LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 11 mai 2023
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier la teneur des éléments des articles 118 à 122 concernant le minage de cryptoactifs dans la partie 2, et des sections 1, 2, 6, 7, 26, 33 et 37 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à vous tous dans la salle et en ligne. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.
Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité. Je vais présenter les autres membres parmi nous aujourd’hui : le sénateur Deacon, le sénateur Gignac, le sénateur Loffreda, la sénatrice Marshall, le sénateur Massicotte, la sénatrice Ringuette, le sénateur Smith et le sénateur Yussuff. Les sénateurs Dean et Cardozo participent également à la réunion d’aujourd’hui.
Nous poursuivons notre examen de la teneur des éléments du projet de loi C-47, la Loi d’exécution du budget. Je crois que vous avez reçu le courriel, la note d’information, aujourd’hui. Le premier groupe de témoins se penchera sur la TPS et la TVH en lien avec le minage de cryptoactifs; le deuxième, sur la Loi sur les normes de prestation de pension; et le troisième, sur la Loi sur les banques.
Je fais un rappel et une demande à tous les sénateurs. Notre temps est très limité, alors il est primordial que les questions portent sur les sujets à l’étude, que nous nous abstenions de formuler de longs préambules et que tant les questions que les réponses soient aussi brèves que possible.
Nos premiers témoins vont nous éclairer sur la partie 2, qui porte sur le traitement du minage de cryptoactifs sous le régime de la TPS et de la TVH. Nous avons le plaisir d’accueillir, en personne, trois témoins représentant la Digital Asset Mining Coalition : Daniel Brock, associé au Cabinet d’avocats Fasken; David Robertson, associé au EY Cabinet d’avocats; et Tamara Rozansky, associée chez Deloitte LLP.
Bienvenue à vous trois. Je vous remercie d’être parmi nous.
Monsieur Brock, avez-vous une déclaration liminaire au nom du groupe? Veuillez débuter.
Daniel Brock, associé, Cabinet d’avocats Fasken, Digital Asset Mining Coalition : Nous vous remercions, madame la présidente et honorables sénateurs, de nous avoir invités à votre réunion aujourd’hui. Avant de débuter, j’aimerais attirer votre attention sur ce document d’une page. Nous vous avons aussi remis d’autres documents que vous pourrez consulter ultérieurement. Nous avons tenté de condenser en une page les enjeux centraux qui, nous le croyons, seront abordés aujourd’hui. Je voulais porter le document à votre attention.
Comme on l’a déjà mentionné, je m’appelle Dan Brock. Je suis associé chez Fasken. Tamara Rozansky et mon collègue David Robertson m’accompagnent. Ensemble, nous conseillons une coalition de l’industrie qui représente plus de 23 compagnies et organisations évoluant toutes dans l’écosystème grandissant des actifs numériques et des chaînes de blocs.
La coalition s’est réunie au printemps dernier pour réagir à une proposition législative inattendue publiée par le ministère des Finances en février 2022. La proposition ferait augmenter les coûts de fonctionnement de nos membres, pour leurs activités au Canada, de 5 à 15 %. C’est au sujet de cette proposition, telle qu’elle figure dans le projet de loi C-47, que nous vous entretiendrons aujourd’hui.
En 2017, les Canadiens qui faisaient du minage de bitcoins le faisaient habituellement depuis leurs sous-sols ou leurs garages, assis devant leurs ordinateurs. Aujourd’hui, presque tout le minage d’actifs numériques est l’apanage de grandes entreprises. Les compagnies se servent de ressources informatiques de calibre industriel pour vérifier et sécuriser les transactions effectuées sur une chaîne de blocs publique.
Au tarif marchand actuel, les frais de transaction et les primes pour ajouter un seul bloc à la chaîne de blocs de bitcoins s’élèvent à près de 200 000 $. Chaque semaine, plus de 1 000 blocs sont ajoutés à la chaîne de blocs, ce qui représente plus de 200 millions de dollars en revenu potentiel hebdomadaire pour les compagnies de bassins miniers exploitant des bitcoins. Or, le Canada ne compte pas de grandes compagnies de bassins de minage. Ces entreprises sont toutes dirigées par des non‑résidents du Canada et sont surtout basées aux États-Unis, en Asie et en Europe.
Le rôle du Canada dans cette industrie émergente ne consiste pas à faire du minage de bitcoins. Les Canadiens fournissent plutôt une puissance informatique très performante sans laquelle le minage de bitcoins serait impossible. Les entreprises canadiennes tirent parti de notre climat frais, de notre main‑d’œuvre qualifiée et de notre excédent d’énergie hydroélectrique pour produire et exporter une puissance informatique propre sous forme de produit, au même titre que le blé ou les métaux précieux.
Les entreprises d’informatique canadiennes deviennent rapidement des chefs de file de l’industrie pour l’approvisionnement en puissance informatique propre que veulent les coopératives internationales de minage de chaînes de blocs. Depuis 2018, ce secteur informatique au rendement élevé a généré des recettes de plus de 2 milliards de dollars au Canada. Le secteur a investi 1,5 milliard de dollars dans les communautés rurales abritant les ressources et où les compagnies sont en activité. Il a créé 1 500 emplois de haute technologie bien rémunérés dans ces communautés. L’âge moyen des employés dans la plupart de ces compagnies est de moins de 35 ans.
La proposition du ministère des Finances nous préoccupe surtout parce qu’elle met en péril le succès précoce et le potentiel de future croissance du minage des cryptoactifs. Les changements proposés à la TPS entraînent différents problèmes. Permettez-moi d’en relever trois.
Tout d’abord, le nouvel article 188.2 tel que proposé stipule qu’une entreprise canadienne qui a) permet à des coopératives de minage étrangères non-résidentes d’utiliser ses ressources informatiques pour le minage de cryptoactifs et b) partage le produit de ce minage ne peut recevoir de crédits de taxes sur les intrants. Par opposition, toute autre compagnie qui vend sa puissance informatique à des non-résidents peut se prévaloir des crédits de taxes sur les intrants, peu importe l’utilisation faite de la puissance informatique ou la façon de calculer les frais.
Deuxièmement, en privant les sociétés informatiques canadiennes de crédits de taxes sur les intrants, la proposition les rend moins concurrentielles dans le marché international. La TPS a remplacé l’ancienne taxe de vente fédérale en 1991, précisément pour éliminer les coûts des intrants sous forme de taxe de vente canadienne pour les entreprises canadiennes. La TPS vise à favoriser tant les investissements que les exportations canadiennes et à rendre nos biens et services plus concurrentiels dans les marchés internationaux. Le nouvel article 188.2 proposé fait tout le contraire.
Troisièmement, la proposition entourant la TPS crée un désavantage concurrentiel pour les sociétés d’informatique au Canada selon la province où elles se trouvent. Les changements proposés incitent de façon néfaste les compagnies au Québec ou à Terre-Neuve, par exemple — où les coûts liés à la taxe de vente enchâssée sont de 15 % — à déplacer leurs activités en Alberta — où ces coûts ne sont que de 5 % —, ou même à l’extérieur du Canada. La TPS ne devrait jamais entraîner ce type de déséquilibre concurrentiel pour les entreprises au Canada.
Quelle est la solution? Nous demandons l’ajout d’une exception claire dans les changements entourant la TPS. Nous avons d’ailleurs inclus le libellé de l’amendement proposé dans les documents fournis. Cette exception devrait clairement énoncer qu’une société canadienne qui fournit sa puissance informatique à un exploitant de bassin minier non-résident du Canada doit être exemptée de l’article 188.2. Cette compagnie doit plutôt être assujettie aux règles habituelles sur la TPS.
Sur ce, nous sommes impatients de répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Voilà une déclaration liminaire très utile et concise.
Le sénateur C. Deacon : Je remercie nos témoins. Vous avez grandement éclairci la situation, ce que les fonctionnaires du ministère des Finances n’ont pas réussi à faire la semaine dernière, à tout le moins pas pour moi.
Je ne peux penser à aucune autre industrie où nous tentons d’agir à l’extérieur du pays pour réaliser un objectif stratégique. Si je comprends bien le milieu, les services fournis sont des services numériques au sein de centres de données qui font du traitement pour des compagnies à l’étranger. J’imagine que des contrats ont été conclus, et qu’ils stipulent des frais de base ainsi que, peut-être, des frais selon le rendement. Je n’en suis pas certain. Quoi qu’il en soit, le fait est que le gouvernement semble vouloir s’attaquer à une réalité à l’extérieur du Canada. C’est l’aspect qui est limpide dans mon esprit.
M. Brock : Si vous regardez le diagramme dont nous avons parlé, la loi tente d’atteindre le côté droit du spectre, soit l’extérieur du pays.
Le sénateur C. Deacon : Oui, c’est très évident. Je sais à quel point les crédits de taxes sur les intrants importent, moi qui ai dirigé une petite entreprise qui exporte des services. Je l’ai fait pendant 25 ans, alors je comprends l’importance de ces crédits.
À notre comité, nous avons aussi consacré beaucoup de temps à étudier l’importance des exportations numériques et d’actifs incorporels pour l’avenir de notre économie. La proposition est manifestement une mesure dissuasive pour l’exportation de services numériques. Un détail m’échappe-t-il?
La présidente : Je crois que la grande question est : pourquoi?
David Robertson, associé, EY Cabinet d’avocats, Digital Asset Mining Coalition : Honorables sénateurs, nous avons visionné le témoignage des fonctionnaires du ministère des Finances de la semaine dernière. Voici ce qui nous rend perplexes par rapport aux fonctionnaires du ministère. Nous coopérons avec eux depuis la publication de l’ébauche du texte de loi. Je ne mâcherai pas mes mots : nous avons à nouveau été pris de court lorsque nous avons vu la proposition dans un avis de motion de voies et moyens, sans avoir l’occasion de voir les révisions.
