LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 7 novembre 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 32 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier différentes questions concernant les banques et le commerce en général; et pour examiner le cadre de la politique monétaire du Canada afin d’en faire rapport.
La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.
[Traduction]
La présidente : Bonjour à toutes les personnes présentes dans la salle et à celles qui nous rejoignent en ligne. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente de ce comité.
Je voudrais présenter les membres du comité : notre vice-président, le sénateur Loffreda; le sénateur Fridhandler; la sénatrice Marshall; la sénatrice Martin; le sénateur Gignac; le sénateur Varone; et le sénateur Yussuff.
Nous allons poursuivre notre étude de différents enjeux touchant les banques. Hier, nous avons reçu le surintendant du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, pour sa visite annuelle. Nous avons ainsi pu discuter d’un large éventail de questions, y compris, bien sûr, celles entourant les activités de la Banque TD aux États-Unis.
Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir en personne les témoins suivants représentant le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE : Mme Sarah Paquet, directrice et présidente-directrice générale; M. Philippe Blanchette, directeur adjoint par intérim, Secteur de la surveillance; et Mme Annette Ryan, directrice adjointe, Secteur des partenariats, des politiques et de l’analyse. Madame Paquet, je crois que vous avez des observations préliminaires à nous présenter. À vous la parole.
Sarah Paquet, directrice et présidente-directrice générale, Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Merci de nous recevoir. Nous sommes heureux de vous rencontrer aujourd’hui pour contribuer à votre étude. Comme on vient de vous l’indiquer, je suis accompagnée de M. Philippe Blanchette, directeur adjoint par intérim, Secteur de la surveillance, et chef de la conformité, et de Mme Annette Ryan, directrice adjointe responsable des partenariats, des politiques et de l’analyse. Je vais vous décrire brièvement le mandat du CANAFE en vous donnant un aperçu de notre modèle de surveillance et de nos activités.
Le CANAFE est l’un des 13 ministères ou organismes fédéraux qui jouent un rôle clé au sein du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, qui est dirigé par le ministère des Finances du Canada. Le CANAFE veille à la conformité des milliers d’entreprises qui ont des obligations en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous devons notamment nous assurer que ces entreprises mettent en place un programme d’assurance de la conformité, adoptent des mesures de connaissance de leur clientèle et de diligence raisonnable, tiennent des registres et déclarent certains types d’opérations financières au CANAFE.
Nous travaillons avec des entreprises dans tout le pays pour nous assurer qu’elles comprennent leurs obligations découlant de la Loi. Chaque année, nous menons en outre des centaines d’activités d’évaluation, y compris des examens et d’autres activités de surveillance, afin de nous assurer que les entreprises s’acquittent de leurs obligations.
Lorsque nous constatons un manquement à la conformité, le CANAFE a recours à un ensemble de mesures d’application de la Loi, dont des pénalités administratives pécuniaires. En vertu de la Loi, les sanctions sont imposées pour encourager les entreprises à modifier leurs comportements non conformes. La Loi et ses règlements connexes établissent des fourchettes de sanction pour chaque violation, les pénalités étant calculées en fonction de la nature des violations. Nous rattachons régulièrement à nos sanctions l’obligation de soumettre un plan d’action assorti d’exigences strictes en matière de suivi et de production de rapports en vue de remédier aux lacunes observées.
L’année dernière, j’ai informé les entreprises que nous allions renforcer concrètement nos mesures d’application de la Loi à l’encontre des entreprises qui n’assument pas leurs responsabilités en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. Depuis lors, nous avons infligé les quatre sanctions les plus importantes de l’histoire du CANAFE. Au total, nous avons émis l’an dernier 12 avis de violation pour un montant de plus de 26 millions de dollars. Nous avons également saisi les autorités chargées de l’application de la Loi d’un nombre sans précédent de cas de non-conformité en vue d’une éventuelle enquête criminelle.
J’ai eu le plaisir de rencontrer les PDG et les conseils d’administration des plus grandes institutions financières au cours de l’année écoulée pour discuter des risques multiformes auxquels le secteur est confronté et de la manière dont nous pouvons travailler ensemble pour y faire face. Lors de ces réunions, j’ai clairement indiqué que le respect de la loi ne devait jamais être considéré comme un coût ou une dépense. Nos efforts collectifs ne doivent pas subir les contrecoups des difficultés ou des ralentissements économiques.
Le blanchiment d’argent n’est pas un crime sans victime. Les produits de la criminalité proviennent du trafic de drogue, de la fraude, de la traite des personnes et de l’exploitation sexuelle des enfants en ligne. Le secteur privé, le gouvernement et les forces de l’ordre doivent faire front commun pour lutter contre des agissements aussi odieux. C’est notre devoir moral et social. C’est impératif.
