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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 17 mai 2023

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 16 (HE), avec vidéoconférence pour étudier la teneur des éléments des articles 118 à 122 concernant le minage de cryptoactifs dans la partie 2, et des sections 1, 2, 6, 7, 26, 33 et 37 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023; et, à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour (travaux futurs).

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité.

Je vous présente les membres du comité, soit les sénateurs Deacon, Gignac, Loffreda, Marshall, Marwah, Massicotte, Martin, Smith et Yussuff. Nous accueillons également les sénateurs Cardozo et Galvez, qui remplacent des collègues.

Nous allons poursuivre notre examen de l’objet du projet de loi C-47, la loi d’exécution du budget, et nous accueillons de nombreux témoins. Je rappelle donc à tout le monde que nous faisons un suivi. Nous avons besoin de questions précises et de réponses brèves et précises.

Pour notre premier groupe de témoins, nous allons examiner la partie 4, section 7, Loi établissant la Loi sur la Société canadienne d’innovation, et nous avons le plaisir d’accueillir virtuellement, représentant le Conseil canadien des innovateurs, Nick Schiavo, directeur des Affaires fédérales. Merci de vous joindre à nous.

Nick Schiavo, directeur, Affaires fédérales, Conseil canadien des innovateurs : Bonjour à la présidente, au vice‑président et aux membres du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je vous remercie de me donner l’occasion de parler du projet de loi C-47 et du projet de loi d’exécution du budget concernant la Société canadienne d’innovation, ou SCI.

Je m’appelle Nick Schiavo et je comparais à titre de directeur des Affaires fédérales au nom du Conseil canadien des innovateurs, ou le CCI.

Le CCI est un conseil commercial national qui représente 150 des entreprises de technologie qui connaissent la croissance la plus rapide au Canada. Nos sociétés membres ont leur siège social au Canada et emploient plus de 52 000 Canadiens. Ce sont des chefs de file du marché des technologies de la santé, des technologies propres, des technologies financières, de la cybersécurité, de l’intelligence artificielle et plus encore.

Comme vous le savez, je suis ici aujourd’hui pour parler de la section 7 de la partie 4 du projet de loi C-47, Loi sur la Société canadienne d’innovation, la SCI. Toutefois, avant de répondre à vos questions sur la SCI, j’aimerais commencer par faire quelques observations générales sur le budget de 2023.

À une époque où l’économie canadienne a un besoin urgent de croissance et de prospérité, il était décevant de voir le budget fédéral rater la cible. Bien que les investissements dans les technologies propres et les crédits d’impôt pour les technologies propres soient de bonnes nouvelles pour appuyer la durabilité du Canada, dans l’ensemble, le budget de 2023 n’a pas mis en œuvre certaines des mises à jour les plus fondamentales pour relancer notre économie de l’innovation en général. Pour dire les choses simplement, en cette période d’incertitude, le budget fédéral n’a pas fait grand-chose pour aider les entreprises canadiennes à s’adapter au contexte économique difficile.

L’échec du budget de 2023 en matière d’innovation n’est pas le résultat d’un manque d’investissements, mais plutôt d’un manque de mesures concrètes pour favoriser la liberté d’action. Malgré les appels du CCI et d’autres chefs d’entreprise canadiens, il y a eu très peu de progrès par rapport à la plupart des engagements pris antérieurement par le gouvernement. Par exemple, il n’y a pas eu de véritable mise à jour de la réforme, les incitatifs fiscaux pour la recherche scientifique et le développement expérimental, aussi appelés RS&DE.

Il n’y a pas eu de suite à l’engagement de mettre en œuvre un système bancaire ouvert au début de l’année. Il n’y a pas eu de comité de conseillers économiques; il n’y a pas eu de régime privilégié des brevets; il n’y a pas eu de renouvellement clair du Collectif d’actifs en innovation; et il n’a même pas été question d’une stratégie relative aux semi-conducteurs, même s’il s’agissait d’un domaine d’intérêt clé pour le gouvernement.

Malgré ces occasions ratées, nous espérons que le gouvernement pourra tracer une nouvelle voie en matière d’entrepreneuriat, d’innovation et de propriété intellectuelle avec la Société canadienne d’innovation. Depuis l’annonce du lancement de la Société, le CCI participe aux progrès de cette nouvelle organisation afin de s’assurer qu’elle est en phase avec la rapidité des affaires, qu’elle fait des investissements stratégiques pour stimuler les mesures clés qui ont fait leurs preuves afin de propulser l’économie de l’innovation et qu’elle dispose d’une équipe de direction qui reflète ce qu’il y a de mieux dans l’industrie canadienne.

En conclusion, si la SCI répète les erreurs des tentatives passées du Canada en matière de politique d’innovation, nos entreprises et nos technologies les plus prospères échoueront encore à prendre de l’expansion et à créer la richesse que les Canadiens méritent. Merci. Je serai heureux de répondre à vos questions.

La présidente : Merci beaucoup, monsieur Schiavo. Merci de votre brièveté.

Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Schiavo, de vous joindre à nous aujourd’hui. En ce qui concerne la SCI, aidez‑nous, si nous devions inclure une observation dans la loi d’exécution du budget, ou LEB, qui cernerait peut-être certains aspects n’ayant pas fonctionné dans le passé et que ce modèle aiderait à résoudre, et nous dire ce qu’il faut améliorer à l’avenir. Nous voulons surtout nous assurer de ne pas faire des changements pour le simple plaisir de la chose, mais bien de procéder à un changement fondamental. Nous aimerions donc obtenir vos conseils précis sur ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire.

M. Schiavo : Je vous remercie de cette question, sénateur. J’aimerais avoir une heure pour répondre à cette question.

Je dirais que le Canada a toujours fait preuve de timidité en ce qui a trait aux dépenses des entreprises en recherche et développement. Aujourd’hui même, en fait, Statistique Canada a publié des résultats préliminaires de son enquête sur la R-D, et il a constaté que les dépenses dans ce domaine n’ont augmenté que de 0,5 % en 2022, et ce, pour le secteur privé. Quand on considère que l’inflation était d’environ 7 %, cela représente une baisse considérable de la R-D en termes réels. Même si l’enquête prévoit également une légère hausse en 2023, encore une fois, l’inflation demeurera très élevée.

Les dépenses des entreprises en recherche et développement représentent donc un énorme défi. Je pense que ce défi a nui à l’économie canadienne et aux gouvernements canadiens de toutes allégeances pendant de nombreuses décennies. Il n’y a pas de solution miracle, mais je pense que la Société canadienne d’innovation tient compte de ce problème et essaie de le régler au moyen d’investissements stratégiques.

Je pense que pour qu’elle soit efficace, elle doit avoir le bon leadership. Il faut mettre à la barre les bonnes personnes, qui viennent de l’industrie, qui comprennent les besoins de l’industrie, ainsi que les rouages du gouvernement, et qui peuvent agir à la vitesse de l’industrie, mais qui peuvent aussi prendre des décisions au sujet d’investissements fondés sur des paramètres clés, au lieu d’éparpiller les efforts. Nous ne pouvons pas tout faire pour tout le monde en même temps. Nous devons être intelligents. Nous devons être stratégiques.

Enfin, je dirai simplement qu’à mon avis, il faut mettre l’accent sur la propriété intellectuelle, et non seulement sur la façon dont nous générons la PI, mais aussi sur la façon dont nous la protégeons et nous nous assurons qu’elle reste ici au Canada. D’après ce que nous avons vu dans le plan directeur, il semble que le gouvernement ait pris conscience de ces réalités, et c’est pourquoi, comme bon nombre de nos membres, je suis optimiste quant à l’avenir de cette organisation.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.

M. Schiavo : Merci.

Le sénateur Smith : Le sénateur Deacon a posé ma question, mais j’aimerais y donner suite à l’intention de M. Schiavo. Si vous deviez faire trois principales recommandations, à l’heure actuelle, que vous mettriez en œuvre ou que votre groupe mettrait en œuvre ou recommanderait au gouvernement, quelles seraient-elles pour faire avancer les choses dans la direction que vous jugez appropriée?

M. Schiavo : C’est une excellente question, sénateur. Pour commencer, je pense que je mettrais l’accent sur la gouvernance et sur le leadership. Nous savons que les offres d’emploi pour les postes de président du conseil et de président et chef de la direction sont maintenant en ligne. Bien entendu, le CCI a fourni une liste de recommandations concernant les personnes qui, selon nous, pourraient siéger au conseil d’administration ou servir en provenance du CCI, mais je pense qu’il est de la plus haute importance que le président et chef de la direction, le président et les membres du conseil d’administration soient des chefs de file de l’industrie qui ont fait leurs preuves ici au Canada et dans l’économie canadienne.

Deuxièmement, je crois bien que je mettrais l’accent sur l’indépendance. Nous savons qu’il s’agit d’un organisme indépendant du gouvernement, ce qui est excellent, et nous savons également qu’il y aura toujours une surveillance ministérielle, comme il se doit, et que le ministre fera ensuite rapport de ses conclusions au Parlement, comme il se doit. C’est bien beau. Mais je pense qu’il sera également très important, une fois que la SCI sera opérationnelle, que ces rapports annuels prennent la forme d’un portefeuille. Si je dis cela, c’est parce que je crains que si chaque entreprise et chaque projet est exposé au grand jour pour ce qui est de l’évaluation ou de la perte d’évaluation, cela deviendra très rapidement un exercice partisan, et l’échec sera alors inévitable.

En réalité, nous avons besoin d’un peu de risque pour obtenir le rendement des investissements auquel nous aspirons, et ce rendement vise à créer de la richesse économique et de la prospérité pour les Canadiens. Je pense que notre gouvernement n’a pas eu une grande propension à prendre des risques, et jusqu’à maintenant, cela n’a pas donné les résultats que nous souhaitons.

La troisième concerne la propriété intellectuelle, la PI. L’une des mesures qui nous réjouit grandement, et que nous avions réclamées, c’est l’idée d’un mécanisme de rendement du capital investi dans la PI, ou récupération de la PI. L’idée, c’est que si vous recevez un investissement du Canada et des Canadiens et que vous vendez ensuite cet investissement et déménagez à l’étranger, vous devriez être responsable de le rembourser, souvent en multiples de deux ou trois. C’est une pratique courante dans d’autres économies d’innovation, par exemple en Israël. Je pense que c’est une bonne occasion d’essayer de garder une partie de cette PI ici.

Mais en plus de cela, je pense que nous pouvons être proactifs. Ce que j’aimerais, c’est que toute entreprise qui reçoit du financement de la SCI soit tenue d’avoir une forme quelconque de plan stratégique de PI. Nous sommes donc proactifs dès le départ en disant qu’il faut réfléchir à la façon de protéger la propriété intellectuelle.

Voilà donc quelques-unes des suggestions que je ferais au gouvernement.

Le sénateur Smith : Excellent.

La présidente : Merci beaucoup.

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup, monsieur Schiavo, de votre participation. La loi régissant la société d’État énonce des objectifs très généraux. On y parle de maximiser l’investissement des entreprises dans la recherche et le développement. Le projet de loi prévoit un financement de 3 milliards de dollars sur quatre ans, mais il n’y a rien dans le projet de loi qui indique ce dont nous devrions nous occuper après ces trois ou quatre années. Selon vous, comment le gouvernement devrait-il mesurer son succès? Au bout de deux ou trois ans, je m’attendrais à ce que nous puissions examiner la situation et être en mesure de déterminer si l’investissement a augmenté ou quoi que ce soit, mais ce n’est pas prévu dans la loi. J’aimerais savoir ce que vous en pensez. Que devrions-nous rechercher?