Lors de la comparution de la semaine dernière, le sénateur Marwah a posé une question on ne pourrait plus précise et directe. Il a demandé de confirmer que la question clé est : que constitue le partage d’un paiement? Si la somme reçue pour les services informatiques comprend un paiement supplémentaire parce que le client a fait plus d’argent ou a connu plus de succès que prévu, peut-on parler de partage? C’est le problème. Les représentants du ministère des Finances nous ont indiqué : « Ne vous en faites pas, votre société d’informatique ne devrait avoir aucun problème. » Ils emploient toutefois le mot « devrait ».
Nous ne demandons rien de plus que ce que nous avons présenté. Nous voulons de la clarté. Tout entrepreneur vous dira que les problèmes en affaires découlent de l’incertitude. Nous demandons de la certitude, soit un amendement fort simple qui énonce clairement que, lorsqu’une société canadienne permet à un non-résident d’utiliser ses ressources informatiques pour le minage de cryptoactifs — ou, bien franchement, pour toute autre activité — le taux soit de 0 %, peu importe la façon de calculer le paiement pour ces services. Nous avons étudié le projet de loi et la mesure proposée, et tout ce que nous demandons est l’ajout d’un petit amendement nous offrant certitude et clarté.
Les explications de M. Brock nous indiquent que la proposition n’est pas conforme à la politique sur la TPS. Si aucune exception n’est prévue... La plupart des sociétés de l’industrie se situent dans les régions rurales du Québec et de Terre-Neuve. Pourquoi? Parce qu’on y trouve de l’énergie hydroélectrique propre et la consommation, peu importe la quantité, ne contribue pas au réchauffement climatique. Or, les coûts augmenteront de 15 % pour ces compagnies. Par comparaison, une compagnie située en Alberta — la province d’où je viens, et où l’énergie provient davantage des combustibles fossiles — verra une mesure incitative dans la TPS, qui n’a jamais été conçue pour taxer les intrants des entreprises. Elle visait plutôt à favoriser les exportations depuis le Canada. Nous nous retrouvons maintenant avec une disposition qui, si aucune exception n’est prévue, incitera les sociétés au Québec à déplacer leurs activités dans des administrations canadiennes où le taux de taxation est moindre ou, comme mon ami l’a indiqué, dans d’autres pays. Nous avons des exemples de tels cas.
Le sénateur C. Deacon : Je me demande si nous pourrions demander aux fonctionnaires du ministère des Finances Canada de clarifier l’emploi de « devrait ». À ma connaissance, aucun autre secteur canadien ne nécessite des vérifications à l’étranger — c’est bien ce dont il est question ici — pour clarifier qu’il s’agit d’un service canadien vendu dans le monde, mais qu’il ne s’agit pas de minage.
La présidente : Vous n’avez donc pas eu l’occasion de leur montrer cet amendement?
M. Robertson : Nous avons reçu l’avis de motion de voies et moyens en même temps que tout le monde. Ils ont apporté des changements depuis février de l’an dernier et, bien qu’une exemption soit maintenant prévue, la situation n’est toujours pas claire. À la première page du document, il suffit de lire la définition d’« activité de minage », proposée dans l’alinéa c) pour voir ce qui cloche. La définition précise qu’une activité de minage se dit du fait de permettre l’utilisation de ses ressources informatiques aux fins, ou à l’occasion, de la validation d’opérations ou du minage de bitcoins. Une entreprise peut n’offrir que des services informatiques, mais, soudainement, elle s’adonne à du minage parce que c’est ce que son consommateur fait.
M. Brock : À l’extérieur du Canada.
M. Robertson : À l’extérieur du Canada. Pour la définition d’un « groupe de minage », il faut se reporter à l’alinéa b), qui précise que ces groupes « partagent des paiements de minage ». Le mot « partagent » ne figure nulle part ailleurs dans le texte de loi sur la TPS. Son sens est ambigu.
Par exemple, de nombreux propriétaires concluent un bail à loyer hypernet avec leurs locataires. Ils conservent un pourcentage des ventes. Doit-on dire pour autant qu’ils partagent les revenus?
Dans cette industrie, les frais que les Canadiens obtiennent... Nous prenons notre électricité à faible coût, nous la transformons en service à valeur bonifiée — la puissance informatique — et nous la vendons à prix plus fort à ces bassins internationaux. Il existe trois formes de paiement, et ces paiements effectués par le bassin minier peuvent s’appuyer, en partie, sur le rendement prévu du bassin selon la quantité de puissance informatique offerte dans le monde. En effet, les bassins combinent la puissance informatique du Canada et d’autres pays.
Tout ce que nous demandons, c’est que le gouvernement — puisqu’il s’agit d’une motion de voies et moyens — offre une certitude pour que les sociétés canadiennes sachent qu’elles obtiendront leurs crédits de taxes sur les intrants.
La présidente : Pour revenir aux propos du sénateur Deacon, nous allons poser la question aux fonctionnaires du ministère des Finances, mais je veux savoir s’ils ont vu ce document.
M. Robertson : Oui.
La présidente : Ils l’ont donc vu. Nous allons leur demander une réaction.
Le sénateur Smith : C’est un nouveau domaine pour nombre d’entre nous, surtout pour moi. La réglementation du gouvernement ou l’absence de réglementation claire freinent‑elles la croissance de l’industrie au Canada? Le problème découle-t-il simplement d’une incompréhension de l’industrie par les gouvernements et les fonctionnaires? Quels types de communication sont nécessaires pour garantir la rédaction de politiques plus claires?
Tamara Rozansky, associée, Deloitte LLP, Digital Asset Mining Coalition : Je dirais que, tout à fait, il est évident qu’on interprète mal ce que cette industrie apporte au Canada.
Lorsque ce texte de loi a été rédigé en 2015, il donnait l’impression — et c’était le cas à l’époque — que des personnes s’adonnaient à du minage de cryptoactifs dans leurs sous-sols. Ce n’est plus le cas. L’industrie a grandement évolué. De nombreuses usines au Canada font du minage de cryptoactifs. Je crois qu’il importe de garder à l’esprit que le secteur continue d’évoluer. Le minage de cryptoactifs sera un jour l’équivalent de ChatGPT et de l’intelligence artificielle, ou d’une réalité comparable de l’avenir que je ne pourrais même pas prédire.
M. Brock : J’ajouterais qu’il faut prévoir un cadre stratégique pour l’industrie. Nous ne vous dirions jamais que les préoccupations légitimes qui ont été soulevées par rapport aux politiques publiques et leurs liens avec cette industrie ne devraient pas être examinées et dissipées. C’est la réalité pure et simple. Il serait important d’élaborer un cadre stratégique pour gérer tous les aspects d’une nouvelle industrie de la sorte, qui est perturbatrice, en croissance et pleine de potentiel. Notre coalition demande au gouvernement de reporter ce texte de loi jusqu’à la tenue de consultations plus vastes qui permettront qu’on commence à élaborer un cadre stratégique.
La situation est quelque peu ironique parce que nous vous faisons valoir, par rapport à ces dispositions sur la TPS, que la forme actuelle de la Loi sur la taxe d’accise suffit et qu’aucune autre réglementation n’est nécessaire. Cette loi est efficace. Elle sera efficace pour cette industrie. Appliquez les règles de base de la Loi sur la taxe d’accise à cette industrie, et les sociétés offriront des services depuis le Canada à des acquéreurs non‑résidents — qui sont les deux personnes s’adonnant à du minage, dans cette case. Ces services constituent une fourniture taxable, qui doit cependant être assujettie à un taux nul afin de garantir que les biens et services canadiens sont concurrentiels sur la scène internationale.
La proposition crée littéralement un mini régime distinct dans la Loi sur la taxe d’accise qui détonne complètement du reste de la loi. La proposition se retrouve dans une zone floue de la loi et sous-entend que toute cette industrie commerciale doit se dissocier du régime de la TPS. Ce n’est pas une activité commerciale, ce qui — comme on peut le démontrer — n’est pas vrai.
Le sénateur Loffreda : Je remercie les témoins d’être parmi nous ce matin.
Avez-vous fait des recherches quantitatives ou globales sur l’effet que cela aura non seulement sur la croissance, mais aussi sur l’industrie actuelle au Canada? Je sais que vous avez fait part de vos préoccupations au gouvernement. Nous y donnerons suite.
Pourquoi y a-t-il un malentendu sur une industrie aussi importante? Si je regarde les chiffres, il y aura 2 à 3 milliards de dollars de recettes supplémentaires d’ici 2025. Pourquoi estimez‑vous qu’il y a un malentendu? Comment peut-on rectifier le tir à l’avenir?
M. Brock : Il s’agit d’un secteur commercial international qui évolue rapidement et qui comporte de nombreux enjeux. On peut donc pardonner aux personnes au sein et en dehors du gouvernement d’essayer de suivre ce qui se passe.
Cette coalition s’est formée au début des consultations. L’industrie est nouvelle. Il n’existe pas d’association industrielle à proprement parler qui s’occupe de ces entreprises. Nous avons naturellement créé ce groupe avec ceux qui nous entouraient lorsque le projet de loi a été déposé, parce que nous devions être en mesure de communiquer avec le gouvernement.
Lorsque nous avons entamé les discussions au printemps de l’année dernière, il nous est apparu clair que les législateurs et ceux qui avaient rédigé le projet de loi ne comprenaient pas pleinement l’évolution de l’industrie. Nous avons eu de très bons échanges constructifs avec eux. Nous avons un immense respect pour les fonctionnaires du ministère des Finances qui travaillent sur ces enjeux.
Le projet de loi est axé sur une industrie qui n’existe presque plus. Les gens ne minent pas de cryptomonnaie dans leur sous-sol. C’est ce que cette loi est censée viser. On parle plutôt d’un secteur qui fournit un service à une industrie mondiale, et nous sommes compétitifs dans ce milieu.
Nous avons senti qu’il fallait communiquer la chose. Nous estimions avoir progressé. Cela dit, malgré tous nos efforts, cette mesure législative a été incluse dans la Loi d’exécution du budget.