Si la Loi est respectée, le CANAFE reçoit les informations nécessaires à la production des renseignements financiers dont les organismes canadiens chargés de l’application de la Loi et de la sécurité nationale ont besoin pour s’acquitter de leurs tâches. En 2023-2024, nous avons produit plus de 4 600 dossiers de communication de renseignements financiers à partir de 1 783 divulgations distinctes portant sur près d’un million de transactions pour une valeur totale de 44 milliards de dollars. Nos renseignements financiers ont ainsi contribué à 266 enquêtes majeures, nécessitant des ressources considérables, et à des centaines d’autres aux échelons municipal et provincial. Nous appuyons également le travail d’enquête de nos collègues internationaux.
En conclusion, il faut un réseau fort, bien outillé et résolument engagé pour venir à bout des réseaux criminels et terroristes modernes. Le Canada a absolument besoin du CANAFE pour pouvoir lutter contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et le contournement des sanctions, et ainsi protéger le pays et sa population.
Je vous remercie. Je me ferai un plaisir de répondre à vos questions pour contribuer à l’avancement de votre étude.
La présidente : Merci beaucoup. Avant de céder la parole au vice-président du comité, j’aimerais revenir un instant à notre réunion d’hier. À la fin de la séance, le sénateur Deacon a posé une question au surintendant à la suite de nos échanges concernant la teneur des obligations de chacun et la manière dont elles s’articulent. Je pense que tout le monde a été un peu surpris d’apprendre que les institutions financières ne sont absolument pas obligées de signaler au BSIF les comportements répréhensibles ou criminels. Sont-elles obligées d’informer directement le CANAFE lorsqu’elles découvrent ou craignent quelque chose?
Mme Paquet : Cela s’inscrit dans le cadre de notre régime. Les institutions financières sont tenues de déclarer différentes transactions. Il existe des seuils à partir desquels elles doivent communiquer des informations au CANAFE. Il peut s’agir d’une transaction importante en espèces ou d’une transaction tout à fait légale. C’est simplement un seuil de déclaration.
Les institutions doivent également signaler les transactions suspectes. Lorsqu’elles voient une transaction qui correspond à un indicateur de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme, elles doivent faire une déclaration d’opérations douteuses. Il n’y a pas de seuil pour cela. Il peut s’agir d’une transaction de 6 $. C’est ainsi que l’on nous transmet l’information au moyen de déclarations.
Pour répondre plus précisément à votre question, si une institution financière constate qu’un problème important et urgent pourrait se poser, elle communique avec nous pour nous signaler qu’elle va produire une déclaration sur un enjeu d’importance et que nous devons nous préparer en conséquence.
La présidente : Je pense que nous pourrons y revenir au fil de nos échanges d’aujourd’hui. Nous allons maintenant passer au sénateur Loffreda pour amorcer la période officiellement consacrée aux questions des membres du comité.
Le sénateur Loffreda : Merci. Je pense que nous avons été récemment à même de constater que de nombreuses organisations criminelles ont dorénavant des ramifications internationales, la criminalité financière n’échappant pas à cette règle. Comment le CANAFE collabore-t-il avec les instances internationales dans sa lutte contre la criminalité financière? Pouvez-vous nous dire si un renforcement des partenariats ou de nouvelles tendances peuvent être observés dans ce contexte?
À la lumière de ma très longue expérience du secteur bancaire, j’estime que la formation et la sensibilisation sont deux aspects vraiment primordiaux. Les banquiers doivent avoir une formation à jour. Si on considère ce qui s’est produit avec la Banque TD aux États-Unis, je ne crois pas que la formation était à point. Je ne pense pas que ces banquiers étaient au fait de ce qui était en train de se passer, et ce, pour bien des raisons différentes. Quels efforts sont déployés pour offrir une meilleure formation aux partenaires du CANAFE dans le secteur bancaire et les sensibiliser davantage aux nouvelles tendances en matière de criminalité financière? Il s’agit en effet d’un environnement très dynamique où les choses sont loin d’être statiques. Et qu’en est-il des attentes quant à l’observation des règles, un sujet que nous avons déjà abordé?
Mme Paquet : Je vais d’abord répondre à votre question sur la collaboration à l’échelle internationale. Le CANAFE fait partie d’une organisation appelée le Groupe Egmont, qui regroupe 177 unités du renseignement financier de 177 pays membres. Par l’intermédiaire de ce groupe, les différentes unités ont accès au site Web sécurisé d’Egmont qui leur permet d’échanger des informations entre elles.
À titre d’exemple, un homologue à l’étranger qui enquête sur des cartels pouvant avoir des liens avec le Canada peut nous envoyer une demande par l’intermédiaire du site Web sécurisé d’Egmont. Nous utilisons alors le même site pour lui transmettre les informations requises. C’est un outil très efficace permettant aux différentes unités du renseignement financier de s’appuyer mutuellement dans le cadre d’une enquête internationale. Lors de l’invasion de l’Ukraine, les alliés occidentaux, et notamment le Groupe des cinq, ont ainsi pu mettre en commun les informations à leur disposition afin de pouvoir effectuer un suivi plus efficace relativement au contournement des sanctions.
