Aller au contenu
BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 24 novembre 2022

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 31 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à toutes les personnes présentes dans la salle ou en ligne. Bienvenue à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin. Je suis la présidente de ce comité, et je vais vous présenter les autres membres du comité qui sont présents aujourd’hui : le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith et le sénateur Yussuff. Je vous remercie beaucoup de votre présence aujourd’hui.

Nous allons poursuivre notre discussion sur l’état de l’économie canadienne et l’inflation. Pour la première partie de notre réunion, nous avons le plaisir d’accueillir à nouveau M. Jack Mintz, chercheur émérite du recteur à l’École de politique publique de l’Université de Calgary. Merci de votre patience. Nous savons que vous avez essayé d’être des nôtres à une autre occasion, et nous avons eu des problèmes techniques de notre côté. Nous vous sommes très reconnaissants d’avoir accepté de témoigner aujourd’hui.

Je vous cède la parole, monsieur Mintz, pour que vous fassiez votre déclaration préliminaire, après quoi nous passerons aux questions.

Jack Mintz, chercheur émérite du recteur, École de politique publique de l’Université de Calgary, à titre personnel : Merci beaucoup, sénatrice Wallin. Je suppose que tout le monde m’entend bien?

Merci beaucoup. Au cours de cette très brève discussion, je souhaite soulever quatre points bien simples. Premièrement, il est important de comprendre qu’au départ, l’inflation actuelle est le résultat d’une poussée des coûts — restrictions en matière de santé, perturbations des chaînes d’approvisionnements, pénuries d’énergie et, maintenant, pénuries de main-d’œuvre — et de déficits gouvernementaux qui ont été réduits par une forte augmentation de la masse monétaire.

En 2020, les gouvernements occidentaux ont suivi la même stratégie consistant à distribuer des transferts publics pour éviter que leurs économies ne s’effondrent. Cependant, cela a conduit les ménages à accumuler une épargne importante qui a poussé la demande de biens et de services à la hausse, ce qui a contribué à l’inflation. Les États-Unis et le Canada ont tellement dépensé en 2020 et en 2021 que les revenus des ménages ont augmenté en période de récession — de 11 % au Canada — au lieu de chuter avec la perte de revenus d’emploi. Dans l’ensemble, il s’agissait d’une stratégie réussie pour éviter d’affaiblir l’économie, mais les Canadiens paient maintenant la note en raison de la hausse des prix à la consommation.

Deuxièmement, il est facile de jeter le blâme sur des facteurs externes pour expliquer l’inflation nationale, mais ils n’expliquent pas les différences d’inflation entre les pays. En particulier, en Chine, au Japon, en Suisse et en Arabie saoudite, le taux d’inflation n’a pas dépassé 4 %. Par ailleurs, dans de nombreux pays, il dépasse largement ce taux : 86 % en Turquie, 14,3 % aux Pays-Bas, 8,4 % au Mexique, 7,7 % aux États-Unis et 6,9 % au Canada. Tous ces pays ont été confrontés à une hausse des prix de l’énergie, à des pénuries dans les chaînes d’approvisionnement, etc.

D’autres facteurs, notamment des déficits budgétaires et une politique monétaire accommodante, ont donc joué un rôle dans la hausse du taux d’inflation. Le Canada s’en sort un peu mieux, probablement en raison de la récente contraction monétaire, qui a commencé au cours du dernier semestre de 2021, dont les effets ne se feront pleinement sentir que de 18 à 24 mois plus tard, du moins selon les prévisions de la Banque du Canada.

Aujourd’hui, Statistique Canada a annoncé qu’il y avait 995 000 postes à pourvoir au Canada. On parle d’un taux de postes vacants de 5,7 %. Il s’agit de mon troisième point. En octobre, 1,07 million de Canadiens étaient sans emploi. Il y a toujours un certain déséquilibre entre l’offre et la demande de main-d’œuvre — chômage structurel et postes vacants —, mais les marchés du travail restent assez tendus. La hausse des taux d’intérêt entraînera une diminution de la demande de biens et de services. Dans un premier temps, nous assisterons à une baisse du PIB. Toutefois, compte tenu de la demande excédentaire de main-d’œuvre, le chômage est dissocié des baisses de performance causées par les pénuries de main-d’œuvre. Au départ, les marchés du travail resteront tendus, les revenus du travail augmenteront, les prix des actifs baisseront et l’inflation des prix à la consommation sera plus tenace avant que la contraction monétaire ne fasse pleinement sentir ses effets.

Dans le cas de l’inflation par les coûts, je pense qu’il faudra plus de temps avant que la politique monétaire ne se traduise par une réduction de l’inflation, même si nous devons comprendre cela davantage à la lumière des facteurs actuels.

Quatrièmement, pourquoi l’inflation devrait-elle nous inquiéter? Les jeunes qui n’ont pas vécu la forte inflation des années 1970 et 1980 n’ont pas été témoins des taux hypothécaires allant jusqu’à 17 %, de la souffrance des personnes à revenu fixe, de la pauvreté alimentaire, de la profonde récession du début des années 1990 et de la hausse des impôts sur le revenu nominal liée à la non-indexation. La Banque du Canada a raison de se concentrer sur la stabilité des prix aujourd’hui en augmentant les taux d’intérêt et en mettant fin à l’assouplissement quantitatif. Elle a commis une erreur en 2020 et en 2021 en ne comprenant pas les répercussions de l’inflation par les coûts, ce qui est très différent par rapport à la crise financière de 2008, qui a entraîné une baisse de la demande de biens et de services. Je pense qu’il incombe désormais à la Banque du Canada et aux spécialistes d’étudier les répercussions de l’inflation par les coûts sur la conduite de la politique monétaire, y compris le ciblage des taux d’intérêt et l’assouplissement quantitatif. Pour cette raison, j’estime qu’il faudrait qu’un examen indépendant des opérations monétaires de la Banque du Canada soit mené, un peu comme celui qui est en cours en Australie.

J’ai terminé ma déclaration préliminaire, madame la présidente.

La présidente : Nous vous remercions beaucoup de vos réflexions, monsieur Mintz.

De manière générale, au cours des derniers mois, de nombreux témoins ont dit à ce comité que l’inflation dans ce pays est un problème national et vous semblez abonder dans ce sens. Il y avait d’autres facteurs à un moment donné, mais pas à ce stade-ci, n’est-ce pas?

M. Mintz : Ce que je dis, c’est qu’il est vrai qu’il y a eu une poussée des coûts, comme nous l’avons vu dans les années 1970 avec l’OPEP, qui a entraîné une hausse des prix du pétrole à l’époque. Cependant, ce qui compte vraiment, en définitive, c’est l’effet des politiques budgétaires et monétaires sur le taux d’inflation global.

En fait, la Banque de réserve fédérale de St. Louis a réalisé une très bonne étude au cours de l’été. J’ai écrit au sujet de cette étude et je m’en suis servi dans un article. Elle a examiné la situation de 17 pays et elle a constaté que la conduite de la politique budgétaire, en particulier l’ampleur du soutien accordé à l’époque, ainsi que de la politique monétaire, pouvait en partie expliquer ou étaient certainement des facteurs qui expliquaient certaines des différences observées dans les taux d’inflation réels d’un pays à l’autre. Un autre facteur important qu’elle a découvert, et auquel je fais allusion ici, c’est que les pays ont tendance à importer l’inflation d’autres pays. En particulier, les très grands ensembles de mesures de soutien adoptées aux États-Unis qui ont conduit à leur forte inflation ont également contribué à notre inflation ici au Canada.

La présidente : Merci. Je suis sûre que nous reviendrons également sur les chiffres sur l’emploi. La sénatrice Marshall sera la première à poser des questions.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie beaucoup de votre présence, monsieur Mintz. J’allais vous poser une question sur l’augmentation de la masse monétaire, mais j’ai lu un article ce matin — je crois que c’était dans le National Post. On y indique qu’apparemment, le gouverneur Macklem de la Banque du Canada a témoigné devant le Comité permanent des finances de la Chambre des communes.

Il affirme qu’une levée plus précoce des mesures de relance liées à la pandémie aurait permis de contenir l’inflation, ce qui est... Eh bien, je trouve que c’est surprenant. Le gouvernement continue de dépenser, et on ne parle plus de mesures de relance. Il a dépensé 100 milliards de dollars dans le budget de l’avant-dernière année. Les dépenses augmentent encore et le gouvernement continue d’emprunter. Pouvez-vous seulement parler des conséquences de toutes ces dépenses gouvernementales? J’aimerais que vous parliez aussi de la question des hausses des prélèvements, si possible, car il faut dire également que le gouvernement reçoit beaucoup plus de recettes fiscales, dont il se sert aussi pour dépenser. Et il emprunte.

Pouvez-vous compléter le tout et faire quelques observations à ce sujet?

