LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 mars 2023
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour tout le monde. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin, je suis la présidente du comité et j’aimerais vous présenter les membres du comité qui sont avec nous aujourd’hui. Nous avons donc le sénateur Deacon, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith et le sénateur Woo.
Nous poursuivons aujourd’hui notre étude des questions et des politiques qui ont une incidence sur l’investissement des entreprises au Canada.
Dans le premier groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, en personne, M. Dan Ciuriak, agrégé supérieur au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, un homme au curriculum vitæ très long et impressionnant qui a aidé le Canada à traverser la crise financière et à mener à bien de nombreuses négociations commerciales. Nous vous remercions de votre travail et de votre présence ici aujourd’hui.
Nous accueillons également, de manière virtuelle, M. Robert Fay, directeur général de l’économie numérique au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale.
Dan Ciuriak, agrégé supérieur, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale : Je vous remercie, madame la présidente, monsieur le vice-président et mesdames et messieurs les sénateurs. Je vous remercie de m’avoir donné l’occasion de m’exprimer aujourd’hui. Je suis Dan Ciuriak, agrégé supérieur au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, où j’écris sur l’économie de l’innovation et la transformation numérique.
Tout progrès humain repose sur la mise au point et l’application de nouvelles technologies. Au bout du compte, pour être utile à notre économie, la technologie doit être commercialisée, ce qui signifie qu’elle doit appartenir à une entreprise. Dans cette perspective, la croissance économique est indissociable de la croissance, du nombre et de la taille des entreprises qui créent et utilisent la technologie. Il s’agit donc d’une vision du monde fondée sur les entreprises. Un sous-ensemble relativement restreint d’entreprises — une proportion de 6 % — est à l’origine de la quasi-totalité de la croissance de la productivité, de l’innovation et des exportations dans notre économie, ce qui les rend indispensables.
La capacité d’un pays à favoriser le développement de ces entreprises à forte croissance se répercute directement sur la croissance du PIB réel, les mesures de l’innovation et les résultats commerciaux. L’une des nouvelles particularités de l’économie moderne est la « licorne ». Il s’agit d’une entreprise privée dont la valeur marchande potentielle est de 1 milliard de dollars américains. Cette expression a été inventée en 2013 pour souligner leur rareté. Dix ans plus tard, elles ne sont plus rares. En 2023, on compte 1 200 entreprises de ce type dans le monde.
Il est bien connu que le Canada est moins performant en matière d’innovation et à ce titre, je vous invite à vous concentrer sur l’indicateur relatif au nombre d’entreprises, c’est-à-dire le nombre de nos entreprises qui appartiennent à cette catégorie. Le Canada compte actuellement 20 entreprises dites licornes, d’une valeur totale d’un peu plus de 50 milliards de dollars, selon CB Insights. Les États-Unis comptent plus de 650 entreprises de ce type, pour une valeur totale de 2,1 billions de dollars américains. Le ratio du Canada par rapport aux États-Unis est respectivement de 3 % et de 2,4 %, ce qui est nettement inférieur à la règle empirique de 10 pour 1 que nous utilisons habituellement pour nous comparer aux États-Unis.
Deuxièmement, le Canada se démarque par son excellence dans la mise au point de la technologie de l’intelligence artificielle, la nouvelle technologie décisive de notre époque, mais nous sommes très loin du compte en ce qui concerne le nombre d’entreprises prêtes à la commercialiser, et ce devrait être notre principale préoccupation.
Le Canada doit-il injecter de l’argent dans ce problème? Selon tous les indicateurs, l’innovation devient plus rapide, plus difficile et plus gourmande en ressources, ce qui crée, en principe, un rôle pour l’activisme en matière de politique industrielle. Toutefois, dans une petite économie ouverte comme le Canada, un tel financement public peut fuir à l’étranger et il le fera, à moins que nous ne nous dotions d’un modèle d’entreprise qui garantisse l’appropriation nationale du rendement du capital du secteur public investi dans notre système d’innovation.
L’économiste canadien Robert Mundell, qui a reçu le prix Nobel pour avoir démontré que les petites économies ouvertes fonctionnent différemment des grandes économies fermées dans les domaines de la politique budgétaire et de la politique monétaire... Ses idées s’appliquent également à la politique en matière d’innovation. Nous n’avons pas tenu compte de cette leçon de l’histoire canadienne à nos dépens.
Enfin, pour passer d’un atelier de sous-sol à un pavillon technologique, un innovateur doit s’y retrouver dans un système complexe de financement, de propriété intellectuelle, d’écosystèmes industriels, de processus réglementaires pour les produits et les processus, et bien d’autres choses encore. Cela peut être déconcertant et frustrant pour un innovateur dont l’expertise principale se trouve dans le domaine scientifique. On dit qu’il faut un village pour élever un enfant. On pourrait dire qu’il faut une équipe d’experts pour passer du sous-sol au pavillon.
Le Canada a commencé à mettre en place certains de ces éléments, par exemple en élaborant une stratégie en matière de propriété intellectuelle, mais contrairement aux Américains, nous n’avons pas complètement industrialisé ce processus. Le Canada doit industrialiser ce processus. Nous devons placer l’innovateur sur un « tapis roulant » qui le conduise d’une étape à l’autre, d’un expert à l’autre, tout au long du processus. Dans un tel processus, on lui attribuerait un compte et un gestionnaire de compte, c’est-à-dire une personne qui viserait toujours la réussite de l’innovateur et non une raison de l’exclure, par exemple parce qu’un critère n’est pas rempli.
Il faut que ce gestionnaire de compte inonde notre innovateur d’appels téléphoniques et de rendez-vous, qu’il l’emmène voir des bailleurs de fonds et d’autres entreprises technologiques, et qu’il ne le laisse pas se morfondre en silence. Cet exemple n’est pas sorti de nulle part. Il est tiré de renseignements anecdotiques que nous avons obtenus en discutant avec des entrepreneurs. L’État de New York fonctionne de cette façon, mais pas le Canada. Nos innovateurs iront donc dans cet État, et les retombées de nos innovations profiteront aux Américains. Je serai heureux de répondre à vos questions. Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie.
Robert Fay, directeur général, Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale : Madame la présidente, monsieur le vice-président et mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux d’avoir l’occasion de vous parler aujourd’hui. Comme vous l’avez entendu, je suis directeur général, Recherche sur l’économie numérique, au Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale. Aujourd’hui, ma déclaration préliminaire portera sur la nécessité d’investir dans la gouvernance des données pour stimuler la productivité. Permettez-moi de m’expliquer.
Nous savons que les données représentent une ressource précieuse. Nous pouvons le constater dans les évaluations boursières accordées aux entreprises axées sur les données. De plus, Statistique Canada a estimé que la valeur de la réserve canadienne de produits de données est de l’ordre de 200 milliards de dollars, ce qui est probablement une sous-estimation.
Mais malgré cette valeur, les données représentent à bien des égards un actif inutilisé, et ce, pour de nombreuses raisons. Les entreprises et les travailleurs n’ont pas toujours les ressources nécessaires pour organiser et utiliser les données. Il est aussi possible qu’ils n’aient pas accès à l’infrastructure numérique nécessaire et qu’ils ne connaissent pas bien les règlements relatifs à l’utilisation des données, en particulier des données personnelles, et des conséquences juridiques qu’elles peuvent entraîner. En outre, la nature de l’économie des mégadonnées tend vers des structures monopolistiques, dans lesquelles on n’accorde pas suffisamment d’attention à la politique de la concurrence, ce qui nuit aux petites et moyennes entreprises qui tentent d’être concurrentielles.
Certaines entreprises, certains pays et certaines compétences établissent, de façon stratégique, des règles qui visent à servir leurs propres intérêts et à s’approprier les avantages économiques liés aux données. Dans ce contexte, permettez-moi de formuler quelques recommandations.
Tout d’abord, et ce n’est pas surprenant, nous devons investir dans la gouvernance des données pour en extraire la valeur. Actuellement, il n’existe pas de règles ou de normes uniformes sur la manière dont les données doivent être utilisées dans les technologies numériques. Il est encourageant de voir le Canada aller de l’avant avec une proposition de mise à jour de la loi relative à la protection de la vie privée et un examen très bien accueilli de la Loi sur la concurrence, mais ces réformes doivent faire partie d’un tout et ne doivent pas exister de manière isolée. Elles doivent être cohérentes avec les accords commerciaux, les politiques en matière d’innovation, la protection des consommateurs, etc. Elles doivent également être cohérentes avec d’autres initiatives, comme le système bancaire ouvert et la numérisation de l’argent.
Trop souvent, la gouvernance est fragmentée ou incohérente, ce qui crée de la confusion chez les entreprises et les consommateurs et nuit à l’investissement dans l’innovation.
Deuxièmement, nous avons besoin de stratégies pour le partage et la réutilisation des données. Ces stratégies comprendraient différents types de structures de données — communes, collaboratives ou fiduciaires — qui fixeraient des règles pour l’accès, l’utilisation, la réutilisation et le contrôle des données. Elles peuvent être axées sur les secteurs, afin de stimuler la croissance dans des domaines stratégiques et de permettre aux petites et moyennes entreprises d’y avoir accès. Statistique Canada peut jouer un rôle important à cet égard, comme il le fait depuis des décennies dans d’autres domaines du partage des données.
Troisièmement, nous devons veiller à ce que la gouvernance soit plus inclusive. Cela permettra d’instaurer la confiance dans l’utilisation des données personnelles et des technologies numériques.
Quatrièmement, nous devons investir dans la réforme de nos structures nationales en matière de réglementation pour faire face à la nature transversale des technologies numériques. De plus, les cadres de réglementation doivent s’adapter à l’évolution actuelle vers les données et les éléments intangibles comme moteurs de la croissance économique. D’autres pays l’ont compris. Par exemple, le Royaume-Uni a créé le Digital Regulation Cooperation Forum, un forum de coopération pour la réglementation numérique, qui réunit les organismes de réglementation de la radiodiffusion, de la protection de la vie privée, de la concurrence et des finances.
Cinquièmement, nous devons investir dans la collaboration internationale, afin de créer des règles mondiales qui correspondent aux valeurs canadiennes et qui offrent des occasions d’affaires aux entreprises canadiennes. Pendant que nous réfléchissons à la manière de réorganiser nos cadres de réglementation nationaux, les mesures prises dans d’autres pays ont une incidence directe sur le Canada, compte tenu de la nature mondiale des flux de données et des technologies numériques. Le Canada doit influencer activement ces développements mondiaux afin qu’ils répondent aux besoins des entreprises canadiennes et qu’ils correspondent aux valeurs canadiennes. Dans ce contexte, il est encourageant que le Canada ait annoncé son intention de négocier son adhésion à l’Accord de partenariat pour l’économie numérique.
En conclusion, nos ressources naturelles et nos autres secteurs d’activités traditionnels seront toujours importants pour la création de richesse dans notre pays. Toutefois, pour stimuler la croissance et accroître la richesse, nous devons tirer parti des données, à la fois pour transformer nos secteurs traditionnels et pour en créer de nouveaux. Pour ce faire, nous devons investir dans une gouvernance appropriée, afin d’extraire la valeur des données. Je vous remercie. J’ai hâte de répondre à vos questions.
La présidente : Je remercie les deux témoins de leurs déclarations préliminaires. Avant de passer aux questions, j’aimerais assurer un bref suivi auprès de M. Ciuriak. Vous avez parlé des entreprises dites licornes. Comparativement à nos voisins du Sud, nous sommes plutôt dépassés dans ce domaine.
Nous avons entendu deux témoins hier. L’un d’entre eux a parlé des « gazelles », c’est-à-dire des petites entreprises qui n’ont pas le désir ou la volonté de s’agrandir. Les deux témoins ont parlé d’un manque d’ambition, de notre tendance à ne pas prendre de risques et du fait que nous n’avons pas suffisamment de craintes, ce qui nous rend complaisants. Pourriez-vous nous faire part de vos réflexions à ce sujet avant que nous passions aux questions?