Nous avons également ce que nous appelons des partenariats public-privé, ou PPP. Nous y avons recours lorsque nous déterminons qu’une situation présente des risques élevés, comme c’est le cas, par exemple, de l’exploitation sexuelle des enfants sur Internet. Nous mettons alors en commun nos indicateurs pour créer des alertes opérationnelles de telle sorte que nous soyons tous à l’affût du même type de comportements et que nous puissions échanger des informations entre nous. Je peux donc vous dire que les unités du renseignement financier collaborent au quotidien sur la scène internationale. C’est très efficace. L’année dernière seulement, le CANAFE a ainsi répondu à plus de 200 demandes de ses partenaires internationaux.
Pour ce qui est par ailleurs de la formation et de la sensibilisation, chaque institution financière doit avoir son propre programme d’assurance de la conformité. Ce programme doit comporter un volet formation. Si vous avez un programme, mais que vos employés ne sont pas formés en conséquence, ils ne seront pas en mesure de s’acquitter de leurs obligations. Il est très important pour le CANAFE que les entités déclarantes soient conscientes de leurs obligations. Nous organisons de nombreuses activités de formation dans le cadre de conférences et de réunions d’associations, et même des formations directes lorsque certaines entités nous le demandent. La formation est essentielle pour que les employés sachent ce qu’ils doivent rechercher et ce qu’ils doivent déclarer.
Le sénateur Loffreda : Merci.
La sénatrice Marshall : Je vous remercie de votre présence. Le Canada est connu pour être un pays propice au blanchiment d’argent. Existe-t-il un moyen de mesurer les progrès accomplis pour savoir si nous parvenons à mieux contrôler ce problème? Si c’est le cas, comment pouvez-vous en être informés? J’essaie simplement de savoir si la situation au Canada s’améliore ou continue à se détériorer.
Mme Paquet : Merci pour votre question. Le blanchiment d’argent est un énorme problème à l’échelle mondiale, et le Canada n’est pas le seul pays à être confronté à cette situation. Le CANAFE est l’une des 13 organisations fédérales qui participent à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Nous collaborons en outre avec les organismes d’application de la loi, les instances réglementaires provinciales et, comme je viens de le mentionner, des partenaires et des organismes de réglementation à l’échelle internationale.
Comment mesurer les progrès? C’est une bonne question. Notre mandat en est un de dissuasion, de détection et de prévention à l’égard de toute activité susceptible de faciliter le blanchiment d’argent. Je dirais que les partenariats public-privé, dont je parlais à l’instant, sont des outils très efficaces que nous avons mis au point au fil des 10 dernières années. Nous travaillons avec le secteur privé, avec des organismes à but non lucratif liés au crime sur lequel nous enquêtons et avec nos partenaires nationaux. La mise en commun de nos connaissances dans le cadre de ces PPP nous permet de définir les indicateurs associés aux différents crimes. Nous sommes alors en mesure de mettre en place des alertes opérationnelles à partir de ces indicateurs. Nous pouvons ainsi informer la population et les entités déclarantes des éléments qui devraient éveiller leurs soupçons. Le processus est déclenché, et nous recevons davantage de signalements liés à ces crimes. Plus les signalements sont nombreux, plus nous en apprenons sur les crimes en question et plus nous sommes en mesure d’ajouter des indicateurs à notre liste. Vous pouvez constater comme moi qu’un véritable cycle s’enclenche ainsi.
La sénatrice Marshall : Vous et vos partenaires vous en remettez à tous ces processus, mais comment pouvez-vous savoir s’ils sont efficaces? Nous dépensons des millions de dollars dans des programmes de lutte contre le blanchiment d’argent. Comment savez-vous, au bout du compte, que ces fonds sont utilisés à bon escient? Avez-vous un impact? Le blanchiment d’argent est très répandu au Canada et nous y consacrons beaucoup de temps, mais nous ne savons pas vraiment si nos programmes sont efficaces. J’aimerais savoir si tout ce que nous faisons, en examinant les différentes transactions, est efficace. Comment savez-vous que c’est le cas? Sommes-nous en train de nous contenter d’agir machinalement?
Mme Paquet : Pour terminer sur ce que je disais, lorsque nous avons lancé les partenariats public-privé, nous avons constaté une augmentation de 800 % au chapitre de la divulgation des crimes ciblés parce que les entités savaient désormais ce qu’il fallait signaler. Lorsque nous recevons de meilleures informations, nous sommes mieux en mesure de faire des signalements aux autorités chargées de l’application de la Loi.
