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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 20 avril 2023

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous. Soyez les bienvenus. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité.

Permettez-moi de vous présenter les autres membres du comité : la sénatrice Bellemare, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Marwah, la sénatrice Ringuette, la sénatrice Simons, le sénateur Smith et le sénateur Yussuff.

Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir M. Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, et la première sous-gouverneure, Carolyn Rogers. Bienvenue à nouveau. C’est toujours un plaisir de vous recevoir. Nous savons que nous pouvons compter sur vous à ce temps-ci de l’année pour faire le point sur le Rapport sur la politique monétaire d’avril 2023. Nous allons commencer par votre déclaration liminaire, et ensuite, nous allons passer aux questions. Monsieur le gouverneur, la parole est à vous.

Tiff Macklem, gouverneur, Banque du Canada : Bonjour, madame la présidente, et bonjour aux membres du comité. La première sous-gouverneure et moi-même sommes ravis d’être ici pour parler de notre récente annonce concernant le taux directeur et de notre Rapport sur la politique monétaire, que nous avons publié la semaine dernière.

La semaine dernière, nous avons annoncé que nous maintenions le taux directeur à 4,5 %, et nous continuons à évaluer si la politique monétaire est assez restrictive pour permettre le retour de l’inflation à la cible de 2 %. Depuis mon dernier témoignage devant vous, nous avons observé un recul constant de l’inflation et une croissance modeste de l’économie.

L’inflation baisse rapidement — les données de cette semaine montrent qu’elle est passée à 4,3 % en mars — et nous prévoyons qu’elle se situera autour de 3 % cet été. C’est encourageant, mais cela fait ressortir pour nous l’importance de garder le cap et de restaurer la stabilité des prix pour les Canadiennes et les Canadiens.

Plusieurs choses doivent encore se produire pour que nous atteignions la cible d’inflation de 2 %. Il faut que les attentes d’inflation continuent de diminuer, que l’inflation des services et la croissance des salaires se modèrent, et que les pratiques de fixation des prix des entreprises se normalisent. Nous portons une attention particulière à ces indicateurs, et à l’évolution de l’inflation fondamentale, pour veiller à ce que l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation, l’IPC, continue de progresser vers la cible. Si la politique monétaire n’est pas assez restrictive pour permettre un retour complet à la cible de 2 %, nous sommes prêts à relever de nouveau le taux directeur pour y parvenir.

Avant de répondre à vos questions, je vais faire un survol du contexte économique et financier qui explique notre décision.

[Français]

Au Canada, la demande est encore excédentaire. La croissance du produit intérieur brut (PIB) au premier trimestre de l’année semble supérieure à nos projections de janvier. Le marché du travail reste tendu. À 5 %, le taux de chômage demeure près de son creux historique, et les salaires continuent de croître dans une fourchette de 4 % à 5 %. La croissance de l’emploi a été plus forte que prévu. Cela reflète le maintien de la demande et les augmentations de l’offre de main-d’œuvre.

[Traduction]

L’incidence des hausses passées du taux directeur se propage dans l’économie et freine la demande. Les dépenses des ménages ralentissent, surtout les gros achats. Les renouvellements des prêts hypothécaires à des taux supérieurs se poursuivent, et les ménages seront donc plus nombreux à ressentir les effets modérateurs de la politique monétaire. Compte tenu de ces forces, nous nous attendons à ce que la croissance du PIB canadien soit faible pour le reste de l’année avant de commencer à remonter graduellement en 2024 et tout au long de 2025.

Qu’est-ce que tout cela signifie pour l’inflation? Nous avons parcouru beaucoup de chemin depuis l’été passé, alors que le taux d’inflation atteignait 8,1 %. Comme je l’ai mentionné, l’inflation annuelle mesurée par l’IPC est descendue à 4,3 % en mars, à cause surtout de la diminution de l’inflation des biens, et nous nous attendons à d’autres baisses. C’est une bonne nouvelle.

Toutefois, beaucoup de gens ont encore du mal à joindre les deux bouts en raison de la hausse du coût de la vie, et les prix de nombreux essentiels grimpent encore trop vite. L’inflation des aliments est juste au-dessous de 10 %. Nous nous attendons à ce qu’elle baisse dans les mois à venir, mais ce sera plus long pour l’inflation des services.

La demande de services reste forte et le marché du travail demeure tendu, ce qui exerce des pressions à la hausse sur les prix de nombreux services, lesquels ne devraient diminuer que graduellement. Nous nous attendons à ce que l’inflation ne revienne à la cible de 2 % qu’à la fin de 2024.

Lors de la réunion du Conseil de direction la semaine passée, nous nous sommes demandé si les hausses de taux effectuées étaient suffisantes. Nous avons aussi évoqué la possibilité que la politique monétaire doive rester restrictive pendant plus longtemps pour que l’inflation revienne à la cible de 2 %.

[Français]

Le conseil de direction a aussi discuté des risques entourant la projection de la Banque du Canada. Le plus important risque à la hausse est que l’inflation des services soit plus tenace que prévu. Le principal risque à la baisse est celui d’une récession à l’échelle globale. Si des tensions refont surface dans le secteur bancaire mondial, on pourrait observer un ralentissement mondial plus marqué et une baisse importante des prix des produits de base.

Dans l’ensemble, les risques entourant notre prévision par rapport à l’inflation sont relativement équilibrés. Cependant, puisque l’inflation est encore bien au-dessus de notre cible, nous sommes toujours préoccupés par les risques à la hausse.

[Traduction]

Permettez-moi de conclure. Notre travail, à la Banque du Canada, consiste à ramener l’inflation à la cible de 2 %. Jusqu’à présent, les progrès sont encourageants. Et une inflation de 3 % cet été sera accueillie avec soulagement. Mais laissez-moi assurer ceci aux Canadiennes et aux Canadiens : nous savons que notre travail ne sera pas accompli tant que nous n’aurons pas restauré la stabilité des prix. La stabilité des prix est importante, car elle rétablit les forces de la concurrence dans l’économie et permet de planifier et d’investir en sachant que l’argent va conserver sa valeur. C’est notre destination : nous sommes sur la bonne voie et nous allons garder le cap.

Sur ce, madame la présidente, je serai heureux de répondre aux questions des membres du comité.

La présidente : Je vous remercie beaucoup. Je me demande si vous pouvez, en premier lieu, nous fournir un peu de contexte en ce qui a trait aux signaux contradictoires que nous recevons. Beaucoup de bonnes nouvelles peuvent se révéler, en fin de compte, ne pas être de bonnes nouvelles : un marché du travail florissant exerce des pressions à la hausse sur les salaires et les prix; une économie en effervescence aux États-Unis maintient une pression à la hausse sur l’inflation et sur les prix des biens que nous importons; et les milliards de dollars de dépenses effectuées par le gouvernement canadien exercent encore une fois des pressions à la hausse sur l’inflation et les taux d’intérêt. Certains économistes affirment que ces éléments qui, à court terme, semblent être des signaux encourageants pourraient mener, en raison de toutes ces pressions, à une récession au quatrième trimestre. Avez-vous une telle crainte?

M. Macklem : C’est notre travail de nous inquiéter, et je peux vous dire que, oui, nous sommes toujours inquiets. Toutefois, nous voyons l’inflation diminuer. Elle diminue rapidement, et nous observons une croissance économique. C’est une faible croissance, mais au moins c’est une croissance positive.

Selon nos prévisions, la croissance sera probablement un peu plus forte que prévu au premier trimestre. Le premier trimestre est terminé, mais les données que nous recevons indiquent que la croissance sera plus forte que prévu. Cependant, nous nous attendons à une croissance assez faible, à savoir 1 % ou moins, durant le reste de l’année. Ce sont là des petits points positifs.

Pour revenir à certains des indicateurs que vous avez mentionnés, je peux vous dire qu’en réalité nous avons besoin d’une période de faible croissance pour permettre à l’offre de rejoindre la demande, réduire la surchauffe de l’économie et atténuer les pressions sur les prix. C’est ce qui permettra le retour de l’inflation à la cible.

Nous prévoyons une croissance faible et positive, et compte tenu de cette prévision, nous ne pouvons pas exclure une éventuelle croissance légèrement négative. Je suis toutefois convaincu que nous n’observerons pas une contraction importante. Ce n’est pas ce à quoi pensent les économistes lorsqu’ils parlent de récession. Il n’est pas question d’une hausse marquée du taux de chômage comme cela a été le cas au cours de récessions antérieures.

Il y a des risques reliés à ces prévisions, et une récession mondiale est le principal risque que nous avons souligné. Comme notre économie est très intégrée à l’économie mondiale, si une récession mondiale survient, elle touchera le Canada, mais ce n’est pas le scénario que nous prévoyons. Nous anticipons une croissance assez faible, mais positive, et nous prévoyons que la croissance va s’accélérer graduellement au cours de l’année prochaine et encore davantage en 2025.

La présidente : Quelle est votre principale préoccupation? Est-ce le prix du pétrole? Qu’est-ce qui ferait en sorte qu’une croissance légèrement positive devienne légèrement négative?

M. Macklem : Eh bien, de nombreuses choses pourraient se produire au sein de l’économie mondiale. Je reviens tout juste d’assister à des rencontres au FMI, le Fonds monétaire international, qui ont eu lieu la semaine dernière. Ce qui alimente beaucoup les discussions récemment, ce sont les difficultés que vivent certaines banques. Comme vous le savez très bien, trois banques aux États-Unis ont fait faillite et elles ont été reprises par la Federal Deposit Insurance Corporation. Une très grande banque en Europe, Credit Suisse, qui est une banque d’importance systémique mondiale, a éprouvé de très grandes difficultés, et elle a été reprise par l’autre grande banque suisse, UBS.

La bonne nouvelle, c’est que les autorités ont réagi rapidement et énergiquement dans un système où, au cours des 12 dernières années environ, une série de réformes ont été mises en place pour améliorer le capital bancaire, réduire l’effet de levier financier et accroître les réserves de liquidités. Le système mondial est plus résilient, et cette intervention vigoureuse a permis de le stabiliser.

Cette situation met en évidence les faiblesses du système financier. Il est probable que d’autres événements se produisent, et je pense qu’il faut attacher une grande importance à une saine gestion des risques et à une supervision attentive.

Je tiens à souligner que, du point de vue de la Banque du Canada, l’une des raisons d’être d’une banque centrale est de fournir des liquidités contre des garanties de bonne qualité advenant une grave crise de liquidités, si c’est nécessaire.

La présidente : Je vous remercie beaucoup pour ce résumé.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Merci d’être avec nous, monsieur Macklem et madame Rogers.

Je vais commencer avec la bonne nouvelle. D’après ce que l’on a appris sur la politique monétaire, il semble que ce que vous nous avez dit, il y a quelques mois, sur le fait que l’inflation était transitoire s’avère exact. Il est peut-être vrai que l’inflation est transitoire et que la situation est en train de se résorber. La moins bonne nouvelle, à mon avis, c’est l’importance que vous accordez aux hausses salariales pour fixer votre taux d’intérêt.

Je me demande pourquoi et jusqu’à quel point vous allez vous fier aux augmentations salariales pour fixer les taux d’intérêt, alors que les indicateurs que vous utilisez pour décider de votre politique monétaire, comme on le voit dans le document, ne sont pas nécessairement appropriés. Vous parlez d’augmentations salariales de 4 % à 5 %. L’Enquête sur la population active, qui est l’indicateur que vous avez choisi d’utiliser, a surtout trait à l’emploi. Or, vous utilisez un indicateur qui n’est pas pondéré par les changements dans l’emploi. Le meilleur indicateur — qui nous vient de l’Enquête sur les emplois, la rémunération et les heures de travail —, si on fait la pondération en tenant compte des changements dans l’emploi, nous donne près de 2 % d’augmentation, selon les derniers chiffres.

Je me demande donc pourquoi vous utilisez cet indicateur. Par ailleurs, lorsqu’on regarde l’indice des prix à la consommation, on voit que les frais hypothécaires ont augmenté de 26,4 %. Si vous continuez d’augmenter les taux d’intérêt, vous allez alimenter l’inflation.

M. Macklem : Je n’utiliserais pas le mot « transitoire ». Au sujet des salaires, vous avez raison. Il y a plusieurs façons de mesurer les salaires. Au graphique 13 de notre Rapport sur la politique monétaire, on peut voir plusieurs de ces mesures.

Vous avez raison de dire que l’investissement des entreprises a diminué récemment sous le niveau des autres indicateurs. Tout dépend du sondage que vous utilisez.

Il est toujours possible de faire mieux, mais on essaie de créer des mesures de salaires avec des pondérations fixes pour éviter les problèmes liés aux changements de structure entre les emplois à salaire élevé et les emplois à revenu faible. Nous essayons de contrôler cela. Lorsqu’on le fait, la plupart des mesures suggèrent que le taux de croissance des salaires se situe entre 4 % et 5 %. Oui, on en retrouve quelques-uns sous ce niveau et nous les examinons tous.

