suis très honoré par votre invitation, d’autant plus que c’est plutôt émouvant pour moi, puisque mon propre grand-père a été député et sénateur lors de la Grande Dépression des années 1930. C’est donc un retour des Fortin au Sénat. Je remercie donc tous les membres du comité.
Les exposés des témoins précédents et les questions que vous leur avez posées m’incitent à aborder au départ les quatre sujets suivants : le comportement de la Banque du Canada, l’immigration, la pénurie de main-d’œuvre et le ralentissement économique actuel.
[Traduction]
Tout d’abord, en ce qui concerne le comportement de la Banque du Canada, je veux m’assurer que nous comprenons tous que la banque n’a pas commis une erreur en attendant le mois de mars de cette année avant de se lancer dans la lutte contre l’inflation. Il y a eu des épisodes dans le passé — en 1951, 1991 et 2003 — où une soudaine explosion de l’inflation a rapidement disparu d’elle-même, sans que la banque centrale ait eu à intervenir. Jusqu’à l’hiver dernier, personne ne savait avec certitude si cela allait se reproduire ou non.
Le gouverneur Macklem avait raison d’éviter le risque de tuer des emplois avec ce qui aurait été une hausse coûteuse du taux directeur sans avantages. Il s’est comporté conformément à l’entente officielle sur la maîtrise de l’inflation. Cette entente précise que l’objectif principal de la politique monétaire demeure de « maintenir l’inflation à un niveau bas et stable au fil du temps », mais elle ajoute qu’il s’agit également d’atteindre « un niveau d’emploi durable maximal ».
À présent que l’inflation s’est révélée plus résistante que ce que tout le monde pensait a priori, nous devrions tous nous abstenir de crier que le gouverneur a mal géré le risque.
Deuxièmement, en ce qui concerne l’immigration, le nombre de nouveaux immigrants permanents et temporaires admis au Canada a doublé, passant de 330 000 en 2016-2017 à 658 000 en 2021-2022. Est-ce qu’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada est sur la bonne voie? Certainement pas. Cette hausse vertigineuse de l’immigration est beaucoup trop massive.
Premièrement, des recherches évaluées par des pairs ont démontré que les effets de l’immigration sur les pénuries de main-d’œuvre, le vieillissement de la population et le niveau de vie sont nuls ou microscopiques.
Deuxièmement, tous ceux qui sont très favorables à l’immigration, y compris moi-même, doivent comprendre que le fait de dépasser la capacité économique et sociale de la société canadienne d’accueillir et d’intégrer adéquatement les nouveaux arrivants risque de faire monter l’opinion publique contre l’immigration.
Plus tôt cette année, un sondage en ligne d’Environics a révélé que 48 % des Canadiens estiment déjà qu’il y a trop d’immigration au Canada. La montée récente du sentiment anti-immigration en Suède et aux États-Unis est un signal d’alarme qui indique qu’essayer de courir trop vite pourrait détruire le soutien populaire à l’immigration, même dans des sociétés traditionnellement très ouvertes et progressistes comme la nôtre, et finalement inciter les gouvernements à réduire les flux d’immigration à des niveaux catastrophiques, comme cela s’est malheureusement produit dans ces deux autres pays.
Troisièmement, en ce qui concerne les pénuries de main-d’œuvre, lorsque nous augmentons la main-d’œuvre grâce à une immigration accrue et à une plus grande participation des Canadiens âgés, même si ces deux éléments sont souhaitables en soi, la demande de main-d’œuvre finit par augmenter autant que l’offre. Par conséquent, les pénuries ne diminuent pas. Cela étant, d’où viennent les taux élevés de postes vacants, comme 7 % aux États-Unis et 5,5 % au Canada? La réponse toute simple, c’est que cela vient du fait que l’économie tourne à son plein potentiel ou presque.
Le taux de chômage est à son plus bas niveau en 50 ans. De 2016 au premier semestre de 2022 au Canada, il a diminué de 1,5 point, tandis que le taux de postes vacants a augmenté de 3 points. Les macroéconomistes, nous appelons cette relation négative entre les postes vacants et le chômage la courbe de Beveridge. À court terme, le seul outil à notre disposition pour abaisser le taux de postes vacants est de forcer la hausse du taux de chômage. C’est exactement ce que la politique monétaire fait actuellement en augmentant les taux d’intérêt.
