LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le mercredi 30 octobre 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général, de même qu’afin d’examiner, pour en faire rapport, le cadre de la politique monétaire du Canada.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à tous et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente de ce comité.
J’aimerais vous présenter les membres du comité : notre vice-président, le sénateur Loffreda; le sénateur Fridhandler; le sénateur Gignac; la sénatrice Martin; le sénateur Massicotte; le sénateur McNair; la sénatrice Ringuette et le sénateur Varone. De plus, le sénateur Deacon nous rend visite aujourd’hui. La sénatrice Marshall ne figurait pas sur notre liste, mais elle est ici et nous en sommes heureux.
Le comité a un vaste mandat en vue d’étudier les questions relatives aux banques et au commerce en général.
Nous avons beaucoup de pain sur la planche, et nous devons notamment examiner le mandat de la Banque du Canada, qui est à l’étude.
Aujourd’hui, nous voulons entreprendre notre conversation sur le plus récent Rapport sur la politique monétaire et, bien sûr, sur la réduction du taux décrite par le gouverneur comme étant une bonne nouvelle, puisque le pays commence à se sortir de l’inflation.
Nous avons le plaisir d’accueillir en personne Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, et Carolyn Rogers, première sous-gouverneure de la Banque du Canada.
Monsieur Macklem, je suis certaine que vous avez préparé une déclaration préliminaire, et nous aimerions l’entendre.
Tiff Macklem, gouverneur, Banque du Canada : Oui; je ne vais pas vous décevoir.
Bonjour. Je suis ravi d’être ici pour parler du Rapport sur la politique monétaire, de nos nouvelles perspectives économiques et, bien sûr, de la décision que nous avons prise la semaine dernière. En effet, nous avons abaissé nos taux d’intérêt de 50 points de base. Cette quatrième baisse consécutive a fait passer le taux directeur à 3,75 %.
Nous avons procédé à une plus grosse réduction parce que l’inflation est maintenant de retour à la cible de 2 % et que nous voulons qu’elle reste près de la cible.
Ces derniers mois, l’inflation a beaucoup ralenti.
L’inflation globale s’est établie à 1,6 % en septembre et nos deux mesures de l’inflation fondamentale étaient sous la barre des 2,5 %. Les pressions sur les prix ne sont plus généralisées. De plus, nos enquêtes montrent que les attentes des entreprises et des consommateurs ont diminué et se rapprochent de la normale.
Tout cela indique que nous sommes revenus à un climat de basse inflation.
Comme vous l’avez dit, madame la présidente, c’est une bonne nouvelle pour les Canadiens.
Notre objectif est maintenant de maintenir l’inflation à un faible niveau, et de la stabiliser. Cela signifie que les forces à la hausse et à la baisse sur l’inflation doivent s’équilibrer.
L’activité économique s’est redressée cette année, mais est encore faible. Cette faiblesse a contribué à freiner davantage l’inflation. Maintenant que celle-ci est revenue à 2 %, nous voulons voir la croissance se raffermir. La réduction de taux annoncée la semaine dernière devrait aider à stimuler la demande.
[Français]
Soutenue par les taux plus bas, l’économie devrait se renforcer graduellement en 2025 et 2026. La croissance démographique sera plus lente, mais les dépenses de consommation par habitant devraient remonter. La progression des investissements résidentiels devrait s’accélérer, parce que la forte demande de logements stimulera les ventes et les dépenses de rénovation.
La Banque du Canada s’attend à ce que les investissements des entreprises se raffermissent en raison du redressement de la demande. Les exportations devraient rester fortes, appuyées par la robuste demande américaine. Selon notre prévision, l’inflation devrait rester autour de la cible sur l’horizon de projection. Les pressions à la hausse attribuables aux frais de logement et aux prix d’autres services devraient diminuer progressivement. La demande accrue devrait aussi dissiper les pressions à la baisse sur l’inflation.
De plus, les forces à la hausse et à la baisse devraient rester plus ou moins équilibrées. Des risques pèsent sur nos prévisions d’inflation. Le plus grand risque à la baisse est que le redressement attendu des dépenses des ménages et des investissements des entreprises prenne plus de temps que prévu.
Pour ce qui est des risques à la hausse, les taux d’intérêt plus bas pourraient entraîner un rebond plus fort de l’activité sur le marché du logement, ou encore, la croissance des salaires pourrait rester forte par rapport à la productivité.
De plus, l’incertitude géopolitique est élevée et de nouveaux chocs pourraient survenir. Dans l’ensemble, on considère les risques entourant notre prévision d’inflation comme étant plutôt équilibrés.
[Traduction]
Si l’économie évolue de manière généralement conforme à notre prévision, nous nous attendons à réduire encore le taux directeur pour soutenir la demande et garder l’inflation à la cible. Le moment et le rythme de toute autre réduction du taux directeur seront guidés par les nouvelles informations que nous recevrons et notre évaluation de leurs implications pour les perspectives d’inflation. Nous prendrons nos décisions de politique monétaire une à la fois.
Je vais maintenant conclure.
L’inflation et les taux d’intérêt élevés ont fait peser un lourd fardeau sur les Canadiennes et les Canadiens. Nous avons maintenant franchi un cap. La politique monétaire a réussi à faire baisser l’inflation. Le retour de l’inflation à la cible et la diminution continue des taux d’intérêt devraient permettre aux familles, aux entreprises et aux collectivités de respirer un peu mieux.
La banque s’engage à maintenir la stabilité des prix pour la population canadienne en gardant l’inflation près de la cible de 2 %. Sur ce, la première sous-gouverneure et moi répondrons avec plaisir à vos questions.
Merci.
La présidente : Je vous remercie. Vous n’allez pas nous dire ce que vous ferez en décembre?
M. Macklem : J’ai essayé d’être clair sur l’orientation à prendre, mais en décembre, nous déciderons exactement ce que nous ferons.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie d’être ici avec nous. Je vous remercie de vos remarques liminaires; elles sont toujours pertinentes. Vous avez dit que vous prévoyez d’autres réductions. La faiblesse du dollar canadien vous préoccupe-t-elle? Nous sommes un pays commerçant. L’économie américaine est vigoureuse. Nous ne nous attendons pas à des réductions immédiates des taux d’intérêt dans l’économie américaine. Ne craignez-vous pas que la faiblesse du dollar canadien entraîne de l’inflation? Les trois quarts de nos exportations sont destinées aux États-Unis. Nous avons des importations importantes en provenance des États-Unis. Cela ne vous préoccupe-t-il pas?
M. Macklem : Sénateur, nous avons un taux de change flexible. Cela nous permet d’avoir une politique monétaire adaptée aux Canadiens. Si nous avions un taux de change fixe, nous ferions exactement ce que les États-Unis font. Notre économie n’est pas aussi vigoureuse que celle des États-Unis. Nous avons besoin de taux d’intérêt plus bas au Canada qu’aux États-Unis. Ils sont plus bas à court terme. En fait, la courbe de rendement au Canada est inférieure d’un point de pourcentage à celle des États-Unis. Compte tenu de la faiblesse de notre économie, c’est nécessaire. Nous avons une offre excédentaire dans l’économie. Le marché du travail est plus faible au Canada qu’aux États-Unis. Nous voulons que la croissance reprenne, et c’est pourquoi nous avons abaissé les taux d’intérêt.
La politique monétaire fonctionne en partie par l’entremise du taux de change. Lorsque nous abaissons les taux d’intérêt à des niveaux plus bas que les États-Unis, le dollar canadien s’affaiblit, ce qui stimule l’économie et rend nos exportations plus concurrentielles. C’est en partie ainsi que la politique monétaire fonctionne.
Il y a des limites à l’écart que nous pouvons avoir par rapport aux États-Unis dans la trajectoire des taux d’intérêt sans commencer à créer des difficultés dans le marché des changes. Toutefois, nous ne sommes pas près d’atteindre ces limites. Nous avons connu des écarts plus grands dans le passé qu’à l’heure actuelle, et ils ne sont pas pris en compte dans nos décisions relatives à la politique monétaire.
Le sénateur Loffreda : L’appréciation importante du dollar américain par rapport au dollar canadien au cours de la dernière décennie s’est accompagnée d’un changement du produit intérieur brut, ou PIB, par habitant. Au début des années 2000, nous étions très près d’avoir un PIB par habitant de 9 % plus élevé que la moyenne de l’Organisation de coopération et de développement économiques, ou OCDE. Nous sommes en deçà de la moyenne de l’OCDE. Quels facteurs contribuent à ce déclin? Pensez-vous qu’une politique monétaire puisse renverser cette tendance, ou est-ce uniquement l’appréciation significative du dollar américain au cours de la dernière décennie qui a contribué à ce changement?
M. Macklem : Selon moi, le taux de change réagit davantage aux différents rendements économiques que l’inverse. L’économie américaine a connu une croissance plus forte et, surtout, une croissance de la productivité plus importante que celle du Canada. Les États-Unis ont beaucoup plus investi que le Canada. Leur production par travailleur est en hausse. Après la pandémie de COVID-19, elle a augmenté au Canada. En fait, elle a diminué à la plupart des trimestres. Cela a creusé l’écart de productivité entre nos deux pays. Cela a eu une incidence sur le taux de change.
L’économie américaine se démarque vraiment des économies avancées puisque la plupart d’entre elles nous ont déçus depuis la pandémie de COVID-19. À mesure que les choses revenaient à la normale, les chaînes d’approvisionnement se sont normalisées et les entreprises n’avaient plus de stocks supplémentaires, si bien qu’elles pouvaient savoir quand les marchandises arriveraient. Elles ont embauché de nombreux travailleurs après la COVID. Ces travailleurs sont désormais pleinement formés. Nous pensions que cela donnerait lieu à une croissance de la productivité. Au Canada et dans la plupart des pays européens, cela ne s’est pas produit. Aux États-Unis, on constate beaucoup plus de vigueur, d’investissements et de création d’entreprises. C’est en partie structurel. Leur secteur technologique est beaucoup plus important. C’est en partie parce que leurs entreprises investissent beaucoup plus dans les nouvelles technologies.
La valeur du dollar américain reflète la force et la productivité des États-Unis, et non l’inverse.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie, gouverneur et première sous-gouverneure, de votre présence ici. Pouvez-vous parler un peu de votre enquête sur les perspectives des entreprises? J’y ai jeté un coup d’œil, et il semble y avoir quelques signes d’optimisme, mais pas beaucoup. Pouvez-vous nous dire ce que vous entendez de la part des entreprises? Vous avez mentionné à deux reprises dans votre déclaration liminaire qu’il faut renforcer l’investissement des entreprises. De nombreux facteurs influencent l’investissement des entreprises. Le taux d’intérêt en est un, mais il y en a de nombreux autres tels que l’imposition.
Pouvez-vous nous parler de ce que les entreprises vous disent? De plus, j’aimerais revenir sur la question du sénateur Loffreda à propos du taux de change. Lorsque je vous ai posé cette question à votre dernière comparution ici, j’avais vu un article sur la dépréciation du dollar. Je vois maintenant plus d’articles. À quel moment devez-vous vous pencher sur la question et dire que c’est une préoccupation pour la banque, ou bien vous ne faites rien? S’il passe de 68 à 66 cents, la Banque du Canada ne réagit pas.