À nouveau, nous vous remercions de nous avoir invités à comparaître devant vous. Si nous sommes ici, c’est parce que nous croyons qu’il y a un problème. Il ne suffit pas de dire : « Non, non, ne vous inquiétez pas, il n’y a pas de problème. » Il y en a bel et bien un. Je suis assis à côté de deux fiscalistes qui sont du même avis. L’idéal serait de les amener à reconnaître ce problème et travailler avec nous pour trouver une solution.
La présidente : Merci.
Le sénateur Massicotte : Merci. Je vais répéter l’évidence, à savoir qu’il se peut qu’il y ait un problème, mais nous sommes prudents. Le gouvernement est composé de personnes avisées qui savent ce qu’elles font. Franchement, il y a peut-être une très bonne réponse à la question. Nous devons la chercher et la trouver, et c’est ce que nous ferons.
Il s’agit d’un domaine compliqué. Regardez ce tableau. Il y a un tas de remorques. Il semble y avoir 50 à 100 personnes qui travaillent à temps plein avec de la haute technologie dans ces remorques. On utilise le mot « minage ». C’est compliqué.
Pensons à la TPS. Certaines industries sont exemptes de la perception de cette taxe depuis 1991. Prenons l’exemple d’un consommateur qui loue un appartement ou un espace. Il tire profit du contexte qu’on lui offre, alors personne ne paie. On ne paie pas à l’entrée et on ne reçoit pas de crédit à la sortie. On envisagera peut-être quelque chose de semblable. Ils doivent décider comment ils souhaitent gérer la situation.
M. Robertson : Je tiens à être très clair. Le projet de loi ne traite pas de l’aspect de non-résidence. C’est comme si le projet de loi avait été rédigé pour réglementer une situation exclusive au Canada. C’est l’impression que cela donne. Or, ce n’est pas le cas. On peut le voir sur les sites Web. Nous avons répertorié les principaux bassins miniers sur cette page. Ils représentent 99 % du réseau de bitcoins. Ils se situent tous à l’étranger.
Ce qu’on tentait de dire avec ce projet de loi, c’est qu’une personne transfère les bitcoins des clients. Ils paient des frais au bassin minier pour ce faire, mais ils ignorent qui fait la transaction. Si une telle transaction se faisait au Canada, je dirais qu’il s’agit d’un service financier et qu’il devrait donc y avoir exemption.
Il s’agit de remonter à ceux qui fournissent la puissance de calcul et à la personne qui fournit le service financier. Au Canada, la règle va comme suit : si je fournis des services informatiques à une banque au Canada, je perçois la TPS. C’est moi qui reçois les crédits de taxe sur les intrants, pas la banque.
Permettez-moi de faire une analogie : disons que vous êtes l’entreprise canadienne qui fournit le logiciel qui soutient la Bourse de New York. Vous pouvez obtenir des crédits de taxe sur les intrants si vous pouvez identifier tous ceux qui négocient des actions à la Bourse de New York. C’est ce qui se passe. On ne tient pas compte du fait que le Canadien vend ses actifs à la Bourse de New York et que c’est cette dernière qui s’en charge.
Le sénateur Massicotte : Il y a eu beaucoup de discussions, du moins au Québec, sur le fait que nous disposons d’une quantité limitée d’hydroélectricité. Aujourd’hui, avec l’hydrogène et tous les besoins énergétiques, on discute beaucoup de votre utilisation de l’hydroélectricité pour vos activités. On se demande si c’est justifié. Ce l’est pour le moment en raison de l’offre excédentaire, mais je ne suis pas certain que ce sera le cas dans 5 ou 10 ans.
M. Brock : L’industrie mène ce débat de politique publique dans diverses provinces à l’heure actuelle. Lorsqu’on parle d’énergie propre canadienne, l’avenir de l’approvisionnement énergétique au Canada est un sujet chaud au pays.
Ce qui est intéressant avec cette industrie, c’est que les entreprises fournissent le calcul à haute performance dans cet espace qui fluctue. C’est le cas du réseau de l’Ontario. On consacre beaucoup d’argent et de temps à la gestion de ces fluctuations. Quand il y a des creux, nous vendons ou donnons l’énergie excédentaire, ou bien nous payons quelqu’un pour qu’il en prenne à New York pour stabiliser notre réseau. Toutes les entreprises qui prennent de l’énergie du réseau propre au Canada dans cette industrie le font lorsqu’il y a des creux.
Lorsqu’un service public a besoin de cette énergie pour chauffer des maisons, comme cela a été le cas dans la ville québécoise de Sherbrooke en février dernier, on s’ajuste. Dans ce cas-ci, le service public appelé Bitfams — le plus gros consommateur d’électricité parmi les services publics de Sherbrooke — a dit : « La demande augmente. Il fait très froid. » Ils ont réduit la consommation de leurs ordinateurs. C’est ce qu’on appelle la « charge de lissage ». Il s’agit d’un procédé qui permet de gérer la charge. On réduit l’écart entre la base et le sommet, ce qui rend le réseau plus efficace.
À Sherbrooke, les services publics sont relativement modestes et ont été conçus de sorte à approvisionner l’industrie forestière, les usines de fabrication de bâtons de hockey, etc. Or, ces industries ont quitté la région. L’infrastructure demeure, mais on ne l’utilise pas.
L’entretien du réseau est difficile et les contribuables en paient le prix. Cette nouvelle activité est extrêmement importante pour ce service public, car elle représente une source de revenus.
Le sénateur Massicotte : Combien d’argent feraient-ils avec cet arrangement à Sherbrooke?
M. Brock : Quel est le coût de l’énergie?
La présidente : Bon, je crois que nous rentrons un peu dans les détails.
Le sénateur Yussuff : Je comprends votre dilemme.
Le ministère des Finances va nous aider à trouver une solution. Le système comprend déjà certains éléments et il nous faut trouver une façon de gérer tout cela. Le défi, c’est que des provinces comme l’Alberta et le Québec sont en concurrence les unes avec les autres dans ce domaine. C’est la réalité. Elles le sont, même si cela ne se passe pas très bien.
Selon elles, les politiques fiscales sont censées faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre. N’êtes-vous pas en train de nous demander de choisir le bénéficiaire après tout?
M. Brock : En fait, nous vous demandons de ne pas choisir. Autrement dit, les taxes fédérales ne devraient pas faire partie de la concurrence d’affaires que se livrent les provinces. Il revient aux gouvernements provinciaux de décider de leur politique fiscale et de leur politique publique. Ils prendront des mesures pour attirer les entreprises du mieux qu’ils peuvent.
Le gouvernement fédéral doit être entièrement neutre en ce qui concerne les activités des entreprises au pays. Il veut soutenir les entreprises dans chaque province. La TPS a été justement conçue pour ne pas créer de distorsion. Certaines provinces ont une taxe combinée pour les tours d’habitation, et d’autres comme l’Alberta et la Colombie-Britannique n’en ont pas. L’Alberta n’a pas de taxe de vente. Il s’agit de décisions provinciales. Le gouvernement ne devrait pas s’en charger.
Le gouvernement s’immiscerait dans la partie avec cette loi, parce que les taxes seront attribuées aux entreprises, ce qui est significatif.
M. Robertson : Je peux vous donner un exemple très simple. Lorsque l’Ontario a harmonisé ses mesures législatives, le secteur des fonds communs de placement a déclaré qu’il allait s’installer en Alberta. On a alors introduit les règles d’institution financière désignée particulière pour qu’il n’y ait pas d’avantage concurrentiel sur le terrain.
S’il n’y a pas d’exemption qui s’applique à l’industrie — le ministère des Finances a déclaré qu’il avait l’intention de l’exclure —, nous demandons simplement que ce soit indiqué clairement. Je saurai que c’est une mauvaise politique publique s’il n’y a pas d’exemption, parce que cela signifie que l’Alberta sera désormais favorisée dans le cadre du système fédéral de TPS et de TVH. Elle sera favorisée par rapport au Québec et à Terre-Neuve.
Le sénateur Gignac : À propos des provinces, le Québec a une industrie à faible empreinte carbone. Vous avez expliqué la distorsion qui pourrait être créée au détriment du Québec. Vous êtes-vous entretenus avec le gouvernement québécois? Ce dernier vous a-t-il offert quelconque soutien à propos de l’amendement que vous suggérez?
M. Brock : Non, pas pour cette loi. Le Québec dispose de son propre régime fiscal, mais suit le dossier de la taxe de vente de très près. La politique d’Ottawa sera largement adoptée par Revenu Québec.
Mme Rozansky : Le gouvernement québécois a annoncé son désir d’harmonisation à cet égard.
M. Brock : Oui, alors adoptez cette mesure. Je me répète, mais tout s’est fait plutôt rapidement. L’industrie est encore dans une association informelle. Nous discutons surtout avec le ministère des Finances à l’échelle fédérale.
La présidente : Merci. Vous nous avez confié l’affaire. Nous ferons de notre mieux pour obtenir des réponses à ce sujet dès que possible. Cela fait partie du problème de notre procédure lorsque les délais sont aussi serrés.
Je vous remercie de vos contributions et de vos éclaircissements. J’espère que d’autres auront également appris des choses en vous écoutant.
Nous allons maintenant passer au deuxième groupe de témoins. Nous nous penchons sur la partie 4 de la section 2 qui porte sur les régimes de retraite fédéraux, et plus précisément sur la Loi de 1985 sur les normes de prestation de pension.
Nous avons le plaisir d’accueillir en personne Todd Saulnier, qui est le président du conseil d’administration de l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite. Nous accueillons également virtuellement Roman Kosarenko, qui est membre du conseil d’administration de l’Association canadienne des gestionnaires de fonds de retraite.
Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie de vous joindre à nous avec si peu de préavis. Nous allons commencer par les remarques liminaires de M. Saulnier, puis ce sera au tour de M. Kosarenko.
Todd Saulnier, président du conseil d’administration de l’ACARR (Mercer), Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite : Nous vous remercions de nous donner l’occasion de vous faire part de nos réflexions sur le projet de loi que vous étudiez.