Nous disposons d’un processus très complet d’analyse des institutions et des informations que nous recevons. Comme je l’ai dit précédemment, nous avons été en mesure d’effectuer plus de 4 000 communications de renseignements financiers aux forces de l’ordre au cours de l’année écoulée, ce qui les a aidées dans leurs enquêtes. Dans certains cas, elles étaient déjà au courant alors que, pour d’autres, elles ont institué une nouvelle enquête. On ne savait pas que cela se produisait, et grâce à la divulgation par le CANAFE, on a pu faire le nécessaire.
Il est très difficile d’avoir des indicateurs. Lorsque je vois la qualité des signalements que nous recevons, les bonnes relations que nous entretenons avec les forces de l’ordre et tous les reportages diffusés dans les médias lorsque notre travail permet d’empêcher qu’il y ait d’autres victimes, je constate sans peine que nous réalisons des progrès. Chaque jour, nous nous présentons au travail en pensant à ces victimes et à la manière dont nous pouvons être plus efficaces.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins. Mes collègues ont tenté hier d’avoir plus d’éclairage sur la situation de TD. Le surintendant n’était pas en mesure de faire des commentaires sur des cas en particulier. Peut-on le questionner un peu plus sur la TD pour en savoir davantage? À quel moment le département de la Justice vous a-t-il informés qu’il y avait un problème? Êtes-vous au courant d’autres banques canadiennes qui seraient dans la mire des autorités?
Mme Paquet : Je ne peux pas partager plus d’information que ce qui a été partagé publiquement en raison du fonctionnement. On fait un examen basé sur les risques. On a une multitude d’outils qui permettent de déterminer quel examen on doit faire au cours d’une année. C’est au moyen de ces outils qu’on avait déterminé qu’on allait faire l’évaluation de la Banque TD. Ce n’est pas comme aux États-Unis, où le ministère de la Justice doit être impliqué. Nos examens sont basés sur nos outils d’évaluation de risque.
Le sénateur Gignac : Le système bancaire canadien a été une source de fierté pour les Canadiens durant la crise financière. Ce sont nos grandes banques qui ont leur siège social au Canada. Qui prend l’initiative au Canada pour ça?
On a l’impression que c’est le ministère de la Justice. Ici, personne ne peut commenter ni en dire plus que ce qui est divulgué. Qui prend l’initiative dans la lutte contre la criminalité?
Mme Paquet : Comme j’ai tenté de l’expliquer dans mes remarques d’ouverture, pour la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, il y a beaucoup d’acteurs qui sont impliqués, dont 13 ministères et agences juste au sein du gouvernement fédéral.
Le sénateur Gignac : Je cherche le principal responsable; qui est le principal responsable? Quand il y a 13 organismes impliqués, il y a un responsable.
Mme Paquet : Le mandat du CANAFE, c’est de dissuader et de prévenir le financement du terrorisme et le blanchiment d’argent. On n’est pas le principal responsable. Le principal responsable à l’échelle politique, pour ce qui est de la législation et des règlements, c’est le ministère des Finances; notre responsabilité, c’est d’opérationnaliser et de s’assurer que la loi et les règlements sont mis en œuvre.
Le sénateur Gignac : Est-ce la ministre des Finances qui vous donne des instructions dans la mesure où elle veut vérifier toutes les pratiques d’affaires dans les banques canadiennes qui opèrent aux États-Unis, pour éviter qu’une telle expérience se reproduise? Est-ce qu’on attend que le département de la Justice américain en trouve d’autres? Si une banque comme TD a fait des faux pas, on peut se questionner sur la gouvernance et les mesures de contrôle que l’on a. Est-ce qu’il faut des instructions du sous-ministre ou de la ministre des Finances? Qui prend l’initiative pour que le Canada ne soit pas passif, mais proactif?
Mme Paquet : C’est assurément le CANAFE. Le CANAFE est une organisation indépendante et il dirige ses propres examens.
Le sénateur Gignac : Donc, c’est vous?
Mme Paquet : Oui. Excusez-moi, j’avais mal compris votre question. C’est pour cela qu’à travers cette lentille de risque, différentes banques canadiennes sont évaluées. C’est pour cette raison qu’on a décidé d’évaluer la Banque TD l’an dernier.
Le sénateur Gignac : Pouvez-vous nous rassurer sur le fait qu’à ce jour, d’après ce que vous voyez des autres banques canadiennes, il est fort peu probable de revoir ce qu’on a vu chez TD, car l’image du Canada en a pris pour son rhume?
Mme Paquet : Dans notre évaluation et notre séquence d’examen, on ne fait pas que des examens, mais aussi beaucoup d’activités de supervision. Je dois dire que l’an dernier, j’avais dit aux institutions financières que certaines d’entre elles n’en faisaient pas assez pour lutter contre le blanchiment d’argent et que le CANAFE allait mettre à niveau ses mesures de mise en œuvre de la loi et des règlements. C’est pour cette raison que vous avez vu les quatre plus importantes pénalités que le CANAFE a imposées.
