LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 16 février 2023
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension; et à huis clos, pour examiner une ébauche de rapport.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Je vous souhaite la bienvenue à tous à cette séance du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et j’occupe la présidence du comité.
J’aimerais d’abord présenter les membres du comité parmi nous aujourd’hui : le sénateur C. Deacon, la sénatrice Bellemare, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, le sénateur Wells, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith et le sénateur Yussuff. Il se pourrait aussi que la sénatrice Marshall se joigne à nous.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude du projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
Durant la première heure, nous entendrons tous les témoins. Nous prendrons une courte pause, puis nous passerons à l’étude article par article, avant de nous pencher sur les observations. Nous reviendrons pour donner notre approbation finale.
Nous accueillons aujourd’hui Jean-Daniel Breton, président du conseil d’administration, et Alex Morrison, membre de l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation. En réponse à la sénatrice Bellemare, nous entendrons un peu plus tard Michael Moraca, trésorier et responsable des relations avec les investisseurs d’Algoma Steel Inc. Nous entendrons enfin l’exposé de Michael Powell, président de la Fédération canadienne des retraités.
Nous entendrons d’abord Jean-Daniel Breton et Alex Morrison. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être des nôtres.
Jean-Daniel Breton, président du conseil d’administration, Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation : Je vous remercie et vous souhaite le bonjour, distingués membres du comité. Je m’appelle Jean-Daniel Breton et je suis accompagné d’Alex Morrison. Nous représentons l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation, connue sous l’acronyme ACPIR.
Nous sommes une organisation nationale sans but lucratif qui compte environ 1 400 membres et associés offrant des services en matière d’insolvabilité et de réorganisation au bénéfice de consommateurs et de sociétés. Nos membres jouent divers rôles dans les cas d’insolvabilité au Canada, notamment comme syndics de faillite et de propositions du consommateur, séquestres judiciaires et contrôleurs nommés par le tribunal. La nature du travail exige que les syndics d’insolvabilité agréés ne représentent pas un groupe ou une entité en particulier. Ils ont plutôt la responsabilité de gérer les cas d’insolvabilité à titre d’administrateurs judiciaires, conformément à la loi et dans l’intérêt de toutes les parties. Notre mission consiste à promouvoir un système transparent et efficace s’appliquant partout au Canada en matière d’insolvabilité et de réorganisation.
Nous avons remis au comité notre mémoire présentant notre point de vue sur le projet de loi C-228. Nous aimerions souligner quelques éléments et en discuter avec vous.
Tout d’abord, nous voulons préciser que les prestations de retraite sont une rémunération différée pour le travail effectué par les employés, que les employés et les retraités forment une catégorie de créanciers vulnérable et qu’il est louable d’envisager des solutions pour réduire les pertes. Malheureusement, nous croyons que le processus proposé dans le projet de loi C-228 n’atteindra pas les objectifs établis et pourrait entraîner plus de pertes d’emploi.
La répartition du produit ne doit pas être un jeu ne faisant qu’un seul gagnant, et d’autres demandeurs affirmeront aussi qu’ils sont vulnérables et qu’ils ont droit de recouvrer leurs créances. Le projet de loi doit mener à des politiques assurant l’équilibre entre les intérêts de toutes les parties prenantes, affectant les ressources limitées avec justice et optimisant les résultats. Nous ne formulons pas d’opinion sur le groupe qui serait le plus méritant dans un tel exercice. Nous soulignons que le processus visant à mettre en valeur les priorités d’un groupe doit tenir compte de l’incidence sur les autres groupes. On peut trouver un exemple de cet exercice d’équilibre dans le rapport produit par votre comité en novembre 2003 et intitulé Les débiteurs et les créanciers doivent se partager le fardeau.
J’inviterais mon collègue, Alex Morrison, à présenter notre mémoire.
Alex Morrison, membre, Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation : Je vous remercie.
J’aimerais d’abord éviter une confusion potentielle sur la nature de la dette d’après le projet de loi C-228. Ce dernier ne mentionne pas les montants que l’employeur ou l’employé doit verser de manière régulière au régime de retraite à prestations déterminées ou à cotisations déterminées. Des protections existent déjà à ce propos dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies.
Le projet de loi C-228 vise à étendre la protection à un type particulier de dette lié à une fluctuation du marché causant une baisse de la valeur des actifs que possèdent les régimes de retraite.
La présidente : Je suis désolée, monsieur Morrison, mais je dois vous interrompre un instant. Il n’y a pas d’interprétation présentement. Sachez que nous avons tous reçu votre exposé et les documents afférents. Vous pouvez mettre en lumière certains aspects, si vous le voulez. Voyons si nous pouvons régler les difficultés liées à l’interprétation.
M. Morrison : D’accord.
La présidente : Si nous ne pouvons pas entendre l’interprétation dans nos oreillettes, nous devrons continuer avec M. Breton. Nous allons prendre quelques instants pour résoudre le problème.
Entretemps, nous pourrions aussi poser des questions à M. Breton.
M. Breton : Si vous permettez, sénatrice, l’élément dont parlait Alex ne se trouve pas dans les documents. Ce sujet a été mentionné dans différentes conversations précédentes. Nous tenons simplement à préciser la nature de la dette présentement à l’étude.
La présidente : Je vois, mais il s’agit d’une difficulté technique. Avez-vous également accès à cette information ?
M. Breton : Oui, j’y ai accès. Nous avons produit les documents ensemble.
La présidente : D’accord, c’est très bien si vous connaissez ces renseignements. Nous avons compris le début de l’exposé, mais nous ne pouvons pas continuer à entendre le témoignage de votre collègue sans interprétation. Si vous pouvez procéder autrement, ce serait là une solution.
M. Breton : Oui, je peux reprendre l’exposé.
L’ambiguïté que nous avons remarquée concerne la nature de la dette dans le projet de loi C-228. Ce dernier ne précise pas les montants que l’employeur doit verser au régime de retraite à prestations déterminées ou à cotisations déterminées. Il en va de même pour les cotisations de l’employé. Ces montants sont déjà prévus dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité et la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, qui contiennent des protections relatives à ces montants.