[Français]
Je suis président du conseil d’administration de l’ACARR, qui est l’Association canadienne des administrateurs de régimes de retraite. L’ACARR est une organisation de défense des intérêts à but non lucratif. Je suis également actuaire et consultant en placements avec plus de 30 ans d’expérience.
[Traduction]
Mon rôle en dehors de l’ACARR consiste à soutenir les promoteurs de régimes de retraite dans la création, la conception, la mise en œuvre et la gouvernance efficace de régimes de retraite et d’autres solutions de revenu de retraite.
La vision de l’ACARR dans ce contexte est d’être le principal défenseur des promoteurs et des administrateurs de régimes de retraite. L’idée est d’avoir un système canadien de revenu de retraite équilibré, efficace et durable. Nous comptons parmi nos membres certains des plus grands régimes de retraite des secteurs privé et public au Canada, qui gèrent des billions de dollars d’actifs et couvrent des millions de membres de régimes de retraite.
Dans le cadre de ce projet de loi, je tiens à souligner que l’ACARR a fait partie d’une coalition avec un certain nombre d’organisations nationales il y a quelques années, dont l’Institut canadien des actuaires, l’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes, l’Association canadienne des individus retraités et l’Institut national du vieillissement. Nous nous sommes tous réunis pour plaider en faveur d’outils supplémentaires permettant aux retraités canadiens de mieux gérer leur risque de longévité. Autrement dit, il s’agit de leur permettre de prendre leur retraite dans la dignité sans craindre de dépenser trop ou pas assez l’épargne-retraite qu’ils ont accumulée.
En réponse à nos recommandations de l’époque, le gouvernement a notamment adopté une mesure législative dans le cadre de la Loi de l’impôt sur le revenu pour créer un nouvel instrument de revenu de retraite appelé rentes viagères à paiements variables. Le mot « rente » porte quelque peu à confusion puisqu’il ne s’agit pas d’un produit d’assurance, mais c’est une étape importante qui nous amène vers une solution de revenu de retraite collectif pour les Canadiens.
Le projet de loi qui nous occupe comprend des modifications à la Loi sur les normes de prestation de pension et à la Loi sur les régimes de pension agréés collectifs, et constitue la prochaine étape. Une fois que ces changements et les règlements d’application auront été adoptés, les administrateurs des régimes de retraite sous réglementation fédérale et des régimes de pension agréés collectifs pourront ajouter cet instrument de revenu de retraite à leurs régimes.
Bien que la plupart des détails techniques concernant les rentes viagères variables, appelées « prestations viagères variables » dans le projet de loi, seront abordés dans les règlements, nous avons tout de même quelques commentaires à formuler aux fins d’éclaircissement.
Les définitions dans la Loi sur les normes de prestation de pension me posent notamment problème. Avec le libellé actuel, les prestations viagères variables semblent être à la fois des dispositions à prestations définies et des dispositions à cotisations définies. De plus, il semble que tout régime à cotisations définies qui prévoit des prestations viagères variables devienne également une disposition à prestations définies.
Le libellé m’a surpris. Je ne pense pas que c’était cela l’intention. Je m’attendrais assurément à ce que les prestations viagères variables aient certaines caractéristiques semblables à celles des régimes à prestations définies, comme l’exigence d’évaluations actuarielles ou l’évaluation de la mortalité, mais pas à ce qu’elles relèvent de toutes les dispositions relatives aux prestations définies. C’est l’un des éléments qui porte à confusion, selon moi.
Si nous voulons que cette initiative réussisse, l’échelle est importante, et ce, pour trois raisons.
Premièrement, elle permet la mise en commun des risques de mortalité. Pour établir un bassin, il faut beaucoup de personnes. C’est très important.
Deuxièmement, elle permet d’établir des portefeuilles bien diversifiés. Il faut de nombreux actifs afin de créer des portefeuilles diversifiés qui peuvent donner lieu à des retours plus importants, et offrir de meilleures pensions aux retraités.
Troisièmement, le coût. Un plus grand nombre d’actifs permet de réduire les coûts pour les participants. Il s’agit d’un élément clé de la Loi sur les régimes de pension agréés collectifs : la gestion des coûts. C’est important.
Nous en avons eu la preuve dans d’autres pays, notamment en Australie, avec les régimes de retraite. L’un des plus grands régimes, le QSuper, comprend maintenant cette caractéristique, depuis un an ou deux. Un nombre surprenant de personnes ont adhéré à cette caractéristique au cours de la première année. Elle semble être bien accueillie, ce que l’on peut comprendre. Nous ne sommes pas tous des experts en matière de gestion des actifs et des risques associés à la longévité; une telle offre provenant d’une organisation de confiance est donc la bienvenue.
J’en ai parlé parce qu’il est important que la loi appuie le regroupement des actifs, et de façon particulière, qu’elle permette la fusion des régimes lorsque les circonstances le permettent. Je crois que le concept se retrouve dans la loi, mais que d’autres éléments devraient être précisés.
Par exemple, si un régime de retraite offre des prestations viagères variables, mais qu’on décide qu’on ne peut plus la supporter en raison d’un manque de participants ou des coûts administratifs trop élevés et que l’on souhaite éliminer une telle disposition, selon ce que je comprends de la loi, il ne sera pas possible de transférer ces prestations vers des régimes de pension agréés collectifs, qui sont peut-être plus nombreux. Je crois que cela représenterait également une façon de regrouper les actifs.
La présidente : Pourriez-vous conclure, s’il vous plaît?
M. Saulnier : Il y a deux autres éléments. En premier lieu, la cessation. Il est important, si l’on permet la cessation des prestations viagères variables, de désigner l’option par défaut, en plus des options pratiques qui sont déjà énumérées. Cette option par défaut doit correspondre aux attentes des bénéficiaires de ces prestations et aussi reconnaître qu’au fil du vieillissement, les retraités auront peut-être de la difficulté à prendre des décisions. Nous nous inquiétions de la vulnérabilité des retraités.
Il faudrait désigner une option par défaut réaliste, comme le transfert vers un autre régime de pension collectif offrant la prestation viagère variable ou une rente viagère immédiate. L’administrateur pourrait le désigner et le communiquer.
Le dernier élément est très important et a trait aux régimes de pension agréés collectifs. Pour qu’ils soient avantageux pour les Canadiens, ces régimes nécessitent une grande participation.
Avec la présente mesure législative, le régime de pension agréé collectif pourrait devenir une source universelle permettant à tous les Canadiens d’avoir accès à une véritable pension viagère grâce au transfert de leurs actifs enregistrés, qu’il s’agisse de REER, de FERR, de régimes de pension ou de régimes de participation différée aux bénéfices. Ils devraient pouvoir les transférer vers un régime de pension agréé collectif en vue de l’achat ou de l’affectation à une pension viagère variable, ou d’une association de pension viagère variable et de prestations variables.
La présidente : Merci. Nous allons maintenant entendre les commentaires de M. Kosarenko.
Roman Kosarenko, membre du conseil d’administration, Association canadienne des gestionnaires de fonds de retraite : Merci, madame la présidente et honorables sénateurs. Je suis reconnaissant d’avoir l’occasion de témoigner devant vous aujourd’hui.
L’Association canadienne des gestionnaires de fonds de retraite représente les intérêts des petits et grands régimes de pension du Canada. Nos membres gèrent 2,8 billions de dollars d’actifs au nom de millions de Canadiens.
Dans le cadre de mon travail, je gère les placements des pensions et de l’épargne-retraite d’un grand employeur privé. J’ai été membre du Comité consultatif technique d’examen des régimes de retraite à cotisations déterminées du BSIF et de l’ARSF. J’ai aussi été membre de la coalition pour la longévité dont a parlé mon copanéliste tout à l’heure.
Les dispositions du projet de loi C-47 portant sur la rente viagère à paiements variables, ou RVPV, sont importantes pour deux raisons. Premièrement, le projet de loi présente un modèle réglementaire qui permettra aux provinces d’accélérer la modification de leurs propres lois sur la pension de retraite. Deuxièmement, en permettant la RVPV pour les régimes à cotisations déterminées réglementés par le gouvernement fédéral, on pourra améliorer les possibilités de retraite de nombreuses communautés défavorisées, notamment des Premières Nations, puisque ce type de régime est plus commun chez les petits employeurs qui mènent des activités dans ces communautés.
Toutefois, le projet de loi C-47 ne fait rien pour aborder le plus grand enjeu de notre époque en matière de retraite. Une très grande partie de l’épargne-retraite ne permet pas de convertir les actifs accumulés en des revenus à vie abordables, ce que vise la RVPV. Les REER des particuliers et des groupes comptent 10 fois plus d’actifs et ont toujours plus de membres que les régimes à cotisations déterminées. Les ententes relatives aux REER représentent le principal instrument d’épargne-retraite pour les travailleurs non syndiqués, les travailleurs qui ont des horaires irréguliers, les travailleurs indépendants et les personnes qui doivent pouvoir accéder à leur épargne-retraite en cas d’urgence.
La Loi de l’impôt sur le revenu prévoit, en théorie, la possibilité de transférer les avoirs d’un REER vers un régime de pension agréé collectif, ou RPAC, et d’avoir accès à la RVPV. Toutefois, le RPAC n’est pas viable selon sa forme actuelle et doit être complètement revu.
Le RPAC est un régime de pension à faible coût. Le contrôle des prix prévu dans la réglementation sur le RPAC ne tenait pas compte des difficultés importantes associées à la mise en œuvre de ces régimes par les institutions financières. À l’exception de ceux du Québec, les règlements n’exigeaient pas des employeurs qu’ils offrent l’accès à un RPAC ou à un régime d’épargne‑retraite supérieur. Les institutions financières n’ont pas investi dans la distribution des RPAC. Leur structure actuelle vise la vente des produits au prix le plus élevé. Par conséquent, un très petit nombre d’institutions ont une licence pour offrir les RPAC au Canada; les membres et les avoirs sont peu nombreux. Ces régimes ne sont pas assez importants pour représenter un secteur d’activité viable pour les institutions financières.