M. Ciuriak : Je vous remercie, madame la présidente. En général, je ne suis pas d’accord avec la création de qualificatifs liés à des pays donnés, comme l’américanisme ou le japonisme, pour expliquer pourquoi ces pays sont différents. Chaque pays est différent, mais nous devons nous fonder sur des principes économiques généraux pour expliquer la situation actuelle au Canada.
Si nous disons que c’est parce que les innovateurs canadiens ne sont tout simplement pas assez ambitieux ou qu’ils ont une aversion pour le risque, alors c’est fini, car que peut-on faire? Toutefois, si le problème réside dans le fait que lorsqu’on atteint un certain plafond de croissance, on devient une cible... Il y a des entreprises, ailleurs dans ce monde d’enchevêtrement de brevets, qui attendent simplement que l’innovation d’une entreprise soit fructueuse. Ces entreprises examinent leur portefeuille de brevets non productifs et y trouvent une raison d’intenter une poursuite en justice. Même si le procès n’aboutit pas, elles peuvent obtenir un règlement à l’amiable pour s’approprier une partie des profits. Si l’entreprise ne s’approprie pas les profits, le conseil d’administration décidera alors de ne pas poursuivre. Selon moi, le problème réside dans le fait que nous observons un ralentissement général de la dynamique des entreprises, non seulement au Canada, mais aussi aux États-Unis et ailleurs. Cela reflète le fait que nous avons accordé des brevets à outrance partout dans le monde et créé ces enchevêtrements de brevets, qui sont un frein à l’innovation et à la croissance.
La présidente : C’est un point de vue intéressant. Je vous remercie.
Le sénateur C. Deacon : Je remercie nos témoins, M. Ciuriak et M. Fay, de leurs excellentes déclarations préliminaires. Nous nous concentrons sur les investissements des entreprises et sur la façon d’accroître ces investissements au Canada. Je pense que vous vous concentrez certainement sur les éléments nécessaires pour créer de bonnes possibilités d’affaires dans lesquelles les gens veulent investir. J’affirme depuis longtemps que le Canada se trouve à la mauvaise extrémité d’un vide de données. Nous n’avons toujours pas mis à jour notre loi relative à la protection de la vie privée, et elle semble encore une fois bloquée à la Chambre.
Ce qui m’a inquiété en lisant votre article, monsieur Ciuriak — et j’aimerais avoir l’avis des deux témoins à cet égard —, c’est la mesure dans laquelle Eric Schmidt est reconnaissant pour les investissements du Canada dans la recherche sur l’intelligence artificielle et la façon dont cela a accéléré la croissance de Google, et le fait que nous n’avons pas encore déterminé comment protéger notre propriété intellectuelle de façon à nous permettre d’avoir la liberté de mener des activités dans certains domaines où nous avons développé une expertise de premier plan, parce que nous ne nous sommes pas penchés sur cette question.
Pourriez-vous nous dire à quel point il est important que nous nous occupions correctement de ces éléments? Je suis étonné que nous nous soyons concentrés sur les investissements gouvernementaux pour développer des entreprises dans ce domaine, car il semble que nous devrions simplement investir dans les éléments de base qui créent les actifs dans lesquels les Canadiens et d’autres voudront investir.
M. Ciuriak : Je vous remercie, sénateur Deacon.
Voici comment j’aborderais la question. Supposez qu’on atteigne des sommets dans l’économie de l’innovation. Pensez à la courbe en forme de sourire. La courbe du sourire dit essentiellement qu’à l’une des extrémités élevées, il y a la recherche et le développement et les brevets, et les éléments intangibles font partie de l’innovation. Dans la moitié inférieure de la courbe, il y a la production de la propriété intellectuelle et des modèles de données, etc. À la dernière extrémité du sourire, à l’autre bout élevé, se trouvent l’image de marque et la commercialisation. Si vous capturez ces deux bouts élevés, vous importerez des services au bas de la courbe du sourire. Le Canada ne s’est emparé d’aucun de ces deux bouts élevés. Nous nous sommes naturellement positionnés au bas de la courbe, ce qui explique que nous ayons un important excédent de services en matière de recherche et développement. Nous vendons pour une valeur d’environ 5 milliards de dollars au reste du monde et nous importons pour environ 1 milliard de dollars et nous avons un déficit important sur les importations par rapport aux ventes de propriété intellectuelle. Dans l’ensemble, nous avons un déficit important dans le commerce des connaissances, ce qui signifie que nous perdons régulièrement, sur le plan économique, de 5 à 6 milliards de dollars par année.
Sénateur Deacon, la question ne concerne pas tellement les éléments de base, mais plutôt la façon d’atteindre les sommets de l’économie de l’innovation. C’est la question à un milliard de dollars, et il n’est pas facile d’y répondre en quelques mots.
M. Fay : Merci, sénateur Deacon. Je suis économiste. Je m’emploie à étudier la productivité et les questions liées à l’investissement depuis une vingtaine d’années déjà.
À l’époque où je travaillais à l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, nous disions toujours que les cadres sont importants; il faut commencer par les cadres. Par exemple, quels sont les cadres en place pour permettre aux entreprises de survivre? Malheureusement, au Canada, nous n’avons pas encore vraiment mis l’accent sur les biens incorporels. Je sais que, presque par définition, un bien incorporel semble être un concept difficile à comprendre. Des témoins antérieurs ont soulevé cette question, mais nous devons vraiment réorienter notre politique vers de nouveaux modèles d’entreprise fondés sur les données. On peut se demander comment les données peuvent à ce point changer la donne, mais c’est vraiment le cas. On le voit dans d’autres pays. On le voit en Chine, aux États-Unis et dans l’Union européenne. Tous modifient leurs politiques pour tirer parti des données et mettent en place les cadres nécessaires pour les appuyer. Cela signifie qu’il faut réformer les lois sur la protection de la vie privée et des renseignements personnels, et envisager différemment les politiques d’innovation.
Le domaine qui, je le sais, a attiré votre attention, sénateur, c’est celui de la politique sur la concurrence. Tous les autres pays importants réfléchissent aux changements à apporter à la politique sur la concurrence parce que la nature du marché a fondamentalement changé avec l’avènement des mégadonnées et de la capacité de traitement massif.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Gignac : Bienvenue à nos témoins. J’adresse ma première question à M. Ciuriak. En passant, je tiens à vous féliciter des observations préliminaires que vous avez formulées au cours de votre exposé. Pour être honnête, j’aime bien la courbe en forme de sourire; elle est très descriptive.
Je poursuis en abordant la question posée par mon collègue, le sénateur Deacon. Vous avez fait allusion à la localisation des subventions économiques. Vous avez expliqué qu’à l’heure actuelle, le Canada n’a pas de stratégie nationale en matière d’appropriation. Nous investissons beaucoup d’argent dans les universités, dans la recherche, etc. En Chine, l’argent reste en Chine. Les États-Unis ont l’écosystème de la Silicon Valley, mais le Canada est une petite économie ouverte.
En ce qui concerne la propriété intellectuelle des universités qui ont été financées par des fonds provinciaux ou fédéraux, faudra-t-il adopter une loi qui impose aux établissements d’enseignement l’obligation d’accorder, disons, 50 % de la propriété des innovations au Canada, afin qu’il soit impossible de vendre notre propriété intellectuelle aux États-Unis? Je prends l’exemple de Google dont vous avez parlé précédemment.
M. Ciuriak : Je vous remercie de cette question. Elle est importante.
La question est de savoir à quel moment vous vendez la propriété intellectuelle. Si vous vendez vos services de recherche et de développement, les rentes économiques sont intégrées dans la propriété intellectuelle. Par conséquent, si vous vendez ces services à une entreprise étrangère, cette dernière s’approprie la propriété intellectuelle. Si vous développez la propriété intellectuelle au Canada et que vous la vendez par la suite, vous avez déjà bénéficié des rentes, et vous recevez maintenant de l’argent en échange de cette propriété intellectuelle, de l’argent que vous pouvez réinvestir.
Pour de nombreuses petites entreprises qui développent des technologies, la stratégie de retrait consiste à les vendre, et il ne faut pas briser cette dynamique. Il faut qu’un certain nombre d’entre elles deviennent les gazelles et les licornes du Canada. Mais pour de nombreuses entreprises, la stratégie commerciale logique consistera à se retirer. Il ne faut pas créer des lois qui les empêcheraient de le faire.
Vous devez réfléchir à la manière d’utiliser vos fonds d’approvisionnement et vos fonds de recherche et de développement pour créer des entreprises canadiennes. Si vous envisagez de mettre en œuvre un projet d’approvisionnement, vous pouvez le confier, par exemple, à IBM, parce qu’il est trop vaste pour être géré par une entreprise canadienne. Aucune entreprise canadienne ne possède à elle seule l’ensemble des compétences ou des capacités nécessaires, mais si vous encouragez un consortium de petites entreprises canadiennes à créer une autre entreprise en utilisant ces fonds, vous obtiendrez non seulement un produit pour le gouvernement, mais aussi une nouvelle entreprise. C’est ce que je veux dire lorsque je vous conseille de réfléchir au nombre d’entreprises. Nous devrions toujours penser à accroître le nombre d’entreprises. Selon moi, c’est beaucoup plus important que le PIB à l’heure actuelle.
Le sénateur Gignac : En ce qui concerne la question de l’approvisionnement, vous soulignez qu’il doit s’agir d’une entreprise canadienne. Nous avons signé un traité de libre-échange avec les États-Unis, nous devons donc également le respecter. Je sais que les États-Unis ont recours à beaucoup d’astuces pour faire preuve de protectionnisme. Au Canada, nous sommes un peu réticents à l’idée d’agir comme les Américains. Ou suggérez-vous une autre approche, et pensez-vous que d’un océan à l’autre, certaines provinces s’en sortent mieux que d’autres?
M. Ciuriak : L’accord commercial auquel il faut penser à cet égard, c’est l’AECG, qui a été conclu avec l’Union européenne, qui va du niveau fédéral au niveau provincial et qui vise les sciences sociales, la santé et d’autres services.
Il n’y a rien de mal à ce qu’une entreprise européenne participe au projet. Mais ce qu’il faut viser, c’est le résultat du projet. La propriété intellectuelle appartiendra-t-elle à une seule entreprise établie en Europe ou aux États-Unis, ou à une entreprise établie au Canada?
Il y a aussi la question des limites d’approvisionnement. De nombreux projets se situent en dessous du seuil à partir duquel il faut prendre en compte les entreprises étrangères.
Si vous pensez à la Defense Advanced Research Projects Agency, la DARPA, des États-Unis, un grand nombre de ses projets coûtent 50 000 $ ou 100 000 $ et consistent à demander à une entreprise privée d’étudier une nouvelle technologie d’avant-garde. Je pense que nous devons penser de cette façon. Il faut penser à des résultats modestes, semer beaucoup de graines et se demander comment nous pouvons en créer une entreprise canadienne, si elle n’existe pas déjà. Et cela signifie que vous devez vous entretenir avec l’ensemble de vos entreprises.
Le sénateur Woo : Je vous remercie, messieurs Ciuriak et Fay.
Je voudrais examiner de façon plus approfondie la tension entre la capacité d’appropriation et l’ouverture, car il existe une certaine tension à ce niveau. De plus, j’aimerais vous interroger au sujet du rôle de l’investissement direct étranger, ou IDE, et de la manière dont il peut accroître la capacité d’appropriation au lieu de la gêner. Le comité a tendance à minimiser l’importance de l’IED en raison du problème de fuites et des rentes courues liées à la propriété de la propriété intellectuelle.