M. Mintz : Je parle souvent de politique budgétaire. En fait, John Cochrane, de l’Université de Stanford, a fait un travail très intéressant. Il soutient que la politique budgétaire en tant que telle pouvait être source d’inflation, et c’est lorsqu’on fait des déficits, mais il y a aussi des répercussions sur la façon dont les gens pensent que les choses vont évoluer au fil du temps.

Le point principal, c’est que les dépenses gouvernementales ont augmenté considérablement en 2020. Nous avons créé un déficit si important que, par comparaison, si nous éliminions tous les prélèvements fédéraux en 2015, sans percevoir un seul dollar, le déficit de 2015 aurait été inférieur à celui que nous avons créé en 2020. C’est assez stupéfiant quand on y pense.

Les dépenses ont augmenté davantage en 2021, comme vous l’avez souligné. Dans la mise à jour économique, comme nous l’avons vu, le gouvernement a bénéficié d’une énorme rentrée d’argent inattendue grâce aux recettes perçues, dont une grande partie découle de l’inflation. Lorsque les prix augmentent, les recettes provenant de la TPS, des taxes d’accise, telles que celles sur le carburant, et également, possiblement, de l’impôt sur le revenu augmentent, car tout n’est pas indexé. En outre, le facteur d’indexation pour 2022 n’était que de 2,4 %, alors que l’inflation a augmenté à 7 ou 8 %. Même les revenus indexés ou les transferts indexés du gouvernement ne suivent pas encore le rythme. Il va y avoir un certain rattrapage en 2023. En 2022, les paiements de pension et les prestations pour enfants n’auront pas augmenté autant que l’inflation en raison de la façon dont les facteurs d’indexation sont calculés.

Dans l’ensemble, le gouvernement a engrangé beaucoup de recettes et les dépenses n’ont pas augmenté autant en 2022, de sorte que le déficit a diminué d’environ... J’ai oublié de combien, mais le déficit a diminué de façon importante. En même temps, le gouvernement a dépensé la moitié des recettes inattendues qui ont été générées.

Alors, dans quelle mesure notre politique budgétaire est-elle vraiment restrictive? Je dirais qu’elle n’est pas du tout restrictive à l’heure actuelle, car le déficit aurait pu être encore plus bas que celui de 2022. La politique budgétaire ne concorde toujours pas avec la politique monétaire. La politique monétaire est axée sur la stabilité des prix et l’augmentation des taux d’intérêt pour réduire le taux d’inflation, mais la politique budgétaire fédérale ne concorde pas suffisamment avec nos objectifs de politique monétaire. C’est une question à laquelle il faut réfléchir.

La sénatrice Marshall : À mon sens, la Banque du Canada travaille à contre-courant du gouvernement. Le gouvernement dépense, et le gouverneur de la banque essaie de contrôler l’inflation, mais le gouvernement ne l’aide pas vraiment en accélérant ses dépenses.

M. Mintz : C’est exactement ce que je veux dire.

Le sénateur Smith : Bonjour, monsieur Mintz. Je suis heureux de vous voir.

M. Mintz : Merci.

Le sénateur Smith : Dans un article récent, vous avez indiqué que le Canada devrait garder un œil sur les politiques sur le carbone qui sont adoptées aux États-Unis et la mesure dans laquelle une taxe élevée sur le carbone ainsi que de faibles subventions pourraient être néfastes pour nos secteurs manufacturiers et technologiques compte tenu de l’approche très différente qu’ont adoptée nos voisins du Sud lorsqu’il s’agit des politiques sur le carbone.

Pourriez-vous expliquer pourquoi les approches différentes en matière de politiques sur le carbone adoptées par le Canada et les États-Unis réduisent notre compétitivité et dans quelle mesure cela pose un risque pour les secteurs de la fabrication et des technologies propres ici, au Canada?

M. Mintz : L’aspect fondamental est que les États-Unis, en tout cas à l’échelle fédérale, ne mettent pas en place de système de tarification du carbone. Il existe dans ce pays des systèmes de tarification du carbone, de plafonnement et d’échange, bien sûr, le plus important étant celui de la Californie. Les seuls systèmes qui sont mis en place le sont à l’échelle des États, et leur incidence sur l’économie américaine est relativement faible. Toutefois, la loi sur la réduction de l’inflation aux États-Unis est vraiment axée sur les subventions pour les énergies vertes. Elles sont très généreuses.

Pour vous donner une idée, cette mesure stimule le captage, l’utilisation et le stockage du carbone, ou CUSC. Il y a un crédit de 185 dollars américains par tonne s’il n’y a pas de récupération assistée des hydrocarbures. S’il y a récupération assistée des hydrocarbures, le crédit est de 135 dollars américains par tonne.

Par ailleurs, pour les projets, on peut réclamer des crédits de carbone et d’autres choses. Des sommes considérables seront consacrées au captage, à l’utilisation et au stockage du carbone. Au Canada, il est question d’un crédit d’impôt à l’investissement qui représente environ 50 % du coût, mais qui est loin d’être aussi compétitif que le seront les subventions américaines. De plus, nous ne prévoyons rien quant à la récupération assistée des hydrocarbures, contrairement aux États-Unis.

Lorsqu’il s’agit du CUSC, et si une entreprise doit choisir entre la capture et la séquestration du carbone au Canada ou aux États-Unis, à l’heure actuelle, le choix est évident : les États-Unis.

De même, comme je l’ai souligné dans l’article, si l’on veut construire une usine de lithium en Colombie-Britannique ou encore en Arizona ou au Nevada, en Arizona et au Nevada, les impôts miniers sont maintenant à peu près aussi compétitifs que les impôts miniers canadiens. De plus, l’impôt sur les sociétés aux États-Unis est à peu près aussi compétitif que celui au Canada lorsqu’il s’agit d’opérations minières. En fait, les impôts miniers et les impôts sur les sociétés au Canada sont assez compétitifs par rapport aux normes internationales.

J’ai beaucoup travaillé à cette question ces deux ou trois dernières années. En fait, la semaine prochaine, je vais à Washington pour parler à la Banque interaméricaine de développement de nos travaux sur la fiscalité minière en Amérique latine et dans les Caraïbes.

Or, la grande différence entre le Canada et les États-Unis, c’est la taxe sur le carbone. Nous passons à 170 $ par tonne. Aux États-Unis, cela ne se produira pas. Comme l’a montré l’étude de PricewaterhouseCoopers, ou PwC, une fois qu’on inclut la taxe sur le carbone, il est préférable de construire l’usine de lithium aux États-Unis, en Arizona. C’est une question à laquelle je consacrerai plus de temps, car notre méthodologie est quelque peu différente de celle de PwC, mais je pense qu’il soulève un point très important, à savoir que notre secteur manufacturier et notre secteur forestier pourraient faire face à des coûts plus élevés en raison de la tarification du carbone, mais que, parallèlement, les investissements dans l’énergie verte seront très attrayants aux États-Unis en raison de leur système de subventions actuel.

Le sénateur Smith : À l’heure actuelle, la taxe sur le carbone n’inspire guère confiance à de nombreux pays, et même chez nous. Comme vous l’avez mentionné, la taxe sur le carbone de 170 $ par tonne de gaz à effet de serre, ou GES, ne permettrait pas d’atteindre nos objectifs climatiques. Alors que d’autres pays sont sceptiques, notre gouvernement continue de la défendre. Pourriez-vous expliquer les répercussions que le manque de coordination mondiale en matière de tarification du carbone pourrait avoir sur l’économie canadienne et les raisons pour lesquelles il s’agit d’un risque majeur?

M. Mintz : C’est très intéressant. Tout d’abord, je crois que le moyen le plus efficace d’essayer de contrôler les émissions de gaz à effet de serre est la tarification du carbone. Il pourrait s’agir d’un système de plafonnement et d’échange ou d’une taxe sur le carbone, et chacun pourrait débattre de la meilleure solution. Au Canada, il n’y a pas que la tarification du carbone; il y a aussi les subventions, les obligations et tout le reste.

Lorsque vous examinez la tarification du carbone dans le monde et que vous ne tenez pas compte des taxes d’accise sur le carburant... L’étude de l’OCDE ne tient pas seulement compte des taxes directes sur le carbone et des recettes provenant de l’échange de droits d’émission, mais elle inclut également les taxes d’accise sur le carburant. Je pense que ces dernières ne devraient pas être incluses, car il ne s’agit pas d’un véritable système de tarification du carbone, et elles n’ont absolument pas été conçues à cette fin. Elles existent depuis des décennies. Elles ont en fait été conçues pour financer les autoroutes et les routes, ce qui va devenir un problème.

Ce que je veux dire, c’est que si l’on considère l’échange de droits d’émission et la tarification du carbone dans 71 pays, cela représente moins de 5 euros par tonne. Ce n’est pas beaucoup. Le prix du carbone va augmenter bien plus ici, par rapport à d’autres pays. En fait, nous sommes déjà proches des 20 euros par tonne — c’est un peu moins, je crois — et nous aurons donc un prix du carbone beaucoup plus élevé que la plupart des pays du monde. En même temps, nous avons vu que les États-Unis s’engagent dans une voie complètement différente.