Le projet de loi C-228 étend la protection à un type particulier de dette lié à une fluctuation du marché causant une baisse de la valeur des actifs que détiennent les régimes, un rendement insuffisant des investissements ou un changement dans le taux d’actualisation servant à estimer le passif des régimes à prestations déterminées. Ce n’est pas une insuffisance de fonds versés par l’employeur en vertu du régime qui est en cause, mais des facteurs en dehors du contrôle de l’employeur exigeant qu’il contribue davantage pour que l’employé reçoive le montant de pension prédéterminé selon le régime. Les sommes à verser augmentent ou baissent de temps à autre, selon les fluctuations des marchés.
Dans notre mémoire, nous considérons que les mesures envisagées dans le projet de loi seraient sans doute inefficaces et pourraient même nuire aux travailleurs en général. Nous allons vous présenter les raisons expliquant notre position.
D’abord, la priorité absolue envisagée dans le projet de loi C-228 donne l’illusion d’être protégé sans qu’il en découle d’avantage véritable. Notre expérience nous dit que les actifs disponibles à la liquidation sont insuffisants pour garantir un véritable redressement. Le Bureau du surintendant des faillites signale par exemple que les dividendes versés pour les dossiers clos en 2021 étaient en-deçà de 2 % des montants dus aux créanciers.
De plus, la priorité absolue causera sans doute l’élimination progressive des régimes à prestations déterminées restants, en raison des défis que pose l’obtention du financement de la dette.
Par ailleurs, les changements proposés dans le projet de loi C-228 vont probablement toucher les processus de réorganisation en vertu de la Loi sur l’insolvabilité, en décourageant le financement provisoire nécessaire pour envisager un processus de réorganisation ou pour débourser les fonds afin de terminer le processus. Une baisse dans l’activité de réorganisation entraînerait sans doute des pertes d’emploi et une diminution de la valeur des actifs pour les parties en général. Nous prévoyons que le projet de loi causerait des pressions incitant à mettre fin aux régimes de retraite, plutôt qu’à les conserver. Nous savons que l’activité de réorganisation est extrêmement importante, parce qu’en examinant les régimes protégés qui fonctionnent toujours, on peut voir qu’il s’agit d’entreprises ayant poursuivi leurs activités et qui n’ont pas fait l’objet d’une liquidation.
En terminant...
La présidente : Soyez bref, je vous prie. Nous avons dépassé le temps alloué.
M. Breton : Oui, je serai très bref.
Les règles de transition prévues dans le projet de loi causeraient sans doute des problèmes pour l’administration des successions, qui est un domaine très ardu. En général, les changements législatifs en matière d’insolvabilité s’appliquent aux débiteurs entamant une procédure d’insolvabilité à compter d’une certaine date. Le projet de loi propose une date de mise en œuvre unique, quatre ans après l’entrée en vigueur. Les règles commenceraient donc à s’appliquer durant l’administration, qui est un processus épineux. Elles vont en outre à l’encontre de la nécessité d’adopter une loi équitable et transparente pour tous. Dans sa version actuelle, il se pourrait qu’une entreprise doive observer un ensemble de règles au départ des procédures, puis un autre à la fin. Cette situation serait impraticable.
La présidente : Je vous remercie de ces observations.
Je demanderais à chacun d’être aussi concis que possible. Nous avons beaucoup de témoins.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, monsieur Breton.
Je crois que les employeurs qui acceptent de fournir à leurs employés un filet de sécurité dans un régime à prestations déterminées comprennent ce risque dès le départ. Ils assument l’obligation de veiller à ce que les prestations déterminées soient versées, et les risques liés au marché font partie de ce défi.
Aviez-vous présenté ces questions lors de l’examen du projet de loi par la Chambre des communes?
M. Breton : Nous avions présenté un mémoire à la Chambre. Toutefois, nous ne savons pas s’il a été pris en considération ou non, car nous n’avons pas été invités à comparaître devant la Chambre.
Le sénateur C. Deacon : L’autre élément que vous avez soulevé est qu’il s’agit d’un mode de rémunération différée pour les employés. Nous sommes tout à fait d’accord sur ce point. Votre question était en fait de savoir quelle devrait être leur position à titre de créanciers.
Le gouvernement fédéral adopte une position très claire selon laquelle une partie de la rémunération qui sert à payer les impôts constitue en réalité une obligation pour les administrateurs si elle n’est pas destinée à être remise au gouvernement. Le gouvernement a déjà pris une position claire en ce qui concerne l’ordre de priorité de certains éléments du revenu d’emploi et les obligations qui en découlent. À mon avis, il s’agit d’un enjeu politique qui a certainement été résolu par le vote unanime à la Chambre des communes sur ce projet de loi. À part cette observation, je ne sais pas vraiment ce que nous pouvons faire de plus.
La présidente : Pour que ce soit clair, lorsqu’un mémoire est présenté à la Chambre, il est traité comme une preuve. Qu’une personne ou un groupe soient appelés à témoigner ou non est une décision qui relève de la Chambre, mais nous avons reçu de nombreux mémoires, et ils sont tous considérés comme des preuves.
Le sénateur Loffreda : Je remercie nos témoins d’être avec nous.
Ma question s’adresse aux représentants de l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation. Nous sommes tous d’accord sur le fait que les travailleurs ont besoin d’une protection. J’appuie, tout comme vous, un tel exercice. Toutefois, de nombreux intervenants, y compris l’Institut d’insolvabilité du Canada et vous-mêmes, d’après ce que j’ai entendu ce matin, craignent que le projet de loi C-228 rende plus difficile pour les entreprises qui offrent des régimes de retraite à prestations déterminées d’obtenir le financement nécessaire et de maintenir leurs activités en cours pendant une restructuration. Le projet de loi limiterait la capacité des entreprises à maintenir les emplois et à se restructurer pour demeurer viables. Avez-vous d’autres préoccupations? Quelles seront, selon vous, les conséquences à court et à long terme sur notre économie et sur ce type de régimes très avantageux pour les travailleurs que sont les régimes de retraite à prestations déterminées?
M. Breton : Je souscris à l’évaluation que vous avez présentée en ce qui concerne les difficultés qui pourraient survenir si ce projet de loi était adopté tel quel. Cependant, je pense qu’avec le temps, les créanciers vont accentuer leur pression sur les entreprises. Chaque fois qu’un créancier a la possibilité d’accorder ou non un crédit, il prend en considération le niveau de risque perçu à l’égard de l’entreprise. La mise en place d’un régime de retraite qui, selon les fluctuations du marché ou les changements dans les taux d’actualisation, pourrait se retrouver en position excédentaire ou déficitaire pratiquement du jour au lendemain, ce qui est un risque que les créanciers ne peuvent pas vraiment prévoir et quantifier de manière précise.
