LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 5 octobre 2023
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 29 (HE), pour étudier la Réponse du gouvernement au cinquième rapport (provisoire) du Comité sénatorial permanent des Banques, du commerce et de l’économie, intitulé « L’état de l’économie canadienne et l’inflation », déposé au Sénat le 15 février 2023; puis à huis clos, pour l’étude d’un projet d’ordre du jour.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous, et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis présidente de ce comité. J’aimerais vous en présenter les membres. Nous accueillons aujourd’hui la sénatrice Bellemare. Bienvenue au sénateur Smith, qui remplace le sénateur Deacon aujourd’hui. Le sénateur Gignac est là, de même que notre vice-président, le sénateur Loffreda. Le sénateur Wells remplace la sénatrice Marshall. Les sénateurs Martin et Massicotte sont également présents. La sénatrice Galvez rend visite au comité aujourd’hui. La sénatrice Ringuette se joindra probablement à nous dans un instant. Les sénateurs Petten et Yussuff sont aussi présents.
Aujourd’hui, nous avons le grand plaisir d’accueillir David Dodge, conseiller principal chez Bennett Jones s.r.l. Bien sûr, il est ici en sa qualité d’ancien gouverneur de la Banque du Canada et parce qu’il a toujours des choses intéressantes, parfois même provocantes, à dire sur l’état de l’économie. Monsieur Dodge, vous avez la parole.
David Dodge, conseiller principal, Bennett Jones s.r.l., et ancien gouverneur, Banque du Canada, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs. C’est un grand plaisir d’être ici avec vous. Je me souviens de ma première comparution devant le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie il y a 50 ans, après le budget de 1972. L’accueil n’était pas très amical à l’époque, car nous essayions de défendre certains éléments de ce budget, mais je suis ravi d’être de retour parmi vous.
Ma déclaration préliminaire vise simplement à fournir un peu de contexte pour la discussion d’aujourd’hui sur les perspectives de croissance, d’inflation, d’endettement et les taux d’intérêt.
Je voudrais simplement commencer par une observation : nous traversons une période de changements structurels rapides et importants dans notre propre économie comme dans l’économie mondiale, des changements auxquels nous devons nous adapter. La réalité démographique change. L’espérance de vie au-delà de 65 ans augmente rapidement, ce qui signifie que nous avons besoin d’investissements accrus dans les établissements de santé et de soins en général. Parallèlement à cela, les travailleurs doivent épargner davantage pour se préparer à une retraite prolongée. Nous sommes en plein changement climatique, et pour y faire face, il faut augmenter les investissements, nous adapter à des températures plus élevées et réduire les gaz à effet de serre.
L’ordre commercial mondial a changé également. L’adaptation à une économie mondiale plus fragmentée nécessite des investissements nationaux supplémentaires pour améliorer la sécurité de l’approvisionnement.
Enfin, il y a tous les changements technologiques. L’intelligence artificielle, ou IA, et la numérisation promettent d’augmenter beaucoup notre productivité, mais à court terme, elles nécessitent de très grands investissements supplémentaires, en particulier dans la propriété intellectuelle, les systèmes numériques, la recherche et le développement et le capital humain.
Or, si l’on veut augmenter la productivité pour faciliter l’adaptation à ces quatre grands axes de changement, il faut que les entreprises, les ménages et les gouvernements consacrent une part plus importante de leurs ressources qu’au cours de la décennie qui a précédé le choc de la COVID aux investissements dans les appareils, les machines, les infrastructures et la propriété intellectuelle susceptibles d’améliorer la productivité.
Si, en principe, une partie de ces investissements peut être financée par l’emprunt, ici, au Canada, et dans presque toutes les économies avancées, les niveaux d’endettement sont élevés et l’épargne faible. Ainsi, le recours répété à l’emprunt pour financer tous ces investissements se traduit par une pression accrue à la hausse sur les prix et les taux d’intérêt, une situation qui risque fort de se perpétuer encore 10 ans.
Ainsi, afin de dégager la marge nécessaire pour augmenter leurs dépenses en investissement, les entreprises auront moins de bénéfices non répartis à distribuer aux actionnaires, les ménages auront moins de revenus à consacrer à la consommation courante afin d’épargner davantage, et les gouvernements auront moins d’argent à consacrer à la prestation de services courants aux citoyens.
Il n’est jamais facile de consacrer une part plus importante de ses revenus à l’investissement, mais c’est plus facile quand les revenus augmentent rapidement en même temps. Malheureusement, les revenus réels n’augmentent pas rapidement, parce que la productivité est faible. En effet, la productivité par habitant a diminué dernièrement. En outre, la part du revenu qui doit être consacrée au service de la dette accumulée a augmenté et restera bien supérieure aux niveaux antérieurs à la COVID à court terme.
Les ménages canadiens réduisent et devront malheureusement continuer de réduire quelque peu leur consommation courante afin d’épargner davantage et, ce faisant, de s’adapter à ces changements structurels.
Or, les gouvernements sont confrontés exactement au même problème que les ménages. L’investissement nécessaire pour faciliter l’adaptation aux quatre grands axes de changements structurels accapare une part plus importante des recettes, tandis que les frais liés à la dette publique accumulée grugent une part de plus en plus importante des recettes à mesure que les taux d’intérêt augmentent. En cette période où l’on s’attend à ce que les taux d’intérêt restent à peu près égaux aux taux de croissance plutôt que nettement inférieurs à ceux-ci, les nouveaux emprunts destinés à financer des services supplémentaires pour les ménages ou à soutenir l’investissement dans les entreprises ne feront que gonfler la part des recettes à consacrer aux frais d’intérêt et réduire d’autant la capacité du gouvernement d’investir dans l’immédiat dans des services pour l’avenir.
Les gouvernements ne peuvent vraiment pas miser sur l’emprunt pour se soustraire aux choix difficiles qui s’imposent au chapitre de la réaffectation des ressources afin de dégager la marge nécessaire pour faire les investissements requis pour s’adapter aux changements structurels. En moyenne, au cours des prochaines années, les budgets devront au moins s’approcher de l’équilibre pour permettre des investissements publics supplémentaires et favoriser l’investissement privé. Il faudra soit réduire quelque peu la croissance des services courants ou des transferts fournis par l’État, soit augmenter les taxes sur la consommation privée. Aussi désagréable que puisse être ce choix à court terme, celui de ne pas investir dans l’adaptation aujourd’hui condamnerait en effet les Canadiens à un avenir beaucoup plus sombre encore.
Honorables sénateurs, j’espère vous avoir donné au moins quelques éléments de contexte pour faciliter la discussion.
La présidente : Merci beaucoup pour ces observations et vos derniers mots, en particulier, qui concordent avec le propos du dernier rapport publié par notre comité, en juin. Je vous remercie.
Puis-je avoir un bref commentaire de votre part, dans le même ordre d’idée? Parlons un peu des obligations — sur 10 ans, 30 ans —, dont beaucoup de gens se dégagent. Qu’est-ce que cela vous indique sur la façon dont ils interprètent les actions des gouvernements ou le marché lui-même?
M. Dodge : Je pense que les marchés sont enfin en train de s’arrimer à la réalité mondiale. Cela a pris du temps. On espérait ou on pensait que la structure de l’économie après l’adaptation à la COVID ressemblerait à la structure de l’économie que nous avons connue après la grande crise financière. En fait, mon hypothèse — et je pense que cet argument est de plus en plus accepté —, c’est que tous les changements dont j’ai parlé, qui vont nécessiter des investissements supplémentaires, sont tels que les forces de la demande vont être plus fortes qu’elles ne l’étaient au cours de cette période; les forces de la demande dans le secteur privé vont être plus fortes qu’elles ne l’étaient au cours de cette période. Nous sommes également confrontés à une contraction soutenue de l’offre mondiale, ce qui exerce une pression à la hausse sur les prix et les taux d’intérêt, qui risque de perdurer.