M. Schiavo : Absolument. Je vous remercie de cette question, sénatrice. Je commencerais par le financement. J’ai entendu des gens dire que ce financement n’était pas suffisant. J’ai entendu d’autres personnes dire que c’est trop. La réponse se situe probablement quelque part entre les deux. Mais au bout du compte, ce que nous voulons, c’est que la SCI soit couronnée de succès et continue d’être financée, de croître et de réussir. C’est très bien ainsi.

Pour répondre à votre question sur ce que nous devrions rechercher, je pense que nous devons examiner la question d’un point de vue systémique. Est-ce que les investissements de la SCI, dans l’ensemble, prennent de la valeur? Y a-t-il un rendement sur ces investissements? Parce que nous savons que certaines entreprises pourraient ne pas réussir. Mais de la même façon que les Canadiens mettent de l’argent de côté pour leur retraite ou pour les études de leurs enfants, ils examinent habituellement le CELI ou l’instrument d’investissement dans son ensemble. Ils ne se préoccupent pas des détails.

À mesure que le gouvernement analyse la situation et que les gouvernements futurs analysent cette institution, je pense qu’ils doivent se demander si les exportations de ces entreprises augmentent. Sont-elles en mesure de créer plus d’emplois? Sont‑elles en mesure de déposer plus de brevets et de constituer leur portefeuille de propriété intellectuelle? Il y a beaucoup de paramètres différents que nous pouvons utiliser, et je pense que ce sera quelque chose que le président et chef de la direction, le président et les membres du conseil d’administration devront élaborer en collaboration avec l’industrie.

Mais au bout du compte, je pense que si nous adoptons ce point de vue systémique du portefeuille, et que nous pouvons analyser s’il y a croissance ou non, ce serait la bonne approche.

La sénatrice Marshall : Pensez-vous que cette information devrait être fournie dans le rapport annuel ou être rendue publique d’une façon ou d’une autre?

M. Schiavo : Oui. Encore une fois, je pense que si nous examinons la question au niveau institutionnel, alors, oui, je pense que cela devrait figurer dans le rapport annuel, et je pense que les parlementaires et les Canadiens auraient intérêt à voir où vont ces investissements.

La sénatrice Marshall : Merci.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Schiavo, de votre participation. Selon votre vaste expérience de l’industrie, croyez‑vous que la Société canadienne d’innovation, telle qu’elle est proposée dans la loi d’exécution du budget, améliorera et augmentera les investissements au Canada? D’autres pays ont-ils mis sur pied des sociétés semblables? Y a-t-il des leçons à retenir dont vous pourriez nous faire part aujourd’hui? De plus, si vous avez le temps, pourriez-vous nous en dire davantage sur les mesures clés, les investissements stratégiques judicieux et le plan que nous devrions mettre de l’avant avec cette société, afin de ne pas répéter les erreurs du passé qui ont été commises avec des entreprises en démarrage semblables?

M. Schiavo : Bien sûr. Il y a là plusieurs questions. Je vais essayer de m’en souvenir et de répondre du mieux que je peux, sénateur, mais corrigez-moi si je m’écarte du sujet.

J’ai bon espoir que la SCI pourra commencer à relever certains des défis les plus pressants auxquels fait face l’économie de l’innovation au Canada, c’est-à-dire que nous ne pouvons pas compter sur une stratégie de succursales et simplement sur l’investissement direct étranger, ou IDE, pour essayer de créer des emplois.

Dans ce plan et dans la loi d’exécution du budget, le gouvernement reconnaît que nous devons mettre l’accent sur la propriété intellectuelle et les actifs incorporels. C’est grâce à ceux-ci que nous allons accélérer les dépenses des entreprises et la recherche et le développement.

Je suis optimiste. Il y a encore beaucoup de points d’interrogation, naturellement. J’espère que d’ici l’automne, nous aurons un conseil d’administration, un chef de la direction et un président, et que nous pourrons commencer à régler ces questions.

Pourriez-vous me rappeler l’autre question, sénateur?

Le sénateur Loffreda : D’autres administrations ont-elles créé des sociétés semblables, et s’il y a des apprentissages et des mesures clés que vous pouvez proposer. Vous avez parlé de mesures clés et d’un plan stratégique intelligent que vous pourriez nous communiquer, mais pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet?

M. Schiavo : Bien sûr. Pour ce qui est des autres pays, nous savons que la SCI est inspirée d’institutions semblables qui ont vu le jour en Israël et en Finlande. Nous savons que ce sont deux économies de l’innovation très fortes. Je n’ai pas beaucoup de détails à ce sujet pour l’instant. Je me ferai un plaisir de faire un suivi auprès de votre bureau et de vous revenir à ce sujet.

Si vous regardez ces économies et d’autres pays chefs de file en matière d’innovation, il y a un certain degré d’engagement du gouvernement. C’est vraiment là que le débat sur la politique industrielle commence.

L’idée d’être complètement inactif et de se concentrer entièrement sur l’IDE et les emplois, au détriment de l’innovation, est ce qui nous a donné des résultats plutôt lamentables jusqu’à maintenant.

Lorsqu’on examine ces économies, ainsi que des économies de taille semblable à celle du Canada — comme celles du Danemark ou des Pays-Bas —, on constate que le gouvernement s’engage à façonner l’économie et à appuyer l’expansion pour trouver de nouveaux marchés.

Pour ce qui est des paramètres, comme je l’ai dit, les exportations, les brevets, d’autres formes de propriété intellectuelle et la taille de l’entreprise sur le plan du talent pourraient également être un facteur. Au bout du compte, il y a encore beaucoup de points d’interrogation. Nous allons devoir nous pencher sur certaines de ces questions au fur et à mesure qu’elles seront mises en œuvre à l’automne.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Massicotte : Merci de vous joindre à nous.

Voici le dilemme auquel je suis confronté depuis des décennies, à savoir s’il est approprié pour le gouvernement de procéder de la sorte et s’il s’agit de la façon la plus efficace de dépenser notre argent pour que le gouvernement choisisse en fin de compte ce qu’il considère comme le gagnant ou la classe supérieure d’investissement. Pendant ce temps, de nombreux économistes chevronnés disent que c’est du gaspillage.

Si vous regardez l’histoire, y compris l’histoire récente des États-Unis, que ce soit pour les panneaux solaires et ainsi de suite, ils ont perdu des milliards de dollars. Qu’en pensez-vous? Je crois savoir ce que vous en pensez. Comment conciliez-vous les deux dans l’intérêt des contribuables?

M. Schiavo : Je vous remercie de cette question, sénateur.

Je dirais que l’une des raisons pour lesquelles j’espère que la SCI réussira, c’est que ce n’est pas un produit du gouvernement. Je ne veux pas que des entreprises ou des projets individuels se retrouvent sur le bureau du ministre pour approbation. Ce serait un échec. On nous a dit que la société serait dirigée par l’industrie. Elle sera conçue pour l’industrie et sera indépendante. J’espère que ce sera bel et bien le cas.

L’autre chose qui est très intéressante au sujet de la SCI, ce sont les équipes qui sont mises sur pied pour ce qui est des fonctions de prévision et d’expérimentation, les équipes de stratégie dont il est question dans le plan directeur pour ce qui est d’examiner les secteurs émergents, ce qu’est la technologie émergente et où il est logique que le Canada se positionne.

Je ne veux pas que ce soit une activité partisane. Je veux que les investissements faits par les contribuables canadiens soient judicieux et stratégiques. Si nous nous éparpillons trop et que nous investissons dans des entreprises situées dans des régions à forte récompense de votes partout au pays, ce serait un échec, n’est-ce pas? C’est ce qui s’est produit avec d’autres programmes, malheureusement.

J’espère qu’il ne s’agit pas seulement du Programme d’aide à la recherche industrielle, ou PARI, 2.0, mais d’une évolution de l’examen des entreprises les plus prometteuses et de la façon dont elles peuvent créer cette richesse économique.

Le sénateur Massicotte : Vous vous rendez compte que cette réponse, ce discours, est essentiellement ce qu’ils ont dit il y a trois ou quatre ans relativement au regroupement du ministère, à savoir qu’ils peuvent travailler les uns avec les autres et qu’ils en profiteraient. C’est un échec. Ils ont une bonne excuse pour expliquer l’échec. Pourquoi serait-ce différent cette fois? Pourquoi même prendre le risque?

M. Schiavo : C’est une bonne question. Je vais être honnête avec vous; ce que nous avons actuellement ne fonctionne pas.

Si je regarde d’autres programmes d’innovation, comme le crédit d’impôt pour la recherche scientifique et le développement expérimental, un programme de près de 4 milliards de dollars, ce que nous observons, c’est qu’environ 50 % de cette somme va à des multinationales. C’est ce que nous ont dit les gens du gouvernement. Malheureusement, nous n’avons pas accès à cette information.

Ce que nous savons également au sujet de la RS&DE, c’est qu’il s’agit d’un programme très coûteux pour les entreprises canadiennes. En règle générale, une demande dans le cadre de ce programme représente environ 10 % du financement total qu’elle recevra. Le Fonds stratégique pour l’innovation, ou FSI, est peut‑être un peu mieux, mais on nous dit aussi qu’il peut être très bureaucratique et que les limites ne sont pas très élevées. J’ai bon espoir que la SCI, en mettant l’accent sur les dépenses des entreprises en recherche et développement et la PI, pourra produire des résultats. Au bout du compte, il faudra attendre.

Le sénateur Massicotte : Merci.

Le sénateur Gignac : Merci à nos témoins.

Si j’ai bien compris, le PARI sera intégré à la SCI.

Serait-il intelligent d’intégrer d’autres programmes d’innovation au niveau fédéral de manière à établir un guichet unique pour les entrepreneurs? Avez-vous des commentaires à ce sujet?

M. Schiavo : Je vous remercie de cette question. C’est une proposition intéressante.

Le PARI est un programme qui est bien accueilli par nos membres. Ils ont en général de bonnes choses à dire à ce sujet. Il serait toutefois temps de le mettre à jour, étant donné qu’il remonte à près de 76 ans. Il est logique d’intégrer le PARI à la SCI.

Pour ce qui est des autres programmes d’innovation, peut-être plus tard. Je ne pense pas que ce serait une bonne idée à l’heure actuelle. Il y a trop de points d’interrogation en ce qui concerne cette organisation. Une fois qu’elle sera opérationnelle, et si elle est couronnée de succès, cela pourrait alors être très utile pour les entrepreneurs.

L’un des obstacles constants auxquels nos membres sont confrontés au Canada, ce sont les tracasseries administratives, la bureaucratie et, au bout du compte, le manque de liberté d’action. Tout ce qui peut simplifier ce processus est une bonne nouvelle. Pour l’instant, je pense qu’il faut y aller une étape à la fois.

Le sénateur Gignac : Dans une ancienne vie, à une certaine époque, j’ai été ministre de l’Innovation au Québec. Je me souviens d’un cas où une entreprise était admissible au PARI au niveau fédéral. Il y avait un programme au niveau provincial. De temps à autre, les sous-ministres se parlaient entre Ottawa et Québec et ils arrivaient à collaborer. Cela ne voulait pas dire que les provinces devaient faire comme Ottawa et créer une société d’État. La collaboration est visible entre les provinces et Ottawa.

M. Schiavo : C’est une excellente question. Je n’ai pas la réponse aujourd’hui. La SCI devra démontrer qu’elle fonctionne bien si elle veut obtenir l’adhésion des provinces et des territoires. Je pense que cela peut être un exemple très efficace à mettre en œuvre au niveau provincial. Au bout du compte, il faudra attendre.