Ce taux de croissance des salaires n’est pas cohérent avec notre cible de 2 %, à moins d’une forte augmentation du taux de croissance et de la productivité. Or, jusqu’ici, la productivité reste faible; elle est même à la baisse.

[Traduction]

La sénatrice Bellemare : Comment allons-nous pouvoir effectuer une transition au sein de l’économie s’il n’est pas possible pour les travailleurs de passer aux secteurs où les emplois sont mieux rémunérés, ce qui contribuera à augmenter les indicateurs.

M. Macklem : Je tiens à préciser que nous voulons une économie où les salaires et la productivité augmentent. La croissance de la productivité permet d’offrir de meilleurs salaires. Lorsque les gens obtiennent un emploi qui correspond davantage à leurs compétences et qui leur permet d’être plus productifs, ils sont mieux rémunérés grâce à une meilleure productivité. C’est une bonne chose. Cela indique que l’économie fonctionne bien.

Nous devenons préoccupés lorsque les salaires augmentent beaucoup plus que la productivité. La hausse des salaires actuellement, qui s’établit entre 4 et 5 %, dépasse largement la croissance de la productivité globale. Cela ne signifie pas que certaines personnes ne peuvent pas changer d’emploi. C’est ce qui permet une meilleure répartition de la main-d’œuvre au sein de l’économie et une augmentation de la productivité. C’est ce que nous voulons voir.

La sénatrice Bellemare : La productivité est très faible actuellement.

La présidente : Comme tout le monde souhaite participer à la discussion, je vous demanderais de restreindre l’entrée en matière précédant vos questions. Nous allons revenir à vous lors d’un prochain tour.

Le sénateur Smith : Monsieur le gouverneur, l’Institut C.D. Howe estime que la Banque du Canada enregistrera des pertes au cours des prochaines années qui se situeront entre 3,6 milliards de dollars et 9 milliards de dollars, selon la situation concernant les taux d’intérêt. Au troisième trimestre de 2022, la banque a perdu plus d’un demi-milliard de dollars pour la première fois en 87 ans d’histoire.

En ce qui concerne le véritable risque à long terme, est-ce que la banque a pris en compte les éléments positifs et négatifs au moment où ces transactions ont eu lieu? Avez-vous des prévisions? Que se passera-t-il au cours des prochaines années? Avez-vous des prévisions pour les prochaines années si les taux demeurent plus élevés que prévu? J’ose espérer que vous avez fait de telles prévisions, mais je vous pose la question.

M. Macklem : J’ai trouvé que l’estimation établie par l’Institut C.D. Howe était assez raisonnable et qu’il s’agissait d’une étude relativement objective.

Je vais laisser Mme Rogers dire quelques mots, et j’interviendrai peut-être ensuite.

Carolyn Rogers, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Le principal point que nous faisons valoir, sénateur Smith, c’est que nous ne mettons pas en œuvre la politique monétaire à des fins de profits. Les problèmes avec lesquels nous composons — qui concernent notre situation financière — n’ont absolument rien à voir avec notre politique monétaire, mais comme vous l’avez souligné, nous enregistrons des pertes.

Dans le dernier budget, le gouvernement a annoncé qu’il permettrait à la banque de conserver ses recettes jusqu’à ce qu’elle revienne à zéro. Nous sommes d’avis que les pertes estimées dans l’étude menée par l’Institut C.D. Howe sont raisonnables. Tout dépend vraiment de la trajectoire des taux d’intérêt. Nous n’avons pas tendance à établir des prévisions concernant nos pertes, car elles pourraient être interprétées comme des prévisions relatives aux taux d’intérêt, mais j’estime que les pertes présentées par l’Institut C.D. Howe sont raisonnables.

Si l’on se fie à la trajectoire actuelle des taux d’intérêt, nous nous attendons à revenir à zéro et, par conséquent, nous devrions recommencer à remettre nos profits au gouvernement aux alentours du troisième trimestre de 2028 ou durant la première partie de 2029. Nous allons récupérer ces pertes assez rapidement et revenir à la situation habituelle, à savoir remettre environ un milliard de dollars par année au gouvernement.

Le sénateur Smith : Quelles leçons tirez-vous lorsque vous procédez à l’interne à un examen de ce qui s’est passé?

Mme Rogers : Je dirais deux choses. Premièrement, nous avons annoncé publiquement notre intention d’effectuer un vaste exercice sur les leçons à retenir de notre réponse à la pandémie. C’est ce que nous avons l’intention de faire. Compte tenu de la trajectoire de l’inflation en ce moment, nous pensons procéder à cet exercice plus tard cette année. Nous allons effectuer un examen global.

Encore une fois, lorsqu’il est question des répercussions sur notre situation financière et de l’ensemble de la réponse à la pandémie, il est important pour nous de séparer ces deux éléments, car nos décisions quant aux bonnes mesures à prendre sur le plan de la politique monétaire ne sont pas et ne seront pas fondées sur les répercussions sur notre situation financière. Le fait que nous ayons une solution pour récupérer les pertes constitue un premier pas dans la bonne direction.

M. Macklem : J’ajouterai qu’il faut évaluer les politiques non pas en fonction des profits et des pertes de la Banque du Canada, mais plutôt en fonction des bienfaits pour l’économie canadienne. Il est difficile d’être précis. Nous avons adopté diverses mesures pour passer au travers de la pandémie, mais ce qui s’est révélé très utile, c’est la combinaison de ces mesures. Il est vrai que nous avons vécu la plus grave récession en raison de la pandémie, mais nous avons aussi vécu la reprise économique la plus rapide. Cela a permis à l’économie canadienne d’économiser des milliards de dollars.

Le sénateur Smith : Y a-t-il une chose que vous feriez sans doute différemment advenant une autre pandémie?

M. Macklem : Il y aura une réflexion, qui a déjà commencé d’ailleurs. Vous avez déjà pu l’observer. En juillet dernier, dans notre Rapport sur la politique monétaire, nous avons fait état de nos erreurs en ce qui a trait à nos prévisions de l’inflation et nous avons expliqué pourquoi nous étions étonnés que l’inflation augmente aussi rapidement. Plus récemment, Toni Gravelle, un de nos sous-gouverneurs, a prononcé un discours, et nous avons ensuite publié un document présentant les leçons que nous avons apprises. Nous avons mis en place 11 mécanismes différents durant la pandémie. La plupart d’entre eux ne visaient pas vraiment la politique monétaire, mais plutôt la remise en fonction du marché, qui était complètement paralysé.

Nous avons évalué l’efficacité de ces mécanismes et les leçons que nous en avons tirées. Nous avons appris que les problèmes peuvent provenir de différentes sources et qu’il faut que l’argent se rende au bon endroit. Si ce n’est pas possible, il faut en faire bien plus, car la voie est moins directe. Lorsqu’on procède de manière plus ciblée, c’est plus efficace et il n’est pas nécessaire d’en faire autant. Depuis, nous nous sommes employés à élaborer des mécanismes plus ciblés.

Il faut aussi se préoccuper du risque moral. Il faut éviter que le secteur privé vienne à penser que la banque centrale est le premier fournisseur de liquidités. Nous sommes plutôt le fournisseur de liquidités de dernier recours. Le secteur privé a la responsabilité de gérer ses liquidités de manière à éviter que nous devions intervenir, à moins que tout soit paralysé. Il faut concevoir les programmes de façon à minimiser ce genre de risque moral.

Il faut aussi se pencher sur la politique monétaire — le recours au cadrage prospectif et à l’assouplissement quantitatif — et c’est ce que nous allons faire, mais comme je l’ai dit, il faut certes discuter du calibrage — du moment choisi —, mais, dans l’ensemble, notre politique monétaire s’est révélée très efficace.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie de comparaître devant nous encore une fois. C’est toujours un grand plaisir de vous accueillir.

Le dollar canadien est à son niveau le plus bas en près de trois ans. Le Canada est un pays de commerçants, comme nous le savons tous. La faiblesse du dollar canadien, particulièrement par rapport au dollar américain, peut être préoccupante. La grande majorité des importations proviennent des États-Unis. Même si les services occupent une grande place au sein de notre économie, la faiblesse du dollar canadien signifie que les prix des produits importés et l’inflation sont plus élevés. Cette situation risque de perdurer, car l’écart entre les taux directeurs du Canada et des États-Unis se creuse alors que la Réserve fédérale poursuit ses hausses et que la Banque du Canada a annoncé une pause conditionnelle.

Comme vous le savez, nous pouvons facilement composer avec la faiblesse du dollar en temps normal, mais comme l’inflation est élevée, nous craignons qu’un dollar faible n’alourdisse le fardeau d’une nation commerçante comme le Canada en raison de la hausse des prix.

Est-ce que cette crainte peut amener la Banque du Canada dans le futur à emboîter le pas à la Réserve fédérale américaine et à recommencer à relever son taux directeur? À vos yeux, s’agit-il d’une grande préoccupation ou d’un problème important, particulièrement si notre dollar perd de la valeur à l’instar de toutes les autres devises mondiales?

M. Macklem : Vous avez abordé un bon nombre de choses dans votre question. Je vais commencer par rappeler à tout le monde que nous ne ciblons pas le dollar canadien. La valeur du dollar canadien est fixée sur le marché. Nous ciblons l’inflation.

Nous tenons compte des fluctuations du dollar canadien lorsque nous établissons la politique monétaire. Lorsqu’on se penche sur les fluctuations du dollar, il faut aussi penser à ce qui fait fluctuer sa valeur.

Dans le contexte du récent cycle, ce qui est différent, c’est que, normalement, lorsqu’on hausse les taux d’intérêt vigoureusement et rapidement comme nous l’avons fait, la valeur du dollar canadien augmente. Dans une économie ouverte, c’est un aspect important du fonctionnement de la politique monétaire : on hausse les taux d’intérêt, ce qui crée un afflux de capitaux, et la valeur du dollar augmente. On obtient ainsi une diminution de la demande pour les exportations canadiennes, et les taux d’intérêt plus élevés limitent la demande intérieure. L’économie ralentit et l’inflation diminue.

De toute évidence, ce n’est pas ce qui s’est produit cette fois‑ci. La valeur du dollar canadien est demeurée raisonnablement stable, et elle a diminué un peu récemment, ce qui reflète largement le fait que les États-Unis ont eux aussi augmenté très rapidement les taux d’intérêt, et la valeur du dollar américain a donc augmenté par rapport à pratiquement toutes les autres devises.

Nous avons suivi la même trajectoire en grande partie. Plus récemment, les États-Unis ont augmenté un peu plus les taux d’intérêt que nous, et nous nous engageons maintenant depuis peu dans notre propre voie.

Qu’est-ce que cela signifie pour la politique monétaire? Du côté des exportations, nous observons encore une réduction de la demande pour les exportations canadiennes, car lorsque les États-Unis serrent la vis, cela ralentit leur économie, ce qui atténue la demande pour nos exportations. Cela ne passe pas par le taux de change, mais c’est vraiment attribuable aux États-Unis dans notre cas. Il y a toutefois une chose que nous n’obtenons pas, et vous l’avez mentionnée. Si le taux de change devait augmenter, une pression à la baisse serait exercée sur le prix des importations, ce qui signifie que nous n’aurions pas ces répercussions directes. Par conséquent, en marge, cela signifie qu’il y a potentiellement plus de travail à faire pour les taux d’intérêt que si c’était un cycle plus normal.

L’autre partie de votre question visait à savoir si nous avons peur qu’une hausse plus marquée que la nôtre des taux d’intérêt par la Réserve fédérale cause des problèmes. Ce n’est pas une grande préoccupation. Nous avons une politique monétaire indépendante. Nous avons un taux de change flexible qui nous permet d’établir une politique monétaire conçue pour répondre aux besoins du Canada.

Le marché a raisonnablement plus d’attentes à l’égard des taux américains que des nôtres, et c’est déjà reflété dans la valeur actuelle du dollar canadien. Il y aura sans aucun doute des fluctuations du dollar canadien. C’est une chose dont vous pouvez être sûr, mais, de façon générale, le système de taux de change flexible fonctionne très bien.

Le sénateur Loffreda : Vous ne voyez donc pas cela comme un facteur dans la hausse de l’inflation au point où vous n’avez pas à réagir? Comme vous l’avez dit, l’inflation est votre principale préoccupation, n’est-ce pas?

M. Macklem : Oui. C’est une chose dont nous devrons tenir compte si la valeur du dollar diminue considérablement. Les pressions inflationnistes seraient plus prononcées; nos exportations seraient plus fortes. Il faudrait certainement que nous en tenions compte. Nous ne cherchons pas à prévoir le taux de change dans nos projections. Notre convention consiste à prendre le taux de change, peu importe où il se situe. Dans notre projection, il se situe à 74 $. S’il était beaucoup moins élevé, oui, c’est une chose que nous devrions prendre en considération.

