LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 27 avril 2023
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à toutes les personnes présentes dans la salle ou en ligne. Soyez tous les bienvenus à la réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité.
Nous poursuivons aujourd’hui nos discussions sur l’investissement des entreprises au Canada, ou le manque d’investissement. J’aimerais présenter les autres membres du comité, qui poseront des questions difficiles : le sénateur C. Deacon, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, le sénateur Smith et le sénateur Yussuff. La sénatrice Galvez remplace aujourd’hui la sénatrice Ringuette, et le sénateur Cardozo remplace le sénateur Gignac. Bienvenue à vous également.
Commençons la première partie de notre réunion. Nous avons le plaisir d’accueillir en personne — et nous en sommes très heureux, veuillez nous en excuser — M. Sachin Aggarwal, chef de la direction de la société Think Research.
Nous vous remercions beaucoup de votre présence. Nous vous demandons tout d’abord de faire votre déclaration préliminaire.
Merci.
Sachin Aggarwal, chef de la direction, Think Research Corporation : Madame la présidente, monsieur le vice-président, sénatrices et sénateurs, je vous remercie de me donner l’occasion de vous parler aujourd’hui.
Je suis le chef de la direction de Think Research, une société de logiciels de soins de santé basée à Toronto qui compte plus de 500 employés à l’heure actuelle. En raison du travail que nous accomplissons pour des gouvernements provinciaux au Canada et d’autres gouvernements dans le monde, nous détenons des millions de dossiers de patients. De plus, nous avons plusieurs brevets de logiciels. Je suis agrégé supérieur à l’École Munk des affaires internationales et des politiques publiques, et j’ai été investisseur, conseiller et membre du conseil d’administration de nombreuses entreprises en démarrage et en expansion dans le secteur de l’innovation. Je siège également au conseil d’administration du Conseil canadien des innovateurs, que vous connaissez peut-être par l’intermédiaire de son fondateur et président, Jim Balsillie. J’ai également été nommé récemment pour conseiller l’Ontario sur la gouvernance et l’utilisation des données.
Les Canadiens et les gouvernements canadiens avancent comme des somnambules vers une nouvelle réalité dont profitent avec succès les multinationales et les très grandes entreprises d’aujourd’hui — Google, Facebook, Amazon, Uber, etc. — depuis une vingtaine d’années. Pour la plupart des entreprises commerciales, voire toutes les entreprises commerciales, la propriété intellectuelle et les données sont les actifs et les intrants essentiels de l’économie d’aujourd’hui.
Si les actifs corporels comme les usines et les emplois demeurent importants, les actifs incorporels comme la propriété intellectuelle et les données sont devenus essentiels dans le paysage commercial d’aujourd’hui. Ces actifs représentent aujourd’hui plus de 90 % de la valeur des entreprises, ce qui en fait les principaux moteurs de la valeur économique. Négliger les actifs incorporels revient à passer à côté de la majorité de la valeur économique.
Il y a plusieurs décennies, les États-Unis, la Chine, l’Europe et d’autres pays avisés sont passés à l’acquisition d’actifs incorporels. Pour les multinationales, la propriété intellectuelle et les données sont le carburant avec lequel elles fonctionnent. Le Canada n’a pas fait de la possession et de la commercialisation de la propriété intellectuelle une priorité et n’a pas compris la valeur des données en tant qu’actif.
Aujourd’hui, je parlerai surtout des données en tant qu’actifs incorporels essentiels, et plus particulièrement du domaine des soins de santé, que je connais bien.
Soit dit en passant, en 2020, chaque citoyen canadien a généré près de deux mégaoctets de données par seconde. Je dis bien « par seconde ».
Avec les données vient la recherche fondamentale, puis l’innovation et la commercialisation — donc recherche, puis innovation et commercialisation. De nouveaux produits, de nouvelles solutions et, dans certains cas, des algorithmes et de l’intelligence artificielle, ou IA, en découlent par la suite. Les gouvernements, les entreprises et les citoyens utilisent ensuite ces produits et services, ce qui génère une énorme quantité de nouvelles données, lesquelles conduisent, une fois encore, au développement de la propriété intellectuelle et aux droits de propriété intellectuelle, à l’investissement, à la productivité et, en fin de compte, à la richesse.
Toutes les entreprises commerciales et tous les gouvernements — directement ou indirectement — gagneront ou perdront en fonction de la manière dont ils utilisent les données. Or, des lacunes et des obstacles font en sorte qu’il est très difficile pour les organismes du secteur public, les communautés, les chercheurs et les entreprises d’obtenir les données de qualité dont ils ont besoin pour améliorer les résultats pour la santé, la société, la sécurité et l’économie.
Malheureusement, au cours des 35 dernières années, je ne pense pas que ce soit quelque chose que nous ayons vraiment compris au Canada. Nous n’enseignons pas cela et nous ne formons pas les gens pour cela, ce qui fait que c’est absent de notre secteur public. Par conséquent, nous ne comprenons pas et nous ne gouvernons pas en conséquence.
Ensuite, nous dépensons d’énormes sommes d’argent... Ce n’est pas qu’il ne s’agit pas des bonnes sommes. C’est seulement qu’elles sont investies aux mauvais endroits. Nous consacrons d’énormes sommes à la recherche fondamentale, mais nous ne payons pas pour la commercialisation ou l’innovation ou nous ne favorisons pas la commercialisation ou l’innovation. La recherche fondamentale, oui, mais la commercialisation et l’innovation, non. Nous n’obtenons ni ne possédons donc la propriété intellectuelle ou les données générées par cette recherche. La propriété intellectuelle permettant de générer et de saisir les données est alors confiée à des entreprises étrangères. Et ce sont elles qui créent ensuite les produits et les services que nous consommons.
C’est déjà assez déplorable, mais écoutez bien ceci : le pire, c’est que les gouvernements, les entreprises et les citoyens canadiens paient à nouveau pour cela. On a payé une fois. C’est la propriété de quelqu’un d’autre, et on paie à nouveau lorsqu’on achète les données, les logiciels, les solutions et les produits technologiques qui sont créés par ces mêmes multinationales. Et parce que nous ne comprenons pas la valeur des données que génère l’utilisation de ces solutions... et, soit dit en passant, ces données tendent à être dans des formats propriétaires, dans des modèles de données faisant l’objet d’une propriété exclusive de sorte qu’il est difficile pour nous de les utiliser.
Que faisons-nous alors? Nous achetons ces produits et services, puis nous faisons don des données lorsque nous faisons ces achats. Ensuite, les multinationales étrangères génèrent davantage de propriété intellectuelle et de nouvelle propriété intellectuelle à partir de notre utilisation des données pour lesquelles nous avons maintenant payé deux fois. Et le cycle se répète.
En faisant de l’emploi à tout prix notre seule priorité et des dépenses de recherche fondamentale notre seule politique d’innovation, nous ne comprenons pas que la propriété intellectuelle et le contrôle des données créeront plus d’emplois et des emplois mieux rémunérés. Fait important, cela permettra de rapatrier au Canada les rentes économiques du reste du monde. C’est ce que permettent les droits de propriété intellectuelle et le contrôle des données.
Fait très important, les gouvernements sont en mesure de récolter les mêmes avantages économiques que les entreprises commerciales, et même plus. Dans l’économie axée sur les données, notre capacité collective à recueillir puis à utiliser efficacement les données générées par les gouvernements et les citoyens déterminera si nous pouvons fournir des services sociaux, des soins de santé et des services de sécurité nationale abordables et efficaces, en plus de ces emplois bien rémunérés.
Dans l’économie axée sur les données, les entreprises et les nations rivalisent, en fin de compte, pour la position de vainqueur. Malheureusement, le Canada a été absent de cette course en payant aveuglément des rentes à d’autres joueurs. Il faut que la situation change, et vite, pour assurer notre productivité et notre prospérité.
Merci.
La présidente : Merci beaucoup. Si vous le permettez, je commencerai par la fin, car nous avons entendu ce message à maintes reprises.
Je voudrais juste vous demander quelle est votre théorie sur la raison pour laquelle nous ne pouvons pas voir ce qui semble crever les yeux.
M. Aggarwal : Les emplois, c’est payant sur le plan politique. Si l’on investit, si l’on consacre de l’argent aux emplois, on a quelque chose à annoncer. Cela s’applique à tous les partis politiques.
La présidente : Je pense que c’est un très bon contexte pour notre discussion. J’y reviendrai peut-être plus tard, mais pour l’instant nous allons donner la parole au sénateur Deacon.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie beaucoup de votre présence, monsieur Aggarwal. Je pense que vos observations ont vraiment trouvé un écho auprès des membres de ce comité, car nous avons entendu des observations similaires. Vous nous montrez une voie à suivre dans un domaine où le Canada est vraiment en difficulté en ce moment — les soins de santé — et où nous pouvons transformer un problème en une occasion sans précédent non seulement de fournir de meilleurs soins de santé aux Canadiens, mais aussi de vendre des services dans le monde entier. La diversité de notre population et l’étendue des services financés par l’État doivent nous permettre de disposer de données aussi utiles que n’importe quelles autres dans le monde lorsqu’il s’agit de la prestation des soins de santé. Et on nous fait confiance.
Si vous estimez que la protection des données et de la propriété intellectuelle est essentielle pour atteindre cet objectif dans le secteur des soins de santé et d’autres secteurs, pouvez-vous nous parler d’autres priorités? Je suis en train d’examiner un document auquel vous avez contribué il y a deux ou trois ans, et le premier point porte sur la capacité à définir des politiques et des normes en matière d’approvisionnement. C’est certainement quelque chose qui me parle en tant qu’ancien entrepreneur, en plus du fait que nous nous trompons tellement. Nous pensons que nous enrichissons les Canadiens, alors nous ferions mieux d’opter pour le meilleur prix, de ne pas donner aux Canadiens la possibilité de faire quelque chose d’intéressant. C’est une approche partiale, mais pourriez-vous nous parler de cela ou d’autres options sur le plan des politiques?
M. Aggarwal : J’en ai un certain nombre. Vous pouvez également m’indiquer si je prends trop de temps.
D’abord et avant tout, je pense que tout doit commencer par l’établissement d’un nouveau contrat social avec les Canadiens. Si nous n’avons pas la confiance des Canadiens, ils ne nous feront pas confiance lorsqu’il s’agit d’utiliser leurs données, même si c’est bon sur le plan social. Nos lois sur la protection de la vie privée, tant à l’échelle fédérale que provinciale, ne sont pas adaptées aux réalités d’aujourd’hui. De nombreux endroits dans le monde, comme l’Europe, la Californie, avancent à la vitesse de l’éclair par rapport à nous, et nous devons donc les rattraper. Il s’agit d’une exigence de base pour faire avancer les choses, et je serais heureux d’entrer dans les détails sur ce à quoi certains éléments pourraient ressembler.
Il faut absolument que nos politiques industrielles et nos politiques de recherche et développement, ou R-D, soient mises à jour. C’est mon deuxième point. Cela signifie que l’on doit porter son attention sur l’innovation, et pas seulement sur la recherche fondamentale. Nous faisons du bon travail sur le plan de la recherche fondamentale, vraiment. Ce n’est pas que l’argent pose problème — il y a beaucoup d’argent —, mais il faut l’investir aux bons endroits. Cela inclut la propriété intellectuelle, le contrôle, la gestion et l’utilisation des données. Il s’agit de la recherche scientifique et du développement expérimental, ou RS&DE, et du Programme d’aide à la recherche industrielle du Conseil national de recherches du Canada, ou PARI CNRC.
Dans le domaine de la santé, il s’agit de l’Institut canadien d’information sur la santé, ou ICIS, des Instituts de recherche en santé du Canada, ou IRSC, et de l’Inforoute Santé du Canada. Ce sont des organismes de financement qui peuvent commencer à se concentrer sur l’innovation, et pas seulement sur la recherche fondamentale ou l’adoption.
Nous devons absolument faire plus. Mon troisième point, c’est que nous devons nous améliorer sur le plan de l’enseignement et de la formation, et ce, dans l’ensemble du secteur public. Il est essentiel qu’il y ait simplement plus de personnes qui savent de quoi elles parlent et qui comprennent vraiment l’importance de l’économie intangible.
Nous devons créer un pouvoir d’achat. Prenez le pouvoir d’achat du gouvernement fédéral, par exemple. Dans le domaine des soins de santé, il est impressionnant. Même si l’on n’a pas directement le contrôle sur les soins de santé, on a un contrôle direct sur plusieurs secteurs des soins de santé, et les partenariats indirects avec les provinces feront une énorme différence.