Le sénateur Gignac : Ravi de vous revoir, monsieur Mintz. Votre article, qui a été publié dans le Financial Post le lendemain de l’énoncé économique de Mme Freeland, je crois, était intitulé « Trudeau emboîte le pas à Biden sur le chemin de la ruine économique ».

Pourriez-vous nous expliquer un peu pourquoi nous fonçons dans le mur avec ce genre de politique?

M. Mintz : Eh bien, je dois admettre que ce n’est pas moi qui écris les titres de mes articles. Ce sont généralement les rédacteurs en chef, et leur but est de vendre des journaux. Ce titre ne vient donc pas de moi. En fait, si vous lisez l’article, vous verrez que je n’ai jamais vraiment dit cela. Le propos principal de l’article est que nous restons dans une logique de dépenses. Nous ne réfléchissons pas sérieusement aux conséquences des déficits sur l’inflation, sur la productivité. En fait, je dirais qu’à l’heure actuelle, le plan Biden est en partie très similaire à cet égard.

Le sénateur Gignac : N’hésitez pas à envoyer de l’information par écrit, si vous le souhaitez. Je crois comprendre que vous avez le rhume.

En gros, vous avez indiqué, dans d’autres articles, que vous avez relevé cinq raisons pour lesquelles l’inflation va subsister. L’une de ces raisons est la politique fiscale : les dépenses actuelles n’aident pas. Vous pouvez répondre maintenant si vous en avez le temps, ou le faire ultérieurement par écrit.

M. Mintz : Je dis essentiellement que les dépenses visent principalement les transferts et les subventions liées à l’économie verte, mais que nous avons un sérieux problème de productivité. En fait, ce qui me préoccupe aussi, ce sont les hausses d’impôts que nous commençons à voir, surtout pour les entreprises, mais aussi pour les particuliers, entre autres. Je pense que nous devons nous préoccuper beaucoup plus de la productivité. Pour l’instant, la réponse du gouvernement fédéral actuel, qui correspond à l’approche de M. Biden, a été d’utiliser les subventions gouvernementales aux entreprises pour promouvoir certaines industries, mais je ne pense pas que ce soit nécessairement la meilleure approche à adopter.

Bien que nous ayons de sérieux problèmes à régler en matière de réglementation et de fiscalité, nous devons encourager une plus grande productivité dans l’ensemble du secteur privé, et pas seulement dans certaines activités privilégiées sur le plan politique.

Le sénateur Loffreda : Merci de votre participation, monsieur Mintz. J’ai sous les yeux un article que j’ai lu et dont le titre est « The demographic time bomb has arrived », ou « La bombe à retardement démographique, c’est maintenant ». Vous y faites des déclarations percutantes sur lesquelles je ne m’étendrai pas. Vous faites valoir avec force que, contrairement aux taux d’intérêt ou à la météo, les tendances démographiques à long terme sont hautement prévisibles, et que nous sommes confrontés à une tempête démographique qui aura des répercussions considérables sur l’économie et la géopolitique. Pensez-vous que la stratégie, les politiques et les règlements actuels du Canada en matière d’immigration suffiront à éliminer complètement ces risques? Risquons-nous plutôt des effets inflationnistes à long terme compte tenu de la crise actuelle du logement et d’autres facteurs qui influent sur l’inflation?

M. Mintz : Des gens pensent que nous pouvons faire face à la croissance économique en accueillant simplement plus de personnes dans le pays. Je suis très positif quant aux effets importants que l’immigration peut avoir à long terme sur le pays. Cependant, en ce qui concerne les questions démographiques, je pense que tous les pays à revenu élevé et de nombreuses grandes économies à revenu supérieur, par exemple la Chine et le Brésil, seront confrontés à des problèmes de vieillissement rapide au cours des 13 prochaines années.

En conséquence, les marchés internationaux de la main-d’œuvre vont devenir beaucoup plus compétitifs, et les gens préféreront rester chez eux, là où se trouve leur famille, plutôt que de partir à l’étranger. Les populations ne se déplacent que lorsqu’elles sont confrontées à des difficultés politiques ou à la pauvreté. Mais nous connaissons tous le grave phénomène du vieillissement rapide. De ce fait, au cours des prochaines années, la situation de l’immigration sera plus difficile, surtout en ce qui concerne les immigrants qualifiés.

La meilleure réponse ou l’une des réponses les plus efficaces à nos problèmes démographiques... et il y a des choses positives, notamment les taux de salaire réels qui vont augmenter en raison du nombre insuffisant de personnes sur le marché du travail et de l’augmentation de la demande, si vous voulez rester compétitif en tant qu’économie, et je pense que l’augmentation des salaires est une bonne chose, et non le contraire... Il va falloir des dépenses en capital.

Le Canada n’a pas fait du très bon travail en matière d’investissement de capitaux. En fait, Phil Bazel et moi avons montré, dans un article que nous avons cosigné l’an dernier, que de 2015 à 2019, seuls quatre pays dans le monde ont connu une réduction de la formation de capital. Il ne s’agit pas seulement des entreprises, mais aussi des ménages et des gouvernements. Il s’agit du Canada, du Mexique, du Brésil et de l’Australie. En partie porté dans le cas du Canada par le pétrole et le gaz, mais pas entièrement par le pétrole et le gaz...

La présidente : Je dois vous arrêter là, monsieur Mintz, mais nous allons trouver cet article et le déposer au comité.

La sénatrice Ringuette : Bonjour, monsieur Mintz. Je suis ravie de vous revoir. Vous parlez de la politique fiscale et des dépenses gouvernementales pour 2020 et 2021, et je vois les dépenses gouvernementales comme un investissement dans la survie pendant la pandémie de COVID. Comment dire? Pour expliquer votre position en ce qui concerne les dépenses gouvernementales et la politique fiscale au cours de ces exercices budgétaires, lequel des programmes d’aide liés à la COVID n’auriez-vous pas fourni aux Canadiens?

M. Mintz : Eh bien, je ne mentionnerai pas l’Organisme UNIS, mais c’en était certainement un. Tout d’abord, a-t-on déjà entendu parler d’une augmentation des revenus des ménages de 11 % en période de récession? Cela signifie que les gens ont gagné en moyenne 11 % de plus pendant la période de la COVID que s’il n’y avait pas eu de COVID, par rapport à l’année précédente. Il est vraiment très peu probable que cela se produise. En fait, en Allemagne, cela ne s’est pas produit. Les revenus des ménages sont restés stables. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a eu trop de dépenses, des dépenses excessives, même si des dépenses étaient nécessaires pour faire face à la pandémie. Je ne dis pas que nous aurions dû ne rien dépenser.

Prenez, par exemple, la Prestation canadienne d’urgence, la PCU, qui a coûté très cher. Nous n’avons pas fait de distinction entre les travailleurs à temps plein et à temps partiel, et le montant versé aux travailleurs à temps partiel était bien supérieur, pour beaucoup d’entre eux, à ce qu’ils auraient gagné s’ils avaient travaillé. Nous avons distribué l’argent à la hâte; je le sais. Mais le coût en a été énorme, et nous ne devons pas l’oublier.

La sénatrice Ringuette : L’enjeu de la survie était basé, selon ce que vous dites, sur la question de savoir si les gens travaillaient à temps plein ou à temps partiel?

M. Mintz : Non. Ce n’est qu’un exemple.

La sénatrice Ringuette : Qui exclut les efforts pour survivre.

M. Mintz : On aurait pu donner un montant moins élevé à un travailleur à temps partiel qu’à un travailleur à temps plein, par exemple. Certaines dépenses ont été beaucoup trop élevées.

Le sénateur Yussuff : Merci beaucoup de votre participation, monsieur Mintz.

J’aimerais revenir sur la question de l’inflation. Il est évident que le défi auquel nous sommes confrontés en tant que pays, pour faire face à l’inflation, est que nous ne cultivons pas beaucoup de légumes, sauf l’été, et qu’une grande partie de ces produits provient des États-Unis et d’autres pays. Le taux de change fait partie du problème, mais aussi, quand nous importons ces produits, nous ne contrôlons pas nécessairement les prix, les fluctuations du marché et le taux de change. En matière d’inflation, ne pensez-vous pas que cela contribue beaucoup aux difficultés que nous rencontrons jusqu’à ce que nous puissions obtenir le produit que nous achetons, mais également notre taux de change, qui ne dépend pas de manière aussi évidente de ce que nous achetons dans d’autres marchés?

M. Mintz : Je vous rappelle un court texte que j’ai lu plus tôt et que le comité pourra lire, je suppose. Tout le monde a été confronté à la hausse des prix des denrées alimentaires dans le monde, mais cela n’explique toujours pas les différentes réactions.