Est-ce également votre point de vue? Dans quelle mesure pouvons-nous utiliser l’IDE de manière stratégique pour faire avancer notre programme d’innovation?
M. Ciuriak : Je vous remercie de votre question, sénateur Woo. Je commencerai par faire remarquer qu’au sein de l’économie industrielle, l’investissement direct étranger favorise la création de technologies, d’emplois et d’activité dans votre pays et engendre toutes sortes de retombées et d’effets multiplicateurs dans votre économie locale. Au sein de l’économie de l’innovation, l’investissement direct étranger suppose, en général, une fusion ou une acquisition par un géant mondial qui prend le contrôle d’une petite entreprise canadienne et expatrie habituellement à la fois la propriété intellectuelle et les employés ou les experts clés, ce qui affaiblit votre dynamique d’innovation.
L’innovation fonctionne dans un espace combinatoire; il faut combiner des idées. Plus il y a d’entreprises dans votre espace d’innovation, plus il y a de combinaisons possibles. Même si vous ne retirez qu’une seule entreprise, vous éliminez un très grand nombre de combinaisons potentielles qui pourraient être fructueuses. C’est sur cela qu’il faut se concentrer.
Voici comment il faut envisager la chose. L’investissement étranger direct au Canada fait disparaître les entreprises qui se situent à l’extrémité droite de la courbe, l’extrémité la plus attrayante de la courbe. La libéralisation du commerce élimine les entreprises faibles et nous laisse avec les entreprises médiocres du milieu de la courbe. Voilà la situation dans laquelle le Canada s’est mis.
En ce qui concerne les investissements directs étrangers, je préférerais de loin une stratégie d’investissement direct à l’étranger visant à acquérir des technologies étrangères et à les ramener au Canada. Je vais vous donner un exemple. À l’époque où BlackBerry développait le code chinois pour ses appareils, la société a acheté une entreprise israélienne, et elle a rapatrié les talents au Canada. C’est une stratégie bien plus intelligente pour l’économie de l’innovation que celle qui consiste à inciter des géants étrangers à faire disparaître nos entreprises.
M. Fay : Si vous le permettez, je voudrais formuler deux observations. La première concerne l’IDE. L’un des aspects qui ne sont pas pris en compte au cours d’une prise de contrôle ou d’une fusion, c’est la valeur des données, et c’est probablement incroyablement important à notre époque.
Pour en revenir à la conversation précédente concernant la propriété intellectuelle, les brevets, la recherche et le développement, la majeure partie de notre recherche et de notre développement est menée par le système universitaire. Comme vous le savez, la recherche et le développement menés par des entreprises canadiennes sont très limités. Ce qui se passe, c’est que des partenaires industriels viennent travailler avec les universités et s’approprient la propriété intellectuelle qui découle de cette recherche. Nous publierons en avril un document sur les brevets déposés par les universités, qui contiendra des chiffres choquants sur la proportion des brevets qui sortent du pays parce que la propriété intellectuelle est cédée au partenaire industriel, qui est généralement étranger.
La présidente : Nous vous serions reconnaissants de nous envoyer ce document dès que possible. Merci.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vais d’abord faire un commentaire.
[Traduction]
Je pense qu’il y a un éléphant dans la pièce que nous ne voyons pas et qui nous permettrait de comprendre les problèmes de l’innovation au Canada. En matière d’innovation, nous investissons beaucoup dans les universités et d’autres établissements d’enseignement, mais le Canada est un petit pays dont la main-d’œuvre est peu nombreuse. J’aimerais que vous me disiez si l’investissement dans le capital humain pourrait être une mesure qui augmenterait l’investissement au Canada lié aux innovations que nous produisons dans les universités.
Une enquête que je viens de réaliser en 2021 a montré que 56 % des Canadiens souhaitent recevoir une formation et que près de 50 % d’entre eux estiment qu’ils ne possèdent pas les compétences numériques nécessaires.
Ne croyez-vous pas que c’est un aspect stratégique qui pourrait expliquer pourquoi nous sommes à la recherche de rentes? Nous investissons dans la production de connaissances, mais nous ne les partageons pas avec notre population.
M. Ciuriak : C’est une excellente question et une excellente observation. De toute évidence, le Canada se classe parmi les chefs de file mondiaux en matière de capital humain, de niveaux d’instruction, et cetera. L’un des aspects intéressants des établissements qui offrent les niveaux d’instruction les plus élevés et qui hébergent la plupart des activités de recherche et de développement, c’est que les talents s’établissent là où l’innovation se produit.
Par exemple, Waterloo est une école de pointe pour acquérir des compétences en matière de STIM. Chaque année, la plupart de ses diplômés vont s’établir aux États-Unis, dans le Massachusetts, dans la Silicon Valley ou ailleurs. Nous fournissons les cerveaux. Nous formons les gens, et nous fournissons des cerveaux aux pôles d’innovation.
La Chine est également une source importante de talents, et elle envoyait ses ressortissants aux États-Unis pour qu’ils y acquièrent des compétences, mais ensuite, ces personnes restaient là-bas. Lorsque la Chine essayait de les rapatrier, les Américains disaient : « Hé, c’est de la technologie américaine. »
Certains de ces talents reviennent au Canada et créent des entreprises. Le défi consiste donc à créer au Canada un environnement propice à la création d’entreprises et à leur croissance, de manière à ce que nous puissions attirer les meilleurs cerveaux issus de nos universités.
Cela me ramène à la question des entreprises. Pourquoi n’avons-nous pas un plus grand nombre d’entreprises? Si nous faisions le poids face aux Américains, nous embaucherions la plupart de ces diplômés ici, et nous importerions des services de recherche et développement des Américains, des Européens ou des Chinois. Tel serait le modèle d’entreprise qui nous rendrait riches.
La sénatrice Bellemare : Ne pensez-vous pas que, dans la population active moyenne, les gens n’ont pas les compétences moyennes nécessaires pour rivaliser avec les personnes plus instruites dans le domaine de la technologie? Ne pensez-vous pas qu’il y a une combinaison à faire dans ce domaine?
M. Ciuriak : Vous faites également valoir un excellent argument.
En fait, dans mon document de référence, vous verrez qu’il y a un tableau qui montre les types d’employés qui occupent des postes de recherche et de développement, et ce que le tableau illustre et ce que je trouve assez alarmant, c’est que le nombre de techniciens — les personnes dont vous parlez, sénatrice — a chuté au cours des dernières années.
Je pense que, là encore, cela prouve que, d’une part, nous devons former ces personnes, mais aussi que nous devons les retenir au Canada, ce qui signifie, une fois de plus, que nous avons besoin d’entreprises.
J’ai bien peur, sénatrice, que ce soit mon mantra : des entreprises, des entreprises et encore des entreprises.
La présidente : Nous recevons le message. C’est formidable.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie tous les deux de votre présence.
Monsieur Ciuriak, je me suis penchée sur la stratégie d’appropriation à laquelle vous faites allusion dans votre document. Vous parlez de la question de savoir si le Canada devrait accroître massivement ses investissements dans l’innovation pour entrer en concurrence avec les États-Unis et la Chine et, le cas échéant, des risques que présenterait une telle démarche.
La ministre Freeland a déjà engagé des milliards de dollars pour soutenir la concurrence des États-Unis, et je sais, grâce aux travaux que nous avons effectués au sein d’autres comités, qu’il n’y a en fait aucun plan. J’ai toujours considéré la question en me disant : « Eh bien, il n’y a pas de plan. »
Toutefois, vous parlez d’une stratégie nationale d’appropriation. À quoi cela ressemblerait-il? Quels sont les éléments d’une stratégie nationale d’appropriation? J’essaie simplement d’y réfléchir du point de vue des milliards de dollars que le gouvernement va investir dans des entreprises ou des subventions qu’il leur accordera. Qu’est-ce qui nous manque? Vous dites que nous n’avons pas de stratégie de ce genre et que nous n’y avons même pas réfléchi.
M. Ciuriak : Nous n’avons pas pensé de cette façon. Oui, sénatrice, je vous remercie de me poser, encore une fois, une excellente question. Voilà la question à plusieurs milliards de dollars qui se pose à nous tous : comment pouvons-nous nous approprier cela?
Nous n’avons pas encore résolu ce problème. Si j’étais responsable de ce...
La sénatrice Marshall : Excellent argument.
M. Ciuriak : Cela dépasse largement mes fonctions, sénatrice.
Je commencerais par un petit projet. J’essaierais de mener un seul projet et de déterminer comment tirer profit de l’investissement du gouvernement dans l’innovation. Nous pouvons le faire une fois et l’essayer deux fois. Si nous pouvons le faire deux fois, nous pouvons le faire plusieurs fois. Mais je crois que nous devons être pragmatiques en ce qui concerne notre approche et que nous devons expérimenter.
Une théorie n’a pas été formulée à cet égard. Nous n’avons pas de théorie pour l’innovation dans des petites économies ouvertes. Nous en avons une pour la politique fiscale et une autre pour la politique monétaire, mais nous manquons de théorie dans ce domaine. Nous devons donc avancer à petits pas, et je recommanderais une expérimentation progressive et pragmatique.
La sénatrice Marshall : Vous dites qu’il ne faut pas investir les 15 milliards de dollars d’un seul coup, n’est-ce pas?
M. Ciuriak : Non. J’investirais 50 millions de dollars à la fois.
La sénatrice Marshall : Il faut commencer modestement. Merci.
La présidente : Monsieur Fay, nous aimerions entendre ce que vous avez à dire à ce sujet ou au sujet du capital humain, selon ce qui vous préoccupe.
M. Fay : D’accord, merci.
Dan Ciuriak va continuer de parler d’entreprises, mais je vais continuer de parler de cadres. Pourquoi? Parce que nous ne disposons pas de cadres pour soutenir un modèle d’affaires basé sur des éléments immatériels. Ce n’est tout simplement pas le cas dans notre pays.
Qu’est-ce que cela signifie? Cela signifie — comme nous l’avons déjà entendu — que nous devons réfléchir plus sérieusement à la propriété intellectuelle et à la manière de réduire les fuites hors du pays. Nous devons actualiser nos politiques. Nous avons déjà parlé de la vie privée et de la concurrence. Toutes sortes d’autres éléments s’en suivent.
Comme je l’ai déjà mentionné, nous devons actualiser nos structures réglementaires pour tenir compte de la nature intersectorielle de ces technologies. C’est ce que font d’autres pays, qui créent des ensembles de mesures cohérents. Nous n’avons pas encore atteint ce stade au Canada.
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Loffreda : Merci à nos témoins d’être présents.
Je vais poursuivre sur la question des autres pays, qui vient d’être mentionnée, et sur la gouvernance des données qui, comme nous le savons, est une ressource précieuse et qui est la clé de la croissance de notre technologie numérique. J’ai lu récemment un rapport sur la gouvernance des données publié par l’OCDE, qui a mené des recherches et des analyses approfondies pour proposer des approches politiques. L’une des recommandations principales du projet « Going Digital » de l’OCDE concerne l’accès aux données et leur partage, non seulement entre les secteurs privé et public, mais aussi au-delà de nos frontières. Selon ce rapport, la circulation des données entre les frontières est essentielle et l’OCDE parle de libre circulation des données en toute confiance.
Ma question est la suivante : compte tenu des enjeux géopolitiques actuels, ce concept est-il pertinent? Est-il toujours d’actualité? Est-il faisable? Est-il toujours essentiel? Et quelle voie le Canada devrait-il emprunter compte tenu des enjeux géopolitiques auxquels il est actuellement confronté? Quels sont nos alliés et nos partenaires mondiaux dont nous devons nous inspirer le plus?
Monsieur Ciuriak, pourriez-vous commencer? Je vous remercie.
M. Ciuriak : Oui. J’ai rédigé un article intitulé « Unfree Flow with No Trust » qui décrit le monde dans lequel nous vivons actuellement.