Je ne vois pas de gros problème si les États-Unis prennent un chiffre un peu plus élevé. C’est déjà un peu intégré au marché.

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue au gouverneur et à la première sous-gouverneure Rogers. Je tiens d’abord à vous féliciter pour les efforts que vous avez déployés au cours des derniers mois sur les plans de la communication et de la transparence, notamment en rendant publics les comptes rendus de vos rencontres. C’est très apprécié.

J’aimerais revenir sur vos discussions avec le sénateur Smith. Au cours de la pandémie, la Banque du Canada a déployé plusieurs nouveaux programmes. J’ai examiné le bilan de votre étude, qui a été rendu public en mars. Dans le fond, vous êtes allé beaucoup plus loin que lors de la crise financière de 2008-2009, moment où j’ai eu le privilège de travailler à vos côtés.

Ce qui a surtout attiré mon attention, c’est l’allocution de votre collègue le sous-gouverneur Gravelle à Montréal. En résumé, il a dit que la barre serait beaucoup plus haute la prochaine fois avant que la Banque du Canada ne réutilise l’assouplissement quantitatif.

Pouvez-vous en dire un peu plus là-dessus? J’aurais aussi une sous-question sur l’assouplissement quantitatif, si le temps me le permet.

M. Macklem : J’ai deux choses à souligner. Premièrement, cette étude et le discours de Toni Gravelle reflétaient l’utilisation de notre bilan pour ce qui est de la stabilité financière. Le sujet de cette étude n’était pas la politique monétaire, mais la stabilité financière.

Deuxièmement, tout cela lié aux réponses que j’ai déjà données. Puisque nous avons des programmes mieux ciblés pour déterminer où se situe le problème, nous sommes d’avis que nous aurons moins besoin d’avoir recours au resserrement quantitatif. De manière plus concrète, nous avons maintenant un programme qu’on appelle en anglais CTRF, ou Contingent Term Repo Facility, soit le mécanisme conditionnel de prise en pension de plus d’un jour. L’un des principaux problèmes durant la pandémie, c’étaient les fonds de retraite et les grands gestionnaires d’actifs. Nous avions besoin de beaucoup de liquidités. Les banques commerciales n’étaient pas capables de fournir suffisamment de liquidités, ce qui fait que tout le marché a gelé.

Nous sommes rentrés dans le marché pour acheter beaucoup d’obligations du gouvernement du Canada et pour injecter de l’argent dans le système. À ce moment-là, nous avons eu besoin de prendre des mesures exceptionnelles, parce que nous étions déjà en train de mettre des liquidités avec le CTRF pour les banques, mais la demande des institutions non bancaires était encore trop grande. Elles ne pouvaient pas déplacer de l’argent là où c’était nécessaire.

Maintenant, nous avons le programme CTRF. Nous pouvons verser des liquidités directement dans les grands régimes de retraite. En ce sens, la barre est plus haute, mais nous aurons de meilleurs outils.

Le sénateur Gignac : J’ai une deuxième question à vous poser.

En supposant que l’inflation décélère rapidement — peut-être plus rapidement que vous ne le pensez — et que l’économie ralentisse encore plus, on ne peut pas exclure que vous puissiez envisager de réduire les taux d’intérêt. Qu’arrivera-t-il au resserrement quantitatif? N’y aurait-il pas une incohérence dans le fait de baisser les taux tout en continuant le resserrement quantitatif? Je n’ai jamais vu une banque centrale sur la planète faire les deux, soit baisser les taux d’intérêt et faire du resserrement quantitatif.

Pouvez-vous donner des précisions à ce sujet?

M. Macklem : C’est la première fois que nous faisons le resserrement quantitatif. Même les autres banques partout dans le monde ont très peu d’expérience avec le resserrement quantitatif.

Nous allons prendre ces décisions pour l’avenir lorsque nous serons rendus là. En toute franchise, c’est un peu tôt pour parler de réduction des taux d’intérêt. La baisse des taux d’intérêt dépend de la situation économique. Si l’inflation est à près de 2 %, que nous avons une croissance potentielle et que l’écart de production est très petit, nous sommes dans une situation plus normale. L’inflation a baissé et demeure stable et la croissance est potentielle. Dans une situation comme celle-là, on commencerait à normaliser les taux d’intérêt vers un taux neutre.

Si c’est l’écart que nous sommes en train de normaliser, nous allons poursuivre le resserrement quantitatif. Nous allons normaliser notre bilan. C’est cohérent avec les taux d’intérêt normalisés. Si nous décidons de baisser les taux d’intérêt, c’est parce qu’il y aura, par exemple, une récession mondiale et que l’économie canadienne sera très faible. Nous devrons ajouter des mesures incitatives et assouplir la politique monétaire. Dans ce cas, nous allons baisser les taux d’intérêt assez rapidement et mettre fin au resserrement quantitatif.

[Traduction]

Nous allons investir à nouveau.

Le sénateur Marwah : Bienvenue, monsieur le gouverneur, madame la sous-gouverneure.

Ma question est liée à la cible d’inflation, qui, comme vous l’avez dit, est de 2 % depuis quelques années. Compte tenu des événements récents et de la conjoncture actuelle, est-ce encore un objectif ferme pour la banque ou êtes-vous prêts à vivre avec quelque chose de plus élevé, de l’ordre de 2 à 3 %, par exemple?

M. Macklem : Nous sommes déterminés à faire revenir l’inflation à la cible de 2 %. Dans mes propres mots, je dirais que nous devons recentrer l’inflation à 2 %. Nous avons une fourchette cible de 1 à 3 %, mais il est important de souligner que ce n’est pas une zone d’indifférence.

La fourchette vise à donner aux Canadiens une idée de la variation normale de l’inflation. Même si nous visons 2 %, nous ne pouvons pas littéralement atteindre ce chiffre tout le temps; il y aura une certaine variation. La fourchette doit donner aux Canadiens une idée de ce qu’on entend par variation normale de l’inflation. Pour se situer dans la fourchette de 1 à 3 % la plupart du temps, il faut viser le milieu, c’est-à-dire 2 %.

Pourquoi 2 %? Il y a quelques raisons. Tout d’abord, c’est notre cible depuis 30 ans. Elle s’est révélée très efficace. Je pense qu’il y a de bonnes raisons de vouloir un faible taux d’inflation, probablement un peu au-dessus de zéro, pas zéro, mais un taux faible.

L’un des problèmes que nous avons actuellement, c’est que lorsque l’inflation est élevée, les gens finissent par s’attendre à ce que ce soit élevé et les entreprises ne s’en font pas trop au moment de refiler les hausses de prix aux clients, car elles savent que tout le monde s’attend à ce que l’inflation se poursuive. Il est facile pour les entreprises de refiler les hausses de prix à leurs clients. C’est ce qu’on a vu pendant la période de forte inflation. Les entreprises augmentent les prix plus souvent et dans une proportion plus élevée. Elles refilent très rapidement leurs coûts aux consommateurs. Cependant, lorsque l’inflation est faible et qu’un produit coûte plus cher, les gens s’en rendent compte et les entreprises craignent davantage de perdre des clients si elles continuent d’augmenter leurs prix. L’équilibre commence alors à se faire tout seul.

L’une des choses que nous observons de façon empirique — et l’un des autres sous-gouverneurs, Paul Beaudry, en a parlé —, c’est que lorsque l’inflation est élevée, elle a aussi tendance à varier plus. Ces forces concurrentielles de renforcement ne fonctionnent pas aussi bien. Je pense donc qu’on veut un chiffre moins élevé.

L’autre réalité, c’est que vous voulez un chiffre suffisamment faible pour que, d’une année à l’autre, les gens ne remarquent pas vraiment l’inflation; ce n’est pas une chose qui les préoccupe dans leur vie de tous les jours. Lorsqu’on vise un taux d’inflation de 2 % et que c’est raisonnablement stable, on n’a pas à se préoccuper de hausses importantes du coût de la vie d’une année à l’autre. Lorsque la cible est plus élevée, le coût de la vie commence à augmenter chaque année.

Le sénateur Marwah : J’ai une brève question complémentaire, monsieur le gouverneur. Disons que l’inflation, hypothétiquement, est figée à 2,7 %. Que se passe-t-il alors?

M. Macklem : Il est toujours très difficile de répondre aux questions hypothétiques, car cela dépend de toute la situation.

À mesure que l’inflation se rapproche de 2 %, de toute évidence, notre niveau d’anxiété commence à diminuer. À l’heure actuelle, le taux d’inflation de 4,3 % est encore nettement au-dessus de notre cible. Nous prévoyons qu’il diminuera très rapidement. Mais tant que l’inflation demeurera au-dessus de la cible, le risque d’une hausse nous préoccupera plus que le risque d’une baisse.

Une fois que la fourchette est atteinte, plus particulièrement le milieu de la fourchette, on craint moins les hausses que les baisses du taux. Comme je l’ai dit, si on veut que le taux fluctue normalement entre 1 et 3 %, il faut viser 2 %. Lorsqu’on reste à 2,7 %, la fluctuation normale sera entre 2,3 et 3,7 %, sauf erreur de ma part. On ne parle pas alors d’une stabilité des prix.

La présidente : À ce sujet, pourquoi l’inflation alimentaire se situe-t-elle à 10 %?

Mme Rogers : C’est probablement un des aspects de l’inflation les plus frustrants pour les Canadiens à l’heure actuelle. Tout le monde en ressent l’effet. Les gens font leur épicerie toutes les semaines, et ils s’en rendent donc compte. C’est très frustrant, et nous le savons.

Même en temps normal, un certain nombre de facteurs contribue à l’inflation alimentaire. Elle peut d’ailleurs être un peu plus volatile. Les phénomènes météorologiques ont une énorme incidence sur le prix des aliments. Le prix des produits de base, qui fluctue à l’échelle mondiale, a également des répercussions sur le prix des aliments, tout comme le coût du transport, de l’énergie et de la main-d’œuvre. Comme le gouverneur l’a dit, nous avons vu que la facture a été rapidement refilée aux consommateurs, y compris dans le secteur agroalimentaire. Il y a eu un certain nombre de situations. Nous avons eu de mauvaises récoltes. Il y a aussi eu la grippe aviaire et la guerre, qui ont eu une incidence sur le prix des produits de base, notamment le blé et les engrais. La hausse du prix des aliments est vraiment attribuable à un concours de circonstances.

La présidente : Quelle est l’incidence de la taxe carbone?

Mme Rogers : Il est difficile de parler de l’effet d’un seul facteur, plus particulièrement lorsqu’il s’agit d’un aspect de l’inflation. Je pense que nous avons déjà fourni des données sur l’effet que la taxe sur le carbone a sur l’inflation de manière générale. Je n’ai pas de chiffre pour ce qui est de l’incidence de la taxe sur le carbone sur l’inflation alimentaire.

Comme le gouverneur l’a dit, nous examinons deux choses. Certains des effets que je viens tout juste de décrire sont suffisamment loin derrière nous, et nous devrions commencer à voir une baisse de l’inflation alimentaire. Les données récentes montrent qu’elle a diminué un peu. C’est ce que nous devrions voir plus souvent. Et on revient alors aux forces concurrentielles ainsi qu’à un nouveau départ pour ce qui est des attentes des gens et des pratiques d’établissement des prix.

La présidente : Merci.

La sénatrice Ringuette : Je vais me concentrer sur une question totalement différente : les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement attribuables à la pandémie et aux événements géopolitiques. Nous entendons maintenant parler d’un nouveau paradigme concernant les chaînes d’approvisionnement ou d’une nouvelle politique entre pays amis. Quel sera l’effet de ce remaniement des chaînes d’approvisionnement entre pays amis — il s’agit de votre principal mandat — sur l’inflation et sur le scénario d’investissement des entreprises canadiennes?

M. Macklem : La réponse courte est que les entreprises s’efforcent surtout de rendre leurs chaînes d’approvisionnement plus résilientes, ce qui augmente inévitablement les coûts pendant la période d’adaptation. C’est un facteur qui compliquera les efforts de réduction de l’inflation. C’est une des raisons pour lesquelles, dans notre projection, nous estimons qu’elle diminuera rapidement à 3 %, mais qu’il faudra un certain temps pour passer de 3 à 2 %. Des pressions seront exercées sur les coûts. Au bout du compte, il sera avantageux d’avoir des chaînes d’approvisionnement plus résilientes. Il y aura un avantage direct pour l’économie. Les choses vont mieux fonctionner, et il y aura également moins de goulots d’étranglement qui ralentiront le système et auront une incidence sur les prix, ce qui signifie que l’inflation variera moins.