Le sénateur Gignac : Merci.

La sénatrice Galvez : Merci à notre témoin.

Je suis d’accord pour que cette société ne soit pas un produit du gouvernement. Elle doit être dirigée par l’industrie. Pour en venir à la question du sénateur Massicotte, en français, on parle souvent de « grappe industrielle ». Si cela ne fonctionne pas, c’est parce que les contributions venaient principalement du gouvernement. Le secteur privé ne contribuait pas beaucoup. C’était comme un cadeau.

Quel est le montant du financement auquel vous vous attendez? Comment les contributions seront-elles distribuées? Est-ce que ce sera un pour un? Comment les avantages seront-ils distribués?

Merci.

M. Schiavo : Bien sûr. Eh bien, je vais commencer par parler de ce que je sais. Je sais que le financement total de la SCI est de 2,6 milliards de dollars sur quatre ans. Cela commence en 2023, cette année. Cela comprend 1 milliard de dollars qui était déjà prévu au budget de 2022, ainsi que le financement du PARI.

Je sais aussi que la SCI financera des projets de commercialisation de la recherche et de R-D d’une valeur de 50 000 $ à 5 millions de dollars. Il y aura aussi une certaine souplesse pour appuyer un petit nombre de projets jusqu’à concurrence de 20 millions de dollars. De toute évidence, c’est beaucoup d’argent. Je comprends votre commentaire au sujet de l’adhésion éventuelle du secteur privé.

Je dirais, sans trop connaître la Banque de l’infrastructure du Canada, que des initiatives semblables au niveau fédéral n’ont pas donné les résultats escomptés.

Je ne vois pas cela comme de la charité. Nous investissons dans des entreprises intelligentes qui affichent des paramètres prouvant qu’elles réussissent et qu’elles peuvent prendre de l’expansion, créer de nouveaux emplois et bâtir leur portefeuille de PI. Nous savons que, si leurs propriétaires doivent vendre ou déménager leurs installations, ils rembourseront cet investissement aux Canadiens. C’est le mécanisme de récupération dont j’ai parlé plus tôt.

Je crois qu’il y a des mesures de protection pour nous assurer que nous faisons les bons investissements et qu’au bout du compte, nous obtenons un rendement pour les Canadiens.

Le sénateur Marwah : Merci, monsieur Schiavo, de votre participation. L’un des dilemmes auxquels le Canada est confronté et que nous connaissons tous, c’est la faiblesse des investissements du secteur privé et de l’ensemble des investissements en R-D. Le gouvernement, dans son infinie sagesse, a essayé de corriger la situation en créant des mécanismes comme la Banque de l’infrastructure, le programme des grappes ou le fonds de croissance et, maintenant, la Société canadienne de l’innovation. Tout le monde critique ces initiatives en disant qu’elles ne fonctionneront pas. Si vous deviez corriger les investissements du secteur privé et les faibles investissements en R-D, surtout dans votre domaine d’intérêt, celui des innovateurs, que feriez-vous?

M. Schiavo : Une recommandation simple et tangible que nous avons réclamée dans notre mémoire budgétaire est la mise en place d’un régime privilégié des brevets. Il est possible de stimuler la propriété intellectuelle parmi les entreprises canadiennes et de l’encourager à un taux d’imposition moins élevé.

Il y a un certain nombre de domaines où le gouvernement peut essayer de corriger le problème. Encore une fois, c’est un problème qui afflige les gouvernements depuis un certain temps. Je ne sais pas s’il y a une solution rapide, et je ne sais pas si je réponds à votre question.

Le sénateur Marwah : Vous parlez d’un régime privilégié des brevets, qui est un incitatif fiscal. Vous recommandez que le gouvernement encourage l’investissement du secteur privé au moyen d’incitatifs fiscaux?

M. Schiavo : Pour générer et protéger la propriété intellectuelle, oui. C’est un mécanisme que d’autres économies d’innovation ont développé. Si je n’ai pas répondu à votre question, je serai heureux de m’y réessayer.

Le sénateur Marwah : L’autre point que vous avez soulevé dans votre déclaration préliminaire, c’est que la LEB ne va pas assez loin. En fait, vous avez dit qu’elle avait raté la cible en ce qui concerne l’innovation, et vous avez dit que le programme de RS&DE n’était pas adéquat, malgré l’investissement important. Pouvez-vous nous dire précisément où, selon vous, le gouvernement rate la cible, et que feriez-vous à la place?

M. Schiavo : Permettez-moi d’apporter une petite correction. Dans ma déclaration préliminaire, quand j’ai dit que l’on ratait la cible, je parlais du budget de 2023 dans son ensemble.

La Corporation d’innovation du Canada, ou CIC, sera un outil très important dans notre économie de l’innovation, mais tempérons un peu les attentes. Si nous n’encadrons pas le marché ailleurs, cette initiative ne réussira pas.

Par exemple, dans le plan directeur, il est question d’aider les entreprises à faire affaire avec le gouvernement et d’accroître l’approvisionnement. Je suis heureux de lire cela, mais en réalité, depuis très longtemps, l’approvisionnement ne fonctionne pas au Canada.

Sans l’appui du Conseil du Trésor, de Services publics et Approvisionnement Canada et de Services partagés pour repenser fondamentalement l’approvisionnement, la Société canadienne de l’innovation ne s’en sortira pas.

Dans ma déclaration préliminaire, j’ai souligné que le processus de demande du Programme de la RS&DE est trop lourd et complexe. Il ne tient pas compte du fait que la technologie est répétitive. J’ai aussi souligné que notre système financier n’offre pas la souplesse d’un système bancaire ouvert. Nous n’avons pas de groupe de conseillers économiques.

Ce sont d’autres recommandations que je ferais au gouvernement pour compléter sa création de la CIC et son investissement de près de 3 milliards de dollars.

Le sénateur Cardozo : J’ai une brève question sur l’état actuel de l’innovation. Nous avons parlé de la création de la CIC. Il faudra un certain temps pour le faire et pour que cela se produise. Au début de cette année, le GPT, un transformeur génératif pré-entraîné, est sorti, puis la 4e génération du GPT, le GPT-4, est sortie peu après. Le Canada traîne-t-il bien en arrière? Dans quelle mesure le GPT transforme-t-il le monde de l’innovation?

M. Schiavo : Le Canada est en tête de file dans certains aspects de l’innovation. Nos talents exceptionnels sont reconnus dans le monde entier. Nous investissons dans des études de recherche de calibre mondial. Nous devrions en être fiers.

Nous ne pouvons cependant pas être fiers du développement et de la commercialisation ainsi que de la propriété intellectuelle qui en ressortent.

Vous avez parlé de ChatGPT et d’autres formes d’IA qui s’implantent. Cela devrait nous inquiéter, parce que nous avons élaboré une stratégie de pointe en matière d’intelligence artificielle il y a plusieurs années, mais les emplois ne se sont pas concrétisés. La propriété intellectuelle ne s’est pas matérialisée. Il est très décevant de constater que nous n’avons pas un cadre réglementaire concret pour réagir à des innovations comme le ChatGPT.

Le Conseil canadien des innovateurs participe à l’élaboration du projet de loi C-27. Nous y travaillons avec le gouvernement, avec l’opposition et avec l’industrie. Nous voulons rédiger un bon projet de loi et le faire adopter.

Même s’il est adopté avant l’été ou cet automne, nous savons bien qu’il faudra jusqu’à deux ans pour élaborer des règlements. Les entreprises et les Canadiens demeureront dans l’incertitude pendant encore deux ans. Nous devons agir rapidement, mais nous devons aussi le rédiger avec beaucoup de soin.

Le sénateur Yussuff : Brièvement, si vous me le permettez, j’aimerais revenir sur la question que mon collègue a posée tout à l’heure. Depuis plusieurs dizaines d’années, nous essayons d’encourager le secteur privé à investir dans la recherche et le développement, mais notre pays n’a pas atteint le succès que nous espérions. Nous lançons donc une nouvelle initiative. J’espère bien qu’elle apportera du changement, mais sommes‑nous certains que cette nouvelle dépense du gouvernement incitera les investisseurs du secteur privé à s’efforcer de rattraper les autres pays? En observant la recherche et le développement que mènent d’autres pays, nous constatons que les entreprises canadiennes n’investissent que très peu en R‑D.

M. Schiavo : Le succès des programmes, des lois et des politiques que le gouvernement lance n’est jamais certain. Je pense bien que si la CIC s’inspire de ce que font d’autres pays — et nous en revenons à Israël, à la Finlande et à la Corée —, alors il y a de l’espoir. Si cette approche fonctionne ailleurs, nous réussirons nous aussi à établir cette économie.

Je vous dirai honnêtement qu’il s’agit surtout de changer toute une mentalité et un paradigme. Notre pays devrait se concentrer davantage sur les biens immatériels et sur les actifs numériques. Si nous donnons l’exemple dans le cadre des politiques et des programmes fédéraux, cette approche pourra se répercuter sur le secteur privé et, espérons-le, encourager les entreprises à investir dans la R-D. Cependant, pour en revenir à ce que vous disiez, sénateur, rien n’est jamais certain.

Nous ménageons notre optimisme et nous sommes heureux de travailler avec le gouvernement et avec le Sénat pour faire cela correctement et pour en assurer le succès.

Le sénateur Yussuff : Je demeure optimiste moi aussi, et j’espère que nous ferons les choses correctement cette fois-ci.

La présidente : Nous remercions M. Nick Schiavo, directeur des Affaires fédérales du Conseil canadien des innovateurs.

Notre deuxième groupe de témoins représente la Société d’assurance-dépôts du Canada. Les questions de la prochaine demi-heure porteront sur ce domaine.

Un groupe de fonctionnaires est revenu pour donner suite aux questions que nous leur avions posées la semaine dernière et auxquelles nous n’avons pas eu de réponse. Nous devons donc garder du temps à la fin de la séance pour les écouter à huis clos.

Nous allons examiner la partie 4, section 37 de la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada. Nous avons le plaisir d’accueillir Mme Leah Anderson, présidente et cheffe de la direction de la Société d’assurance-dépôts du Canada, la SADC.

[Français]

Leah Anderson, présidente et cheffe de la direction, Société d’assurance-dépôts du Canada : Madame la présidente et mesdames et messieurs les membres du comité, bonjour.

[Traduction]

Merci de m’avoir invitée à vous parler des modifications à la Loi proposées dans le projet de loi C-47.

Le système financier du Canada est solide et résilient. Nous avons un cadre de réglementation et de surveillance de calibre mondial pour les institutions financières sous réglementation fédérale.

[Français]

Quel est le résultat? Nos banques sont bien capitalisées; elles gèrent les liquidités de manière adéquate et leurs pratiques de gestion du risque sont exemplaires.

[Traduction]

Le cadre de protection des dépôts du Canada, mis en œuvre par la Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada, renforce la stabilité de notre système financier.

La SADC assume deux rôles. Le premier consiste à protéger l’épargne des Canadiens et à les rassurer en garantissant que leurs dépôts ne seront pas touchés au cas où une banque faisait face à des difficultés financières.

Son deuxième rôle est d’être l’autorité de résolution pour nos institutions membres. Autrement dit, nous sommes responsables d’administrer leur défaillance dans les rares cas où cela se produirait.

[Français]

La Loi sur la Société d’assurance-dépôts du Canada lui confère un vaste éventail d’outils et de pouvoirs adaptés à différentes situations.

[Traduction]

Par exemple, nous pouvons vendre, fusionner ou restructurer une institution défaillante tout en assurant la continuité de ses opérations bancaires et en réduisant au minimum les perturbations dans l’ensemble du système.