Cependant, ce n’est pas parce que certaines banques ont manqué à leurs obligations qu’il y a un problème généralisé dans les institutions financières au Canada. Au cours des dernières années, le CANAFE a évalué 150 institutions financières; parmi les 33 qui ont reçu des pénalités, 9 sont des banques.
[Traduction]
Le sénateur Varone : Je vous remercie de votre présence. En jetant un coup d’œil sur la documentation, ma curiosité a été piquée et, pour faire suite à ce que le sénateur Deacon a demandé hier au BSIF, j’aimerais inverser notre vision des choses. Tous les terroristes sont des criminels, mais tous les criminels ne sont pas des terroristes. En considérant le fait que les banques ne sont pas tenues de communiquer de l’information au BSIF, au CANAFE et à tous les organismes responsables, je lis dans la documentation que « ... des renseignements transmis volontairement par la police, les organismes d’application de la loi, les organismes chargés de la sécurité, les unités du renseignement financier étrangères ... » peuvent être communiqués. Vous êtes autorisé à mettre en commun vos informations avec d’autres intervenants. Dans un autre paragraphe, il est indiqué qu’il vous est possible de le faire. Pourquoi n’êtes-vous pas obligé d’échanger de l’information et de travailler en collaboration avec tous les acteurs de la chaîne de commandement pour l’application de la Loi? Je trouve problématique que vous puissiez communiquer ces informations, mais que vous ne soyez pas obligés de le faire avec les organismes chargés de l’application de la Loi. Comment les choses se passent-elles si la police ne met pas en commun ses renseignements avec vous et si vous faites de même avec le BSIF? Il semble s’agir d’un processus volontaire qui n’a rien d’obligatoire.
Mme Paquet : Je dirais que nous n’hésitons pas à nous prévaloir des dispositions nous autorisant à mettre en commun l’information. Au CANAFE, nous considérons que nous devons divulguer ces renseignements. Lorsque nous recevons des signalements au sujet de transactions au titre desquelles il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’il y a blanchiment d’argent ou financement du terrorisme, nous les transmettons aux autorités chargées de l’application de la Loi. Si les forces de l’ordre s’adressent à nous dans le cadre d’une demande d’information à transmettre volontairement et que nous disposons de renseignements correspondant au seuil fixé, nous les leur communiquons. Nous sommes en outre autorisés à échanger des informations avec le BSIF relativement aux mesures d’assurance de la conformité, et nous ne manquons pas de le faire. De plus, le BSIF est désormais un destinataire de l’information touchant l’intégrité et la sécurité, si bien que nous lui communiquons les renseignements susceptibles de l’intéresser dans ce contexte particulier.
Le sénateur Varone : Mais cela demeure volontaire de votre part, et non obligatoire.
Mme Paquet : De la manière dont nous interprétons notre mandat, c’est une obligation. Nous devons communiquer l’information à notre disposition.
Le sénateur Varone : La GRC échange-t-elle des renseignements avec vous à tous les niveaux?
Mme Paquet : Oui, la GRC s’adresse à nous lorsqu’elle cherche des informations pour étayer son enquête. Je faisais d’ailleurs référence précédemment aux 266 enquêtes complexes pour lesquelles nous avons collaboré avec la GRC au cours de la dernière année.
Le sénateur Varone : Merci.
Le sénateur Yussuff : Merci, madame Paquet, d’être avec nous aujourd’hui. Je préfère ne pas me retrouver à votre place compte tenu des responsabilités qui vous incombent et des défis que vous devez relever. Le blanchiment d’argent est un stratagème très sophistiqué, et les individus et les groupes impliqués mettent tout en œuvre pour éviter d’être détectés et sanctionnés par vos services.
Ma collègue vous demandait tout à l’heure si nous progressions. Je vais peut-être vous poser la question un peu différemment. De toute évidence, les projecteurs sont davantage braqués sur les obligations internationales du G7, et sur notre responsabilité d’essayer d’éradiquer le blanchiment d’argent. Nous y avons été nous-mêmes exposés avec l’exemple des casinos en Colombie-Britannique et dans d’autres endroits qui a mis en lumière le blanchiment d’argent dans certains secteurs, et il est évident que nous devons mieux faire .
Compte tenu de toutes ces connaissances sur le blanchiment d’argent, diriez-vous que, dans le contexte de vos responsabilités, nous avons réalisé des progrès au cours des cinq dernières années par rapport aux cinq années précédentes? Dans quelle mesure les institutions font-elles preuve de diligence dans la détection de tels agissements, mais aussi dans la collaboration avec vous et les organismes chargés de l’application de la Loi pour mieux veiller à ce que le blanchiment d’argent n’ait pas sa place au sein du système financier canadien?
Mme Paquet : Je dirais que nous gagnons en maturité. Sommes-nous meilleurs? Je pense que oui et nous devons continuer à nous améliorer. Au CANAFE, nous avons lancé notre nouvelle vision l’année dernière : CANAFE en temps réel. Il ne suffit pas d’avoir un processus rigoureux et de fournir de bons renseignements. Il faut que ces renseignements soient fournis en temps utile pour que les organismes d’application de la loi puissent mener leurs enquêtes.