Prenez les autres secteurs de l’économie. Sur le plan de la sécurité nationale, notre pouvoir d’achat est considérable. Notre capacité à négocier avec les principales administrations municipales pour l’infrastructure bâtie afin d’accélérer la construction de logements, par exemple. Ce sont des domaines dans lesquels le gouvernement fédéral peut vraiment changer la donne en utilisant son énorme pouvoir d’achat. Cela signifie qu’il faut mettre à jour les lignes directrices en matière d’approvisionnement afin d’y intégrer l’innovation, l’obtention de la propriété intellectuelle et des données.
Nous devrions créer une agence. Les provinces commencent à y réfléchir, et d’autres pays agissent déjà — une agence fédérale responsable des données qui serait gouvernée par un conseil d’administration et aurait des responsabilités liées à la modernisation de la gouvernance des données pour les actifs de données fédérales. On recueille directement d’énormes quantités de données qui peuvent être utilisées pour améliorer les services sociaux, la sécurité nationale, les soins de santé, etc. Indirectement, on fait appel à des entreprises pour fournir des services, mais on ne saisit pas les données. Directement au sein des ministères et indirectement par l’approvisionnement, nous devons créer une agence qui favorise l’utilisation efficace, équitable et éthique de ces données dans l’intérêt de la société.
Enfin, il y a les normes. Nous devons faire quelque chose sur ce plan. Les données sont inutiles si elles font l’objet d’une propriété exclusive et que personne ne peut y avoir accès, les comprendre ou les utiliser. Nous devons nous lancer dans le jeu des normes. Le Canada est l’un des pays qui dépensent le moins à cet égard par rapport à certains de ses pairs. Il doit être compétitif dans ce domaine.
La présidente : C’est une très bonne liste.
Le sénateur Smith : Encore une fois, merci de votre présence. C’est un plaisir de vous rencontrer.
Dans un article de 2018 sur les données sur la santé pour le Centre pour l’innovation dans la gouvernance internationale, vous avez soutenu que l’approche conservatrice du gouvernement canadien en matière de gouvernance des données est un obstacle à l’innovation et à la croissance. Vous avez fait valoir qu’au lieu d’utiliser les données comme une possibilité sur le plan économique, nous nous concentrons davantage sur la protection de la vie privée et la sécurité. Vos observations préliminaires renforcent ce point de vue.
Plus de cinq ans se sont écoulés depuis que vous avez rédigé cet article. À titre de comparaison, y a-t-il eu des progrès en ce qui concerne les problèmes? Vous avez dit que nous étions en position de faiblesse. Selon vous, est-ce que des choses ont changé depuis 2018? Et si oui, lesquelles?
M. Aggarwal : Je dirais que la possibilité se cristallise vraiment selon moi, en particulier dans le cas des données sur les soins de santé. L’Ontario compte désormais 14 millions d’habitants. D’autres provinces ont désespérément besoin de fournisseurs de soins de santé. Nous sommes confrontés à une véritable pénurie et à des défis démographiques. Si nous ne prenons pas les mesures qui s’imposent en matière de santé, nous ne serons plus capables d’offrir des services et nos systèmes de soins de santé s’écrouleront.
Si nous voulons un système de soins de santé financé par l’État qui reflète la Loi canadienne sur la santé, nous devons agir très rapidement. Je dirais que le point le plus important est que c’est urgent. Il y a cinq ans, c’était un problème imminent. Aujourd’hui, il va briser les systèmes de santé.
Le sénateur Smith : Comment atteindre un équilibre entre la commercialisation des données canadiennes et la protection de la vie privée et de la sécurité des Canadiens?
M. Aggarwal : Elles ne s’opposent plus. Mon point de vue a changé à ce sujet. Ces éléments sont très complémentaires. Nous avons besoin de la confiance des citoyens pour pouvoir utiliser leurs données de manière efficace, mais surtout, des exemples très clairs dans le monde nous ont montré que lorsque nous obtenons cette confiance, lorsque nous permettons aux citoyens de participer de façon volontaire, ils participent.
Le sénateur Smith : Si vous aviez une baguette magique et que vous pouviez apporter un grand changement maintenant pour renforcer notre système de soins de santé, que feriez-vous?
M. Aggarwal : Premièrement, il faut mettre à jour les lois sur la protection de la vie privée. Deuxièmement, nous avons besoin d’autorités et d’agences fédérales et provinciales en matière de données qui commencent à consolider nos actifs.
Tant que nous ne l’aurons pas fait et que nous n’aurons pas créé de normes pour ces actifs, les données ne serviront à rien.
Le sénateur Smith : Comment développer ce niveau de conscience au sein des gouvernements fédéral et provinciaux?
La présidente : Nous reviendrons certainement à cette question, car c’est par cela que j’ai commencé.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Aggarwal, je vous remercie d’être présent ce matin. Vous avez fait quelques remarques intéressantes et la discussion est intéressante. Vous avez dit qu’il faut établir un nouveau contrat social avec les Canadiens, et toute relation est fondée sur la confiance, mais c’est un énorme défi. Vous avez insisté sur le caractère urgent, mais cela peut prendre beaucoup de temps. Vous avez dit aussi que tous les gouvernements gagneront ou perdront en fonction de la mesure dans laquelle ils miseront sur l’utilisation des données. Je pense que de nombreux Canadiens ne comprennent pas comment cela stimule notre économie ou pourrait stimuler l’innovation et la croissance.
Quelle serait votre priorité? L’éducation, les politiques ou la communication? Vous avez parlé de la création d’une agence lorsqu’il s’agit des données. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Encore une fois, vous mettez l’accent sur l’urgence d’agir et vous avez mentionné que certains pays dans le monde font les bonnes choses. Que font-ils différemment que nous devrions faire au Canada?
M. Aggarwal : Je crains que l’on ne puisse pas choisir l’un de ces éléments, sénateur. On parle d’efforts déployés par l’ensemble du gouvernement. Les soins de santé sont un exemple de ce qui peut se faire partout ailleurs au gouvernement. Je pense que nous avons trop longtemps considéré la propriété intellectuelle et les données comme des choses qui relèvent d’un ministère ou d’un projet auxiliaire. C’est quelque chose que nous avons pour satisfaire les innovateurs. Ce n’est pas le cas; cela inclut tout. Il faut donc que ces questions sortent du cadre d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, ou ISDE, et qu’elles deviennent une priorité pour tout le monde. Il faut donc avancer en parallèle sur certaines choses, comme le nouveau contrat social et les nouvelles dispositions législatives sur la protection de la vie privée, en même temps que l’on met en place des autorités en matière de données et que l’on commence à consacrer des fonds importants aux normes relatives aux données, etc. Ces choses peuvent être faites en parallèle. Ce n’est pas comme si l’on faisait double emploi avec les membres de la fonction publique. Nous avons cette capacité si nous établissons des priorités.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration préliminaire. Nous ne cessons d’entendre la même chose de nos témoins.
Nous avons également abordé la question avec des fonctionnaires, et je ne pense pas qu’ils comprennent ce qui se passe, car très souvent, lorsque nous posons des questions, soit nous n’obtenons pas de réponse, soit nous obtenons un regard vide. Ce sont eux qui conseillent le ministre, et nous sommes donc dans une impasse.
Le nombre de changements qui doivent être apportés, selon ce que vous dîtes, est presque écrasant. Nous avons besoin d’une nouvelle loi sur la protection de la vie privée, de nouvelles politiques en matière d’approvisionnement, de normes, de ceci, de cela et d’autres choses. Je ne fais pas vraiment confiance aux gouvernements pour faire le nécessaire à cet égard. Je sais que vous avez dit que vous effectuez des travaux pour le gouvernement provincial de l’Ontario.
Puisque les gouvernements ne prennent pas les mesures que vous souhaiteriez, comment pouvons-nous accomplir ce que nous souhaitons accomplir? J’ai l’impression que nous dépendons de gens comme vous pour y arriver, car je ne pense pas que les gouvernements commenceront à s’attaquer à cet enjeu de manière agressive et à prendre les mesures qui s’imposent. Je n’en suis tout simplement pas convaincue. Selon vous, dans quelle direction allons-nous? Dans quelle direction allez-vous?
M. Aggarwal : Avec tout le respect que je vous dois, je ne suis pas tout à fait d’accord avec la prémisse que vous avez énoncée. En réalité, les gouvernements reconnaissent le problème et s’y attaquent de manière très agressive. La province d’origine du sénateur Deacon, c’est-à-dire l’Ontario, commence à mettre en œuvre des initiatives remarquables et novatrices, et c’est la même chose dans d’autres provinces avec lesquelles nous sommes en discussion. En effet, nous discutons avec l’Alberta et avec des provinces de l’Est du Canada. Je pense qu’il y a maintenant une prise de conscience dans ces provinces, car leur système de santé est sur le point de s’effondrer.
La situation est urgente et les provinces commencent à envisager de mettre en place l’infrastructure appropriée.
La sénatrice Marshall : Vous avez mentionné que le système allait s’effondrer. Ce n’est pas qu’il va s’effondrer, c’est qu’il s’est déjà effondré. Je suis désolée, mais je devais faire ce commentaire. Veuillez poursuivre votre intervention.
M. Aggarwal : Je vous remercie de votre commentaire. Je dirais qu’en raison des 35 années pendant lesquelles nous n’avons pas bien compris la propriété intellectuelle et des 15 à 20 années pendant lesquelles nous avons mal compris la valeur des données, il y a malheureusement peu d’entreprises dans ce domaine qui sont prêtes aujourd’hui dans notre pays. Il s’ensuit que si nous comptons uniquement sur le secteur privé, cela ne fonctionnera malheureusement pas. Avec des entreprises comme les nôtres — et vous parlerez à M. McBride plus tard —, il y a une centaine d’entreprises dans le Conseil canadien des innovateurs. Un grand nombre d’entre elles sont conscientes de la situation, mais ce n’est pas suffisant et nous sommes trop peu nombreux.
La sénatrice Marshall : Vous avez maintenant une certaine expérience des différents gouvernements — et c’est probablement une question délicate pour vous —, mais pensez-vous qu’ils avancent à la vitesse à laquelle ils devraient le faire? J’ai l’impression que ni la bureaucratie ni le gouvernement ne comprend la situation, mais voyez-vous les choses différemment?
M. Aggarwal : Dans certaines provinces, oui, sénatrice. Je dirais que ce n’est pas le cas partout et, malheureusement, nous ne voyons pas de changements au sein du gouvernement fédéral à cet égard.
Le sénateur Cardozo : Je vous remercie, monsieur Aggarwal, d’être ici aujourd’hui. Je suis au courant de vos travaux, que ce soit par l’entremise de l’entreprise avec laquelle vous travaillez ou par vos réflexions et vos publications sur ces enjeux. Je vous remercie d’être ici, et je suis moi-même chanceux d’être ici ce matin, car je remplace quelqu’un d’autre. Je suis aussi très chanceux d’être ici pour participer à ces discussions.
Tout d’abord, j’aimerais vous poser une question. Veuillez m’aider à comprendre le point que vous faisiez valoir à propos des gouvernements et des emplois. Vous avez dit qu’il est plus intéressant pour le gouvernement de dépenser de l’argent pour des choses qui créent des emplois, mais la collecte des données ne créerait-elle pas également des emplois? Pourquoi n’est-ce pas aussi intéressant que l’industrie manufacturière, par exemple?
M. Aggarwal : C’est tout à fait exact, sénateur. Non seulement cette activité crée des emplois, mais elle crée aussi des emplois mieux rémunérés. Ces emplois sont ensuite liés à la propriété intellectuelle et aux actifs de données qui sont détenus au Canada. Par conséquent, non seulement on obtient des emplois bien rémunérés, mais on est également en mesure de facturer des rentes économiques à des clients et à des consommateurs dans d’autres pays et de rapatrier ensuite ces rentes. Lorsque nous nous concentrons d’abord sur les emplois et uniquement sur les emplois, nous permettons à quelqu’un d’autre de détenir la propriété intellectuelle et les données, et c’est donc le pays d’origine qui nous fait payer une rente. Nous avons les emplois, mais les profits s’en vont ailleurs. Nous voulons donc obtenir des emplois, nous voulons détenir la propriété intellectuelle et les données, obtenir des emplois de meilleure qualité, des emplois bien rémunérés et ensuite facturer des rentes économiques.
C’est une mauvaise façon de comprendre la chaîne de valeur et son fonctionnement. Bien entendu, il est tout à fait possible de payer pour obtenir des résultats rapides sur le plan des emplois, mais c’est un processus coûteux et les résultats ne sont pas durables.