[Français]

De son côté, le ministère des Finances dispose de nombreux autres moyens de soutenir la stabilité du système financier.

[Traduction]

Notamment, l’article 60.2 de la Loi sur la gestion des finances publiques confère à la ministre des Finances le pouvoir de prendre des mesures sortant de l’ordinaire lorsque les circonstances le justifient.

Bien que le contexte de réglementation et de surveillance des États-Unis soit différent de celui du Canada, les récentes faillites bancaires aux États-Unis ont démontré avec quelle rapidité une banque qui fait face à des difficultés financières peut se détériorer dans le contexte actuel. Elles soulignent également que les difficultés d’une banque, même si elle n’a pas autant d’importance que les autres, peuvent se répercuter dans tout le système.

Les modifications liées à l’assurance-dépôts que propose le projet de loi C-47 contribueraient à atténuer ces risques. Elles élargissent la trousse d’outils de la ministre pour favoriser ou maintenir la stabilité et l’efficacité du système financier canadien en donnant à la ministre le pouvoir temporaire d’augmenter la limite de l’assurance-dépôts. Elles permettent également à la SADC d’administrer les pouvoirs de gestion de crise de la ministre conformément à la Loi sur la gestion des finances publiques.

[Français]

En conclusion, je tiens à répéter que les institutions financières canadiennes sont bien capitalisées et très solidement réglementées.

[Traduction]

Cependant, même s’il arrivait que le système financier subisse des répercussions négatives imprévues, le projet de loi C-47 renforce suffisamment notre trousse d’outils pour que nous puissions protéger les déposants et promouvoir la stabilité financière. Merci.

La présidente : Merci, madame Anderson. Nous allons commencer la période de questions avec le sénateur Deacon.

Le sénateur C. Deacon : Je suis heureux de vous voir ici, madame Anderson. Merci d’être venue aujourd’hui.

Il est maintenant possible de transférer de l’argent et d’obtenir des renseignements en une fraction de seconde. Les ruées bancaires peuvent se déclencher plus rapidement que jamais sur des informations bidons et des vidéos hypertruquées. La mesure que vous nous présentez ne s’appliquera qu’à court terme. Il n’y a pas eu beaucoup de débats contre cette mesure.

Scrutez-vous aussi l’horizon — cet horizon dont nous nous approchons de plus en plus rapidement — pour vous préparer à gérer ce problème, puisque votre organisme détient le pouvoir de gérer notre pays dans le monde actuel des communications et des transferts de fonds numériques, qui évolue à une vitesse époustouflante?

Mme Anderson : Bien sûr. Les récents événements survenus aux États-Unis démontrent que les répercussions qui menacent la stabilité financière sont très différentes à cause de la fuite des dépôts. Vous avez souligné que la technologie nous permet de transférer nos fonds très rapidement; c’est la fuite des déposants. De nos jours, l’information se répand beaucoup plus rapidement par les médias sociaux, et la désinformation aussi.

L’importance cruciale de l’assurance-dépôts est de rassurer les Canadiens. Quelle que soit l’information qu’ils entendent — et que le déposant moyen ne peut pas prévoir ou évaluer lui‑même —, ils peuvent être sûrs que leurs dépôts sont en sécurité. Ainsi, ils ne se précipiteront pas à la banque pour transférer leur argent, ce qui déstabiliserait gravement le système financier.

Le sénateur C. Deacon : J’en déduis que vous examinez d’autres mesures et d’autres façons de protéger les déposants — de les protéger d’eux-mêmes, si l’on peut dire — et de lutter contre la désinformation, qui semble devenir un grand problème.

Mme Anderson : L’un des principaux objectifs de la SADC est de sensibiliser le public. Selon les résultats de recherche, plus les Canadiens sont au courant de l’application de l’assurance-dépôts à leur épargne et plus ils la comprennent, plus ils font confiance au système financier. Nous surveillons l’évolution de la situation, car nous voulons nous tenir à l’avant-garde. À la fin de l’année dernière, nos résultats démontraient que la sensibilisation du public avait atteint un niveau record au Canada. C’est excellent pour la stabilité financière.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue, madame Anderson. J’ai deux questions à vous poser.

Au Québec, l’institution financière la plus importante est Desjardins; les caisses populaires sont protégées par l’Autorité des marchés financiers. Si jamais il y a une crise qui survient, la province de Québec devra bouger aussi vite que vous, sinon les gens vont passer de la Caisse populaire Desjardins à une banque pour effectuer leurs dépôts.

Est-ce qu’il y a un protocole qui est prévu? Est-ce qu’il y a eu des discussions afin que le Québec et Ottawa puissent bouger en même temps?

[Traduction]

Mme Anderson : Nous collaborons de très près avec le gouvernement du Québec, particulièrement avec l’Autorité des marchés financiers, l’AMF. Vous avez peut-être vu la campagne publicitaire que nous avons menée conjointement avec l’AMF pendant toute l’année dernière pour sensibiliser les déposants du Québec et de tout le Canada à l’assurance-dépôts. Nous collaborons aussi étroitement avec elle par l’entremise de l’Association internationale des assureurs-dépôts à l’élaboration et au respect des principes clés de l’assurance-dépôts et de la préparation à la résolution. Cela comprend des outils comme le renflouement des banques, ce que fait l’association pour...

Le sénateur Gignac : Est-ce que Québec et Ottawa ont élaboré un mécanisme pour intervenir le même jour? Sinon, en cas de crise, les déposants transféreront leur argent de Desjardins à une banque. Existe-t-il un protocole? En a-t-on déjà discuté?

Mme Anderson : Le gouvernement collabore avec toutes les provinces dans le cadre d’une série de tribunes de discussion. Quand je travaillais au ministère des Finances, les différents ministères des Finances collaboraient de très près pour soutenir la stabilité financière. Il existe des protocoles de coordination et des ententes sur l’échange d’information en période de crise. L’épine dorsale du système canadien est le fait qu’au sein du système fédéral, l’ensemble des organismes fédéraux du secteur financier collaborent étroitement et coordonnent leurs processus afin d’intervenir rapidement en cas de crise. Nous visons non seulement à intervenir rapidement, mais à établir une coordination efficace avec nos homologues provinciaux.

Le sénateur Smith : Nous sommes vraiment heureux de vous avoir ici. La communication est extrêmement importante, surtout dans la foulée des grosses faillites bancaires survenues aux États‑Unis. Les modifications proposées par le gouvernement dans le projet de loi C-47 ont certainement soulevé des préoccupations au sujet de la stabilité financière du pays. La SADC est responsable de soutenir la confiance des Canadiens à l’égard de leur épargne dans nos institutions financières.

De quelle façon la SADC veille-t-elle à ce que les Canadiens reçoivent des renseignements opportuns, factuels et clairs sur la stabilité de leur épargne? Vous avez dit que le public est fortement sensibilisé. À mon avis, la sensibilisation du public est une chose, mais pour l’approfondir, il faut maintenir une excellente communication. Je ne dis pas que je ne vois pas beaucoup de publicité de la SADC.

Que faites-vous pour que les Canadiens fassent confiance à nos institutions financières?

Mme Anderson : Je vous remercie pour cette question. C’est très important. Vous avez parlé de notre publicité. Nous faisons de la publicité dans diverses tribunes. J’ai mentionné la campagne de publicité que nous avons menée avec l’AMF pour démontrer la collaboration et l’harmonisation entre les assureurs de dépôts au Canada.

Il est essentiel que les consommateurs canadiens obtiennent de l’information à la source. Toutes les succursales bancaires et tous les guichets automatiques affichent le logo de la SADC, que je porte ici. Nous insistons pour qu’aux points de vente, on informe bien les consommateurs. À la SADC, nous travaillons très fort pour veiller à ce que les consommateurs reçoivent les bons renseignements au moment où ils achètent leurs produits afin qu’ils soient bien informés.

Nous offrons aussi de l’éducation plus générale pour améliorer la littératie financière, en collaboration avec l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, par exemple. Nous soulignons aux consommateurs l’importance de veiller à ce que leurs dépôts soient assurés.

Nous avons aussi un excellent site Web vers lequel nous dirigeons les consommateurs. Nous avons une ligne d’appel, qui a reçu beaucoup d’attention pendant l’instabilité des banques américaines en mars. Nous avons eu de nombreuses visites à notre site Web et beaucoup de commentaires positifs sur l’utilité des renseignements fournis.

La présidente : Intervenez-vous de façon plus proactive? Si une banque s’effondre aux États-Unis, outre offrir de consulter votre site Web, agissez-vous de façon plus proactive? Il faut du temps pour créer une campagne publicitaire.

Mme Anderson : Nous avons eu de la chance. En fait, nous avons fait preuve de prévoyance. Il est crucial de sensibiliser le public et il est important, en période de prospérité, de maintenir une sensibilisation de base. Lorsque la crise a frappé aux États-Unis, en une minute, nous avons été en mesure de changer l’intensité de nos annonces. Nous avons aussi communiqué dans les médias sociaux, et notre message a très bien passé. Nous avons reçu beaucoup de commentaires des Canadiens, qui ont apprécié cette intensité et l’information vers laquelle nous les avons dirigés pendant cette campagne de sensibilisation.

Le sénateur Smith : Avez-vous recueilli des données que vous pourrez compiler afin de mener des activités proactives sur le marché?

Mme Anderson : Bien sûr. Nous avons l’agilité nécessaire pour bien réagir.

Le sénateur Smith : Il y a une différence entre vendre et essayer de recueillir des données en envoyant les gens à votre site Web, si vous voyez ce que je veux dire.

La présidente : Je vais vous demander de limiter vos questions et vos réponses à une minute, si possible.

Le sénateur Yussuff : Merci d’être venue. Ma mère vous remercie parce que lorsque je l’emmène à la banque, elle me demande toujours si son dépôt est assuré, alors je lui montre votre affiche. Cependant, elle me demande ensuite pourquoi elle doit subdiviser ces dépôts en parts de 100 000 $. Je remarque que les amendements suggèrent une augmentation. Savons-nous à combien s’élèvera l’augmentation, ou est-ce encore un secret du ministère?

Mme Anderson : Je vais répondre à cette question en deux parties. Nous avons fait beaucoup de recherches sur la limite. Elle a été augmentée pour la dernière fois en 2005. Toutefois, nous l’avons examinée après la crise financière mondiale, et nous avons constaté qu’elle correspond à la grande majorité des dépôts de particuliers. La loi permet de l’augmenter temporairement en cas d’instabilité financière afin d’assurer, par exemple, un plus vaste éventail de dépôts que ceux que détiennent habituellement les gens comme votre mère et les autres épargnants.

Le sénateur Yussuff : Comme notre population vieillissante ressent un besoin d’argent plus urgent, ce nombre augmente considérablement. Les personnes âgées se préoccupent toujours de l’argent qu’ils ont à la banque. Il serait prudent de réfléchir à la façon de résoudre leur problème. Chaque semaine, ma mère me pose la même question au sujet de son dépôt, et je ne peux que lui suggérer d’appeler sa banque.

Mme Anderson : Nous effectuons des analyses fondées sur des données probantes à ce sujet. Avant la crise de février, nous avons mené une étude pour recueillir des données et analyser les faits afin de vérifier si la limite couvre encore suffisamment la grande majorité des dépôts des particuliers. Nous transmettrons les conclusions de cette analyse à la ministre, qui en tiendra compte lorsqu’elle élaborera des politiques et fixera la limite.

La présidente : Merci.