En Chine, les dépenses liées à la COVID n’ont pas été aussi importantes. Ils ne se sont pas lancés dans un grand programme de dépenses. Ils n’ont pas mis en place une politique monétaire et fiscale qui a conduit à une forte inflation. La raison pour laquelle je dis cela, c’est que si vous aviez augmenté les taux d’intérêt plus rapidement, cela aurait fait monter la valeur du dollar canadien, ce qui aurait permis de réduire le prix des importations. Nous devrions cesser de nous concentrer simplement sur certains produits et sur les prix correspondants, et adopter des politiques monétaires visant à contrôler le niveau général des prix, le niveau nominal des prix. Notre politique monétaire a permis de faire face à une grande partie des dépenses, mais elle a également été lente à réagir. On a fait très peu de choses jusque vers la fin de 2021 parce que la banque s’attendait, tout à fait à tort, à une baisse plus rapide de l’inflation.

La présidente : Monsieur Mintz, je sais que vous allez devoir partir rapidement. Avez-vous une minute pour le sénateur Massicotte, ou devons-nous conclure?

M. Mintz : Non. Ça va aller.

Le sénateur Massicotte : Je suis ravi de vous revoir, monsieur Mintz.

M. Mintz : Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci. Parlez-moi de la productivité. Vous avez parlé de l’absence d’investissement ou d’un très faible niveau d’investissement. Entre autres conséquences, nous souffrons d’une faible productivité. Avez-vous des observations à faire sur la solution qui pourrait nous sortir de cette situation difficile?

M. Mintz : Tout d’abord, nous devons vraiment examiner nos politiques réglementaires, tant au fédéral qu’au provincial, afin de déterminer celles qui entraînent, par exemple, une lenteur excessive dans l’octroi des permis. Il sera très important dans l’économie verte, alors que nous vivons cette transition énergétique, de pouvoir construire des lignes de transmission ou refaire des pipelines, ou tout autre type de dépenses dont nous aurons besoin pour construire de nouveaux systèmes énergétiques. Comme nous l’ont révélé de nombreuses études réalisées à l’échelle internationale, le Canada a une très mauvaise performance en matière de délivrance de permis. Il s’agit d’un problème très sérieux que les gouvernements fédéral et provinciaux doivent régler, sans quoi les investissements seront insuffisants. Il ne fait aucun doute dans mon esprit que cela a été l’un des obstacles importants à l’investissement, au Canada. Depuis 2015, nos investissements réels ont diminué en dollars; pas seulement par rapport au PIB, mais en dollars. Voilà un des aspects.

En ce qui concerne la politique fiscale, nous avons entrepris en 2000 une réforme de l’impôt des sociétés. Nous avions les taux effectifs d’imposition les plus élevés, et nous nous situons maintenant en milieu de peloton. Ce taux est en hausse depuis 2012. Nous devons peut-être réfléchir un peu plus à notre structure fiscale globale. Nous avons augmenté les taux d’imposition des particuliers à plus de 50 %, pour la tranche supérieure. Cela a beaucoup découragé les entrepreneurs et d’autres personnes de travailler au Canada. Les capitaux qui sortent du pays sont supérieurs aux capitaux qui y entrent. Il y a un certain nombre de choses sur lesquelles il faut travailler, mais le plus important est de dire que le Canada est prêt à faire des affaires.

Même la politique du carbone que nous avons mise en place, la taxe sur le carbone... les recettes ont été remises aux ménages sous forme de transferts forfaitaires, et les entreprises ont bénéficié de très peu d’aide, alors qu’elles doivent faire face aux prix et aux coûts plus élevés du carbone, ce qui les empêche d’être compétitives. Nous devons accorder beaucoup plus d’attention aux investissements des entreprises que ce qui se fait actuellement.

La présidente : Merci beaucoup. Encore une fois, nous nous excusons d’avoir dû reporter votre comparution, et nous vous savons gré du temps que vous nous avez consacré aujourd’hui et de votre présence parmi nous depuis Calgary. Nous allons suspendre la séance, mesdames et messieurs, le temps de connecter nos prochains témoins par vidéo.

M. Mintz : Merci.

La présidente : Nous poursuivons notre discussion sur l’état de l’économie canadienne. Notre second groupe de témoins est composé de M. John Greenwood, économiste en chef d’International Monetary Monitor Ltd, et de M. Steven Ambler, professeur associé à l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la chaire David Dodge en politique monétaire à l’Institut C.D. Howe.

Nous allons commencer par la déclaration liminaire de M. Greenwood, puis nous écouterons celle de M. Ambler.

Monsieur Greenwood, vous avez la parole.

John Greenwood, économiste en chef, International Monetary Monitor Ltd., à titre personnel : Merci, sénatrice Wallin. Merci, mesdames et messieurs les sénateurs, de m’avoir invité à témoigner aujourd’hui.

Je vais abréger ma déclaration liminaire qui devait durer neuf minutes. Je vais essayer de m’en tenir à cinq minutes. Je veux aborder trois sujets : premièrement, la politique monétaire la plus appropriée pour le Canada; deuxièmement, les origines de l’inflation actuelle; et troisièmement, la façon de prévenir un autre épisode de ce genre.

Tout d’abord, la cible intermédiaire la plus appropriée pour la politique monétaire est que la banque centrale se concentre non pas sur les taux d’intérêt, mais sur la croissance monétaire, et j’entends par là la monnaie au sens large, c’est-à-dire l’indicateur M3 au Canada.

La question suivante est de savoir à quel taux de croissance il faut permettre ou encourager cette croissance. La réponse variera d’un pays à l’autre, en fonction de la somme de trois valeurs : la croissance durable ou potentielle du PIB réel de l’économie, le taux auquel la population souhaite accroître ses encaisses monétaires par rapport à son revenu d’une année sur l’autre et, enfin, la cible d’inflation. Au Canada, ces chiffres sont d’environ 2 % pour la croissance du PIB réel, de 1,9 % par an pour l’ajout aux encaisses monétaires et de 2 % pour la cible d’inflation. Si nous arrondissons légèrement, ces chiffres nous donnent un taux de croissance requis ou optimal de la monnaie au sens large de 6 % par an.

Or, au cours de la période de 2009 à 2019, la croissance de l’indicateur M3 a été légèrement supérieure à ce taux, s’établissant en moyenne à 6,5 % par an, et, par conséquent, le taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation du Canada a été en moyenne très proche de la cible de 2 % à 1,7 %.

Je tiens à souligner que la cible monétaire ne doit pas devenir un fétiche. Tant que la croissance de l’indicateur M3 se situe plus ou moins à quelques points de pourcentage de la cible intermédiaire de 6 %, il n’y a pas de grands dommages.

Deuxièmement, que se passe-t-il lorsque cette cible intermédiaire pour l’indicateur M3 est ignorée pendant une longue période? Je voudrais que vous vous penchiez sur deux périodes : d’abord, la décennie de 1972 à 1981, et ensuite, la période de la pandémie de COVID.

Pour préparer cette déclaration, j’ai lu très attentivement le témoignage du gouverneur de la Banque du Canada, Tiff Macklem, lorsqu’il a comparu devant ce comité le 1er novembre. Il a déclaré, en réponse à une question du sénateur Gignac, que dans les années 1970, « on regardait les masses monétaires chaque semaine ». C’est une erreur, à mon avis. Il a aussi dit : « Nous avons appris pendant cette période que la relation entre la masse monétaire, l’inflation et l’économie n’est pas stable. »

C’est tout simplement malhonnête. Le taux de croissance moyen de l’indicateur M3 canadien au cours de la décennie de 1972 à 1981 a été de 17,4 %, soit près de trois fois le taux de 6 % que je viens de mentionner. Il n’est donc guère surprenant que l’inflation des années 1973 à 1982 ait été en moyenne de 9,6 % par an. Le contrôle monétaire était manifestement inadéquat.

La deuxième période à considérer, et beaucoup plus pertinente, est la pandémie, plus précisément 2020 et 2021. Au cours de ces deux années, la Banque du Canada a acheté des obligations du gouvernement du Canada à grande échelle. Voici un extrait tiré du témoignage du gouverneur Macklem :

Essentiellement, l’assouplissement quantitatif permet de réduire davantage les taux d’intérêt à la courbe de rendement [...] L’assouplissement quantitatif n’est qu’une façon parmi tant d’autres de réduire les taux d’intérêt.

Ce qu’il a omis de mentionner, c’est que lorsque la Banque du Canada a acheté des obligations du gouvernement canadien, ces achats ont été payés par des chèques de la Banque du Canada directement aux vendeurs, ajoutant directement à la masse monétaire mesurée par l’indicateur M3. Par conséquent, l’indicateur M3 est passé de 7,8 % en janvier 2020 à 16,3 % en juin 2020 et est resté à un niveau élevé de 12 % jusqu’en février 2021. C’est cette augmentation de la masse monétaire calculée en utilisant l’indicateur M3 qui est directement responsable de l’inflation au Canada aujourd’hui, et non pas les problèmes de chaîne d’approvisionnement, ni les hausses des prix de l’énergie et des aliments, qui sont aussi largement blâmés ni, d’ailleurs, les dépenses fiscales, dont nous avons tant entendu parler dans les témoignages précédents. Ce sont des symptômes, si vous voulez, mais ce ne sont pas des causes.