Merci. Je répondrai avec plaisir à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup. Vos exposés étaient très pertinents.
La sénatrice Marshall : Nous vous remercions pour vos exposés. Ils étaient très intéressants. Je comprends, d’après les notes que nous avons et vos commentaires, que nous en sommes au stade embryonnaire au Canada.
Je comprends quels sont les avantages, mais est-ce qu’il y a un cadre ou une sorte de structure de gouvernance en place? Je vois des avantages, mais je vois aussi des risques. Y a-t-il un cadre quelque part qui protège les pensionnés qui souhaitent souscrire à un régime de rente viagère à paiements variables?
On fait référence à quelques provinces... Le Québec et la Saskatchewan, je crois. J’aimerais savoir où nous allons. J’ai l’impression que le gouvernement n’est pas encore prêt. Les provinces ne sont peut-être pas prêtes non plus. J’aimerais que vous nous expliquiez où nous en sommes et vers quoi nous nous dirigeons.
M. Saulnier : Vous avez tout à fait raison. Nous en sommes au stade embryonnaire de cette approche au Canada. J’y ai fait allusion. La Loi de l’impôt sur le revenu représente la première étape. La loi fédérale est la prochaine étape. Ensuite, il y a la réglementation, où se trouvent tous les détails techniques sur les calculs, les renseignements à communiquer, les délais, le rapport actuariel... Tous ces détails doivent être bien formulés et examinés.
Il y a des exemples en ce sens au Canada, à l’extérieur de ce cadre, qui fonctionnent depuis de nombreuses années. L’Université de la Colombie-Britannique offre un instrument similaire qui fonctionne très bien depuis des décennies. J’ai aussi donné l’exemple du régime de l’Australie, qui est un succès également. En fait, l’Australie a pris exemple sur l’Université de la Colombie-Britannique pour concevoir ses lois en la matière. C’est très intéressant.
Les régimes à prestations cibles peuvent également servir à titre de comparateurs. Ce n’est pas exactement la même chose, mais c’est semblable. Le Nouveau-Brunswick et le Québec ont adopté des lois sur les régimes à prestations cibles. Je crois que ce cadre réglementaire permet une évaluation juste et assure la protection des personnes qui prennent les décisions en veillant à ce que les communications soient claires et fréquentes au fil de l’évolution de la situation.
La sénatrice Marshall : La participation n’est pas obligatoire.
M. Saulnier : Non.
M. Kosarenko : J’ajouterais simplement que les règlements de la Loi de l’impôt sur le revenu associés à la RVPV ont été publiés l’année dernière et qu’ils sont très pertinents. Ils prévoient de nombreuses protections pour les participants. Selon sa forme actuelle, la RVPV n’est permise que dans le cadre des régimes de pension agréés et des RPAC. Il faut donc respecter ce périmètre, si je puis dire.
À mon avis, les protections sont suffisantes. Si elles ne le sont pas, d’autres seront ajoutées dans la réglementation associée à la Loi sur les normes de prestation de pension.
Le sénateur C. Deacon : Je remercie les témoins d’être avec nous. Monsieur Kosarenko, ma question s’adresse à vous. Vous avez dit, je crois, par le passé, qu’il y avait environ 1,5 billion de dollars des contribuables canadiens dans les REER et les FERR. Avant d’avoir mon poste actuel, je n’avais pas accès à un régime de retraite. Nous travaillons pour y avoir droit au fil du temps, et une partie de notre revenu y est consacrée. La majorité de mon épargne-retraite se trouve dans les REER. Bon nombre de Canadiens sont des entrepreneurs qui, comme moi — et vous venez de le dire —, n’ont pas accès à d’autres formes d’épargne‑retraite.
Pouvez-vous nous dire quelles sont les mesures de protection nécessaires pour faciliter cette transition? Pourriez-vous nous expliquer pourquoi cette transition est plus fiable, au même titre que la transition d’un REER vers un FERR? Quelles sont vos réflexions et vos recommandations en vue de faciliter la transition vers la RVPV?
M. Kosarenko : À l’heure actuelle, il n’y a pas de mécanisme de réglementation permettant une telle transition. Je suis un investisseur, tout comme vous, sénateur. Je participe à un régime de retraite à cotisations déterminées depuis très longtemps. Les gens qui changent d’emploi traînent avec eux certaines sommes d’argent, habituellement contenues dans un compte REER, qui peuvent plus tard être converties en FERR, mais il ne s’agit pas d’un revenu à vie.
Ce qui est intéressant avec la RVPV, c’est le revenu à vie... C’est ce que demande la coalition pour la longévité. Malheureusement, la RVPV n’est actuellement permise que pour les régimes de pension agréés et les RPAC. Les actifs de REER ne peuvent être transférés vers des régimes de pensions agréés; ils peuvent uniquement être transférés vers les RPAC, mais ces régimes sont plutôt moribonds à l’heure actuelle.
Le Bureau du surintendant des institutions financières du Canada, ou BSIF, publiait des statistiques annuelles au sujet des RPAC. Les dernières données datent de 2018 et font état de 186 membres après sept ans. Il n’y a que cinq institutions titulaires d’une licence aux fins du RPAC. Je crois que le BSIF a décidé de cesser de publier les données.
La situation au Québec est quelque peu meilleure parce que la province exigeait des employeurs qu’ils offrent l’accès au régime. Les participants sont nombreux, mais malheureusement, les actifs ne le sont pas. Au Québec, en sept ans, ces régimes ont donné lieu à 5 millions de dollars d’épargne par institutions et par année. Ce n’est rien, et cela ne permet pas d’offrir une solution à faible coût. Le problème, c’est que les Canadiens qui ont des REER ne peuvent les convertir en un revenu à vie.
Pour régler ce problème, je crois qu’il faut utiliser le modèle présenté dans le rapport de l’Institut national sur le vieillissement et l’Institut mondial de gestion des risques sur les bassins de pension dynamiques. Le modèle permet des bassins de RVPV à décumul seulement, c’est-à-dire que l’on permet Canadiens admissibles à la retraite — ceux qui ont 55 ans et plus — de participer aux RPAC sans devoir travailler pour un employeur participant à un RPAC.
On devrait aussi permettre la participation à un RPAC dans le cas où l’employeur n’y participerait pas si la stratégie vise à accumuler les biens à partir de transferts.
La présidente : Nous vous remercions pour ces précisions.
Le sénateur Loffreda : Je remercie les témoins de leur présence avec nous aujourd’hui. En ce qui a trait aux paiements versés aux retraités à partir des rentes viagères à paiements variables, y aura-t-il, selon vous, des conséquences imprévues en raison des modifications, comme une variation soudaine et importante des paiements? Est-ce que de telles variations vous préoccupent?
M. Saulnier : L’établissement d’une limite pour les paiements.
Le sénateur Loffreda : Ou des préoccupations relatives aux paiements importants, ou à la variation des paiements.
M. Saulnier : Je n’ai pas pensé aux paiements importants, mais plutôt aux paiements minimums permettant de rendre le produit viable sur le plan des coûts administratifs. Vous soulevez toutefois un point intéressant. Si une personne a un solde de REER ou de RRCD très important, est-ce qu’elle pourrait fausser le taux de mortalité? Je crois qu’il faudrait aborder la question dans la réglementation et le processus actuariel.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La présidente : Monsieur Kosarenko, voulez-vous ajouter quelque chose?
M. Kosarenko : J’ajouterais que l’expérience du régime de retraite de l’Université de la Colombie-Britannique montre que la variabilité est gérable. Le plan est en place depuis plus de 40 ans et les paiements des participants varient, mais c’est tolérable.
Nous savons aussi que les politiques de financement et de distribution des bassins de RVPV peuvent être structurées de manière à réduire la variabilité au fil des années. Bien sûr, la réglementation peut établir des mesures de protection relatives à ces mécanismes dans la politique de distribution, mais nous avons les moyens de le faire. Il est possible de contrôler la variabilité des paiements.
La présidente : Merci beaucoup.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie de votre présence. Bien entendu, il y a un problème évident que personne n’a abordé. Nous parlons de façon hypothétique de ce qui pourrait et devrait figurer dans la réglementation et, plus important encore, de la manière dont le tout régira les intérêts des personnes, intérêts que nous devons protéger.
Comme nous le savons, le marché canadien des rentes est relativement petit. Seules quelques entreprises vendent des rentes parce que nous n’avons pas un marché suffisant; notre population est peu nombreuse. Pour que cela fonctionne, nous devons prendre de l’expansion, et nous aurons peu de chances d’y parvenir si cette mesure n’est pas obligatoire. Voilà le grand défi auquel nous faisons face pour la suite des choses, car il faut faire entrer d’autres acteurs sur le marché pour y arriver.
C’est un défi qui se pose depuis un certain temps. Dans une large mesure, les régimes de pension privés ne connaissent pas de croissance, sauf dans le secteur public. Le marché des RPAC, malgré l’intention initiale, reste pratiquement inexistant dans le pays, à l’exception du Québec. Aucune autre province n’envisage même d’instaurer un RPAC. À moins que le gouvernement ne fasse quelque chose de totalement contraire à l’éthique pour obliger les gens à y adhérer, je ne vois pas comment cela va fonctionner. Nous ne pouvons tout simplement pas décider de faire ceci ou cela. Au bout du compte, ce régime mourra de sa belle mort. Il faut un certain volume pour que cela fonctionne. Est-ce que je me trompe?
M. Saulnier : Non, il faut assurément un volume, et c’est l’un des points que nous avons soulevés. Mon autre collègue l’a également dit : l’un des moyens d’y parvenir serait d’autoriser un produit à décumul seulement. Pour pouvoir cotiser à un RPAC, il faut travailler pour un employeur, mais si le projet de loi autorisait l’ouverture d’un compte sans aucun lien avec un employeur, alors un grand nombre de retraités ayant accumulé des actifs alloueraient des fonds à cet instrument et achèteraient une RVPV au moment de leur départ à la retraite. Le produit pourrait alors être viable parce que le solde du compte serait plus important pour chaque participant, ce qui permettrait d’en assurer l’expansion.