Le sénateur Loffreda : Vous avez souligné que le Canada a l’une des industries financières les plus stables et les plus saines au monde. De nombreux experts sont tout à fait d’accord avec vous, et je le suis aussi. Pensez-vous que ces amendements sont nécessaires? Pensez-vous que les événements récents survenus aux États-Unis menacent la stabilité du système financier canadien? Avez-vous l’impression qu’au Canada, comme vous l’avez dit tout à l’heure, certaines institutions financières qui ont moins de poids que les autres pourraient quand même causer des perturbations semblables dans notre système? Lorsque vous discutez des facteurs qui atténueront ces risques, invitez-vous toutes les institutions financières du Canada — le sénateur Gignac a mentionné par exemple la coopérative québécoise Desjardins — et les coopératives de partout au Canada? Certaines de ces coopératives détiennent une part importante du marché.

Mme Anderson : Cette question nécessite une longue réponse, et je sais que le président se préoccupe au sujet du temps.

Quant aux événements survenus aux États-Unis et leurs conséquences sur nos institutions, disons que les risques auxquels les États-Unis se heurtent, dans le cas des taux d’intérêt et de la liquidité, tous les pays y font face. Cependant, ces risques proviennent de facteurs fondamentaux très différents. Ils découlaient de deux facteurs. Le premier — et la Réserve fédérale elle-même le reconnaît — était la piètre gouvernance et la faible surveillance des conseils d’administration et de la haute direction de ces banques. L’autre était la supervision, ce qui a suscité un état d’urgence et une intervention musclée.

Le Canada applique des normes et des règlements très rigoureux en matière de titres de compétence. Il a établi un superviseur solide, agile et prêt à intervenir. Vous avez entendu le témoignage du surintendant. Nous ne versons pas dans la complaisance, et nous devrions nous améliorer à cet égard. Malgré notre réglementation rigoureuse, nous devrions demeurer conscients des risques nouveaux et sans précédent qui se manifestent. Nous les avons tous constatés, même ces trois dernières années, avant que ces perturbations ne surgissent aux États-Unis. Nous devrions nous concentrer sur la préparation, sur la vigilance, nous devrions analyser des scénarios et graduellement y adapter les normes canadiennes. Nos normes sont très strictes, car il est important d’être prêts à réagir. Il est également important de collaborer avec nos partenaires de partout au Canada, tant avec les autres organismes du secteur financier, comme le surintendant, le gouverneur et le ministre des Finances, qu’avec nos homologues provinciaux. Comme les différents éléments du système financier agissent les uns sur les autres, il est important que nous développions une étroite collaboration.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La sénatrice Marshall : Madame Anderson, lorsque nous avons vu cet amendement, nous avons été très surpris. Je m’attendrais à ce que la société soit sur un pied d’alerte à cause de cet amendement. Vous avez parlé de vos campagnes de publicité et de sensibilisation du public, mais que fait la SADC pour se préparer? Vous avez dit que vous examinez différents scénarios, mais que fait exactement la société pour intervenir au cas où un événement venait à ébranler notre système financier?

Mme Anderson : Je vais répondre à cette question en deux parties. Premièrement, en ce qui concerne les amendements, nous cherchons à opérationnaliser l’augmentation éventuelle de la limite d’assurance-dépôts. Nous devons pour cela examiner l’établissement des prix, les répercussions que cette augmentation aurait sur l’industrie ainsi que d’autres modalités et détails opérationnels.

Deuxièmement, il y a la planification de la résolution. D’autres sénateurs ont souligné que les défaillances bancaires se produisent souvent très rapidement. Cela a une incidence sur notre planification de la résolution. C’est une partie très importante de notre mandat, qui consiste à favoriser la stabilité financière du système, à protéger les déposants et à résoudre la situation efficacement. Nous nous penchons sur l’élaboration de ces plans de résolution. Nous gardons à l’esprit le fait que nous n’aurions que très peu de temps pour appliquer notre trousse d’outils. Nous devrons agir avec rapidité, alors il nous faudra une évaluation directe des facteurs de déclenchement et de l’outil à y appliquer. Tout dépend du type de défaillance, qu’il s’agisse d’un événement unique ou systémique. Cela exige plus de créativité et d’outils à déployer.

La sénatrice Marshall : Êtes-vous prêts, ou êtes-vous en cours de préparation?

Mme Anderson : Nous sommes prêts. Nous sommes prêts. Dans le cas de l’amendement dont nous parlons, comme il n’est pas encore en vigueur, nous en planifions l’opérationnalisation.

La présidente : Excellent, merci.

Le sénateur Marwah : Merci d’être venue, madame Anderson.

J’applaudis ce projet de loi, qui donne à la ministre le pouvoir d’augmenter temporairement la limite. C’est une planification intelligente. J’espère que cela ne se produira jamais, mais disons que cela se produit et que la limite est portée à 250 000 $. Qui paiera cette augmentation? Le contribuable, ou les institutions financières? Si les institutions financières la paient, le feront‑elles au même taux prescrit aujourd’hui ou exigera-t-on un taux plus élevé des institutions les plus faibles qui n’ont pas de ratios de dépôt aussi élevés que les autres? Comment évaluerez-vous ce coût et qui l’assumera?

Mme Anderson : Je vous remercie pour cette question.

C’est l’industrie qui paie l’assurance-dépôts à même les primes versées à l’industrie. Pour l’assurance-dépôts actuelle, nous avons ce qu’on appelle un système de primes différentielles. En bref, ce système établit une distinction entre le coût de la prime et le risque que le membre présente pour le système.

Nous travaillons à la mise en œuvre de cette nouvelle mesure, et l’établissement des coûts est un facteur dont nous tenons compte dans cette mise en œuvre.

Le sénateur Marwah : Il est donc simplement calculé en fonction des risques.

Mme Anderson : Le système actuel est fondé sur les risques. Le système à venir est en cours d’élaboration.

La sénatrice Galvez : Pour le moment, vous vous concentrez sur la prévention afin d’être prêts à intervenir. Et comme mon collègue l’a dit, à l’heure actuelle, la limite se tient à 100 000 $, mais selon les risques, selon votre analyse, elle pourrait augmenter. J’aimerais savoir en quoi consistent ces risques nouveaux et sans précédent. Quels sont les risques émergents que vous prévoyez et que vous examinez dans vos scénarios? Sont-ils liés à la cybersécurité, à une atteinte à la réputation ou aux changements climatiques et aux phénomènes météorologiques extrêmes? Selon moi, tous ces risques sont très différents. Ils influenceront fortement les résultats de votre analyse. Le montant à fixer sera très différent. Pouvez-vous nous dire comment vous abordez ce problème?

Mme Anderson : Oui. Pour évaluer les risques qui menacent nos membres, ou le secteur financier en général, nous travaillons en étroite collaboration avec le Bureau du surintendant des institutions financières. Nous siégeons au Comité de surveillance des institutions financières. Ensemble, nous surveillons les risques de très près. Comme notre système de primes est fondé sur les risques, tout ce que nous faisons est axé sur le risque. Tous les risques que vous avez mentionnés entrent en ligne de compte. Une partie est quantitative, mais comme les événements l’ont révélé, nous vivons tous dans une grande incertitude. Nous devons donc soupeser les risques, en discuter et les évaluer. Ces activités sont de plus en plus cruciales dans notre planification.

La sénatrice Galvez : Avez-vous des experts dans tous ces domaines pour modéliser les risques?

Mme Anderson : Oui.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le sénateur Cardozo : J’ai une autre question au sujet de la prévoyance à vous poser après avoir entendu certaines observations. En repensant aux terribles chocs économiques produits par la COVID et par l’invasion russe de l’Ukraine, pensez-vous à ceux que pourraient produire l’intelligence artificielle et la croissance du ChatGPT? Quelles répercussions pourraient-ils avoir sur l’économie? On estime que 400 à 800 millions d’emplois pourraient disparaître un peu partout dans le monde. Cela aurait-il une incidence sur les emplois dans l’économie en général? Selon vous, quelles répercussions l’intelligence artificielle aura-t-elle sur le secteur bancaire lui‑même, sur les emplois et sur les opérations bancaires?

Mme Anderson : Avec nos partenaires, nous examinons les effets de la technologie sur le secteur bancaire. Nous examinons les occasions qu’elle offrira, la croissance qu’elle pourra favoriser et les choix que nous pourrons offrir aux consommateurs. Toutefois, nous examinons aussi les risques qu’elle pose.

Le Bureau du surintendant des institutions financières a fourni des lignes directrices sur les cyberrisques et sur les autres risques technologiques. De nouveau, nous devons plus que jamais nous préparer à affronter ces risques. À la SADC en particulier, nous devons élaborer des stratégies et des outils de résolution afin de protéger les déposants et de maintenir la stabilité financière du pays.

Le sénateur Cardozo : Vous attendez-vous à ce qu’un grand nombre d’emplois disparaissent ou deviennent redondants dans le secteur bancaire?

Mme Anderson : Je ne me prononcerais pas sur les pertes d’emplois.

La présidente : Merci beaucoup pour vos observations. Merci de nous avoir répondu avec précision. Nous remercions Mme Leah Anderson, présidente et cheffe de la direction de la SADC.

Pour notre dernier groupe de témoins d’aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir à nouveau quelques hauts fonctionnaires du ministère des Finances. Nous accueillons en personne, sans ordre particulier, Mme Anne Loosen, cheffe de projet principal, Division des services financiers, Mme Amanda Riddell, directrice, Immeubles et institutions financières, M. Warren Light, expert-conseil, Division de la taxe de vente, M. Mark Radley, directeur par intérim, Consommation en matière financière, M. Gillian Sullivan, analyste/économiste, Division des services financiers, et M. Neil MacKinnon, conseiller principal, Politique des pensions.

Nous faisons un suivi de questions qui vous ont déjà été posées. Vous avez témoigné la semaine dernière, et certaines questions sont restées sans réponse. Merci d’être revenus. Vous n’avez pas de déclaration préliminaire, alors nous allons passer directement aux questions des sénateurs.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie d’être revenus nous voir et de nous aider à mieux comprendre cette question. La semaine dernière, John Ivison, dans le National Post, a affirmé que le but de ce changement à la TPS concernant les cryptoactifs, était politique par opposition à économique.

J’aimerais simplement avoir une déclaration claire quant à l’objet du changement. Grâce, je crois, à une question du sénateur Marwah, nous avons entendu d’excellents témoignages de Mme Riddell et de M. Light. Peut-être pourriez-vous préciser l’objectif sous-jacent.

Amanda Riddell, directrice, Immeubles et institutions financières, ministère des Finances Canada : Merci. En fait, je suis ravie que vous ayez posé cette question, car on nous la pose tout le temps. Nous parlons à des fiscalistes. Nous lisons les nouvelles. Nous voyons constamment des liens entre les changements que nous cherchons à apporter à la TPS et l’effort plus vaste de surveillance ou de réglementation des cryptoactifs. Or, il n’en est rien.

À cause de la façon dont c’est structuré, le minage de cryptoactifs est numérique, anonyme et sans frontières. Cela ne cadre tout simplement pas bien avec les règles actuelles de la TPS. Nous avons donc élaboré des règles fondées sur de solides principes stratégiques afin de trouver une façon appropriée d’intégrer cette industrie émergente à l’assiette de la TPS.

Si vous le voulez, je peux vous expliquer notre raisonnement, s’il reste du temps.

Le sénateur C. Deacon : Vous voulez vous assurer que l’activité au Canada est prise en compte au Canada?

Mme Riddell : Tout à fait. C’est exactement cela.

Le sénateur C. Deacon : Pouvez-vous nommer un autre secteur qui offre un service intangible où le mode de facturation fait qu’on soit traité comme des partenaires de l’entreprise du client? Car c’est ce que cela semble faire.