Nous essayons de nous adapter à cette nouvelle réalité.
La présidente : Excellent. J’y reviendrai tout à l’heure. Nous allons maintenant donner la parole au vice-président du comité.
Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Dodge, de votre présence parmi nous.
L’abordabilité du logement est l’une des préoccupations importantes au sein de notre économie. Quelles seraient vos trois principales recommandations quant aux politiques que le gouvernement devrait adopter pour s’attaquer à la crise du logement?
Vous avez déjà vécu des crises du logement. Nous avons toujours dû composer au Canada avec un problème d’appariement de l’offre et de la demande, notamment dans les années 1980, mais à bien d’autres époques également. Dans son rapport, la Société canadienne d’hypothèques et de logement indique que l’on aurait besoin d’au moins un billion de dollars pour combler le manque actuel en matière de logement abordable. On parle de 3,5 millions de logements pour y parvenir d’ici 2030.
Ce sont là des quantités qui sont loin d’être négligeables. Comment pouvons-nous y arriver? Avez-vous des recommandations stratégiques qui pourraient nous guider?
M. Dodge : Les signaux en provenance du marché sont tout ce qu’il y a de plus clairs. Nous devons investir davantage. Les prix augmentent à cette fin. Parallèlement à cela, les taux d’intérêt grimpent, ce qui oblige à réaliser des économies additionnelles. Les marchés rendent nécessaire un tel ajustement, aussi pénible soit-il. Nous ne pouvons pas faire fi de la conjoncture qui prévaut.
La situation est toutefois vraiment problématique. En effet, si nous investissons davantage dans le capital physique afin d’accroître la production et si nous investissons plus dans la main-d’œuvre — tout cela en même temps —, nous devons aussi accroître nos investissements dans le logement. Ce sont des signaux de prix que nous envoie le marché. En fin de compte, il s’ensuivra que les ménages devront collectivement économiser davantage pour que les fonds nécessaires deviennent disponibles.
Il y a donc un choix difficile à faire entre la construction de logements et les investissements à consentir dans l’industrie en vue d’accroître la productivité pour les années à venir.
C’est le monde au sein duquel nous évoluons. Il n’existe pas de solution magique. Si les gouvernements devaient décider de détourner, si je puis m’exprimer ainsi, des sommes vers le logement, plutôt que de les consacrer à l’augmentation de la quantité de biens d’équipement à la disposition de chaque travailleur dans la mesure où cela est nécessaire, nous mettrions en péril la croissance future de notre productivité.
Il ne faut pas chercher une solution facile. Nous allons devoir composer avec la situation de telle sorte que la part du revenu des ménages consacrée au logement par le truchement des taux d’intérêt ou du paiement d’un loyer ne pourra pas faire autrement que d’augmenter. C’est le choix difficile qui nous attend.
Il n’y a pas de réponse facile.
Le sénateur Loffreda : J’ai une brève question supplémentaire.
D’un point de vue stratégique, je conviens avec vous qu’il n’y a pas de solution facile à la portée de la main, mais estimez-vous que le congé de TPS pour les nouvelles unités locatives est une politique judicieuse? C’est ce que prévoit le projet de loi C-56 que le gouvernement vient de déposer. Devrait-on offrir plus d’incitatifs à nos constructeurs pour augmenter l’offre? C’est un problème d’offre. Je me souviens qu’au cours des années 1980, de nombreux incitatifs étaient offerts aux constructeurs et aux acheteurs. Jugez-vous efficaces les politiques semblables? Est-ce que le gouvernement devrait miser davantage sur ces politiques?
M. Dodge : Nous devrions parler « des gouvernements ». Il faut faire bien attention, car trois ordres de gouvernement sont directement concernés par ce dossier.
Il faut toutefois qu’une chose soit bien claire. Si les recettes gouvernementales diminuent ou si des subventions doivent être versées pour essayer d’accroître les investissements dans le logement, le gouvernement se retrouve avec une marge financière moindre pour ses autres réalisations. Il faut donc très concrètement déterminer si l’on souhaite détourner — et j’utilise le terme dans son sens positif, et non négatif — les fonds disponibles pour offrir des incitatifs additionnels aux investissements en faveur du logement, plutôt que d’apporter une aide accrue à l’industrie pour ce qui est notamment des capitaux, des équipements, de la propriété intellectuelle et des efforts de recherche et développement, ce qui ferait augmenter la productivité à venir. C’est un véritable dilemme.
On voudrait vraiment accroître les investissements, aussi bien pour le logement que pour les biens d’équipement, ce qui nous obligerait, si on fait le calcul, à réduire nos déboursés du côté des biens de consommation courante.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Dodge. C’est toujours un plaisir de vous retrouver. Je voudrais profiter de votre présence ici pour parler d’un sujet plus d’actualité : l’inflation.
Le monde a changé. Cette fois-ci, contrairement au cycle précédent, une bonne partie des problèmes proviennent du côté de l’offre. La politique monétaire est moins efficace. Il y a de plus en plus de voix qui s’élèvent, y compris ici, au Sénat, avec celle de ma collègue, à savoir qu’il faudrait peut-être revoir la cible de 2 % d’inflation. Il pourrait être très difficile pour les banques centrales de maintenir la cible de 2 % d’inflation. Cela pourrait même créer une récession. Avez-vous une opinion sur la pertinence, pour les banques centrales, de maintenir absolument ce taux de 2 % d’inflation, dans ce contexte?
[Traduction]
M. Dodge : C’est une question vraiment intéressante, et je crois que tout le monde se la pose en ce moment.
Pour vous répondre, je vous dirais dans un premier temps qu’il faut faire un retour en arrière. Nous en sommes arrivés au niveau actuel de 2 % à l’issue d’une période où nous devions atteindre des cibles de désinflation. Nous avons fait le nécessaire au cours de cette période qui s’est terminée en 1990 avec un taux de 2 %, et nous nous sommes en quelque sorte arrêtés là. La volonté d’avoir un taux plus élevé se justifie du point de vue logique du fait que pendant une période où les prix relatifs fluctuent constamment — certains à la hausse et d’autres à la baisse —, il est beaucoup plus difficile de composer avec une diminution des prix et des salaires tendant vers le négatif, que de passer à zéro en partant d’une hausse de 1 %.
Étant donné qu’il y a asymétrie dans l’ajustement des marchés, on a vraiment besoin de fixer la cible à un taux un peu plus élevé pour faciliter cet ajustement lorsque les prix de certains secteurs ne baissent pas autant qu’ils le devraient pour compenser ceux que l’on doit augmenter par ailleurs.
C’est l’argument logique en faveur d’un taux plus élevé. Il n’y a pas de chiffre en particulier vous assurant d’y parvenir, mais c’est ce qui justifie une cible plus haute.
Je vous dirais que nous avons maintenant accumulé 20 années d’expérience nous permettant de savoir qu’un mouvement à la baisse des prix est tout à fait possible — davantage possible même que ce que nous aurions pu imaginer en 1990 lorsque ce processus s’est enclenché. La nécessité de s’adapter à la volatilité des prix ne m’apparaît pas être un argument aussi probant qu’il a pu l’être en 1990.
C’est donc le premier facteur.