Comme on l’a dit, ce n’est qu’un début, mais je pense que si le projet de loi permettait le transfert d’actifs au moment du départ à la retraite pour tout Canadien, quel que soit son employeur et peu importe où se trouvent ces actifs enregistrés, notamment dans un REER, pour peu que ces actifs puissent être transférés vers un RPAC, on pourrait alors en élargir la portée. C’est à l’industrie et à d’autres de trouver des moyens de faire valoir l’analyse de rentabilisation pour que cela se concrétise, mais je pense qu’à tout le moins, ce serait plus intéressant pour eux parce que le produit serait viable.
La présidente : Si la source n’est pas liée à un employeur, craignez-vous que l’argent liquide soit généré par d’autres moyens pour ensuite être utilisé dans ce système? Parlant de moyens, je me dis que si une personne n’est pas employée par telle ou telle entreprise, mais qu’elle semble générer des revenus de diverses manières...
M. Saulnier : Il faut que ce soit un actif enregistré. Vous ne pouvez cotiser à un REER que si vous avez travaillé pour quelqu’un à un moment donné dans votre carrière.
La présidente : Monsieur Kosarenko, avez-vous quelques observations rapides à formuler au sujet de ce que le sénateur Yussuff a dit?
M. Kosarenko : Je me contenterai de faire une brève observation. La conversion obligatoire en rentes est un choix politique, mais ce n’est pas un choix nécessaire dans notre cas. Nous avons un vaste bassin d’actifs de REER et, d’après ce que je sais de l’expérience d’autres régimes comme le Régime de pension de la Saskatchewan, près de 40 % des retraités optent pour les rentes. Par conséquent, même si leur expérience est unique, et même si nous ramenons le pourcentage à 20 %, il s’agit tout de même d’une somme énorme qui permettra de rendre le produit viable.
Le sénateur Gignac : Vous avez parlé de l’Australie. Pour poursuivre la discussion sur le sujet soulevé par mon collègue, le sénateur Yussuff, propose-t-on ici la même chose que ce qui se ferait en Australie, ou est-ce obligatoire là-bas? Pourquoi est-ce si populaire en Australie?
M. Saulnier : Je pense que la raison de cette popularité — et c’est probablement la même chose à l’Université de la Colombie-Britannique, quoique je ne travaille pas avec cet établissement; M. Kosarenko a peut-être une meilleure idée de la situation —, c’est la confiance dans l’organisme d’appui qui offre le produit. En Australie, il s’agit du QSuper. Cet organisme inspire une grande confiance. Lorsque ce nouveau produit a été proposé, les Australiens faisaient déjà confiance aux organisations, et la solution était donc simple. En Australie, l’approche habituelle consiste à placer les actifs dans un compte bancaire; c’est tout. Il s’agit là d’une autre option qui intéresse vraiment beaucoup de retraités.
Si nous parvenons à instaurer une telle confiance... D’ailleurs, il se peut que les régimes de pension devancent les RPAC à cet égard, et c’est correct, car si nous autorisons les fusions, ces actifs finiront par augmenter.
La présidente : Chose certaine, vous avez des conseils stratégiques d’ordre général sur ce que le gouvernement doit envisager et prendre en considération. Pouvez-vous préciser les changements que vous souhaitez voir ici?
M. Saulnier : Je n’en ai pas.
La présidente : Avez-vous un libellé précis à nous communiquer? Vous pourrez nous le faire parvenir plus tard.
M. Saulnier : Oui.
La présidente : Monsieur Kosarenko, avez-vous une dernière observation à faire?
M. Kosarenko : Une simple observation technique : dans le nouvel article 16.6 proposé de la Loi sur les normes de prestation de pension, il n’y a pas de disposition permettant de convertir des prestations variables en prestations viagères variables. Il s’agit d’une simple erreur d’omission, car cet article a été rédigé après l’actuel article 16.2. Il n’y a aucune raison d’interdire la conversion de prestations variables en prestations viagères variables puisque les prestations variables équivalent à un FERR. Les transferts d’un FERR à un RPAC sont autorisés, et les prestations viagères variables sont autorisées à l’intérieur d’un RPAC. Je recommanderais donc d’apporter cette précision.
La présidente : Merci beaucoup. C’est très précis, et nous pouvons soumettre cette question aux fonctionnaires du ministère des Finances. Nous vous en sommes reconnaissants. Monsieur Roman Kosarenko et monsieur Todd Saulnier, merci beaucoup d’avoir contribué à notre réunion d’aujourd’hui et de nous avoir fait profiter de vos connaissances.
Honorables sénateurs, pour la dernière partie de notre séance, nous allons nous pencher sur la section 1 de la partie 4, qui vise à mettre en place un système externe de traitement des plaintes plus équitable pour le secteur bancaire et un organisme externe de traitement des plaintes aux termes de la Loi sur les banques.
Nous avons le plaisir d’accueillir aujourd’hui John Lawford, directeur exécutif et avocat général du Centre pour la défense de l’intérêt public. Je vous souhaite la bienvenue et je vous remercie d’être des nôtres. Vous avez la parole pour votre déclaration préliminaire.
Me John Lawford, directeur exécutif et avocat général, Centre pour la défense de l’intérêt public : Je vous remercie, sénatrice Wallin.
Au nom du Centre pour la défense de l’intérêt public, je suis heureux de prendre la parole aujourd’hui au sujet des modifications prévues dans la section 1 de la partie 4 visant à créer un seul organisme externe de traitement des plaintes liées aux services bancaires de détail.
Il s’agit là d’une étape cruciale pour améliorer la protection des consommateurs de services bancaires au Canada. En effet, à l’heure actuelle, la Loi sur les banques permet l’existence de plusieurs organismes externes de traitement des plaintes, organismes qui se font concurrence et parmi lesquels les banques, et non les consommateurs, peuvent choisir celui qui leur convient. Il existe actuellement deux organismes de la sorte : l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement, ou OSBI, et le Bureau de l’Ombudsman des services bancaires, ou ADRBO. L’un fonctionne et l’autre pas. Les clients n’ont besoin que d’un seul organisme, lequel doit répondre aux besoins de tous les clients et non des banques.
En novembre 2022, le Canada a participé à la conférence du G20 à Bali, en Indonésie, et a entériné les principes de haut niveau du G20 et de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE, sur la protection financière des consommateurs. La version de 2022 contient la phrase suivante dans le principe 12, qui porte sur le traitement des plaintes et la réparation :
Il devrait être possible d’engager une procédure de recours indépendante pour traiter les plaintes que les mécanismes internes de règlement des litiges mis en place par les fournisseurs de services financiers ou par les intermédiaires ne permettent pas de résoudre efficacement.
Dans le contexte canadien, la structure concurrente des organismes externes de traitement des plaintes aux termes de la Loi sur les banques était vraisemblablement incompatible avec les engagements pris en 2011 par le Canada, mais c’est indéniablement le cas aujourd’hui.
Il faut maintenant modifier la loi pour interdire tout éventuel organisme externe de traitement des plaintes qui est structuré de façon biaisée, afin d’atteindre un double objectif : d’une part, éliminer les organismes externes de traitement des plaintes à but lucratif, qui ne sont pas indépendants en raison de leur quête du profit et, d’autre part, éviter de donner aux banques un moyen de faire pression sur les organismes externes indépendants de traitement des plaintes en menaçant de quitter ou en quittant effectivement, disons, l’OSBI.
Le projet de loi C-47, soit le projet de loi d’exécution du budget, vise à harmoniser notre loi avec les principes de haut niveau du G20 et de l’OCDE aux termes du nouvel article 627.471, qui explique pourquoi ces principes figurent dans notre législation. C’est une bonne chose. Toutefois, le Centre pour la défense de l’intérêt public invite à la prudence puisque le projet de loi ne précise pas l’échéancier pour la recommandation de l’ACFC, c’est-à-dire l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, et la désignation éventuelle, par le ministre, d’un nouvel et unique organisme externe de traitement des plaintes.
Le projet de loi pourrait peut-être fixer une échéance afin de garantir qu’un seul organisme externe de traitement des plaintes soit choisi et mis en place dans l’année suivant la sanction royale. De même, durant la phase de transition pour le règlement de toutes les plaintes déjà déposées auprès des anciens organismes externes de traitement des plaintes, il faudrait peut‑être prévoir un délai d’au plus six mois pour éviter que ces derniers traînent les pieds, malgré cette modification législative.
Merci beaucoup. Je suis prêt à répondre à vos questions.
La présidente : Merci beaucoup; c’était très clair. Sénateur Deacon, vous avez la parole.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup, maître Lawford.
Je me souviens que, dès les premiers mois où j’ai siégé au Comité des banques en 2018, j’ai examiné la question d’une structure indépendante et transparente pour le traitement des plaintes, ainsi que les structures concurrentes qui étaient en place à l’époque. Je pense qu’aucun de nous n’a été satisfait de l’état d’avancement de ce dossier.
Il me semble que l’organisme externe de traitement des plaintes doit avoir du mordant. Nous avons un système bancaire monopolistique ou oligopolistique dans lequel les consommateurs ignorent souvent qu’ils obtiendraient de meilleurs résultats s’ils étaient réellement placés au cœur du service à la clientèle. Je compare cela à la situation de ma petite‑fille qui n’avait pas encore mangé de la crème glacée. Elle n’en a demandé qu’après y avoir goûté. Lorsque vous savez que vous pouvez obtenir quelque chose de meilleur, vos attentes augmentent parfois.
Il y a quatre ans, nous avons recommandé à l’Agence de la consommation en matière financière du Canada de s’occuper des activités liées à la capture de données d’écran et d’en assurer la surveillance pour veiller à ce qu’elles se fassent en toute sécurité pendant la transition vers un système bancaire ouvert.