Le sénateur Cardozo : Je pense que nous devons simplement expliquer cet argument plus clairement pour que les gouvernements comprennent comment cela débouche sur des emplois.
Mon autre question porte sur un point de vue plus vaste. Je me concentre sur quelques enjeux, dont la polarisation de notre société. Dans ce cas-ci, y a-t-il un élément qui entraîne une propriété inégale des données et de l’information d’une façon qui affecte notre société dans la mesure où il y a des gens qui ont accès à de grandes quantités de données et d’information et d’autres dont l’accès est plus limité, ce qui pourrait conduire à la polarisation de bien d’autres manières, que ce soit sur Internet, dans l’environnement en ligne, dans les médias sociaux et dans tout le reste?
M. Aggarwal : Oui, tout à fait. Nous devons faire attention lorsque nous avançons rapidement. Nous devons reconnaître que certains groupes seront avantagés et que d’autres seront plus démunis sur ce plan.
Prenons deux exemples très concrets. Il y aura des Métis et des Premières Nations qui n’auront peut-être pas le même niveau de confiance envers ceux qui collectent et utilisent les données. Nous devons certainement avoir une discussion de nation à nation pour instaurer cette confiance ou leur donner les outils nécessaires et travailler avec eux pour leur permettre de collecter et d’utiliser efficacement les données à leurs propres conditions. C’est un premier exemple.
Voici un autre exemple. J’ai un fils de deux ans. Je crains le moment où il aura accès à Internet et je redoute les conséquences, car les gens, que ce soient des entreprises ou des individus, essaient de profiter des jeunes. En effet, des individus malveillants tentent de profiter des jeunes. Cela affectera sa santé mentale et sa capacité à réussir et à survivre dans notre société. Il y a donc deux grands groupes, mais il existe aussi de nombreux petits groupes qui seront soit favorisés, soit démunis sur ce plan, et nous devons le reconnaître. C’est en partie pour cette raison qu’il faut établir un nouveau contrat social et accorder certains droits aux particuliers.
Le sénateur Cardozo : A-t-on l’impression — et je me fonde sur des stéréotypes — qu’il y a plus d’hommes que de femmes dans l’industrie?
M. Aggarwal : Oui, bien sûr, c’est le cas aujourd’hui dans les secteurs de la technologie. Toutefois, je dirais que les choses évoluent assez rapidement. Je pense que notre personnel actuel est équilibré. Nous avons plus de femmes que d’hommes, peut-être pas dans le domaine de la réalisation de logiciels, mais je dirais que les choses évoluent très rapidement. Je pense que la plupart des endroits où nous recrutons aujourd’hui des diplômés universitaires ont plus de femmes que d’hommes avec un tel diplôme. La situation évolue. Ce n’est pas très rapide, mais les choses sont en train de changer.
La présidente : J’aimerais revenir rapidement sur le premier point soulevé par le sénateur Cardozo. Compte tenu de vos commentaires, je présume que selon vous, l’entente avec Volkswagen est tout le contraire de la façon dont il faudrait procéder, n’est-ce pas?
M. Aggarwal : Je ne veux pas commenter une initiative en particulier, mais je répète que je ne pense pas que l’emploi avant tout soit la voie à suivre. Je pense plutôt qu’il faut accorder la priorité à la propriété intellectuelle et aux données.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui. J’ai deux commentaires à formuler et une question à poser. Si vous voulez communiquer plus efficacement, je vous suggère fortement de trouver une meilleure façon d’utiliser les mots « technologies de l’information » ou le mot « données ». En effet, la plupart des gens se demanderont ce que sont exactement ces notions. Je pense qu’il faut utiliser une terminologie plus simple. L’autre commentaire que j’aimerais formuler, c’est qu’il y a environ 10 ou 15 ans, nous avons dîné ou soupé avec de nombreux hauts fonctionnaires... Et je me souviens aussi qu’il y a environ 20 ans, David Dodge se plaignait que la population ne faisait pas confiance aux bureaucrates ou aux dirigeants de ce monde, et qu’il espérait que cela changerait un jour. Au Québec, nous avons dépensé plus d’un milliard de dollars pour cette carte santé et cela n’a mené à rien. C’est la même chose à l’échelon fédéral. Je vous souhaite donc bonne chance, car ce chemin a été semé d’embûches pour de nombreux autres intervenants.
Vous avez mentionné le volume de données et la quantité d’information que nous devons emmagasiner, et vous avez dit qu’il fallait modifier nos lois sur la protection de la vie privée. Mais comment ferons-nous concurrence à la Chine? Les Chinois disposent d’une grande densité d’information et de beaucoup d’autres choses. C’est très important. Leurs lois sur le secret et sur la protection de la vie privée sont très adaptables, et il nous faut rivaliser avec cela. Comment pouvons-nous y arriver? Comment l’Amérique du Nord peut-elle rivaliser avec un système dans lequel d’innombrables renseignements sont diffusés toutes les heures? Comment pouvons-nous être concurrentiels?
M. Aggarwal : Je vous remercie de votre commentaire et je vais tenter d’adapter la terminologie que j’utilise.
Pour ce qui est de la concurrence, nous avons des atouts plutôt exceptionnels. Je ne parlerai que des soins de santé. Nous avons une population remarquable et diversifiée, ce qui permet de collecter des données de meilleure qualité qui peuvent être plus facilement généralisées que celles collectées dans d’autres populations, comme en Chine, par exemple. L’hétérogénéité de notre population joue donc en notre faveur. Nous disposons de systèmes de soins de santé fondés sur des données probantes qui sont très respectés dans le monde entier. Lorsque nous produisons des connaissances et des idées à partir de ces données, notre capacité à les commercialiser... J’ai voyagé dans des dizaines de pays pour parler des soins de santé, et je peux vous assurer qu’on respecte les soins de santé canadiens à l’étranger. Nous avons donc certains atouts. Nous disposons d’un système à payeur unique, ce qui nous permet également d’agréger de grandes quantités de données sur de vastes populations. Nous avons également des systèmes de santé fiables et en matière de recherche, nos comités d’éthique et d’autres organismes sont très respectés. Si nous faisons venir ici des chercheurs et des personnes qui mettent au point des médicaments et des instruments médicaux et si nous réussissons à combiner tous ces éléments, nous disposerons d’avantages concurrentiels.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, monsieur Aggarwal, d’être ici aujourd’hui. Vous demandez aux Canadiens de faire beaucoup de concessions. Trop souvent, sur la question des données, ils croient que les personnes qui ont actuellement accès à leurs données… Nous avons été témoins de nombreuses fuites successives, et les gens deviennent réticents. Ils se demandent pourquoi ils devraient encore faire confiance à ces entreprises. Les entreprises qui ont subi des fuites n’ont jamais accepté le fait qu’il s’agit d’une violation fondamentale de la confiance entre elles et les personnes qui leur ont fourni leurs données.
Si nous voulons créer un nouveau paradigme dans notre pays, nous devons prévoir des sanctions pour les entités qui ne prennent pas soin des données que nous leur confions, et nous n’avons pas vu grand-chose à cet égard dans le contexte de la réglementation. L’organisme de réglementation est soit en veilleuse, soit déconnecté. Il reconnaît la réalité, mais ne fait absolument rien pour y remédier. Vous voulez que les Canadiens s’engagent davantage dans cette voie, mais je ne pense pas que nous ayons établi les fondements nécessaires pour leur inspirer confiance. La confiance est une chose importante, surtout lorsqu’il s’agit des données, car ce sont des renseignements très personnels.
Vous avez tout à fait raison lorsque vous dîtes que le gouvernement collecte une grande quantité de données relatives aux soins de santé. Je ne sais pas exactement ce que nous en faisons, mais je sais que nous les collectons. Je reconnais votre point de vue. Notre population est vieillissante et il est peu probable que cette tendance s’inverse. Elle continuera à vieillir et nous devrons lui fournir davantage de services. Nous constatons que nous ne soutenons pas adéquatement les personnes âgées dans notre pays. Comment sortir de l’impasse dans le contexte de ce nouveau paradigme dans lequel il faut inspirer confiance? Car sans confiance, nous n’irons pas bien loin. Les politiciens ne risqueront pas leur carrière politique s’ils ne parviennent pas à rallier le public à leur cause.
M. Aggarwal : Je suis tout à fait d’accord avec vous sur tout ce que vous avez dit, sénateur. Un nouveau contrat social doit commencer par l’octroi de droits. D’autres pays l’ont fait. Il faut donner aux citoyens le droit de contrôler leurs propres données, le droit à l’oubli et le droit à la suppression de leurs données si l’on souhaite leur inspirer confiance, car ils auront un certain contrôle sur leurs propres données. Nous devons faire en sorte qu’ils aient le droit de donner leur consentement avant que leurs données soient utilisées à certaines fins. En passant, les entreprises vous diront que cela coûte très cher. C’est peut-être le cas aujourd’hui parce que nous n’avons pas investi dans ce domaine, mais à l’avenir, ce ne sera plus aussi dispendieux. Les entreprises rattraperont leur retard pour permettre ce genre de choses.
Les entreprises doivent également être tenues de divulguer l’utilisation secondaire qu’elles font des données qu’elles ont collectées. À quelles fins ces données sont-elles utilisées? Il faut exiger la divulgation de ces renseignements. Il faut prévoir des sanctions concrètes et applicables en cas de fuites de données, et elles ne doivent pas seulement viser l’entreprise, mais aussi les membres de la direction et les membres de son conseil d’administration. Tout comme nous tenons les conseils d’administration responsables pour d’autres violations fondamentales, nous devons prévoir des conséquences pour l’absence de gouvernance en matière de données. Ce sont là quelques-unes des mesures que nous prenons pour restaurer la confiance.
Pour mieux cerner le défi démographique, nous devons réfléchir à ce qui va se passer dans les 5, 10 ou 20 prochaines années dans le domaine des soins de santé. Le nombre de médecins qui prendront leur retraite et ne seront pas remplacés, une concurrence accrue dans le reste du monde... En effet, des populations entières accèdent à la classe moyenne ailleurs dans le monde et ces gens consomment davantage de soins de santé. Si nous pensons que nous pourrons simplement résoudre notre problème de recrutement en nous tournant vers le reste du monde, nous devons nous rendre compte que la concurrence ne deviendra que de plus en plus féroce. Il y aura tout simplement une pénurie de travailleurs de la santé. Cela signifie que nous devons résoudre le problème par d’autres moyens. Nous devons donc utiliser les données pour orienter des éléments tels que les soins auto-administrés, afin de permettre aux préposés aux services de soutien à la personne, au personnel infirmier, aux pharmaciens et à d’autres intervenants de combler les lacunes, et c’est une démarche qui se fonde sur les données.
Le sénateur Yussuff : Certains ont fait valoir la nécessité d’une approche différente qui nécessiterait une conversation nationale. Bon nombre d’entre vous et de vos collègues en avez discuté entre vous. Vous avez bien une idée de ce qui, selon vous, serait souhaitable, mais vous n’avez rien réglé. À vrai dire, nous avons entamé cette conversation au comité, mais elle ne s’est pas étendue à l’échelle du pays.
Il nous faut amorcer cette conversation nationale, mais comme le disait le sénateur Massicotte, vous et vos collègues parlez une langue que personne ne comprend. Si nous ne simplifions pas les choses pour que la population comprenne, le public n’appuiera jamais le changement de paradigme et nous maintiendrons le statu quo.
Je comprends votre point de vue. Il faut aller vers la commercialisation et y accorder l’importance voulue. Cela dit, sans l’appui du public, il n’y aura pas de volonté politique pour prendre le virage. Je n’invente rien. Vous le savez mieux que moi, vous qui essayez à votre manière de trouver un moyen de faire bouger l’Ontario, qui reconnaît le problème, mais qui doit d’abord conquérir la confiance du public. Si nous n’obtenons pas la confiance du public — à moins d’avoir une conversation nationale —, nous n’y parviendrons pas.
M. Aggarwal : Merci, sénateur. Je vous dirais que dans une certaine mesure, nous parvenons à faire bouger les provinces, mais je donnerais aussi mon aval à une conversation nationale. Entretemps, le gouvernement fédéral pourrait faire tellement de choses à lui seul, sans organiser de grands sommets et sans établir d’ententes interprovinciales. Certaines mesures concrètes et réalisables peuvent être prises à court terme.
Le sénateur Yussuff : Nommez-moi deux choses que vous recommanderiez. Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais...