M. Macklem : Je vais laisser la première sous-gouverneure commencer sur la question de l’enquête. J’ai trouvé que votre résumé était bon, en fait.
Carolyn Rogers, première sous-gouverneure, Banque du Canada : L’optimisme des entreprises avec lesquelles nous discutons a atteint son point le plus bas. Il commence à augmenter à nouveau. Nous aimerions que cette tendance se poursuive. Pour ce qui est de la contribution, il y a un an et demi ou au plus fort de l’inflation lorsque l’économie était enflammée, l’une des choses dont les entreprises s’inquiétaient était le coût de leurs intrants, mais elles s’inquiétaient aussi de la main-d’œuvre. Elles n’arrivaient pas à trouver les travailleurs dont elles avaient besoin. Elles se livraient concurrence pour la main-d’œuvre, si bien que les coûts de la main-d’œuvre augmentaient. Même les entreprises qui enregistraient une forte demande ne pouvaient pas forcément y répondre.
La sénatrice Marshall : Les coûts sont élevés. Nous avons traversé la période d’inflation. Il y a d’autres facteurs comme la productivité, qui est la question que vous avez soulevée. Il y a toujours un problème, et il ne sera pas réglé. Quand j’ai lu ce que vous avez dit à propos des perspectives des entreprises, j’ai pensé que c’était un peu trop optimiste.
Mme Rogers : Je ne dirais pas que l’optimisme des entreprises est élevé, mais nous avons remarqué qu’il remonte d’un point bas. Il faudra un certain temps pour que l’inflation revienne à son niveau cible et que les taux baissent pour que l’optimisme revienne, tout comme l’inverse s’est produit lors de la hausse.
La sénatrice Marshall : Pensez-vous que ce sera dans quelques années? Faudra-t-il 5 ou 10 ans?
Mme Rogers : Cela dépend beaucoup d’autres facteurs qui contribuent à la confiance des entreprises. L’un des facteurs dont nous entendons parler est la certitude politique. Il y a les risques géopolitiques. Les entreprises sont confrontées à beaucoup de choses. Combien de temps faudra-t-il attendre avant d’avoir le sentiment que l’inflation est revenue à son niveau cible et que les taux d’intérêt baissent? Il faut généralement une année ou plus et cela dépend de ce qui se passe.
M. Macklem : Vous le constaterez probablement plus rapidement dans les dépenses des ménages. La baisse du coût du crédit se fera sentir plus rapidement sur le marché de l’immobilier. On commencera à le voir plus rapidement dans la demande des ménages.
Oui, les entreprises sont touchées par les taux d’intérêt. Ils ont une incidence sur leurs coûts de capital et leurs coûts d’emprunt. Elles n’investissent pas à moins d’avoir la certitude de pouvoir vendre leur produit. Si les taux d’intérêt diminuent et qu’elles constatent une reprise de la demande, elles commenceront à investir davantage.
En général, c’est plus rapide chez les ménages et il faut un peu plus de temps avec les entreprises. Mais je pense que le délai d’un an est raisonnable.
La présidente : Pour revenir au point soulevé par la sénatrice Marshall, y a-t-il une valeur du dollar qui vous dérange?
M. Macklem : Nous avons une cible d’inflation. Nous n’avons pas de cible pour le taux de change. Nous croyons aux taux de change flexibles dans ce pays. Nous avons un marché des changes très actif. Je pense que les gens doivent se rappeler que nous avons traversé une période où, plus particulièrement si nous comparons le Canada et les États-Unis, nous avons été confrontés à des perturbations similaires. Nous avons tous été confrontés à la COVID et à une forte augmentation à la suite de la COVID. Nous avons tous baissé radicalement les taux d’intérêt au début, les avons maintenus à des niveaux extrêmement bas et les avons augmentés rapidement. Si nous avions pris ces mesures par nous-mêmes, nous aurions normalement constaté des changements importants dans notre taux de change. Mais parce que les États-Unis et le Canada étaient sur la même voie, la différence entre les taux d’intérêt était faible et n’a donc pas eu beaucoup d’incidence sur le taux de change. On commence maintenant à voir un plus grand écart entre les rendements économiques des deux pays. Nous adaptons la politique monétaire aux besoins du Canada. On a observé une certaine différence entre les taux. Le dollar canadien est un peu plus faible.
Pour être honnête, il n’a pas beaucoup bougé. Il était à 74 cents. Il est maintenant à 72 cents et quelques. Nous ne parlons pas de grands changements dans le taux de change.
Ce qui fait fluctuer le taux de change bien plus que les différences entre les taux d’intérêt, c’est le sentiment de risque. Si le sentiment de risque se retournait contre le Canada ou s’il y avait une importante fuite de capitaux dans le monde qui entraînait une grande fuite de capitaux aux États-Unis, cela aurait des répercussions plus importantes sur les taux de change.
La présidente : Je vous remercie.
[Français]
Le sénateur Gignac : Ma première question a trait à la politique monétaire. Les économistes ont accéléré la cadence des baisses de taux et on vous salue pour votre pragmatisme. Puis, vous avez baissé les taux de 125 points de base, mais j’aimerais savoir si vous jugez que votre politique monétaire est encore en zone restrictive, attendu que l’inflation a baissé également de 125 à 150 points de base par rapport à décembre dernier et que vous preniez l’inflation totale ou l’inflation sous-jacente. Sommes-nous donc encore en territoire restrictif par rapport à votre politique monétaire, alors que le taux de chômage augmente et que nous sommes en production excédentaire?
M. Macklem : Oui, nous sommes encore en territoire de politique monétaire restrictive; c’est moins le cas maintenant que ça l’était, mais le fait que l’inflation a baissé fait que l’on reste en territoire restrictif. Le fait que nous avons fait un pas plus important montre que nous souhaitons voir la croissance commencer à augmenter. On veut voir moins de marasme dans l’économie.
Le sénateur Gignac : Si vos réponses sont aussi succinctes qu’elles le sont, j’aurai donc une troisième question sur ce que vous venez de dire. Quand on est en territoire neutre, est-ce par rapport au taux neutre — et on ne sait jamais ce qu’il est exactement — ou par rapport au taux réel? Actuellement, si l’on prend votre inflation sous-jacente de l’ordre de 2,3 % et votre taux directeur à 3,75 %, cela donne 150 points de base à taux réel. Quand serons-nous en territoire de politique monétaire neutre en utilisant l’approche du taux réel, et non pas celle du taux neutre?
M. Macklem : Comme vous l’avez souligné, on ne sait pas exactement ce qu’est le taux neutre. C’est un concept important, mais ce n’est pas quelque chose que l’on peut observer directement. Nous avons une estimation du taux neutre, car nous devons mettre quelque chose dans notre modèle dans un esprit de transparence, puis nous publions notre estimation de taux neutre.
En pratique, cependant, on va finir par découvrir où est le taux neutre, et c’est l’une des raisons pour lesquelles nous avons précisé que des réactions seraient assez claires si l’économie avait évolué comme prévu; nous aurions alors anticipé une plus grande réduction de nos taux directeurs. Cependant, chaque réunion apporte son lot de mouvement et cela dépendra des données. En outre, quel est le taux terminal, comme tout le monde l’appelle? On va le découvrir, on verra, cela dépendra des pressions inflationnistes. Oui, il y a encore un écart de production, il y a encore une offre excédentaire et cela met une pression à la baisse sur l’inflation, mais il y a encore des pressions à la hausse. On essaie d’équilibrer le tout avec moins de pressions à la hausse. On a décidé de réduire le taux d’intérêt encore une fois, mais on suivra ces pressions de près.
Le sénateur Gignac : Au cours des deux ou trois dernières années, la croissance démographique expliquait essentiellement la croissance économique, puisque le PIB semble reculer. Vous avez parlé de chocs un peu plus tôt. Il me semble que, deux jours après le dépôt de votre rapport, il y a eu un choc à Ottawa au sujet de la nouvelle politique en matière d’immigration. Selon le Conference Board et la majorité des économistes qui ont publié leurs prévisions démographiques, au lieu d’augmenter de 1,3 à 1,5 % l’an prochain, la démographie sera stable ou reculera de 0,5 %. Quelle est l’incidence de cette décision du gouvernement fédéral? C’est bien connu : la politique en matière d’immigration a une incidence sur la croissance économique et sur la conduite de la politique monétaire, qu’on appelle cela le taux neutre ou quoi que ce soit d’autre, mais vos prévisions n’auraient pas été les mêmes si vous aviez publié votre rapport une semaine plus tard.
M. Macklem : Comme vous l’avez mentionné, quand nous avons publié nos prévisions, le gouvernement a annoncé un nouveau plan d’immigration. Nous avons dans nos prévisions une baisse assez marquée du taux de croissance de la population, mais le nouveau plan suggère que ce taux est encore à la baisse. Je n’ai pas de nouvelles prévisions pour vous aujourd’hui, mais il est clair que si c’est la seule chose qui change, cela fera baisser le taux de croissance. Notre prochaine prévision sera une croissance moindre du PIB en 2025 et 2026.
En ce qui concerne les conséquences sur la politique monétaire, c’est un peu moins évident, en raison du fait que lorsque le taux de croissance de la population est à la baisse, il y a moins de consommateurs qui entrent dans l’économie; cela occasionne donc une croissance moindre de la demande, mais il y a aussi moins de nouveaux travailleurs qui entrent dans l’économie, ce qui occasionne une croissance moindre de potentiel.
Par conséquent, l’impact sur l’écart de production — il est possible que le rythme soit différent entre l’offre et la demande. Il est possible que le PIB et la demande soient aux prises avec une population moindre, et les deux seraient donc plus bas. L’écart ne change pas beaucoup. Il y aura donc probablement une incidence sur l’inflation, mais l’incidence principale aura trait aux prévisions de croissance. Les conséquences seront moins grandes sur les prévisions relatives à l’inflation.
[Traduction]
Le sénateur C. Deacon : Monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure, nous sommes ravis de vous voir tous les deux ici, alors merci. Il y a environ 18 mois, nous avons publié un rapport au Comité sénatorial des banques, dont le titre disait tout : nous avions besoin d’une stratégie en matière d’innovation pour l’économie fondée sur les données au Canada. Vous avez fait des observations à Toronto lundi qui ont certainement attiré mon attention à un événement organisé par The Logic, notamment que les politiques désuètes et obstructives sont des objectifs dans les batailles pour la productivité au Canada. J’ai trouvé que cela résumait très bien la situation. Vous avez mentionné que nous sommes à l’origine de ces problèmes et que nous ne pouvons pas les résoudre. Il y a là de bonnes citations.
Quand vous dites que nous devons nous pencher sur ces questions, comment souhaiteriez-vous que le Canada les examine et agisse en conséquence?
M. Macklem : Permettez-moi de commencer ma réponse en disant que notre travail est la politique monétaire et que nous n’allons pas entrer dans les détails des politiques individuelles. Cette responsabilité incombe aux parlementaires et aux gouvernements.