Je vais dire quelques mots sur ce que nous voyons jusqu’à maintenant. Je pense que nous en sommes encore qu’au début. Les entreprises ne rapatrient pas encore massivement leur production. Ce n’est pas ce que nous voyons. Elles réduisent peut-être leurs nouveaux investissements dans des endroits qui les préoccupent. Ce que nous voyons, c’est qu’elles cherchent à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement pour avoir plus de solutions de rechange. Elles veulent simplifier leurs chaînes d’approvisionnement et normaliser leurs composantes pour ne pas avoir besoin d’autant de pièces différentes et pour pouvoir recourir plus souvent à la substitution dans la production.

Il est actuellement difficile de savoir à quel point ce changement est profond. Je pense que nous connaissons l’orientation adoptée, mais nous ne savons pas à quel point le changement sera important.

La dernière chose que je dirai, c’est qu’il n’y a rien d’incompatible avec la diversification et le renforcement de la résilience des chaînes d’approvisionnement grâce à un système commercial ouvert. Le Canada profite d’un certain nombre de très bons accords commerciaux, comme l’Accord Canada—États-Unis—Mexique, l’Accord économique et commercial global avec les Européens et l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste avec des pays asiatiques. L’accès du Canada aux marchés figure parmi les meilleurs. Nous avons la capacité de diversifier notre approche, et les entreprises doivent déterminer comment elles peuvent faire partie de ces chaînes d’approvisionnement achalandées à mesure qu’elles changent. C’est une occasion d’affaires, et les entreprises doivent trouver comment elles peuvent en faire partie au Canada. Nous sommes raisonnablement bien placés. Nous devons nous pencher sur cette occasion et la saisir.

La sénatrice Ringuette : Puisque c’est un nouveau paradigme ou un nouvel espace de discussion, à quel moment allez-vous vérifier cette nouvelle politique dans votre évaluation relative à l’inflation?

M. Macklem : Je ne pense pas pouvoir vous donner une date. À vrai dire, il se passe deux choses. Les gens cherchent à rendre les chaînes d’approvisionnement plus résilientes après la pandémie. Ils savent qu’il pourrait y avoir plus de phénomènes météorologiques ou de tensions géopolitiques. Tout le monde est plus conscient de la vulnérabilité de ses chaînes d’approvisionnement.

L’autre chose, qui n’est pas totalement sans lien, c’est que dans les faits, il y a des tensions géopolitiques et un risque de fragmentation mondiale plus importante. Dans ses Perspectives de l’économie mondiale, le Fonds monétaire international a consacré beaucoup de temps à la question pour essayer d’analyser les coûts mondiaux, pour la croissance, de ce qu’on appelle la fragmentation géoéconomique. La réalité est que nous avons tous profité d’un système mondial de commerce et d’investissement de plus en plus intégré. Si jamais ce système évolue dans la direction inverse, il y aura certainement des coûts pour la croissance mondiale. Je ne pense pas pouvoir prédire mieux que les autres à quel point ce sera mauvais, à quelle vitesse cela se produira et si des pays peuvent se réunir pour résoudre leurs différends. C’est difficile à prédire.

À mesure que les développements se concrétisent, nous allons certainement en tenir compte dans nos prévisions, et nous ferons de notre mieux pour évaluer les répercussions pour le Canada et prendre cela en considération.

La présidente : Merci.

La sénatrice Simons : Monsieur Macklem, vous avez dit dans votre déclaration liminaire que des personnes renouvellent leur prêt hypothécaire à des taux beaucoup plus élevés et qu’elles ont donc moins d’argent à dépenser. Vous avez dit que c’est une bonne chose pour juguler l’inflation, mais cela peut être terrible pour les gens, surtout dans des marchés surchauffés comme à Toronto et à Vancouver où les gens ont acheté des maisons à des prix ayant atteint des sommets historiques qu’ils pouvaient seulement se permettre parce que les taux d’intérêt n’avaient jamais été aussi bas.

Il est difficile de parler d’une politique nationale du logement, car Toronto et Vancouver sont des villes très différentes d’Edmonton, ma ville d’origine, ou de Winnipeg ou Halifax. Y a-t-il des préoccupations, si vous haussez encore les taux d’intérêt, à propos de l’effet sur les marchés immobiliers? Si vous faites éclater la bulle, beaucoup de personnes pourraient être en mesure d’accéder au marché, mais d’autres perdront une énorme partie du capital qu’elles ont investi. Comment peut-on trouver un équilibre entre les deux?

M. Macklem : Mme Rogers va répondre.

Mme Rogers : Permettez-moi de commencer, madame la sénatrice, en vous donnant des données que nous consultons souvent lorsque nous pensons au marché hypothécaire. Dans l’ensemble de la population canadienne, environ 33 % des gens louent leur logement et 67 % sont propriétaires. Environ 27 % des gens possèdent leur maison, ce qui signifie qu’environ 35 % de la population a une hypothèque.

La vaste majorité des détenteurs de prêts hypothécaires, près de 70 %, ont un taux fixe, ce qui signifie que leurs paiements ne fluctuent pas chaque fois qu’une décision concernant les taux d’intérêt est prise. Environ 13 % de ces personnes ont un taux variable, et dans ce cas-ci, la grande majorité a des paiements fixes.

Je ne présente pas cette information pour minimiser le point que vous avez soulevé à propos des pressions exercées sur les détenteurs d’un prêt hypothécaire lorsque les taux d’intérêt changent à cause de nos changements de politique. C’est sans aucun doute une chose à laquelle nous réfléchissons chaque fois que nous prenons une décision. Je vous donne cette information tout simplement parce que nous nous en servons souvent pour réfléchir à l’effet global, notamment sur l’économie, et aux répercussions des hausses des taux hypothécaires sur la stabilité financière.

C’est néanmoins un enjeu que nous examinons de près. En plus de notre Rapport sur la politique monétaire, nous publions chaque année une Revue du système financier. Celle de cette année sera publiée dans environ un mois. Nous scrutons à la loupe l’incidence des changements aux paiements hypothécaires. Nous communiquons régulièrement avec le BSIF, ou le Bureau du surintendant des institutions financières. J’ai remarqué que nos collègues du BSIF comparaîtront ici la semaine prochaine. Nous parlons sur une base régulière avec les banques des moyens qu’elles mettent à la disposition de leurs clients hypothécaires pour veiller à gérer ces pressions.

Les banques nous disent que les taux d’intérêt exercent des pressions, mais que les Canadiens s’adaptent à ces pressions. Alors que les hypothèques à taux fixe seront renouvelées — le gouverneur l’a dit dans sa déclaration liminaire —, nous savons que la pression passera des détenteurs de prêts hypothécaires à taux variable aux détenteurs de prêts hypothécaires à taux fixe. Les Canadiens ont recours à diverses méthodes.

Normalement, un emprunteur qui renouvelle une hypothèque contractée il y a longtemps voit son revenu augmenter, ce qui aide à absorber l’augmentation du paiement. Il est également important de garder à l’esprit que, depuis un bon moment déjà, les politiques en place dans notre secteur bancaire prévoient que les détenteurs de prêts hypothécaires peuvent résister à un taux 2 % plus élevé que leur taux hypothécaire réel. Cette politique a créé un tampon pour la plupart des hypothèques au Canada. Il y a donc différents éléments, mais vous faites valoir un bon point, que nous prenons en considération.

La sénatrice Simons : Je participe à la réunion d’aujourd’hui en tant qu’invitée, mais, dans mon autre vie, je suis la vice‑présidente du Comité sénatorial permanent de l’agriculture et des forêts. Un des enjeux qui nous préoccupe par rapport à l’inflation des prix des aliments est celui de la concentration des entreprises, comme la concentration à l’échelon de la production. Si on se penche par exemple sur la concentration dans l’industrie de la transformation de la viande, on a peine à s’imaginer que nous dépendons de deux entreprises. Nous nous intéressons aussi aux inquiétudes liées à la concentration des entreprises dans le secteur des supermarchés.

Madame Rogers, vous n’en avez pas du tout parlé, mais je me demande si cette réalité ne contribue pas elle aussi fortement à l’inflation du coût des aliments. Le secteur du conditionnement du bœuf n’a pas vu son nombre de producteurs ou d’exploitants de parcs d’engraissement augmenter. Les prix sont transférés aux consommateurs, mais les producteurs n’en profitent pas. Ainsi, quelqu’un — et ce n’est pas le propriétaire du ranch — empoche des profits à un certain maillon de la chaîne de production.

Mme Rogers : Vous avez raison : nous n’avons pas mentionné cet élément. Nous ne sommes pas les experts dans ce domaine. Comme vous le savez, le Bureau de la concurrence mène une étude en ce moment. Le personnel de cette organisation est le mieux placé pour analyser la situation et fournir des commentaires.

Comme le gouverneur l’a dit, nous pouvons, de notre côté, renouer avec la cible d’inflation. Ainsi, les compagnies, les producteurs et tous les intervenants qui déterminent les prix des contrats ressentiront la pression concurrentielle. De même, on ne s’attendra pas à ce que les prix augmentent sans relâche, et on évitera d’imposer les coûts aux maillons suivants, comme vous l’avez décrit.

La sénatrice Simons : Il est difficile de créer des pressions concurrentielles lorsqu’il n’y a pas de concurrence.

Mme Rogers : Je comprends votre argument, mais, comme je le disais, ce n’est pas notre champ d’expertise. Notre apport dans l’équation consiste à renouer avec la cible d’inflation et à retirer cet élément du cycle.

La présidente : Je vous remercie.

La sénatrice Marshall : En ce qui a trait au secteur bancaire, monsieur Macklem, vous avez mentionné que des discussions ont porté sur les banques lors de vos réunions de la semaine dernière. Je parle du secteur bancaire et financier ici, au Canada.

Le budget de l’an dernier comprenait deux augmentations d’impôt supplémentaires imposées aux banques et aux institutions financières, et je vois qu’il y en a une autre dans le budget de cette année. Ces augmentations doivent exercer des pressions sur le secteur bancaire. Si on ajoute à cette conjoncture le problème lié aux hypothèques et certaines préoccupations relatives aux prêts — la question de savoir si les emprunteurs seront en mesure de rembourser leurs prêts —, la pression ressentie par le secteur bancaire et financier doit être énorme.

Vous avez mentionné tout à l’heure effectuer un certain type d’analyse. Pourriez-vous donner plus de détails à ce sujet? Les banques s’attirent peu de compassion, mais notre secteur bancaire se doit d’être fort. Je suis très inquiète. Comme vous l’avez dit, vos collègues du BSIF comparaîtront devant nous la semaine prochaine. Je m’inquiète fortement du secteur bancaire, qui doit conserver sa vitalité.

Quel type d’analyse réalisez-vous? Quels types de risques évaluez-vous pour vous assurer qu’il n’y a pas de problème dans ce domaine? Consultez-vous le gouvernement, et le conseillez‑vous quant à ses actions?

M. Macklem : Je vais demander à la première sous‑gouverneure de répondre à la question.

Mme Rogers : Comme je l’ai dit, nos collègues du BSIF seront en mesure de vous donner de plus amples renseignements, mais, si je me fie à notre rôle actuel et à mon ancien rôle, je dirais que nous étudions toujours deux indicateurs lorsque nous nous intéressons au secteur bancaire : le niveau de capitaux ou d’avoirs nets ainsi que le niveau de liquidités.

Dans le secteur américain, on a vu récemment des tensions que j’attribuerais à des modèles d’affaires très particuliers; cette unicité a rendu les banques très vulnérables à deux éléments. Le premier est le risque lié aux taux d’intérêt — leur rentabilité a été grandement minée par la fluctuation des taux d’intérêt —, combiné à une base de déposants très concentrée qui, étant donné l’incidence sur leur rentabilité, a amoindri la confiance. Ces dépôts ont donc été retirés très rapidement. Ces modèles d’affaires comportaient des caractéristiques très uniques qui ont rendu les banques vulnérables à certains risques.

Les changements que nous avons apportés dans le secteur bancaire depuis la crise financière ciblent précisément ces deux risques : ils ciblent les liquidités et les capitaux. Depuis l’arrivée de ces réformes, le secteur bancaire mondial en général détient deux fois plus de capitaux, son levier d’endettement a fondu de moitié, et ses liquidités ont triplé.

Le Canada est toujours un pionnier pour mettre en œuvre ce type de réformes. Nous sommes habituellement le premier pays à adhérer à ces changements. Toutes nos grandes banques respectent ces règles. Fait important, nos banques de taille moyenne doivent se conformer à la plupart de ces normes. De plus, les normes essentielles sont celles entourant les capitaux et les liquidités, et ces normes n’existaient pas aux États-Unis.