La présidente : Vous avez commencé par une liste. Vous pouvez choisir les deux premiers éléments de la liste.
M. Aggarwal : Oui. Vous voulez que je prenne les deux premiers éléments? D’abord, les lois fédérales sur la protection des renseignements personnels sont des solutions faciles, et populaires soit dit en passant. Les Canadiens vont aimer. Voilà quelque chose qui pourrait se concrétiser rapidement.
Le deuxième élément est la mise à jour des politiques sur la R‑D industrielle pour que celles-ci se concentrent sur la commercialisation, l’innovation ainsi que les droits de propriété intellectuelle et les données, et non plus seulement sur la recherche fondamentale. Voilà deux éléments majeurs.
Une voix : [Difficultés techniques]
M. Aggarwal : Non? Écoutez, c’est...
Une voix : Tout est compliqué.
M. Aggarwal : C’est compliqué, en effet.
La sénatrice Galvez : Merci beaucoup pour cette conversation intéressante. Au fait, cela me rappelle une discussion que j’ai eue à la Faculté de génie de l’Université Laval à Québec. Nous avons parlé de la place des mégadonnées, de l’exploration de données et de l’informatique quantique dans l’économie fondée sur les données, l’économie des soins et l’économie à faibles émissions de carbone. Pour vendre ce que vous voulez vendre, vous devez l’intégrer dans l’ensemble de l’économie du savoir.
Vous avez parlé dans votre déclaration de la confiance du public. Le gouvernement du Québec a essayé d’utiliser les données sur la santé des Québécois. Il a essayé de les monnayer et de les vendre, mais ce projet n’a pas abouti. Les universités possèdent des ressources extraordinaires, mais elles n’ont pas pu les utiliser, car les Québécois n’y ont pas consenti.
À l’époque, nous avons discuté entre autres de la gouvernance des données et des défis à relever. Vous avez parlé aujourd’hui de la confiance du public, des risques et du consentement. Vous pourriez parler de trois autres éléments, soit la protection de la frontière entre les sphères publique et privée, les droits qui régissent les actifs intangibles et les règlements sur la concurrence. Je vous laisse en choisir un premier.
M. Aggarwal : D’accord. Le premier élément, je suis désolé... Le deuxième élément était les droits régissant les actifs intangibles, et le troisième...
La sénatrice Galvez : Les trois éléments étaient la protection de la frontière entre les sphères publique et privée, les droits régissant les actifs intangibles et les règlements sur la concurrence.
M. Aggarwal : Le premier élément est simple, car il ne comporte pas d’obligation de commercialisation. Il ne faut pas vendre les données. Il faut les utiliser d’abord et avant tout en choisissant des cas d’utilisation qui font consensus. Les cas d’utilisation qui suscitent la confiance utilisent les données pour améliorer les services sociaux existants. La vente des données pourrait s’avérer problématique. Il faut plutôt améliorer les services sociaux et faire diminuer les coûts. Il y a un nombre infini de cas d’utilisation qui pourraient se concrétiser demain matin. Nul besoin d’acheter les données. Honnêtement, je ne le ferais pas, car cela détruirait la confiance au lieu de l’accroître.
La sénatrice Galvez : Merci de vos explications.
M. Aggarwal : Je vous en prie.
Les deux autres éléments sont plus complexes. La concurrence mériterait à elle seule deux ou trois autres séances du comité, mais je suis tout à fait d’accord sur la nécessité de revoir les lois sur la concurrence au Canada et de renforcer les pouvoirs du commissaire à la concurrence pour lui permettre d’obtenir de meilleurs résultats pour les Canadiens.
La présidente : Vous pouvez compter sur nous pour formuler une recommandation à cet effet. Nous avons entendu cette remarque maintes et maintes fois.
Avez-vous terminé votre réponse? Merci.
Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Aggarwal. Vos observations sont précieuses. Je voudrais revenir sur la question des données, car chaque jour, en cliquant sur « J’accepte » lorsqu’ils naviguent sur le Web, les Canadiens consentent à céder leurs données sans savoir comment elles seront utilisées. Ils ne savent pas où elles sont stockées. Ils ne savent pas — je dis souvent que les Canadiens se trouvent à l’embout d’un aspirateur de données — que nous faisons littéralement cadeau de nos données. Comme vous l’avez expliqué dans votre déclaration liminaire, ces données sont par la suite revendues au Canada.
La quantité de données dans le domaine de la santé s’accroît plus rapidement que dans tout autre domaine dans le monde. Un rapport de la RBC indique une hausse annuelle d’environ 36 %. Ces chiffres démontrent l’importance énorme des considérations que vous avez soulevées concernant la loi sur la protection des renseignements personnels. Je me demandais si vous pouviez énumérer — vous en avez mentionné quelques-uns — les principaux garde-fous qui pourraient rassurer les utilisateurs qui s’inquiètent de l’utilisation qui sera faite de leurs données après qu’ils ont appuyé sur « J’accepte ». Je pense que cela pourrait faire partie du processus de sensibilisation du public.
M. Aggarwal : Merci, sénateur. La liste est longue. La bonne nouvelle, c’est que d’autres y sont parvenus. Nous pouvons nous inspirer entre autres de l’Union européenne et de son Règlement général sur la protection des données, ou encore des lois adoptées par la Californie aux États-Unis ou par d’autres pays considérés comme des chefs de file mondiaux en la matière.
Cela dit, les utilisateurs devraient avoir l’option d’annuler leur consentement après cliqué sur « J’accepte ».
Le sénateur C. Deacon : Oui.
M. Aggarwal : C’est vrai. Les entreprises qui recueillent les données devraient remplir une obligation de transparence quant à leur utilisation des données en question. Des audits sur les données devraient être réalisés. Certaines entreprises ont d’ailleurs commencé à en faire. Les utilisateurs devraient pouvoir demander aux entreprises quelles données elles possèdent à leur sujet et ce qu’elles en font.
Le sénateur C. Deacon : En ce moment, les Canadiens n’ont aucune idée... Ils ne possèdent pas assez d’informations pour savoir ce que les entreprises savent à leur sujet. Certaines entreprises en savent probablement plus sur moi que j’en sais moi-même.
M. Aggarwal : Oui. C’est tout à fait vrai.
J’ajouterais que la sensibilisation doit commencer dès l’enfance.
Le sénateur C. Deacon : Oui.
M. Aggarwal : Le taux de littératie en matière de données est faible, car les gens sont laissés à eux-mêmes. Il faudrait inculquer ces notions dès l’enfance.
Le sénateur C. Deacon : Avant de terminer, j’aimerais aborder un dernier point. Vous avez parlé à quelques reprises de la valeur des données des Canadiens. Certains ont soulevé dès le début de notre étude l’écart entre la valeur des données canadiennes et la valeur des données issues de sociétés homogènes comme la Chine et le Japon. Les données du Canada, très riches et variées, s’avèrent beaucoup plus rentables que celles d’autres pays. Pourriez-vous parler de cette caractéristique importante dont nous n’avons pourtant pas touché mot?
M. Aggarwal : Oui. Notre système de santé public nous permet d’agréger les données au moins au niveau provincial, mais aussi parfois au niveau fédéral grâce à des organismes tels que l’Institut canadien d’information sur la santé, les Instituts de recherche en santé du Canada et même l’Inforoute Santé du Canada. Les leviers en matière de données dans le domaine de la santé existent aux niveaux autant provincial que fédéral.
La population du Canada se classe probablement au premier ou au deuxième rang des populations les plus diversifiées dans le monde. À l’échelle régionale, dans votre province, en Nouvelle-Écosse, les régions associées à des maladies rares retirent des avantages sur le plan génétique, car les données sur la santé sont utilisées au profit des populations locales. Ce ne sont que quelques exemples, que j’ai puisés uniquement dans le domaine de la santé.
Nous n’avons pas à résoudre tous les problèmes d’entrée de jeu. Nous pouvons choisir des secteurs et des cas d’utilisation. Dans votre province, nous nous penchons sur le pétrole et le gaz, tandis que nous examinons l’agriculture dans la plupart des provinces au pays. Ces domaines comportent des avantages stratégiques pour ce que nous voulons faire.
Imaginez le casse-tête du logement au Canada. Si ce domaine est une priorité nationale, ne devrait-il pas être prioritaire également sur le plan de l’accès aux données?
La présidente : Pour revenir à ce que disait le sénateur Massicotte, qui vous souhaitait littéralement bonne chance, je siégeais hier à un comité qui étudiait le projet de loi C-18. Cette mesure législative sur les communications — la Loi sur la radiodiffusion — issue de Patrimoine canadien se concentre uniquement sur la redistribution des revenus des géants numériques aux entreprises en difficulté. Elle ne prévoit rien, par contre, à l’égard de la collecte et de l’utilisation des données par ces grandes entreprises technologiques. Elle est silencieuse également à propos de la soi-disant modernisation de l’industrie de la radiodiffusion au Canada.
Alors, comment pousser les gens à se soucier de cette question? Tout est compartimenté. Le problème du jour est de sauver une industrie moribonde ou l’autre en y injectant des fonds sans se préoccuper du contexte mondial. Le comité va rédiger son rapport en tenant compte de ce que vous et de nombreux autres témoins avez réitéré. Mais que se passera-t-il ensuite? Je sais que vous faites de la sensibilisation, mais il faut opérer un changement de mentalité. C’est tout un contrat.
M. Aggarwal : Il faut commencer par le contrat social, comme vous le suggérez, puis proposer des cas d’utilisation que les Canadiens vont certainement appuyer, qui sont stratégiques pour la société, et non pas tactiques. Les cas qui obtiendraient à coup sûr le soutien des Canadiens sont notamment les jeunes et les enfants ou les industries stratégiques telles que les combustibles fossiles, les soins de santé et le logement. Si nous choisissons judicieusement les cas au départ, nous renforcerons la confiance.
La présidente : Merci beaucoup. Vos propos concluent en beauté les nombreux témoignages que le comité a entendus au cours des dernières semaines. Nous vous félicitons pour la clarté de vos observations. Nous allons certainement utiliser votre liste. Merci encore, monsieur Aggarwal, chef de la direction de Think Research Corporation, de vos conseils pertinents et stratégiques.
Nous allons poursuivre avec les investissements des entreprises au Canada et certaines questions qui y sont rattachées.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Kurtis McBride, chef de la direction de Miovision à Dallas, au Texas. Nous vous remercions, monsieur McBride, de votre présence parmi nous aujourd’hui. Vous pouvez commencer par votre déclaration liminaire. Nous passerons ensuite à la période de questions. Merci.
Kurtis McBride, chef de la direction, Miovision : Merci beaucoup de m’avoir invité à témoigner devant le comité. Je vous parle de Dallas. Je suis désolé de ne pas être là en personne. J’allais porter mon chapeau de cow-boy, qui est juste à côté de moi, mais je me suis ravisé.
La présidente : Vous soignez votre apparence.
M. McBride : Oui. Je suis un diplômé de l’Université de Waterloo et j’ai mis sur pied une entreprise à Kitchener. Je suis un fier Canadien. Je tiens à ce que mes deux jeunes enfants aient accès en grandissant aux mêmes possibilités que j’ai eues et que mes parents ont eues avant moi. C’est dans cet esprit que je formulerai une bonne part de mes observations aujourd’hui. J’espère ainsi contribuer à l’élaboration des politiques qui façonnent le Canada.
Miovision est une entreprise qui vend des logiciels et du matériel informatique dans les villes un peu partout dans le monde pour les aider à comprendre et à maximiser la circulation aux intersections du réseau routier. Imaginez une caméra perchée haut dans les airs, qui transforme les vidéos en données sur la circulation des automobiles, des camions, des autobus et des cyclistes. Ce système permet de faciliter la circulation et d’atténuer la congestion et aide les administrations municipales à renforcer la sécurité.
J’ai l’occasion dans le cadre de mon travail de voyager un peu partout dans le monde et de vendre nos produits dans différents marchés. Je peux voir également comment les autres pays s’y prennent pour élaborer leurs politiques d’innovation.
Au Canada, les politiques d’innovation sont axées sur les dépenses de fonctionnement des entreprises ou sur les investissements dans la recherche fondamentale dans les universités. Notre philosophie est de dire que tout bon produit est facile à commercialiser. Bon nombre de pays — je vais donner l’exemple de nos voisins du Sud, mais c’est le cas aussi en Allemagne et en Corée du Sud — préconisent surtout — sans négliger pour autant la R-D et la recherche fondamentale — la voie directe vers la commercialisation.