Le sénateur C. Deacon : Nous aimerions entendre vos conseils.
M. Macklem : Je peux dire deux ou trois choses sur les objectifs.
Comme vous le savez tous, la productivité est un enjeu de longue date dans ce pays. Après la COVID-19, la situation s’est aggravée; elle ne s’est pas améliorée. Cela a amené la première sous-gouverneure à sonner l’alarme.
Nous voulons que cette question fasse l’objet d’un effort concerté. Lundi, au sommet de The Logic, j’ai essayé de recadrer cela. Nous avons tout un éventail de politiques — dont certaines vous tiennent à cœur, soit la politique sur la propriété intellectuelle, la politique sur l’innovation, la politique monétaire, la politique fiscale et la politique de l’impôt. Ces politiques doivent être examinées en tenant compte de la productivité. Ils ont des objectifs multiples, mais ces politiques-cadres sont importantes pour notre prospérité. Il faudrait du temps; cela ne se réglera pas à court terme.
Il y a d’autres choses pour lesquelles il est possible d’agir à court terme. C’est ce dont je parlais à propos des objectifs. Il y a des politiques bien intentionnées qui freinent la productivité. Pourquoi avons-nous des restrictions commerciales entre les provinces? Pourquoi avons-nous des accréditations de travail pour les comptables, avocats, médecins et électriciens qui sont différentes entre les provinces? Dans une certaine mesure, ces politiques sont bien intentionnées, mais elles pourraient faire plus de mal que de bien.
Nous avons très bien réussi à faire venir des gens dans ce pays. Nous ne réussissons pas toujours à reconnaître leurs qualifications et à veiller à ce qu’ils obtiennent un emploi qui optimise leur productivité.
L’une des choses dont j’entends parler de plus en plus souvent lorsque je suis à l’étranger, c’est qu’un grand nombre d’investisseurs internationaux me disent ce qui suit :
Monsieur Macklem, nous aimerions investir plus au Canada. Vous avez un merveilleux pays. L’Amérique du Nord est un formidable voisinage. Vous avez la primauté du droit et vous êtes une démocratie stable, mais le processus d’approbation réglementaire prend trop de temps. C’est trop compliqué, alors j’ai décidé d’investir mon capital ailleurs.
Malheureusement, j’entends ce discours de la part d’entreprises canadiennes, dont bon nombre d’entre elles exercent leurs activités des deux côtés de la frontière canadienne. Des deux côtés de la frontière canado-américaine, les gens disent qu’ils peuvent obtenir plus de clarté réglementaire aux États-Unis.
Il y a de bonnes raisons pour ces règlements et il y a de bonnes raisons pour ces approbations, mais si nous pouvons obtenir plus de certitude plus rapidement, je pense que ce serait une bonne chose. Ce sont là quelques exemples de ce que j’appelle les objectifs — les problèmes que nous avons créés et que nous ne pouvons pas faire disparaître.
Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie, gouverneur.
Madame la première sous-gouverneure, l’une des choses que nous avons réussies ces derniers temps, c’est que nos politiques en matière de concurrence et la Loi sur la concurrence ont été considérablement renforcées. La création d’une force qui favorise la concurrence au sein du gouvernement dans le cadre de ses politiques — pour reprendre ce que le gouverneur a dit — est probablement, vous en conviendrez, un domaine très important où nous devons continuer d’aller de l’avant et ne pas dire que c’est terminé. Je pense que ce n’est qu’un début. Ai-je raison?
Mme Rogers : Oui, tout à fait. Notre bureau rencontre notre commissaire à la concurrence doté de ses nouveaux pouvoirs, et nous collaborons à certaines recherches. Oui, nous pensons que c’est une bonne chose.
Le sénateur C. Deacon : C’est un allié dans la bataille contre l’inflation, comme vous l’avez décrit à un moment donné, si je me souviens bien, en ayant un marché vigoureux et fortement concurrentiel. Merci.
La sénatrice Martin : Je vous remercie tous les deux d’être de retour au comité. J’ai deux questions : l’une porte sur la faible productivité et l’autre porte sur le chômage.
Je regarde un rapport récemment publié par la Banque TD intitulé De mal en pis : le ralentissement de la productivité au Canada touche tout le monde. Je suis certaine que vous êtes au courant. Le rapport mettait en garde que sans d’importantes améliorations de la productivité de notre main-d’œuvre, le Canada risque de connaître une baisse continue du niveau de vie, une stagnation des salaires et des pressions potentielles sur les services publics.
Dans votre Rapport sur la politique monétaire, vous avez signalé que le secteur manufacturier a été ralenti par une faible croissance de la productivité. Je me demande si vous pouvez nous faire part de vos observations, de vos idées et de vos conseils sur la façon dont nous pouvons régler ce problème, en particulier dans le secteur manufacturier.
M. Macklem : C’est un sujet très vaste. Nous approuvons malheureusement en grande partie les statistiques que vous avez citées.
Pourquoi la Banque du Canada, en particulier, parle-t-elle de la productivité? C’est parce que la productivité détermine le taux de croissance de l’économie sans créer de pressions inflationnistes. Avec les taux d’intérêt, nous pouvons faire fonctionner l’économie à sa capacité de production mais, fondamentalement, si nous voulons faire croître l’économie, nous devons augmenter cette capacité de production. Une importante façon d’y parvenir est d’accroître la production par travailleur. C’est ce qui permet de payer des salaires plus élevés et d’élargir l’assiette fiscale. Oui, je souscris à vos remarques liminaires.
Comment peut-on régler le problème? J’ai mentionné quelques-uns des ingrédients en réponse à une question du sénateur Deacon. L’autre chose que je dirais, c’est que les causes immédiates de notre faible croissance de la productivité sont évidentes. Les entreprises canadiennes investissent moins dans de nouvelles machines et de nouveaux équipements, investissent moins dans la recherche et le développement, ou R-D, ont moins de nouveaux brevets et sont moins novatrices, et c’est pourquoi la croissance de la productivité est plus lente. Mais pourquoi les entreprises canadiennes investissent-elles moins? Pourquoi sont-elles moins novatrices? Pourquoi ont-elles moins de brevets? Pourquoi dépensent-elles moins pour la R-D? Ce sont là des questions plus difficiles.
Il ne faut pas trop généraliser. Le Canada compte plusieurs entreprises extraordinaires qui tirent très bien leur épingle du jeu dans les marchés mondiaux. Elles investissent et elles innovent, ce qui les rend très compétitives au niveau international. Comme nous sommes en pleine série mondiale, je vais faire une analogie avec le baseball. Certaines de nos entreprises font des coups de circuit, mais la moyenne du Canada au bâton laisse beaucoup à désirer au point que cela freine la prospérité du pays. Il faut miser sur nos forces. Il faut trouver un moyen de les décupler. Prenons des mesures pour faire augmenter le nombre d’entreprises au pays qui font des coups de circuit. Ne nous sous-estimons pas. Nous sommes tout à fait capables de faire augmenter notre moyenne au bâton.
La sénatrice Martin : Je me demande pourquoi en effet notre moyenne est si basse. Le comité devrait tenter de résoudre cette énigme. J’aurais une question rapide pour vous. Dans votre rapport sur la politique monétaire, vous parlez du taux de chômage des jeunes — particulièrement dans le groupe des nouveaux arrivants —, qui s’élèverait à plus de 12 %. Pourriez-vous étayer un peu ces statistiques et parler des mesures à prendre?
M. Macklem : Pourriez-vous parler du marché du travail, madame Rogers?
Mme Rogers : Comme je l’ai mentionné tout à l’heure, il y a un peu plus d’un an, le pays enregistrait une pénurie de main-d’œuvre. L’analyse des conditions du marché du travail effectuée par la banque tient compte de la participation au marché du travail, du rythme d’embauche et du nombre de postes vacants. Lorsque l’économie était en surchauffe, le nombre de postes à pourvoir était élevé. Le nombre de travailleurs était de beaucoup inférieur au nombre de postes vacants.
Le marché de l’emploi connaît une accalmie récemment. Ni le taux de chômage ni le taux de licenciements n’ont augmenté. En revanche, le nombre de postes vacants a diminué.
Pour revenir à votre question sur les jeunes. Ils sont à la recherche de leur premier emploi. Ce sont des employés marginaux dans le marché de l’emploi. Lorsque le taux de chômage augmente, c’est cette catégorie qui est frappée en premier.
Le marché de l’emploi est incapable d’absorber les travailleurs au rythme auquel nous les faisons venir au pays. Pendant longtemps, il a fallu faire venir des employés de l’étranger, mais depuis que le rythme de l’embauche a ralenti, le taux de chômage des nouveaux arrivants affiche une hausse, particulièrement chez les jeunes.
La présidente : Pourrait-on considérer ces indicateurs précoces observés dans le groupe démographique des jeunes comme des signes précurseurs ou comme le canari dans la mine? Habituellement, ce type d’indicateurs se manifestent-ils d’abord dans ce groupe? Trouvez-vous ces chiffres préoccupants?
Mme Rogers : Je ne dirais pas nécessairement que ces indicateurs sont des signes précurseurs. C’est normal que ces indicateurs apparaissent dans ce groupe en premier.
Le sénateur Varone : Je ne suis pas économiste, mais je suis un avide lecteur d’ouvrages sur l’économie. La Banque du Canada a dit qu’elle privilégiait diverses mesures de l’inflation fondamentale, notamment l’IPC-tronq et l’IPC-méd. Ces mesures excluent les composantes volatiles de l’indice des prix à la consommation, ou IPC, et permettent de déterminer ce que la banque appelle l’inflation fondamentale de l’IPC, ou IPCX. Les huit composantes les plus volatiles de l’IPC telles que les intérêts hypothécaires et les prix de l’essence sont donc exclues.
J’ai du mal à saisir la notion d’inflation fondamentale. Cette mesure de l’inflation rend perplexe une bonne partie de la population parce qu’elle ne tient pas compte des composantes qui font le plus mal aux Canadiens, soit les intérêts sur les prêts hypothécaires et les prix de l’essence et des aliments. C’est comme si je disais que je suis riche, mais que je ne tenais pas compte des paiements à verser à mes créanciers.
M. Macklem : Je suis désolé de cette confusion. Nous n’avons pas assez bien expliqué cette notion.
Je vais mentionner une ou deux choses.
Tout d’abord, notre cible est fixée par rapport à l’inflation de l’IPC total. Nous voulons que l’inflation de l’IPC ne s’éloigne pas de 2 %, ou du milieu de la fourchette allant de 1 % à 3 %.
Le sénateur Varone : Le taux d’inflation fondamentale se chiffre à 1,6 %...
M. Macklem : Le taux d’inflation fondamentale est de 1,6 %, et les deux mesures se chiffrent respectivement à 2,3 % et à 2,4 %.