À mon avis, les créanciers vont exercer beaucoup de pression sur les entreprises pour les amener à se départir des régimes à prestations déterminées, et à ne plus mettre en place de tels régimes lorsqu’elles ont le loisir d’exercer un quelconque contrôle sur l’emprunteur. Cela entraînerait, selon moi, une nouvelle diminution des régimes. Nous avons déjà constaté une diminution constante des régimes à prestations déterminées. La population en général diminue, et je pense que cela risque d’accélérer la diminution de ce type de régimes.
M. Morrison : L’autre risque a lieu lorsqu’une entreprise est en cours de restructuration. Lorsqu’une entreprise connaît des difficultés financières et qu’elle essaie de se redresser, de sauver des emplois, de protéger ses infrastructures dans les collectivités locales, il est essentiel qu’elle dispose de financement provisoire afin de gagner du temps et mener à bien la restructuration. Les créanciers qui se spécialisent dans le financement provisoire sont très réticents à offrir un prêt dans une situation où il y a une importante créance prioritaire potentielle sur un régime de retraite à prestations déterminées ayant priorité sur leur prêt. L’entreprise n’obtiendra donc pas de nouveaux participants à sa structure financière pour lui permettre de gagner du temps lors d’une période de restructuration.
[Français]
Le sénateur Gignac : Merci à nos témoins. Ma question s’adresse à M. Breton. J’ouvre une parenthèse pour dire que je déplore le fait que vous n’avez pas été invité au comité de la Chambre des communes pour exposer votre point de vue, car à mon avis, les parlementaires auraient pu en profiter, étant donné votre expertise. D’ailleurs, je partage les inquiétudes dont vous nous avez fait part au début de votre intervention, quand vous avez dit que la baisse du pourcentage de travailleurs couverts par les régimes à prestations déterminées, qui est passé de 21 % en 2000 à moins de 10 % au moment où l’on se parle — va probablement s’accélérer avec l’adoption de ce projet de loi. Je partage les inquiétudes de mon collègue le sénateur Loffreda.
J’ai été impliqué comme ministre québécois du Développement économique dans la restructuration d’AbitibiBowater, où les déficits des caisses de retraite étaient un enjeu important. Avez-vous été impliqué dans ces dossiers, et pouvez-vous nous en parler? Au moment de la restructuration, c’était très clair qu’il y avait des compromis à faire avec les retraités et en ce qui a trait aux conventions collectives des travailleurs. Le gouvernement du Québec a fait preuve de flexibilité pour étendre la période visant à combler le déficit actuariel pour passer à travers cette période de la crise financière de 2008-2009. Ai-je bien compris que, si ce projet de loi est adopté comme on croit qu’il le sera, cela pourrait être beaucoup plus difficile de faire des restructurations et cela pourrait provoquer davantage de pertes d’emplois, de fermetures ou de délocalisations d’usines vers les États-Unis?
M. Breton : Je partage votre inquiétude à cet effet. Effectivement, je n’ai pas travaillé sur le dossier d’AbitibiBowater, alors je ne peux pas le commenter.
On a remarqué que, pour tous les dossiers dont on parle, où le plan est maintenant encore en vigueur et s’est restructuré, une procédure de restructuration s’est déroulée conformément à la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC) et on a été en mesure de poursuivre les opérations comme telles.
Cette continuité et cette poursuite des opérations dans le temps font en sorte que les mouvements du marché vont changer; la vague va changer pour remettre les actifs à niveau, afin d’avoir suffisamment d’actifs pour payer les dettes des fonds de pension à l’avenir. S’il y a trop d’inquiétudes au début du processus de restructuration en vertu des lois sur l’insolvabilité, s’il y a trop d’inquiétudes sur la possibilité que la restructuration fonctionne ou non, à ce moment-là, il n’y aura pas de prêteurs pour fournir les fonds nécessaires, entreprendre le processus de restructuration et passer à travers la crise. Cela peut donc entraîner des manquements pour les compagnies, des faillites ou des liquidations pour certaines compagnies qui, autrement, auraient pu faire l’objet d’une restructuration.
Dans certains cas, effectivement, la façon acceptable de restructurer une compagnie qui a un déficit actuariel important, c’est de reporter dans le temps les paiements des cotisations spéciales pour être en mesure de les amortir sur une plus longue échelle, pour donner à la compagnie le temps de respirer et au fonds de pension le temps de revenir au niveau où il devrait être.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : Monsieur Breton, vous avez mentionné que les procédures dans lesquelles vous vous engagez sont régies par un ensemble de règles, et qu’avec la transition, vous pourriez avoir à modifier l’ensemble des règles qui sous-tendent une restructuration ou une cessation des activités. Pourriez-vous m’expliquer cela, car j’ai toujours cru comprendre que la date à laquelle un certain processus juridique commence s’applique également aux règles et aux mesures législatives entourant ce processus. Pourriez-vous clarifier cet aspect pour moi?
[Français]
M. Breton : Si vous faites une comparaison entre les règles de transition telles qu’elles sont écrites dans le projet de loi à l’étude et les règles de transition qui ont été écrites dans d’autres projets de loi, comme ceux qui ont apporté des changements en 2005 et 2007 et sont entrés en vigueur en 2009, tous ces changements traitaient des procédures qui avaient commencé après une certaine date. La raison est la suivante : quand on applique la loi, on l’applique telle qu’elle est cette journée-là. Si la loi change complètement cette journée-là, il est possible qu’on ait des règles différentes d’une entreprise à l’autre ou même à l’intérieur du même dossier d’administration, ce qui est une situation ingérable. Il faut donc modifier le texte pour que la loi s’applique strictement aux procédures qui commenceront à l’avenir.
Par exemple, si vous décidez de conserver une règle de transition de quatre ans, il faudrait dire que la loi telle qu’elle est modifiée s’applique à tout dossier d’insolvabilité qui sera traité quatre ans plus tard. On a identifié deux problèmes importants dans les règles de transition. D’abord, un dossier qui commence dans trois ans et demi pourrait commencer sous une loi et des règlements qui existent aujourd’hui, alors que si la distribution se fait six mois plus tard, les règles auront changé. Donc, sur le plan de la transparence et de la prédictibilité des procédures, c’est assez problématique.