Oui, nous nous trouvons dans un contexte géopolitique très conflictuel, en particulier vis-à-vis de la Chine et de la Russie. Nous savons que la Russie utilise un modèle d’affaires fondé sur ce qu’on appelle des mesures actives — cela se trouve dans la littérature sur la sécurité —, qui consiste à semer la discorde au sein de l’Occident afin d’en affaiblir les nations, de les éloigner les unes des autres, d’éloigner l’Europe des États-Unis, etc. Nous devons lutter contre ces efforts. En tant que société de l’information ouverte, nous sommes largement ouverts à ces attaques. Et celles-ci sont constantes.
La Chine, derrière son pare-feu, a exclu des entreprises comme Google, Facebook pour bâtir son propre écosystème d’entreprises, et elle contrôle cet espace d’information. Si une tendance préjudiciable à la société est observée en Chine, elle est éliminée. Ce n’est pas le cas chez nous. Nous avons des controverses massives, des opposants à la vaccination, le convoi, etc. Vous avez entendu parler de tout cela. Comment composer avec ces voix?
Dans un espace d’information ouvert, Jim Balsillie affirme que les données sont le « nouveau plutonium ». Les données sont le nouveau pétrole de l’économie, mais lorsqu’il s’agit de questions sociales et politiques, elles sont le nouveau plutonium. Elles sont très destructrices. L’envoi de messages ciblés pour semer la discorde explique un grand nombre des événements négatifs qui se sont produits au sein de l’économie fondée sur les données, ces sept dernières années environ.
La question est de savoir comment gérer ce problème. Je ne pense pas que nous voulions devenir une société de censure, mais pouvons-nous laisser de mauvais acteurs influer sur nos opinions sociales et adresser à nos concitoyens des messages qui incitent les Canadiens à la haine?
Dans le document GPT-4 Technical Report, qui vient d’être publié, il est indiqué que si vous prenez un algorithme formé sur des données conçues pour diminuer la haine, par exemple, et que vous le modifiez dans le sens inverse, il est très facile d’amener des factions à se haïr mutuellement. C’est un extrait du rapport sur GPT-4 d’OpenAI.
Je vais citer un autre fait, qui est plutôt effrayant. Il y a un an, le magazine Nature a publié un article sur un outil d’intelligence artificielle qui recherchait des médicaments, des composés chimiques, présentant de bonnes propriétés antibactériennes et une toxicité minimale pour les êtres humains. À titre d’expérience, ils lui ont demandé d’inverser ces critères de manière à optimiser la toxicité pour les êtres humains, et il a très rapidement trouvé l’agent neurotoxique VX. L’intelligence artificielle est comme le feu. Elle peut être destructrice ou être très bénéfique. Comment devons-nous gérer ce problème au sein de notre société? Je pense que c’est le défi de notre époque.
La présidente : Avant de donner la parole à M. Fay pour qu’il nous donne son avis sur ce point, certains gouvernements disent : « Limitons le financement de la recherche et la présence d’argent chinois dans les universités, et interdisons TikTok », bien que nous continuions de travailler avec Huawei. Pensez-vous qu’à ce stade nous devions envisager ce genre de mesure?
M. Ciuriak : Merci, madame la présidente. Je pense que c’est notre grand défi. Devons-nous aller dans le même sens que la Chine, qui exclut les entreprises étrangères de son espace d’information? Dans le cas des États-Unis, il s’agirait d’exclure TikTok. Ou bien devons-nous trouver un moyen d’établir des partenariats avec eux tout en créant un modèle d’affaires qui nous permette d’en capter les bénéfices?
Nous sommes une petite économie ouverte. La Chine va représenter une part importante et massive de l’économie de l’innovation. Depuis que nous avons laissé partir Nortel, nous n’avons plus d’entreprise comme Huawei. Nous devons donc essayer de trouver des entreprises comme Samsung, Nokia et Ericsson pour fournir nos réseaux 5G, mais en concurrence avec les Européens et les autres pays alliés des États-Unis. Serons-nous en tête de liste?
La façon de traiter avec la Chine présente d’importantes difficultés pour nous. Nous devons trouver un modus vivendi. À mon sens, celui-ci ne peut exclure catégoriquement la Chine. Il doit s’agir d’un modèle d’affaires qui préserve nos intérêts et notre sécurité tout en nous permettant de rester une nation commerçante.
M. Fay : La question de la sénatrice est très pertinente, car le contrôle des données est désormais un enjeu géopolitique. Je ne pense pas que nous aurions imaginé cela il y a 10 ans. Plus de données et plus de variétés de données sont essentielles à ces technologies. Le modèle d’affaires de la Chine est en fait assez faible à cet égard. Elle utilise l’initiative « Une ceinture, une route » pour obtenir différents types de données.
Ce que nous pouvons faire au Canada, c’est mieux gérer nos propres données. Nous ne le faisons pas. Nous devons créer des structures qui permettent à nos PME d’exploiter les données gouvernementales, les données des entreprises et les données personnelles pour innover. Nous pouvons contrôler ce facteur, mais une fois de plus, pour ce faire, nous devons actualiser nos cadres.
La sénatrice Ringuette : Merci aux deux témoins. C’est très intéressant.
Vous avez parlé de l’équipe d’intervention. Pourriez-vous développer ce point? Comment fonctionnerait-elle? S’agirait-il d’une équipe fédérale-provinciale? D’un groupe de PDG d’organismes qui se porteraient volontaires pour offrir leur expertise à nos PME? De quoi s’agirait-il?
M. Ciuriak : Merci, sénatrice, pour cette excellente question. Cette idée m’est venue alors que j’essayais de décrire les histoires que j’ai entendues en discutant avec des innovateurs canadiens de la manière de faciliter leurs activités. Mon idée était qu’un innovateur pourrait se présenter à un portail de facilitation et être placé sur une chaîne de montage. Il se présenterait à la première porte, et l’expert en propriété intellectuelle élaborerait une stratégie en matière de propriété intellectuelle. Il passerait à la porte suivante et obtiendrait une stratégie relative aux normes industrielles et à la manière de les gérer. Puis il passerait à la porte suivante, et ainsi de suite.
La sénatrice Ringuette : Mais qui serait responsable de cette chaîne?
M. Ciuriak : Imaginons que nous ayons une agence de facilitation de l’innovation. Il s’agit du portail. L’innovateur se présente. Il a quelques brevets. Il a une bonne idée et cherche à la développer. On lui assigne alors un gestionnaire de compte. Ce dernier l’accompagne tout au long du processus et prend les rendez-vous.
Ce gestionnaire de compte connaît l’industrie. S’il s’agit d’un innovateur dans le domaine des technologies propres, un professionnel issu de ce domaine saura quelles entreprises appeler et qui réunir pour créer des synergies et des idées. Il pourra guider l’innovateur et être son ange gardien dans le cadre de ce processus, parce qu’il connaît les ficelles du métier. Il sera déjà passé par là, mais cet innovateur est un scientifique, et ce sera pour lui la première fois. C’est l’idée que j’ai en tête. Je ne possède pas vraiment les compétences requises en matière de structure institutionnelle pour mettre ce système en place, mais je peux l’imaginer.
La présidente : Qui gèrerait ce système, monsieur Ciuriak? S’agirait-il d’un organisme gouvernemental qui recrute des personnes? Comment procéderiez-vous?
M. Ciuriak : Le sénateur Woo vient de mentionner les incubateurs. Ceux-ci fonctionnent probablement de cette manière. La question est de savoir pourquoi nos incubateurs ne prennent pas les innovateurs en charge et ne les accompagnent pas. Je ne suis pas vraiment en mesure de vous parler de ce problème. Il y a des personnes mieux placées pour vous guider dans ce domaine.
La présidente : Monsieur Fay, souhaitez-vous formuler des commentaires sur ce modèle ou cette approche?
M. Fay : Je suis d’accord avec lui. C’est peut-être une critique, mais le gouvernement vient d’annoncer ce qui s’apparente à un service de guide expert destiné aux entreprises à forte croissance. Il vise à aider ces entreprises à se repérer dans les programmes gouvernementaux et à déterminer quels sont ceux qui pourraient les aider à se développer. Je pense que si vous avez besoin d’un service de guide expert pour trouver un programme, c’est que nous avons un problème avec nos programmes gouvernementaux. Ils doivent être extrêmement compliqués. L’une des leçons à en tirer est peut-être la nécessité de simplifier les choses.
Qui pourrait gérer ce système? Nous avons cette nouvelle société canadienne pour l’innovation qui va voir le jour. Nous pourrions peut-être lui confier ce rôle.
La présidente : Vous y croyez plus que certains des autres témoins que nous avons entendus.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur Ciuriak, assurez-vous, si possible, de nous faire parvenir une copie de l’article « Unfree Flow with No Trust ». Si vous pouviez l’envoyer à la greffière, cela nous serait très utile.
Monsieur Fay, j’aimerais commencer par vous. J’aimerais résumer ce que nous avons entendu aujourd’hui de la façon la plus simple possible, ce que vous savez très bien faire. Il semble que le Canada a investi dans le développement de la propriété intellectuelle et que ces efforts ont été couronnés de succès. Nous avons créé des idées et des opportunités formidables. Le problème, c’est que notre panier est percé et que ces opportunités finissent à l’étranger. Les bénéfices récurrents de l’investissement que nous avons réalisé ne profitent pas aux Canadiens. En fait, les Canadiens doivent payer une prime pour récupérer les avantages qui ont été créés grâce à ces investissements. C’est la situation que vous avez clairement décrite.
Je suis tout à fait d’accord avec vous, monsieur Fay, pour dire que nous n’avons pas de cadre. C’est la raison pour laquelle j’ai parlé de « tuyauterie » au départ, car sans la tuyauterie, nous avons un problème. Si l’on établit les mesures à prendre, je pense que c’est faisable et peu coûteux. Pourriez-vous simplement décrire le plan d’action que nous devrions proposer dans notre rapport? Je vous en serais très reconnaissant.
M. Fay : Tout d’abord, je suis d’accord avec tout ce que vous avez dit, sénateur. Notre terminologie est différente, mais je pense que nous sommes sur la même longueur d’onde.
Je vais parler un peu comme un économiste, mais la politique en matière de concurrence doit vraiment être au cœur de tout ce que nous examinons. Je suis d’accord avec le commissaire à la concurrence lorsqu’il dit que nous devrions envisager les choses sous l’angle de la concurrence. Lorsque nous élaborons de nouvelles politiques, nous devrions réfléchir à leur incidence sur la concurrence. Ce n’est tout simplement pas l’état d’esprit qui prévaut au Canada. Il ne coûte rien de repenser la façon dont nous devrions modifier la politique en matière de concurrence pour rendre compte de l’influence fondamentale des technologies numériques sur le marché.
Encore une fois, le Parlement est saisi d’un grand nombre de dossiers qui semblent être dans l’impasse. La Loi sur la protection de la vie privée n’est peut-être pas parfaite, mais elle doit être envisagée. La Loi sur l’intelligence artificielle et les données a ses lacunes, mais elle progresse. Encore une fois, d’autres pays ont déjà pris ces mesures. Nous n’avons pas à réinventer la roue. Nous pouvons regarder ce qu’ils ont fait et nous dire : « Voici les éléments qui, selon nous, répondent aux besoins du Canada et correspondent à nos valeurs. » Si nous ne le faisons pas, nous devrons nous soumettre à leurs règles. Ce n’est pas ce que nous voulons.
Je ne pense pas avoir répondu à votre question.
Le sénateur C. Deacon : C’était très bien. Monsieur Ciuriak, avez-vous quelque chose à ajouter?