Nous avons lancé ce processus de modernisation, ce qui signifie que nous revoyons l’utilisation de nos outils et que nous les modernisons et que nous changeons l’état d’esprit de notre personnel pour nous assurer qu’il s’efforce toujours d’être plus efficace et de travailler le plus possible en temps réel. Nous simplifions nos processus afin d’augmenter le nombre de dossiers de communication que nous transmettons aux organismes d’application de la loi et de sécurité nationale.
Lorsque nous avons lancé le processus, je me suis adressée aux entités déclarantes et aux institutions financières en leur disant que si le CANAFE était capable de se donner une telle vision et une telle mission, elles pouvaient en faire autant. J’ai été heureuse de voir leur réaction. Elles investissent beaucoup d’argent dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme et nous voulons tous faire mieux. Nous venons tous au travail chaque matin en nous demandant ce que nous pouvons faire pour sauver davantage de victimes. Je pense que nous faisons mieux. Il sera toujours difficile de montrer ce que nous avons empêché de se produire, mais il est certain que notre niveau de maturité augmente, et ce n’est pas terminé. Nous devons continuer à nous améliorer.
Le sénateur Yussuff : Le public canadien lit souvent, lorsque les médias traitent du blanchiment d’argent... Dans quelle mesure êtes-vous tenus de divulguer ce que vous faites, ce que vous avez réussi à prévenir et ce que vous trouvez également? À quelle fréquence devez-vous le faire? Quelle proportion de ces renseignements est publique? Je sais que vous devez maintenir un certain degré de secret pour la survie de l’organisme. Comment le public canadien peut-il savoir dans quelle mesure cela contribue à rendre notre système conforme aux normes internationales et comment peut-il être certain que le blanchiment d’argent ne sera toléré d’aucune manière dans notre société?
Mme Paquet : Évidemment, lorsque nous travaillons avec les organismes d’application de la loi parce que nous disposons de renseignements que nous pouvons leur communiquer pour les aider dans leur enquête, nous ne voulons pas révéler à qui que ce soit que nous le faisons. C’est aussi une partie du problème, mais c’est le plus souvent dans les médias que l’on voit ces résultats. Lorsque les forces de l’ordre auront conclu une enquête ou auront engagé des poursuites, bien souvent, elles remercieront leurs partenaires, dont le CANAFE.
Le sénateur Yussuff : Or, la loi vous oblige-t-elle à divulguer vos activités et le travail que vous accomplissez efficacement au public? Êtes-vous tenus de publier un rapport sur vos activités pour une année donnée, par exemple? Après tout, ce sont les contribuables qui financent l’organisme et ils doivent en quelque sorte savoir ce qui s’y passe.
Mme Paquet : C’est dans notre rapport annuel que nous divulguons toutes nos activités.
La présidente : Par nom?
Mme Paquet : Par nom? Non, ce sera par des chiffres, le nombre d’examens et de divulgations...
La présidente : Merci. Sénatrice Martin, je sais que vous vouliez revenir sur une question. Allez-y.
La sénatrice Martin : Oui, j’ai deux questions. La première est une question complémentaire à celle qu’a posée la sénatrice Marshall. Mais, tout d’abord, je vous remercie pour le travail que vous faites. C’est un sujet de préoccupation très important pour nous tous. Je viens de la Colombie-Britannique et c’est une question qui est couverte par l’actualité depuis une dizaine d’années.
Ma question complémentaire concerne les partenariats public-privé, ou PPP, et la coopération internationale à laquelle vous participez. Vous avez dit toutefois qu’il était difficile d’avoir des indicateurs. J’allais donc vous demander quels sont les indicateurs utilisés par le CANAFE pour évaluer les résultats de ce travail de collaboration. Pourriez-vous expliquer ce que vous entendez par là?
Mme Paquet : Ce que je voulais dire, c’est que lorsque nous essayons de dissuader les criminels ou de perturber leurs activités, il est difficile de les dénombrer et d’avoir de bons indicateurs pour déterminer leur nombre et l’incidence que nous avons eue. Or, dans le cadre des PPP, lorsque nous travaillons ensemble, nous communiquons des renseignements. Nous parlons du contexte du crime. Nous en savons plus sur le crime. Nous sommes en mesure d’élaborer de meilleurs indicateurs. Nous voyons alors les résultats parce que nous recevons plus de déclarations. Lorsque nous recevons plus de déclarations, nous sommes en mesure de divulguer davantage de renseignements aux organismes d’application de la loi.
C’est pourquoi, grâce à ces partenariats public-privé, nous constatons vraiment des gains d’efficacité. Et ce n’est pas seulement à l’échelle nationale que nous constatons ces gains, car cela a été amené à l’échelle internationale au cours de la dernière année. L’échange de renseignements se fait aussi entre les pays.