Il faut garder à l’esprit certains éléments sur notre secteur bancaire : la réglementation; la gestion du risque; le degré de prudence dans la gestion de la banque même; et le fait que notre secteur bancaire est concentré. Je sais que ce facteur soulève parfois des inquiétudes quant à sa concurrence, mais cela en fait un secteur très robuste. Nous testons continuellement la résistance de nos banques. Nous les surveillons sans relâche. Nous suivons la situation de très près. Mais je dirais que notre secteur bancaire est parmi les plus forts au monde. Un autre signe positif démontrant que nos banques se portent bien est que l’effet d’entraînement s’est arrêté aux frontières canadiennes : les tensions ne se sont pas fait sentir ici.

La sénatrice Marshall : Qu’adviendra-t-il si les taux d’intérêt augmentent davantage? Certains croient actuellement — et j’ai parlé à de nombreux jeunes ayant des hypothèques — que les taux d’intérêt chuteront pour atteindre 1,5 % ou 2 %. Dans votre évaluation des risques, tenez-vous compte du fait que les taux d’intérêt pourraient continuer à augmenter — vous pourriez vous voir obligés de les augmenter à nouveau — ou qu’ils ne baisseront pas autant que le prédit la population? Est-ce un facteur que vous examinez?

Mme Rogers : Lorsque nous examinons les banques?

La sénatrice Marshall : Oui.

Mme Rogers : Oui. Les banques doivent passer toutes sortes de tests de résistance afin qu’on examine leurs liquidités et leurs capitaux. Nous évaluons leur rendement selon différentes trajectoires de taux d’intérêt, selon diverses conjonctures économiques, selon une combinaison de ces scénarios, alors la réponse est oui.

Je sais que vous vous y connaissez très bien en comptabilité. Les pertes des banques étaient liées à certains facteurs tout à fait uniques, et on peut en dire autant de la façon dont elles évaluent les changements quant aux risques liés aux taux d’intérêt. Ces politiques sont très différentes au Canada. Nos banques évaluent leurs actifs détenus pour fin de liquidités à la valeur du marché, alors la dynamique qui a grandement contribué aux tensions aux États-Unis n’a pas touché le Canada.

La sénatrice Marshall : Je reconnais que même la Banque du Canada a subi des pertes en raison de ce que nous venons de vivre. Le secteur bancaire est une grande source de préoccupation pour moi, mais je vous remercie énormément de votre réponse.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci à vous d’être parmi nous aujourd’hui; c’est très apprécié. Je vous félicite pour la façon dont vous avez géré l’économie canadienne. Vous avez eu de très bons résultats jusqu’à présent pour ce qui est de contrôler l’inflation, et je vous souhaite bonne chance pour les prochaines versions de vos prédictions.

Mon inquiétude porte plutôt sur l’aspect international et sur le côté américain. Je crois que les États-Unis n’ont pas obtenu le même succès sur le plan du contrôle de l’inflation. Ils ont commencé plus tard que le Canada. Il y a eu des réactions. Conséquemment, l’augmentation du taux d’intérêt y est plus importante. Pensez-vous qu’on peut être plus confiant? Doit-on s’inquiéter du fait qu’ils sont un peu en retard? Il y a plusieurs personnes qui se demandent si le taux d’inflation est adéquat ou s’il va encore augmenter. Est-ce que cela peut perturber l’ordre national et international du point de vue de l’économie? Un joueur comme les États-Unis, c’est très important. J’aimerais connaître votre position à ce sujet.

M. Macklem : En ce qui concerne l’économie américaine... La Réserve fédérale et la Banque du Canada ont augmenté les taux d’intérêt très rapidement. Au Canada, l’inflation est un peu moindre qu’aux États-Unis. Aux États-Unis, le taux est d’environ 5 %, et il était de 4,3 % au Canada au mois de mars. La différence la plus importante se situe sur le plan de l’inflation fondamentale; il faut donc enlever les composantes volatiles de l’indice des prix à la consommation.

Au Canada, on commence à voir une diminution de nos mesures de l’inflation fondamentale. Elles étaient à environ 5 % et maintenant, elles sont à environ 4,7 %, 4,8 % ou 4,9 %, donc juste un peu sous la barre des 5 %. Plus récemment, en mars dernier, on en était à 4,5 %, 4,6 % ou 4,7 %.

Ce sont des mesures d’inflation sur 12 mois. Si vous examinez les mesures d’inflation fondamentale sur trois mois, donc plus récemment, elles sont à environ 3,5 %. Cela signifie que le rythme est à la baisse.

Aux États-Unis, ces taux ne sont pas encore à la baisse. Ils n’ont pas encore baissé. Cela signifie qu’il y a un peu plus de rythme aux États-Unis. Pour faire suite à la question du sénateur Loffreda, cela reflète le fait qu’ils ont augmenté les taux plus que nous et qu’ils sont en train de décider s’ils vont les augmenter encore. On verra.

Donc, oui, il est possible qu’ils aient plus de travail à faire. Nous pensons que, dans l’économie américaine comme dans la nôtre, la croissance sera faible. Le consommateur américain était plus résilient que ce que la majorité des gens pensaient. Nous avons été un peu surpris au premier trimestre par la consommation américaine, mais nous croyons qu’elle va baisser. Notre prévision pour les États-Unis, c’est une croissance très faible, et non pas une récession, mais il y a toujours des risques que cela soit plus sévère que l’on pense. Si cela se produit, cela affectera sans doute le Canada, et on aura besoin de prendre cela en considération.

On vient tout juste de parler des stress bancaires. Il est possible qu’il y ait de nouveaux stress bancaires, ou de nouveaux stress financiers, mais pas bancaires. C’est quelque chose qu’il faut regarder de près. Quant à l’ajustement du taux d’intérêt, si vous avez une hypothèque ou si vous transigez avec une banque ou non, il y aura des ajustements à faire. Il est possible que certains secteurs ne soient pas assez bien préparés.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Yussuff : Je remercie les deux gouverneurs d’être parmi nous. Je vais commencer par un compliment, ce que vous n’entendez pas souvent. Le chemin a été long afin de rétablir l’inflation à un seuil indiquant que la situation s’améliore, et je crois que, encore une fois, vous méritez qu’on vous remercie pour vos efforts.

Bien entendu, la réalité est que certains d’entre nous n’avons pas eu à souffrir des conséquences de l’inflation. J’avancerais sans aucune hésitation que, pour la plupart des gens dans la salle, oui, c’est un problème, mais qu’il n’est pas de taille. Pour les ouvriers, le problème est énorme, car les prix des aliments et du logement ont augmenté. Le problème persiste, puisque ces deux dépenses ont d’énormes répercussions sur le quotidien des personnes se situant à l’échelon inférieur des revenus, comme nous l’avons constaté dans les grands centres urbains. La population se plaint encore des prix beaucoup trop élevés à l’épicerie. Les locataires, quant à eux, sont confrontés à des difficultés encore plus dures : ils se demandent comment ils continueront à se loger, puisque rien ne contrôle le marché de la location.

Dans le contexte actuel, le grand défi des citoyens est de déterminer comment, avec les salaires versés par les employeurs, ils combleront le manque à gagner. Même si on a entendu l’argument alarmant voulant que les salaires allaient augmenter, les employeurs se sont montrés — je dirais — assez responsables. La prédiction de l’augmentation des salaires de 8 % ne s’est pas concrétisée. Les salaires ont augmenté pendant un certain temps, mais ils semblent s’être stabilisés.

Monsieur le gouverneur, la question sur les lèvres de tous les Canadiens est de savoir s’ils devraient faire confiance à l’état actuel des choses et s’ils devraient ressentir de l’espoir au quotidien. Je parle des personnes qui ne parviennent pas à atteindre le seuil permettant de ne pas se soucier de l’inflation. Je reconnais que l’inflation est des plus dévastatrices pour les ouvriers, plus que pour quiconque, car ils forment le groupe le plus vulnérable. C’est pour eux, et pas tant pour les personnes dans la salle, que je m’inquiète. Je pense que nous devons admettre que l’incidence de l’inflation n’a pas été égale dans toute l’économie. Il faut le souligner, parce que c’est au sujet des personnes qui se démènent que nous devons nous inquiéter.

M. Macklem : Je vous remercie de soulever cet enjeu. Nous sommes très conscients que l’inflation ne se résume pas à un chiffre. À vrai dire, l’inflation est l’augmentation généralisée des prix et, quand l’inflation se généralise comme c’est le cas depuis un certain temps, on ne peut y échapper. Même les consommateurs les plus prudents ne peuvent éviter de payer le fort prix quand toutes les factures augmentent. Nous le savons : les Canadiens à faible revenu et les groupes de la société les plus vulnérables sont toujours les premiers touchés parce qu’ils n’ont pas de coussins de sécurité. De plus, leurs besoins de base — leurs aliments, leurs loyers — représentent une proportion beaucoup plus importante de leurs budgets. On ne peut réduire sa consommation pour ces besoins. Ce ne sont pas des articles facultatifs. Comme vous l’avez souligné, les aliments ont connu dernièrement une augmentation particulièrement importante, en raison de circonstances exceptionnelles : l’attaque non provoquée de l’Ukraine par la Russie, la montée en flèche des prix de l’énergie en raison de la pandémie; l’augmentation des coûts d’expédition et de transport; et les nombreux goulots d’étranglement. Ces problèmes se résorbent peu à peu.

Comme la première sous-gouverneure l’a indiqué, vous verrez dans notre Rapport sur la politique monétaire un tableau montrant les coûts des intrants comparativement aux prix actuels. Ce tableau montre que les coûts des intrants ont faibli; ils sont toujours élevés, mais ils ont commencé à faiblir. Les prix à l’épicerie, eux, n’ont pas vraiment faibli. Ils ont légèrement diminué, mais ils sont toujours très élevés. Si on se fie au décalage normal, nous croyons que l’inflation du prix des aliments diminuera dans les prochains mois.

Malheureusement, il faut faire la distinction entre la diminution de l’inflation du prix des aliments et la diminution du prix des aliments. L’inflation représente le rythme de l’augmentation des prix. C’est mieux que l’autre scénario où les prix continuent à augmenter, mais ce n’est pas ce qui réglera entièrement les problèmes des consommateurs.

Nous sommes très au fait de la réalité et, comme vous le savez, la meilleure façon de protéger les travailleurs d’une forte inflation est de l’éliminer. C’est précisément ce sur quoi nous continuons à travailler avec acharnement, et le progrès constaté nous encourage. L’inflation chute assez rapidement en ce moment, et nous croyons qu’elle se situera à environ 3 % cet été. Nous sommes inquiets de notre propre projection qui nous indique qu’il faudra plus de temps pour passer de 3 % à 2 % — là où elle se situait — et que cette diminution sera plus ardue. C’est sans contredit sur ce plan que nous consacrons notre énergie.

Comme je l’ai dit tout à l’heure, nous sommes résolus à rétablir la stabilité des prix et à ramener l’inflation aux environs de 2 %. La population n’aura ainsi plus à se préoccuper des importantes fluctuations dans le coût de la vie qu’elle subit depuis quelques années.

Le sénateur Yussuff : La population doit pouvoir accéder au marché de l’habitation. Il vaut beaucoup mieux être propriétaire que de louer un logement. La propriété nous donne un certain contrôle et nous garantit des actifs au bout du compte. Pour la classe ouvrière, le défi est gigantesque, surtout dans les grands centres urbains partout au pays. C’est tout à fait inacceptable.

J’habite Toronto. J’ai la chance d’être propriétaire de ma maison, mais je sais que la situation est terrible pour les jeunes. Il faut de 500 000 $ à 1 million de dollars pour intégrer le marché, et beaucoup moins d’argent pour ensuite pouvoir y rester.

La dette des ménages a atteint un sommet inégalé depuis longtemps. Je suis conscient que les Canadiens ont contracté leurs dettes en pensant qu’ils tireraient profit d’un faible taux d’intérêt pour les rembourser.

Voilà où se situe le problème, à moins de pouvoir grandement changer la donne dans le marché de l’habitation, et surtout dans les centres urbains, compte tenu du vieillissement de la population. Les jeunes ont du mal à se projeter dans l’avenir dans ce pays. Il faudra déployer des efforts de longue haleine. Je sais que la banque ne contrôle pas ce volet, mais nous devons de toute évidence venir à bout des difficultés qui hantent ce pays. L’avenir de notre pays sera criblé de défis étant donné le vieillissement de la population et la difficulté avec laquelle on essaiera de faire venir de nouveaux Canadiens dans un environnement où les prix sont aussi élevés. J’aimerais entendre votre perspective.

Nous avons appris une bonne nouvelle, qui n’est pas le type de nouvelle qu’on veut révéler : pour la première fois, les régimes de pension sont solvables dans une proportion de 150 % comparativement à leur solvabilité par le passé. Les taux d’intérêt ont augmenté, ce qui a stabilisé le déficit des régimes de pension; on peut donc y voir une bonne nouvelle. Or, la situation entraîne aussi d’autres défis, et il nous faut maintenant déterminer comment résoudre certaines des questions les plus déterminantes qui nous tenailleront au pays.