Aussi, la loi rédigée telle qu’elle l’est doit donner une période de quatre ans pour que les règles entrent en vigueur. Cela veut dire qu’elles s’appliqueraient tout de suite à une compagnie qui n’a pas de régime de retraite à prestations déterminées aujourd’hui, mais qui en aurait un la journée suivant l’adoption de la loi, parce que les règles s’adoptent de façon prospective seulement aux entreprises. Je suis d’avis que ce problème est un peu académique, parce que je ne vois pas beaucoup d’entreprises commencer un nouveau régime à prestations déterminées après la date de mise en vigueur de ce projet de loi.
[Traduction]
La présidente : Je vous remercie de cette dernière remarque.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie d’être ici ce matin.
Les observations que vous avez faites jusqu’à présent sont intéressantes. J’entends que vous avez une opinion tranchée sur le sujet, mais elle n’est pas fondée sur des faits. Tous ces événements pourraient arriver, mais ils pourraient aussi bien ne pas arriver.
Si l’on se met dans une perspective historique, il est vrai que lors d’une faillite, les régimes de retraite des travailleurs ne sont pas entièrement financés à la date à laquelle est survenue la faillite. La plupart du temps, les travailleurs ont dû attendre de voir ce qui pourrait rester des actifs alors que, bien entendu, les créanciers garantis avaient pour leur part été pris en charge. Il est certain qu’en analysant la loi sous sa forme actuelle du point de vue d’un retraité, il soutiendra qu’elle est injuste en ce qui concerne la manière dont il a été traité par rapport à la protection en cas de faillite.
Depuis toutes les décennies que d’autres personnes et moi sommes impliqués dans cette situation, je ne pense pas pouvoir trouver un exemple particulier où les retraités ont été traités de manière plus juste et plus équilibrée. Bien entendu, les retraités ont dû subir une diminution importante de leurs régimes de retraite en raison de la loi dans sa forme actuelle. Il serait pertinent pour le comité d’être au fait d’une telle situation. Qu’il s’agisse de Sears Canada ou de Nortel, les preuves ont été très claires aux yeux des retraités qui ont vécu ce genre de situations. Les retraités soutiennent que la loi n’était pas équitable en ce qui concerne la manière dont ils ont été traités pendant les procédures à la fin de la faillite. Vous pourriez peut-être en dire plus à ce sujet.
Je reconnais que vous avez des opinions très tranchées sur ce qui pourrait se produire à l’avenir. Toutefois, il est certainement juste de dire que les employeurs et les responsables de la négociation des régimes de retraite à prestations déterminées seront très conscients d’un tel changement. Il est à espérer qu’ils prendront les mesures nécessaires pour s’assurer que leurs régimes de retraite sont entièrement financés à l’avenir, tout en ayant conscience que les forces du marché pourraient venir changer la donne. J’imagine que vous souhaitez faire quelques observations à cet égard.
M. Breton : Je vous remercie de cette question, sénateur Yussuff.
En effet, j’ai une opinion très tranchée au sujet de ce projet de loi, et je tiens d’ailleurs à dire que je suis beaucoup plus proche de la retraite que je ne voudrais l’être; elle est en fait imminente, et j’éprouve donc de la compréhension, de la sympathie et un attachement particulier pour les retraités qui subissent une diminution des revenus de leur fonds de pension.
Votre question était axée sur la question de l’équité, et c’est vraiment le seul élément qui m’intéresse lorsqu’il est question du processus d’insolvabilité. Je ne peux pas m’avancer sur le fait qu’un tel groupe devrait être mieux traité qu’un tel autre. Il s’agit d’une décision politique qui relève du législateur.
Je tiens toutefois à souligner que lorsqu’il s’agit d’équité dans le processus, rien n’est entièrement noir ou blanc; il existe différentes nuances d’équité. Lorsqu’on se penche sur le processus de restructuration, par exemple, et je vais vous donner l’exemple du dossier entourant White Birch, dans lequel j’ai été impliqué, vous allez vous rendre compte que le processus s’est déroulé pendant une période assez longue. Pendant tout ce processus, les retraités touchaient 100 % de leur fonds de pension jusqu’à ce que le régime de retraite soit liquidé. En effet, cela génère une différence d’équilibre entre les différents membres participant au régime de retraite. Certains membres plus jeunes finissent par subventionner les fonds de pensions des retraités plus âgés. Certaines personnes pourraient donc voir cela comme une injustice.
Si l’on observe la situation du groupe des employés et des retraités dans son ensemble, il est vrai que c’est injuste que ces travailleurs perdent de l’argent en cas de faillite de leur entreprise. Malheureusement, tout le monde perd de l’argent dans une situation de faillite. Nous souhaiterions qu’il en soit autrement, mais c’est une réalité de la vie. Il est injuste que tout le monde perde de l’argent dans un processus de faillite. Toutefois, je ne peux pas attribuer une plus grande injustice à un groupe ou à un autre en particulier. C’est une tâche qui relève du législateur.
Lorsqu’on aborde l’enjeu de l’équité, on observe que les régimes de retraite sont assurément une forme de compensation différée, tout comme celle qui se ferait au moyen d’un régime de retraite à contribution directe. En effet, dans un régime de retraite à contribution directe, les fluctuations du marché qui entraînent un déficit actuariel dans un régime de retraite à prestations déterminées sont subies par chaque employé. En cas de chute du marché juste avant leur départ à la retraite, les employés auront donc moins d’argent pour leur retraite. Ce n’est pas l’aubaine qu’ils espéraient, et c’est injuste.
Il y a une énorme injustice dans l’ensemble du système. Notre travail consiste à rendre le système plus équitable, mais malheureusement, nous ne serons jamais en mesure de le rendre parfaitement équitable pour tout le monde.
Le sénateur Yussuff : J’aimerais revenir sur l’aspect du...
La présidente : Soyez très bref.
Le sénateur Yussuff : Il ne s’agit pas d’une conversation unilatérale, mais jusqu’à présent, ça l’a été.