Deuxièmement, je pense que nous avons vraiment bénéficié du degré de certitude que nous procurent des prix variables dans une fourchette de 1 % à 3 %, le tout grâce à cette cible de 2 % établie depuis maintenant 30 ans. Pour nos finances publiques, c’est un atout qui a énormément de valeur.
Si l’on perd cet atout, si les gens ne savent plus trop trop à quoi s’en tenir quant à la situation qui va prévaloir, que ce soit dans les négociations collectives ou dans les pourparlers entre fournisseurs et commerçants, alors on se retrouve avec une économie qui ne fonctionne tout simplement pas aussi bien. C’est également néfaste pour le bon fonctionnement de l’économie de marché.
En dernière analyse, j’en viens à affirmer assez catégoriquement que, considérant la situation actuelle de même que notre point de départ, il est vraiment important de maintenir une cible de 2 %, et que toutes les améliorations à court terme pouvant découler d’une modification de cette cible sont très loin de faire le poids devant les conséquences négatives à long terme.
Le sénateur Gignac : Dans un tel contexte, quel sera le rôle de notre politique financière publique? Êtes-vous favorable à l’établissement de cibles budgétaires? Il y a quelques années, le ratio dette-PIB était utilisé à cette fin, et il n’y a désormais plus de cible semblable. Pensez-vous que c’est une bonne chose? Est‑il bénéfique pour notre politique monétaire de pouvoir s’appuyer sur une politique financière assortie de cibles?
M. Dodge : C’est certainement une bonne chose. Quant à savoir quelles devraient être les cibles en question, on peut toujours en débattre.
La présidente : Que suggérez-vous?
M. Dodge : Dans un monde où le taux de croissance de l’économie, et, partant, le taux de croissance des recettes gouvernementales ne va pas être très élevé et risque de se situer seulement au même niveau que le taux d’intérêt payé par le gouvernement sur sa dette — ce qui signifie qu’il faut renoncer aux taux de croissance excédant les taux d’intérêt par deux ou trois points de pourcentage —, on n’a d’autre choix que de se fixer une cible qui permettra, tout au moins pour la durée du cycle économique, d’empêcher que le déficit augmente en dollars constants.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je vais poser ma question en français. Bienvenue et merci d’être parmi nous aujourd’hui. Vous pouvez me répondre en anglais pour plus de concision.
Je vais poursuivre avec la question que mon collègue vous a posée. N’y a-t-il pas une contradiction, actuellement, compte tenu des défis que vous avez mentionnés, et une contradiction dans les procès-verbaux de la banque elle-même, qui nous dit que sa politique réduit l’investissement? N’y a-t-il pas une contradiction entre la politique monétaire des taux d’intérêt élevés? Je ne parle pas de la cible; je parle de l’utilisation de l’outil, c’est-à-dire le taux directeur, pour lutter contre l’inflation quand nos besoins relèvent de l’investissement et qu’ils sont majeurs.
N’y aurait-il pas d’autres moyens beaucoup plus précis pour réduire la demande que celui d’utiliser le taux directeur?
[Traduction]
M. Dodge : La banque elle-même n’a pas d’autre mécanisme à sa disposition. Pour sa part, le gouvernement a d’autres outils pouvant lui permettre d’influer sur l’impact d’un changement pour l’ensemble des industries et des catégories de revenus. Comme ce n’est pas le cas pour la banque, elle utilise le seul outil à sa disposition, lequel consiste à resserrer les conditions de crédit en majorant le taux directeur. C’est exactement ce qu’elle fait.
C’est pour cette raison, madame la sénatrice, que notre Loi sur la Banque du Canada exige des consultations régulières entre le gouvernement et la banque — et la ministre des Finances et les dirigeants de la banque se parlent régulièrement — parce qu’il y a essentiellement deux outils qui permettent de gérer la demande.
Le gouvernement dispose d’un outil très flexible. En revanche, l’outil dont la banque peut se servir est beaucoup moins souple. Sans parler de « coordination absolue », j’estime qu’il est vraiment important que le gouvernement et la banque puissent tout au moins comprendre exactement le résultat recherché, parce que nous visons tous les mêmes objectifs. Nous voulons que l’économie soit stable, qu’il y ait de la croissance et que les revenus soient raisonnablement bien répartis. Peu importe ce que peuvent souhaiter de leur côté le gouvernement et la Banque du Canada, nous avons tous la même cible, mais le gouvernement dispose de beaucoup plus d’outils que la banque pour parvenir à ses fins.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Pensez-vous qu’on devrait avoir un mécanisme pour rendre cette coordination un peu plus régulière et acceptée?
[Traduction]
M. Dodge : Le cadre juridique est tout à fait adéquat. Il suffit que les deux parties s’assoient à la même table. Je peux vous dire d’expérience — d’après ce que j’ai pu constater lorsque j’étais là-bas, et je crois que c’est conforme à la réalité — qu’il y a effectivement dialogue entre les gens du ministère des Finances — ou le premier ministre à l’époque où j’y étais — et ceux de la banque. Tout le monde n’est pas nécessairement du même avis, mais il faut que cette discussion ait lieu. C’est ainsi que l’on peut optimiser…
[Français]
La sénatrice Bellemare : Permettez-moi simplement de terminer en disant que le cadre légal actuel n’est pas aussi rigoureux que ça.
[Traduction]
La sénatrice Galvez : Monsieur Dodge, je sais que vous êtes une véritable légende pour bien des membres du Comité des banques, et je suis bien au fait du travail que vous avez réalisé à l’Institut C.D. Howe.
Dans votre témoignage précédent concernant le 15e rapport, vous avez abordé la question du changement climatique, comme vous l’avez fait encore une fois tout à l’heure, en faisant valoir qu’il nous faudra dans ce contexte investir davantage pour nous adapter notamment aux températures plus élevées et aux tempêtes plus fréquentes.
Je veux faire appel à vos compétences pour traiter de deux domaines subissant des perturbations en raison du changement climatique. Il y a d’abord celui de l’assurance. À titre d’exemple, j’ai appris qu’une grande compagnie d’assurances s’est retrouvée dans une situation très précaire en 2020 en raison des phénomènes météorologiques extrêmes qui ont touché plusieurs provinces. Il en va de même du secteur des banques, et vous avez bien sûr mentionné la nécessité de planifier l’avenir, notamment pour ce qui est des travailleurs et des régimes de retraite.
Quelles sont selon vous les répercussions sur le secteur financier de ces changements climatiques et de ces phénomènes météorologiques extrêmes qui détruisent nos infrastructures essentielles?
M. Dodge : Il est bien certain que pour le secteur des assurances et celui des finances dans son ensemble, le changement climatique et ses répercussions sur l’agriculture mondiale et les risques de feux de forêt, d’inondations et tout le reste, ont essentiellement augmenté le degré d’incertitude, et il y a un coût associé à cette incertitude. C’est ainsi que l’on pourrait décrire le plus simplement du monde les conséquences pour le système financier. Celui-ci perd de la stabilité en raison du changement climatique, ce qui est à l’origine de cette incertitude.
La sénatrice Galvez : Merci. Nous savons que les États-Unis ont adopté une loi bipartisane sur l’investissement dans les infrastructures et les emplois ainsi qu’une loi sur la réduction de l’inflation, et que les économies de nos deux pays sont étroitement reliées. Quelle image allons-nous projeter si nous ne faisons pas ce qui convient relativement aux enjeux découlant du changement climatique?
M. Dodge : C’est précisément la question que je souhaitais aborder lorsque nous discutions de logement. Dans les deux cas, il s’ensuit que nous devons consacrer aux investissements une plus grande part des ressources à notre disposition, ce qui vaut aussi bien pour les gouvernements que pour les ménages et l’industrie. Il y a une concurrence qui s’exerce entre les investissements en faveur du logement, du développement industriel et de l’adaptation au changement climatique.