Le grain d’espoir qui subsiste pour les mois à venir, c’est que le ralentissement économique qui se dessine fera diminuer les postes vacants plus qu’il ne fera augmenter les mises à pied et le chômage; nous verrons bien.
Quatrièmement, et enfin, en ce qui concerne le ralentissement lui-même, combien de temps durera-t-il et quelle en sera l’ampleur? Honnêtement, personne ne le sait avec certitude. Les données les plus récentes montrent que les taux de croissance du produit intérieur brut, des emplois et des postes vacants ont effectivement commencé à ralentir. Étant donné que les décalages dans les effets de la politique monétaire sont habituellement répartis sur plusieurs trimestres, il y en aura probablement d’autres. Il est vrai que les mesures trimestrielles de l’inflation de base se situent toujours autour de 3,5 %, donc pas encore à 2 %, mais elles sont en déclin depuis quelque temps.
De plus, les chaînes d’approvisionnement s’effilochent et les salaires ne mènent pas l’inflation. Cumulativement, depuis le début de 2020, ils ont augmenté de 3,5 % de moins que l’indice des prix à la consommation. La rémunération horaire moyenne pondérée fixe a augmenté à un taux annuel de 3 % entre février et août et de 0,7 % entre mai et août. Ces évolutions donnent à penser que la désinflation est déjà en cours.
Je dois admettre que je suis un peu préoccupé par la déclaration récente du gouverneur Macklem selon laquelle il s’attend à ce que le taux directeur augmente davantage. Le risque d’un resserrement excessif existe. Encore une fois, nous verrons. Je prie mes parents qui sont au ciel de le guider pour qu’il nous évite d’achever cet exercice de façon trop néfaste. Ce n’est pas un méchant type.
[Français]
Je vous remercie de m’avoir écouté. Évidemment, j’aurais pu aborder plusieurs autres questions, mais étant donné que j’ai déjà assez parlé, ce sera à vous de soulever celles qui méritent le plus d’attention. Je vous remercie.
Le vice-président : Merci, monsieur Fortin.
[Traduction]
C’était une excellente déclaration préliminaire.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Professeur Fortin, je suis très heureuse de vous recevoir. Nous avons été des collègues par le passé et nous partageons beaucoup de projets communs. À cet effet, j’aimerais vous poser la question suivante. Vous avez participé avec un groupe d’économistes à la promotion d’un mandat dual pour la Banque du Canada. Pouvez-vous expliquer pourquoi, selon vous, la stabilité des prix est aussi importante que le taux maximum d’emploi dans une société? Pourquoi la stabilité des prix n’est-elle pas l’élément clé?
M. Fortin : Le maximum d’emploi, cela ne signifie pas seulement que tous les travailleurs ou presque occupent un emploi, par exemple lorsque le taux de chômage au Canada se situe entre 4 % et 5 %. Cela signifie aussi que les entreprises sont au maximum de leur capacité, c’est-à-dire qu’elles utilisent toutes les ressources humaines et matérielles qui sont à leur disposition. En d’autres mots, ce ne sont pas que les ressources humaines qui sont impliquées, mais aussi les ressources matérielles et tous les investissements qui en découlent.
Évidemment, dans les années 1930, nous avons connu la mère de toutes les récessions, alors que la situation économique et sociale était absolument tragique. À l’époque, l’objectif de plein-emploi avait été fixé par le gouvernement du Canada sous Mackenzie King et par le gouvernement américain sous Franklin Roosevelt comme étant un objectif central, en plus de la stabilité des prix. Donc, nous devons fonctionner avec ces deux grands objectifs, et non avec un seul.
La sénatrice Bellemare : Est-ce qu’un mandat dual au Canada ferait une différence historique dans notre niveau d’activité, notre taux de chômage, et cetera?
M. Fortin : Le fait d’avoir un mandat dual?
La sénatrice Bellemare : Oui.
M. Fortin : Si on compare la performance du Canada et des États-Unis dans les 25 dernières années... Par « performance », j’entends l’évolution du taux d’inflation et du taux de chômage dans les deux pays.