Permettez-moi de revenir sur un enjeu auquel vous venez de faire allusion, à savoir que c’est au législateur de trancher.
Le législateur a déjà pris une décision par rapport à une partie du processus en question. Si vous souhaitez commenter la décision du législateur, c’est ce que nous faisons également. En fin de compte, en tant que sénateurs, nous prendrons une décision, comme l’ont fait les députés. Ultimement, une loi va régir la manière dont les régimes de retraite, tant à l’échelle fédérale que provinciale, devraient régir la question des faillites.
J’ai conscience que vous avez un fort parti pris, et j’en ai un moi aussi, à titre de sénateur. Mais pour les travailleurs et les travailleuses du Canada qui contribuent réellement au succès de leur entreprise, je pense qu’il est juste qu’ils puissent accéder à un meilleur système que celui qui est présentement en place avec la législation actuelle.
Le sénateur Woo : J’aimerais revenir sur votre remarque concernant l’incidence de ce projet de loi sur les différentes catégories de retraités. Il y a ceux qui sont déjà à la retraite et qui touchent une pension, et il y a ceux qui travaillent encore et qui accumulent leur pension, en espérant en bénéficier plus tard lorsqu’ils prendront leur retraite. Pensez-vous que ce projet de loi pourrait empêcher l’option de sauver l’entreprise, donnant ainsi un rendement disproportionné à ceux qui sont déjà à la retraite et qui touchent donc une pension? Ils subiront une réduction, mais elle sera moins importante parce qu’ils sont prioritaires. Mais la plus grosse réduction sera absorbée par les travailleurs, car ils n’auront pas eu la possibilité de faire restructurer l’entreprise et de préserver leurs emplois.
M. Breton : Merci de votre question.
Oui, je suis inquiet que si le projet de loi a une incidence sur les activités de restructuration, il aura aussi une incidence sur les personnes qui ont actuellement un régime de pension à prestations déterminées et qui, si l’entreprise amorce un processus de restructuration, pourraient obtenir un allégement grâce à une prolongation du délai et à une meilleure échéance pour payer le déficit ou laisser le marché se rattraper. Pour ces personnes, l’occasion de se restructurer pourrait disparaître. Cependant, c’est quelque chose que nous ne pouvons pas savoir avec certitude, car il n’y a pas de clarté sur ce qui se passerait avec la mise en œuvre de ce projet de loi. Mais nous voyons une forte possibilité qu’il puisse nuire aux activités de restructuration. Ce serait vraiment mauvais pour l’économie, en général, et pour les retraités, en particulier.
Je vais laisser M. Morrison prendre la parole à ce sujet.
M. Morrison : Je vous remercie.
Je pense qu’il faut examiner les histoires de réussite des entreprises qui ont été en mesure de se restructurer et de sauver leurs régimes de pension, telles qu’Algoma, Stelco et AbitibiBowater, comme on l’a mentionné plus tôt. Quand ces régimes de pension sont en situation de déficit, il est essentiel que vous puissiez sauver une entreprise pour gagner du temps afin de permettre au régime de retraite d’être corrigé par des cotisations futures, par les changements du marché et ainsi de suite. C’est ce qui permet aux retraités d’éviter un déficit ou une réduction de leurs obligations en matière de pension. Il y a des histoires regrettables avec des entreprises comme Sears, qui ont été liquidées et où les retraités ont subi un manque à gagner. Mais nous devons veiller à ne pas créer une structure qui nous empêcherait de sauver des entreprises à l’avenir, comme Abitibi, afin que les régimes de retraite puissent être corrigés et que les retraités soient protégés contre toute réduction.
Le sénateur Wells : Je vous remercie, monsieur Breton et monsieur Morrison.
Monsieur Breton, dans votre déclaration liminaire, vous avez dit que votre travail consiste à essayer d’obtenir l’équité et la transparence pour tout le monde. Ne vous méprenez pas, ce projet de loi est conçu pour être juste envers un groupe, et c’est les retraités qui, à l’heure actuelle, dans des situations de faillite, sont plus au bas de la liste et peuvent subir le manque à gagner. Bien que je comprenne les objectifs de votre groupe, ce n’est pas l’objectif du projet de loi. Je ne souscris pas nécessairement à cet objectif.
Il ne faut pas oublier — et cela fait partie de la question — que ce projet de loi ne comporte que trois éléments simples. Premièrement, un rapport doit être déposé au Parlement concernant la santé des pensions sous réglementation fédérale. Deuxièmement, il vise à permettre à ceux qui ont payé pour quelque chose — dans ce cas-ci, les retraités — de ne pas maximiser l’argent qu’ils ont versé, mais d’obtenir simplement ce pour quoi ils ont payé. Et, troisièmement, il vise à faire monter en grade ces retraités en tant que personnes qui ont contribué à soutenir la société — non seulement dans leurs efforts, pour lesquels ils ont été payés, mais aussi le crédit qu’ils ont versé, dans ce cas, une pension.
Voici la question que je voulais vous poser : c’est presque comme si vous dites que le ciel nous tombe sur la tête. J’ai pris en note vos propos :« Il n’y aura pas de prêteurs. » Je pense qu’il y aura toujours des prêteurs. S’il est peut-être un peu plus difficile pour une entreprise d’obtenir les services d’une banque, ce peut-être plus restrictif. Eh bien, ce sera pris en compte dans les conditions du prêteur ou de l’emprunteur. Est-ce que je saisis la situation correctement? Nous n’essayons pas d’être justes envers tout le monde; nous essayons d’être justes envers les retraités qui ont été traités injustement dans le passé, et nous en connaissons tous les exemples.
M. Breton : Nous ne pouvons pas le savoir avec certitude. Il faudrait une boule de cristal pour déterminer s’il y aura des prêteurs qui prêteront ou non. Il serait peut-être préférable de demander aux prêteurs comment ils perçoivent le marché des prêts une fois que ce projet de loi sera mis en place. Nous ne pouvons pas prédire s’il y en aura ou non.
Toutefois, nous savons que si vous traitez avec une entreprise qui éprouve des difficultés financières et qui a un régime de pension avec un important déficit, il sera difficile de convaincre un prêteur par intérim — un prêteur DE, débiteur-exploitant, pour parler dans le langage que les gens comprennent — de prêter de l’argent dans une situation où l’on ne sait pas à l’avance si la restructuration fonctionnera ou non, ne sachant pas si ces fonds seront récupérés.