Il n’existe pas de réponse claire et facile à ce sujet, mais il y a une conclusion inattaquable : les ménages, les entreprises et les gouvernements doivent consacrer une plus large proportion de leurs ressources à l’investissement dans tous les secteurs dont nous venons de traiter. En toute honnêteté, il en ressort inévitablement que nous devrons renoncer en partie à notre consommation courante pour que des ressources deviennent bel et bien disponibles aux fins de ces investissements.
C’est simplement le monde dans lequel nous vivons. Il ne s’agit pas d’une réalité inatteignable, car si nous faisons le nécessaire et si nous consentons les investissements requis, les perspectives pour 2030 vont nettement s’améliorer. Dans le cas contraire, il est vraiment difficile d’envisager 2030 avec optimisme.
Il n’en demeure pas moins que c’est un message très dur à faire passer, et qu’il sera inévitablement difficile pour les gouvernements de déterminer comment répartir les restrictions requises, si je puis m’exprimer ainsi, quant à la consommation courante.
La présidente : Et quant à la façon d’imposer de telles mesures.
M. Dodge : Tout à fait.
Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur Dodge, d’être des nôtres ce matin. Nous vous en sommes vraiment reconnaissants. Votre compréhension de ces enjeux nous est toujours extrêmement précieuse.
Permettez-moi de synthétiser quelques-unes des hypothèses qui ont été formulées. Il ne fait aucun doute que nous devons consacrer davantage d’argent aux investissements, et moins à la consommation. Je crois que ce message est très clair. Voilà quelques années déjà que vous nous le servez.
Je pourrais cependant présumer, étant donné la nature humaine et les choix qui s’offrent à nous, que le gouvernement va sans doute décider de ne pas trop réagir et de laisser les choses suivre leur cours, sans actionner quelque manette que ce soit, et sans faire une annonce importante concernant d’éventuels investissements. Comment les choses pourraient-elles se passer selon vous si un tel scénario se concrétisait avec un gouvernement qui se contenterait de laisser aller les choses tout en blâmant quelqu’un d’autre, mais qui ne mettrait de l’avant aucune solution? Qu’en pensez-vous?
M. Dodge : J’ai toujours soutenu qu’il est nettement préférable pour un gouvernement de se montrer proactif, plutôt que de payer les pots cassés après les faits accomplis. Il ne fait aucun doute qu’il est plus facile de simplement payer les pots cassés. C’est du moins l’impression qu’on a, car l’expérience nous a appris qu’il s’agit au contraire de la solution la plus coûteuse.
Nous avons traversé les années 1970 en négligeant de procéder à certains des ajustements qui étaient nécessaires, ce qui nous a valu une période très difficile au début des années 1980. Tout le monde s’en souviendra. Nous avons permis aux marchés financiers de s’emballer quelque peu à la fin des années 1990, et nous avons eu droit à deux soubresauts d’importance, à savoir un écroulement du marché boursier en 1990 et la grave crise financière de 1997.
Alan Greenspan a alors énergiquement soutenu qu’il nous suffirait de payer les pots cassés après coup. C’est une stratégie qui a débouché en 2008 sur dix années de performance économique vraiment médiocre. Je vous dirais donc qu’il est nettement préférable de se lever pour faire à l’avance le constat honnête de tout ce que nous avons à faire, plutôt que déterminer que nous allons simplement payer les pots cassés par la suite.
C’est tout au moins de ce que devraient nous apprendre nos 50 dernières années d’expérience. Ce n’est pas chose facile, mais si nous exposons tous la situation avec honnêteté, les Canadiens sont des gens plutôt réalistes. Si nous comprenons tous la nature du défi qui nous attend, alors nous pourrons aller de l’avant pour relever ce défi.
Le sénateur Massicotte : Je ne suis pas certain que vous ayez vraiment répondu à ma question, mais je sais maintenant en tout cas quels sont vos souhaits.
Cela dit, passons à la situation aux États-Unis. L’économie américaine est différente de la nôtre. Les stimuli y sont nombreux. Comment entrevoyez-vous le scénario des cinq prochaines années pour l’économie des États-Unis?
M. Dodge : L’économie américaine éprouve des problèmes qui sont, d’une certaine manière, plus enracinés que les nôtres. Le gouvernement fédéral des États-Unis a contracté une dette additionnelle qui est énorme comparativement à celle du Canada, et les perspectives sont nettement moins encourageantes là-bas.
Une période difficile nous attend.
Je dirais — et cela répondra peut-être un peu mieux à votre première question — que la Réserve fédérale des États-Unis est loin d’avoir été aussi restrictive qu’elle le croit en misant sur la fluctuation des taux d’intérêt. Il y a un an, je croyais que l’on allait plafonner à près de 5 ou 6 % aux États-Unis, et que c’est probablement ce qu’il fallait pour créer un écart assez large entre la capacité de l’offre et la demande pour que l’activité économique en vienne à stagner.
Je crois que les marchés en arrivent maintenant à la conclusion très claire que le monde n’est plus ce qu’il était et que le taux d’intérêt neutre sous-jacent est supérieur à celui annoncé aussi bien par la Réserve fédérale que par la Banque du Canada. Nous ne savons pas exactement où il se situe; nous ne le saurons qu’après coup. Le taux réel s’inscrit probablement davantage dans la fourchette de 1 à 2 % que dans celle de 0 à 1 %.
Les politiques restrictives de la banque centrale américaine et de la Banque du Canada n’ont pas eu en pratique les répercussions importantes que ces banques attendaient en théorie. Il ne s’agit pas d’une critique, parce que l’on apprend au fur et à mesure, mais c’est tout de même le cas. Si vous obtenez un nouveau taux neutre de la Banque du Canada, plutôt que d’être de 2 ou de 3, il se situera probablement entre 3 et 4. L’ancien sous-gouverneur, M. Paul Beaudry, a récemment donné une excellente conférence à ce sujet. La lettre d’aujourd’hui de la Banque Toronto-Dominion contient une très bonne note à ce sujet. Je ne l’aurais pas exprimé exactement de cette façon, mais au moins cela donne une explication claire de la raison pour laquelle ces taux de marché seront, à mon avis, plus élevés.
La présidente : Je vous remercie. Nous allons suivre tout cela. J’ai vu que M. Beaudry avait fait le même genre de déclaration.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, monsieur Dodge, d’être venu.
Vous avez soulevé des questions importantes et mentionné que le temps nous avait rattrapés. Nous vieillissons tous. La démographie n’est plus la même, de fait, elle est fort différente. Les chiffres augmentent. Les changements climatiques sont à nos portes et le monde entier est d’accord pour dire qu’il faut faire certaines choses différemment. Il va donc falloir investir énormément. Des changements technologiques s’amorcent également.
Les défis de productivité auxquels le Canada est confronté constituent le deuxième membre de l’équation. Ce n’est rien de nouveau, tout cela n’est pas né d’hier, cela fait plusieurs décennies que c’est le cas. Mais ce n’est pas un défi universel pour tous les secteurs. Il faut souligner cette distinction.
La banque a énormément investi dans les nouvelles technologies, faisant constamment ce qu’on attendait d’elle. L’industrie automobile aussi se dote constamment de nouveaux outils pour s’assurer de moderniser son équipement. Beaucoup d’employeurs, malgré les généreux avantages fiscaux que leur donne la Loi sur les impôts pour le réaliser, ont traîné avant d’investir dans une machinerie et de l’équipement modernes.