M. Ciuriak : Je prendrais exemple sur d’autres petites économies ouvertes qui réussissent très bien. Deux d’entre elles, en particulier, Israël et la Corée, sont des chefs de file en matière d’investissement dans la recherche et le développement, et réussissent à créer des entreprises. Dan Breznitz raconte qu’Israël disposait de tous les talents nécessaires et de beaucoup de fonds à investir dans l’innovation, mais que ce pays ne réussissait pas bien. Puis ils ont engagé un scientifique en chef. Celui-ci a regardé ce qu’ils faisaient et a dit : « Prenons une chose, faisons-la bien, et voyons ce qui se passe. » C’est cette approche consistant à prendre une seule chose, à la perfectionner et à voir si elle peut être mise en œuvre, que je recommanderais au Canada.
Comme je l’ai dit, je pense que nous ne disposons pas du cadre théorique nécessaire pour le faire. Nous savons qu’il n’y a pas de cadre. La question est de déterminer quels éléments entrent dans ce cadre et quelles sont les choses importantes à éviter. Par exemple, nous avons parlé de la possibilité de mettre en place des obstacles à la vente de la propriété intellectuelle. Est-ce la voie à suivre? Israël est une nation de jeunes entreprises qui vendent leurs sociétés parce qu’elles ne peuvent pas s’agrandir.
La question est la suivante : comment concevoir ce cadre?
La présidente : Le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale réfléchit-il à ce sujet?
M. Fay : Oui.
M. Ciuriak : Pour être honnête, je n’ai pas vu de réflexion sur l’« appropriabilité nationale ». Je pense même que j’ai inventé ces mots dans ce document.
La présidente : Très bien. N’oubliez pas de nous le faire parvenir lorsqu’il sera prêt.
Le sénateur Woo : Il y a une logique mercantiliste dans tout cela, si ce n’est pas contrôlé. Au fur et à mesure que nous élaborons les cadres, nous devons garder cela à l’esprit.
Je voudrais revenir à la structure institutionnelle. Je sais que vous vous êtes tous deux éloignés un peu de cette question parce qu’elle touche aux rouages, mais pourriez-vous nous en dire plus sur ce que serait une bonne structure institutionnelle pour optimiser les avantages de l’innovation? Plus précisément, avez-vous un avis sur les supergrappes qui sont en place depuis quelques années? Elles semblent fonctionner un peu de la façon dont vous parlez. Pouvez-vous, l’un ou l’autre, commenter?
M. Ciuriak : Je vous remercie beaucoup. Tout d’abord, pour ce qui est des cadres commerciaux et juridiques, nous devons faire la distinction entre les marchés concurrentiels — que le marché gère très bien par lui-même et dans lesquels nous n’avons pas besoin d’intervenir beaucoup; c’est pourquoi nous avons un système basé sur des règles pour ce type d’activités —, et ceux où les rentes économiques sont importantes. Le marché n’alloue pas de rente; ce sont les stratégies qui le font. C’est très stratégique. Inévitablement, il y a des conflits : Airbus contre Boeing, Bombardier contre Embraer. Lorsque des rentes sont en place, il faut un comportement stratégique. Dans le milieu de l’innovation, il s’agit intrinsèquement de rentes et donc intrinsèquement de stratégie.
Au sujet des sommes d’argent, comme je l’ai mentionné dans ma note d’information, l’innovation est devenue beaucoup plus difficile, beaucoup plus rapide et beaucoup plus à grande échelle. Nous dépensons quelques milliards de dollars par an pour les supergrappes. Les Américains disposent de 280 milliards de dollars rien que pour la CHIPS and Science Act. Nous sommes loin de fonctionner à une échelle qui nous permette d’être concurrentiels à une époque où il est très difficile d’innover.
Dans ma note d’information, il y a un graphique sur le déclin de l’efficacité de la recherche et développement. C’est un phénomène mondial. Il faut désormais beaucoup plus de ressources pour repousser les limites de la technologie.
La question de la structure institutionnelle se résume donc à la stratégie utilisée pour capturer les rentes économiques. On finit par écrire le tout au fur et à mesure.
M. Fay : C’est une question très intéressante, sénateur Woo. Je vous remercie.
Pour faire suite à ce qu’a dit M. Ciuriak, nous avons de nouveaux modèles d’affaires qui tendent vers la concentration. Nous devons y faire face. J’ai parlé de l’importance de la politique sur la concurrence, mais nous avons des facteurs externes qui surgissent. Je pense que c’est ce dont M. Ciuriak parlait. Quand des facteurs externes surgissent, une politique est nécessaire.
Je pense que les supergrappes sont un moyen d’essayer d’obtenir une agrégation. En d’autres termes, on prend un groupe de petites entreprises et on les réunit en espérant qu’ensemble elles deviendront quelque chose de plus grand.
Pour être honnête, je n’ai pas beaucoup suivi l’évolution des supergrappes. Deux points me paraissent obscurs. Premièrement, ont-elles une stratégie en matière de propriété intellectuelle? Nous avons parlé de l’importance de cette stratégie. Deuxièmement, ont-elles une stratégie d’évaluation? Je sais que les documents qui ont présidé à leur création prévoient qu’elles doivent évaluer ce qu’elles font. Pour moi, c’est d’une importance fondamentale. Qu’apprennent-elles en cours de route?
Quand je pense à l’innovation et à la pandémie, un autre élément qui ne nous coûte rien consiste à examiner les entreprises qui ont réussi à faire pivoter leur production au beau milieu de la pandémie. Comment y sont-elles parvenues? Quels éléments ont-elles réunis pour y arriver? Je n’ai pas vu d’étude sur ce sujet. J’aimerais la faire moi-même. C’est là pour moi que nous pouvons voir l’innovation en action.
La présidente : En effet. Nous attendons tous de savoir quelles sont les « leçons apprises ». Nous manquons de temps.
La sénatrice Bellemare : Monsieur Fay, vous n’avez pas répondu à la question que j’ai posée précédemment, mais je sais que vous avez publié un article intitulé « Comment expliquer l’atonie de l’investissement des entreprises à l’échelle mondiale? » Dans la conclusion, vous parlez surtout des problèmes structurels liés à la démographie, etc. Vous parlez de cadres, de l’absence de tuyauterie et d’institutions au Canada.
Si nous avions un conseil économique, comme M. Balsillie nous l’a mentionné il y a deux semaines, pensez-vous que cela pourrait résoudre certains problèmes? J’aimerais avoir votre avis à tous les deux.
M. Fay : Je vous remercie d’avoir trouvé cet article, qui date probablement de sept ou huit ans maintenant. Je pense qu’il était pertinent à l’époque. On tentait de comprendre la dynamique de l’investissement mondial et les raisons pour lesquelles l’investissement était si faible.
Vous avez raison. Je pense que l’un des éléments que nous avons soulignés dans l’article est que des questions structurelles sont en jeu, c’est-à-dire la démographie. Un ralentissement de la croissance de la population, en soi, pourrait conduire à un ralentissement de l’investissement. Je voudrais probablement revoir certaines des conclusions aujourd’hui.
Hier, nous avons eu une annonce intéressante, les chiffres de la croissance démographique au Canada, qui sont mirobolants. Je me suis dit qu’il fallait augmenter les investissements au Canada pour que ces nouveaux travailleurs et ces nouveaux arrivants aient du capital à leur disposition.
La sénatrice Bellemare : Un conseil économique où les dirigeants pourraient tenter de...
M. Fay : Oui, un conseil économique remanié. J’appuie sans réserve l’idée que nous devons réunir des personnes pour repenser les cadres — j’y reviens encore une fois — sur la façon de stimuler la croissance au pays. Comme vous l’avez entendu hier et au cours de vos réunions, la croissance de la productivité dans ce pays est désastreuse. C’est le cas depuis des décennies, probablement depuis 20 ans maintenant. L’investissement est faible. Le montant du capital investi par travailleur est deux fois moindre qu’aux États-Unis dans le domaine des équipements de haute technologie. Il y a beaucoup d’éléments de base auxquels nous devons réfléchir. Je pense qu’il faut réunir un bon groupe de personnes venant d’horizons très divers — pas seulement des économistes, mais aussi des politologues, des sociologues, et j’en passe — pour nous aider à comprendre tout cela.
Le sénateur Gignac : Je suis très heureux que vous ayez parlé du scientifique israélien, car je l’ai rencontré en 2010 à Atlanta, lors du congrès international BIO. Par la suite, j’ai créé le poste de scientifique en chef au Québec.
Au Québec, nous avons une société d’État, Investissement Québec, qui n’hésite pas à financer la croissance d’une entreprise. Je pense donc que c’est un écosystème et qu’il s’agit sans doute d’un modèle à suivre pour le Canada. Je vous remercie.
La présidente : Je vous remercie tous les deux de vous être joints à nous aujourd’hui. Cela nous aidera à trouver des réponses et des orientations très précises pour le gouvernement. Merci, messieurs, de votre contribution, et n’oubliez pas de nous faire parvenir les documents que nous avons demandés.
Bienvenue encore une fois à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie qui porte sur l’investissement des entreprises dans notre pays. Nous avons le plaisir d’accueillir Mike McLean. Il est le PDG du Collectif d’actifs en innovation.
Je crois que vous avez une déclaration liminaire, monsieur McLean, alors allez-y s’il vous plaît.
Mike McLean, PDG, Collectif d’actifs en innovation, à titre personnel : Je vous remercie de me donner l’occasion de prendre la parole devant vous aujourd’hui. Je m’appelle Mike McLean et je suis le PDG du Collectif d’actifs en innovation, ou CAI, un organisme à but non lucratif financé par le gouvernement fédéral pour améliorer la capacité des entreprises canadiennes à renforcer leur liberté d’action et leurs positions en matière de propriété intellectuelle pour être concurrentielles sur la scène mondiale.
La propriété intellectuelle représente un défi constant pour le Canada. Bien que nous soyons une nation d’innovateurs, nous restons de piètres propriétaires de propriété intellectuelle. La part des actifs incorporels dans l’économie canadienne ne cesse de diminuer depuis 2000. Par habitant, les demandes de brevets déposées par des entreprises canadiennes sont en baisse depuis 2005. Le Canada a du mal à élaborer des stratégies fondées sur la propriété intellectuelle et les données. Cela soulève des inquiétudes quant à notre capacité à soutenir la concurrence dans l’économie mondiale des idées.
Les mesures traditionnelles d’incitation à l’investissement, telles que la réduction des taux d’intérêt ou les allègements fiscaux, sont inefficaces dans l’économie du savoir, car elles ne tiennent pas compte de la propriété des droits de propriété intellectuelle et du contrôle des données, ce qui est nécessaire pour que les investissements d’une entreprise dans la recherche et développement se traduisent par de nouveaux revenus.
La propriété intellectuelle et les données sont des actifs d’exclusion qui servent à limiter la concurrence ou à profiter des avantages financiers de l’innovation sous la forme de redevances liées à la propriété intellectuelle ou aux données. On ne peut pas commercialiser ce que l’on ne possède pas. Seules les entreprises qui jouissent d’une liberté d’action suffisante peuvent avoir la certitude d’obtenir les rendements élevés qui assurent la prospérité de l’économie canadienne. Par comparaison, de nombreux pays mettent en œuvre des stratégies destinées à commercialiser avec succès l’innovation et à établir des positions dominantes en matière de propriété intellectuelle qui assurent une part inégale des bénéfices financiers.
La Chine a récemment publié un plan en 115 points qui énonce la façon dont elle entend devenir une superpuissance en matière de propriété intellectuelle. La Corée du Sud, la France et le Japon ont chacun créé des fonds souverains pour les brevets afin de faire progresser leur position en matière de propriété intellectuelle. Les ressources centralisées dans le domaine de la propriété intellectuelle, telles que celles des instituts Fraunhofer en Allemagne et de l’office de la propriété intellectuelle de Singapour, contribuent à propulser ces pays aux premières places des classements mondiaux en matière d’innovation.