C’est la même chose avec un financement de sortie. Ce pourrait être plus facile avec un financement de sortie parce qu’à ce moment-là, une fois que vous avez obtenu le financement de sortie, il y a peut-être un plan pour traiter le déficit. Il y a donc peut-être un moyen de le faire.
Ce que nous pouvons prédire, c’est que cela comportera un degré de risque plus élevé pour les prêteurs, et une fois que vous avez un degré de risque plus élevé pour les prêteurs, ils ont tendance à agir de manière très prudente, donc ils mettent la pédale douce. Nous ne pouvons pas vous dire de combien ils ralentiront et quelle sera l’incidence exacte de cette mesure législative, mais nous pouvons voir le problème potentiel.
Le sénateur Wells : Tout risque sera pris en compte dans le marché de l’emprunt du prêteur. S’il s’agit d’un risque faible, ce sera pris en compte; s’il s’agit d’un risque élevé, ce sera également pris en compte. Le marché s’en occupera.
Vous avez mentionné la boule de cristal et le fait que nous n’en avons pas. Vous avez dit dans votre déclaration qu’il n’y aura pas de prêteur, et je ne suis pas d’accord. Il s’agit d’un projet de loi simple qui aide les gens qui étaient défavorisés par le passé.
M. Breton : Je ne suis pas sûr de l’avoir dit aussi franchement, à savoir qu’il n’y aura pas de prêteurs. Si c’est le cas, je m’en excuse. D’habitude, je n’ai pas tendance à être aussi catégorique sur tout. Comme je l’ai dit, une grande partie de ce que nous faisons est liée à de nombreuses zones grises. Mais dans la mesure où les prêteurs peuvent exercer des pressions, nous pouvons envisager la possibilité de faire pression pour nous débarrasser des régimes à prestations déterminées et les convertir en régimes à cotisations directes, ce que nous trouvons regrettable parce que nous pensons que les régimes à prestations déterminées donnent de meilleurs résultats pour les retraités en général, mais nous constatons qu’il existe actuellement une tendance en faveur des régimes à cotisations directes.
La présidente : Oui, de nombreuses personnes ont fait valoir ce point.
Merci beaucoup à vous deux. Nous nous excusons auprès de M. Morrison de vous avoir fait intervenir tardivement dans la discussion. Jean-Daniel Breton, président du conseil d’administration de l’Association canadienne des professionnels de l’insolvabilité et de la réorganisation, je vous remercie de vos contributions à cette étude aujourd’hui et du document que vous nous avez fait parvenir dans lequel vous exprimez vos préoccupations. Merci de vous être joints à nous.
M. Breton : Je vous remercie
M. Morrison : Je vous remercie
La présidente : Nous faisons ici quelque chose d’un peu différent à la demande de dernière minute de la sénatrice Bellemare, alors nous espérons que cela fonctionnera. La sénatrice Bellemare avait quelques questions à poser à Algoma Steel, et nous avons tenté d’établir une connexion virtuelle avec Michael Moraca, trésorier et responsable des relations avec les investisseurs, Algoma Steel Inc.
La sénatrice Bellemare : Je vais essayer en anglais, mais si je ne réussis pas à m’exprimer avec suffisamment de précision, je vais passer au français.
Vous m’avez expliqué ce matin, monsieur Moraca, qu’Algoma Steel avait décelé un problème dans le projet de loi. Vous avez dit que vous étiez en faveur de son adoption. Vous vouliez en revanche demander devant le comité l’ajout d’une exemption dont pourraient bénéficier les entreprises comme la vôtre, pourvu qu’elles aient un régime de retraite garanti et que l’exemption soit avalisée par le syndicat, ou par les employés s’il n’y a pas de syndicat, et par le corps des retraités de l’entreprise.
Pourriez-vous étayer un peu plus votre point de vue? Nous n’allons pas amender le projet de loi — ce n’est pas la façon habituelle de procéder —, mais nous pourrions ajouter des observations, qui seront peut-être prises en compte dans le volet réglementaire. J’aimerais que vous nous expliquiez les tenants et aboutissants, si vous êtes d’accord avec cette façon de faire.
Michael Moraca, trésorier et responsable des relations avec les investisseurs, Algoma Steel Inc. : Merci beaucoup de m’avoir invité à comparaître aujourd’hui au nom d’Algoma Steel.
Oui. La question dont nous parlons est étroitement liée aux propos tenus par M. Breton et M. Morrison. Cela renvoie à la situation où Algoma Steel s’est soustraite de la protection de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies en 2018.
À l’époque, l’Assemblée législative de l’Ontario avait accordé à Algoma Steel certaines exemptions réglementaires au titre de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario, qui visaient le régime de capitalisation régulier et ce que nous appelons les dispositions sur les biens en fiducie de la Loi sur les régimes de retraite de l’Ontario. Ces exemptions ont été accordées à Algoma Steel au terme de négociations approfondies. Nous avons obtenu le soutien du syndicat d’Algoma Steel, du syndicat des Métallos — qui a deux chapitres à Sault Ste. Marie — et des participants retraités. Les exemptions ont été sanctionnées par la Cour supérieure de justice de l’Ontario.
Essentiellement, les dispositions sur les biens en fiducie permettent d’éviter que les déficits de solvabilité aient préséance sur le prêteur, ce qui constitue l’exemption la plus importante pour Algoma Steel. Pour vous donner une idée, la primauté de ce déficit de solvabilité se chiffre aujourd’hui à un passif d’environ 250 millions de dollars. Ce calcul est fait uniquement sur la base de la solvabilité. Le régime de retraite d’Algoma Steel est entièrement capitalisé. Par conséquent, si Algoma continue à cotiser au régime et à l’administrer en sa qualité d’entreprise en activité, ce même régime sera entièrement capitalisé.
Dans une situation de liquidation hypothétique où un calcul de la solvabilité montrerait qu’Algoma enregistre un manque à gagner de 250 millions de dollars dans son régime de retraite, si une proposition législative comme le projet de loi C-228 était adoptée, Algoma devrait en principe fournir la somme de 250 millions de dollars comme réserve de fonds pour n’importe quel prêt. Nous avons aujourd’hui un prêt d’environ 250 millions de dollars américains garanti par des actifs, que nous n’aurions pas obtenu si le déficit de solvabilité hypothétique avait eu préséance sur le prêt.