C’est une chose de dire que le gouvernement doit résoudre le problème et une autre de voir le secteur ne pas prendre de responsabilités. Il nous faut trouver un moyen de faire avancer les choses, parce que nos amis américains se débrouillent bien mieux que nous, statistiquement parlant. Il faut trouver une solution à ce problème. Si nous n’augmentons pas la productivité, nous serons confrontés à un défi de taille pour créer de la richesse à long terme dans ce pays.
Je demande très honnêtement qu’on reconnaisse que cet état de fait n’est pas universel dans tous les secteurs. Les secteurs n’ont pas eu le rendement attendu et c’est un réel problème.
Je terminerai en disant qu’en ce qui concerne la formation, les travailleurs sont plus compétents et plus productifs parce que vous y avez investi. Si vous regardez les chiffres de l’OCDE, ils ont toujours été mauvais. Je ne sais pas quoi dire aux employeurs canadiens, surtout à ceux qui traînent les pieds, à part qu’il faut qu’ils s’y mettent.
M. Dodge : La question de la formation se pose à nous depuis toujours. Les employeurs canadiens ont toujours eu de piètres résultats et nous n’avons pas été en mesure d’améliorer la situation.
Selon moi, les sociétés par actions sont aux prises avec une difficulté, à savoir que les dirigeants sont fortement incités à reverser les bénéfices non répartis plutôt qu’à investir dans l’avenir. La doctrine, en quelque sorte, qui consiste à inciter les dirigeants à agir dans les intérêts des actionnaires en vue de faire monter le cours de leurs actions, et c’est pour cela que nous récompensons nos dirigeants, signifie que les dirigeants sont fortement incités à ne pas investir, mais plutôt à redistribuer les bénéfices non répartis.
Si nous remontons dans le temps, les sociétés n’avaient pas le droit de racheter leurs propres actions. Il y avait une raison historique à cela. Nous avons changé ces règles, et selon moi, les incitatifs que nous donnons aux dirigeants à l’heure actuelle ont plutôt tendance à les empêcher d’investir dans la recherche et la planification qui seraient nécessaires pour construire les capacités de l’avenir.
Il est difficile de structurer ce genre de régime fiscal, mais je dirais qu’à l’heure actuelle il n’est probablement pas bien structuré, à un moment où nous avons justement besoin que les dirigeants de société réalisent ces investissements. Ce sont en général les entreprises encore aux mains de leur fondateur ou les entreprises familiales qui font ce qu’il faut à cet égard. À mon sens, l’incitation pour les dirigeants des sociétés publiques n’est pas tout à fait adaptée à l’heure qu’il est.
Le sénateur Wells : Je vous remercie, monsieur Dodge, d’être parmi nous aujourd’hui.
Dans votre allocution, vous avez mentionné deux points qui ont retenu mon attention : l’ordre commercial mondial et l’augmentation des investissements dans les systèmes numériques. Je suppose que c’est pour augmenter la productivité. Pouvez-vous en dire plus à ce sujet, s’il vous plaît?
M. Dodge : Les changements de l’ordre commercial mondial sont très défavorables pour le Canada. Nous avons énormément profité à partir de 1947, de la Conférence de La Havane, d’un monde qui s’ouvrait de plus en plus et dont nous pouvions profiter de plus en plus, en tant que petit pays doté de quelques atouts précis et grevé de faiblesses générales. Ce monde a commencé à évoluer avant la COVID et il a changé abruptement depuis.
Cela rend la vie plus difficile au Canada. Je pense qu’il faut reconnaître qu’il ne s’agit pas d’une conjoncture mondiale favorable. Nous devons continuer d’ouvrir des marchés dans le monde, mais il nous faudra lutter. Cela veut dire qu’il nous faudra investir davantage dans la production nationale pour régler les questions de chaîne d’approvisionnement, mais malheureusement, souvent, cet investissement n’augmente pas du tout l’efficience, du moins au niveau mondial.
Il s’agit d’une véritable lutte, mais les Canadiens ou leurs gouvernements ne peuvent pas y faire grand-chose. Nous allons devoir lutter pour réaliser cela, mais nous sommes une petite économie qui bénéficie d’un ordre commercial ouvert. Quand cet ordre commercial se fracture, alors nous devons lutter. Et je crois que « lutter » est le terme qui convient.
Le sénateur Wells : Je crois que nous y sommes. Je sais que vous avez parlé d’augmenter les investissements dans les systèmes numériques et de l’augmentation de la productivité depuis quelques années.
M. Dodge : Je crois que c’est cela. Nous avons été lents à réaliser ces investissements au Canada. Nous avons été lents au Canada dans les années 1990 quand il s’est agi d’investir dans les technologies de l’information et les communications, les TIC. La grande différence entre les États-Unis et le Canada si l’on regarde par exemple la période entre 1995 et 2008, c’est que les Américains ont eu d’importants gains de productivité parce qu’ils ont réalisé d’importants investissements dans les TIC, ce que nous n’avions pas fait. Ce n’est pas tout à fait la même chose que les TIC dont nous parlions dans les années 1980 ou 1990, mais il reste que c’est le même problème.
Si nous ne réalisons pas ces investissements dans les biens d’équipement, mais surtout dans le bagage intellectuel et la propriété intellectuelle qui va avec, alors nous serons de nouveau à la traîne, en termes relatifs, des Américains qui consacrent simplement une part beaucoup plus importante des gains des sociétés à ces investissements, soit 4 % là-bas par rapport à 2 % ici. C’est cet investissement, à mon avis, qui produira les gains de productivité que nous espérons.
Le sénateur Wells : Merci beaucoup.
La présidente : Cela ne vous surprendra pas si je reviens à cette question du commerce, étant donné la région du monde que je représente. Les répercussions de notre crise diplomatique en cours avec l’Inde sont conséquentes dans ma région du monde et dans l’ensemble du pays. Pourriez-vous nous en parler et nous dire ce qu’on peut faire à ce sujet?
M. Dodge : Je ne suis pas sûr de pouvoir vous aider, sénatrice. Je dirais que la stratégie de base que je pensais être la nôtre, à savoir mettre davantage l’accent sur la région du monde qui va connaître une croissance rapide, et nous le savons, soit l’Asie-Pacifique, et mettre davantage l’accent sur ce que nous y faisons par rapport à ce que nous y avons fait jusqu’à présent, cette stratégie est à mon avis tout à fait raisonnable. De fait, aucune autre stratégie ne semble raisonnable. Mais il faut la mettre en œuvre.
Il y a de nombreux problèmes. Vous pouvez toujours vous embourber en cherchant à réaliser votre stratégie et il semble que ce soit ce que nous ayons fait. Ainsi, il nous faudra revenir en arrière et réparer cela d’une manière ou d’une. Parce qu’il n’y a pas d’autre solution que d’assurer à nos entreprises un accès aux marchés de la région la plus dynamique du monde en termes de croissance et, pour certains types d’équipement, un accès aux fournitures à moindre coût que nous pouvons obtenir de cette partie du monde.
Nous avions la bonne stratégie. Nous avons eu du mal à l’exécuter.
La présidente : Parlant d’un euphémisme.
Nous allons rapidement procéder à un second tour de questions, je vous demanderais donc de raccourcir vos préambules, s’il vous plaît.
Le sénateur Gignac : Comme vous l’avez dit, le Canada a beaucoup profité depuis la Seconde Guerre mondiale grâce à la mondialisation, mais le monde a changé. J’ai essayé de voir si nous disposions d’un outil dans notre boîte, que nous n’aurions pas encore utilisé, et qui pourrait servir à expliquer le rôle des caisses de retraite au Canada.