Le gouvernement du Canada a reconnu que des changements sont nécessaires et a annoncé sa stratégie en matière de propriété intellectuelle en 2019. Cette stratégie comprenait un investissement de 30 millions de dollars dans un projet pilote dont est issu le CAI. À l’étape du programme pilote, le CAI a recueilli de précieux renseignements auprès des entreprises qui en sont maintenant des membres.
Les PME canadiennes ont du mal à développer des positions autosuffisantes en matière de propriété intellectuelle. Premièrement, il faut du temps pour mettre en place une telle position. La délivrance d’un seul brevet peut prendre quatre à cinq ans, et la constitution d’un ensemble de droits exige un investissement à long terme.
Deuxièmement, le Canada ne dispose que d’un nombre limité de talents possédant l’expertise nécessaire. La majorité des professionnels de la propriété intellectuelle au Canada se concentrent sur l’obtention des droits de propriété intellectuelle ou sur les litiges liés à ces droits. Une petite minorité seulement comprend les stratégies dans ce domaine et les modèles de commercialisation qui sont nécessaires pour créer une différenciation durable sur les marchés internationaux.
Enfin, il y a les dépenses. Les entreprises qui disposent d’un capital limité concentrent souvent leurs dépenses sur la fabrication et la vente de produits plutôt que sur l’obtention de la propriété intellectuelle nécessaire pour soutenir une croissance rentable.
Heureusement, il existe des solutions à ces problèmes.
Il est possible de créer un écosystème résilient en investissant dans des approches collectives plutôt que dans des entreprises individuelles. Le CAI est fier de jouer un rôle dans la mise à l’essai et la mise en œuvre de certains de ces concepts. Nous constituons actuellement un collectif de brevets qui protégera les entreprises canadiennes de technologies propres et augmentera leur liberté d’action à mesure qu’elles se développent et accèdent à de nouveaux marchés. Nous avons également souscrit une assurance PI qui couvrira les frais de défense ou d’application des droits de propriété intellectuelle. Le modèle collectif du CAI permet aux innovateurs canadiens d’accéder aux ressources de propriété intellectuelle dont ils ont tant besoin et de réaliser des économies.
Pour que les capacités des innovateurs et des entrepreneurs canadiens continuent de s’accroître, il faut également une formation à la propriété intellectuelle axée sur la stratégie en la matière et le renforcement des capacités de commercialisation de la propriété intellectuelle au sein des entreprises. Nous devons former des chefs d’entreprise compétents en matière de propriété intellectuelle. Pour l’avancement de ce processus, on mise sur des programmes tels que ceux que financent ÉleverlaPI et l’initiative Assistance PI du Programme d’aide à la recherche industrielle, ou PARI, ou ceux que mettent en place le CAI ou Propriété intellectuelle Ontario.
En plus de la formation, l’accès au financement de la propriété intellectuelle encourage les innovateurs à court de capitaux à agir de manière cohérente pour obtenir la propriété intellectuelle nécessaire à l’expansion de leurs entreprises.
Les administrations fédérale, provinciales et régionales travaillent actuellement à l’amélioration de la capacité du Canada en matière de propriété intellectuelle. Toutefois, l’investissement dans ces programmes est extrêmement limité par rapport aux milliards de dollars consacrés chaque année à l’innovation. Il faut, pour ces programmes, un financement plus généreux et la volonté de les pérenniser, afin qu’ils aient une incidence systémique sur la prospérité du Canada.
Il faut également coordonner ces efforts et collaborer afin de maximiser les retombées pour les entreprises canadiennes.
Le Canada dispose de certains des plus grands talents et de l’expertise la plus pointue en matière d’innovation, et il a une formidable occasion de faire progresser la croissance économique du pays, mais cette occasion n’est pas éternelle. Nous devons rapidement mettre en place les stratégies et l’infrastructure nécessaires à notre prospérité dans l’économie mondiale des idées.
Je vous remercie de votre attention.
La présidente : Je vous remercie beaucoup. Quand vous dites que vous êtes un collectif, de qui s’agit-il?
M. McLean : Nous sommes un collectif de PME dans le domaine des technologies propres basées sur les données.
La présidente : Et elles contribuent directement au financement de ce projet?
M. McLean : La majeure partie de notre financement provient du gouvernement fédéral. Une partie de nos membres y contribuent également financièrement.
La présidente : Il s’agit toujours d’un organisme gouvernemental.
M. McLean : C’est exact.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie d’être avec nous, monsieur McLean. J’ai entrepris de mieux comprendre la propriété intellectuelle il y a environ 30 ans, et je continue à progresser lentement.
Ce qui m’a frappé à l’époque, ce sont les différents modèles que nous avons dans nos universités pour gérer nos idées, qui sont financés par des fonds publics. Dans certaines universités, dont Dalhousie, c’est l’inventeur qui contrôle la propriété intellectuelle. Dans d’autres, c’est l’université qui la contrôle. Supposons que 50 universités canadiennes disposent d’un budget de recherche important et que le montant total que le gouvernement fédéral consacre à la recherche s’élève à 10 milliards de dollars par an. Je pense qu’il est juste de dire que nous ne gérons aucun des extrants d’une manière qui profite au Canada à l’heure actuelle.
Ai-je tort de penser que la situation pourrait changer assez rapidement si les conseils subventionnaires, par l’entremise d’une directive, commençaient à attribuer des subventions à la condition que la propriété intellectuelle qui en résulte soit placée dans un collectif pour qu’elle soit gérée au profit du Canada et exploitée directement? Est-ce un rêve déraisonnable que nous puissions commencer à avancer dans ce domaine assez rapidement?
M. McLean : Je pense qu’il est possible d’agir rapidement en donnant aux établissements les moyens d’adhérer et de participer, et il est évident que les liens avec le financement seraient un moyen facile d’y parvenir. Je pense qu’il faut être un peu prudent et ne pas mettre toute la propriété intellectuelle dans des collectifs, parce que nous voulons qu’elle soit à la disposition des entreprises pour qu’elles agissent de manière indépendante et qu’elles mènent leurs propres efforts de commercialisation. Si la PI n’est pas commercialisée avec succès, je pense que le fait de l’orienter vers un soutien collectif pour accroître les efforts à cet égard serait une excellente initiative.
Le sénateur C. Deacon : Si je peux aller un peu plus loin pour m’aider à faire la distinction, parce que j’ai beaucoup exagéré pour essayer de faire valoir un point.
M. McLean : Oui.
Le sénateur C. Deacon : J’aimerais essayer de comprendre où se situent les différences. Pouvez-vous nous aider à mieux comprendre les deux ou trois catégories que vous voyez?
M. McLean : Disons que des recherches sont en cours dans un établissement et que le chercheur ou l’établissement estime qu’elles sont prometteuses. On dépose alors en général une demande de brevet. Il s’agit généralement d’une activité très limitée parce que les budgets de ces établissements sont limités, de sorte que c’est souvent un seul brevet provisoire. Il est rare que cela suffise à protéger l’innovation. En tant que praticien dans ce domaine, pour obtenir un succès commercial, on veut avoir des ensembles de droits dans un domaine d’innovation. Il y a donc au départ un problème lié aux limitations de ce qui peut être fait.
Lorsqu’une innovation a un potentiel de commercialisation et que le chercheur souhaite poursuivre dans cette voie, il existe des modèles au sein de ces établissements et de certains de nos organismes de financement qui permettent d’y parvenir.
Là encore, les stratégies de PI qui y sont liées sont généralement embryonnaires et sous-développées. Cependant, lorsqu’on crée des entreprises pour commercialiser ces produits, il est souhaitable qu’elles détiennent les droits de propriété intellectuelle. Si les droits sont détenus par un collectif, je pense que cela crée des difficultés pour la croissance de l’entreprise. Toutefois, il se peut qu’il n’y ait pas d’entreprise de créée ou qu’elle ne réussisse pas à commercialiser le produit. Dans ce cas, les divers actifs pourraient être mis dans un collectif afin d’être utilisés et gérés plus efficacement en groupe, au lieu d’avoir des actifs épars, très granulaires, qui sont répartis dans un ensemble de technologies pour lesquelles nous n’avons pas la densité et les ressources suffisantes pour en faire quelque chose d’utile.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Woo : Pour faire suite à cette question, que fait votre collectif avec le fonds de propriété intellectuelle qui a été constitué, et quelle est la stratégie sur laquelle repose cette collecte en matière de propriété intellectuelle? Où cela va-t-il nous mener?
M. McLean : C’est une excellente question. Notre stratégie quant à la constitution d’un collectif de propriété intellectuelle ou d’un collectif de brevets consiste à pourvoir les PME d’une liberté d’action. Comme je l’ai dit dans ma déclaration liminaire, il faut parfois 10 ans ou plus pour qu’une entreprise arrive à développer des positions autosuffisantes en matière de propriété intellectuelle, c’est-à-dire une quantité suffisante de droits de propriété intellectuelle pouvant servir de bouclier à d’autres entreprises qui essaient de créer des limites ou d’imposer des loyers au fur et à mesure qu’elles passent à la commercialisation.
Nous acquérons des droits de tiers, c’est-à-dire que nous achetons des brevets sur le marché libre, qui peuvent ensuite être fournis à nos membres pour qu’ils se défendent en attendant de parvenir à un modèle autosuffisant. Lorsqu’elles commenceront à se développer, nous nous attendons à ce que de grandes multinationales se mettent en travers de leur chemin, et nous voulons avoir des droits dont nous serons en mesure de leur faire profiter afin de leur faciliter la tâche lors de leur entrée sur les marchés.
Le sénateur Woo : C’est uniquement pour vos membres, n’est-ce pas?
M. McLean : C’est exact.
Le sénateur Woo : Quelles conditions faut-il remplir pour faire partie du collectif? Est-ce que n’importe quelle PME canadienne de technologie propre peut s’y joindre?
M. McLean : Oui, il faut être une PME canadienne de technologie propre axée sur les données et payer une cotisation annuelle de 15 000 $.
La présidente : Permettez-moi cette petite question complémentaire. Si vous achetez des brevets sur le marché libre, appartiennent-ils alors au gouvernement fédéral, puisque c’est de là que provient votre argent?
M. McLean : Non. Nous sommes établis en tant qu’organisme indépendant à but non lucratif. Par conséquent, les brevets appartiennent à cet organisme à but non lucratif.
La présidente : Pour poursuivre sur la lancée du sénateur Woo en ce qui concerne les restrictions, les entreprises membres doivent-elles appartenir à des Canadiens et être exploitées par des Canadiens? Est-ce que les personnes que vous autorisez à faire partie du collectif... J’essaie simplement de penser aux fuites et à toutes ces choses dont nous avons parlé. Nous ne voulons pas nécessairement que des entreprises chinoises fassent l’acquisition de ce savoir en ce moment.
M. McLean : C’est exact. Le collectif se limite aux entreprises canadiennes. Toute transmission de propriété intellectuelle ne concernerait que des entreprises canadiennes. Toutefois, nous n’achetons pas que de la propriété intellectuelle canadienne. Nous voulons que nos entreprises soient concurrentielles sur le marché mondial. Nous avons donc besoin de propriété intellectuelle pour couvrir ces marchés et nous allons la chercher partout où nous le pouvons.
La présidente : D’accord, très bien.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur McLean, de votre présence parmi nous. Malgré les milliards de dollars que nous investissons dans la recherche, il semble qu’au Canada, les actifs incorporels diminuent depuis l’an 2000. C’est ce que vous avez dit. Vous avez aussi parlé des données sur la propriété intellectuelle. Au Canada, les résultats sont médiocres dans ce domaine et cela va nuire à notre capacité d’être concurrentiels à l’international, alors que nous sommes une nation commerçante.