Premièrement, sur le plan de l’inflation, le Canada a réalisé un taux d’inflation de 1,8 % ou 2 % en moyenne jusqu’à tout récemment — jusqu’à 2019, évidemment, avant la pandémie. Tandis que, pour les États-Unis, le taux a été de 2 % ou 2,5 % environ. Les deux gouvernements ont réalisé à peu près 2 %. Donc, il n’y a pas vraiment de différence entre les deux pays sur le plan la performance par rapport à l’inflation. Évidemment, on peut discuter des deux ou trois dernières années, mais c’est une autre question que vous avez peut-être en tête.
En ce qui concerne l’emploi, le taux de chômage aux États-Unis a été, en moyenne, inférieur au taux de chômage au Canada au cours des 25 dernières années. Je vais utiliser la référence des 30 dernières années, parce que c’est à partir de 1992 que le Canada a appliqué réellement sa politique, qui était de viser un taux d’inflation de 2 % indéfiniment.
Donc, le taux de chômage aux États-Unis a été inférieur à celui du Canada, et ce, non seulement parce que les deux taux de chômage sont mesurés différemment. En effet, normalement, le taux de chômage aux États-Unis est inférieur à celui du Canada. Premièrement, parce qu’il y a beaucoup plus de gens en prison aux États-Unis. Deuxièmement, parce que les questions de l’enquête sur la population américaine active sont beaucoup plus sévères pour déterminer si quelqu’un est au chômage.
Même si l’on tient compte de cet écart, que Statistique Canada publie d’ailleurs régulièrement, la performance américaine sur le plan de l’emploi a été un peu supérieure à celle du Canada.
J’en conclus que le fait d’avoir un mandat dual et d’être très clair, comme l’énoncé de la Réserve fédérale qui est renouvelé tous les mois de janvier... Si l’on poursuivait ces deux objectifs, il n’y a pas d’évidence empirique factuelle qui montre que cela empirerait la situation au Canada; au contraire.
La sénatrice Bellemare : Merci beaucoup.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, monsieur Fortin.
Avant de céder la parole au sénateur Gignac, j’aimerais poser une brève question, si vous me le permettez, au sujet de l’immigration. Je suis un sénateur de la Nouvelle-Écosse, et nous avons vu notre population dépasser le million d’habitants. Nous avons connu la croissance démographique la plus galopante en 50 ans. Cela a certainement eu un effet sur nos écoles, notre système de soins de santé et le prix de nos logements.
Pourriez-vous nous parler des effets inflationnistes qu’il faudrait peut-être gérer à la suite de la forte augmentation de l’immigration qui a été annoncée et que nous nous attendons à voir?
M. Fortin : Si je vous comprends bien, vous demandez si l’augmentation du taux d’inflation au Canada aurait un effet inflationniste...
Le vice-président : Je me suis peut-être mal exprimé, je m’en excuse. Je vous demande comment l’augmentation du taux d’immigration pourrait avoir des effets inflationnistes. Nous constatons certainement une augmentation des coûts dans nos systèmes de soins de santé et d’éducation et du prix des logements en Nouvelle-Écosse, où il y a eu une forte croissance.
M. Fortin : Je ne crois pas que cela aurait de graves conséquences inflationnistes parce que l’immigration a un double effet. Elle a un effet sur la demande de biens et de services, mais aussi du côté de l’offre. Plus d’immigrants apportent plus de main-d’œuvre au Canada. Cela a un effet anti-inflationniste parce que l’augmentation de l’offre va à l’encontre de l’inflation.
D’un autre côté, une fois que les immigrants sont ici, qu’ils travaillent et qu’ils dépensent leur revenu, la demande de biens et de services et de main-d’œuvre augmente, bien sûr, de même que, indirectement, par l’entremise des services gouvernementaux qui leur sont offerts sur le plan de l’aide sociale ou des services de santé, et cetera. Dans l’ensemble, ce qu’ils font pour accroître l’offre de main-d’œuvre serait suffisant, avec le temps, pour financer ce qui est nécessaire pour répondre à leurs besoins en matière de services gouvernementaux dès le départ.
Bien sûr, il pourrait y avoir des fluctuations au fil du temps. L’augmentation de l’offre et l’augmentation de la demande de main-d’œuvre pourraient ne pas coïncider dans le temps. Mais la situation finit par se stabiliser, je pense. L’immigration n’a pas d’effet inflationniste net.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Fortin.