Un fournisseur canadien de services informatiques a un régime de paiement avec quelqu’un qui effectue des transactions dans le secteur du minage de cryptoactifs à l’étranger. La personne ne réside pas au Canada, mais l’entente que vous concluez avec elle suppose d’emblée que vous êtes un partenaire dans cette affaire.

Dans le secteur des biens matériels, il y a des propriétaires immobiliers qui ont des locataires, qui ont peut-être un commerce de détail, et les propriétaires perçoivent un pourcentage des ventes. Cependant, sur le plan fiscal, le propriétaire n’est pas un associé de cette entreprise.

Aidez-moi à comprendre les choix qui ont été faits ici, car il me semble que cela ne tient tout simplement pas la route.

Mme Riddell : La meilleure façon d’aider les gens à comprendre notre point de vue est de vous expliquer comment la TPS est structurée.

Les règles de la TPS sont fondées sur le fait qu’il y a un fournisseur et un destinataire — le vendeur et l’acheteur —, et cela est pris en considération.

Le deuxième principe fondamental de la TPS, c’est que le fardeau de la TPS incombe normalement au consommateur final. Vous allez dans un magasin et le consommateur final paie, mais l’entreprise ne paie pas la TPS parce qu’elle peut demander des crédits de taxe sur les intrants pour récupérer la TPS qu’elle verse sur ces intrants. Mais quand la taxe ne peut pas être imposée de la façon normale, ce que nous faisons toujours, presque sans exception, c’est l’appliquer au fournisseur. C’est le cas, par exemple, des services financiers, des loyers résidentiels et même des services de santé. Bien que la taxe ne s’applique pas au consommateur final, les intrants de ces produits et services sont assujettis à la TPS/TVH, et le fournisseur ne peut pas recouvrer ces coûts. C’est ce qu’on appelle la taxe sur les intrants.

C’est ainsi que nous sommes en mesure de faire participer toutes les industries de l’économie, même celles auxquelles il est difficile d’appliquer une taxe à l’étape finale de la consommation.

L’autre aspect important de la TPS/TVH — je pense que c’est là où la Digital Asset Mining Coalition essaie de faire valoir son point de vue —, c’est qu’en général, nous ne taxons pas les exportations. Il y a deux bonnes raisons à cela.

Premièrement, la TPS est censée être une taxe à la consommation au Canada. Si un produit est exporté et n’est pas consommé au Canada, nous n’imposons généralement pas de taxe. En revanche, nous imposons les importations.

M. Light m’a donné un excellent exemple l’autre jour. Si le Canada produit un moteur pour une voiture, lorsque nous l’exportons, nous n’imposons pas la TPS. C’est libre d’impôt. Cela nous rend concurrentiels sur le marché, et comme les produits ne sont pas consommés au Canada, c’est tout à fait approprié. Le moteur est envoyé dans un autre pays et, disons qu’il est installé dans une voiture. Lorsque le véhicule revient au Canada pour y être importé, il est assujetti à la TPS/TVH. Donc, quelque part dans ce cycle d’exportation et d’importation, la TPS s’applique et la consommation de ce produit ou service est taxée au Canada.

Avec le minage des cryptoactifs, cela tombe à l’eau, parce que si nous accordons une exemption aux exportations des services de minage, lorsque ces services sont importés de retour au Canada, un utilisateur canadien fera des transactions cryptographiques sans être assujetti à l’impôt. Donc, toute l’industrie échappe complètement au régime de la TPS/TVH.

C’est important, car notre économie est en train de changer, et nos règles relatives à la TPS/TVH doivent changer en conséquence. Autrement, il y aura des pans entiers de l’économie qui ne seront plus assujettis à cette taxe. L’assiette fiscale se rétrécira, nous devrons augmenter le taux pour générer le même montant d’impôt et ce sera un fardeau supplémentaire pour les industries plus anciennes qui sont plus facilement imposables avec les règles existantes.

Je sais que cela ne répond pas explicitement à la question.

Le sénateur C. Deacon : Cela ne répond pas du tout à la question. Ce qui me pose encore problème, c’est que les exploitants de cryptoactifs font affaire avec le monde entier. Il peut y avoir des Canadiens, mais dans la plupart des cas, tout se passe à l’étranger, et ce n’est pas l’affaire du fournisseur de services informatiques.

Je pense que c’est un dangereux précédent que d’imposer des frais à un fournisseur de services intangible et de le traiter de façon à ce qu’il soit responsable des éventuelles activités de ses clients dans un autre pays.

Ce qui est inquiétant, c’est que cela va entraîner une augmentation de la capacité informatique de pointe du Québec et de la région de l’Atlantique, ce qui pourrait réduire la TPS dans des provinces comme l’Alberta, mais probablement aussi à l’étranger. Je ne pense pas que ce soit l’intention, mais ce sera probablement l’effet en raison de la façon dont vous allez procéder. Est-ce que vous y avez songé?

Mme Riddell : Oui, nous le savons. Nous ne sommes pas déphasés par rapport au reste du monde. C’est un défi pour tous les pays qui ont une taxe sur la valeur ajoutée, pas seulement pour le Canada. Nous suivons les exemples déjà établis en Allemagne, au Royaume-Uni et en Irlande, pour n’en nommer que quelques-uns.

Le monde s’oriente dans cette direction générale. Si cette approche devenait universelle, les règles du jeu seraient les mêmes pour tous. Mais si nous acceptions les amendements proposés par la coalition, nous ne suivrions pas l’orientation générale que prennent les autres pays qui appliquent la TVA.

La présidente : Selon votre propre description de ce que vous essayez de faire, il s’agirait d’attraper tout ça au vol au cas où une partie reviendrait au Canada. C’est une taxe anticipée. Il ne s’agit pas d’une taxe sur une transaction donnée. C’est quelque chose qui, selon vous, pourrait se produire.

Mme Riddell : Cela arrive. Nous faisons la même chose avec les services financiers, qui sont taxés un cran plus haut, car nous ne pouvons pas les imposer à l’étape finale.

Nous ne prétendons pas que ce soit une solution parfaite. Nous y voyons aussi des lacunes. Nous avons essayé de trouver différentes façons d’aborder la question, et sans être idéale, c’est la meilleure des solutions.

Nous espérons que la technologie finira par nous permettre d’avoir un meilleur ensemble de règles et plus d’information pour pouvoir l’appliquer différemment, mais pour l’instant, c’est le mieux que nous puissions faire face à la situation dans laquelle nous nous trouvons.

J’aimerais également mentionner que la Revue fiscale canadienne a récemment publié deux articles sur l’exploitation minière de cryptomonnaies et ces modifications. Le premier article, rédigé par David Robertson et Selena Ing, présente la position de la coalition. L’autre, rédigé par un autre spécialiste de la TPS, dit que le ministère des Finances fait de son mieux avec cette solution.

Les fiscalistes qui représentent les mineurs, bien sûr, font de leur mieux pour obtenir le meilleur résultat possible pour leurs clients.

Le sénateur Gignac : Bon retour, dans certains cas. Ma question concerne la section 33 de la partie 4. Elle s’adresse probablement à Mme Riddell.

L’Association canadienne des compagnies d’assurances de personnes a mentionné qu’il n’était pas nécessaire d’accorder des pouvoirs supplémentaires au Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF. Il y a d’autres mécanismes, comme le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, si vous avez des préoccupations au sujet de l’ingérence étrangère. L’association demande essentiellement que l’article soit supprimé.

Est-ce que vous ou votre collègue avez des réflexions à ce sujet? Je m’intéresse au processus de consultation. A-t-on oui ou non consulté les intéressés au sujet de cette partie?

Mme Riddell : Je suis désolée. Ce n’est pas un sujet dont je peux parler. Je ne suis ici que pour la partie 2.

Le sénateur Gignac : Ma deuxième question porte sur le sujet que je préfère dans le projet de loi jusqu’à maintenant, l’aspect rétroactivité dont nous avons parlé.

Je vous ai posé la question lors de votre dernière comparution. Ce n’est pas seulement l’Association des banquiers canadiens, mais aussi l’Association du Barreau canadien qui ont mentionné que nous n’avons jamais vu passer 26 mois entre la décision d’un tribunal et la réaction du gouvernement. C’est sans précédent, selon eux.

Êtes-vous d’accord? Avez-vous déjà eu un autre exemple où le gouvernement a attendu 26 mois après la décision de la cour pour enfin mettre en œuvre une loi?

Warren Light, expert-conseil, Division de la taxe de vente, ministère des Finances Canada : Je peux citer un exemple où il a fallu environ deux ans. En 2003, il y a eu une cause portant sur les règles d’approvisionnement à l’importation pour les institutions. Je pense que c’était en 2003, et nous avons proposé une première ébauche en 2005. Nous avions un avant-projet de loi en 2007. Il y a eu d’autres cas où une loi rétroactive a été présentée environ un an ou deux après une décision judiciaire.

Le sénateur Gignac : Revenu Canada a envoyé de l’argent aux gens, et nous devons maintenant songer à renverser ce processus. Pourquoi Revenu Canada aurait-il envoyé de l’argent à l’institution financière si, au bout du compte, vous songez à contester cela et à modifier la loi? J’essaie de comprendre pourquoi Revenu Canada a procédé de la sorte si vous avez l’intention d’adopter ce projet de loi.

Mme Riddell : En écoutant les témoignages d’hier, la première chose que je voulais dire, c’est que le temps que cela a pris n’est pas sans précédent. Cela arrive à l’occasion, mais c’est plutôt inhabituel. Je pense que nous avons expliqué que c’était attribuable à la COVID. Nous faisions de notre mieux pour donner suite aux dossiers le plus rapidement possible, mais compte tenu du volume de travail du ministère à ce moment-là, il était très difficile de tout faire dans les délais normaux.

J’aimerais mentionner deux ou trois choses. Les gens ne cessent de parler de rétroactivité. De 1991 jusqu’en 2021, la décision de la Cour d’appel fédérale a imposé des taxes. En 2018, la Cour canadienne de l’impôt était d’accord avec la position du gouvernement, alors c’était une politique bien comprise. Cela ne veut pas dire que la cour était d’accord, mais elle l’a comprise.

La taxe a été imposée de façon normale jusqu’en 2021. Lorsque la Cour d’appel fédérale a rendu sa décision, la loi a également eu une application rétroactive. Ce qui s’est passé, c’est que des fournitures qui étaient auparavant considérées comme taxables ont été reclassées comme étant non taxables. Cela a permis aux grandes banques, surtout, de réclamer des remboursements de l’impôt qu’elles avaient déjà versé dans le passé en fonction de contrats censés être imposables à l’époque. C’était renverser l’histoire. Ce que nous cherchons avec l’application rétroactive de cet amendement, c’est de permettre que les contrats qui ont été négociés en fonction de l’impôt qui s’appliquait soient imposés comme prévu au départ.

Le sénateur Loffreda : Merci à tous d’être ici. C’est apprécié.

J’ai deux brèves questions. En ce qui concerne la TPS sur les cryptomonnaies, l’argument est qu’elles se vendent à la Bourse de Toronto, ou la TSX, mais pas à toutes les sociétés qui y sont inscrites. C’est le prétexte qu’on évoque pour dire que ce n’est pas justifié. Je ne sais pas si vous avez des commentaires à ce sujet.

Je suis heureux que le sénateur Gignac ait soulevé la principale préoccupation, c’est-à-dire la TPS liée aux services de compensation des cartes de paiement, que nous étudions au Comité des finances. Rapidement, avez-vous des réflexions pour conclure? Nous avons discuté de la rétroactivité, de la compétence indépendante — nos tribunaux doivent demeurer indépendants — et du délai. Si vous avez une conclusion à ce sujet, ce serait bien.