Jusqu’ici, aucune des mesures n’a eu le mordant nécessaire pour faire avancer ces questions. Il semble que les banques continuent d’exercer un contrôle sur la prise de décisions définitives sur un trop grand nombre de points. Nous voulons dégager quelque chose de très précis que nous pouvons recommander — parce que c’est vraiment tout ce que nous pouvons faire dans le cadre de la Loi d’exécution du budget — en formulant des observations sur les mesures à prendre pour nous assurer que ce nouvel organisme a suffisamment de mordant pour exiger des comptes au sujet de la gestion des plaintes.
Quelles sont vos recommandations à cet égard?
Me Lawford : Je recommanderais, dans un premier temps, d’appuyer cette étape initiale pour que l’Agence de la consommation en matière financière du Canada prouve qu’elle peut donner suite à une question de protection des consommateurs et mener la tâche à bien. C’est devenu un irritant. Je travaille sur ce dossier depuis 2010 afin de renverser le système des deux organismes externes de traitement des plaintes, et je commence à en avoir un peu assez.
La création d’un organisme de réglementation montrerait aux banques que, oui, lorsque le gouvernement s’engage à apporter un changement et qu’il l’annonce dans le budget, il ira jusqu’au bout et accordera les pouvoirs nécessaires pour concrétiser le tout. Par ailleurs, comme vous l’avez dit, il y a des consultations sur le système bancaire ouvert. Le ministère des Finances y travaille. Cela donnera peut-être un peu d’élan.
Le sénateur C. Deacon : J’aimerais que vous nous parliez d’éléments précis afin que nous puissions en faire rapport. Nous aimerions entendre des observations qui expliquent très clairement nos attentes en matière de transparence et de reddition de comptes et qui montrent que l’organisme externe de traitement des plaintes a suffisamment de mordant pour tenir tête à l’oligopole.
Me Lawford : La surveillance des organismes externes de traitement des plaintes par l’Agence de la consommation en matière financière du Canada repose sur un certain nombre de dispositions. Je crois simplement que, dans le passé, les groupes de consommateurs, comme le nôtre, ont été frustrés de l’inaction, alors que nous avions souligné l’existence de failles dans les organismes externes de traitement des plaintes. Ces questions ont fait l’objet de deux examens indépendants, et l’Agence de la consommation en matière financière du Canada a mené sa propre évaluation, qui a révélé des lacunes, mais rien de concret n’a été fait à cet égard. Je recommanderais donc à l’Agence de la consommation en matière financière du Canada de donner suite à son constat d’insuffisance et de demander un plan de travail.
La présidente : Je vous remercie. C’est assurément une observation que nous pourrons faire. Sénateur Loffreda, vous avez la parole.
Le sénateur Loffreda : Merci, maître Lawford, de votre présence parmi nous.
Vous avez parlé de la nécessité d’harmoniser cette modification avec les principes du G20 et d’améliorer la protection des consommateurs, ce qui est toujours important. Y a-t-il d’autres questions et d’autres raisons pour lesquelles nous aurions besoin de cette modification? Avez-vous constaté des tendances dans les plaintes déposées par les clients des banques au cours des dernières années? Si oui, est-ce dû à notre économie, à la COVID ou aux comportements? Nous aimerions connaître vos réflexions à ce sujet.
Me Lawford : Bien sûr, je peux vous donner beaucoup d’autres raisons, outre l’harmonisation avec les principes du G20 et l’indépendance. La possibilité de s’adresser à un seul organisme crée moins de confusion pour les consommateurs. Cela empêche les banques de choisir leur propre juge et jury, pour ainsi dire. Cela contribue également à assurer une protection uniforme des consommateurs dans l’ensemble du système, peu importe la banque avec laquelle on fait affaire.
Le sénateur Loffreda : En ce qui a trait aux tendances récentes, avez-vous constaté une augmentation du nombre de plaintes et, dans l’affirmative, est-ce lié à notre économie, à la COVID ou à d’autres facteurs?
Me Lawford : J’ai vu beaucoup de plaintes — et l’Agence de la consommation en matière financière du Canada en a pris connaissance récemment — concernant des choses comme l’assurance solde pour ligne de crédit ou carte de crédit. Je pense qu’il s’agit là d’un subterfuge de la part des banques, qui pressent leur personnel de vente d’ajouter de nouveaux produits, car les marges de leurs services bancaires de détail doivent être maintenues.
Comme vous l’avez dit, il y a toutes sortes de bouleversements concernant les hypothèques et les taux d’intérêt, et le secteur bancaire est confronté à de nombreux problèmes en ce moment. C’est la raison pour laquelle les banques tiennent à préserver la vigueur de leurs services bancaires de détail.
L’une des choses que l’Agence de la consommation en matière financière du Canada et l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement peuvent faire, c’est de donner suite à ce type de plaintes pour veiller à ce qu’il y ait une approche cohérente. Ainsi, l’Agence de la consommation en matière financière du Canada inflige des amendes aux banques, par exemple, pour la survente d’assurances et, dans certains cas, les clients récupèrent leur argent. Malheureusement, avec au moins l’un des deux organismes externes de traitement des plaintes, cela n’arrive pas toujours.
Le sénateur Loffreda : Cet amendement est donc un pas dans la bonne direction.
Me Lawford : Oui, ce l’est.
Le sénateur Loffreda : Merci.
Le sénateur Massicotte : Je veux simplement ajouter mon grain de sel pour dire que nous devrions inclure ces observations. En ce qui concerne les banques, la situation est atroce, notamment en ce qui a trait aux retards qu’elles prennent et aux rapports qu’elles doivent produire. J’appuie tout à fait vos amendements. Autant que possible, nous devrions parler de cela sans retenue.
La sénatrice Marshall : Merci.
Je suis peut-être un peu à côté de la plaque avec cette question, mais d’après votre exposé, nous avons besoin de cela, n’est-ce pas? Sauf que cela ne s’arrête pas là. Ces modifications législatives ne sont pas ce que vous recherchez, n’est-ce pas? Vous souhaitez aller plus loin.
Me Lawford : Oui, c’est ce que je souhaite.
La sénatrice Marshall : L’une des questions qui me préoccupent, c’est l’idée qu’il faudrait créer une société d’État ou une agence distincte à cette fin. Je ne pense pas que le gouvernement ait besoin d’une autre agence distincte.
Vous ne semblez pas convaincu que l’Agence de la consommation en matière financière du Canada est l’organisme approprié. Pouvez-vous nous en parler? Jusqu’où cela doit-il aller? Cela ne nous dit rien sur la finalité. C’est comme si nous étions à mi-chemin. Parlez-nous un peu de ce que vous aimeriez voir comme produit final.
Me Lawford : Bien sûr. En fin de compte, j’aimerais aboutir à un code pour les consommateurs de produits et services financiers. Comme l’a dit le sénateur Deacon, cela faisait partie des discussions lorsque le ministère des Finances a envisagé d’examiner cette question il y a cinq ans. C’est devenu la section sur les relations avec les clients. Je pense qu’il s’agit de la partie XII.2 — ou une autre — de la Loi sur les banques, de la nouvelle section. Toutefois, il s’agissait essentiellement d’une fusion des anciennes sections relatives à la protection des consommateurs en une nouvelle section, nouvelle section qui ne prévoyait pas beaucoup de nouveaux droits, à l’exception de quelques-uns concernant la clientèle vulnérable des banques. Ce n’est pas aussi complet qu’un code des services bancaires et financiers ou qu’un code sur les relations banques-clients comme ceux qui existent en Irlande et en Australie, et qui prévoient des protections précises pour les clients.
Lorsque j’étais ici en 2018, j’ai donné l’exemple du garant, qui, généralement, est un membre de la famille. Le garant s’assoit devant un banquier, avec son fils ou sa fille. Le banquier lui demande alors de garantir le prêt et, bien sûr, il ne peut pas dire non à son enfant devant le banquier. Cette personne doit obtenir des conseils juridiques indépendants et se voir accorder une réunion séparée sans la présence de son fils ou de sa fille. C’est ce qu’exigent les codes irlandais et australien. Ce n’est pas le cas au Canada. C’est un exemple concret de ce que j’aimerais voir au Canada d’ici peu.
Pour vous parler de ces réglementations, le fait de n’avoir qu’un organisme externe de traitement des plaintes ne fait que nous ramener au niveau de base de la protection du consommateur. Nous devons ensuite ajouter autre chose.
La sénatrice Marshall : Avons-nous besoin d’une société distincte ou d’une agence distincte? Quelle serait votre préférence? Ne pourrions-nous pas simplement la séparer et la confier à quelque autre organisme, comme l’Agence de la consommation en matière financière du Canada?
Me Lawford : Aux États-Unis, l’agence fédérale responsable de la protection des clients des banques fait présentement l’objet d’attaques en provenance, je crois, de la Cour suprême. Malgré cela, c’est le type de structure que nous aimerions voir adopter ici. L’agence a été créée à la suite de la crise financière aux États-Unis.
L’Agence de la consommation en matière financière du Canada a toujours une fonction informative. Elle assure la transparence et fournit de l’information aux consommateurs, mais elle n’a pas autant de mordant que l’agence américaine. Cette nouvelle section de la Loi sur les banques lui donne un peu plus de mordant. Toutefois, si le projet d’organisme externe de traitement des plaintes est adopté, elle devra surveiller cela.
Non, une dynamique davantage axée sur la protection — comme celle du Consumer Financial Protection Bureau aux États-Unis — est la structure que je privilégie.
La sénatrice Marshall : C’est celle que vous préféreriez.
Me Lawford : Oui, c’est celle que je préférerais. Merci.
Le sénateur Cardozo : Bienvenue, maître Lawford. Comme vous le savez, dans mon ancien rôle de commissaire du Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, ou CRTC, j’ai eu beaucoup de contacts avec l’organisme que vous représentez. C’était il y a 20 ans. Il est merveilleux de constater que, 20 ans plus tard, vous continuez à présenter les points de vue des consommateurs avec beaucoup de crédibilité et d’aplomb.