J’espère que mes explications ont répondu à votre question. Nous pouvons donner plus de détails au besoin.
La présidente : Êtes-vous satisfaite, sénatrice Bellemare?
La sénatrice Bellemare : Oui.
La présidente : Merci beaucoup. Nous vous remercions de vous être joints à nous in extremis. Je sais que vos vols ont été annulés hier. Merci beaucoup. Merci à Michael Moraca, trésorier et responsable des relations avec les investisseurs à Algoma Steel Inc., d’avoir formulé des commentaires pour le compte rendu.
Nous accueillons M. Michael Powell, président de la Fédération canadienne des retraités, qui assiste à la séance en personne. M. Powell a des commentaires généraux à formuler sur le projet de loi. Je pense que vous vous penchez sur la question depuis un certain temps. Je vous invite à faire vos commentaires. Merci.
Michael Powell, président, Fédération canadienne des retraités : Merci de me donner l’occasion de parler au nom des millions de personnes qui sont souvent oubliées lors des discussions et des consultations sur la protection des pensions. Je fais allusion aux pensionnés canadiens.
Le projet de loi C-228 protège les pensionnés canadiens bénéficiaires d’un régime à prestations déterminées à employeur unique dans le secteur privé. Ce type de régime représente une infime fraction de tous les régimes à prestations déterminées au Canada.
Le projet de loi remédie à une injustice criante que renferment les lois du Canada. Les lois actuelles sur l’insolvabilité ne traitent pas les pensionnés de façon équitable. Contrairement aux créanciers, les pensionnés ne peuvent pas négocier automatiquement leurs conditions lors de la division des actifs. Ils ne siègent même pas à la table de négociation, sauf s’ils obtiennent une ordonnance du tribunal. Autrement dit, lorsque les régimes sont sous-capitalisés, les pensionnés sont floués.
Nous estimons que plus de 250 000 pensionnés canadiens ont été affectés par l’insolvabilité depuis 1982, notamment les pensionnés de Nortel, de Sears et de White Birch, qui étaient tous membres de la Fédération canadienne des retraits. Il y a aussi tous ces autres participants à des régimes qui étaient sous-capitalisés lorsque l’entreprise pour qui ils travaillaient a fait faillite.
J’aimerais utiliser mon temps de parole aujourd’hui pour déboulonner six mythes qui circulent au sujet des répercussions du projet de loi C-228.
Tout d’abord, certains détracteurs disent que le projet de loi C-228 aurait des répercussions financières à l’échelle du pays s’il était promulgué. Ces propos alarmistes ressemblent étonnamment aux objections soulevées à l’égard du Programme de protection des salariés, ou PPS, que le Parlement a adopté en 2005. Les parrains du projet de loi C-228 ne peuvent pas fournir d’exemples d’entreprises canadiennes qui auraient été forcées de se dissoudre en raison de l’augmentation des coûts d’emprunt ou de l’incapacité à réunir des capitaux en raison du PPS. De fait, aucune donnée sur la productivité et l’emploi au Canada ni dans les pays concurrents ne démontre que le PPS aurait ce type d’effets.
Ensuite, le projet de loi C-228 n’entraînera pas la disparition des régimes à prestations déterminées à employeur unique dans le secteur privé, car ces régimes sont déjà en voie de disparition, non seulement au Canada, mais aussi ailleurs dans le monde. Si ces régimes disparaissent, ce n’est pas parce qu’ils sont coûteux, mais plutôt parce qu’ils ne peuvent plus servir de mesure incitative pour les nouvelles embauches. Pour recevoir une pension complète, il faut travailler pour la même entreprise pendant au moins 30 ans. Or, ce type de carrière est rarissime aujourd’hui. Les régimes à employeur unique n’attirent plus les travailleurs.
Pour déboulonner un troisième mythe, je dirais que le régime d’insolvabilité du Canada n’est ni équitable ni équilibré. Les personnes pensionnées sont les seules parties prenantes auxquelles les lois actuelles enlèvent le droit de gérer leurs risques. Le projet de loi C-228 et les superpriorités rétablissent en partie cette iniquité.
Un quatrième mythe veut que les entreprises ne liquident pas leur régime de retraite faute de pouvoir le capitaliser entièrement. C’est faux. Les entreprises peuvent liquider leur régime de retraite à condition que ce régime soit déjà entièrement capitalisé, mais à condition également que toutes les obligations à l’égard des retraités et des participants actifs soient remplies. Si le régime est entièrement capitalisé, les entreprises peuvent alors choisir d’atténuer les risques liés au régime en question afin de réduire ou d’éliminer les risques pour les prêteurs.
Ensuite, il est faux de dire que le projet de loi C-228 empiète sur les compétences provinciales. Les lois sur l’insolvabilité ont toujours eu préséance sur les lois sur les régimes de retraite. Je peux parler d’Indalex si nous avons assez de temps. Le projet de loi C-228 n’oblige aucun gouvernement ayant compétence sur les régimes de retraite à modifier ses lois.
Plus important encore, il n’existe aucune solution de remplacement viable aux superpriorités énumérées dans le projet de loi C-228. Le député Pat Martin avait le premier proposé des superpriorités en 2004. En 19 ans, aucune option pouvant les remplacer n’a été proposée. Toutes les solutions de rechange énoncées par les détracteurs de la protection des pensions — vous les avez vues — reposent sur le transfert unilatéral des risques des entreprises, qui ont par ailleurs accepté ces risques en toute connaissance de cause, aux participants des régimes de retraite. Ce transfert met en péril la santé financière des personnes âgées sans le consentement éclairé de ces dernières. Cette forme flagrante d’exploitation financière des aînés ne devrait jamais faire partie des éléments fondamentaux d’une politique sur les pensions.
Dix-neuf ans plus tard, nous n’avons toujours pas de solution de remplacement valable. Pendant 19 ans, les législateurs canadiens ont adopté le statu quo. Ils ont trouvé acceptable de laisser les aînés canadiens vulnérables devenir les dommages collatéraux de l’insolvabilité. Vous avez l’occasion de changer les choses. La Fédération canadienne des retraités encourage le comité à prendre une mesure décisive et à renvoyer au Sénat le projet de loi C-228 sans amendement pour qu’il soit adopté rapidement.