Pourquoi n’y a-t-il pas eu de communication avec les banques? Je travaille dans le secteur bancaire depuis une quarantaine d’années, et lorsqu’il y avait de quoi s’inquiéter, on nous avisait qu’il fallait cesser de faire telle ou telle chose ou que ce ne serait plus permis à l’avenir. Nous avons toujours collaboré. Pourquoi n’y a-t-il pas eu de communication avec les banques au sujet de ce jugement? Pourquoi nous préoccupons-nous à ce stade-ci de créer ce précédent, ce dangereux précédent, au Canada?

Mme Riddell : En fait, nous communiquons régulièrement. Souvent, c’est avec l’Association des banquiers canadiens plutôt qu’avec des banques elles-mêmes, mais nous communiquons régulièrement avec elles.

Nous communiquons aussi régulièrement avec le Tax Executives Institute et d’autres organisations fiscales professionnelles. À chaque occasion, lorsque le sujet a été abordé — et c’est ce qui s’est produit, car chaque fois qu’un tribunal rend une décision, on nous demande toujours notre avis —, nous avons toujours dit clairement que la décision ne reflétait pas notre position de principe.

Le problème que pose le fait d’être fonctionnaire, c’est qu’à moins d’avoir une décision du ministre des Finances, on ne peut pas s’engager à quoi que ce soit au nom du ministère. Il faut donc bien faire la part des choses. Tout fiscaliste qui est en affaires depuis un certain temps comprendra que l’affirmation « ce n’est pas notre position de principe » veut dire que nous sommes en train de préparer une modification rétroactive. Nous avons donc envoyé ces signaux chaque fois qu’il nous a fallu parler avec des fiscalistes et l’Association des banquiers canadiens.

Mais c’est tout ce que nous pouvons faire comme les fonctionnaires que nous sommes.

M. Light : Pour ce qui est de votre première question sur les services informatiques et la Bourse, on fait affaire à l’Intercontinental Exchange, qui est propriétaire de la Bourse. Quant au bitcoin, il n’y a pas d’entreprise; ce n’est qu’un protocole logiciel. Il n’y a personne à qui faire affaire.

C’est le problème que l’Agence du revenu du Canada a avec la loi actuelle. En l’absence d’une personne qui soit en contact avec l’exploitant du minage, on ne satisfait pas aux critères pour demander des crédits de taxe sur les intrants. En fait, en vertu de la loi actuelle, Revenu Canada affirme qu’on n’a pas droit à ces crédits. Tout dépend de ce que la personne reçoit. S’il s’agit d’une cryptomonnaie style bitcoin, elle n’aura pas droit aux crédits de taxe sur les intrants.

Le sénateur Marwah : Merci, madame Riddell et monsieur Light. Ma question va dans le même sens.

Merci de votre explication. Elle précise en grande partie ce que vous essayez de faire. Je conviens que la situation n’est pas parfaite, mais elle ne l’est jamais en matière fiscale.

Ce qui ajoute à la confusion pour les entreprises et les fiscalistes, c’est l’introduction de l’idée du partage des paiements de minage. Il serait très utile d’expliquer ce que vous entendez par là. Cela signifie-t-il que si une entreprise canadienne fournit des services à un groupe de minage non-résident et est payée en bitcoins, elle est réputée participer au processus de minage et, par conséquent, n’a pas droit aux crédits de taxe sur les intrants?

Mme Riddell : Il y a des conventions qu’on peut signer avec les groupes de minage, et elles définissent clairement si on récolte une partie des récompenses. On a le choix de partager les récompenses ou non en fonction du type de contrat qu’on a conclu avec l’exploitant du groupe de minage.

Nous essayons de fournir des éclaircissements dans les notes explicatives, où nous disons notamment :

Par exemple, un bassin de minage ne serait pas considéré un groupe de minage s’il était convenu entre les membres qu’ils fournissent des services informatiques pour l’exécution des activités de minage à l’égard du bassin; que la rémunération que les membres reçoivent pour les services informatiques est fondée uniquement sur la quantité des services fournis et que les membres n’ont aucun droit direct ou indirect sur tout paiement reçu par le bassin de minage (c’est-à-dire que les membres ne reçoivent pas une part directe du paiement de minage ni un paiement ou un rajustement déterminé en fonction du paiement de minage).

Le sénateur Marwah : Cela ne fonctionne pas dans le monde du minage des bitcoins, qui utilise la puissance informatique, une énorme puissance de calcul, et ce n’est qu’une question de chance de pouvoir obtenir un bitcoin. Ce n’est pas évident. Or, pour celui qui fournit le service, il est injuste de le lier à un paiement en bitcoin.

Mme Riddell : Les exploitants s’inscrivent dans l’une des trois catégories, en général. Il y en a qui travaillent seuls, et il est clair pour tout le monde, y compris la coalition, que les règles habituelles de la TPS ne fonctionnent pas dans ces cas-là. Ils ne fournissent rien. À l’autre extrémité du spectre, dans la troisième catégorie, il y a les fournisseurs de services informatiques. Je pense que tout le monde est d’accord, et nous sommes sur la même longueur d’onde que la coalition, pour dire que si on ne fournit que des services informatiques, on devrait, bien sûr, être considéré comme un service exporté et avoir droit à des crédits de taxe sur les intrants.

Au milieu, il y a les bassins de minage. La raison pour laquelle nous faisons la distinction entre les bassins qui partagent les récompenses et ceux qui ne les partagent pas, c’est que, s’il y a partage et si nous ne regroupions pas ces exploitants avec ceux qui font cavalier seul et que nous ne les traitions pas selon les règles spéciales que nous mettons en place, il serait très facile pour un exploitant solitaire de se réunir avec d’autres et d’organiser un bassin d’exploitation à l’étranger. Ils échapperaient d’emblée aux règles, et pourraient même les éviter complètement.

Nos règles seraient totalement inefficaces à défaut de mettre dans le même paquet tous ces exploitants qui partagent leurs activités de minage et les récompenses qui en dérivent. Ils sont en fait comme un seul gros exploitant et nous les traitons sur un pied égal aux fins des règles.

C’est la principale distinction que nous faisons entre les groupes de minage où il y a partage et ceux où il n’y en a pas. Lorsqu’un exploitant fournit des services informatiques, il est payé en fonction des services qu’il fournit, et il s’agit d’une convention qui ne prévoit pas le partage. Dans ce cas, il exporte ses services informatiques et peut donc obtenir ses crédits de taxe sur les intrants.

La coalition soutient qu’en principe il n’y a pas de distinction à faire entre ces deux choses, et que cela ne devrait pas avoir d’importance. Mais c’est important, car si nous ne faisons pas cette distinction, ce sera l’évitement fiscal.

Le sénateur Marwah : La difficulté, c’est de le définir très clairement dans la convention.

La présidente : Encore une fois, c’est anticipé. Vous tenez pour acquis qu’un exploitant solitaire se comportera...

Mark Radley, directeur par intérim, Consommation en matière financière, Ministère des Finances Canada : Les exploitants de minage peuvent conclure tout un éventail d’ententes contractuelles. On peut choisir la formule qui convient dans chaque cas. On peut recevoir des récompenses ou se contenter de se faire payer pour les services informatiques fournis.

La sénatrice Marshall : Merci, madame Riddell, de vos explications.

Vous avez parlé des aspects positifs du changement, des lacunes et d’autres administrations. Pour cet amendement, vous avez dû avoir une évaluation quelconque. En a-t-on fait une pour cela, ou s’agit-il d’un amendement qui est sorti de nulle part? Vous avez dû suivre un processus pour en arriver à cette conclusion.

Mme Riddell : Quand vous parlez d’« évaluation », voulez-vous savoir si nous avons analysé les politiques ou eu des séances d’information? Eh bien, oui, nous suivons la procédure normale. Nous y consacrons énormément de temps. Les fonctionnaires ne sont pas là pour l’argent, je vous assure. Nous essayons d’obtenir le bon résultat, alors nous nous évertuons à chercher la meilleure politique possible, tout en sachant qu’il n’y a pas de politique qui soit vraiment bonne. On pourrait tout simplement détaxer tous ces services, mais comme je le disais, l’assiette fiscale est en train de changer. Si nous négligeons d’y intégrer ces nouvelles industries, elle se rétrécira et il faudra inévitablement augmenter les impôts ailleurs pour générer des recettes équivalentes à celles d’aujourd’hui. Ce n’est pas juste pour les industries traditionnelles plus anciennes dont les produits et services sont assujettis à la TPS.

La sénatrice Marshall : Il serait très utile pour le comité que nous en obtenions une copie. Il semble y avoir une certaine confusion ou nous ne savons pas très bien comment vous êtes passés de la situation actuelle à la proposition contenue dans le projet de loi C-47. Est-ce une information que vous pourriez nous fournir?

Mme Riddell : Je ne sais pas si c’est possible, mais je vais me renseigner et voir ce que je peux faire.

La sénatrice Marshall : Ce serait utile. Certaines parties portent à confusion. Je ne tiens pas à avoir des tas de détails, mais j’aimerais savoir le processus que vous avez suivi pour en arriver là où vous voulez en venir dans la loi d’exécution du budget.

Mme Riddell : Sur le minage des cryptoactifs? Oui, d’accord.

Le sénateur Yussuff : J’aimerais revenir à la question du minage des cryptoactifs. Les exploitants utilisent beaucoup d’électricité pour faire fonctionner ces ordinateurs. Ce qu’on sait maintenant, c’est qu’ils sont au Québec, qui offre en grande partie une énergie propre. L’avantage de déménager en Alberta, c’est que le taux d’imposition est plus bas, mais l’inconvénient, c’est qu’on utilise un type d’énergie qui n’aide pas l’environnement. N’y a-t-il pas moyen d’en arriver à un équilibre et faire en sorte que l’égalité entre les provinces ne soit pas faussée de façon à causer plus de tort que de bien? En définitive, nous nous efforçons d’atteindre nos objectifs de 2030 et de 2050, et cela pourrait exacerber la situation. Un léger changement dans le taux d’imposition pourrait faire une différence pour l’emplacement d’une entreprise.

Mme Riddell : Côté fédéral, la taxe sur les produits et services est de 5 % dans toutes les administrations. Je sais que cela peut sembler une réponse facile, mais ce sont les provinces qui décident de leur propre taux d’imposition. Aucune de celles qui ont la TVH plus élevée n’aurait affirmé se soucier du fait que des entreprises de minage de cryptoactifs risquent de quitter leur territoire, ni qu’il y aurait des pertes d’emplois ou quoi que ce soit du genre.

Le secteur du minage des cryptoactifs dépend de divers facteurs importants qui vont au-delà de la TPS. Les exploitants s’inquiètent de l’accès à l’électricité à des tarifs raisonnables et du cadre réglementaire. Je dirais que ces deux facteurs sont plus importants que la TPS. Même si la TPS est un facteur dont il faut tenir compte à l’heure de déterminer l’emplacement de l’entreprise, ce n’est pas le facteur numéro un, à mon avis.

Le sénateur Yussuff : [Difficultés techniques] en Alberta, mais je ne peux pas parler pour ces gens-là; ils parlent pour eux‑mêmes.

J’aimerais revenir à la rétroactivité dont parlent les banquiers. Dans le contexte de la politique fiscale, est-ce sans précédent de... cela envoie-t-il un mauvais message aux investisseurs, déjà établis ou en voie de l’être, sur la façon dont cela est appliqué? Étant donné que le gouvernement s’est adressé aux tribunaux — sauf que c’est vous qui pouvez rédiger la loi, alors vous faites une loi qui fait votre affaire.