Vous avez dit que vous étiez ému de venir témoigner au Sénat. Je partage ce sentiment, car j’ai eu le privilège de vous avoir comme professeur à l’université et de bénéficier de vos conseils et de votre sagesse tout au long de ma carrière. Je vous en remercie.
J’ai deux questions pour vous, si le temps le permet. J’apprécierais beaucoup si vous pouviez être bref en répondant à la première.
En fait, depuis la réunion des banquiers centraux à Jackson Hole, on a perçu un changement d’attitude de la part des banques centrales. Certaines disent même qu’elles ne veulent pas répéter l’erreur des années 1970 et donc qu’il vaut mieux resserrer un peu trop, quitte à baisser les taux d’intérêt par la suite et à créer une récession, plutôt que de ne pas resserrer assez et de répéter l’expérience des années 1970.
Quelle est votre réaction face à cela?
M. Fortin : Ma réaction est la suivante : cela dépend de la capacité de nos gens, que ce soit les entreprises ou les travailleurs, d’absorber une hausse des taux d’intérêt.
C’est assez évident : par exemple, si le taux d’inflation est de 8 % et que vous voulez le descendre à 2 %, vous devez donc le baisser de six points de pourcentage. Techniquement, les résultats en macroéconomie indiquent que, pour baisser le taux d’inflation de 1 %, il faut une augmentation de deux points du taux de chômage. Par conséquent, si vous voulez faire passer le taux d’inflation de 8 % à 2 %, cela exige une baisse du taux d’inflation de 6 % et une hausse du taux de chômage de 12 %.
Je ne suis pas certain... Évidemment, vous et moi n’aurions pas de problème à conserver notre emploi, mais il y a peut-être pas mal de gens à l’extérieur de nos maisons et de notre édifice qui seraient frappés. Par conséquent, il faut absolument que les autorités prennent la décision et se posent cette question : est-ce qu’on y va pour deux années avec une hausse du taux de chômage à 3 % ou 4 %, ou pour une année seulement avec 10 % ou 12 %?
Oui, il est vrai qu’il y a une tendance, de la part des banquiers des banques centrales, à faire comme avec un diachylon sur une plaie : on va l’enlever d’un coup sec, cela va faire mal sur le coup, mais demain matin on sera libre. Le problème, c’est que la durée de l’impact de ce chômage peut être relativement longue pour une personne qui a un revenu moyen et qui est susceptible de perdre son emploi. Il faut se poser cette question en réaction à votre question.
Je m’excuse, j’ai pris plus de temps que je le pensais, mais votre question était bien plantée. Évidemment, ce qu’il peut arriver de mieux à un professeur comme moi, c’est d’avoir d’anciens étudiants qui font mieux que lui dans la vie.
Le sénateur Gignac : L’immigration est un sujet très sensible au Québec. Vous avez mentionné que même dans le cas du Canada, le chiffre de 500 000 immigrants est quand même très élevé et que cela dépasse la capacité économique et sociale du pays — je vous cite.
Comment mesure-t-on la capacité économique et sociale au Canada? Comment la mesure-t-on au Québec? Finalement, le Québec a-t-il raison de fixer une cible de 50 000 immigrants, ce qui représenterait seulement 10 % de l’immigration canadienne? Vous pourrez m’envoyer une réponse écrite, monsieur Fortin, si jamais vous pensez que la réponse nécessite plus de deux minutes.
M. Fortin : Sur le plan économique, il n’y a pas de problème de capacité. L’immigration peut facilement augmenter la capacité économique. Le problème sur le plan économique est de savoir quel effet cela aura sur la pénurie de main-d’œuvre, le vieillissement et le revenu par habitant. La réponse de toute la littérature scientifique, c’est que cet effet est négligeable et faible. Ce n’est pas que la capacité économique ne peut pas augmenter, c’est que l’impact sur ces éléments est faible.
Deuxièmement, en ce qui concerne la capacité sociale, je ne sais pas ce que c’est. Un grand philosophe américain, Robert Pirsig, a écrit un livre intitulé Traité du zen et de l’entretien des motocyclettes, dans lequel il pose cette question : « Qu’est-ce que la qualité? » Il répond : « Je ne sais pas ce qu’est la qualité, mais quand il n’y en a pas, je m’en rends compte. »
C’est la même chose pour la capacité d’accueil des immigrants. Je ne connais pas la capacité d’accueil, mais on a très bien vu aux États-Unis que le pays a des problèmes à ce sujet. En Suède, on a très bien vu que le fait de passer de 50 000 à 120 000 immigrants en l’espace de deux ou trois ans a créé une réaction d’une telle ampleur de la part des gens que l’on voit un danger pour la montée du racisme et de la xénophobie. Il est possible que l’on soit obligé de ramener le niveau d’immigration en deçà de ce que vous et moi jugerions approprié. Il faut porter un jugement sur le risque que l’on prend en s’engageant dans une explosion migratoire qui dépasserait la capacité d’accueil, évidemment.