M. Macklem : Vous soulevez des questions lourdes de sens. Bien entendu, la politique monétaire a une incidence considérable sur le marché de l’habitation, mais l’enjeu fondamental est l’offre de logements. Pendant un certain temps, les taux d’intérêt étaient faibles et les prix de l’immobilier, élevés. Les taux d’intérêt ont maintenant augmenté, et les prix de l’immobilier ont diminué, au niveau national, d’environ 15 %. Il faut toutefois composer avec des coûts hypothécaires plus élevés. Les prix n’étaient pas abordables quand les taux d’intérêt étaient faibles, et ils ne le sont toujours pas maintenant que les taux d’intérêt sont élevés. La politique monétaire ne réglera pas ce problème.

Nous prenons le marché de l’habitation en considération lorsque nous formulons nos projections et lorsque nous évaluons les mesures à prendre pour ramener l’inflation à la cible ainsi que les répercussions sur l’économie réelle. Le secteur de l’habitation représente une partie de l’ensemble de l’économie, et nous n’avons pas les outils pour le cibler isolément. L’offre constitue l’enjeu fondamental.

Nous n’en avons pas beaucoup parlé, mais l’immigration connaît une importante recrudescence, ce qui est bénéfique du côté de la main-d’œuvre. Nous avons connu d’importantes pénuries de main-d’œuvre. Les entrepreneurs vous diront qu’ils commencent à avoir l’impression de pouvoir recruter du personnel. Le marché de l’emploi croît bien, et le nombre de postes vacants commence à légèrement diminuer. Toutefois, les nouveaux arrivants auront bien entendu besoin de maisons. La demande en logements est sous-jacente, même si le marché du logement a faibli.

Tout ce que je peux dire, c’est qu’il est bon de voir que tous les niveaux de gouvernement — municipal, provincial, fédéral — se parlent et examinent ensemble l’offre. Je ne pense pas qu’il y aura une solution rapide à ce problème, mais il faut s’y attarder.

La présidente : Je vous remercie.

Avant que nous passions à la prochaine série de questions, j’aimerais obtenir une réponse de votre part. Au cours des dernières semaines, voire des derniers mois, ce comité se penche sur la question de l’investissement des entreprises au Canada et l’absence d’investissement. Vous avez dit aujourd’hui — et vous l’avez dit publiquement ailleurs — qu’en ce qui concerne l’état de l’économie, la politique monétaire ne suffira pas à elle seul, et je pense que tout le monde est d’accord.

L’autre grand partenaire est le secteur privé qui, comme de nombreux témoins l’ont dit, reste les bras croisés en raison de l’incertitude qui règne. Du côté du gouvernement, nous avons une situation « chaotique », comme l’a dit un témoin hier, ou du moins des dépenses non ciblées.

Vous avez ces deux acteurs dans l’équation économique et, comme vous le dites, vous avez un outil de travail limité. De quoi auriez-vous besoin de la part de ces deux autres partenaires pour vous aider à accomplir votre travail?

M. Macklem : Une faible croissance de la production est un problème chronique de longue date au Canada. Nous sommes très doués pour la croissance en augmentant la main-d’œuvre. Nous avons obtenu de très bons résultats en ce qui concerne la participation au marché du travail, et plus particulièrement la participation des femmes. Le taux de participation des mères continue d’augmenter, ce qui accroît la population active. Comme je l’ai mentionné, l’immigration augmente aussi le nombre de nouveaux travailleurs. Les entreprises ont recours au Programme des travailleurs étrangers temporaires. Nous réussissons à faire croître l’économie en augmentant la main-d’œuvre et en amenant davantage de personnes à participer au marché du travail.

Il y a aussi le rendement des travailleurs, ou la productivité. C’est le secteur qui nous a donné du fil à retordre. De nombreuses études ont été réalisées, et vous avez examiné la question.

Nous savons que l’un des meilleurs indicateurs de la croissance de la productivité est l’investissement des entreprises, en particulier dans les TIC, ou technologies de l’information et des communications, et en R-D. Nos investissements dans les entreprises, plus particulièrement dans les TIC, sont faibles. La prochaine question est de savoir pourquoi il en est ainsi, et c’est ce que vous examinez.

Il y a un certain nombre de raisons. Aucune n’a de solutions simples. C’est en partie parce que les entreprises de plus petite taille ont tendance à investir moins que les grandes sociétés, et nous avons de nombreuses entreprises de plus petite taille, si bien que c’est en partie la structure de l’économie.

Nous savons également que les entreprises axées sur l’exportation ont tendance à investir davantage et à avoir une croissance de la productivité plus élevée. Bien entendu, elles sont exposées à la concurrence internationale. Cela porte à croire — pour répondre à l’une des questions précédentes — qu’une partie du problème pourrait être la concurrence.

En ce qui concerne la commercialisation, nous sommes très doués pour inventer des choses au Canada, mais nous avons du mal à les commercialiser et à les transformer en entreprises à grande échelle. La communauté des entreprises en démarrage est devenue beaucoup plus dynamique au cours des 15 dernières années environ, mais il nous reste encore du travail à faire pour convertir ces entreprises en démarrage en grandes entreprises.

Comme l’un des sénateurs l’a mentionné, quand vous discutez avec des investisseurs internationaux, vous les entendez souvent dire, « Nous aimons le Canada et nous aimerions investir davantage au Canada, mais les approbations réglementaires prennent trop de temps ».

Ce sont là toutes des choses qui, à mon avis, méritent notre attention et sur lesquelles nous devons travailler. Comme vous l’avez mentionné, ce ne sont pas vraiment des choses sur lesquelles nous pouvons travailler du point de vue de la politique monétaire.

Nous avons quelques avantages dans ce pays. J’ai mentionné les accords commerciaux. Nous avons une excellente main‑d’œuvre, beaucoup de talents et un bon système d’éducation. Nous avons de nouveaux immigrants et nous réussissons bien à les intégrer dans l’économie. Nous devons nous appuyer sur ces avantages et travailler sur les secteurs où nous avons des faiblesses.

Notre mandat consiste à assurer une inflation faible et stable. Cela ne résout pas directement ces problèmes, mais cela crée une base et un environnement où les investisseurs étrangers regardent le Canada et disent: « C’est un pays qui a mis de l’ordre dans sa politique monétaire. Il est doté d’un bon système financier et d’un système monétaire stable. C’est le genre d’endroit où nous voulons investir. » Pour les entreprises ici au Canada, cela leur donne la confiance et la certitude qu’elles pourront planifier l’avenir. C’est une question importante, qui nous préoccupe depuis longtemps.

La présidente : J’ai une question complémentaire rapide à poser. Pas plus tard qu’hier soir, nous avons entendu un témoignage selon lequel la création de richesse par la création d’emplois est un vieux modèle. Nous avons beaucoup d’entreprises en démarrage, mais nous vendons; nous ne possédons pas la propriété intellectuelle. C’est ce que nous avons entendu. Envisager les choses uniquement en tenant compte du nombre d’emplois créés n’est pas un modèle qui nous permettra d’aller du point A au point B.

M. Macklem : Je souscris à ce que vous dites. L’immigration augmente la population active et le taux de participation, mais ces éléments ne font que compenser le vieillissement de la société et le déclin de la croissance de notre population active. Dans ce contexte, si nous voulons maintenir le type de croissance que nous avons connu, la seule option est la croissance de la productivité. Nous devons augmenter la croissance de la productivité, sinon notre taux de croissance diminuera.

La présidente : Je vous remercie d’avoir répondu à cette question pour nous.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je vais continuer dans la même veine que la présidente sur les travaux que l’on fait. En vous écoutant, on constate qu’il y a des limites majeures à l’utilisation de la politique monétaire pour ce qui est de la stabilité des prix par opposition à tous les autres objectifs.

On a besoin de pain et de beurre sur la table. Il faut des emplois, mais aussi de la croissance et de la stabilité. Je voudrais vous entendre au sujet de la France où, dans le contexte des problèmes liés à l’inflation, il y a eu des gagnants. Le gouvernement, par le biais des taxes à la consommation, a gagné un peu avec l’inflation. Il y a des entreprises qui gagnent avec l’inflation. La France a décidé de baisser les impôts, pour aider l’économie et remédier aux pressions salariales inflationnistes. Qu’est-ce que vous pensez de l’utilisation de la politique fiscale pour accompagner une politique monétaire qui, si elle est trop restrictive et très instable, nuira à la prospérité de l’investissement?

M. Macklem : Nous nous occupons de la politique monétaire. C’est le Parlement et le Sénat qui sont responsables de la politique fiscale. Je vais les laisser prendre ces décisions. Il y a toutes sortes de priorités gouvernementales et il y a différents choix à faire. Ce n’est pas notre mandat de prendre ces décisions ou même de donner des conseils.

J’aimerais toutefois dire deux choses, parce que si les décisions affectent l’inflation, cela fait partie de notre travail. Les gouvernements de partout dans le monde, comme celui du Canada, veulent protéger leurs citoyens de l’inflation, surtout les plus vulnérables et les personnes à faible revenu. Celles-ci sont grandement affectées, et il y a de bonnes raisons de les protéger.

Je pense que le conseil du FMI à ce sujet est très bon : si vous faites cela, assurez-vous que ce soit temporaire et ciblé pour les personnes qui en ont vraiment besoin. Comme le sénateur Yussuff l’a dit, ce ne sont pas les personnes qui sont autour de cette table. Ce sont les personnes qui en ont vraiment besoin que l’on veut cibler avec ce soutien, et il faut que ce soutien soit temporaire. Nous sommes déterminés à réduire l’inflation. C’est une situation temporaire. Lorsque le taux d’inflation est bas, nous n’avons pas besoin de ces protections. La meilleure façon de protéger les citoyens contre l’inflation, c’est de l’éliminer.

L’autre élément, c’est qu’on a besoin d’une période de croissance faible pour laisser à l’offre suffisamment de temps pour rattraper la demande, et pour mieux équilibrer l’offre et la demande afin de réduire les pressions à la baisse.

Au Canada, nous avons augmenté les taux d’intérêt rapidement pour réduire ces pressions inflationnistes. Si le gouvernement dépense trop, cela ira dans l’autre direction et il y aura plus de travail à faire pour ce qui est de la politique monétaire. Il est donc important d’avoir une certaine cohérence entre les deux politiques.

[Traduction]

Le sénateur Gignac : J’ai deux questions, mais si je veux laisser du temps à mes collègues, veuillez limiter votre réponse à trois ou quatre minutes.

Lors de la mise à jour financière du gouvernement l’automne dernier, la ministre Freeland a surpris le marché lorsque le gouvernement a décidé d’annuler les obligations à rendement réel. La Bond Trading Association a été très surprise, comme elle l’a exprimé dans son communiqué de presse. Dans le dernier budget, il a été question de l’abolition potentielle des actions commerciales adossées à des créances hypothécaires.

Quel est votre rôle? Vous avez un comité de gouvernance. Participez-vous à cette décision, ou est-ce le ministère des Finances qui décide et c’est tout?

M. Macklem : La Banque du Canada est indépendante de la politique monétaire. Lorsqu’il s’agit de questions comme celle que vous avez soulevée, le gouvernement est essentiellement notre client. Il prend les décisions et nous les mettons en œuvre. Les décisions relatives à l’annulation des obligations à rendement réel ou des obligations hypothécaires du Canada sont des décisions du gouvernement. Il existe un comité de la Banque du Canada et du ministère des Finances qui discute de ces questions, mais les décisions sont prises par le ministère des Finances.

Le sénateur Gignac : Ma deuxième question est facile et concerne le rôle de la politique fiscale. Nous savons que même Ottawa est très divisé sur le rôle de la politique fiscale sur l’inflation, notamment. Dans votre Rapport sur la politique monétaire, vous avez mentionné que, par rapport à janvier, la mesure fiscale supplémentaire était supérieure de 25 milliards de dollars à ce qu’elle était pour cette année. Cela comprend les mesures provinciales et fédérales. C’est 1 % du PIB.

Au cours des 12 derniers mois, avez-vous qualifié la politique fiscale d’expansionniste pour contribuer à la pression inflationniste?

M. Macklem : Nous prenons ces projections fiscales. Nous prenons tous les budgets fédéraux et provinciaux et nous les intégrons dans nos projections. Cela représente environ 25 milliards de dollars, et vous pouvez voir l’incidence : nous avons révisé à la hausse la contribution à la croissance des dépenses publiques.

Si l’on considère les dépenses publiques à l’avenir dans les projections, le taux de croissance est de 2 % ou 2,5 % du PIB. Dans nos projections, la croissance potentielle est d’environ 2 %. Cela signifie que la croissance des dépenses publiques correspond à peu près à la croissance potentielle.