J’ai lu votre publication Who’s Who in the IP Zoo et j’y ai appris que les données sont dans les détails. Pouvez-vous nous donner des précisions sur certaines de vos recommandations pour remédier à ces problèmes? Étant donné que nous n’avons pas été en mesure de le faire au cours des 20 dernières années ou que nos performances traînent de la patte depuis les 20 dernières années et plus, est-ce réalisable? Que pouvons-nous faire rapidement pour inverser cette tendance? L’économie numérique est l’avenir; les données sont dans les détails; les données sont importantes pour notre bien-être. J’aimerais bien vous entendre là-dessus.
M. McLean : Premièrement, nous devons agir maintenant. C’est un peu cette fameuse question : « Quel est le meilleur moment pour planter un arbre? Il y a 30 ans. Le deuxième meilleur moment, c’est aujourd’hui. » Comme nous avons négligé cela il y a 30 ans, nous devons agir aujourd’hui.
Nous devons nous pencher sur la question de la liberté d’exploitation dans un grand nombre d’industries de premier plan du Canada. Les entreprises internationales développent des positions de propriété enviables qui limitent l’accès aux marchés ou imposent des coûts importants pour accéder à ces marchés. Si les entreprises canadiennes ne parviennent pas à se doter de positions concurrentielles leur permettant d’accéder aux marchés, nous serons fortement désavantagés sur le plan de la concurrence. Il faudra du temps pour que les entreprises canadiennes parviennent à créer ces positions par elles-mêmes. Comme je l’ai dit, il s’agit d’un investissement à long terme. Ce n’est pas quelque chose qui se fera du jour au lendemain.
Nous pouvons faire certaines choses pour aider les entreprises à devenir autosuffisantes. Une société de gestion collective comme le Collectif d’actifs en innovation est un modèle qui peut être suivi. Nous pouvons acquérir rapidement des brevets sur le marché libre et les mettre à la disposition des entreprises pour pallier les lacunes qu’elles peuvent avoir. L’assurance de la propriété intellectuelle est un autre modèle. Les approches collectives permettent de fournir une assurance à moindre coût et d’en faire profiter des entreprises qui pourraient ne pas remplir les conditions requises à titre individuel.
L’autre aspect, c’est que nous devons éduquer nos chefs d’entreprise. Nous évoluons dans un écosystème économique où, traditionnellement, les grandes entreprises sont des sociétés d’exploitation des ressources ou des institutions financières. D’office, ces entreprises ne sont pas de grands détenteurs de propriété intellectuelle. Elles n’ont pas eu besoin d’élaborer des stratégies sophistiquées en matière de propriété intellectuelle pour être concurrentielles sur les marchés mondiaux. Elles ont pu le faire parce qu’elles avaient accès aux ressources dont elles avaient besoin. Nous ne formons pas ces leaders de manière organique, et nous devons donc prendre des mesures pour commencer à éduquer les chefs d’entreprise quant à la façon d’élaborer ces stratégies et à l’importance de ces dernières. Il faut aussi leur montrer comment procéder. Un certain nombre d’initiatives sont en cours à cet égard, mais elles sont toutes à petite échelle.
Je dirais qu’il y a deux voies à suivre. D’abord, nous devons trouver les entreprises qui sont en voie de devenir importantes, qui se développent rapidement, et leur apporter un soutien actif et concret pour les aider à comprendre la propriété intellectuelle et à développer leurs pratiques en la matière. Le deuxième aspect est la généralisation. Je la compare au point de basculement des voitures électriques. Il a été démontré que lorsque les véhicules électriques représentent 5 % des voitures sur le marché d’une région donnée, les achats de véhicules électriques augmentent de façon exponentielle. Je dirais que si nous parvenons à faire en sorte que le pourcentage d’entreprises canadiennes pratiquant des stratégies de propriété intellectuelle plus sophistiquées atteigne un point de basculement, alors nous verrons ce décollage se concrétiser. Je ne pense pas que ce pourcentage soit de 5 %. Il est probablement plus élevé. Je ne sais pas si c’est 10, 20 ou 30 %. Il reste que si nous pouvons faire en sorte que de plus en plus d’entreprises et de chefs d’entreprise comprennent ces questions et les mettent en pratique, cela deviendra un enjeu pour l’ensemble des chefs d’entreprise du Canada, et c’est ce que nous devons viser.
La sénatrice Bellemare : Pour faire suite à ce qui vient d’être dit, je vous écoutais et, pour moi, c’est comme si, dans un sens, nous étions confrontés à une défaillance du marché. Votre collectif a essayé de se développer pour combler un vide dans ce domaine.
J’ai deux questions à vous poser. Premièrement, les provinces et le gouvernement fédéral ont-ils des pouvoirs ou des droits? Peuvent-ils faire obstacle? Peuvent-ils améliorer la constitution du collectif, comme vous le faites?
Deuxièmement, un conseil économique pourrait-il faire en sorte que le collectif encourage l’appropriation de la propriété intellectuelle? Cela pourrait-il aider?
M. McLean : Oui, je pense que les gouvernements fédéral et provincial ont assurément un rôle à jouer pour permettre à des sociétés de gestion collective comme la nôtre d’exister. Comme nous partons avec une longueur de recul en matière d’expertise et de pratique en ce qui a trait à la propriété intellectuelle, il nous faudra mettre les bouchées doubles et, pour que cela se produise, je crois que le soutien des pouvoirs publics est nécessaire.
Je pense qu’un certain nombre d’initiatives ont été lancées, telles que l’initiative Assistance PI du Programme d’aide à la recherche industrielle, le programme ÉleverlaPI et PI Ontario. L’Alberta mène actuellement une étude. La Colombie-Britannique envisage certaines choses. Certains programmes ont été lancés au cours de la dernière année ou des deux dernières années. Ces programmes doivent être soutenus et élargis. Il est probable que d’autres éléments devront être ajoutés, mais l’échelle de ces programmes est trop petite pour avoir une incidence systémique. Pour qu’il y ait un changement à l’échelle de l’écosystème, ces programmes devront être élargis. C’est la principale préoccupation.
En ce qui concerne votre deuxième question sur le conseil économique, elle sort un peu de mon domaine de compétence. Je dirais qu’il est nécessaire de faire appel à des experts compétents et expérimentés pour commenter ces questions clés, mais qu’il ne s’agit pas d’exercices théoriques. J’ajouterais que les personnes qui ont l’habitude de résoudre ces problèmes, de les aborder dans le contexte de diverses administrations au Canada, et qui peuvent comprendre ces choses et apporter une contribution nourrie d’expérience sont des perles rares.
La présidente : Merci beaucoup.
La sénatrice Marshall : Parlez-nous un peu du collectif. Nos notes d’information parlent de 30 millions de dollars. Ce montant est-il entièrement consacré à votre organisme? Combien le gouvernement fédéral investit-il dans votre organisme? Quelle est sa structure? Devez-vous rendre des comptes à un ministre?
D’après les notes d’information, vous êtes en activité depuis deux ans. J’aimerais en savoir un peu plus sur votre organisme. Je présume qu’il est vraiment trop tôt pour dire si vous avez réussi, mais parlez-nous un peu de votre structure de gouvernance, de l’argent, de la façon dont vous pensez que les choses se passent et du type de progrès que vous faites.
M. McLean : Merci. Oui, nous avons reçu 30 millions de dollars pour réaliser un programme pilote qui devait durer quatre ans. La signature de l’accord de contribution et la mise en place de l’organisation ont pris du retard, si bien que, dans les faits, le programme a été lancé à la fin de l’année 2020. Je me suis joint à l’organisation au début de l’année 2021.
Nous avons des obligations redditionnelles envers Innovation, Sciences et Développement économique Canada, et c’est de ce ministère que nous obtenons notre financement. Innovation, Sciences et Développement économique Canada nous a grandement soutenus dans nos efforts. Ce financement devait arriver à terme à la fin du mois de mars, mais il a été prolongé d’un an. Nous avons présenté une proposition visant à élargir et étoffer notre programme, et cette proposition est présentement à l’étude.
La sénatrice Marshall : En quoi vos réussites consistent-elles? Vous êtes à la tête du programme, vous devez donc avoir une idée des progrès réalisés. Évidemment, pour obtenir plus d’argent, je présume que vous devez communiquer vos bons coups au ministère.
M. McLean : Absolument. Oui.
La sénatrice Marshall : Parlez-nous de vos réussites. Vous y avez fait un peu allusion, mais j’aimerais que vous nous en parliez de façon plus concrète.
M. McLean : Absolument. Les critères établis dans le cadre du projet pilote consistaient à montrer qu’il y avait de l’intérêt dans le marché. Autrement dit, les entreprises souhaiteraient-elles participer à un tel programme? En un peu plus de deux ans, nous avons recruté plus de 190 entreprises. D’autres entreprises s’ajoutent chaque semaine, ce qui signifie que la croissance est constante. On ne parle pas ici d’une hausse ponctuelle. Au fur et à mesure que les gens apprennent que notre collectif existe, nous les inscrivons. Nous avons démontré qu’il y avait un intérêt et une demande dans le marché pour ce type de soutien.
L’une des choses les plus importantes et les plus uniques que nous faisons, c’est constituer un collectif de brevets dans le cadre de nos initiatives. Nous avons pu acquérir 167 familles de brevets en deux ans. En général, il faut de 6 à 18 mois pour acheter un seul portefeuille de brevets. Un travail de recherche doit être fait, puis il faut négocier longuement et faire preuve de diligence raisonnable pour valider la qualité des actifs. Nous avons pu conclure un certain nombre de transactions qui nous ont permis d’acquérir un portefeuille assez important. Cela a été une grande réussite pour nous.
Il y a deux autres éléments qui constituent des gains considérables. Nous sommes censés expérimenter des approches collectives. Peuvent-elles apporter une valeur ajoutée à l’écosystème? Nous avons trouvé des moyens insoupçonnés de le faire. Comme je l’ai mentionné plus tôt, l’assurance a été un gain significatif. À mon arrivée, je ne m’attendais pas à ce que nous allions dans cette voie. Lorsque nous nous sommes adressés aux courtiers d’assurance, ils nous ont dit que, parce que nous sommes un collectif, les fournisseurs offriraient des avantages sur le plan des coûts allant de 35 à 200 %. La participation sera beaucoup plus rentable pour nos membres, et c’est donc une grande victoire pour nous.
De plus, nous travaillons beaucoup au panorama des brevets. Nous aidons les entreprises à trouver qui sont les détenteurs de brevets dans leurs secteurs, à repérer les mines et les possibilités inexploitées, afin qu’elles puissent en tirer parti pour renforcer leurs positions. La réalisation d’un panorama sophistiqué peut coûter entre 50 000 $ et 200 000 $ à une entreprise. C’est assez cher. Nous avons été en mesure de le faire. Lorsque plusieurs de nos membres sont dans un même secteur, ils partagent cette dépense.
Nous avons également lancé un programme d’éducation sur la PI qui est axé sur la stratégie en matière de PI et sur les pratiques que les entreprises doivent mettre en œuvre au sein de leur organisation. La plupart des formations sur la PI qui existent aujourd’hui sont des introductions aux brevets et aux marques, des cours de type « 101 », ou des cours qui portent sur la manière de régler les différends. C’est un travail de cabinets d’avocats et c’est ainsi qu’ils font leur argent. Ils donnent de la formation sur la manière de gagner de l’argent. Il y a de grandes lacunes à cet égard et nous avons donc travaillé activement pour combler les lacunes sur le plan de la formation.
La sénatrice Marshall : J’ai une brève question complémentaire. Le financement est-il garanti pour quatre ans? Si vous réussissez — et vous pouvez le démontrer —, vous êtes assez certain d’obtenir du financement pour les deux années suivantes, n’est-ce pas?