Le fonds de pension de la fonction publique s’ajoute aux huit principaux fonds de pension canadiens : il y a 20 ans, on parlait de 5 ou 6 % de l’épargne globale au Canada. On parle désormais de près de 20 % de l’épargne. Ces acteurs, à l’exception de la Caisse de dépôt et placement du Québec, ont un double mandat. Les autres investissent à l’étranger et beaucoup moins au Canada.
Nous faisons face au changement climatique et au défi numérique. Certains suggèrent que les caisses de retraite du Canada investissent très peu dans le capital de risque et dans ce genre de choses. Est-ce quelque chose à revoir et peut-être devrions-nous demander à l’Office d’investissement du régime de pensions du Canada, ou OIRPC, d’avoir un double mandat comme la caisse de dépôt?
M. Dodge : Le premier mandat d’une caisse de retraite est de verser les retraites. Après, il faut se demander si les gestionnaires de l’OIRPC ou d’autres grands fonds, le fonds de pension des enseignants par exemple, font les bons choix en détenant si peu d’actions de sociétés canadiennes? Il s’agit d’un pourcentage dérisoire.
Cela semble plutôt étrange que ces caisses qui, en fin de compte, doivent verser les retraites en dollars canadiens à des Canadiens, choisissent de faire pencher l’équilibre des risques dans le sens des actions étrangères.
Le sénateur Gignac : Certes.
M. Dodge : Je crois qu’on peut se demander, pour de simples raisons de gestion des risques, si les allocations choisies par les gestionnaires ont un sens sur le long terme. Il n’est pas du tout nécessaire de changer le mandat, mais il faut réfléchir sérieusement à leur profil de risques.
Je ne pense pas qu’il faille aller jusqu’à un mandat explicite pour investir au Canada, mais je pense que l’aspect risque vous dira, étant donné qui sont leurs bénéficiaires et ce qu’ils ont à faire, qu’ils devraient détenir une plus grande part d’investissements en actions canadiennes.
C’est presque délibérément que je ne réponds pas, parce que je ne connais pas la réponse à votre question.
Le sénateur Gignac : Nous pourrions les inviter à s’expliquer. Je vous remercie de votre réponse.
M. Dodge : Oui, tout à fait.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Monsieur Dodge, d’après votre expérience, avez-vous connaissance de la manière dont d’autres pays tiennent compte des répercussions négatives de la hausse des coûts hypothécaires sur les ménages? Y a-t-il des façons de protéger les ménages de la classe moyenne contre la hausse des taux? Certes il y a la fiscalité, mais quels seraient les autres moyens?
[Traduction]
M. Dodge : La structure du logement dans les différents pays est vraiment très différente, alors je crois qu’il est difficile de répondre à cela. Cette même question a été posée au gouverneur Andrew Bailey au Royaume-Uni et au président de la Réserve fédérale des États-Unis. Je ne crois pas qu’il y ait une réponse simple à cette question.
Au Canada, nous avons adopté — et je comprends tout à fait pourquoi — le point de vue que le logement est un produit de consommation et, pour cette raison, nous ne permettons pas la déduction des intérêts. De la même façon, nous n’imposons pas les gains en capital. C’est l’approche que nous avons choisie. Elle est tout à fait cohérente. Nous pouvons ne pas l’aimer, mais il s’agit d’un choix cohérent.
Permettre la déduction des intérêts, comme le font les Américains, et trouver en même temps toutes sortes de façons de ne jamais imposer les gains en capital ne semble pas être une proposition raisonnable. Elle créerait une énorme propension à placer son épargne dans l’immobilier plutôt que dans des investissements productifs.
Sénateur, je ne connais personne dans le monde qui aurait en quelque sorte la bonne réponse. Et dans beaucoup de pays européens, bien sûr, la plupart des logements appartiennent à des propriétaires et les gens louent au lieu d’acheter. Ici, nous avons un autre assemblage.
C’est difficile, je pense, de tirer des leçons, mais vous devriez demander à d’autres personnes qui en connaissent certainement beaucoup plus sur le sujet.
La présidente : Nous le ferons. Vous pouvez en être assuré.
Le sénateur Loffreda : Monsieur Dodge, vous avez dit que nous avions besoin d’investir davantage dans la production nationale. Quelles politiques ou recommandations proposez-vous pour inciter les entrepreneurs à investir au Canada?
Si nous examinons certains de ces chiffres, s’agit-il uniquement du taux d’imposition? Je regarde certains chiffres, et rapidement comme ça, pendant que vous réfléchissez à vos réponses, je vois que la population du Canada grisonne. Seuls 9 % des propriétaires d’entreprise ont rédigé un plan de succession. Et si nous regardons la proportion de jeunes Canadiens, âgés de 35 à 44 ans, qui cherchent à être leur propre patron, elle est passée de 3,3 % en 1998 à 2 % aujourd’hui. Tout particulièrement, dans le secteur de la technologie. Vous avez besoin de jeunes entrepreneurs. Vous avez besoin de démarrages d’entreprises. Nous devons investir dans la technologie.
Où nous sommes-nous trompés? Que pouvons-nous faire mieux? Quelles recommandations politiques proposeriez-vous?
M. Dodge : Le gouvernement ne peut pas guérir tous les maux et dans la mesure où nous ne réalisons pas certains de ces investissements dans la recherche et le développement — et notre industrie privée ne le fait pas —, c’est difficile.
Je siège au conseil d’administration d’une entreprise en démarrage, et tous les dollars que nous gagnons, nous les réinvestissons dans l’entreprise. Les incitatifs fiscaux du programme de la recherche scientifique et du développement expérimental sont incroyablement utiles à une petite entreprise technique en démarrage, alors ça, au moins, c’était la bonne chose à faire.
Nous ne pensons pas être en mesure de payer des impôts avant longtemps, puisque nous réinvestissons chaque dollar de revenu.
L’incitatif fiscal que nous offrons, et je peux en témoigner, est très utile.
Je crois que je ne suis pas si pessimiste en ce qui concerne les jeunes entrepreneurs. Ce que j’observe c’est que ceux qui ont obtenu un diplôme universitaire dans la dernière décennie sont plus enclins à travailler dans une petite entreprise et à prendre des risques, qu’ils ne l’étaient il y a 25 ans lors de mes dernières années d’enseignement. Je ne suis pas si pessimiste. J’observe ces jeunes créateurs d’entreprises et ils sont un groupe de gens très énergiques et intéressants.
La présidente : Nous avons entendu beaucoup de témoignages, monsieur Dodge, dans la préparation de notre dernier rapport, selon lesquels tous les programmes du gouvernement se concentrent essentiellement sur la phase initiale. Il existe des aides pour démarrer les entreprises, mais pas pour les phases suivantes. Les entreprises finissent donc par être vendues prématurément, plutôt que de se développer.
M. Dodge : Je pense que c’est vrai, mais pas seulement pour cette seule raison. L’autre raison — et cela est le cas depuis longtemps au Canada — est qu’il y a eu très peu d’entreprises qui voulaient être en tête du peloton. Il semble qu’il y ait une certaine différence culturelle à cet égard entre le Canada et les États-Unis, et cela ne date pas d’hier.
La présidente : Nous avons entendu des témoignages au sujet de cette différente mentalité.
Le sénateur Wells : Monsieur Dodge, à part le taux d’intérêt, qui, je le sais, est un outil de la Banque du Canada, de quels autres outils le gouvernement dispose-t-il pour ralentir l’inflation? Cela inclurait-il le ralentissement des dépenses qui ne contribuent pas à la productivité telle que représentée par le PIB ou d’autres indicateurs?