Je dirais que le gouvernement ne contribue pas au ralentissement de l’économie ni à l’atténuation des pressions sur les prix, mais que, parallèlement, la croissance des dépenses publiques n’est pas nettement supérieure à la croissance de l’offre de l’économie, de sorte qu’il ne fait pas obstacle au retour de l’inflation à la cible fixée. Vous pouvez voir dans notre projection que nous ramenons l’inflation à son niveau cible d’ici la fin de l’année 2024.

Le sénateur Gignac : Je comprends que cela ne contribuera pas à l’avenir, mais est-il juste de dire qu’au cours des 12 derniers mois, elles ont contribué à stimuler la demande de manière significative? Vous avez parlé de 3,5 %.

M. Macklem : Au cours de la dernière moitié de l’année dernière, la croissance des dépenses publiques se situait autour de 3.5 %. Il est certain que si cette tendance s’était poursuivie, elle aurait fait obstacle à ce que l’inflation revienne à la cible fixée.

Le sénateur Gignac : Je vous remercie.

Le sénateur Loffreda : Je vous félicite à nouveau pour votre politique monétaire. Elle commence à montrer beaucoup de progrès et de succès. L’IPC, l’Indice des prix à la consommation, est toujours supérieur à l’objectif, mais il ralentit. Les augmentations et les pressions salariales ralentissent également et perdent de la vitesse. Le marché du logement reste un problème, mais les augmentations de prix ne sont plus la principale préoccupation.

Nous avons abordé de nombreux sujets ce matin, mais si je vous demandais de faire une prédiction audacieuse, à quelle vitesse pensez-vous que la demande excédentaire se transformera en offre excédentaire dans notre économie? À quelle vitesse cela vous amènerait-il à réduire les taux d’intérêt? Pouvons-nous dire que vous visez le début de l’année 2024 pour une réduction des taux d’intérêt afin d’alléger l’endettement élevé des consommateurs?

Je vois votre réaction, mais si ce n’est pas le cas, qu’est-ce qui vous empêche de dormir? Nous avons abordé de nombreux sujets ce matin. Nous avons parlé de la demande des consommateurs, des enjeux géopolitiques, de la monnaie, des marchés du travail, de l’endettement des ménages et des marchés des ménages. Qu’est-ce qui empêcherait une baisse des taux d’intérêt au début de 2024 et donnerait de l’espoir aux Canadiens?

M. Macklem : Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration liminaire, il y a trois choses que nous examinons pour vérifier si l’inflation va revenir à 2 %, et il s’agit des anticipations d’inflation. À l’heure actuelle, les anticipations d’inflation diminuent avec l’inflation réelle, mais si vous interrogez les ménages et les entreprises, ce qu’ils nous disent, c’est que leurs anticipations d’inflation sont encore plus élevées que nos propres prévisions. Il reste donc du travail à faire pour les faire baisser. Tant qu’elles dépassent nos propres prévisions, c’est une force ascendante.

Les baisses de l’inflation que nous avons enregistrées concernent principalement les biens. L’inflation des prix des services n’a pas encore vraiment diminué. C’est en partie lié à la croissance des salaires, qui n’a pas encore diminué. Elle se situe entre 4 et 5 %. L’inflation des prix des services est d’environ 5 %.

Pour parvenir à une inflation de 2 %, il faut que l’inflation des prix des services diminue. Nous avons déjà beaucoup parlé du comportement des entreprises en matière de tarification. Il commence à se normaliser. Les augmentations de prix ne sont plus aussi fréquentes ni aussi importantes. Mais si vous regardez la distribution des changements de prix, elle est probablement à mi-chemin du retour à la normale. Les choses évoluent dans la bonne direction, mais il reste du chemin à faire.

Ce qui nous préoccupe, c’est que... nous avons bon espoir que l’inflation va descendre à 3 %, mais nous craignons qu’il soit difficile de la faire passer de 3 à 2 % et qu’elle stagne. Et c’est pourquoi si nous constatons que c’est ce qui se produit, nous devrons probablement augmenter à nouveau les taux d’intérêt pour ramener l’inflation à 2 %.

En ce qui concerne la réduction des taux d’intérêt, la raison pour laquelle je souriais est que nous ne décidons pas maintenant de ce que nous allons faire pour les taux d’intérêt dans six mois. Nous déciderons dans six mois lorsque nous disposerons des meilleures données possibles. J’ai dit le jour de la conférence de presse que le marché, à ce moment-là — et il est maintenant en quelque sorte exclu —, avait intégré des réductions de taux d’intérêt cette année. Nous avons dit qu’étant donné qu’il nous faut encore beaucoup de progrès dans ces domaines, une réduction des taux d’intérêt cette année ne nous semblait pas être le scénario le plus probable. Nous prendrons des décisions en temps voulu, mais il pourrait être nécessaire de maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé pendant un certain temps afin de ramener l’inflation à son niveau cible.

Nous ne prenons pas de décision sur ces taux d’intérêt aujourd’hui, mais nous essayons d’être très clairs sur les éléments que nous observons et qui seront importants pour notre décision, et tout le monde peut les voir aussi.

La présidente : Je vous remercie.

La sénatrice Simons : J’ai posé ma dernière question sur les taux d’intérêt du point de vue d’un créancier hypothécaire. J’aimerais maintenant la poser du point de vue d’une banque. Ces derniers temps, nous avons vu les banques allonger de plus en plus les périodes d’amortissement des prêts hypothécaires qu’elles détiennent en raison de ces hausses de taux d’intérêt. Quelqu’un vient de me faire parvenir un article dans lequel on peut lire ceci :

Les grands prêteurs tels que la RBC, la BMO et la CIBC enregistrent des pourcentages nettement plus élevés de leurs portefeuilles d’hypothèques avec des périodes d’amortissement supérieures à 30 ans. Aucune de ces banques n’avait d’hypothèque avec une période d’amortissement supérieure à 30 ans en octobre 2021. Au quatrième trimestre... 30 % de leurs portefeuilles hypothécaires avaient des taux d’amortissement supérieurs à 30 ans.

Pour faire suite à la question du sénateur Yussuff et de la sénatrice Marshall, dans quelle mesure êtes-vous préoccupée par la stabilité des banques? Vous savez, j’ai une amie à Toronto qui pensait que sa situation de logement était très stable. Elle a dû prendre un pensionnaire à cause des changements dans les taux de son hypothèque.

Je pensais comme un consommateur, mais si je pense comme un président de banque ou comme le gouverneur de la Banque du Canada, dans quelle mesure devrions-nous nous inquiéter de l’incidence des bouleversements potentiels sur les marchés du logement, en particulier sur les marchés en surchauffe à Toronto et à Vancouver? Quelle est l’incidence négative sur les banques?

Mme Rogers : Encore une fois, je vous encourage à poser ces questions au surintendant des institutions financières lorsqu’il viendra vous voir la semaine prochaine.

La sénatrice Simons : Nous le ferons.

Mme Rogers : Je vais vous donner mon point de vue, et j’espère qu’il ne sera pas trop différent de ce qu’il vous dira.

Les prêts hypothécaires représentent une part importante du bilan de nos banques, et l’une des particularités des banques canadiennes est qu’elles ont tendance à conserver les prêts hypothécaires dans leur bilan. Cela signifie plusieurs choses. La première est qu’elles pensent que c’est un bon risque à prendre. Les Canadiens paient leurs hypothèques. Si vous parlez aux banquiers, ils vous diront toujours que les Canadiens se donnent beaucoup de mal pour s’assurer qu’ils peuvent payer leurs hypothèques.

La réglementation relative aux prêts hypothécaires au Canada est également très stricte. L’une des principales différences est que nous avons toujours mis l’accent sur le service de la dette plutôt que sur la valeur de la garantie. Ainsi, la réglementation et la souscription que l’on trouve dans les banques canadiennes, en général et en particulier pour les prêts hypothécaires, ne reposent pas uniquement sur le rapport prêt-valeur ou sur le fait que les prix de l’immobilier continuent à augmenter. Nous avons toujours mis l’accent sur le service de la dette.

Je me souviens qu’il y a plusieurs années, dans le cadre d’un emploi précédent que j’occupais, j’ai parlé à ce comité de ce qu’on appelle la Ligne directrice B-20, la ligne directrice réglementaire pour les normes de souscription des banques pour les prêts hypothécaires. C’est là que nous avons mis en œuvre le test de résistance ici au Canada, il y a plusieurs années, lorsque les taux d’intérêt étaient très bas, exactement pour ce type de scénario et pour l’éventualité que les taux d’intérêt augmentent, et nous ne voulions pas que les emprunteurs soient à bout de ressources au point de ne pas pouvoir absorber une augmentation des taux d’intérêt.

Les taux d’intérêt ont augmenté considérablement, et en particulier sur un marché où les prix de l’immobilier sont élevés, ce qui signifie que les emprunteurs sont à bout de ressources. C’est une situation que nous surveillons de près et que le BSIF surveille de près.

Les chiffres dans cet article ne me semblent pas tout à fait exacts, à savoir que 30 % des prêts hypothécaires sont amortis sur 30 ans.

La sénatrice Simons : Il est paru dans une revue intitulée Canadian Mortgage Trends.

Mme Rogers : Il faut être prudent avec certains de ces chiffres, qu’il s’agisse de l’inventaire ou des flux, entre autres choses, ou du nombre de nouveaux prêts hypothécaires souscrits par rapport au nombre total de prêts hypothécaires dans le système.

Encore une fois, nous avons discuté avec des représentants de certaines grandes banques la semaine dernière. Nous leur avons posé les mêmes questions : Comment gérez-vous ces situations? Ils ont dit qu’ils travaillaient avec les emprunteurs, et c’est une bonne chose. Il ne faut pas que les emprunteurs allongent leurs amortissements ou ne paient que des intérêts. Ce n’est pas une solution durable à long terme, alors c’est certainement quelque chose que nous garderons à l’œil.

La sénatrice Marshall : De nombreuses jeunes personnes me racontent qu’ils allongent leur période d’amortissement et qu’ils ajoutent leurs frais d’intérêt au solde de leur prêt. Toutefois, la question que j’ai pour vous concerne un amendement proposé à la Loi sur la Banque du Canada dans le budget de cette année. Avez-vous examiné cet amendement? Avez-vous participé à l’élaboration de son libellé? L’appuyez-vous? Il s’agit de votre loi, la Loi sur la Banque du Canada. Il y a un amendement dans le budget.

M. Macklem : Est-ce celui relatif aux pertes?

La sénatrice Marshall : En effet, celui au sujet des pertes. Ma question est la suivante. Avez-vous examiné l’amendement? Y êtes-vous favorable, en avez-vous besoin...

M. Macklem : Oui, nous l’avons examiné. Nous en avons aussi discuté avec eux à l’avance.

La sénatrice Marshall : ... et a-t-il des répercussions non voulues?

M. Macklem : Non, c’est une bonne solution.

La sénatrice Marshall : Vous l’avez vu, n’est-ce pas?

Mme Rogers : Oh, oui.

M. Macklem : Il s’agit d’une bonne solution. En gros, comme l’a mentionné la première sous-gouverneure, nous aurons des pertes pendant quelques années, puis nous renouerons avec les profits, après quoi nous pourrons utiliser ces profits pour reconstruire et compenser les pertes, puis nous reprendrons les versements.

La sénatrice Marshall : Vous avez besoin de cet amendement, non? Je ne...

M. Macklem : Oui.

La sénatrice Marshall : ... connais pas très bien la loi en question.

M. Macklem : Nous avons besoin de l’amendement, parce que d’après le fonctionnement actuel de la Loi sur la Banque du Canada, si nous dégageons des bénéfices, il nous faut les reverser. Selon le libellé actuel, nous ne sommes pas habilités à compenser les pertes. L’amendement permet à la Banque du Canada de gérer ses propres profits et pertes, et...

La sénatrice Marshall : Je me disais que si vous essuyez une perte, vous ne pouvez pas faire de versement de toute façon. Alors, avez-vous besoin de cet amendement?

M. Macklem : Nous en avons besoin.

Mme Rogers : Oui, en effet.

M. Macklem : Dès que nous inscrivons des bénéfices ou des profits, nous ne sommes pas habilités à rétablir les capitaux propres nets. Alors si l’on veut retrouver des capitaux propres positifs, nous devons être habilités à le faire.

La sénatrice Marshall : Cette perte de revenus de la Banque du Canada affecte les résultats du gouvernement du Canada. Vous le savez, n’est-ce pas?

M. Macklem : En effet. Écoutez, je ne veux pas minimiser l’importance de la question, mais dans la première partie de la pandémie, alors que notre bilan affichait une croissance rapide, nous avons versé 2,6 milliards de dollars supplémentaires. Il s’agit d’un changement de cycle.