Le sénateur Loffreda : Merci au professeur Fortin d’être parmi nous. Je pense que ma question a été couverte par votre réponse au sénateur Gignac. Vous avez beaucoup parlé de l’immigration et de son impact sur la main-d’œuvre et l’inflation. Vous avez remis en question la stratégie actuelle du gouvernement du Canada. Pourriez-vous donner des précisions là-dessus? Quels paramètres devraient être considérés pour déterminer la capacité d’accueil du Canada?
Je pose la question, parce qu’il y a un million de postes vacants au Canada et un million de Canadiens qui ne travaillent pas. On peut trouver beaucoup de solutions, mais quand je fais le tour des résidences pour personnes âgées et des hôpitaux au Québec ou au Canada, je constate qu’il y a beaucoup d’immigrants qui occupent des postes clés dans ces secteurs.
Pouvez-vous donner des précisions? Sinon, j’ai une autre question rapide au sujet des changements climatiques.
M. Fortin : En ce qui concerne l’immigration, je pense que le niveau doit être le résultat d’échanges et de consensus à réaliser entre les gouvernements responsables de l’immigration — au Canada, il s’agit du gouvernement du Canada et des gouvernements du Québec et des provinces —, pour en arriver à déterminer quel est le niveau qui pourrait répondre globalement aux besoins les plus aigus.
À l’heure actuelle, le problème avec l’explosion migratoire qui nous attend au Canada, c’est que cela portera le niveau de l’immigration au Canada au double du taux de l’immigration en Australie. L’Australie est le deuxième plus grand pays d’immigration au monde. En d’autres mots, on veut amener le taux au Canada au double du taux du pays figurant au deuxième rang.
La question n’est pas de savoir si on doit se rendre là ou non, mais de savoir à quel rythme. Quel est le rythme que nos concitoyens sont prêts à accepter? Je pense que le danger est que si on va trop vite aujourd’hui, demain ou après-demain, il y aura des gouvernements au Canada qui prendront le pouvoir et diront que ce ne sera pas 500 000 immigrants, étant donné que nos concitoyens sont contre, mais qu’on va réduire ce chiffre à 150 000. C’était le cas il y a 25 ou 30 ans. Vouloir avancer trop vite risque de nous faire reculer. C’est mon point fondamental.
Cela dit, je suis issu d’une famille immigrante. Mes cinq enfants sont immigrants. Tous mes beaux-enfants sont immigrants, sauf un. C’est une famille canadienne absolument merveilleuse. Cependant, il faut être capable de réfuter l’idée selon laquelle on est contre l’immigration lorsqu’on veut mettre des garde-fous. Au contraire, si on est pro-immigration, il faut mettre en garde le gouvernement du Canada sur le fait qu’il y a un danger d’aller beaucoup trop loin.
Je m’excuse d’avoir été long à vous répondre. Pour ce qui est des changements climatiques, j’attends votre question.
Le sénateur Loffreda : Merci pour votre réponse. Lors d’une entrevue que vous avez donnée récemment, vous avez parlé de solutions sur le plan des changements climatiques. Vous avez mentionné que la seule solution était la technologie.
J’ai lu récemment une série d’articles dans le Wall Street Journal qui parlait de quatre solutions. Deux d’entre elles étaient de ne pas exploiter nos ressources. Le Wall Street Journal parlait aussi de consommation. Personne ne parle de réduire la consommation, car cela nous affecte tous et la plupart d’entre nous vont voter. On parlait plutôt des gouvernements : personne ne trouve de solution pour réduire la consommation. Êtes-vous d’accord pour dire que réduire la consommation serait aussi une solution aux changements climatiques que nous vivons?
M. Fortin : Je pense qu’il faut laisser nos gens décider eux-mêmes de leur propre consommation, compte tenu de l’environnement dans lequel ils vont vivre.