M. Dodge : Le solde budgétaire est l’outil classique qui aura une incidence sur la demande globale. Lorsque nous voulons des gains d’efficience, nous enregistrons des déficits. Lorsque nous commençons à subir des pressions inflationnistes, la solution classique consiste à accumuler des excédents. C’est ce que l’on appelle le solde budgétaire.
Le problème est qu’étant donné le montant de la dette existante, nous sommes moins en mesure de recourir à ce solde budgétaire à des fins de stabilisation si nous connaissons une période difficile — par exemple, en cas d’une nouvelle vague de COVID-19 — que par le passé. Lorsque les choses vont plutôt bien, nous devrions vraiment essayer de regarnir notre petit coussin afin de pouvoir affronter les mauvaises périodes lorsqu’elles surviennent.
Voilà à quoi sert le solde budgétaire.
Plutôt que de n’utiliser que le solde budgétaire, le gouvernement doit se prévaloir de tous les autres outils dont il dispose et qui ont une incidence sur la répartition entre les industries et la répartition des revenus à tous les échelons, pour véritablement changer la donne.
La distribution et la répartition des revenus ne font donc pas partie du travail de stabilisation accompli par le ministère des Finances ou la Banque du Canada, et ce sont ces outils qui sont si importants pour créer un climat qui encouragera les industries à investir.
Le sénateur Wells : Serait-il juste de dire que nous nous sommes surendettés, au Canada, lorsque les taux d’intérêt étaient bas, ce qui a mené au déséquilibre budgétaire?
M. Dodge : En réalité, lorsque les taux étaient bas, nous avons connu une période où la politique était assez restrictive. C’était tout juste après la grande crise financière. Avant la pandémie de COVID-19, nous avons connu une politique restrictive et une politique expansionniste.
L’année 2020 nous a secoués. Nous sommes intervenus. Nous ne savions pas ce qui allait se passer. Nous avons fait tout ce que nous pouvions pour surmonter la crise. Nous avons été tout simplement abasourdis par la rapidité de la relance au quatrième trimestre de l’année 2020. À l’été 2020, personne n’aurait pu imaginer que nous connaîtrions une relance d’une telle ampleur.
Je suis d’avis que les gouvernements et la Banque du Canada ont fait ce qu’ils ont fait, compte tenu de l’incertitude qui planait en mars 2020. Il fallait y remédier.
Nous pouvons nous demander si le budget de 2021 se défendait, mais je ne pense pas, en raison de l’incertitude qui prévalait à l’époque, que nous devrions critiquer les mesures qui ont été prises en 2020. Nous étions inquiets.
La présidente : Je vous remercie.
La sénatrice Galvez : Je suis tout à fait d’accord avec vous lorsque vous dites qu’il est beaucoup plus coûteux de réparer les pots cassés que d’adopter une approche de précaution face aux éléments perturbateurs. Mais nous pouvons aussi saisir beaucoup d’occasions dans ces circonstances. Comme vous l’avez dit, le monde change. L’Europe s’est dotée d’un nouveau pacte vert et les États-Unis étudient des projets de loi importants.
Nous avons accès à une économie à faibles émissions de carbone, à l’économie des soins, à l’économie numérique, le tout dans une économie circulaire qui peut nous apporter plus d’économies et de stabilité, ce que nous voulons tous.
Selon vous, quels changements le gouvernement peut-il apporter aux messages qu’il communique? Vous venez de dire que le gouvernement dispose de plus d’outils que la Banque du Canada pour envoyer des messages clairs qui disent que notre économie est stable, et qu’il est judicieux d’investir dans les régimes de retraite ou d’attirer des investissements internationaux pour différents projets de développement.
M. Dodge : Vous le savez mieux que moi parce que vous parlez aux représentants de l’industrie, mais j’ai l’impression qu’une partie de notre problème découle du fait que nos politiques créent un climat d’incertitude. Je ne dis pas qu’une politique stricte — une politique bien définie — va nécessairement nuire à l’investissement, mais lorsque l’orientation du gouvernement n’est pas claire, l’investissement en pâtit, c’est certain. Je pense que nous n’avons pas toujours su offrir une certaine certitude aux entreprises quant à l’environnement dans lequel elles vont mener leurs activités.
Nous devons reconnaître que cela est important. Cela signifie que dans bien des cas, nous ne devons pas nous attendre à ce que tout soit parfaitement structuré. Dans certaines circonstances, il est probablement préférable de faire les choses plus ou moins bien que de carrément faire fausse route.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Dodge, une question couve en ce moment au Canada, et elle me préoccupe, comme tout le monde. Le gouvernement de l’Alberta a annoncé qu’il envisageait — il n’a pas encore pris sa décision — de retirer ses actifs du Régime de pensions du Canada. Comme vous le savez, il s’agit probablement du régime de retraite le plus stable au monde. Il est indexé en fonction de l’inflation, ses cotisations sont exportables, et cetera. Il a servi les intérêts supérieurs du pays depuis que nous l’avons créé.
Vous aimeriez peut-être nous donner votre point de vue à ce sujet. Je reconnais la valeur de ce régime de pension pour les employeurs et les travailleurs au sens large. Ce régime est également important en raison de notre population de plus en plus vieillissante. Quel serait l’intérêt d’ébranler un régime qui semble fonctionner relativement bien pour les Canadiens, les employeurs et, plus important encore, pour le plus grand bien du pays? Les gens ne passent pas toujours toute leur vie au même endroit. Jetez un coup d’œil à l’évolution de la population de l’Alberta au cours des 50 dernières années. Elle a changé de façon spectaculaire parce que des Canadiens ont pu s’y installer et, dans le même ordre d’idée, des Albertains ont pu déménager dans d’autres régions.
M. Dodge : Les changements que nous avons apportés au Régime de pensions du Canada en 1997 ont fait de nous un chef de file, et ce régime est, sans doute, le plus efficace et constitue la meilleure approche qui existe dans le monde.
Il convient de commencer par un principe très simple : plus on répartira les risques sur un grand nombre de gens, mieux on s’en sortira. Cela veut dire que plus le régime est important, plus on a de chances d’obtenir les meilleurs rendements qui soient pour la population. Plus le régime est petit, moins on a de ressources pour le gérer, et plus le risque est élevé. Plus la population assurée est petite, plus le risque est grand. Je voulais vous présenter ce principe fondamental avant d’aller plus loin.
Cette décision n’a aucune logique, selon moi. Elle ne serait sensée, d’une certaine manière, qu’à très court terme, parce que nous pourrions imaginer une composition de la population à l’avenir qui nous donnerait l’impression que les travailleurs actuels bénéficieraient de ces changements. Cependant, nous savons très bien que ce que nous imaginons maintenant ne tiendra plus la route dans 30 ans. Nous en sommes absolument certains. Il est donc juste de dire que nous pourrions obtenir un petit gain maintenant, en matière d’économies de cotisations, mais que nous nous retrouverons avec un gros problème plus tard. Il s’agit du premier élément que je voulais avancer.
Ensuite, pour justifier cette décision, il faut imaginer une règle farfelue pour répartir les actifs existants, et l’idée que le gouvernement de l’Alberta a proposée à cet égard, s’il se retirait du régime... N’oubliez pas que lorsque nous avons apporté des modifications au régime en 1997, nous avons dit que les provinces pourraient se retirer — ce n’est pas contraire aux règles que nous avons établies en 1997 —, mais cette décision n’aurait tout simplement aucune logique. Ce que l’Alberta propose en matière de retrait d’actifs est complètement insensé. Ce n’est qu’avec une perception déformée de retrait des actifs que cette proposition peut sembler logique. En effet, si nous appliquons la règle proposée par le gouvernement de l’Alberta, c’est-à-dire que tout le monde peut retirer ses actifs, environ 170 % des actifs seraient retirés du régime de pension. Cela dépasse l’entendement.