Comment le savons-nous? Parce que, comme l’a dit M. Mintz à juste titre, si vous regardez la Chine, le Japon ou la Suisse — tous des pays qui ont subi les mêmes problèmes liés à la chaîne d’approvisionnement, les mêmes hausses de prix des aliments et de l’énergie que le Canada —, aucun d’entre eux n’a connu de problème d’inflation important. Dans ces trois pays, la croissance monétaire a été maintenue sous contrôle, et c’est la raison pour laquelle ils s’en sont sortis sans inflation ou avec une augmentation négligeable de l’inflation.

Troisièmement et enfin, comment le Canada peut-il éviter de répéter un épisode aussi douloureux? Je suggère que le Canada légifère pour réviser le mandat de la Banque du Canada, en ajoutant une dérogation à la cible d’inflation qui obligerait la Banque du Canada à maintenir la croissance de l’indicateur M3 à l’intérieur de certaines grandes lignes, disons de 3 à 9 %, mais en se concentrant sur la cible de 6 % que j’ai mentionnée plus tôt.

Encore une fois, il ne s’agit pas de suivre aveuglément ces règles semaine après semaine ou même mois après mois. Néanmoins, la croissance monétaire ne devrait pas pouvoir s’écarter de ces limites sans que le gouverneur et son comité d’orientation ne soient mis sur la sellette.

Pour terminer, permettez-moi de vous citer une déclaration que Milton Friedman a faite :

Les politiques monétaires ne visaient pas les taux d’intérêt, mais bien l’augmentation de la quantité d’argent.

Merci.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Greenwood. Ce sont là des observations pertinentes.

Nous allons maintenant entendre les remarques liminaires de M. Ambler également.

Steven Ambler, professeur associé, Université du Québec à Montréal et chaire David Dodge en politique monétaire, Institut C.D. Howe, à titre personnel : Merci beaucoup, sénatrice Wallin, de l’occasion de comparaître devant ce comité. Je veux aborder trois ou quatre points. Je vais essayer de les parcourir très rapidement. J’ai préparé une déclaration écrite.

[Français]

Je n’ai pas eu le temps de le traduire, donc il n’a pas été distribué aux sénateurs.

[Traduction]

La présidente : Veuillez nous la faire parvenir, je vous prie.

M. Ambler : Je l’ai déjà envoyée à votre greffière. Il y a une ou deux erreurs typographiques, alors j’enverrai une version révisée.

Pour parler d’abord de l’inflation, j’ai un message légèrement plus optimiste. La mesure que tout le monde regarde et qui retient toute l’attention est l’inflation globale, qui était de 6,9 % en octobre, ce qui est élevé en permanence. Il s’agit de l’augmentation de l’indice des prix à la consommation au cours des 12 derniers mois, ce qui inclut donc les augmentations de prix qui ont eu lieu il y plus de six mois. Je pense que l’inflation d’un mois sur l’autre donne une meilleure idée de la situation actuelle et de l’orientation que nous prenons. De plus, l’examen de ce que la Banque du Canada appelle ses mesures d’inflation clés, qui font abstraction des composantes plus volatiles, est un meilleur indicateur de l’inflation à court terme.

Si vous examinez cet aspect, l’IPC-tronq — les moyennes sur trois mois à tout le moins — en mai était de 7,8 %, ce qui est élevé. En octobre, il était déjà descendu à 3,4 %, en s’appuyant sur les plus récentes données disponibles. La médiane de l’IPC était de 7,4 %, les mêmes moyennes sur trois mois, et elle est maintenant de 3,3, %. Ces deux chiffres ne sont pas loin de l’extrémité supérieure de la fourchette cible de la Banque du Canada et ils diminuent rapidement, ce qui est encourageant.

John Greenwood a parlé d’argent, et je vais aussi en parler. J’ai un article d’Ambler et Kronick de 2022 qui soutient que lorsque l’inflation est proche de la cible et est stable, la masse monétaire est en fait un mauvais indicateur de l’inflation. Si vous atteignez votre objectif, le meilleur indicateur de l’inflation est l’objectif. Mais lorsque ce n’est pas le cas, comme maintenant, l’argent peut être un indicateur important.

Encore une fois, si vous regardez ce qui s’est passé plus récemment avec la monnaie, M. Greenwood a parlé de ce qui s’est passé en 2021, des taux excessivement élevés... [Difficultés techniques]

La présidente : Pendant que nous essayons de résoudre le problème technique avec la connexion de M. Ambler, nous allons commencer notre période de questions avec M. Greenwood.

Le sénateur Loffreda : Il est regrettable que nous n’ayons pas pu terminer d’entendre les déclarations de M. Ambler, mais je vois que vous avez des opinions opposées.

Monsieur Greenwood, j’ai été très intéressé par la lecture de votre article dans lequel vous dites, « Pour comprendre et prévoir l’inflation, suivez l’argent », ainsi que par vos remarques. Vos déclarations étaient très perspicaces. Je vous remercie. Dans votre article, vous concluez que l’inflation pourrait s’accélérer à nouveau au milieu de 2023 et continuer ainsi jusqu’en 2024.

Nous pourrions peut-être entendre les remarques de nos deux témoins, si possible. Beaucoup prédisent une récession, y compris certaines des grandes banques, dès le premier trimestre de 2023. Il y a un consensus sur le fait qu’il s’agira d’une légère récession, de sorte qu’un grand nombre d’entrepreneurs et d’entreprises se préparent à une légère récession au premier trimestre de 2023 ou au cours de l’année 2023.

Pouvez-vous nous fournir des détails sur vos projections et vos réflexions compte tenu de votre point de vue sur l’inflation? De plus, lorsque John Crow était gouverneur de la Banque du Canada de 1987 à 1994 — et j’examinais justement certaines statistiques des années 1990 et les difficultés de l’économie canadienne à se redresser —, on se penchait sur la masse monétaire. Je pense que pour le gouverneur de la Banque du Canada, M. Crow, à l’époque, la masse monétaire était une priorité, et pourtant, nous n’avons pas fait beaucoup mieux que d’autres pays. Puis-je entendre vos observations sur ces deux réflexions et vos opinions? Merci.

M. Greenwood : Bien sûr. Merci. Eh bien, premièrement, en ce qui concerne les projections, il s’agissait d’une projection conditionnelle. Si la masse monétaire continuait à s’accélérer — comme elle le faisait à l’époque mais a cessé de le faire —, alors je pense qu’il était légitime de dire que l’inflation pourrait remonter.

Deuxièmement, l’inflation a tendance à accuser un retard pouvant aller jusqu’à deux ans et parfois plus. C’est la raison pour laquelle nous avons dit que l’inflation se poursuivait jusqu’en 2023 car, en 2021, le Canada a connu une croissance monétaire très rapide. Deux ans plus tard, ce serait 2023, et il pourrait y avoir des retombées en 2024, et la situation serait exacerbée si la monnaie s’accélérait entretemps. Mais, comme je l’ai dit, ce danger a diminué récemment.

En ce qui concerne le bilan des années 1990, je pense que vous parlez surtout du début des années 1990, lorsque les États-Unis étaient également aux prises avec des problèmes de croissance, et le Canada a été très influencé par cette situation. Les banques centrales ne peuvent pas faire grand-chose sur le rendement de la croissance réelle. Ce qu’elles peuvent faire, cependant, c’est gérer la monnaie et ainsi, l’inflation. Je pense que le bilan de John Crow à cet égard est bon. Lorsqu’on lui demandait si la monnaie figurait dans les modèles de la Banque du Canada, il répondait qu’elle n’y figurait pas, mais qu’il s’assurait de regarder par-dessus son épaule ce qui se passait avec la monnaie pour s’assurer qu’elle n’était ni excessive ni inadéquate.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Marshall : Pouvez-vous parler de votre article du 8 août 2022 dans le Financial Post dans lequel vous faites référence à la « politique de la Banque du Canada établie pour des motifs politiques »? Je pense que vous faisiez référence à toutes ces obligations d’État que la banque a achetées. La majorité d’entre elles figurent toujours au bilan de la banque. Pouvez-vous vous prononcer sur les répercussions?

Je pense que l’indépendance de la banque est remise en question par de nombreuses personnes. Le fait qu’elle détienne ces obligations dans son bilan appuie en quelque sorte cette opinion ou ce concept. Pourquoi la Banque du Canada ne peut-elle pas simplement vendre ces obligations ou en vendre une partie? C’est parce qu’il y a des répercussions à détenir ces obligations. Nous savons maintenant que la Banque du Canada commencera à subir des pertes au cours du prochain trimestre en raison des faibles intérêts que le gouvernement verse sur ces obligations. Pourquoi ne pas vendre les obligations et essayer de préserver l’indépendance de la banque?