La sénatrice Marshall : Il est très étrange de voir des revenus nets négatifs sur le bilan financier du gouvernement, n’est-ce pas? D’accord. Merci.

Le sénateur Yussuff : Monsieur le gouverneur, vous savez que la probabilité d’une récession est l’une des grandes inquiétudes, encore plus en raison des Américains, qui pourraient nous entraîner sur leur pente glissante. Je vois les chiffres. Je ne vois pas nécessairement la situation de cette façon, mais j’ai peut-être complètement tort. Votre équipe examine la situation des États-Unis beaucoup plus attentivement que nous. Il se trouve que j’ai voyagé récemment, et j’ai remarqué que beaucoup plus de Canadiens voyagent aussi. Je présume que, pour la première fois cet été, où nous aurons moins de restrictions attribuables à la pandémie, les gens auront toutes sortes de plans de voyage. De manière générale, faut-il présumer que notre situation n’est pas la même, et qu’il y a simplement beaucoup de spéculation quant aux répercussions possibles?

M. Macklem : J’ai quelques commentaires. Dans la seconde partie de votre question, vous avez parlé des Canadiens qui voyagent. Nous constatons que le secteur des biens s’est rétabli beaucoup plus rapidement pendant la pandémie, parce qu’il était possible d’acheter des biens même pendant le confinement. En revanche, il n’était pas possible de profiter de nombreux services avant que les activités reprennent. Les Canadiens sont encore en rattrapage par rapport à certains de ces services qu’ils n’ont pas pu obtenir. Cela explique en partie pourquoi l’économie connaît encore une demande excédentaire.

Je reviens à votre question, sénateur Loffreda. Nous nous attendons à ce que l’économie affiche une offre excédentaire modeste au cours de la seconde moitié de cette année. Cependant, à l’heure actuelle, nous connaissons encore une demande excédentaire, ce qui exerce une pression à la hausse sur le prix des services. Je comprends cela. Les Canadiens n’ont pas pu en profiter et ils veulent se rattraper, mais cela crée une pression constante sur le prix des services. Il s’agit du phénomène qui ne s’est pas encore estompé.

Nous ne prévoyons pas de récession. Nous prévoyons une croissance très faible, mais légèrement positive. Quand on fait des prévisions légèrement positives, on ne peut pas exclure que les résultats puissent aussi être légèrement négatifs.

Quoi qu’il en soit, la situation ne sera pas reluisante. La croissance sera faible, mais comme je l’ai affirmé plus tôt, ce n’est pas ce que ressent la population. Quand on prononce le mot « récession », la population pense à de vastes pertes d’emplois et à un important déclin de l’économie. Ce n’est pas ce que nous prévoyons. Nous prévoyons un retour de l’inflation à la cible et une croissance faible, mais légèrement positive. Elle sera peut-être, en fin de compte, faible et légèrement négative, mais ce ne sera pas une récession.

Le sénateur Yussuff : Les chiffres de l’emploi aux États-Unis et au Canada sont assez stables et, en réalité, ils sont assez robustes, aux États-Unis.

M. Macklem : Oui, je peux parler davantage de la situation canadienne. Si l’on examine les statistiques du marché de l’emploi, on constate que le taux de chômage de 5 % — un taux historiquement bas — n’a pas bougé. Le taux le plus faible enregistré est de 4,9 %; nous y sommes pratiquement. Parallèlement, les statistiques mensuelles indiquent une assez forte croissance de l’emploi, ce qui s’explique en partie par la croissance de la population, par une plus forte participation au marché de l’emploi et par les travailleurs étrangers temporaires. Cela veut dire que nous pouvons probablement maintenir de hauts taux mensuels de gains d’emplois sans créer davantage de demandes excédentaires, parce qu’il y a plus d’immigration et plus de travailleurs qui participent à l’économie.

Je souligne aussi que si l’on prend une économie affichant une demande excédentaire et qu’on y ajoute plus d’offres, cela aide à alléger certaines pressions sur le marché de l’emploi, mais ces travailleurs consomment, eux aussi, alors on ajoute de la demande. Si on commence dans un état de demande excédentaire et qu’on ajoute à la fois de l’offre et de la demande, on reste dans une demande excédentaire et il faut faire intervenir davantage la politique monétaire pour ralentir l’économie et juguler l’inflation.

La sénatrice Ringuette : Vous avez indiqué faire partie d’un comité et être en dialogue constant avec le ministère des Finances. C’est très bien. Étant donné que le marché immobilier a eu un tel effet sur l’inflation, tenez-vous des discussions régulières avec la Société canadienne d’hypothèque et de logement, ou SCHL?

Mme Rogers : Laissez-moi préciser que le comité auquel le gouverneur faisait référence est celui dont nous nous servons en notre capacité d’agent financier du gouvernement, mais il existe d’autres comités du ministère des Finances auxquels nous participons sur une variété de questions de politique publique.

De temps en temps, nous discutons, en effet, avec la SCHL. Comme l’a affirmé le gouverneur, nous faisons partie de toute une myriade de comités. L’un supervise le Bureau du surintendant des institutions financières; le Comité consultatif supérieur, ou CCS, s’occupe de politiques liées au logement, par exemple. La SCHL n’est pas officiellement membre de ces comités, mais si nous abordons précisément le logement, elle sera souvent invitée à prendre part à la discussion.

La sénatrice Ringuette : Aux fins de transparence, pourriez-vous nous fournir une liste des comités dont vous parlez?

Mme Rogers : Bien sûr. Aucun problème.

M. Macklem : Il y en a trois principaux. Le sénateur Gignac les connaît bien. Il y a celui nommé CSIF. Vous souvenez-vous du nom complet?

Mme Rogers : Oui, le Comité de surveillance des institutions financières.

M. Macklem : Ce comité est présidé par le surintendant des institutions financières, Peter Routledge. La Banque du Canada, le ministère des Finances, la Société d’assurance-dépôts du Canada et l’Agence de la consommation en matière financière du Canada en font partie.

Il y en a un autre nommé le Comité consultatif supérieur, ou CCS — tous des noms inspirants —, présidé par le sous-ministre des Finances et composé des mêmes membres. Il s’occupe des vulnérabilités financières, du logement, des politiques publiques du secteur financier — des questions de politique publique, contrairement au CSIF, qui a un mandat de surveillance.

L’autre comité principal est celui dont nous avons parlé, le comité relatif au rôle d’agent financier, un comité assez restreint qui s’occupe d’enjeux comme l’adjudication des titres de la dette et la stratégie de la dette.

La présidente : Et le gouverneur en conseil?

M. Macklem : Le gouverneur en conseil ne concerne que la Banque du Canada. La sénatrice s’enquérait des comités avec le ministère des Finances.

Mme Rogers : La coordination existante entre ces différents organismes est l’une des forces du système canadien. Nous nommons cette collection de comités le filet de sécurité financière.

La présidente : Merci.

Le sénateur Marwah : Monsieur le gouverneur, je hais vous poser une autre question hypothétique, mais celle-ci est plus facile.

Je veux donner suite à la question qu’a posée le sénateur Loffreda, au sujet du lien entre le taux de la Banque du Canada, le taux des fonds fédéraux et le dollar canadien. Plus l’écart est grand, plus la valeur du dollar descend, et un dollar faible a un impact direct sur l’inflation du prix des aliments, parce qu’une quantité considérable de nos aliments proviennent des États-Unis.

Étant donné le lien existant, y aurait-il une différence entre le taux de la Banque du Canada et le taux des fonds fédéraux au-delà de laquelle vous croyez qu’il vous faudra agir?

M. Macklem : Ces questions hypothétiques posent un problème : la réponse dépend de tout le reste du contexte. Cela dépend des raisons qui expliquent l’écart. Il est très difficile de répondre à ces questions de manière hypothétique.

Tout ce que je peux vous dire, c’est que nous tenons compte de cet indicateur. Mais le Canada croit à la souplesse des taux de change. Cela fait partie intégrante de notre système. C’est ce qui permet à la Banque du Canada de prendre des décisions de politique monétaire dans l’intérêt supérieur des Canadiens. Si nous avions un taux de change fixe, ce serait la Réserve fédérale américaine qui, en gros, établirait la politique monétaire du Canada. Notre économie diffère de l’économie américaine. Plus précisément, son secteur des produits de base est bien plus important. En ce moment, nous avons une croissance de la population bien plus rapide et de plus forts taux d’immigration. Les différences sont importantes.

En ce qui concerne la politique monétaire, quand les États-Unis relèvent leurs taux d’intérêt, cela a une grande incidence sur les nouveaux acheteurs, mais pas tant sur les détenteurs actuels, parce que ceux-ci ont des hypothèques de 30 ans. Comme la première sous-gouverneure l’indiquait — elle s’y connaît, ayant été banquière —, chez nous, un prêt hypothécaire typique dure cinq ans à taux variable. À mesure que ceux-ci arrivent à échéance, les taux plus élevés touchent les ménages. Ainsi, la politique monétaire fonctionne probablement mieux pour les consommateurs qu’ici, au Canada. Tous ces facteurs sont différents, et la souplesse du taux de change nous permet de décider de la politique monétaire du Canada.

Oui, nos prenons acte de l’effet du taux de change, et cela fait partie de la transmission de la politique monétaire, mais le fait d’avoir un taux de change souple est un avantage.

La sénatrice Simons : Étant Albertaine, je sens qu’il m’incombe de poser la question suivante.

Au début de la pandémie, le prix du pétrole s’est effondré au point d’atteindre des valeurs négatives. Aujourd’hui, les prix ont repris leur vigueur. Ils se sont stabilisés entre 75 et 80 dollars américains pour le Western Texas Intermediate, ou WTI. En Alberta, la hausse des prix du pétrole est un élément favorable, mais pas ailleurs, en raison de son effet sur l’inflation.

Vous avez parlé de la volatilité des prix des produits de base et de l’incidence du phénomène sur l’économie canadienne. Quelles sont vos projections à cet égard? La situation est très différente d’une région à l’autre du pays.

M. Macklem : Ma réponse vous décevra. Nous ne faisons pas de prévisions sur les prix du pétrole. Nous ne faisons de prévisions ni sur le taux de change ni sur le prix du pétrole. Ainsi, dans nos projections, nous présumons que le prix du pétrole demeurera près de son niveau actuel. En examinant la courbe du marché à terme, on constate qu’il est légèrement inférieur à cela. Il est très difficile de prédire le prix du pétrole. À mon avis, il est plus sûr d’inclure dans notre projection — vous connaissez les cycles — la présomption que le prix actuel demeurera stable. Évidemment, si le prix du pétrole baisse, l’inflation d’autres choses égales par ailleurs baissera plus rapidement.

L’un des risques à la hausse que nous faisons ressortir est le fait que la Chine reprend ses activités. Son économie prend de la vigueur. Avec la reprise des activités chinoises, la croissance a eu lieu particulièrement dans son secteur des services. Son secteur manufacturier ne fonctionne pas encore à pleine vapeur. À mesure que les activités prennent de l’ampleur, on pourrait voir une augmentation de la demande mondiale en énergie, et cela pourrait augmenter le prix du pétrole. Comme vous le dites, ce serait positif pour les producteurs en Alberta, mais les Canadiens en verraient les effets sur l’inflation.

La sénatrice Simons : Ce serait également le cas en Europe.

M. Macklem : Oui. Qui sait ce que fera Vladimir Poutine? Qui sait ce que fera l’Organisation des pays exportateurs de pétrole?

La présidente : Je pose une question de plus. Il ne s’agit pas vraiment d’une question hypothétique, mais dans un certain sens, elle l’est. Le Canada est devenu la première autorité monétaire d’importance du monde développé à marquer un temps d’arrêt sur la hausse des taux d’intérêt. Si le président de la Réserve fédérale américaine vous appelait pour vous poser des questions sur votre politique, quelle serait, en un mot ou une phrase, votre réponse?

M. Macklem : En fait, les gouverneurs des principales banques centrales se parlent plutôt régulièrement. Nous nous sommes rassemblés la semaine dernière au Fonds monétaire international et nous nous reverrons bientôt au Comité de Bâle.

Ma réponse, en une phrase, serait que nous avons augmenté les taux rapidement et que cela fonctionne. Nous savons que les effets de la politique monétaire se font sentir à retardement, et nous nous servons de la pause actuelle pour évaluer si nous avons suffisamment relevé les taux pour revenir à la cible.

La présidente : Merci beaucoup. En notre nom à tous, je vous remercie pour votre temps au cours de cette séance‑marathon et d’avoir accepté de répondre à toutes nos questions réelles et hypothétiques au sujet de l’état de l’économie. Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, et Carolyn Rogers, première sous-gouverneure de la Banque du Canada, nous vous sommes reconnaissants d’avoir offert votre temps et vos commentaires sur la question.

(La séance est levée.)

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