La sénatrice Ringuette : J’essaie de concilier vos deux déclarations. Je conviens que les sociétés publiques canadiennes ont plus tendance à s’occuper de leurs actionnaires qu’à investir dans l’avenir de l’entreprise. Nous voulons les encourager à conserver plus d’actifs et à effectuer ce genre d’investissement. Nous voulons aussi encourager les régimes de pension publics du Canada à investir davantage au Canada. Comment pouvons-nous concilier ces différentes idées?
M. Dodge : C’est une excellente question. Tout d’abord, j’espère avoir été clair. On encourage la direction des entreprises publiques à sous-investir. Les marchés financiers évoluent de cette manière. Il est ensuite possible d’évaluer la situation et les dirigeants de sociétés réagissent à cette évaluation. Leurs salaires augmentent en fonction du cours actuel des actions. Je dis bien qu’ils augmentent en fonction du cours actuel des actions, et non du cours futur. Voilà pour cette question. Les gestionnaires du RPC, de l’OIRPC ou de tout autre régime doivent examiner dans quelle mesure la gestion des entreprises dans lesquelles ils investissent est efficace. Les gestionnaires se demandent si la direction de l’entreprise adopte une vision à long terme, car pour l’OIRPC, c’est cette vision à long terme qui compte, puisqu’il faut protéger les pensions des gens qui prendront leur retraite dans plusieurs années.
Je ne pense pas qu’il y ait une incompatibilité. Lorsque les gestionnaires de fonds doivent choisir dans quelles entreprises ils vont investir, ils n’évalueront pas le risque de la même manière s’ils gèrent un régime de pension ou un fonds d’investissement privé ordinaire qui vend ses services à vous et moi. Le type de rendement que les gestionnaires de fonds veulent obtenir avec un fonds de pension sera différent de ce que vous et moi recherchons. Nous aimerions obtenir des résultats demain matin, n’ai-je pas raison?
La sénatrice Ringuette : C’est ce que j’essaie de comprendre...
M. Dodge : Très bien. Tout revient donc à choisir les entreprises ou les actions dans lesquelles vous allez investir, ou les fonds de capital-investissement dans lesquels vous allez investir. Ces fonds ne sont souvent pas attrayants pour les gestionnaires de régimes de pensions, car l’objectif des fonds de capital-investissement est de vendre et d’obtenir un rendement.
C’est la raison pour laquelle j’ai donné cette réponse au sénateur Gignac. Pour ce qui est de l’évaluation des risques, nous pouvons dire qu’il existe effectivement de bonnes raisons d’investir davantage dans les actions canadiennes et, plus précisément, dans les entreprises qui ont démontré leur capacité à réinvestir et à générer des gains durables. Voilà ce que je pense de la question.
Le système de pension du Canada, bien qu’il ne soit pas parfait, n’est, selon moi, pas loin d’être l’un des meilleurs au monde.
La présidente : J’aimerais revenir à la question du logement, car c’est ce sur quoi notre comité se concentrera ces prochaines semaines. Vous avez parlé du vieillissement de la population. Pour y faire face, le gouvernement a haussé le niveau d’immigration prévu et a accueilli plus de réfugiés. Cependant, nous avons également constaté une énorme augmentation de l’immigration clandestine et illégale. Compte tenu de la crise qui sévit, est-il nécessaire d’intervenir?
M. Dodge : Je crois que oui. Cela nous renvoie à la question de la productivité dont nous parlions tout à l’heure.
La seule façon d’augmenter le revenu de la population est d’accroître la productivité, en moyenne, des travailleurs. Cela signifie que nous devons nous concentrer sur les secteurs de l’économie où la productivité est élevée et que nous devons nous efforcer d’augmenter la productivité moyenne des travailleurs que nous employons.
Si nous accueillons des immigrants spécialisés qui peuvent contribuer à notre productivité de façon à surpasser celle de notre main-d’œuvre existante, nous augmenterons la productivité moyenne de l’économie. Mais si nous nous contentons d’accueillir des gens, de manière temporaire ou permanente, que nous redéployons dans des industries ou des professions qui génèrent une productivité moyenne nettement inférieure à celle de la population existante, nous réduirons la productivité, en moyenne.
La présidente : Il y a aussi une incidence sur la pénurie de logements.
M. Dodge : Oui, vous avez tout à fait raison. Cela témoigne de la vitesse à laquelle nous pouvons apporter des changements. Changer les chiffres trop rapidement entraîne des problèmes.
Nous devons réfléchir à ce que nous essayons de faire. Je crois que nous voulons augmenter la productivité moyenne et attirer des talents à l’aide de l’immigration. C’est le système que M. Marchand a mis en place en 1966 et auquel nous avons adhéré pendant de nombreuses années. J’ai l’impression que nous nous sommes éloignés de ce système et que nous ne faisons qu’essayer de pourvoir les postes vacants, même lorsqu’il s’agit d’emplois à très faible productivité.
Il existe deux problèmes. Le premier est la vitesse à laquelle nous opérons les changements. Le deuxième a trait aux gens que nous essayons d’attirer, et aux raisons pour lesquelles nous essayons de les attirer. C’est l’élément clé, ne l’oubliez pas.
Sénatrice, je voudrais formuler un dernier commentaire, assez étonnant, à propos des données. Je vais toutefois faire preuve de prudence parce que je n’ai peut-être pas bien interprété ces données. D’après ce que je comprends, la productivité moyenne des immigrants qui obtiennent un visa H-1B aux États-Unis est considérablement supérieure à celle de la main-d’œuvre nationale. Cependant, la productivité des résidents permanents au Canada est inférieure. C’est là où le bât blesse.
La présidente : Vous soulevez un élément très intéressant. Nous allons nous pencher sur la question.
Le sénateur Loffreda : L’endettement des ménages est élevé et le secteur financier est stable. Notre secteur financier est toujours vigoureux. Est-ce que cela vous inquiète? Que pouvons-nous faire pour pallier la croissance de l’endettement des ménages? Que pensez-vous des possibles augmentations des taux d’intérêt, compte tenu de l’endettement des ménages?
M. Dodge : Oui, bien sûr. En quelques mots, je vous dirais que l’incidence d’une augmentation des taux d’intérêt au Canada, surtout en ce qui concerne les taux hypothécaires, sera tout simplement plus grande qu’aux États-Unis. Nous devons le reconnaître. Le pic de ce cycle au Canada sera probablement inférieur et devrait être inférieur à celui des États-Unis. Malheureusement, cela signifie que le dollar canadien est plus faible, ce qui ne nous aide pas sur le front de l’inflation, mais c’est ainsi.
Pour la suite des choses, cela signifie probablement que, même si la tendance aux États-Unis tend vers la neutralité, le pic de ce cycle sera sans doute un peu plus bas au Canada en raison du très fort endettement des ménages.
La présidente : Je vous remercie, monsieur Dodge. Notre réunion a été longue, et vous nous avez donné d’excellentes réponses bien étoffées. Je vous en suis reconnaissante.
Nous allons suspendre la séance pendant quelques instants. Nous allons nous réunir deux minutes à huis clos pour discuter de nos travaux futurs. Nous allons clore cette partie de la réunion avant de passer à huis clos.
(La séance se poursuit à huis clos.)