Ils ne le font pas nécessairement en soutenant directement les entreprises, mais plutôt en adoptant des règlements, des politiques d’approvisionnement et des normes. Leur objectif est d’investir dans des marchés en croissance qui comptent des entreprises dotées d’avantages concurrentiels qui leur permettent d’exporter à l’international. Plutôt que de financer la R-D, ces pays s’approvisionnent de façon stratégique auprès d’une entreprise qu’ils veulent voir grandir. Ils élargissent le marché autour de cette dernière en laissant libre cours à la concurrence. Ils orientent ensuite leurs politiques d’innovation en conséquence.
Le comité a certainement entendu des exemples similaires au fil des ans. J’ai choisi cet exemple parce que j’espérais qu’il vous interpellerait et que je connais bien le domaine de la circulation.
Le Canada s’est engagé à atteindre les cibles mondiales de réduction des émissions. Environ 40 % de toutes les émissions des villes — des centres urbains — émanent du transport. Le Canada compte approximativement 40 000 intersections, soit un rapport d’environ 1 000 intersections par habitant. Lorsque les villes adoptent des produits comme ceux de Miovision — pas que nous soyons les seuls à en fabriquer —, qui offrent essentiellement une technologie intelligente pour les intersections, les villes se mettent à mesurer l’efficacité de ces intersections et apportent des améliorations actives et en temps réel à la fluidité de la circulation. Cette intervention réduit de 50 à 200 tonnes les émissions générées à une intersection donnée. Disons qu’il est question de 100 tonnes et de 40 000 intersections, on arrive à une réduction approximative de quatre mégatonnes de carbone qui pourrait être atteinte si on priorisait à l’échelon national l’optimisation de la fluidité de la circulation.
De notre perspective, une priorité nationale a été annoncée publiquement pour atteindre nos cibles de réduction d’émissions. Il est impératif de faire croître l’économie, de renforcer les entreprises canadiennes et de leur permettre d’exporter leurs produits et de créer des emplois. J’espère ne pas vous donner l’impression de manquer d’objectivité, mais je ferai ce commentaire parce que je connais bien le milieu : nous avons ici un exemple où la normalisation, la réglementation et l’approvisionnement pourraient être mis à profit de façon stratégique pour réaliser un objectif national, ou pourraient à tout le moins grandement contribuer à réaliser cet objectif de réduction d’émissions. Ce faisant, nous pourrions aussi faire croître le marché dans lequel évolue Miovision, ce qui ne veut pas nécessairement dire que notre compagnie récolterait toutes les possibilités d’affaires qui découleraient de la décision de créer une telle priorité. Il nous faudrait entrer en concurrence avec les compagnies canadiennes et étrangères dans un marché libre. Nous jugeons néanmoins que nous offrons une des meilleures solutions au monde dans le domaine. Nous estimons que nous décrocherions 8 contrats d’approvisionnement sur 10. C’est un exemple qui démontre que le fait de se concentrer davantage sur la réglementation, l’approvisionnement et les normes — et moins sur la recherche fondamentale et les investissements en recherche et développement — permet non seulement de faire croître les compagnies canadiennes, de créer des emplois et d’élargir l’assiette fiscale, mais aussi d’aider le pays à réaliser certaines de ses priorités nationales.
Je passe beaucoup de temps avec mes pairs. M. Aggarwal vient de prendre la parole, et je le connais bien. Je connais d’autres homologues dans les secteurs de l’énergie, de la médecine et de l’agriculture qui ont eux aussi des exemples d’effets bénéfiques que pourraient entraîner de petites modifications dans la réglementation, l’approvisionnement et la normalisation pour donner un coup de pouce appréciable à nos entreprises, mais aussi pour aider le pays à réaliser ses objectifs stratégiques.
Je conclus en disant que je serai heureux de répondre à vos questions à ce sujet, mais je voulais d’abord fournir du contexte pour la discussion.
La présidente : Je tiens à vous remercier pour votre bon sens. Les résidants de Toronto et de Vancouver composent avec des voies cyclables qui sont censées assainir l’environnement, mais qui provoquent des bouchons de circulation s’étalant sur des kilomètres, forçant ainsi les moteurs à tourner au ralenti parce que la route a été réduite à une voie. L’initiative est vraiment contre-productive, et la coordination des feux de circulation serait une solution simple qui changerait réellement la donne. Vos propos sont très utiles.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur McBride, je vous remercie sincèrement d’être parmi nous aujourd’hui. Je suis ravi que votre compagnie participe à notre étude. J’ai lu avec emballement sur le cycle de financement annoncé dans Betakit il y a 10 jours. Nous étudions les investissements dans le milieu des affaires. Vous représentez une compagnie détenant de la propriété intellectuelle et des données qui se penche sur un domaine de politique publique qui touche concrètement les citoyens puisqu’il est lié aux enjeux climatiques. Vous réalisez votre mission grâce à des investissements d’affaires privés, et c’est ce que nous étudions.
À mes yeux, les enjeux cadrent très bien ensemble : nous parlons d’une priorité publique qui s’allie à des investissements d’affaires généreux — liés aux données et à la propriété intellectuelle — dans un marché en baisse. De toute évidence, notre façon de gérer les données et la propriété intellectuelle est cruciale, et je suis ravi que vous abordiez la question en proposant des recommandations précises. J’aimerais cependant en savoir plus au sujet de la réglementation, des normes et de l’approvisionnement, que vous avez abordés. Ces outils sont extrêmement importants pour déclencher l’essor de débouchés, comme ceux dont Miovision peut tirer parti. Pouvez-vous approfondir ces trois outils? Je ne veux pas vous empêcher de parler de données et de propriété intellectuelle, mais j’aimerais beaucoup obtenir conseil de la part de quelqu’un qui a une si belle réussite à son actif. Vous travaillez avec 17 000 municipalités et vous voyez donc divers règlements, normes et processus d’approvisionnement à l’échelle planétaire. Veuillez nous faire part des pratiques exemplaires dans ces domaines.
M. McBride : Absolument, et je peux probablement laisser vos deux commentaires ensemble, monsieur le sénateur. J’ai siégé au groupe consultatif sur la stratégie numérique pour le secteur riverain de la Ville de Toronto pendant le projet de Sidewalk Labs de la ville. Le constat a été que, en tant que consommateurs sur Internet, nous remettons tous nos renseignements personnels aux grandes entreprises de la technologie en échange de vidéos de chats gratuites. En échange de nos renseignements personnels, nous recevons des services. C’est ce modèle d’affaires qui sous-tend la consommation sur Internet. On ne peut revenir en arrière. Le mal est fait, et on n’y peut pas grand-chose. Or, le projet Sidewalk Labs a démontré qu’il existe un différent type d’Internet qui s’applique aux données civiques — aux données du milieu bâti — et que la société civile a raison de s’inquiéter de la façon dont ces données sont utilisées et monnayées, et des entités qui tirent profit de cette monétisation. Fondamentalement, je crois que le volet d’Internet centré sur les données civiques doit s’arrimer à une forte acceptation sociale. Le modèle ne doit pas se résumer à accorder à des monopoles de données un avantage économique en échange de services gratuits. Les données liées au milieu bâti s’accompagnent d’une robuste acceptabilité sociale. J’imagine qu’il en va de même pour les données de santé.
En réponse à votre question sur l’approvisionnement, la normalisation et la réglementation, je peux vous parler de mes secteurs : les logiciels et la technologie. Si nous nous dotons d’une stratégie nationale sur les données issues du milieu bâti, nous pouvons convenir qu’elle doit s’accompagner d’une acceptabilité sociale. Si nous créons une politique sociale de façon réfléchie, c’est-à-dire en exigeant que les données soient régies de façon à créer des débouchés économiques et à maintenir l’acceptabilité sociale, nous devrons intervenir sur le plan des normes et, au bout du compte, sur le plan de la mise en œuvre technologique pour garantir ce résultat. Il existe une corrélation directe entre la politique et la technologie employée pour mettre la politique en œuvre.
Afin de garantir que cette politique soit mise en œuvre dans le respect de l’acceptabilité sociale — au niveau de nombreux fournisseurs, municipalités et utilisations —, les gouvernements doivent définir les normes, se servir de ces normes pour rédiger la réglementation, puis lier les contrats d’approvisionnement de la technologie à la réglementation et aux normes.
Si on laisse les entreprises privées — des technologues comme Miovision, par exemple — définir les normes entourant la gouvernance, l’emmagasinement et l’utilisation des données, on risque de se retrouver avec des décisions prises par des intérêts privés qui répondent de leurs actionnaires. Ces décisions seront bénéfiques pour les actionnaires, mais pas nécessairement compatibles avec l’acceptabilité sociale et les principes démocratiques.
Il est contre-intuitif d’entendre un représentant d’une entreprise privée dire : « Veuillez contribuer à définir cette réglementation, à créer les normes et à favoriser les contrats d’approvisionnement dans ce domaine. » Le projet Sidewalk Labs nous a démontré que, si elle est laissée à elle-même, l’industrie provoquera une réaction brutale de la part de la population, ce qui freinera la croissance technologique dans la société.
Ces concepts peuvent être abstraits — voire ésotériques — de nature, mais je félicite le comité de nous avoir regroupés pour avoir cette discussion, car l’enjeu est des plus importants.
Le sénateur C. Deacon : Je tiens à vous remercier. C’est un conseil précieux que d’entendre qu’il faut d’abord s’assurer que les citoyens se sentent protégés et bien servis par l’utilisation des données afin d’obtenir de bonnes données et d’en retirer d’appréciables bienfaits sociaux.
M. McBride : Tout à fait.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur McBride, d’être parmi nous.
J’aimerais poursuivre sur le même thème et peut-être préciser à quel point il est urgent de concevoir une stratégie nationale sur les données. Nous étudions l’investissement des entreprises au Canada. Dans quelle mesure une telle stratégie nous aiderait-elle, et quelle importance revêt-elle pour accroître les investissements au Canada? Nous savons maintenant tous que les données stimulent la croissance économique et l’innovation. Nous en convenons tous.
Vous avez parlé de données civiles, ainsi que de la confiance et d’un contrat social avec les Canadiens. Il se produit toutefois des fuites aux échelons les plus élevés. Des documents classifiés de renseignement américains ont fait l’objet de fuites, et le citoyen canadien moyen sait que la protection des renseignements personnels est une grande préoccupation. Avez-vous des idées quant à la façon de bâtir et de renforcer cette confiance? À quel point est-il réaliste de nouer un bon lien de confiance? Si d’autres pays y parviennent, quelles mesures judicieuses prises ailleurs devrions-nous reproduire ici?
M. McBride : Je vous remercie des questions, monsieur le sénateur.
Je vais vous faire part de deux idées reliées. Tout d’abord, il y a de nombreux précédents dans la gestion des ressources naturelles au Canada et, bien que les solutions ne soient pas directement applicables à notre contexte, les analogies sont transposables. Le pétrole extrait du sous-sol représente une ressource très précieuse. Il sert à de nombreuses applications et peut améliorer la vie des citoyens partout sur la planète, mais il est également risqué de le transporter. Il est associé à des considérations environnementales. Personne ne veut de déversements de pétrole dans un milieu humide.
On a élaboré des mécanismes d’application de la réglementation, des politiques et des normes pour veiller à transporter de façon responsable le pétrole du point A au point B et à l’acheminer aux marchés où il apporte un avantage.
Il en va de même pour les données. Elles constituent une ressource naturelle. Elles présentent des caractéristiques qui les distinguent de matières comme le pétrole, mais elles constituent fondamentalement une ressource naturelle. Elles peuvent faire le bien si elles sont utilisées, autorisées et régies adéquatement. Or, tout comme le pétrole, elles peuvent aussi servir à des fins malveillantes.
De cette perspective, les données ne sont ni bonnes ni mauvaises. Ce qui compte, c’est de les encadrer d’une bonne intendance et de respecter certaines réalités comme l’acceptabilité sociale. Voilà le bon cadre pour aborder les données.
Un volet de votre question portait sur l’urgence. Je peux dire que, il y a environ 10 ans, les données étaient en quelque sorte le produit dérivé de la propriété intellectuelle. On pouvait détenir un brevet et concevoir un logiciel connexe, ce qui générait des données. Les données étaient le résultat du processus, mais la propriété intellectuelle demeurait la composante prisée.
Puis, cette réalité qu’on appelle l’apprentissage profond — plus communément appelée l’intelligence artificielle, ou IA — est entrée en scène. À partir de ce moment, on a commencé à se servir des données pour concevoir des logiciels. On se fiait jadis à de brillants experts pour développer des logiciels, mais, de plus en plus, on entraîne les algorithmes d’intelligence artificielle à se servir des données.