M. Greenwood : D’accord, premièrement, l’expression « établie pour des motifs politiques » n’est pas celle que je préfère. Mon coauteur était Herbert Grubel, une personne que vous connaissez sans doute bien. Il a insisté pour mettre cette expression. À mon avis, ce qui compte, c’est la quantité d’argent qui est créée par les opérations des banques centrales, par l’achat d’obligations, qu’il s’agisse d’obligations de sociétés, d’obligations d’État ou autres.

La plupart des banques centrales essaient de maintenir un niveau assez neutre en achetant des obligations d’État. C’est le montant qui importe, plutôt que le type d’obligations, car lorsqu’une banque centrale achète des obligations, si elle les achète auprès d’établissements non bancaires, comme dans le cas de la Banque du Canada, elle signe un chèque au vendeur. Le vendeur reçoit alors de l’argent neuf qui s’ajoute à la masse monétaire du système bancaire, ce qui fait que la masse monétaire augmente. Il importe peu qu’il s’agisse d’une obligation de société achetée par la Banque du Canada, d’une obligation du gouvernement canadien ou d’une voiture d’occasion. Toutes ces opérations se traduiraient par le versement d’un chèque au vendeur, ce qui augmenterait la masse monétaire.

Normalement, les banques centrales ne participent pas à la création monétaire. Ce n’est qu’en cas d’urgence, lorsqu’elles procèdent à cet assouplissement quantitatif, ou à l’achat d’obligations à des fins d’assouplissement quantitatif, qu’elles créent de l’argent. Ce qui est plus important, c’est la quantité d’argent qu’elles créent, plutôt que les instruments qu’elles utilisent. Merci.

La sénatrice Marshall : Pensez-vous que la banque devrait commencer à vendre ces obligations?

M. Greenwood : Eh bien, si elle les vendait rapidement, cela aurait l’effet inverse de ce qui s’est passé lorsqu’elle les a achetées. Quand elle les a achetées, cela a augmenté la masse monétaire très rapidement. Inversement, si ces obligations étaient vendues pendant la même période où elles ont été acquises, cela nuirait autant à la masse monétaire. Ce serait, à mon avis, très dangereux ou très néfaste pour l’économie.

Cela ne fonctionne pas aussi directement du côté de la vente dans le cadre du resserrement quantitatif, car en général, lorsque les obligations arrivent à échéance, elles sont annulées du compte du gouvernement à la Banque du Canada, et les actifs disparaissent évidemment dans les actifs du bilan. Mais, en principe, c’est la même chose. Le résultat est une croissance monétaire plus lente.

En tant que banque centrale, vous devez faire preuve d’une plus grande prudence lorsque vous vendez des obligations d’État, afin de vous assurer qu’une rigueur excessive n’est pas imposée aux marchés monétaires.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Greenwood. Merci d’avoir fait référence à ma discussion avec le gouverneur Macklem concernant les années 1970. Pourriez-vous nous expliquer, cette fois-ci, comment l’assouplissement quantitatif et l’accélération de la masse monétaire se comparent à la dernière crise financière? Lors de la dernière crise financière, les banques centrales ont également procédé à un assouplissement quantitatif, mais elles n’ont pas utilisé d’obligations de sociétés. Cette fois, elles ont eu recours aux obligations de sociétés, ce qui constitue un précédent.

Alors, expliquez pourquoi, cette fois-ci, l’assouplissement quantitatif et l’augmentation de la masse monétaire, son accélération — du moins, selon votre point de vue —, sont la source de l’inflation, mais que durant la dernière crise financière, les banques ont procédé à un assouplissement quantitatif, mais cela ne s’est pas traduit par notre inflation. Pourriez-vous discuter de la divergence et de la convergence entre les deux périodes?

M. Greenwood : C’est une question idéale. Merci de l’avoir posée.

Bien entendu, lors de la crise financière mondiale, la crise précédente, le Canada n’a pas été si durement touché. Ses banques étaient en assez bonne posture. Le Canada a donc beaucoup moins eu à faire avec ce soutien de la banque centrale au système monétaire financier.

Mais si nous prenons des cas comme ceux des États-Unis et du Royaume-Uni, la grande différence est qu’à l’époque, les banques étaient en très mauvaise posture. Elles ont subi d’importantes pertes liées à leurs valeurs à risque. Puis elles ont subi des pertes sur les prêts consentis. Dans les deux cas, elles devaient se recapitaliser.

Lorsque les banques se recapitalisent, elles ne peuvent pas créer des prêts rapidement et, par conséquent, la masse monétaire, c’est-à-dire les dépôts qui sont les contreparties des prêts, n’augmente pas.

Donc, à la suite de la crise financière mondiale, si vous prenez l’exemple des États-Unis, les prêts bancaires ont diminué de près de 1 billion de dollars, soit de 14 %. Si la Réserve fédérale n’avait rien fait, la masse monétaire aurait diminué de 14 %. Cela aurait été une catastrophe majeure.

La Réserve fédérale a procédé à un assouplissement quantitatif. Elle a essentiellement colmaté la brèche. Elle a empêché la masse monétaire de se contracter, mais pas au point de créer de l’inflation. Cela a permis à la masse monétaire de croître à un taux normal.

Cette fois-ci, les banques étaient en bonne posture durant la pandémie de COVID-19 et ont accordé des prêts, tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni, ainsi qu’au Canada et ailleurs. De surcroît, les banques centrales ont jeté de l’huile sur le feu en procédant à un assouplissement quantitatif, si bien que la croissance de la masse monétaire a été beaucoup plus rapide. C’est pourquoi nous avons connu une inflation cette fois-ci mais pas la dernière fois.

Le sénateur Gignac : Merci. C’est une bonne explication. Je souscris entièrement à votre analyse.

La présidente : Je ne sais pas si vous avez écouté le témoignage de M. Mintz, si vous avez pu l’entendre, mais il a parlé de la stimulation excessive, de trop-payés, tout au long de la pandémie, que les gens avaient très certainement besoin d’aide, mais que lorsque les revenus augmentent de 11 % pendant une crise, il y a évidemment eu des dépenses excessives. Il a donné quelques exemples : les travailleurs à temps partiel touchaient le même salaire que les travailleurs à temps plein, et cetera.

M. Greenwood : D’accord.

La présidente : Nous connaissons quelles en ont été les répercussions. L’une d’elles, comme vous le dites, est l’inflation. Nous avons également vu des personnes quitter le marché du travail à cause de cette situation. Quelle en est la conséquence à court et à long terme?

M. Greenwood : Si l’on se penche sur les dépenses publiques, il faut savoir comment elles sont financées.

M. Mintz a également dit, et il citait le professeur Cochrane à Stanford, que les dépenses fiscales créent de l’inflation. Ce n’est tout simplement pas correct.

Prenons l’exemple du Japon. Le Japon a connu d’énormes déficits tout au long des années 1990 et au début des années 2000, mais la déflation n’a jamais cessé. Pourquoi? Parce que le pays ne l’a pas financée en imprimant de l’argent.

Il n’y a fondamentalement que trois façons de financer un déficit. On peut augmenter les impôts, ce qui fait que le secteur privé a moins d’argent à dépenser et le gouvernement a plus d’argent à dépenser. La deuxième façon est d’emprunter. Si le gouvernement emprunte l’argent au secteur privé, là encore, le gouvernement a plus d’argent à dépenser, et le secteur privé, moins. La taille du gâteau n’a pas diminué, mais le gouvernement en prend une plus grande part.

La troisième façon de financer les dépenses publiques — nous utilisons ici un langage métaphorique — est d’imprimer de l’argent. C’est pour accompagner cette augmentation des dépenses publiques par une hausse plus rapide du taux de croissance de la monnaie. C’est exactement ce qui s’est passé dans de nombreux pays pendant la pandémie.

Mais pour bien comprendre la situation et réfléchir à la question, il s’agissait de deux opérations distinctes. Les gouvernements ont contracté beaucoup d’emprunts. Les banques centrales ont augmenté la masse monétaire en achetant des obligations de sociétés sur les marchés secondaires. Elles n’achetaient pas directement du gouvernement. Il s’agissait de deux décisions distinctes.

Comme nous l’avons vu dans les exemples cités précédemment, des pays comme le Japon, la Suisse ou la Chine n’ont pas financé les dépenses publiques en imprimant de l’argent et, par conséquent, ils n’ont pas connu d’inflation.

Il ne s’agit pas tant de savoir dans les moindres détails comment le gouvernement subventionne un groupe par rapport à un autre, mais surtout de savoir si les dépenses publiques globales sont financées par l’impôt, par des emprunts ou par l’impression d’argent.