En ce qui concerne la stratégie d’attaque contre les changements climatiques, premièrement, le Canada a une stratégie basée sur la taxe carbone. Ce n’est pas du tout une mauvaise stratégie. Cependant, il faut se rendre compte qu’elle a certaines limites. Il n’est pas évident que nos concitoyens accepteront une multiplication par trois, quatre ou cinq de la taxe carbone dans les prochaines années. On risque de voir une révolte contre tout gouvernement qui aura l’air d’aller trop loin dans cette direction.
On se rend compte, par ailleurs, que la technologie a beaucoup contribué — en d’autres mots, je parle de la stratégie gouvernementale qui est celle que le président Biden vient d’adopter avec l’Inflation Reduction Act, qui est en fait une Climate Change Act. Dans cette loi, le gouvernement américain a décidé d’utiliser la carotte plutôt que le bâton. Je pense que l’appui de la population américaine en vue de lutter contre les changements climatiques et les émissions de gaz à effet de serre sera sans doute beaucoup plus positif que si on lui dit tout simplement qu’on va multiplier la taxe carbone par deux, trois ou quatre dans les prochaines années.
Troisièmement, il y a un élément optimiste majeur, et c’est que l’électricité éolienne ne coûte plus rien. Le coût de l’électricité éolienne aux États-Unis est à presque 0,04 $ le kilowattheure, alors qu’elle était à 0,20 $ le kilowattheure il y a peu de temps. Par conséquent, la technologie est en train de résoudre une bonne partie de notre problème. Cela pose d’ailleurs problème pour Hydro-Québec : si l’électricité éolienne coûte si peu cher, comment pourra-t-on exporter aux États-Unis de l’électricité qui nous coûte 0,06 $ ou 0,08 $ à produire et qu’il faudra vendre à 0,04 $ ou 0,05 $? C’est un gain important pour lutter contre les gaz à effet de serre.
Évidemment, cela soulèvera des questions en ce qui a trait à l’ajustement de Manitoba Hydro, BC Hydro ou Hydro-Québec dans leurs échanges avec les États-Unis, s’ils se développent.
Le sénateur Massicotte : Bonjour, monsieur Fortin. Tout comme mes collègues, j’apprécie vos commentaires et votre jugement si réfléchis. Félicitations pour votre succès.
M. Fortin : Je dois vous dire que je travaille fort.
Le sénateur Massicotte : Ma question concerne la productivité. Depuis des décennies, on parle de l’importance de la productivité, qui est toujours considérée comme une solution à notre croissance économique. En même temps, on a beaucoup de difficulté à l’améliorer. Qu’est-ce qui fait en sorte que l’on progresse très peu à ce sujet?
M. Fortin : Il est vrai que la productivité canadienne augmente moins rapidement. Elle est déjà en retard par rapport à la productivité américaine. Elle a augmenté moins rapidement au cours des 20 dernières années que la productivité aux États-Unis. Vous avez raison de vous préoccuper de ce problème.
La productivité aux États-Unis a augmenté de 30 %, alors qu’au Québec et en Ontario, elle a augmenté de 10 % sur l’ensemble des 20 années, de 2001 à 2021. C’est un véritable problème.
La meilleure réponse que je peux vous donner est celle qu’a faite mon collègue Elhanan Helpman, qui est professeur à Harvard et à Tel-Aviv, dans son plus récent livre intitulé The Mystery of Economic Growth. La productivité, tout comme la Sainte Trinité, est un mystère. Mon épouse, qui est une entrepreneure aguerrie, dit toujours : « Arrêtez de chercher les causes de la productivité, vous ne trouverez jamais. Il n’y a qu’une seule réponse, et c’est d’appliquer le slogan de Nike, just do it. »
Je dirais tout de même qu’il est important d’accélérer l’éducation au Canada, en particulier l’enseignement universitaire. C’est absolument fondamental, car ce sont nos écarts avec les pays de l’OCDE qui peuvent avoir un impact sur notre productivité.