La sénatrice Martin : Merci pour cette précision. De toute évidence, il s’agit d’une question de plus en plus importante, et cela se reflète dans votre budget, qui a doublé. Il est passé de 56 millions de dollars en 2020 à 112 millions de dollars l’année dernière. L’organisme a 7 millions de dollars de fonds inutilisés et n’a atteint que 50 % des objectifs avec des dépenses de 77 millions de dollars en 2023. C’est ce qui ressort du Rapport sur les résultats ministériels du gouvernement.
Je vous pose ma question. Compte tenu de cette augmentation importante du budget, comment le CANAFE justifie-t-il ses dépenses? Quelles mesures sont prises pour améliorer la reddition de comptes et veiller à ce que l’argent des contribuables soit pleinement utilisé et à ce que son utilisation se traduise par des résultats concrets? Vous en avez parlé un peu, mais puisqu’il s’agit d’une augmentation importante, pourriez-vous nous en dire davantage?
Mme Paquet : Oui, nous avons eu la chance de recevoir plus de 175 millions de dollars sur cinq ans dans le cadre des quatre derniers budgets. S’il y a des fonds inutilisés, c’est parce qu’une partie de l’argent est destinée à la modernisation de notre système de technologie de l’information. Au fur et à mesure que nous avançons dans le processus d’approvisionnement et les différentes étapes de la modernisation de notre système de TI, cet argent est dépensé uniquement à cette fin. Lorsque nous aurons conclu un contrat et que nous aurons procédé à la modernisation, vous ne verrez plus ces fonds inutilisés. Cependant, nous rendons des comptes et nous sommes reconnaissants de l’argent qui nous a été donné. Il nous a permis d’ajouter 65 employés à notre personnel.
Nous avons pris à cœur non seulement le fait que nous avons obtenu de nouveaux pouvoirs dans ce cadre, mais aussi le fait que nous avons reçu de nouveaux fonds pour moderniser notre système et qu’ils sont essentiels pour accroître l’efficacité de notre organisme.
La présidente : L’approvisionnement est donc un problème.
La sénatrice Martin : J’ai une brève question. En ce qui concerne la modernisation de votre système de TI, le système est-il interopérable? Vous avez des partenaires internationaux. Les renseignements et tout le reste peuvent-ils être communiqués partout, pour ainsi dire?
Mme Paquet : Le système que nous utilisons pour communiquer avec nos partenaires internationaux est un site Web sécurisé, celui dont je parlais plus tôt. C’est ce système qui nous permet de communiquer entre nous et il est complètement distinct du système interne du CANAFE que nous sommes en train de moderniser.
La sénatrice Martin : Je vois. Merci.
Le sénateur Fridhandler : De nombreux organismes de réglementation financière ont des programmes de dénonciation ou des programmes de récompense pour les lanceurs d’alerte. Avez-vous mis en place l’un de ces programmes, ou vos pairs dans le milieu ont-ils mis en place de tels programmes? Seraient-ils utiles?
Mme Paquet : Nous avons une ligne de dénonciation, mais nous ne l’appelons pas ainsi. Nous donnons au public la possibilité de nous soumettre des renseignements sur une base volontaire. Il y a donc cela. Notre organisme relève du gouvernement fédéral pour toute disposition concernant des actes répréhensibles. Le CANAFE n’a pas de programme spécifique, mais il y a un cadre fédéral.
Le sénateur Fridhandler : Pouvez-vous décrire brièvement ce cadre fédéral et le programme de récompense qui s’y rattache?
Mme Paquet : Je demanderais à M. Blanchette de vous donner des explications au sujet des actes répréhensibles et de la façon dont le tout fonctionne.
Philippe Blanchette, sous-directeur par intérim, Secteur de la surveillance, Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Il s’agit de la Loi sur la protection des fonctionnaires divulgateurs d’actes répréhensibles, qui concerne les actes répréhensibles dans la fonction publique. N’importe qui peut signaler un acte répréhensible de manière anonyme. Il fera l’objet d’une enquête. Tout citoyen, toute entreprise ou toute personne qui souhaite signaler quelque chose au CANAFE qui est lié à la lutte contre le blanchiment d’argent ou le financement du terrorisme peut faire une demande de communication volontaire de renseignements ou divulguer volontairement des renseignements. L’information est accessible au public sur notre site Web. Ils peuvent nous fournir ces renseignements, qui alimentent notre système. Lorsque nous les recevons, ils sont ajoutés aux renseignements financiers dont nous disposons.
Avec cette demande volontaire et les renseignements dont nous disposons sur les transactions, toute cette information pourrait fournir des motifs raisonnables de soupçonner quelque chose que nous pourrions divulguer concernant des renseignements financiers. Il n’y a pas de programme de récompense, mais il existe un moyen pour les gens de signaler des choses qu’ils ont vues ou vécues relativement à la lutte contre le blanchiment d’argent. Nous prenons cela d’un point de vue transactionnel, et nous pouvons le divulguer aux forces de l’ordre s’il existe des motifs raisonnables de soupçonner quelque chose.