La présidente : Merci. J’ai une autre question complémentaire sur vos commentaires concernant l’exigence par voie législative de réviser le mandat de la Banque du Canada étant donné ce que nous avons vu. Vous avez parlé de cibles. Pouvez-vous approfondir votre pensée?

M. Greenwood : Oui. Bien que nos banques centrales et nos politiques monétaires doivent être indépendantes — indépendantes des politiciens et du cycle politique —, le fait est que nous avons conféré trop de pouvoirs discrétionnaires à nos banques centrales. Nous devons limiter leurs actions, non seulement en fixant une cible d’inflation, mais aussi en leur imposant l’obligation de ne pas permettre une croissance monétaire trop élevée trop longtemps, ou trop faible trop longtemps. Ces deux scénarios peuvent entraîner des problèmes pour l’économie. Il nous faut ajouter cette obligation à la cible d’inflation.

La cible d’inflation fait partie du mandat, mais rien ne limite les actions des banques centrales pour atteindre cette cible. Voilà ce qui pose problème dans le cas qui nous occupe.

Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration préliminaire, le gouverneur Macklem a affirmé : « Eh bien, nous ne faisons que baisser les taux d’intérêt. » Pas du tout. Il injectait de grandes sommes d’argent dans l’économie à la vitesse grand V, et c’était là son erreur.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Ringuette : Votre perspective est fort captivante.

Lors de la comparution du gouverneur de la Banque du Canada devant notre comité, je lui ai demandé dans quelle mesure il pouvait augmenter un taux d’intérêt sans déclencher ou alimenter une récession au Canada. Je n’ai pas obtenu de réponse. J’aimerais savoir ce que vous m’auriez répondu.

M. Greenwood : D’accord. Selon moi, il est impossible de répondre à cette question pour cette raison : le facteur qui stimule les dépenses — et, donc, le facteur qui détermine si le Canada connaît une récession — est le rythme auquel la masse monétaire a crû dans les périodes antérieures.

Si le rythme de la croissance de la masse monétaire ralentissait pour atteindre, disons, 3 % ou moins, et se stabiliser à ce niveau très faible, je pourrais prévoir avec certitude que le Canada subirait probablement une récession. Le taux d’inflation chuterait brusquement au terme d’une période d’un an ou deux.

Il n’existe pas de lien précis entre les taux d’intérêt et une récession. Voyez-vous, lorsque la banque centrale augmente les taux d’intérêt, la masse monétaire se resserre sur le coup. Puis, après un certain temps, l’économie ralentit et l’inflation finit par diminuer. Par la suite, les taux d’intérêt baissent.

Les effets sur les taux d’intérêt — les changements au rythme de croissance de la masse monétaire — se font en deux temps. La première conséquence d’un resserrement monétaire serait d’augmenter les taux d’intérêt. La deuxième serait de les baisser.

Il est très difficile — ou, comme je le disais, pratiquement impossible — de déterminer précisément dans quelle mesure les taux doivent augmenter parce que les taux d’intérêt sont un symptôme de différents facteurs. Les taux d’intérêt élevés peuvent être la conséquence d’un resserrement monétaire marqué ou, dans d’autres économies, une croissance excessivement rapide de la masse monétaire — comme en Argentine, en Turquie ou au Venezuela — peut entraîner des taux d’intérêt élevés. Par conséquent, il ne faut pas se fier aux taux d’intérêt pour bien orienter une saine politique monétaire. Comme je le disais au début de mon exposé, il est beaucoup plus approprié de se fier aux rythmes de croissance de la masse monétaire. En s’appuyant sur cet indicateur, on ne peut se fourvoyer trop allègrement.

La sénatrice Ringuette : Vous avancez essentiellement que l’inflation devrait se stabiliser si on n’augmente ou ne diminue pas le taux d’intérêt, ou si on le laisse à un taux stable et qu’on laisse l’économie croître?

M. Greenwood : Je dis plutôt qu’il est bénéfique de maintenir une croissance stable de la masse monétaire. Si cette croissance stable se traduit par des mois où les taux d’intérêt augmentent et d’autres mois où ils diminuent, ainsi soit-il. Ce qui prime, c’est de juguler les dérapages liés à la croissance de la masse monétaire. On devrait se soucier de la masse monétaire, pas du taux d’intérêt.

La présidente : Nous assistons à ce débat, ici au Canada et peut-être encore plus vivement aux États-Unis : l’augmentation des taux d’intérêt exerce bien entendu des pressions récessionnistes, qui font ensuite diminuer les taux d’intérêt.

M. Greenwood : Au bout du compte, oui. Les États-Unis sont aux prises avec un problème plus difficile à régler, soit que, pendant la pandémie, leur masse monétaire au sens large a crû en moyenne de 18 %. Depuis le début de l’année, cette croissance est devenue nulle. On peut s’attendre à un ralentissement de l’activité économique très marqué.

Si vous voulez que j’emploie une métaphore, je pourrais dire que la Réserve fédérale américaine a appuyé trop fort sur l’accélérateur pendant la pandémie de COVID, ce qui a entraîné une croissance moyenne de 18 % de la masse monétaire au sens large. Actuellement, la Réserve fédérale freine trop brusquement, ce qui donne lieu à des augmentations subites des taux et à du resserrement quantitatif. C’est également ce qui explique la croissance monétaire nulle aux États-Unis pendant les 10 premiers mois de l’année. La conjoncture menace de plonger le pays dans une récession et un chômage plus graves que nécessaire pour diminuer le taux d’inflation.

La présidente : Je vous remercie de cette réponse.

Pour la gouverne du comité, j’aimerais mentionner que nous ne sommes pas en mesure de rétablir la communication avec M. Ambler dans une mesure qui permettrait aux traducteurs de faire leur travail. Quelqu’un a-t-il une ou deux dernières questions à poser à M. Greenwood?

Le sénateur Smith : Monsieur Greenwood, l’Australie envisage de mener un examen indépendant de sa banque centrale. On entend dire que le nouveau premier ministre du Royaume-Uni a promis un examen des objectifs de la Banque d’Angleterre. Croyez-vous que le mandat de la Banque du Canada devrait faire l’objet d’un examen indépendant, étant donné les actions de la banque centrale au cours des trois dernières années? J’essaie de déterminer comment on peut garantir que la Banque centrale continue à rendre des comptes tout en maintenant son indépendance.

M. Greenwood : Comme je l’ai dit tout à l’heure, la cible d’inflation constitue la bonne voie à prendre, mais il faut un peu plus contraindre les moyens par lesquels la banque centrale atteindra cette cible. En se croisant les bras, les pays de partout dans le monde — les États-Unis, le Royaume-Uni, Israël, la zone euro, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada — se retrouvent tous avec une croissance excessive de la masse monétaire. La situation ne se serait pas produite si les mandats avaient été plus contraignants pour éviter ce type de croissance excessive de la masse monétaire.

Nous ne disposons pas d’assez de temps pour approfondir la question, mais, fondamentalement, les banquiers des banques centrales de la génération actuelle font fi de la masse monétaire et s’attardent aux taux d’intérêt. À mon avis, ils font fausse route. Comme je le disais, le temps nous manque pour en discuter. Nous devons revenir à la réalité dans toute sa simplicité : une trop grande quantité d’argent pour nous procurer de trop rares biens créera un problème. C’est exactement ce qui s’est produit dans les deux dernières années.

Le sénateur Smith : À la lumière de notre discussion d’aujourd’hui, entrevoyez-vous la mise en œuvre d’un processus dans les pays de par le monde pour examiner les banques centrales?

M. Greenwood : Il se pourrait que certains pays s’adonnent à de tels examens. La Réserve fédérale vient tout juste de mener un examen de son propre rendement, et la Banque centrale européenne, ou BCE, lui a emboîté le pas et a examiné son cadre de fonctionnement. Ironiquement, depuis ces exercices, l’inflation est devenue galopante. Je ne fonde pas beaucoup d’espoir sur les résultats que donneraient ces types d’examens. Je crois que le résultat serait du pareil au même et qu’on n’obtiendrait pas les détails que j’ai essayé de vous fournir dans mon témoignage aujourd’hui.

Le sénateur Smith : Merci, monsieur Greenwood.

La présidente : Toujours au sujet du processus d’examen, je crois qu’aucun intervenant externe ne participe au processus de la Banque du Canada pour évaluer si elle est sur la bonne voie, si ses mesures fonctionnent, etc. Lorsque vous parlez d’un examen, qu’imaginez-vous exactement? Quelle structure aurait-il?

M. Greenwood : C’est précisément le problème : les banques centrales corrigent trop souvent leurs propres devoirs. C’est ce qu’a fait la Réserve fédérale américaine, à l’instar de la Banque centrale européenne. C’est un fait : une grande partie de l’expertise reste dans les confins des banques centrales. L’argument à battre en brèche est de taille, mais, selon moi, les banques centrales multiplient les erreurs depuis deux ou deux ans et demi, et il faut les corriger.