Merci. Je vais répondre avec plaisir aux questions s’il reste du temps.
La présidente : Merci beaucoup de vos commentaires. Nous avons deux questions très brèves.
Le sénateur Loffreda : Merci de votre présence parmi nous aujourd’hui.
À quelle fréquence les pensions des participants à un régime de retraite sont-elles réduites en raison de l’insolvabilité de leur employeur actuel ou de leur ancien employeur? En moyenne, quelle portion du passif non capitalisé des pensions est-elle recouvrée ou a-t-elle été recouvrée dans le cadre des procédures d’insolvabilité? Enfin, quel pourcentage de leur pension les participants ont-ils perdu, selon votre expérience?
M. Powell : D’abord, nous manquons de données détaillées de qualité sur les personnes âgées en général et sur les pensions en particulier. Ce segment de la population n’est tout simplement pas suivi.
Les pertes que la fédération a observées allaient de 20 % à 40 %. Je n’ai jamais entendu parler de cas d’insolvabilité qui n’auraient entraîné aucune perte pour les participants aux régimes à prestations déterminées. Il y en a peut-être, mais encore une fois, aucune donnée n’est produite à ce sujet.
Je suis désolé, mais j’ai oublié la troisième question.
Le sénateur Loffreda : Je voulais savoir quel pourcentage des pensions était perdu à la suite des procédures d’insolvabilité. Vous avez répondu à cette question. Je vous ai demandé quelle portion était recouvrée, le cas échéant. Vous avez indiqué la portion en question. À quelle fréquence observez-vous des pertes?
M. Powell : Nous n’en recensons pas très souvent, en partie parce que les régimes à prestations déterminées à employeur unique disparaissent graduellement depuis 20 ans. Cette disparition s’accélère malgré les pressions exercées par les détracteurs du projet de loi C-228 pour éliminer ou réduire la capitalisation du déficit de solvabilité dans le but de faire baisser le coût des pensions. Ces groupes faisaient valoir que la réduction des coûts permettrait de préserver les régimes. Cet argument s’est avéré non fondé. Les autorités compétentes ont réduit les coûts et ont évité des pertes de milliards de dollars aux entreprises, mais les régimes continuent à disparaître encore plus rapidement qu’avant. La disparition des régimes n’est pas une question de coût. L’occasion est là, mais encore une fois, les régimes à employeur unique n’attirent pas de nouveaux travailleurs. Ces régimes ne sont pas des mesures incitatives. Aujourd’hui, mes enfants ne se voient pas travailler pour la même entreprise pendant 30 ans. J’ai travaillé pour GM pendant 34 ans. Ces carrières rectilignes n’existent plus.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La présidente : Vous soulevez un excellent point. Nous constatons tous cette réalité dans nos vies.
Le sénateur Yussuff : Je ne vais pas prendre beaucoup de votre temps. Nous allons poursuivre nos travaux en fonction de vos recommandations.
Je veux surtout souligner la passion avec laquelle vous et vos membres avez travaillé sur ce projet de loi. Je tiens à vous remercier. Je sais que vous considérez cette mesure comme un moment historique, car elle apporte une solution à un problème qui paraissait insoluble. Je suis moi aussi un ancien employé de GM. Je sais très bien de quoi vous parlez. Nous avons quelque chose en commun. Merci infiniment d’avoir pris le temps de témoigner. Merci de votre plaidoyer et du travail que vous avez accompli à l’autre endroit. Merci d’avoir contribué à l’adoption du projet de loi.
Le sénateur C. Deacon : Au nom du comité, monsieur Powell, merci de tous les efforts que vous consentez depuis longtemps pour aider les autres. Il ne fait aucun doute que vous avez à cœur les intérêts d’une foule de personnes qui n’étaient pas autour de cette table, mais qui méritent, à vos yeux, que nous leur présentions des solutions équitables. Merci de votre travail.
La présidente : Je remercie M. Powell, président de la Fédération canadienne des retraités, d’avoir témoigné aujourd’hui.
Nous allons faire une courte pause avant d’amorcer l’étude article par article du projet de loi. Merci.
(La séance est suspendue.)
Nous reprenons la séance publique. Nous allons donc amorcer l’étude article par article. Au terme du processus, nous allons passer à huis clos pour poursuivre la discussion et les observations, car certains sénateurs veulent soulever des questions linguistiques. Une fois que nous nous entendrons sur les observations, nous reprendrons la séance publique.
Je vais lire mes notes. Nous procédons à l’étude article par article du projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
Si vous dénotez un manque de clarté au cours du processus, n’hésitez pas à demander des précisions. Je veux que nous soyons tous au même diapason. Si un sénateur s’oppose à l’intégralité d’une disposition, je vous rappelle qu’en comité, la procédure consiste à voter contre la disposition à titre d’élément du projet de loi.
Par souci d’efficacité, j’inviterais les sénateurs qui proposent un amendement à préciser au comité les autres dispositions du projet de loi qui pourraient être touchées par l’amendement.
Finalement, je rappelle aux sénateurs que lorsque les résultats d’un vote par oui ou non ou d’un vote à main levée sont ambigus, la procédure la plus efficace pour obtenir des résultats clairs et nets est de demander un vote par appel nominal. Les sénateurs savent que les votes serrés entraînent le rejet de la motion en question.
Y a-t-il des questions? Nous suivons donc la procédure normale. Merci.
Chers collègues, êtes-vous d’accord pour que le comité procède à l’étude article par article du projet de loi C-228, Loi modifiant la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies et la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension?
Des voix : D’accord.
La présidente : Le titre est-il mis en réserve?
Des voix : D’accord.
La présidente : D’accord. L’article 1, qui renferme le titre abrégé, est-il mis en réserve?
Des voix : D’accord.
La présidente : Très bien. L’article 2 est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : D’accord. L’article 3 est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : L’article 4 est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : L’article 5 est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : L’article 6 est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : L’article 7 est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : L’article 1, qui renferme le titre abrégé, est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : Le titre est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : Le projet de loi non modifié est-il adopté?
Des voix : D’accord.
La présidente : Nous allons passer à huis clos pour poursuivre la discussion sur de possibles observations.
(La séance se poursuit à huis clos.)