Nous examinons l’inflation fondamentale parce que certaines composantes de l’IPC sont très volatiles d’un mois à l’autre. La plus évidente est celle que le public voit chaque semaine à la station-service. Ce sont les prix de l’essence, qui fluctuent en fonction des prix mondiaux du pétrole. Nous exerçons une influence en agissant sur le centre de gravité de l’inflation — la tendance de l’inflation. Nous ne pouvons pas contrôler les variations mensuelles causées par la hausse ou la baisse des prix du pétrole.
Les taux d’intérêt influent sur la demande. La demande relative à l’approvisionnement influe à son tour sur la tendance sous-jacente de l’inflation.
Nous utilisons les mesures de l’inflation fondamentale pour essayer d’exclure la volatilité de la tendance sous-jacente de l’inflation. Ces mesures nous aident à établir la cible fondée sur le taux d’inflation de l’IPC. Ce sont des outils qui nous aident à déterminer si cet indicateur général de l’inflation se maintiendra près de la cible ou à nous assurer qu’il suit la bonne tendance.
Il est important que les Canadiens comprennent que notre cible est fondée sur le taux d’inflation de l’IPC parce que le panier d’achats parfaitement représentatif n’existe pas et que de légères différences existent entre les paniers d’achats au Canada. N’empêche que l’IPC est considéré comme la représentation la plus fidèle du panier de consommation des Canadiens. Nous souhaitons que le taux de variation des prix des produits se trouvant dans le panier se maintienne près de 2 %.
Le sénateur Varone : Merci.
Le sénateur Fridhandler : Merci aux témoins de leur présence parmi nous. En fait, les réponses que vous avez données ont répondu à la question que je voulais poser à propos d’un rapport publié en 2022 par le Fonds monétaire international, ou FMI. Dans ce rapport, le FMI notait que la banque ne communiquait pas assez au public ses délibérations sur les politiques. Vous avez répondu à cette critique en janvier 2023 en disant que vous alliez vous engager à rendre publique une plus grande part de ces délibérations.
Tout d’abord, quelles mesures ont été prises sur ce front? Ensuite, dans une perspective plus vaste, je constate aujourd’hui que vous parlez plus ouvertement de votre politique monétaire et de l’économie. Vous avez adopté un rôle que je qualifierais — au risque de vous faire peur — de plus « militant ». Vous avez dit tout à l’heure que les politiques sont déterminées par les parlementaires. Je me demandais si vous comptiez démontrer votre bonne volonté ou votre crédibilité en adoptant une approche plus militante ou pédagogique, ce qui vous permettrait en outre de remplir en partie votre devoir de transparence. Qu’avez-vous à dire sur ces deux points?
M. Macklem : Je vais amorcer une réponse avant de céder la parole à Mme Rogers.
Pour revenir au rapport du FMI, nous avons obtenu des notes très élevées pour la transparence. Nous avons présenté les suggestions formulées par l’organisme au conseil d’administration. Madame Rogers, je vais vous laisser en parler. Nous avons accepté les recommandations. Certaines mesures ont déjà été prises, et d’autres seront prises bientôt.
Mme Rogers : Parmi les quelques mesures que nous avons prises pour répondre au rapport du FMI, nous avons lancé la série des « résumés des délibérations du Conseil de direction ». Ce résumé des discussions tenues au Conseil de direction est diffusé une semaine ou deux après les décisions sur les taux d’intérêt. Nous donnons également une conférence de presse après chaque décision. Auparavant, le gouverneur et moi-même en donnions dans la foulée d’une décision sur deux — après les décisions présentées dans le Rapport sur la politique monétaire lors de la diffusion de nos projections —, tandis qu’à présent, nous répondons aux questions des médias après chaque décision. Voilà deux mesures précises.
Pour revenir à votre question plus vaste, vous avez employé le terme « militantisme ». Je ne sais pas si cela décrit bien ce que nous faisons, mais un principe important que nous observons à la banque est de communiquer dans un langage clair et simple. Je suis navrée d’apprendre que nous manquons de clarté au sujet de l’inflation fondamentale. Vous posez une bonne question, car c’est un sujet qui visiblement nous donne du fil à retordre.
Nous avons des normes fondamentales à la banque. Chaque fois que nous préparons un discours, nous appliquons un logiciel qui permet de mesurer le niveau de scolarisation nécessaire pour en comprendre le contenu. Nous voulons nous assurer d’être compris par la majorité des Canadiens.
Le site Web de la banque comporte une section intitulée « L’Économie claire et simple », qui présente des articles en langage simple sur les sujets les plus complexes et sur la terminologie employée à la banque.
Nous avons aussi considérablement accru ce que nous appelons le « rayonnement » dans les régions, qui désigne la fréquence à laquelle les membres du Conseil de direction vont parler directement aux Canadiens. Au début de l’année, les membres du conseil s’assignent chacun une région du pays qu’ils s’engagent à aller visiter. Je suis allée à Calgary l’an dernier. Un autre membre du conseil a passé deux jours à Red Deer il y a deux semaines. Ces choses que nous faisons peuvent ressembler à du « militantisme », car elles ont pour objet de communiquer un message. À notre avis, nous sommes plus efficaces lorsque les Canadiens comprennent ce que nous disons. C’est dans cette optique que nous allons parler aux gens.
Le sénateur Fridhandler : Merci des efforts que vous faites. J’estime que c’est important et que la banque en fait beaucoup plus que dans les dernières années.
Monsieur le gouverneur, vous avez parlé des risques élevés sur le plan géopolitique qu’il fallait surveiller. Ces risques ont en règle générale une connotation négative. Certains sont bien connus par la plupart des membres du comité.
La situation géopolitique comporte-t-elle des effets positifs dont vous aimeriez parler?
M. Macklem : Habituellement, les effets de l’incertitude sont négatifs. Je ne vais pas tous vous les énumérer, car vous les connaissez.
Je noterais par contre que le système de relations commerciales mondial connaît une période de changements. Je vais vous donner un exemple très éloquent. Si nous remontons à l’année 2000, la plus grande part des importations des États-Unis provenaient du Canada. De 2000 à 2020, la part du Canada a diminué. Les importations de la Chine ont pris le premier rang. Toutefois, au cours des dernières années, la Chine a gravi les échelons de la chaîne de valeurs. N’étant plus une productrice à bas prix, elle livre désormais une concurrence plus directe avec les autres pays. Ces facteurs combinés avec le nombre accru de tarifs et de restrictions commerciales ont entraîné une diminution des relations commerciales entre la Chine et les États-Unis. Le Canada a remonté au deuxième rang derrière le Mexique. Il existe des possibilités pour les entreprises canadiennes. Le conseil que je donnerais aux entreprises est de suivre l’évolution des changements et de se tailler une place dans une chaîne d’approvisionnement sûre comme celle du Canada. En tant que partenaire fiable, le Canada doit chercher un moyen d’aider les autres pays à résoudre leurs problèmes de sécurité et à intégrer des chaînes d’approvisionnement sûres.
Habituellement, l’incertitude géopolitique est délétère tant pour la croissance que pour les investissements. Ses effets sont en bonne partie négatifs, mais il ne faut pas les laisser nous paralyser. Les entreprises canadiennes ont quelque chose à offrir. Elles doivent rester à l’affût des possibilités.
La présidente : Merci. Madame la première sous-gouverneure, je suppose que votre discours sur le problème de productivité au Canada était très pédagogique. Avez-vous réussi à faire passer votre message?
Mme Rogers : Le discours a ranimé un débat qui ne date pas d’hier.
Le sénateur Yussuff : Monsieur le gouverneur, madame la première sous-gouverneure, merci de votre présence. Je vais vous poser les questions difficiles qui trottent dans la tête de ceux qui paient des taux d’intérêt hypothécaires élevés. Ces personnes se demandent pourquoi vous gardez le pied sur le frein alors que l’inflation a reculé. Elles ont hâte que la pression financière diminue pour que leur vie et celle de leur famille se stabilisent. Elles préféreraient mettre de l’argent dans l’économie plutôt que de consacrer une bonne partie de leur revenu aux paiements hypothécaires.
M. Macklem : Tout d’abord, nous savons pertinemment que cette période est difficile pour les Canadiens. Nous prenons régulièrement le pouls des Canadiens. Nous recevons directement leurs commentaires. En raison de la hausse des taux d’intérêt, les gens ont du mal à équilibrer leur budget par rapport à leurs revenus. Nous constatons que les Canadiens ont réduit leurs dépenses discrétionnaires. La consommation par ménage a reculé, et ce, même si la consommation agrégée est à la hausse en raison de l’ajout de personnes dans l’économie. Pour revenir à la baisse des taux d’intérêt, je rappelle que nous les avons réduits 4 fois de 125 points de base au total. Nous avons dit clairement que nous nous attendions à les réduire encore plus, sauf si des développements économiques que nous n’avons pas anticipés surviennent. Nous avons amorcé la baisse en juin. Les Canadiens commencent à en ressentir les effets. Nous discernons des signes. Le niveau de confiance des consommateurs est faible, mais stable. Nous enregistrons les indices d’une hausse, qui devrait se poursuivre. Nous surveillons les choses de très près. La diminution des taux d’intérêt va inciter les ménages à recommencer à dépenser. Puisque nous ne savons pas avec certitude à quel moment cela se produira, nous ne pouvons pas chiffrer la réduction des taux d’intérêt qui assurera la reprise. Nous suivons la situation de très près.
Le sénateur Yussuff : Un éléphant dans la pièce retient l’attention de tous. Nous en connaîtrons les traits la semaine prochaine. Nos amis américains parlent de mettre en place — selon le vainqueur des prochaines élections — des tarifs qui auront des effets dévastateurs. Presque 80 % de nos exportations sont destinées aux États-Unis. Toutes les industries qui exportent aux États-Unis seront gravement touchées. La banque tient-elle compte de ces risques? Reconnaît-elle que nos possibilités de croissance seront encore plus affaiblies si nous sommes obligés de prendre des mesures pour atténuer les effets des politiques prises aux États-Unis au lendemain de l’élection d’un certain individu?
M. Macklem : Je vais dire deux choses. Tout d’abord, comme le sait pertinemment le comité, la banque ne fait pas de commentaires sur les politiques canadiennes. Nous n’allons certainement pas en faire sur les politiques américaines. Je vais toutefois mentionner une ou deux choses qui nous ramènent à la question du sénateur Fridhandler. Peu importe qui gagnera les élections aux États-Unis, le monde est devenu plus hostile. Le nombre de conflits augmente sur la planète, tout comme le nombre de restrictions commerciales. Les États-Unis et la Chine se disputent le statut de plus grande puissance économique. La sécurité économique fait désormais partie de la politique commerciale des entreprises. L’exploitation d’une entreprise doit tenir compte non plus seulement de la rentabilité, mais aussi de la sécurité nationale et de la sécurité économique. Cette nouvelle réalité est là pour de bon. La manière dont la situation sera gérée dépendra du prochain président ou de la prochaine présidente, mais le problème global est le même, peu importe le résultat des élections.