Deuxièmement, j’ai été fort étonné et intéressé de voir le résultat d’un sondage qu’IBM International a fait auprès de grands dirigeants d’entreprise à l’échelle mondiale. Trois cent soixante-cinq dirigeants d’entreprise ont dit que quand leur productivité augmentait, c’était parce qu’ils avaient posé la question à leurs employés sur le plancher de l’usine ou sur le plancher du bureau. En d’autres mots, écoutez vos employés. C’est la meilleure façon de faire progresser rapidement votre productivité. Peut-être qu’au Canada, on ne suit pas suffisamment cette maxime, qui reflète le sondage mené par IBM auprès des grandes entreprises.
Enfin, il y a la politique de la concurrence qui est importante; on en a parlé tout à l’heure avec M. Perrault et les quelques sénateurs qui l’ont mentionnée. Il est évident que les entreprises canadiennes prospèrent davantage lorsqu’elles sont dans un contexte de concurrence que lorsqu’elles sont dans un contexte où il y a moins de concurrence. C’est d’autant plus important qu’il est prouvé que le pouvoir monopolistique des grandes compagnies internationales comme les GAFAM a considérablement augmenté au cours des 10 ou 20 dernières années. Par conséquent, le signal que l’on reçoit, c’est que notre Bureau de la concurrence — l’antitrust aux États-Unis — doit avoir du mordant pour mieux surveiller l’état de la concurrence au Canada.
Je vais vous raconter une anecdote. Le premier ministre René Lévesque, au milieu des années 1980, a dit : « Free trade is what is needed for Quebec. » En observant les athlètes olympiques canadiens qui avaient remporté des médailles d’or aux Jeux olympiques, il a dit que l’économie était comme le sport, et que la seule manière de gagner des médailles d’or, c’était d’être en concurrence contre les meilleurs au monde. C’est ce qui est fondamental. Évidemment, quelques-uns de vos collègues l’ont très bien compris. Je suis tout à fait d’accord avec eux.
[Traduction]
Le vice-président : Merci, monsieur Fortin. J’aimerais apporter une précision. D’après ce que vous avez dit, je m’attendrais à ce que les politiques qui influent sur la concurrence s’étendent bien au-delà de la Loi sur la concurrence. Êtes-vous d’accord? Nous avons tellement de politiques en place qui créent des obstacles réglementaires pour les titulaires et les oligopoles. Je m’attends à ce que vous considériez cela comme un élément important de l’examen visant à stimuler la concurrence au pays.
M. Fortin : Absolument.
Le vice-président : Merci.
La sénatrice Bellemare : J’ai une question au sujet de la Inflation Reduction Act de 2022 aux États-Unis, qu’on pourrait appeler une loi sur le climat. Est-ce une invitation pour que le Canada en fasse autant ou est-ce une occasion ou une obligation pour le Canada?
[Français]
M. Fortin : Oui. Je pense que le virage américain que le président Biden a amorcé — et je vois Janet Yellen derrière tout cela et les autres membres de son Cabinet, qui sont des gens brillants qui comprennent la situation climatique —, un virage vers la carotte, et pas seulement le bâton, est ce à quoi le Canada devrait le plus réfléchir dans les prochains mois.
Je comprends bien que le gouvernement à Ottawa est en conflit avec des provinces qui s’opposent à la taxe carbone et qu’il veut défendre cette taxe contre les gouvernements provinciaux qui y sont réticents. Je pense toutefois qu’il serait temps que le gouvernement canadien lui-même réfléchisse à des moyens alternatifs.
Je sais que le gouvernement encourage déjà le développement des technologies grâce à sa subvention visant à ce que les consommateurs adoptent des moyens de transport électriques, par exemple. En général, les subventions sont mieux reçues par les consommateurs que les taxes.
Les subventions ne sont pas idéales. Je comprends très bien, en tant qu’économiste, que je ne pourrais pas développer un théorème pour défendre cette position. Cependant, dans le monde réel, il est certain qu’il faut montrer qu’il y a des avantages à passer des énergies fossiles à l’énergie éolienne ou à d’autres énergies moins nuisibles; c’est une orientation qui pourrait être perçue comme un semi-virage de la part du gouvernement canadien, qui montrerait en même temps une certaine ouverture d’esprit, et non une fixation sur la taxe carbone.
La sénatrice Bellemare : On entend la sagesse en vous. Merci.
[Traduction]
Le vice-président : Au nom de mes collègues du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie, je tiens à vous remercier, professeur émérite Pierre Fortin, du temps que vous nous avez consacré aujourd’hui.
(La séance est levée.)