Les données étaient auparavant les produits résiduaires de la propriété intellectuelle, puis elles sont soudainement devenues l’élément le plus inestimable de l’industrie de la technologie. En effet, quiconque détient les données peut entraîner l’intelligence artificielle, qui est la grande créatrice de valeur dans l’économie de la technologie.
Ce changement a commencé à s’opérer il y a 10 ans. Je suis certain que vous avez tous vu ChatGPT ou joué avec cet outil. La tendance va maintenant croissant. L’urgence découle de technologies comme ChatGPT ou de certaines des technologies en cours de développement qui seront lancées sous peu, comme Auto-GPT. Je n’entrerai pas dans les détails, mais, si ChatGPT était le premier mammifère, Auto-GPT est le premier humain.
L’urgence réside dans le fait que ces technologies transformeront non seulement notre façon d’être productifs, mais aussi le tissu même de la société au cours des deux prochaines décennies. Pour tout remettre en contexte, je dirai que j’ai récemment lu un article universitaire qui expliquait que, pendant la révolution industrielle, la productivité a crû d’environ 20 % dans l’économie mondiale en raison de l’invention de la machine à vapeur. On estime maintenant que l’intelligence artificielle générale, ou IAG, au fur et à mesure qu’elle deviendra accessible et se répandra dans l’économie au cours des 20 à 30 prochaines années, fera augmenter de 40 à 50 % la productivité dans l’économie mondiale.
Si on tient compte des répercussions économiques, mais aussi sociales et politiques, de ce virage, les changements seront encore plus profonds que ceux de la révolution industrielle. En tant que technologue, je suis aux premières loges de cette transformation imminente, mais il est primordial que les décideurs se mettent à réfléchir à ce qui nous attend. Sinon, le changement nous prendra de court, et nous serons incapables de réagir.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Massicotte : J’ai de nombreuses questions. Je vous suis reconnaissant de votre résumé sur les événements des siècles derniers quant à la technologie.
Vous avez mentionné ChatGPT. Comme vous le savez, plus de 1 000 scientifiques — des experts très réputés en intelligence artificielle — ont recommandé un arrêt du développement de ces technologies. Qu’en pensez-vous? Les faits sont effrayants quand on lit à ce sujet. Ces 1 000 personnes sont brillantes, et elles croient qu’on devrait suspendre les avancées.
M. McBride : Je suis un entrepreneur, alors je vois un verre à moitié plein quand je regarde le monde. J’entrevois une multitude de possibilités à l’avenir.
Or, plus je comprends les technologies d’intelligence artificielle qui pondront — et rien ne garantit que nous pourrions suspendre leurs avancées même si nous le voulions —, plus je me dis que je n’ai rien vu de tel auparavant qui s’implante aussi rapidement et qui entraîne des effets aussi profonds.
Je ne veux pas monopoliser tout le temps, mais je vais vous faire part rapidement d’une expérience que j’ai vécue la semaine dernière. Il existe une technologie qui s’appelle Auto-GPT. Elle est développée par les mêmes personnes qui ont conçu ChatGPT, OpenAI. Auto-GPT est essentiellement une technologie de production. Par exemple, je lui ai demandé de rédiger une page Wikipédia sur Kurtis McBride et de la publier sur Wikipédia. L’outil prend du recul et réfléchit à la manière de s’y prendre, puis il revient et dresse la liste des étapes à suivre : je vais naviguer sur Google, faire une recherche sur Kurtis McBride, faire une recherche sur la procédure pour publier l’information sur Wikipédia, rédiger l’article et le publier. L’outil demande ensuite à l’utilisateur s’il peut se mettre au travail, puis l’utilisateur répond « oui ».
Auto-GPT effectue chacune des étapes. Il fait des recherches sur Google pour vous, assimile la recherche fondamentale, la transforme en page Wikipédia et vous demande votre nom d’utilisateur et votre mot de passe pour la publier — le tout, en huit minutes. Il aurait fallu à une personne qui ne connaît pas du tout Kurtis McBride une journée entière pour rédiger cet article.
L’incidence d’une telle technologie est énorme pour bien des domaines. On peut commencer à manifester une intention par l’entremise d’un logiciel. Cette capacité est poussée.
Je suis un technologue, pas un décideur. Je ne connais pas la réponse. Devons-nous ralentir les avancées? Devons-nous renforcer les capacités au sein du gouvernement pour réfléchir à la question? Je souligne néanmoins que je n’ai jamais rien vu de tel auparavant. Je crois que la technologie qui s’en vient offre de formidables possibilités pour générer une nouvelle richesse pour le pays, mais elle s’accompagne aussi de risques si nous ne la gérons pas activement.
La présidente : Deux ou trois de mes amis ont aussi demandé à l’outil de rédiger une biographie. La vôtre était-elle fidèle? La leur ne l’était pas.
M. McBride : Je dirais que des erreurs s’y étaient certainement glissées, mais les erreurs n’étaient pas nécessairement plus graves que celles qu’un inconnu aurait commises en rédigeant l’article de Wikipédia. J’ai retiré l’article du site.
La présidente : Cela vaut en tout cas pour les erreurs dans Wikipédia.
Le sénateur Massicotte : Selon ce que je sais de ce logiciel, j’imagine que ces erreurs disparaîtront quand il aura accumulé quelques mois d’expérience supplémentaires.
Il y a quelques années, lorsque l’intelligence artificielle s’est implantée aussi intensément, un grand groupe de personnes croyait qu’il fallait reporter — on ne parlait pas de pause — les développements parce que la situation pourrait devenir difficile notamment sur le plan militaire. Avez-vous des commentaires à ce sujet?
M. McBride : Je me répète, mais je suis un technologue, alors je me retiendrai de me prononcer sur cette politique publique. Cela dit, je pense qu’il faudrait à tout le moins pouvoir débrancher la technologie. Les données sont disponibles. On se fie de plus en plus au numérique et aux données pour donner suite aux résultats. Plus on se connecte à l’intelligence artificielle générale avec des technologies comme Auto-GPT, plus on lui donne de contrôle. Cela ne veut pas nécessairement dire que les choses vont mal tourner. De telles initiatives pourraient mener à un monde d’abondance et créer de l’activité économique et de nouveaux types d’emploi. La mise en ligne ne sera pas nécessairement néfaste.
Cela dit, le message que j’aimerais faire passer ressemble à celui que j’ai passé plus tôt sur l’importance d’agir de façon intentionnelle en matière de normes, de réglementations et d’approvisionnement. C’est inévitable, le changement va se produire. Allons-nous le subir ou l’initier? Je pense que le message est le suivant : « Agissons de façon intentionnelle dans ce dossier. » Veillons à utiliser cette technologie d’une manière qui soit compatible avec les valeurs canadiennes et qui réponde aux impératifs stratégiques de notre pays. Sinon, d’autres intégreront leurs impératifs ou leurs valeurs dans ces technologies, et nous n’aurons pas voix au chapitre.
La sénatrice Galvez : Je remercie notre invité de sa présence et de cette discussion intéressante. De mon point de vue, les villes intelligentes sont à l’intersection de l’économie axée sur les données, de l’économie du bien-être ou des soins et de l’économie à faible émission de carbone. Ce serait fantastique d’en avoir plus. Vous avez raison de dire que les exemples ne manquent pas dans le monde. On en voit notamment en Corée du Sud, au Japon et en Europe.
Cela dit, la grande préoccupation, c’est l’investissement. C’est ce qui inquiète mes collègues. Comment peut-on obtenir des investissements pour cette initiative? Vous avez souligné trois points, à savoir l’approvisionnement, les réglementations et la croissance des marchés.
Le Canada dispose d’une politique sur l’approvisionnement écologique depuis 2018. Or, la mobilisation actuelle prouve que ce n’était pas suffisant.
Comment pouvons-nous générer davantage d’investissements, selon vous, si nous optons pour une politique de gouvernance des données et si nous cherchons à harmoniser nos finances avec nos objectifs climatiques?
M. McBride : Je vous remercie, madame la sénatrice. J’adore cette question.
Je vais vous donner un exemple auquel nous avons réfléchi. Nous avons d’ailleurs eu des discussions préliminaires à ce sujet avec des représentants du gouvernement.
L’optimisation de la circulation routière dans une ville permet entre autres de réduire les émissions. Prenons l’exemple de la moyenne de 100 tonnes par intersection que j’ai donné dans mes remarques liminaires. Les villes ont des budgets restreints, et elles sont aussi affectées par l’inflation et les problèmes de chaînes d’approvisionnement que n’importe qui. Elles ne sont pas toujours les mieux placées pour faire ces investissements, même si elles aimeraient les faire. Nous avons essayé d’être un chef de file dans notre industrie, notamment en développant un lien entre les réductions d’émissions dues à des produits comme les miens et ceux de mes concurrents et les marchés du carbone.
Le gouvernement du Canada vient de créer un registre fédéral. Il existe également des registres volontaires qui permettent de transformer une réduction vérifiable des émissions de carbone en crédit carbone et de la monnayer en tant qu’actif. Il s’agit d’infrastructures municipales, selon nous. La ville devrait posséder cet actif carbone. Nous allons essayer de créer une méthodologie. Nous aimerions qu’elle figure dans le registre canadien. Si ce n’est pas le cas, elle se retrouvera dans l’un des registres volontaires. Cela dit, en créant ce lien entre les réductions d’émissions qu’on génère de toute façon sur le marché — bien qu’à un rythme plus lent parce qu’il n’y a pas autant d’argent qu’il en faudrait pour enclencher cette transformation —, et les marchés du carbone, on générerait tout d’un coup une nouvelle source de revenus pour la ville qui lui permettrait d’évoluer en matière d’intelligence.
Voilà un exemple de leadership chez Miovision. Nous tentons de faire notre part, d’en parler, d’éduquer et d’encourager le changement, mais, pour être tout à fait franc, il n’a pas été facile de convaincre certaines branches de la bureaucratie canadienne à cet égard. Selon nous, il s’agit vraiment d’utiliser l’économie du libre marché pour accélérer la décarbonisation et la création de villes intelligentes.
Si l’on changeait légèrement la façon de percevoir le registre du carbone et si l’on tentait de le relier aux résultats environnementaux et économiques, je crois que l’on pourrait accomplir beaucoup de choses.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie grandement de nous donner toutes ces informations.
Vous avez dit au début — ou c’était peut-être la présidente — que vous avez étudié à l’Université de Waterloo, mais que vous êtes maintenant au Texas, alors je ne sais pas si nous devons en déduire quelque chose. J’aimerais entendre votre point de vue. Vous avez probablement acquis de l’expérience — en tout cas au Canada, aux États-Unis et peut-être dans d’autres pays —, mais qu’est-ce qui vous frappe dans les comparaisons? Où en sommes-nous par rapport à d’autres pays? Je ne cherche pas seulement le négatif, mais aussi le positif. Je sais que nous sommes à la traîne et que la situation est accablante, mais pourriez-vous nous parler d’aspects positifs si vous en avez constaté? Je m’intéresse à la façon dont nous nous comparons aux autres, et je suis très sensible à l’enjeu d’émigration aux États-Unis et ailleurs.
M. McBride : Pour être clair, je vis à Kitchener et je suis très fier d’être Canadien. Je ne suis ici que pour cinq jours. Je participe à un salon professionnel pour essayer de vendre de la technologie canadienne aux Américains.
En tant que Canadiens, nous aimons nous critiquer pour tout ce que nous pourrions faire mieux. Or, nous faisons beaucoup de bonnes choses. Nous disposons d’avantages concurrentiels à l’international dans cette économie des données; la marque de commerce canadienne jouit entre autres d’une grande confiance dans le monde entier. Lorsque je voyage et que je dis que mon entreprise est canadienne, cela m’ouvre des portes à l’étranger. Les gens font confiance à mon entreprise parce qu’ils font confiance au Canada.
La confiance est essentielle dans l’économie des données. Tout repose là-dessus. Nous avons parlé d’acceptabilité sociale. Si vous vouliez bâtir une ville intelligente — et nous avons parlé de Sidewalk Labs un peu plus tôt — feriez-vous confiance à Google ou à une entreprise canadienne qui opère dans un environnement réglementaire qui garantit une gestion adéquate des données, l’application du principe d’acceptabilité sociale et le respect de la vie privée? Selon moi, notre culture et nos valeurs sont tout à fait compatibles avec l’économie des données qui doit se bâtir avec des données civiques contrairement aux modèles commerciaux et aux valeurs des services Internet grand public.