Une deuxième petite chose que j’aimerais mentionner est la solidité de l’accord commercial entre le Canada et les États-Unis. Tout le monde sait que les États-Unis sont la principale destination des exportations canadiennes. En revanche, les gens sont moins nombreux à savoir que le Canada est la principale destination des exportations de 32 États un peu partout dans le territoire américain — pas seulement les États du nord du pays. Cette relation commerciale concorde avec les intérêts des deux pays. L’accord a survécu à plusieurs administrations. Comme il épouse les intérêts supérieurs des deux parties, je m’attendrais à ce que les deux pays souhaitent le conserver.
La présidente : Merci beaucoup.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup d’être parmi nous; c’est très gentil de votre part. C’est un événement toujours très important pour nous. J’ai deux questions.
Dans votre conférence de presse, quand vous avez fait l’annonce du rapport, vous avez fait référence aux 2 % avec les mots « you feel in a good place ». Vous étiez très confortable avec les 2 %. Pourquoi 2 %? Pourquoi pas 0,5 % ou 3 %? Pourquoi est-ce confortable à 2 %?
M. Macklem : C’est une très bonne question. La réponse courte, c’est deux choses. Premièrement, l’inflation à 2 %, c’est un taux assez bas pour que, d’une année à l’autre, les ménages n’aient pas besoin à s’inquiéter de grands changements dans le coût de la vie. C’est assez bas d’une année à l’autre. C’est très petit.
L’autre raison, c’est que nous avons une cible de 2 % depuis une trentaine d’années et ce que l’on constate, c’est que l’économie fonctionne mieux quand l’inflation est basse et stable. Deux pour cent, cela représente une inflation basse et stable. Oui, on a beaucoup d’études et je pourrais aller plus en détail, mais ce sont les grandes lignes.
Le sénateur Massicotte : Ma deuxième question est la suivante. Dans votre présentation de tout à l’heure, vous avez fait référence au fait qu’on était au départ le plus important importateur et exportateur des États-Unis. Avant les tarifs, on est descendu à la deuxième place, mais avec les tarifs, on retourne à la première place. J’ai lu des rapports qui indiquaient que c’est vrai qu’il y a moins de produits qui vont directement de la Chine aux États-Unis, mais indirectement, par le Mexique et d’autres pays, la même quantité est importée aux États-Unis qu’auparavant. D’abord, c’est un peu faux de dire que le Canada est peut-être numéro un; c’est parce qu’on ne considère pas tout le cheminement des produits qui se retrouvent aux États-Unis après avoir fait un détour par le Mexique et d’autres pays.
M. Macklem : Vous avez raison, ce n’est pas... J’ai un peu simplifié. Oui, l’échange change. Il y a moins d’échanges entre les États-Unis et la Chine, mais il y a plus d’échanges entre les États-Unis et le Vietnam. Une partie importante de ces biens viennent de la Chine et vont aux États-Unis. On voit beaucoup d’investissement de la Chine au Mexique pour avoir un accès au marché américain. On commence à en discuter aux États-Unis.
À certains endroits, cela soulève bien des questions, donc on verra.
Je pense que pour le Canada, ce n’est manifestement pas le cas. Si les États-Unis ont des problèmes, le Canada peut être la solution, comme je l’ai déjà mentionné. Cette incertitude géopolitique n’est pas bonne, mais il y a peut-être des possibilités pour le Canada.
Le sénateur Massicotte : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : La productivité m’a toujours préoccupée. Vous avez dit que certaines entreprises frappent des coups de circuit. Oui, ce sont celles qui jouent dans la cour des grands. Nous ne prêtons pas attention à celles qui jouent dans les ligues mineures. Ma question est la suivante : je comprends que votre modèle a une portée nationale, mais venant du Canada atlantique, j’ai constaté qu’au cours des trois dernières années, la politique monétaire a eu un impact plus important dans ma région que dans le Canada central. Cela me préoccupe. Ensuite, il y a un éléphant dans la pièce, la tension géopolitique. Sur le plan national, 80 % de nos exportations sont à destination des États-Unis, mais dans le Canada atlantique, c’est 95 %.
Si j’ai des questions concernant la situation au Canada atlantique, votre modèle peut-il y répondre?
M. Macklem : Cela dépend des questions posées. Nous n’avons pas de modèles provinciaux distincts. Nous ne modélisons pas les provinces pour ensuite en faire la somme afin d’arriver au portrait national. Nos modèles portent sur le pays dans son ensemble. Ils reflètent, dans une certaine mesure, la diversité de la structure industrielle moyenne du pays, mais nous ne ventilons pas les données par province. Nous avons des bureaux régionaux dans tout le pays. Nous en avons un à Halifax, à Montréal, à Toronto, à Calgary et à Vancouver. Ces bureaux nous servent de base pour faire deux choses. Nous menons des enquêtes auprès des entreprises et des consommateurs dans tout le pays. Nous savons si les perspectives sont plus sombres, moins optimistes, dans le Canada atlantique que dans le Canada central. Nous disposons de ces informations. Elles alimentent les décisions que nous prenons. Bien sûr, nous avons un taux d’intérêt unique pour tout le pays. Nous sommes un pays. Nous avons un marché financier intégré.
La sénatrice Ringuette : Avez-vous des données sur le Canada atlantique à partager?
M. Macklem : Nous partageons certaines ventilations régionales de nos enquêtes. Il faut être un peu prudent, car pour une province ou l’autre du Canada atlantique, le nombre d’entreprises que nous avons pu interroger pourrait être faible. Nous devons être prudents lorsque nous tirons des conclusions à partir de petits échantillons. Nous faisons attention à cela. En faisant la moyenne des enquêtes sur quelques trimestres, on peut commencer à constituer un échantillon plus important pour différentes régions. Oui, nous partageons de telles données. En fait, chaque trimestre, nous publions les résultats de nos enquêtes. S’il existe des différences régionales importantes, nous les soulignons. Nous essayons d’ajouter des commentaires en disant, par exemple, qu’une baisse est due à un plus grand pessimisme dans les provinces de l’Atlantique. Nous faisons régulièrement de tels commentaires. Oui, nous pouvons vous diriger vers les informations dont nous disposons.
La sénatrice Ringuette : D’accord.
Mme Rogers : J’ai mentionné plus tôt que nous avons augmenté nos activités régionales. Lorsque j’ai prononcé mon discours sur la productivité, c’était dans le Canada atlantique. C’était à Halifax. J’y ai passé deux jours à rencontrer des entreprises, des groupes communautaires, des universités et des communautés autochtones de la région. Nous demandons aux membres de notre conseil de direction de partager les informations recueillies ainsi avec leurs collègues du conseil. Tout cela alimente notre compréhension de l’économie. Il y a une solide chaîne de communication.
La présidente : Merci de votre réponse.
M. Macklem : Le pays est vaste. C’est une chose merveilleuse. Il est important de comprendre ce qui se passe dans les nombreuses régions de notre vaste pays.
La présidente : Je vous remercie. J’ai quelques questions à poser avant de passer au deuxième tour. Le gouvernement nous a dit qu’il avait l’intention d’accroître son pouvoir de contracter des emprunts. Il y a de nouveaux programmes de dépenses et on constate que les politiciens prévoient encore plus de dépenses au cours des prochaines années. Vous avez déclaré par le passé que les dépenses publiques allaient souvent à l’encontre des efforts déployés par la banque centrale pour réduire l’inflation. Je crois que vous avez dit : « Il serait utile que la politique monétaire et la politique budgétaire aillent dans le même sens ». Êtes-vous plus proche de cet objectif ou non?
M. Macklem : Je dirais que sur le front de la politique monétaire, nous avons fait beaucoup de progrès. Nous sommes revenus à un taux d’inflation de 2 %. Nous n’essayons plus de faire baisser l’inflation. Nous essayons de la maintenir à son niveau actuel. Il y a une offre excédentaire dans l’économie et le marché du travail est fragile. Nous sommes dans une situation tout à fait différente. Ces commentaires ont été faits lorsque l’économie était en surchauffe et que nous avions augmenté les taux avec vigueur pour faire baisser l’inflation. Dans un tel contexte, l’augmentation des dépenses publiques, en particulier si elle est plus rapide que la croissance potentielle de l’économie, peut faire obstacle à une baisse de l’inflation. Mes commentaires de l’époque s’inscrivaient tout à fait dans cette vision.
Nous sommes maintenant dans une situation différente. Je pense que nous sommes revenus à une situation plus normale où le gouverneur de la banque centrale ne commente pas la politique fiscale. Nous n’essayons plus de réduire l’inflation. Les dépenses publiques ne nous empêchent pas de réduire l’inflation. Nous l’avons fait baisser.
La présidente : Ma deuxième question porte plus sur la situation actuelle. Vous avez dit que pendant la pandémie, pour la plupart des produits de crédit, la part des emprunteurs en retard de paiement avait atteint des niveaux historiquement bas. Nous constatons aujourd’hui qu’une part plus importante de ces emprunteurs est en retard dans le remboursement des cartes de crédit et des prêts automobiles. C’est inquiétant. La situation évolue-t-elle ou est-ce la nouvelle normalité?
Mme Rogers : Nous constatons toujours une légère augmentation. Je reviens à la question posée par le sénateur Yussuff tout à l’heure. Les détenteurs de prêts hypothécaires ont fait l’objet de beaucoup d’attention. Ils sont directement affectés par les changements de taux d’intérêt. En réalité, ce sont les locataires qui sont les plus touchés par des difficultés financières. Les produits touchés dans ce cas sont davantage des prêts et des cartes de crédit. Nous avons constaté que ces arriérés et ces retards de paiement augmentaient plus rapidement que les prêts hypothécaires en souffrance. De ce côté, nous sommes toujours en dessous de notre niveau habituel. Le nombre de prêts hypothécaires en souffrance reste très faible.
La présidente : Il faudra plus de temps pour que la baisse des taux ait un effet positif sur un locataire que sur un détenteur de prêt hypothécaire.
Mme Rogers : Oui, bien que nous ayons constaté sur certains marchés des signes précurseurs d’un léger retournement de la tendance des loyers. Nous surveillons cela de près.
La présidente : Je vous remercie. Nous passons à la deuxième série de questions.
Le sénateur Loffreda : Monsieur le gouverneur, il y a deux préoccupations principales pour le Canada, et nous discutons souvent du manque de concurrence et de la faible productivité. Je vais parler de la faible productivité. Je suis d’accord avec la façon dont vous avez présenté les choses. Nous frappons des coups de circuit, mais notre moyenne au bâton est trop basse, et il faut un peu des deux pour gagner.
Vous avez mentionné que nous investissons moins dans la fabrication et l’équipement. Nous investissons moins dans la recherche et le développement. J’ai souvent dit que nous étions très doués pour investir dans la recherche et le développement, mais que nous n’étions pas capables de monétiser les résultats. Et nous sommes moins innovateurs.
J’aimerais vous interroger sur le « pourquoi ». Sans « pourquoi », l’objectif s’estompe et les progrès s’arrêtent, alors il faut connaître le « pourquoi ».
Le directeur parlementaire du budget, ou DPB, a fait remarquer lors d’une réunion de notre comité qu’il avait constaté un problème de croissance de la productivité lié aux incitatifs fiscaux pour les petites entreprises. Les données suggèrent que certaines entreprises évitent de croître au-delà d’un certain seuil pour continuer à bénéficier des taux d’imposition des petites entreprises. Il y a une concentration au sommet, mais pas une bonne répartition. Il y a un écart important par rapport aux modèles de répartition attendus, mais je ne m’y attarderai pas.