Au CRTC, nous avons compté sur la voix du Centre pour la défense de l’intérêt public pour nous expliquer avec force détails et en des termes juridiques quels étaient les enjeux liés à certaines questions dont nous étions saisis et comment nous pouvions traiter ces questions. Je vous en remercie et je vous remercie d’être venus ici.
Ma question porte en partie sur ce point. En vertu de la Loi sur les télécommunications, le CRTC pouvait adjuger des dépens à votre organisme lorsque ce dernier effectuait un travail important sur ce type de questions. Existe-t-il une entité qui peut adjuger des dépens à votre organisme lorsqu’il s’attaque à des enjeux d’ordre financier?
Me Lawford : Non. C’est en grande partie parce que le secteur bancaire, en particulier, et les domaines connexes ne disposent pas d’un organisme de réglementation qui, à l’instar du CRTC, tient des audiences ouvertes et publiques. Beaucoup de ces choses se font au ministère des Finances et à huis clos. C’est ainsi que nous réglementons le secteur bancaire au Canada. Cela n’est pas problématique pour autant. Si le ministre veut faire quelque chose, il réunit six personnes dans une pièce et cela se fait. Ce n’est toutefois pas la façon idéale d’assurer la transparence à l’égard du public. Comme nous le voyons ici, ce qui est obtenu pour les consommateurs est parfois relégué au second plan. Nous sommes plus efficaces lorsqu’il s’agit de processus réglementaires comme ceux du CRTC, où nous pouvons nous montrer. Oui, il existe une procédure d’adjudication des dépens. Une procédure similaire pourrait être mise en place s’il y avait un organisme de réglementation cadre où nous pourrions nous présenter et qui admettrait aussi la présence du public. Le secteur bancaire s’y est toujours opposé.
Le sénateur Cardozo : Par souci de clarté, disons que les dépens accordés ne provenaient pas du gouvernement ou du CRTC, mais plutôt des entreprises qui participaient à chaque audience.
Me Lawford : Cela ressemble à la manière dont l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement est financé à l’heure actuelle. Les banques membres doivent cotiser à un fonds, et c’est cet argent qui sert à couvrir les dépenses de fonctionnement de l’organisme.
Le sénateur Cardozo : En ce qui concerne les deux organismes externes de traitement des plaintes, vous avez dit que l’un fonctionnait et l’autre pas. Qu’est-ce qui fait qu’un organisme externe de traitement des plaintes fonctionne bien?
Me Lawford : Tout d’abord, la réception des plaintes. Le Bureau de l’Ombudsman des services bancaires — je présume que j’ai une immunité relative ici — n’accepte pas toutes les plaintes qui lui sont soumises. Il y a un premier examen, une étape où il rejette environ 75 % d’entre elles, alors que l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement en rejette environ 7 %. Il y a une énorme barrière à franchir pour atteindre le Bureau de l’Ombudsman des services bancaires. La Banque Royale, la Banque TD et maintenant la Banque Scotia sont toutes membres. Cela représente un nombre considérable de clients bancaires au Canada qui sont confrontés à un obstacle encore plus important lorsqu’il s’agit simplement de faire en sorte que leur cas soit entendu par un organisme externe de traitement des plaintes.
Deuxièmement, nous disposons de preuves anecdotiques de la part de personnes qui suivent le processus et qui nous contactent pour nous dire qu’elles ont eu une mauvaise expérience. J’en ai eu quelques-unes pour l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement et beaucoup pour le Bureau de l’Ombudsman des services bancaires, mais c’est anecdotique.
Le sénateur Cardozo : Les gens ont-ils besoin de conseils juridiques et d’aide pour déposer une plainte en bonne et due forme?
Me Lawford : Il y a une différence entre les deux organismes externes de traitement des plaintes, et cette différence a été relevée dans les rapports indépendants réalisés récemment par Poonam Puri et par l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Les deux rapports indiquent que l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement aide les plaignants à déposer leur plainte. Leur responsable pense que c’est un rôle approprié. Le Bureau de l’Ombudsman des services bancaires est à l’opposé de cela. Les gens qui déposent leurs plaintes doivent composer avec une documentation qui est plutôt opaque et ardue, de sorte que beaucoup d’entre eux abandonnent. Ils ne sont donc pas aidés comme ils le seraient en s’adressant à l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie d’être ici. Je suis tout à fait d’accord avec vous.
Nous constatons régulièrement, sous les auspices de nos institutions financières, que la confidentialité des données personnelles est violée. Pensez-vous que cette nouvelle entité pourrait également assumer la responsabilité de remédier à ce problème?
Me Lawford : Je pense qu’il serait approprié de lui donner une compétence conjointe avec le commissaire à la protection de la vie privée. Comme vous le savez, le mandat du commissaire à la protection de la vie privée sera probablement modifié par le projet de loi C-27. Nous craignons qu’il ne soit réduit. Il se peut que les consommateurs de services financiers aient besoin d’une protection supplémentaire de la part de leur organisme de réglementation. Souvent, deux organismes voient la même question de deux points de vue différents. J’y suis favorable. Je suis convaincu que d’autres pensent qu’il est nécessaire de n’avoir qu’un seul interlocuteur.
La présidente : Sénateur Deacon, nous allons vous laisser conclure.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, maître Lawford, pour le travail que vous avez accompli à ce sujet pendant presque une génération. Je voudrais parler des autres éléments que nous devrions examiner et prendre en compte pour la mise en place d’une structure appropriée.
L’évolution vers des services bancaires ouverts est importante pour faire en sorte que le système soit axé davantage sur le consommateur. La concurrence pousse les oligopoles à se concentrer sur les consommateurs plutôt que sur la manière dont ils peuvent augmenter leurs revenus.
Je pense que nous avons ici l’occasion de souligner l’importance de cette démarche. Je reviens sur le point que vous avez soulevé plus tôt à propos de la fraude. Il existe de nombreuses technologies numériques pour prévenir la fraude, en particulier parmi les parties vulnérables. Or, ces technologies ne sont pas utilisées dans notre système parce que cela n’est pas nécessaire.
Quelle importance accordez-vous, d’une part, à l’existence d’un organisme de réclamation très responsable, fort et indépendant qui a du mordant et, d’autre part, au fait que le rôle de la concurrence consiste à essayer de promouvoir une approche plus centrée sur le consommateur en faisant intervenir des technologies qui aident réellement les clients à résoudre les problèmes actuels, comme la fraude, qui pourraient être évités ou détectés beaucoup plus tôt dans le processus?
Je pense à l’envoi d’argent par Interac et à la façon dont les banques ont continué à dire « eh bien, redoublez de prudence », alors que le problème auquel elles font allusion pourrait être évité.
Me Lawford : Le processus pour un système bancaire ouvert fait toujours l’objet de consultations. Bien qu’il ait été quelque peu ralenti par les banques et le ministère des Finances, il devrait se terminer cet été, si j’ai bien compris. Nous avons participé aux tables rondes organisées à cette fin, mais les concurrents se plaignent de la lenteur du processus. Il est vrai qu’il freine les innovations en matière de protection et les autres choses de ce genre.
Un élément que vous pourriez envisager d’examiner est le fait que de très nombreux articles du reste de la Loi d’exécution du budget — peut-être que vous les étudiez, peut-être pas — stipulent qu’il y a maintenant une exigence en matière de sécurité, pour quelque ministère que ce soit. C’est une nouvelle exigence.
Je ne connais pas les autres parties de la Loi d’exécution du budget, mais peut-être que l’un de vos analystes pourrait les trouver pour moi. Il y a un certain nombre de nouveaux articles qui disent que si vous n’avez pas de dispositions pour assurer votre sécurité, et que vous pouvez prouver au ministère des Finances que vous en avez, alors vous êtes déficient en tant qu’institution financière. J’envisagerais simplement d’ajouter cela à la partie concernant les consommateurs, car je ne pense pas que ce soit dans les amendements dont nous parlons en ce moment.
Le sénateur Gignac : Merci à nos témoins.
La section 1 de la partie 4 du projet de loi modifie la Loi sur les banques, mais au Québec, la plus grande institution financière n’est pas une banque : c’est le Mouvement Desjardins, qui relève d’une compétence provinciale. Avez-vous des suggestions ou des observations à faire au gouvernement du Québec? Les Québécois ne s’adresseront pas à cet organisme externe de traitement des plaintes parce que, corrigez-moi si je me trompe, il ne s’appliquera pas ou ne sera pas lié. Du reste, le Québec a ses propres mesures de protection des consommateurs. Nous dirigeons-nous donc vers une lutte entre le Québec et le gouvernement fédéral en ce qui concerne la protection des consommateurs? Envisagez-vous des conséquences involontaires?
Me Lawford : Oui. Vous testez les limites de mes connaissances en matière de champs de compétence. Je crois comprendre que s’ils ont affaire à une institution financière sous réglementation fédérale — et vous pouvez me corriger si c’est le cas de Desjardins au Québec —, les consommateurs devraient pouvoir s’adresser au nouvel organisme externe de traitement des plaintes, quel qu’il soit, pour leur situation bancaire. Pour d’autres questions — en ce qui a trait, par exemple, aux assurances et aux investissements —, les consommateurs devraient s’adresser à l’Autorité des marchés financiers ou à l’organisme provincial de protection des consommateurs du Québec. La fusion de l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels et de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières pose un problème croissant dans le domaine des investissements, problème qui ne se pose pas au Québec, par exemple, qui dispose d’un système mieux intégré.
Je ne peux pas répondre entièrement à votre question. Je serais heureux d’y réfléchir ultérieurement et d’essayer d’écrire une réponse en bonne et due forme à l’intention du comité, mais s’il y a une institution financière sous réglementation fédérale, tout client, au Québec ou ailleurs, devrait être en mesure de s’adresser à ce nouvel organisme externe de traitement des plaintes.
Le sénateur Gignac : Je vous remercie.
La présidente : Maître Lawford, nous vous sommes très reconnaissants. C’était très utile. Nous vous remercions. Nous resterons rassemblés ici en tant que groupe pour une brève séance à huis clos. Merci beaucoup.
(La séance se poursuit à huis clos.)