Si nous pouvions nous organiser pour lier ces valeurs à des politiques qui créent de la propriété intellectuelle et des entreprises axées sur ces valeurs, il y aurait là une occasion majeure d’exportation. Le Canada a beaucoup d’autres aspects positifs, mais c’est celui qui me vient à l’esprit, du moins dans le cadre de cette conversation.
La sénatrice Marshall : Tout ce que nous entendons, c’est que c’est la réglementation gouvernementale qui ralentit de nombreux progrès au pays, et vous avez soulevé la chose tout à l’heure. Est-ce le plus gros problème, selon vous? Y a-t-il une chose que vous souhaiteriez que nous changions et qui nous permettrait de faire de réelles avancées?
Serait-ce le régime réglementaire?
M. McBride : Ma réponse sera nuancée. La réponse courte serait peut-être oui, mais si je veux être nuancé, je dirais qu’il faudrait relier les impératifs stratégiques au pays aux régimes réglementaires et ultimement aux mouvements de fonds, qu’il s’agisse d’approvisionnement ou de mouvements de fonds destinés aux provinces et aux villes. Il nous faut réfléchir à l’ensemble du continuum.
Si nous n’en réglons qu’une partie, nous risquons de déplacer le goulet d’étranglement ailleurs. Quels sont les piliers importants pour le pays, selon nous? On parle des soins de santé, de la protection de nos enfants, et de la mise en place d’une économie à zéro émission de carbone. Je pense que nous nous en tirons assez bien avec ces comparaisons stratégiques qui nous tiennent à cœur et qui sont liées aux valeurs canadiennes.
Cela dit, notre faiblesse, selon moi, c’est le lien entre les impératifs, les réglementations, les normes et la série d’approvisionnements qui est impératif pour garantir des résultats. Nous devons faire preuve de beaucoup de nuance, mais, en fin de compte, nous devons veiller à examiner constamment l’ensemble du flux de travail et du processus et nous demander si tout est bien lié.
Le gouvernement a créé le Service de croissance accélérée, ou SCA. Voilà un deuxième acronyme de trois lettres dans le cadre de notre discussion d’aujourd’hui. Il s’agissait d’une tentative de rassembler tous les programmes de subventions et tous les programmes de financement par capitaux propres et par emprunt en une seule interface. Avec mon entreprise, je pouvais m’entretenir avec un représentant du SCA et accéder à la Banque de développement du Canada, à Exportation et développement Canada, au Programme d’aide à la recherche industrielle ou à l’Agence fédérale de développement économique pour le Sud de l’Ontario. C’était un excellent programme, mais il n’était axé que sur les dépenses de fonctionnement et les bilans. Il ne tenait pas compte des revenus.
Si l’on élargissait ce programme pour avoir des discussions stratégiques sur les réglementations, les normes, la politique d’approvisionnement, les subventions et les capitaux, on disposerait soudainement d’un guichet unique couvrant l’ensemble du gouvernement. Une entreprise pourrait faire appel au programme pour avoir une discussion stratégique avec le gouvernement fédéral sur le développement global de son marché.
La sénatrice Marshall : Je n’ai jamais entendu parler de ce service, et nous nous entretenons pourtant avec tous les ministères. De quel ministère relève-t-il?
M. McBride : C’est une bonne question. Je présume qu’il doit relever d’ISDE, mais je peux faire des recherches et vous revenir là-dessus. Cela dit, le programme s’appelle Service de croissance accélérée.
La présidente : Nous allons trouver le ministère concerné.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de prendre le temps de discuter avec nous.
Vous avez dit des choses intéressantes sur le défi qui nous occupe. Je vis à Toronto, et j’ai donc bien sûr suivi le débat polarisant sur Sidewalk Labs et son échec subséquent. Encore une fois, cela témoigne de la méfiance de la population envers les grandes entreprises qui ont accès à des données très lucratives. Personne n’était confiant malgré leur classe politique; on ne comprenait pas vraiment l’intensité de l’affaire.
Vous avez un point de vue différent, et je pense que c’est un point de vue unique dans votre domaine. Vous estimez que l’intérêt public devrait être primordial dans ce dossier. Étant donné le défi auquel sont confrontées les municipalités, à savoir le manque de ressources pour faire ce qu’il faut pour les citoyens — et c’est le cas partout au pays en raison du mode de financement —, j’estime que nous avons une réelle occasion de réfléchir à la manière de régler le problème, parce que les municipalités recueillent énormément de données. Elles sont le palier gouvernemental le plus près des citoyens. Plus important encore, ce sont elles qui essaient de trouver la meilleure façon de servir leurs citoyens à long terme.
Compte tenu des difficultés que nous rencontrons avec les provinces, les municipalités et leurs responsabilités, le gouvernement fédéral ne devrait rien avoir à faire avec cela. De plus, l’approvisionnement a toujours été restreint au contexte de la réglementation du commerce international. Nous ne faisons rien parce que nous ne voulons pas enfreindre les règles de l’Organisation mondiale du commerce. Comment pouvons-nous combler ce fossé? Comment pouvons-nous tenter d’être nettement plus proactifs dans notre gestion de l’approvisionnement afin d’aider les entreprises canadiennes à croître tout en veillant à garder les avantages existants?
Comment pouvons-nous renforcer la confiance de nos concitoyens en leur montrant qu’il est possible de recueillir des données sans craindre qu’elles soient compromises? Les Torontois ont beaucoup insisté là-dessus. Ils ne voulaient pas que Google ait accès à leurs données.
M. McBride : Votre question comprend beaucoup d’éléments. Tout d’abord, en ce qui concerne l’exemple de Sidewalk Labs, l’acceptabilité sociale ne peut pas provenir d’une entreprise privée. Je ne peux pas dire que j’accorde une acceptabilité sociale. Elle doit venir du secteur public, car c’est là que réside la confiance. Les choses se résument donc souvent à des principes d’organisation.
Permettez-moi de vous donner un exemple. Je suis originaire de l’Ontario, qui comprend 400 municipalités. Chacune d’entre elles dispose d’un mandat en matière de données ouvertes. La province en a également un. Elles investissent toutes à cet égard. Elles disposent toutes d’une équipe qui travaille dans le département des données ouvertes. Cela dit, il existe 400 stratégies différentes, et donc 400 normalisations distinctes pour ces données. Prenons le cas des données sur la circulation. Il y a 400 façons différentes de les organiser et de les distribuer. Or, les données ne sont pas particulièrement un atout précieux lorsqu’il y a 400 approches, parce qu’il est très difficile de les traiter et de les utiliser.
Pensons aux principes d’organisation. Si l’on tentait d’organiser les dépenses des 400 municipalités pour tendre vers la normalisation et si l’on tenait compte à la fois de la gouvernance et de l’acceptabilité sociale pour ces données, l’on pourrait obtenir 10 ou 100 fois plus de résultats. Il suffirait de prendre le temps nécessaire pour concevoir un meilleur système. Posons-nous des questions. Comment pouvons-nous utiliser ces données? Qui devrait les utiliser, et pendant combien de temps? Qu’adviendra-t-il de ces données une fois que nous n’aurons plus d’utilité pour elles?
Je suis de très près certaines initiatives en cours du gouvernement de l’Ontario, qui envisage d’essayer de mettre en place un service public de données ou une autorité qui tenterait d’effectuer ce travail. Je pense que c’est un excellent exemple d’initiative gouvernementale dans ce domaine. Mais oui, votre question comprend beaucoup d’éléments.
Fondamentalement, le rôle du gouvernement n’est pas nécessairement de concevoir la technologie, les capteurs ou les bases de données, mais plutôt de réfléchir à l’acceptabilité sociale et de faire preuve de leadership, et ce, même si ce sont des entreprises privées qui font part de leur point de vue. Le gouvernement doit rassembler. J’ai noué de nombreuses relations avec des membres de la société civile dans le cadre du projet de Sidewalk Labs, et je dirais qu’il y a généralement plus de points en commun entre la société civile et mon monde qu’on pourrait le croire, parce que nous voulons les mêmes choses, à savoir un meilleur avenir pour nos enfants et une meilleure économie pour faire progresser le pays. Il y a moyen de faire les deux.
Le sénateur Yussuff : Si je peux me permettre, comment peut-on procéder pour approfondir la discussion avec nos citoyens? Si, dans une large mesure, nous ne les mobilisons pas, le problème demeurera titanesque pour surmonter les obstacles et atteindre les résultats souhaités par nos municipalités. On entend dire tous les jours qu’elles manquent de ressources, mais elles ont d’autres façons de s’en procurer en tirant parti des quantités incroyables de données qu’elles possèdent sur leurs citoyens et leur communauté et, bien sûr, elles n’en profitent pas à l’heure actuelle.
M. McBride : Je vais répéter que je suis un technologue, alors je ne veux pas trop m’aventurer sur le terrain de la politique publique, mais je pense vraiment que c’est une question d’utilisation. Lorsque j’achète un article sur Amazon, je ne parle pas de l’échange de TCP/IP — le protocole de contrôle de transmission et le protocole Internet— qui sous-tend la transaction. Je ne parle pas des protocoles sur Internet qui me permettent d’acheter cet article sur Amazon. Ce qui m’intéresse, c’est recevoir ma commande le lendemain.
Les discussions avec les citoyens portent souvent sur les données, la protection des renseignements personnels et la valeur économique, et je ne veux pas dire que ces discussions ne sont pas importantes, mais elles vont à l’encontre de ce que les citoyens veulent vraiment, soit vivre dans un endroit plus sûr, moins pollué, plus productif ou avantagé économiquement. Si nous arrivons à orienter les discussions sur le fait qu’en faisant bien les choses — avec une acceptabilité sociale, des normes, un objectif clair —, nous pouvons réduire le taux de mortalité sur les routes ou les émissions de carbone dans l’atmosphère, ou accroître les possibilités économiques pour les entreprises en démarrage, j’ose croire que les citoyens s’en réjouiraient, dans la mesure où ils font confiance aux institutions qui régissent les principes sous-jacents sur lesquels tout cela repose.
La présidente : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Cardozo : Ma question porte sur ChatGPT. Je m’excuse d’avoir raté votre déclaration liminaire. J’ai dû m’absenter quelques minutes, alors il se peut que vous en ayez parlé.
Tout d’abord, pourriez-vous nous en dire plus au sujet d’Auto-GPT et qu’est-ce que cela implique? Pour ce qui est de ChatGPT, j’ai entendu il y a quelques mois l’expression disant que l’humanité s’apprête à franchir le Rubicon. Vous avez dit que cette révolution sera plus profonde que la révolution industrielle. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi elle sera si profonde et pourquoi nous semblons ne pas nous en rendre compte? Je pense notamment au fait que cette technologie sème le chaos dans tout le système d’éducation et de recherche, car on se demande pourquoi un étudiant consacrerait des jours et des mois à effectuer des recherches sur un sujet quand il peut demander à ChatGPT de le faire en huit minutes, comme vous l’avez souligné. Quelles sont les autres répercussions?
À l’heure actuelle, il semble que ces outils soient assez inoffensifs et neutres, mais je suis certain qu’ils peuvent être manipulés facilement par toutes sortes de forces politiques. Ils peuvent accroître la polarisation, servir des desseins politiques, créer le chaos, etc. Suis-je trop pessimiste à ce sujet?
M. McBride : Honnêtement, je ne le sais pas. J’aimerais vous dire que c’est le cas, mais je l’ignore. Comme toutes les technologies et tous les outils, ils peuvent être utilisés à bon et à mauvais escient.
Pour répondre à votre question au sujet d’Auto-GPT, je vais essayer de vous brosser un tableau. Nous avons ChatGPT et nous avons Auto-GPT. Ils sont liés l’un à l’autre. ChatGPT est une étape dans le déroulement du travail. Disons, par exemple, que Miovision veut accroître la taille de son auditoire sur les médias sociaux pour accroître son chiffre d’affaires. Je veux doubler le nombre de personnes qui regardent mon contenu marketing.
Normalement, j’embaucherais un certain nombre de gens brillants qui sont bons dans la création de contenu, bons dans l’utilisation des outils, bons dans l’évaluation des résultats obtenus lors de nos tentatives, et ensuite nous répéterions l’expérience jusqu’à ce que nous sachions comment accroître l’auditoire. Arrive alors ChatGPT qui peut faire l’étape de la création de contenu. Je peux donc demander à ChatGPT de m’écrire un article de blogue, un article pour LinkedIn, de trouver les 17 profils que je dois cibler sur LinkedIn. En fin de compte, toutefois, c’est encore une personne qui réunit toutes les étapes. La personne se dit qu’elle commencera par faire des recherches sur les profils, puis qu’elle va écrire l’article, puis qu’elle va produire tel contenu vidéo, puis qu’elle va l’afficher, puis qu’elle va examiner les résultats pour voir si cela a fonctionné, puis qu’elle va répéter l’exercice.