La Banque du Canada a-t-elle observé des effets similaires sur la manière dont les taux d’imposition des petites entreprises pourraient influer sur la productivité? D’après vos recherches, quelles sont les politiques les plus efficaces pour améliorer la productivité du Canada?
M. Macklem : En tant que gouverneur de la Banque du Canada, je fais attention à ce que je dis au sujet de la politique fiscale. Nous gérons la politique monétaire, pas la politique fiscale.
J’ai vu ces études. Pour revenir à votre question, il est très difficile de savoir pourquoi nous avons moins d’investissements et moins d’innovation.
Il y a des choses que l’on peut voir. Avant d’être gouverneur, j’étais doyen de l’école de commerce de la Rotman School of Management de l’université de Toronto, et j’ai beaucoup travaillé avec le secteur de l’innovation au Canada. Ce que l’on peut constater, c’est qu’au cours des 15 dernières années, notre écosystème d’innovation pour la phase de démarrage s’est beaucoup renforci. Il y a plus d’entreprises en démarrage et plus d’innovation.
Là où nous avons des difficultés, c’est pour faire évoluer ces entreprises afin qu’elles deviennent des entreprises prospères à l’échelle mondiale. De plus en plus, les affaires sont une question de taille. Les effets d’un écosystème d’entreprises de grande taille sont importants. Pourquoi les États-Unis sont-ils le chef de file mondial en matière de productivité? Et bien, cela a probablement quelque chose à voir avec le fait que les champions mondiaux y sont installés. Les sept entreprises les plus influentes réalisent d’énormes économies d’échelle.
Je ne vais pas me prononcer sur la politique fiscale, mais je pense que si vous voulez obtenir des économies d’échelle, vous devez examiner vos leviers et les utiliser afin d’encourager l’expansion.
Le sénateur Gignac : Selon de nombreux experts, avec le régime multipolaire, l’économie mondiale connaîtra davantage de chocs liés à l’offre.
Vous avez déjà mentionné que la politique monétaire n’est pas le meilleur outil pour faire face à un tel choc. Seriez-vous d’accord pour dire que les mesures macroprudentielles seraient un outil beaucoup plus intéressant et efficace que la politique monétaire?
M. Macklem : Cela va beaucoup dépendre du type de choc lié à l’offre. Je ne suis pas sûr que la politique macroprudentielle puisse être d’une grande aide avec le type de choc que nous avons connu pendant la COVID, où les chaînes d’approvisionnement mondiales étaient toutes engorgées.
Ce n’est pas tant que la politique monétaire ne soit pas le bon outil pour les chocs liés à l’offre. C’est plutôt que ces chocs sont plus difficiles à gérer pour tout le monde que les chocs liés à la demande. Qu’il s’agisse de politique budgétaire ou de politique monétaire, en cas de choc négatif de la demande, avec une demande faible et une inflation faible, les mesures de relance monétaire, ou éventuellement budgétaire, font remonter la demande et maintiennent l’inflation à un niveau stable.
Le problème d’un choc lié à l’offre est que le PIB diminue et que l’inflation augmente. Nous ne disposons que d’un seul instrument. Nous ne pouvons pas faire en sorte que les deux aillent dans le même sens.
La politique fiscale peut jouer un rôle. Si on cerne le problème et qu’il existe une mesure ciblée qui peut s’y attaquer de manière plus précise, alors la politique fiscale peut être utilisée.
Le sénateur Gignac : Il y a certains cas de bulles immobilières ou boursières où les mesures macroprudentielles sont beaucoup plus efficaces.
M. Macklem : Le Canada utilise des politiques macroprudentielles.
Mme Rogers : Les outils macroprudentiels sont plutôt une question de stabilité financière que de politique monétaire.
Le sénateur Gignac : Voici ma question complémentaire : nous sommes des parlementaires et nous voulons plus de transparence. Au Canada, il y a le Comité consultatif supérieur, et lorsque je travaillais avec vous, vous m’avez invité à y participer, et je vous en remercie. Ce forum s’adresse au secteur financier et porte sur la stabilité financière et les vulnérabilités systémiques. Il est dirigé par le sous-ministre des finances.
Au Royaume-Uni, c’est complètement différent. C’est la Banque d’Angleterre qui mène la danse, et les discussions sont publiques. Une telle approche nous aiderait, en tant que sénateurs indépendants, à déterminer la meilleure voie à suivre. Au Canada, la situation est obscure. Les discussions ne sont pas rendues publiques.
Seriez-vous d’accord pour dire que ce type de gouvernance pourrait être meilleur s’il était dirigé par la Banque du Canada?
M. Macklem : Les responsabilités de la Banque du Canada et de la Banque d’Angleterre sont très différentes. La Banque du Canada s’occupe de la politique monétaire, mais pas de la surveillance ou de la réglementation prudentielle. C’est le travail du Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, au Canada.
En Angleterre, la Banque d’Angleterre s’occupe des deux. C’est comme si le BSIF faisait partie de la Banque du Canada.
Je pense que cela explique pourquoi la Banque d’Angleterre et la Banque du Canada fonctionnent comme elles le font.
En ce qui concerne la Banque du Canada, nous nous concentrons sur les vulnérabilités financières du risque financier qui pourraient avoir des conséquences systémiques. Cette analyse est transparente. Une fois par an, nous publions notre Rapport sur la stabilité financière. Nous avons une plateforme sur la stabilité financière, et lorsque nous avons de nouveaux rapports, nous les mettons en ligne sur cette plateforme.
En ce qui concerne le Comité consultatif supérieur, j’y participe. Il est présidé par le sous-ministre des finances. Je pense que c’est une question que vous devrez poser au ministère des Finances.
Le sénateur Varone : La COVID a changé nos vies à bien des égards. Je me souviens d’avoir dû organiser des conférences téléphoniques tous les jours dans le cadre de mon travail. Aujourd’hui, je ne me souviens plus de la dernière fois où j’ai organisé une conférence téléphonique, car tout se passe sur Zoom.
Mais l’une des choses que la pandémie nous a également fait découvrir est le travail à distance. Le débat fait rage en ce moment sur la différence de productivité entre le travail en personne et le travail à distance, et maintenant les syndicats commencent même à faire grève pour essayer de garantir le droit de travailler à distance.
Vaut-il la peine d’étudier cette question? La Banque du Canada l’a-t-elle examinée sous l’angle de la productivité?
M. Macklem : Vaut-il la peine d’étudier cette question? Oui, je pense que cela vaut la peine de l’étudier. La Banque du Canada s’est-elle penchée sur cette question? Non, ce n’est pas quelque chose que nous avons étudié. C’est l’une de ces choses sur lesquelles tout le monde semble avoir une opinion bien arrêtée, mais personne ne semble détenir beaucoup de données probantes.
Mon observation anecdotique à partir de discussions avec différents secteurs est que cela dépend probablement de l’entreprise. Pour certaines entreprises, les possibilités de travail à distance signifient qu’elles peuvent faire appel à des talents du monde entier et ça fonctionne. Pour d’autres, la valeur de la présence en personne est plus importante. Je ne suis pas sûr qu’il existe une règle universelle.
Un nombre croissant d’études au niveau des entreprises se penchent sur ces questions. J’en ai vu certaines. Des choses sont très mesurables, comme le codage. On peut mesurer le nombre de lignes de code. La recherche a montré que les codeurs sont plus productifs lorsqu’ils se rendent au bureau que lorsqu’ils travaillent depuis leur domicile.
C’est là un type de tâche dans un type d’entreprise.
Cela vaut la peine d’étudier la question. Toutes les entreprises sont aux prises avec ce problème.
Nous sommes face à la même situation dans notre propre domaine. Notre solution a été d’offrir à nos employés après la COVID une plus grande souplesse que ce qu’ils avaient avant. Nous pensons qu’il en ressort quelque chose. En même temps, certaines activités se font certainement mieux en personne, et nous avons donc donné des directives.
Pour ces choses qui doivent vraiment être accomplies en personne ou qui sont mieux accomplies en personne, il faudrait que ce soit fait sur place, que la personne se présente pour faire le travail.
La présidente : C’est un tour complémentaire, et je vais donc demander aux sénateurs de rester concentrés et brefs. Ce serait formidable.
Le sénateur Massicotte : Pour la gouverne de mes collègues, il y a deux semaines, The Economist a publié un très bon article — jamais aussi bon que le gouverneur — sur la productivité. On mentionne le Canada.
Lorsque nous prétendons être dans votre situation et que nous devons décider quoi faire face à la diminution de la productivité, je me pose toujours la question suivante : est-il mieux d’avoir deux corrections d’un quart de point de pourcentage ou une correction d’un demi-point de pourcentage? C’est la même proportion. Y a-t-il une incidence ou un effet psychologique attribuable à l’écart dans l’augmentation du taux d’intérêt?
M. Macklem : Il y a probablement des répercussions psychologiques, mais je dois dire que nous ne sommes pas psychologues. Il est très difficile de prédire les répercussions psychologiques.
Pour nous, c’est un peu plus direct. Pourquoi avoir opté pour une baisse d’un demi-point plutôt qu’une baisse d’un quart de point? Nous aurions pu diminuer le taux d’un quart de point. Je pense que la raison pour laquelle nous avons opté pour un demi-point, c’est que l’inflation a diminué un peu plus rapidement que ce à quoi nous nous attendions. C’était manifestement attribuable en partie aux prix mondiaux du pétrole, qui sont volatils. Il faut donc être prudent au moment d’en tenir compte. De plus, comme Mme Rogers l’a dit, on commence à voir une accalmie pour ce qui est des loyers et un adoucissement de l’inflation du coût du logement, ce qui signifie que les pressions exercées sont un peu moins fortes. Pour un certain nombre de biens, comme les chaussures, les souliers et les voitures, on observe carrément une diminution des prix.
Pour revenir à l’inflation de base, la tendance sous-jacente s’est tempérée, et l’économie est en croissance. C’est au ralenti, et pour le deuxième semestre, on dirait que la croissance sera plus faible qu’au premier. On met ces choses ensemble et on observe les indicateurs du marché du travail, les indicateurs de l’inflation et les indicateurs de rendement, et tout cela laissait entendre qu’une intervention plus forte était appropriée.
Il y a probablement un effet psychologique, et c’est probablement utile. Cela retient plus l’attention. Les gens voient que les taux d’intérêt diminuent, et c’est donc peut-être bon pour renforcer la confiance. Ce serait un gros plus.
Le sénateur Massicotte : Merci.
La sénatrice Marshall : J’ai une question semblable à celle du sénateur Massicotte. La banque a traversé une période mouvementée, tout comme le Canada. Lorsque vous avez comparu il y a deux ou trois ans, je vous ai posé une question sur la crédibilité de la banque. Qu’en pensez-vous en ce moment? Pensez-vous que les gens estiment qu’elle est plus crédible qu’il y a, disons, deux ans? Pouvez-vous me donner une réponse? Il n’est peut-être pas raisonnable de poser la question, mais j’ai l’impression que les gens font maintenant plus confiance à la banque. Qu’en pensez-vous?