Je ne critique pas ce qui pourrait être la décision de politique à venir. Les banquiers disent qu’ils sont d’accord pour la décision de politique; ils n’en veulent juste pas pour le passé. Mais je comprends votre explication. Ils savaient que cela pourrait être une possibilité.

Mme Riddell : Ils savaient que cela pourrait être une possibilité, mais ce qui est plus important encore, c’est d’empêcher les bénéfices exceptionnels. Une fois tombée, la décision a eu un effet rétroactif. Sans rétroactivité, il y aurait eu une longue période de quatre ou cinq ans où la taxe ne se serait pas appliquée et où les gens auraient pu récupérer la taxe payée plus tôt en fonction de contrats négociés ne prévoyant pas la possibilité de récupérer la taxe.

Je vais prendre deux parties en exemple. Visa est habituellement le fournisseur. Visa et Interac facturent la taxe sur les produits et services et la taxe de vente harmonisée, la TPS et la TVH, et ont droit à des crédits de taxe sur les intrants pour récupérer la TPS payée sur leurs achats. Les contrats qu’ils négocient avec une banque — disons la CIBC, qui était la banque concernée dans le cas qui nous occupe — sont fondés sur le fait que la CIBC paiera la TPS, que Visa aura droit à ses crédits de taxe sur les intrants pour réduire ses coûts, et que les prix sont fondés sur cet arrangement. La décision du tribunal a permis aux banques non seulement de bénéficier d’un taux inférieur de la part de Visa, vu que Visa peut demander des crédits de taxe sur ses intrants, mais aussi de récupérer la taxe. C’était donc un bénéfice exceptionnel pour les banques, rétroactivement parlant. Il nous faut une loi rétroactive pour empêcher ces bénéfices exceptionnels. Si les banques ont de l’argent qu’elles n’attendaient pas, alors tous les autres contribuables doivent payer plus pour compenser les bénéfices exceptionnels qui vont garnir les coffres des banques.

Je sais que la question a été soulevée au sujet de l’Electronic Transactions Association. Il y a des situations, depuis la décision du tribunal, où des fournisseurs ont transmis ces économies à leurs clients consommateurs. Je ne parle pas de ce qui s’est passé avant la décision du tribunal, parce qu’il s’agit alors de bénéfices exceptionnels dans tous les cas, mais plutôt de ce qui s’est passé par après. Visa et d’autres fournisseurs de ce service s’attendaient à une modification, et ils ont donc continué de facturer la TPS et la TVH bien après la décision du tribunal. Après un certain temps, les clients ont exercé des pressions pour faire changer la façon de faire les choses; ils ont alors cessé de facturer la TPS et la TVH. Pour ceux qui avaient des contrats leur permettant de refiler les coûts, ces économies de coûts — un acquéreur comme Moneris, par exemple, était le type d’entreprise pouvant tout simplement refiler ces économies de coûts. Ne payant pas la TPS à Visa, Moneris peut refiler ces économies à ses clients. Un fournisseur comme celui-là se trouverait dans une situation difficile parce qu’il aurait déjà distribué la taxe et qu’il devrait désormais compenser les coûts de la TPS pour cette période de deux ans.

Nous savons que ce n’est pas parfait, mais dans l’ensemble, les bénéfices exceptionnels qui auraient pu tomber aux mains des grandes banques dépassent de loin la période de TPS de deux ans que les fournisseurs devront peut-être compenser. Je suis désolée que cela ne soit pas très clair.

La présidente : Nous devons poursuivre, à moins que vous n’ayez quelque chose de très...

Le sénateur Smith : Continuez, madame Riddell. J’ai une question complémentaire au sujet du minage des cryptoactifs. Vous avez dit que vous aviez évalué la situation et décidé que c’était le mieux que vous pouviez faire à ce moment-ci. Il me semble que la cryptomonnaie est en train de rebondir. Dans une certaine mesure, on ne sait pas trop où tout cela mènera, mais il semble qu’elle pourrait rester ici sous une forme ou une autre.

Cela dit, quel sera l’effet de la décision que vous avez prise avec les fournisseurs? Y aura-t-il davantage de consultations et de discussions au fur et à mesure de l’évolution de la situation? Le gouvernement veut percevoir des taxes, pour garnir ses coffres, mais en même temps, il doit y avoir un certain équilibre entre les deux objectifs si l’on veut que cela devienne une caractéristique importante du paysage économique de notre pays. Qu’en pensez-vous? Avez-vous décidé comment vous allez procéder pour la suite des choses, ou est-ce quelque chose dont vous vous inquiéterez plus tard?

Mme Riddell : J’ai déjà commencé à y réfléchir. Je sais que cela peut sembler ridicule, mais vous pouvez imaginer un système qui pourrait être mis en place plus tard où les échanges d’argent se feraient de cette façon. Comment allons-nous aborder la question dans la perspective de la TPS et de la TVH? Ce sont de très grandes questions, et nous en débattons au niveau des fonctionnaires. À l’heure actuelle, compte tenu de la technologie dont nous disposons et qu’on nous présente, nous avions diverses options de politique, et nous avons pris la meilleure.

M. Light : J’ajouterais les changements dans les cryptomonnaies. Ethereum, la deuxième monnaie cryptographique, est passée à ce qu’on appelle la « preuve de participation », qui est habituellement environ 1 %. Elle a réduit sa consommation d’énergie d’environ 99 %, ce qui change à la fois le coût de l’énergie et le coût de la taxe sur les produits et services. De plus, on risque moins d’avoir besoin des bassins de minage, de sorte que l’industrie est en train d’évoluer. Cela ne veut pas dire qu’il y aura nécessairement plus de TPS en jeu.

Le sénateur Smith : Le prochain point de discussion possible est le type de réglementation que vous pouvez créer pour avoir un système qui pourrait nous mener dans les deux prochaines décennies.

Mme Riddell : Heureusement, je n’ai pas à parler de cela. C’est le dossier d’autres collègues au ministère.

Le sénateur C. Deacon : Essayons de résumer. Le gouvernement a choisi de considérer le minage partagé comme en quelque sorte un partenariat. Ce n’est pas le genre de relation que nous aurions avec le propriétaire qui prélèverait un pourcentage sur les ventes d’un magasin de détail. Ce que je n’aime pas dans cette formule, c’est qu’elle suppose qu’une partie ou la majorité des avantages finiront par revenir au Canada, si bien que nous devons trouver un moyen de les taxer. S’il n’y a pas de partage, s’il n’y a pas de processus dans le cadre duquel l’entreprise canadienne de vente de puissance informatique participe au minage en vertu de son contrat, elle sera exemptée de ce changement. Il n’y a pas de ligne grise. C’est noir sur blanc. L’exemption n’est plus valable s’il n’y a plus de partage. C’est bien que ce soit clair.

Par contre, je n’aime pas voir une industrie se transformer si radicalement que nous risquons de la chasser à l’étranger en nous attaquant avec une telle agressivité à ce genre de problème plutôt que chercher avec elle d’autres façons créatives de le régler. Avez-vous parlé à ces entreprises et travaillé avec elles dans le cadre de la consultation qui vous a amenés à cette solution? Avez-vous parlé aux entreprises canadiennes de vente de puissance informatique?

M. Light : Nous avons consulté les membres de la coalition depuis 2022-2023, après le dépôt des modifications.

Le sénateur C. Deacon : Après la présentation des modifications.

M. Light : Il n’y a pas de coalition de l’industrie; alors il n’y a pas d’association de l’industrie à consulter.

Le sénateur C. Deacon : Vous avez commencé à les consulter quand ils ont vu le premier projet déposé. La clé, c’est de prendre les devants désormais parce qu’elles pourraient avoir de très bonnes autres solutions à envisager. Dès lors que le projet est proposé en bonne et due forme, il semble que l’on n’est plus très loin de l’entente finale. Quoi qu’il en soit, je suis heureux de savoir que l’exemption tient aussi longtemps qu’il n’y a pas de partage.

Mme Riddell : Exemption des règles.

Le sénateur C. Deacon : De cette nouvelle règle. Et leur crédit de taxe sur les intrants sera toujours valable.

Mme Riddell : Comme pour n’importe quelle autre entreprise.

Le sénateur C. Deacon : En tant qu’ancien exportateur d’actifs incorporels qui aimait beaucoup ces crédits de taxe sur les intrants, je suis très heureux d’entendre cela en leur nom.

La sénatrice Marshall : Madame Riddell, j’aimerais bien vous entendre clarifier une chose que vous avez dite au sujet de la rétroactivité des taxes pour les banques. Vous suiviez la piste de l’argent pour nous, et vous disiez que certaines banques ont récupéré la TPS et que c’était un bénéfice exceptionnel, qu’elles doivent maintenant rembourser. Mais vous avez dit ensuite que d’autres organisations en faisaient profiter les consommateurs ou quelqu’un d’autre. Pouvez-vous nous donner plus de détails? Parce qu’on nous a dit que la taxe serait d’environ 300 millions de dollars. Savez-vous quelle est la répartition? Dans quelle mesure cela sera-t-il un bénéfice exceptionnel et combien... Vous voyez ce que je veux dire?

Mme Riddell : Je pourrais trouver les chiffres. Soit dit en passant, je crois comprendre que la grande majorité est formée de bénéfices exceptionnels. Si nous n’avions rien fait, nous aurions estimé le coût. C’est de l’argent, mais ce n’est pas énorme. Mais ce sont les demandes de remboursement rétroactif, les bénéfices exceptionnels, qui sont beaucoup plus importants, et c’est ce qui nous préoccupait.

La sénatrice Marshall : Qui a reporté le bénéfice sur les consommateurs? J’ai l’impression que les grandes banques ont gardé l’argent, mais que les petites en ont...

M. Light : [Difficultés techniques] personnes qui raccordent les commerçants au système de cartes de crédit. Dans certains cas, les frais sont fondés uniquement sur les coûts, de sorte que lorsque la taxe diminue, les coûts diminuent automatiquement.

Mme Riddell : Ils ont un contrat.

M. Light : Normalement, c’est seulement dans le cas de contrats avec de grands commerçants, et non pas habituellement avec les petits.

La sénatrice Marshall : Auriez-vous accès à l’information qui permettrait vraiment d’établir la valeur en dollars des deux catégories? Ce n’est pas que je veuille cette information. Je me demande seulement si vous l’avez dans votre ministère.

Mme Riddell : Nous n’avons pas l’information pour un contribuable donné. Donc, il serait difficile de faire une estimation. Il faudrait que nous connaissions tous les contribuables et le genre de contrats qu’ils ont, puis que nous fassions des estimations en fonction de cela. Il serait donc difficile de trouver un chiffre. Nous avons fait des estimations concernant les demandes de remboursement. Nous les connaissions. Nous savions également que, globalement, tout le monde incluait les coûts futurs, et que les demandes de remboursement étaient beaucoup plus importantes.

La sénatrice Marshall : Vous êtes au courant du remboursement. C’est ainsi que vous le savez. C’est très intéressant et instructif.

La présidente : Merci beaucoup. Y a-t-il des modifications très précises dont vous aimeriez parler?

Je vous suis vraiment reconnaissante d’être revenue répondre à nos questions. Je sais qu’il y avait eu beaucoup d’activité de ce côté-ci, mais nous vous sommes reconnaissants de votre présence à tous, car nous ne pouvons jamais prévoir quelles seront les questions.

Nous allons mettre fin à la réunion, pour une très brève séance à huis clos. Merci.

(La séance se poursuit à huis clos.)

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