M. McLean : Notre financement a été prolongé d’un an. Le financement actuel prendra fin en mars 2024.
La sénatrice Marshall : Le gouvernement décidera alors s’il maintient son soutien. Je vous remercie.
La présidente : Que se passe-t-il s’il dit que cela ne fonctionne pas aussi bien qu’il le voulait? Qu’advient-il de tous les brevets que vous avez recueillis? À qui appartiennent-ils?
M. McLean : Dans l’accord de contribution, plusieurs mécanismes peuvent être utilisés pour distribuer ce portefeuille. Tout d’abord, nous devons trouver une organisation aux vues similaires qui pourrait gérer le portefeuille de la même manière que nous. Il n’y a pas d’entité connue pour l’instant, mais dans l’année à venir, il y en aura peut-être une.
L’étape suivante consisterait probablement à distribuer le portefeuille aux membres, donc de trouver des membres qui souhaiteraient en acquérir une partie. La dernière étape consisterait à le vendre sur le marché libre et à remettre les recettes de la vente au gouvernement.
La sénatrice Ringuette : J’ai une petite question à propos d’ISDE. Votre financement provient-il d’un programme particulier?
M. McLean : Il provient de la stratégie en matière de propriété intellectuelle du gouvernement fédéral qui a été lancée en 2019.
La sénatrice Ringuette : Vous étiez dans la salle tout à l’heure lorsque nous discutions de l’idée d’avoir une équipe d’intervention pour les entreprises.
M. McLean : Oui.
La sénatrice Ringuette : Vous souriez. Selon vous, de quelle façon votre organisation, avec son expertise en matière de PI, pourrait-elle contribuer à une telle équipe?
M. McLean : La dernière partie de votre question est vraiment importante. Il y a de l’expertise en matière de PI qui doit être mise à profit dans nos organisations, et nous en avons au sein du Collectif d’actifs en innovation. D’autres en ont au pays, mais je pense que nous avons des gens très compétents.
Ce qu’a dit le témoin précédent sur l’idée d’amener les entreprises à un endroit connu où elles peuvent obtenir de l’aide pour élaborer leur stratégie en matière de propriété intellectuelle...
La sénatrice Ringuette : L’expertise.
M. McLean : Je pense que tout doit commencer par une stratégie en matière de PI. Je pense que notre collectif est une excellente ressource à cet égard. J’aimerais donc vraiment jouer un rôle dans le cadre d’un tel programme en fournissant cette expertise en matière de stratégie.
Il existe d’autres outils. Encore une fois, il y a notre collectif de brevets, mais il y a une foule d’outils qui sont nécessaires pour mettre en œuvre une stratégie et l’exécuter, la mettre en pratique et faire en sorte que les entreprises aillent plus loin.
Je pense que nous pouvons aider à montrer aux entreprises comment utiliser ces outils et à rendre certains d’entre eux plus facilement accessibles afin qu’elles puissent commencer à les utiliser et à élaborer leurs propres pratiques. Nous voulons que les entreprises soient autosuffisantes. Nous ne voulons pas qu’elles dépendent de nous à long terme. Nous voulons les amener à un certain point et les libérer ensuite pour qu’elles puissent progresser.
La sénatrice Ringuette : Vous seriez donc un bon partenaire dans ce « convoyeur d’expertise » pour les PME?
M. McLean : Oui. J’aime cette idée et je serais ravi de participer à un projet de ce genre.
La sénatrice Ringuette : Merci.
Le sénateur Gignac : J’aimerais poursuivre la discussion que vous avez eue avec la sénatrice Marshall au sujet de votre organisation. En consultant votre site Web, j’ai remarqué qu’elle ne compte que 13 membres au Québec et plus de 100 membres au pays. Comment expliquez-vous cela? Est-ce en raison du bassin de PI au Québec ou de l’écosystème offert par le gouvernement du Québec? J’imagine que votre site Web est à jour. Vous avez 120 membres et seulement 13 au Québec. J’essaie de comprendre pourquoi vous n’avez pas plus de membres qui sont basés au Québec.
M. McLean : Les activités et l’intérêt pour le Québec sont bons. Nous devons en faire plus sur le plan de la langue française. Cela y est pour quelque chose. Nous devons traduire en français certains de nos documents et assurer une représentation plus active.
Nous avons discuté avec le Mouvement des accélérateurs d’innovation du Québec, le MAIN, et Axelys sur la manière d’établir un partenariat avec eux. Nous avons discuté avec certains des établissements pour savoir comment ils peuvent nous aider à traduire certains de nos documents. Une partie est déjà disponible en français, mais il doit y en avoir plus.
Le sénateur Gignac : Mais je pense que beaucoup de gens sont bilingues au Québec. Croyez-vous qu’un autre facteur que la langue peut expliquer la situation? Il y a l’Université McGill, qui est une grande université. Je ne pense pas que la langue soit pertinente dans le cas de McGill ou de Concordia.
Est-ce parce que le gouvernement du Québec a quelqu’un qui vous fait concurrence? J’essaie de comprendre.
M. McLean : Je ne connais pas de programme au Québec qui nous fasse concurrence. L’organisation Axelys a été créée en tant que bureau de transfert de technologie, mais elle n’offre pas de services comparables aux nôtres. Nous sommes en train de discuter avec elle de la manière dont nous pourrions collaborer. Comme nous nous concentrons sur les technologies propres basées sur les données, nous sommes limités quant aux types d’entreprises avec lesquelles nous pouvons travailler.
Certains organismes d’innovation d’autres provinces jouent un rôle actif auprès de notre collectif. Les organismes d’innovation de l’Ontario et de la Colombie-Britannique, par exemple, ont orienté des entreprises de leur province vers notre organisation. Nous n’avons pas encore réussi à établir le même genre de lien au Québec, mais j’aimerais bien le faire.
Le sénateur Gignac : Je connais les gens de la grappe des technologies propres au Québec. C’est une grappe importante. Comment peut-on expliquer cette situation? Est-ce lié à un manque d’effort de votre côté ou un manque d’intérêt de leur côté? Si vous pouvez m’envoyer une réponse par écrit, je vous en serais reconnaissant.
Le sénateur C. Deacon : La PI est une question de propriété et de liberté d’exploitation. Sans cela, les investissements des entreprises s’envolent. Cette étude porte sur l’investissement des entreprises, et c’est au cœur de cela.
Toujours dans l’optique de comprendre le fonctionnement du Collectif d’actifs en innovation, j’ai une question. Le Canada a récemment investi massivement dans des usines de fabrication de batteries. L’Université Dalhousie a réalisé certaines des recherches les plus avancées au monde en matière de batteries et tout est concédé sous licence à Tesla, à l’extérieur du pays.
Si le Collectif d’actifs en innovation ou le modèle de Fraunhofer avaient été intégrés plus tôt, quelle voie différente aurions-nous pu emprunter à cet égard? Il est certain que nous devons suivre une voie différente de celle que nous suivons actuellement, dans laquelle nous finançons publiquement la recherche et l’institution qui est chargée de la mener, mais dans laquelle, selon un modèle de l’ère industrielle, nous louons la capacité de gagner de l’argent grâce à cette recherche.
M. McLean : Dans l’approche collective, nous nous concentrons sur les entreprises plutôt que sur les universités. Je pense que le fait de disposer d’une ressource centralisée comme le modèle de Fraunhofer, c’est-à-dire d’une organisation nationale ou au moins provinciale qui dispose d’un cadre pour déterminer la manière dont la PI sera concédée sous licence, à qui elle le sera et quelles sont les priorités, aiderait à résoudre cela.
Je me suis entretenu avec les bureaux de transfert technologique et ils se sentent tiraillés dans quatre directions différentes. Dans la plupart des cas, ils n’ont pas d’indications claires sur les priorités.
Doivent-ils se concentrer sur la maximisation du rendement financier, auquel cas ils accorderont des licences aux grandes multinationales?
Doivent-ils se concentrer sur le développement de l’industrie à l’échelle locale, auquel cas ils doivent communiquer activement avec les PME de leur région?
Doivent-ils s’efforcer de permettre aux chercheurs de devenir des entrepreneurs? C’est un ensemble différent de compétences et de connaissances qui doit pousser les chercheurs vers le monde des affaires. Ils ont besoin de beaucoup d’accompagnement.
Doivent-ils se concentrer sur l’examen des actifs de PI qu’ils gèrent et trouver des moyens de les monétiser ou de les commercialiser?
Ces organisations n’ont pas les ressources qu’il faut pour faire ces quatre choses et elles sont donc à bout de souffle. Bon nombre d’entre elles sont inefficaces sur ces quatre plans. Certaines disposent de ressources suffisantes pour s’occuper d’une ou de plusieurs de ces tâches et font du bon travail à cet égard. Or, dans de nombreux cas, elles ne disposent pas d’orientations claires et, par conséquent, elles font des choix qui peuvent ne pas être bénéfiques pour la nation.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie de cette précision. Votre organisation est axée sur les entreprises, mais nous devons déployer des efforts orientés vers les universités et maximiser la valeur de notre propriété intellectuelle qui est financée par des fonds publics.
M. McLean : Oui.
Le sénateur C. Deacon : Merci.
La présidente : Les règles du Sénat changent quelque peu. Je veux m’assurer que les gens ont le temps, car la séance se terminera plus tôt. Je vous propose de conclure rapidement sur deux ou trois points.
La sénatrice Bellemare : Notre comité pourrait recommander, entre autres, que l’on encourage la formation et l’entrepreneuriat partout où c’est possible. On pourrait le faire, par exemple, dans les collèges et les universités et intégrer cela dans le programme d’études, même s’il ne s’agit pas d’un domaine du secteur des affaires. Que pensez-vous de cette approche?
M. McLean : Je pense que ce serait grandement bénéfique. En plus d’être le PDG du Collectif d’actifs en innovation, je siège au comité de la subvention De l’idée à l’innovation du Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, le CRSNG. Je vois les demandes qui proviennent des institutions et les analyses de rentabilisation qui sont élaborées pour les soutenir. Dans de nombreux cas, elles peinent à définir les clients qu’elles ciblent. Elles peinent à définir les solutions qu’elles vont offrir à ces clients et la manière dont elles peuvent générer un rendement financier pour la proposition de ces solutions. Elles sont excellentes sur le plan technique. Elles ont réalisé des inventions incroyables, mais leur compréhension de questions commerciales très simples est insuffisante. Je pense qu’une formation sur l’entrepreneuriat et les concepts d’affaires de base serait très utile.
Le sénateur Woo : La PI est un concept juridique. Quel est le contexte juridique dans notre pays en ce qui concerne l’expertise en matière de PI pour aider votre organisation et d’autres organisations? Y a-t-il des aspects de notre droit de la PI qui, selon vous, devraient être améliorés, d’après le travail que vous avez accompli?
M. McLean : Le Canada dispose d’une grande expertise juridique en ce qui a trait à la protection des droits individuels, à la gouvernance des données et au règlement des différends liés à ces questions. Le Canada présente de grandes lacunes lorsqu’il s’agit d’appliquer ces concepts pour générer une valeur commerciale. Nous devons renforcer cette capacité. Nous pouvons obtenir beaucoup d’aide lorsque nous achetons un brevet et que nous avons besoin de quelqu’un pour rédiger un avis juridique sur la validité de l’actif et sur les risques de violation. Je peux trouver un grand nombre de juristes qui peuvent nous aider à résoudre ce problème.
Lorsque nous travaillons avec une entreprise membre dont la stratégie en matière de PI n’est pas bien structurée, il y a peu de ressources que je peux faire intervenir à l’externe pour l’aider à le faire.
La présidente : Merci beaucoup, monsieur McLean, PDG du Collectif d’actifs en innovation. Nous vous remercions d’avoir pris le temps de venir témoigner aujourd’hui.
(La séance est levée.)