M. Macklem : De façon périodique, nous faisons des sondages, et je dirais donc deux choses : la Banque du Canada est mieux connue du public, et je pense que cela rend tout simplement compte du fait que les dernières années ont été très difficiles pour les Canadiens. La Banque du Canada a pris des mesures extraordinaires en réduisant les taux à des niveaux d’urgence puis en les augmentant à un rythme jamais vu auparavant.
L’inflation a eu d’énormes répercussions sur la vie des Canadiens tout comme les taux d’intérêt. Les gens sont plus conscients du rôle de la banque.
Pour ce qui est de la confiance à notre égard, elle s’est effectivement érodée pendant un moment. Nous voyons maintenant qu’elle s’améliore.
La sénatrice Marshall : Sur une note positive, votre site Web contient beaucoup de bons renseignements. Je sais qu’une partie de l’information que vous nous avez présentée ce soir, comme l’information sur les locataires, est très bien exposée sur votre site Web. Je voulais terminer mes questions sur une note positive.
M. Macklem : Je soulignerais une chose à ce sujet, à savoir que nous estimons que nous devons gagner la confiance des Canadiens tous les jours. Le fait que nous ayons réduit l’inflation sans causer de pertes d’emplois à grande échelle ou une récession a certainement amélioré notre crédibilité, mais nous devons réussir l’atterrissage.
La présidente : Je veux poursuivre un peu dans la même veine, car nous espérons en arriver à cette question. Comme vous le savez, le Comité sénatorial des banques fait une étude sur le mandat de la Banque du Canada. Vous faites votre propre examen. C’est le temps de passer à l’action; je pense que vous allez commencer l’année prochaine.
Vous avez parlé de ce que vous avez traversé et de ce que vous avez appris du processus. Envisagez-vous des changements structuraux ou de nouvelles questions compte tenu de ce que nous avons tous traversé, y compris vous sur la ligne de front?
M. Macklem : C’est une grande question.
Nous avons tiré un certain nombre de leçons. J’en ai parlé dans des discours, et j’ai écrit un chapitre là-dessus pour un livre. Nous effectuons également un examen approfondi de notre réponse à la COVID, en nous penchant sur les trois éléments clés : les mécanismes exceptionnels d’octroi de liquidités que nous avons mis en place pour rétablir le fonctionnement du marché; le recours à un assouplissement quantitatif puis à un resserrement quantitatif; et l’utilisation d’indications prospectives exceptionnelles. Un grand nombre de documents de travail et d’études portent là-dessus, et il y en aura quelques autres. Nous avons embauché trois experts externes : un ancien gouverneur de banque centrale, un universitaire américain et un universitaire canadien. Ils sont versés dans ces questions et ils se pencheront sur notre examen. L’objectif est d’obtenir une évaluation indépendante et de voir si nous avons posé les bonnes questions. Nos conclusions sont-elles crédibles? Devrions-nous examiner d’autres questions? Sont-ils d’avis que nos conclusions sont convaincantes?
Notre étude, de pair avec leur rapport, sera publiée au début de la prochaine année. Ils ont maintenant le rapport et ils sont en train de l’examiner.
Je n’ai pas le plein contrôle quant au moment où ce sera publié, car cela dépend d’eux, mais je m’attends à ce que ce soit au début de l’année prochaine. Nous serons heureux de discuter avec le comité à ce moment-là.
Je pourrais vous faire part de mes réflexions sur les leçons apprises, mais vous voudrez peut-être attendre d’avoir le rapport complet.
La présidente : Nous avons parlé des temps difficiles, même dans la question que j’ai posée plus tôt à propos de votre relation. C’est le moment et la situation qui vous ont amené à faire vos observations sur les dépenses gouvernementales. Cette relation entre les mesures fiscales et les mesures monétaires — vous et le gouvernement — fait-elle également partie de votre examen?
M. Macklem : Nous examinons nos mesures par rapport à celles du gouvernement. Nous avons largement abordé les mesures gouvernementales en nous posant la question suivante : puisque c’est ce que le gouvernement a fait, quelle est la meilleure chose que nous pouvons faire?
La présidente : Avez-vous le moindre commentaire sur la question du double mandat qui a été soulevée dans d’autres pays?
M. Macklem : Non. Nous avons pris le mandat que nous avons reçu. Notre travail consiste à maîtriser l’inflation et à la maintenir entre 1 et 3 %. Nous avons utilisé la structure de gouvernance qu’on nous a donnée. Nous avons fait de même pour ce qui est de notre relation avec le gouvernement. Nous avons ensuite examiné les mesures que nous avons prises conformément à notre cadre d’action, comme je l’ai dit, pour rétablir le fonctionnement du marché : l’assouplissement quantitatif et des indications prospectives exceptionnelles.
La présidente : Nous allons certainement vous faire revenir pour en discuter.
M. Macklem : Ce sont des questions à aborder, mais lorsqu’on examine sa réponse à la COVID, ce n’est pas le moment d’examiner son mécanisme de gouvernance. Il faut mettre l’accent sur les mesures que nous avons prises dans le cadre de notre structure de fonctionnement.
Le sénateur C. Deacon : Monsieur le gouverneur, madame la première sous-gouverneure, je vous remercie de votre présence.
« Stabilité » est un mot que nous avons beaucoup entendu dans la discussion d’aujourd’hui, et nous entendons beaucoup parler de l’importance qu’elle a pour les investissements des entreprises et leur croissance. Toutefois, dans un monde qui change constamment, la stabilité peut se transformer en stagnation si l’on n’est pas prudent. Vous avez été très clair sur la nécessité de changer la situation en ce qui concerne les obstacles au commerce interprovincial. Cette question fait l’unanimité partout, sauf dans les bureaux des premiers ministres. Voilà une situation où la stabilité n’a pas aidé le Canada. Nos obstacles au commerce interprovincial sont restés stables. Puisque dans un monde en perpétuelle évolution, nous devons changer la façon dont les choses se déroulent dans notre pays, pouvez-vous nous aider à décortiquer le mot « stabilité »? Lorsque ce mot est utilisé, cela me pose problème, car le Canada doit être perçu, à mon avis, comme un pays qui s’adapte au monde à mesure qu’il évolue. À mes yeux, le mot « stabilité », tel qu’il est souvent utilisé, va souvent à l’encontre de cet objectif. Pourriez-vous nous aider à ce sujet?
M. Macklem : Lorsque nous utilisons le mot « stabilité », nous n’essayons pas d’empêcher le changement. La stabilité financière et la stabilité des prix sont, de notre point de vue, des éléments qui jettent les bases. Si l’on peut éliminer l’incertitude des entreprises quant à des changements importants dans le coût de leurs intrants, ou quant à la possibilité qu’une banque leur coupe le crédit parce qu’elle a ses propres problèmes — si l’on peut éliminer ces éléments d’incertitude —, on crée un environnement plus sûr et plus prévisible dans lequel les entreprises peuvent mener leurs activités.
Si elles n’ont pas à se soucier de ces questions, elles peuvent alors penser à modifier leur modèle d’affaires, à innover et à faire de la recherche et du développement. Nous n’essayons pas de faire obstacle au changement; nous essayons de faire en sorte que les entreprises canadiennes n’aient pas à s’inquiéter de certaines choses afin qu’elles puissent se préoccuper des choses qui nous feraient réellement progresser.
Le sénateur C. Deacon : Merci.
C’est très important dans la façon dont la banque communique, parce qu’il y a beaucoup de responsables de l’aspect budgétaire qui utilisent ce terme, et il est souvent utilisé par des oligopoles pour maintenir le statu quo. C’est ce qui empêche le Canada de progresser, à mon avis : maintenir le statu quo en ce qui concerne nos politiques budgétaires. S’agit-il d’une observation juste de votre point de vue? Je vous pousse à franchir cette ligne.
M. Macklem : En effet, c’est ce que vous faites. Je vous remercie de vos observations sur la communication. Je pense qu’il est important que nous utilisions les mots avec précaution et que nous soyons clairs. Et, oui, il est certain que la concurrence fait partie de la question.
La présidente : Merci. Vous avez terminé juste à temps.
La sénatrice Ringuette : J’ai une question courte et précise. Il y a quelques mois, nous avons ajouté, par voie législative, un poste de sous-gouverneur de la Banque du Canada. Est-ce que la personne a été embauchée? Quel en est l’effet?
M. Macklem : En fait, ce n’est pas par voie législative. Nous n’avons pas besoin de mesures législatives. La Banque du Canada, avec l’approbation de son conseil d’administration, peut le faire. Nous avons déjà ajouté un sous-gouverneur externe; il est avec nous depuis environ un an et demi. Nous avons été très satisfaits de cette nouveauté dans notre structure et nous avons donc décidé d’ajouter un deuxième sous-gouverneur externe. Il vous faudrait quitter votre poste actuel, mais si jamais vous souhaitez poser votre candidature, sachez que le processus de dotation a été lancé. Vous ne pouvez pas occuper les deux fonctions à la fois, car des règles l’interdisent. Le processus de recrutement est en cours. Nous avons fait appel à un cabinet de recrutement. Des gens postulent pour le poste. Nous sommes en train de recruter un deuxième sous-gouverneur externe.
La sénatrice Ringuette : S’agit-il de postes dotés pour une période déterminée ou de postes permanents?
M. Macklem : Oui. Ce sont des postes dotés pour une période déterminée. On parle d’une nomination pour une période de deux ans avec possibilité de renouvellement pour une année ou deux années supplémentaires. Il faut que le mandat soit suffisamment long afin que la personne puisse s’intégrer et pleinement contribuer, mais il faut aussi qu’il y ait un certain roulement. L’une des raisons pour lesquelles nous avons des sous-gouverneurs externes, c’est pour qu’ils apportent de nouvelles perspectives. Si l’on en recrute un et qu’on le garde indéfiniment, on ne pourra pas profiter de nouvelles perspectives de façon continue. Avec deux, l’idée est d’échelonner les nominations de manière à ce que tous les ans et demi environ, un nouveau membre du conseil de direction apporte un nouveau point de vue. C’est l’un des objectifs.
Le sénateur Yussuff : J’ai deux points à soulever. Je voudrais parler un peu de l’une des plus grandes crises que notre pays ait connues : la pandémie. On a beaucoup critiqué la banque et tout ce qui a été fait. J’étais ailleurs et j’essayais de comprendre comment nous allions continuer à faire rouler l’économie. À bien y penser, malgré les critiques, je ne pense pas que les Canadiens se rendent compte de la sagesse ou du leadership qui nous a permis de traverser cette crise.
À mon avis — je représente trois millions et demi ou quatre millions de personnes —, la vie des gens aurait pu être complètement différente si nous avions pris la mauvaise décision. A posteriori, les gens ont tendance à être un peu complaisants, mais je tiens à dire, sans aucune hésitation — parce que je sais qu’il y avait des discussions au sein du gouvernement et de la banque sur ce qu’il fallait faire pour faire tourner l’économie —, que nous nous en sommes sortis. Nous étions confrontés à d’autres problèmes, mais nous n’étions pas les seuls. Nous n’avions pas prévu de telles perturbations dans la chaîne d’approvisionnement.