Le sénateur Loffreda : Intéressons-nous aux stratégies futures qu’adopteront nos banques centrales dans le contexte géopolitique actuel qui nous assaille de défis qui, espérons-le, ne seront pas trop fréquents : les guerres, les défis climatiques, les mauvaises récoltes, les épidémies. Croyez-vous que les pénuries de marchandises résultant de ces défis pourraient seulement causer de l’inflation temporaire? Vous arrivez à la conclusion qu’on devrait davantage se concentrer sur la masse monétaire; vos constats changent-ils à la lumière du contexte actuel et de l’incertitude qui nous entoure? Maintenez-vous que les banques centrales devraient strictement se pencher sur la masse monétaire? Il va de soi que nous pourrions faire preuve de souplesse dans l’appui qui s’avère nécessaire, mais j’aimerais entendre vos réflexions à ce sujet.

M. Greenwood : Oui, sénateur Loffreda, vous parlez essentiellement de la différence entre les prix relatifs et le niveau global des prix. Pour revenir à ce que M. Mintz a mentionné au passage dans sa déclaration préliminaire — à juste titre, selon moi —, la banque centrale a la capacité de contrôler le niveau global des prix en contrôlant la masse monétaire. La banque centrale n’a aucun contrôle sur la hausse des prix des aliments due à de mauvaises récoltes, sur les prix de l’énergie soumis aux aléas des guerres et des sanctions ou sur les fluctuations de certains prix dans l’économie causées par le climat.

Force est d’admettre que la banque centrale peut seulement s’occuper de la simple notion visant à stabiliser les niveaux globaux des prix. Si des perturbations en matière d’offre ou même de demande surviennent, les banques centrales devraient malgré tout s’obstiner à stabiliser la croissance de la masse monétaire.

Si la Banque du Canada, confrontée à la pandémie en 2020, s’en était tenue à une croissance de la masse monétaire d’environ 7 à 9 % — le taux qu’elle maintenait à l’époque —, l’inflation actuelle ne se serait pas installée. Bref, je conviens que le monde se heurte à de nombreux défis, mais les politiques de la banque centrale ne peuvent aucunement y remédier.

Le sénateur Loffreda : Merci.

Le sénateur Gignac : Je me trompe peut-être, mais un coup d’œil à la comparaison des masses monétaires au Canada et aux États-Unis suggère que le Canada devrait dans les prochaines années être tenaillé par un taux d’inflation supérieur à celui des États-Unis. Un élément m’étonne et m’embrouille : je ne comprends pas pourquoi, dans le marché obligataire canadien, si on utilise l’obligation du Trésor de 10 ans aux États-Unis, par exemple, elle s’élève à 70 points de base de plus qu’au Canada. Ainsi, le rendement d’une obligation canadienne d’une durée de 10 ans s’élève à 3 %. Aux États-Unis, on parle de 70 points de base. Le marché des obligations pourrait se tromper, mais, en ma qualité d’ancien gestionnaire de portefeuille, je conseille toujours d’écouter les messages que nous envoie le marché, au risque de s’en mordre les doigts. Pourquoi les investisseurs sont-ils si persuadés de pouvoir prédire la trajectoire de l’inflation au Canada si la masse monétaire actuelle est si élevée? J’ai du mal à concilier les deux éléments.

M. Greenwood : Sénateur Gignac, je respecte le savoir que vous détenez en votre qualité d’ancien gestionnaire de portefeuille. Or, comme vous l’avez dit à juste titre, les gestionnaires d’obligations et les autres gestionnaires de portefeuilles n’ont pas nécessairement raison. Dans le cas qui nous occupe, nous avons toutefois assisté à une croissance très rapide de la masse monétaire aux États-Unis, et même beaucoup plus rapide qu’au Canada.

À son sommet, l’indicateur M2 — la mesure de la masse monétaire au sens le plus large, qui est toujours publiée par la Réserve fédérale américaine — a augmenté de près de 27 %. Rien de tel ne s’est produit au Canada. En fait, depuis février 2020 — soit juste avant le début de la pandémie —, la masse monétaire américaine a augmenté de 40 % sur une base cumulative. Ici encore, aucun phénomène de cette ampleur ne s’est produit au Canada.

Ces conjonctures suggèrent que l’inflation au Canada au cours des deux à trois prochaines années sera considérablement moins élevée qu’aux États-Unis. On peut donc s’attendre à une augmentation de la prime pour les obligations canadiennes; par conséquent, les rendements au Canada pourraient s’avérer moins élevés qu’aux États-Unis.

Bien entendu, toutes sortes de facteurs à court terme influencent les marchés d’obligations. Or, de façon générale, si on crée trop d’argent, le taux d’inflation augmentera ou perdurera plus longtemps. C’est ce que je prédis pour les États-Unis.

Le sénateur Gignac : Votre réponse était brève et très bien expliquée. Je vous en remercie. En résumé, les circonstances suggèrent que la Banque du Canada devrait cesser d’augmenter les taux d’intérêt avant la Réserve fédérale ou devrait beaucoup moins les augmenter parce que, si on compare les tendances, la conjoncture inflationniste est plus encourageante au Canada qu’aux États-Unis. Même nos autres invités ont abondé en ce sens. Êtes-vous d’accord?

M. Greenwood : Oui, je crois que c’est tout à fait juste, mais on ne peut arriver à cette conclusion en se fiant aux taux d’intérêt. Voici comment on saura que la situation se rétablira : dès que la Banque du Canada fixera à nouveau le taux de croissance de la masse monétaire à un niveau approprié — soit aux alentours de 6 % —, elle pourra cesser de miser sur le resserrement. En maintenant la croissance de la masse monétaire à ce niveau, il sera raisonnable de croire que, en moins d’un an ou deux, l’inflation renouera avec la cible de 2 %.

Il faut miser sur cette approche et ne pas trop s’en faire avec le niveau des taux d’intérêt parce que, comme je l’ai dit plus tôt, il n’existe aucun lien évident entre des taux d’intérêt précis et le taux d’inflation ou le taux de croissance de l’économie. Les taux d’intérêt représentent un symptôme et non pas une cause.

Le sénateur Gignac : Je vous remercie de la précision.

La présidente : Je vous remercie. Avant de conclure la réunion, je ne peux m’empêcher de vous poser une question, puisque je connais votre expertise à l’égard de la Banque d’Angleterre et de tous les soubresauts politiques qui surviennent au Royaume-Uni. Comment évalueriez-vous la situation au Royaume-Uni?

M. Greenwood : En bien, on remet la politique budgétaire sur les rails par des moyens très conventionnels, ce qui est approprié. Je crois que c’est la politique monétaire qui pose problème. À l’instar de la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre a adopté une politique de resserrement quantitatif très intense. Au cours de la période actuelle de 12 mois, la Banque d’Angleterre prévoit de réduire le bilan financier de 80 milliards de livres.

Il faut savoir que, si les banques n’octroient pas de prêts pour contrebalancer la mesure — en d’autres mots, si la croissance des prêts bancaires est inférieure à 80 milliards de livres —, la croissance de la masse monétaire au Royaume-Uni pourrait s’effondrer comme on l’a vu aux États-Unis. Ce scénario est très peu souhaitable.

Je répondrais brièvement que la politique budgétaire a généralement été remise sur les rails, bien qu’il faudra compter quelques années avant de réaliser les objectifs qu’a fixés le gouvernement. En outre, j’ai encore beaucoup de doutes dans mon esprit quant aux décisions entourant la politique monétaire.

La présidente : Je vous remercie de m’avoir permis de vous poser cette question. Merci, monsieur Greenwood. Il se peut que nous fassions à nouveau appel à vous parce que nous nous pencherons entre autres sur le mandat de la Banque du Canada et sur la façon d’évaluer les éléments s’y rattachant. Votre aide serait des plus utiles dans ce dossier. Pour l’instant, je vous remercie de vos réflexions et vos commentaires d’aujourd’hui. Fort intéressant.

M. Greenwood : Merci beaucoup.

La présidente : Monsieur Ambler, si vous nous entendez toujours, j’aimerais vous présenter nos excuses. Nous n’avons pas été en mesure de régler les pépins techniques qui ont empêché la traduction de vos propos. Nous allons communiquer avec vous séparément et après la réunion; nous pourrons peut-être convenir d’un autre moment pour vous réinviter. Nous vous remercions néanmoins de votre participation aujourd’hui.

M. Ambler : Ce n’est pas grave. C’est avec plaisir que je reviendrai à n’importe quel moment.

La présidente : Merveilleux. Vous voilà. Vous pouvez nous entendre. Merci beaucoup.

Sur ce, le comité s’apprête à lever la séance. Nous nous reverrons jeudi de la semaine prochaine. Merci.

(La séance est levée.)

Haut de page