Auto-GPT est la personne qui effectue les étapes. Avec Auto-GPT, je lui dis simplement de doubler la taille de mon auditoire sur les médias sociaux, et il va réfléchir aux meilleures façons de procéder pour me permettre d’y parvenir, et il pourrait arriver à une conclusion plus pointue que celle de mon équipe de gens brillants sur la marche à suivre. Ensuite, il utilisera ChatGPT pour réaliser ces étapes. Soudainement, le travailleur qualifié de demain n’est plus celui qui est vraiment doué pour réaliser chacune de ces étapes. C’est la personne qui peut imaginer le but, qui peut trouver l’objectif que nous voulons que l’intelligence artificielle atteigne. Auto-GPT ne peut pas le faire aujourd’hui, mais je vous parie que d’ici 12 mois, la grande majorité du marketing numérique sera réalisée à l’aide d’outils comme Auto-GPT.
Les répercussions sont profondes. Imaginez, par exemple, que je puisse demander à Auto-GPT de doubler ma valeur nette, de créer une politique publique. La manière dont nous utilisons ces outils peut avoir des effets positifs importants sur la société, mais elle peut aussi avoir des effets négatifs. Pensez aux médias sociaux et à des outils comme TikTok aujourd’hui et aux répercussions qu’ils ont sur nos enfants. Imaginez qu’au lieu d’avoir des techniques de comportement conçues par l’humain, ce sont des techniques de comportement pilotées par un Auto-GPT en constante évolution qui sont utilisées dans les médias sociaux. Cela pourrait devenir hors de contrôle si nous n’avons pas la réglementation nécessaire pour encadrer ces outils.
Êtes-vous pessimiste à ce sujet? J’espère que non. J’espère que l’avenir ressemblera davantage à Star Trek qu’à Star Wars, mais l’avenir nous le dira.
La présidente : D’accord. Nous devons nous concentrer sur l’investissement des entreprises.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur McBride, je vous remercie encore une fois d’être avec nous. Vos commentaires sont très utiles.
Je voudrais parler de la façon pour nous de renverser la vapeur, et l’image que j’utilise est le fait que nous sommes au mauvais bout de l’aspirateur de données. Comment pouvons-nous renverser la vapeur et nous trouver au bon bout, ici au Canada, pour faire en sorte que les Canadiens voient leurs données utilisées au profit de tous les citoyens, à leur profit, et non pas au profit d’une entité étrangère? La transférabilité des données est un élément très important à cet égard, de même que, je pense, le droit à l’oubli.
Si des organismes commencent à perdre les sources de données gratuites auxquelles ils ont accès, à ne plus être en mesure d’offrir autant de valeur aux consommateurs, et que les consommateurs choisissent d’être oubliés par ces organismes et se tournent vers des organismes en qui ils ont confiance et qui considèrent la protection de leurs renseignements personnels comme primordiale, je pense qu’on pourrait assister à une transition assez rapide vers ces organismes en qui ils ont vraiment confiance et voir croître ces organismes rapidement au Canada, à partir du Canada.
Pouvez-vous nous expliquer cela de votre point de vue? S’agit-il d’un système de valeurs raisonnable? Est-ce réalisable? Suis-je trop optimiste?
M. McBride : Non, pas du tout. Encore une fois, tout repose sur les principes d’organisation et sur leur clarté.
Vous faites allusion ici au concept de la souveraineté des données. En tant que particulier, la question est de savoir si j’accorde un droit de propriété sur mes données, ce qui est un peu le modèle actuel. Ainsi, lorsque j’utilise Facebook, Google ou Netflix et que je clique sur « Oui » pour le contrat de licence d’utilisation, je dis en substance : « Mes données vous appartiennent. Elles sont à vous en échange de l’accès à vos services. Vous en ferez ce que vous voulez, dans les limites de la loi, et je n’ai plus aucun droit sur elles. »
L’autre solution serait d’avoir un droit de licence sur mes données. Si nous considérons la souveraineté des données comme un droit de propriété perpétuel, Google ne peut jamais être propriétaire de mes données, tout comme Facebook. Je serai toujours propriétaire de mes données. Je suis libre d’accorder un droit de licence sur mes données à certaines conditions. Certaines de ces conditions peuvent être inscrites dans la loi comme vous le suggérez. D’autres peuvent relever de mon choix, et je pourrais modifier l’accord de licence que j’ai conclu au fil du temps.
À titre d’exemple, je suis heureux de vous accorder une licence pour mes données, mais je veux un partage des revenus. Je veux donc 30 % de tous les revenus que vous en tirerez. Je veux que cela me revienne. Ou encore, je veux bien vous accorder une licence sur mes données, mais voici les utilisations que vous serez autorisé à en faire. Vous ne pouvez pas les utiliser pour me cibler avec des publicités, mais vous pouvez les utiliser pour améliorer les services que vous me fournissez.
Aujourd’hui, en tant que citoyens, nous n’avons pas la souveraineté sur nos données. Nous cliquons sur « Oui » pour l’accord de licence — sans pouvoir de négociation —, en nous disant advienne que pourra.
Franchement, je ne veux pas du droit à l’oubli, je veux le droit de pouvoir tirer profit de mes données. Si vous faites en sorte que je sois oublié, je ne profite pas de services améliorés, de la monétisation de mes données. C’est un instrument très peu efficace pour atteindre un objectif. Je préférerais de loin avoir la souveraineté sur mes données et pouvoir tirer profit de leur utilisation.
Le sénateur C. Deacon : C’est un point de vue très intéressant. Si je devais ramener cela à l’investissement des entreprises, les organismes qui respectent ma souveraineté sur mes données seront ceux qui, à l’avenir, attireront le plus d’investissements parce qu’elles susciteront le plus de participation et généreront le plus d’occasions. Est-ce une hypothèse juste?
M. McBride : C’est exact, si on rédige les règlements, les normes et les marchés publics en se basant sur ce principe. C’est bien d’avoir le principe, mais il faut ensuite créer la dynamique de marché qui fait en sorte que les entreprises qui respectent ce principe sont plus rentables, croissent plus rapidement et présentent plus d’avantages pour les utilisateurs que celles qui décident de continuer à appliquer le modèle d’entreprise de prédation et de monopole des données. Car aujourd’hui, ce qui est vrai, c’est que ces modèles d’entreprise sont structurellement plus rentables que le modèle d’entreprise dont vous parlez, mais c’est en raison de la réglementation, des politiques et des normes, et pas nécessairement une vérité absolue.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie beaucoup.
Le sénateur Massicotte : J’aimerais que vous nous parliez des options. Je vais sans doute négocier 35 %, mais je suppose que vous plaisantez. Vous n’allez pas appeler Netflix et dire que vous voulez parler au président, car avant de regarder tel film, vous voulez négocier un meilleur accord. Je suppose que vous parlez d’une situation hypothétique, car cela ne se produit pas dans la vraie vie.
M. McBride : Il serait impossible pour moi, en tant que M. McBride, de téléphoner à Netflix et de dire que je veux 35 %. On me répondrait simplement de ne pas utiliser le service et de me désabonner.
Cependant, si on en fait un impératif national, par la voie de la réglementation et de la législation, si nous disons que toutes les sociétés de contenu vidéo doivent refléter la valeur des données des usagers d’une manière qui traduit un rendement économique qui ne doit pas être inférieur à X par rapport à l’utilisation de ces données, soudainement, vous changez la dynamique du marché. Vous changez les bases de la concurrence. Désormais, Amazon Prime et Netflix sont contraints de se concurrencer sur un modèle de partage économique et non plus seulement sur un modèle de contenu.
Je ne pourrais pas faire cela seul comme citoyen, mais si 35 millions d’entre nous se mobilisaient et le faisaient, nous pourrions certainement y arriver.
Le sénateur Loffreda : Je suis convaincu à ce stade de l’importance des données, du partage des données, de la croissance de notre économie et de la stimulation des investissements des entreprises — et je suis presque certain que mes collègues le sont aussi —, mais comment passer à l’étape suivante?
Les lois canadiennes sur la protection de la vie privée sont-elles suffisantes pour protéger les renseignements personnels des Canadiens? Les Canadiens et les citoyens sont toujours préoccupés par la protection de la vie privée, et nous avons parlé de l’importance du partage des données et de la confiance sociale. L’adoption d’une loi prévoyant de véritables sanctions pour les entreprises, les employés et les conseils d’administration en cas d’infraction permettrait-elle d’accroître le niveau de confiance et d’augmenter le partage des données?
Nous avons discuté des droits des citoyens, du droit au consentement, de l’obligation pour les entreprises de divulguer l’utilisation des données, qui sont autant de façons d’améliorer la loi. Quelles seraient vos priorités?
M. McBride : La vie privée est très importante, et je pense qu’il est nécessaire de moderniser nos lois à cet égard, mais nous devons aussi avoir une vue d’ensemble. La protection de la vie privée est l’un des aspects de l’acceptabilité sociale, mais ce n’est pas le seul.
Nous ne voulons pas créer un environnement dans lequel le Canada perd de son importance, car le monde est vaste. Les gens peuvent développer de la propriété intellectuelle dans de nombreux pays. Pensons au RGPD, le Règlement général sur la protection des données. Un grand nombre d’entreprises spécialisées dans les données et l’intelligence artificielle ne viennent pas d’Europe, car on y a adopté un point de vue particulier sur les données faisant en sorte qu’il n’est plus concurrentiel d’y créer des entreprises spécialisées dans les données. Ces entreprises sont désormais créées aux États-Unis et en Chine.
Cela ne veut pas dire que les États-Unis et la Chine font bien les choses pour autant. Au Canada, si nous nous concentrions davantage, à mon avis, sur la confiance comme impératif général, plutôt que précisément sur la protection de la vie privée, nous pourrions avoir une perspective plus globale.
La protection de la vie privée est un élément très important, et nous devons moderniser nos lois à cet égard, mais j’insiste sur le fait que la protection de la vie privée n’est qu’un aspect de l’acceptabilité sociale. L’équilibre entre les possibilités économiques et la confiance est le véritable enjeu ici.
La présidente : Vous avez parlé des interactions avec Innovation, Sciences et Développement économique Canada, Exportation et développement Canada ou la Banque de développement du Canada, peu importe, et j’aimerais y revenir. Vous avez dit que c’est utile, mais que ce qui manque, c’est la capacité d’avoir des discussions stratégiques sur la protection des données, la protection de la propriété intellectuelle ou la croissance des marchés. Y a-t-il des gens au sein du gouvernement fédéral qui, à votre avis, ont une vision claire de la situation?
M. McBride : J’ai été très impressionné par le rôle que jouent les gens à Exportation et développement Canada dans le monde actuellement. C’est peut-être la seule équipe qui a vraiment tout compris.
Si je pouvais agiter ma baguette magique et faire en sorte qu’un seul élément ressorte de cette discussion, je dirais qu’il est très difficile pour une entreprise privée — ou 440 personnes, mais dans le grand ordre des choses, nous sommes très petits — de mobiliser l’ensemble du gouvernement.
Pour coordonner un programme comme celui dont je parle — créer une initiative stratégique sur la modernisation des feux de circulation —, je me promène entre l’Innovation, Sciences et Développement économique Canada, parce que mon entreprise en est une de technologie, le ministère de l’Environnement, parce qu’il s’agit d’un aspect environnemental, et Transports Canada parce que cela va toucher les intersections. Dans les faits, tous ces acteurs doivent être à la table et participer, mais il m’est très difficile de les mobiliser.
Si j’avais un moyen d’interagir horizontalement avec le gouvernement ou un moyen d’interagir verticalement avec lui pour avoir des discussions stratégiques, basées sur des objectifs, et qu’ensuite le gouvernement pouvait intervenir — s’il décidait que c’était quelque chose qu’il veut faire et qu’il a à cœur — et mobiliser les différents intervenants concernés, cela changerait la donne, non seulement pour moi, mais pour beaucoup de mes contemporains.
La présidente : Un guichet unique?
M. McBride : Ce serait formidable.
La présidente : Je vous remercie beaucoup, monsieur McBride. Nous avons eu une séance très utile et instructive.
M. McBride : Je vous remercie.
(La séance est levée.)