Or, dans le contexte de la hausse des taux d’intérêt visant à maîtriser l’inflation, il serait juste de dire que les personnes qui s’en sont bien tirées malgré les taux d’intérêt élevés n’ont pas autant contribué à l’économie. Nous en avons débattu ici et nous continuerons à le faire : des gens ont profité du fait que nous n’avions aucun contrôle sur ce que certaines chaînes faisaient et la façon dont elles géraient les choses.
Avec le recul, en ce qui concerne votre capacité à communiquer avec les Canadiens ordinaires — parce que la banque a parfois tendance à se parler à elle-même dans ce cercle de personnes qui vous applaudissent ou vous critiquent —, ils ne savent pas que, en fin de compte, ce que vous essayez de faire, c’est leur donner de la stabilité dans leur vie. Les gens ordinaires qui vivent avec un revenu fixe n’ont pas le luxe de se lever le matin et de s’envoler ailleurs pour voir si la vie est meilleure. Tandis que la banque s’efforce de tirer les leçons de son expérience, je pense qu’il sera très important qu’elle apprenne également à mieux communiquer avec les gens ordinaires et d’autres secteurs de l’économie, qui ne sont pas les alliés de longue date à qui elle s’adresse.
M. Macklem : Je suis tout à fait d’accord avec vous. Comme l’a souligné Mme Rogers, nous utilisons la technologie numérique pour essayer d’entrer en contact avec des publics que nous n’avons jamais joints. Vous pouvez désormais nous trouver sur Instagram. On ne peut pas remplacer les discussions en personne. Il faut aller partout au pays et écouter ce que les gens ont à dire là où ils vivent.
Pour revenir à votre question, sénatrice Marshall, une chose ressort très clairement lorsque nous tenons des groupes de discussion et que nous parlons aux Canadiens : plus ils comprennent ce que nous faisons, plus ils ont confiance en ce que nous faisons. La banque est une institution publique. Nous avons la responsabilité de rendre des comptes aux Canadiens, mais il y a un avantage supplémentaire, parce que plus ils comprennent, plus la politique monétaire fonctionne, plus ils nous font confiance et plus ils ont l’assurance qu’ils peuvent faire des choses parce que la banque centrale va maintenir l’inflation à un niveau bas et stable. Il ne s’agit pas seulement de rendre des comptes, et nous avons la responsabilité de le faire, mais cela fonctionne mieux si nous le faisons bien. Je suis tout à fait d’accord : nous devons rendre des comptes aux Canadiens. Les Canadiens doivent comprendre ce que nous faisons et nous devons comprendre ce qu’ils ressentent et quel effet nos politiques ont sur eux.
La présidente : Nous allons essayer de poser des questions très brèves. Vous avez été très généreux de votre temps, alors je vais le répéter : posons des questions courtes et précises.
Le sénateur Fridhandler : Pour revenir à ce que disait le sénateur Deacon, c’est une chose que j’entends trop souvent dans les discussions sur la productivité et d’autres sujets du genre.
Permettez-moi de faire un bref rappel du contexte. Nous savons tous qu’au milieu des années 1860, un certain nombre de provinces ont conclu un accord pour former une nouvelle fédération. Puis, 150 ans plus tard, dans l’affaire relative au commerce interprovincial de la bière, la Cour suprême s’est montrée très stricte dans son interprétation de ce qui pouvait se passer à cet égard. Pourtant, je continue d’entendre que nous devons nous occuper du dossier du commerce interprovincial. Sur le plan constitutionnel, nous ne pouvons pas le faire. Cette question est entièrement du ressort des provinces, mais en ce qui concerne la politique monétaire, quel est votre point de vue par rapport à ce que nous pouvons faire? Je ne sais pas si la banque centrale peut avoir une influence là-dessus.
M. Macklem : Je ne pense pas que nous puissions faire quoi que ce soit. Si vous voulez une suggestion, je pense que si nous partons du point de vue qu’il faut essayer d’harmoniser des centaines de petites différences entre les provinces, nous allons y travailler jusqu’à ce que nous soyons tous à la retraite. Nous avons abordé la question en nous demandant si nous ne pourrions pas reconnaître qu’il existe certaines différences entre les provinces, les accepter et ne pas nous en inquiéter. Peut-être pourrions-nous avancer plus rapidement.
La présidente : Merci de ces réponses.
Le sénateur Loffreda : Nous n’avons pas parlé de l’intelligence artificielle, ou de l’IA, et de ses effets sur la productivité et sur notre économie. Je sais que vous avez récemment prononcé, à Toronto, un discours intitulé « L’intelligence artificielle, l’économie et les banques centrales ». Comment pouvons-nous maximiser les répercussions de l’IA sur notre économie et sur la productivité? Y a-t-il, à votre avis, des politiques ou des mesures que nous pourrions mettre en place? Êtes-vous plus inquiet ou plus optimiste quant aux répercussions qu’elle aura?
M. Macklem : Je pense que l’IA offre un énorme potentiel. L’IA est un très bon microcosme des problèmes à long terme que nous avons connus au pays. Geoffrey Hinton vient de recevoir le prix Nobel pour ses découvertes fondamentales en IA. Le milieu universitaire canadien compte également un certain nombre d’autres spécialistes de l’IA de renommée mondiale. En revanche, on constate que le Canada est à la traîne sur le plan de l’adoption des nouvelles technologies de l’IA par les entreprises canadiennes. Nous sommes intelligents. Nous sommes bons. Nous sommes des inventeurs, mais nous devons en tirer parti. Nous devons commercialiser ces inventions et trop souvent, au Canada, une invention est commercialisée au sud de la frontière et une grande partie des bénéfices y sont transférés.
C’est l’un des aspects de notre problème de productivité. Je n’ai pas toutes les réponses, mais je pense que c’est là un exemple où nous devons vraiment nous concentrer sur une question précise.
Le sénateur Gignac : Merci encore une fois d’avoir été si généreux avec nous pendant ces deux heures. Nous vous en sommes très reconnaissants. Comme l’a dit mon collègue, le sénateur Deacon, nous aimons vous amener plus loin parce que nous obtenons les meilleures réponses de votre part. Ma question va dans ce sens.
M. Macklem : Je sais ce que je dois faire, je suppose.
Le sénateur Gignac : Vous avez réussi, grosso modo, à ramener l’inflation à la cible de 2 %. Mission accomplie. Le jury ne s’est pas encore prononcé sur l’atterrissage en douceur, possiblement à la suite de l’annonce que le gouvernement a faite vendredi dernier au sujet de la croissance démographique. J’en arrive à ma première question. Vous avez mentionné au début que l’on restait en territoire restrictif par rapport à la politique monétaire. Le taux de chômage chez les jeunes s’élève maintenant à 16 %, soit 6 % de plus qu’aux États-Unis.
Pourriez-vous nous confirmer que l’on n’est pas en retard, compte tenu du possible décalage dans le temps de la transmission en ce qui concerne les taux d’intérêt au Canada? Votre réduction de 50 points de base aura une incidence dans de nombreux mois, et le taux de chômage continue d’augmenter. J’aime vous amener plus loin.
M. Macklem : Y a-t-il des risques des deux côtés? Oui, il y en a. Si vous regardez notre scénario de référence — ce qui se passe —, la croissance démographique va diminuer l’année prochaine et nous devrons voir dans quelle mesure. Selon nos projections, la consommation et le PIB par habitant augmenteront. Il y a une certaine incertitude. Lorsqu’il y a une baisse d’un côté, il y a une hausse de l’autre. Comment cela se traduit-il exactement? Nous avons déjà beaucoup baissé les taux d’intérêt. Nous avons signalé que nous nous attendions à ce que ce ne soit pas terminé. Il y aura des répercussions et nous pensons que les dépenses des ménages s’en trouveront renforcées.
Nos propres prévisions sont raisonnablement stables. Lorsque la croissance démographique commence à se stabiliser, le fait que le PIB par habitant augmente prend le dessus et la croissance reprend un peu. Nous réviserons nos projections et nous devrons certainement examiner les répercussions qu’aura le nouveau plan sur l’immigration que le gouvernement a rendu public. Je m’attends à ce que cela entraîne une baisse de nos prévisions sur le PIB global. Malgré cela, nous prévoyons une croissance de l’économie.
Le sénateur Gignac : Concernant la réduction du taux créditeur, on procède toujours une réunion à la fois, mais c’est toujours une possibilité.
M. Macklem : Je pense que nous avons été assez clairs. Nous prenons les choses une réunion à la fois. Nous avons montré que nous étions prêts à réduire les taux de 50 points de base si nous jugions que c’était approprié de le faire. Si nous pensons qu’il convient de le faire à nouveau, nous le referons.
Mme Rogers : J’allais ajouter quelque chose au point qu’a soulevé le sénateur Yussuff, parce que je pense que c’est important. Je voulais vous raconter quelque chose. J’ai dit précédemment que nous avions accru notre rayonnement et que nous communiquions avec une plus grande variété de groupes.
Il y a deux ou trois semaines, j’ai passé une soirée à Vancouver avec les dirigeants des zones d’amélioration commerciale de toutes les petites collectivités de la région métropolitaine de Vancouver. Il s’agit de gens qui dirigent de petites entreprises. Ce sont des entrepreneurs indépendants. Il y avait le responsable de la collectivité de West Hastings, et les habitants de Vancouver savent à quel point il y a des difficultés dans cette collectivité. Il y a là un homme qui a un travail difficile. Il essaie d’accroître l’activité commerciale dans cette collectivité.
J’ai discuté avec lui pendant trois heures et j’ai appris énormément de choses sur la situation économique de ces collectivités. J’ai été étonnée de voir à quel point ces gens étaient bien informés. Ils avaient tous lu notre dernier Rapport sur la politique monétaire. Ils avaient consulté notre site Web. Ils avaient lu des discours. Je ne sais pas s’ils l’auraient fait si nous ne les avions pas invités à passer une soirée avec nous. J’ai l’impression que tout le monde y a gagné. J’ai beaucoup appris d’eux et ils en ont beaucoup appris sur nous. C’est une bonne nouvelle par rapport à ce que vous dites.
La présidente : Merci beaucoup. Nous vous sommes très reconnaissants du temps que vous nous avez consacré et de vos efforts. Nous allons dans tous les sens ici et nous vous mettons parfois sur la sellette, mais nous vous en sommes vraiment reconnaissants. Merci, monsieur Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada. Merci, madame Carolyn Rogers, première sous-gouverneure de la Banque du Canada. Nous vous remercions grandement de nous avoir consacré du temps et de nous avoir donné vos points de vue aujourd’hui. Nous vous reverrons bientôt.
À titre d’information pour les membres du comité ici présents, nous reprendrons l’étude du projet de loi C-280 à notre réunion de demain. Je vous dis donc à demain.
(La séance est levée.)