Le sénateur Fridhandler : Sur ce deuxième élément, qu’en est-il de votre travail lié aux monnaies virtuelles ou aux cryptomonnaies? Avez-vous des outils? Y a-t-il des lacunes à combler qui relèveraient peut-être du mandat du CANAFE?
Mme Paquet : Je vais demander à Mme Ryan de répondre à cette question.
Annette Ryan, sous-directrice, Secteur des partenariats, politiques et analyse, Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada : Merci. Nous disposons d’outils très efficaces sur différents plans. Depuis juin 2020, nous exigeons que tous les fournisseurs de services d’actifs virtuels — essentiellement les négociants en cryptomonnaies — au Canada ou tous les négociants en cryptomonnaies étrangers qui ont des relations d’affaires au Canada s’inscrivent auprès de notre organisme. Ils ont commencé à faire rapport en juin 2021. Essentiellement, cela nous donne un aperçu de l’empreinte de ce monde virtuel au Canada. C’est un très bon moyen d’examiner le secteur.
Nous avons également reçu des fonds pour pouvoir disposer d’outils analytiques spécialisés qui nous aident à dégager certains des aspects techniques spécialisés. En fait, cela nous permet de très bien examiner le secteur et de suivre l’argent.
Mme Paquet : J’ajouterais que nous recevons de bons rapports de la part des négociants de monnaies virtuelles. Nous avons été en mesure de communiquer des renseignements qui donnent un droit d’action aux forces de l’ordre et nous avons obtenu des résultats. Nous avons également trouvé notre premier négociant de monnaie virtuelle l’année dernière en utilisant la technologie d’analyse de la chaîne de blocs pour effectuer l’examen.
La présidente : J’ai une brève question à poser à M. Blanchette. Le sénateur Fridhandler parlait de récompenses pour la participation. Je veux parler de l’autre aspect de la question, à savoir la protection. Au cours de la dernière année, des fonctionnaires se sont exprimés sur de nombreuses questions. Il s’agit d’une opération risquée. Nous posons beaucoup de questions sur le fait que l’on ne peut pas dire grand-chose sur la Banque TD, mais comment protégez-vous les gens qui dénoncent?
M. Blanchette : Oui, ils bénéficient de la même protection que toute autre personne qui transmet des renseignements au CANAFE. Nous protégeons vigoureusement nos renseignements; c’est l’essentiel de notre mandat. Lorsque nous divulguons des renseignements, c’est sur la base des transactions et des renseignements financiers. Ce n’est pas nécessairement sur la base de la plainte ou de l’observation qui nous a été soumise de façon volontaire.
La présidente : Je vais maintenant revenir à la sénatrice Marshall. Lorsque l’on a dit que des progrès étaient réalisés, j’ai compris que vous vouliez intervenir à nouveau.
La sénatrice Marshall : J’aimerais en savoir un peu plus sur votre programme de conformité. Lorsque je lis votre rapport annuel et d’autres documents, je m’interroge sur vos agents de conformité. Sont-ils présents en tout temps dans les bureaux du CANAFE, ou sont-ils, en fait, dans les organisations que vous êtes chargés de surveiller? Donnez-moi des détails.
Mme Paquet : Je vous remercie de la question.
Monsieur Blanchette, voulez-vous nous expliquer le processus?
M. Blanchette : Oui, nous avons un programme de conformité. Nous avons beaucoup parlé de l’examen et des sanctions, mais en fait, nous commençons par aider les entités déclarantes. Ensuite, nous procédons à une évaluation, et il existe différents outils d’évaluation. Lorsque nous faisons un examen, nous devons généralement nous rendre sur place. Nous échangeons des renseignements. Nous nous rendons sur place. Nous disposons de certaines périodes. Un examen peut durer de 6 à 12 mois, voire 18 mois, en fonction de la complexité de la situation. Il y a une période pendant laquelle l’entité nous soumet des renseignements. Nous les analysons. Il y a un échange de renseignements, puis nous visitons les entités déclarantes sur place.
Il existe plusieurs autres outils de supervision, comme les questionnaires sur les risques, étayés par des éléments probants. Sur ce point, nous procédons plutôt à une vérification sur place. Cela se ferait à l’interne. Si nous avons d’autres questions ou si nous devons vérifier quelque chose parce que nous voyons des incohérences, nous nous rendons également sur place.
La sénatrice Marshall : En consultant votre site Web et votre rapport annuel, j’ai pensé à l’Agence du revenu du Canada et au travail qu’elle accomplit, par exemple, au sujet de l’économie clandestine. Est-ce que vous mettez l’accent sur le travail qui consiste à informer les institutions, ou s’agit-il de garder un œil sur ce qu’elles font? Sur quoi axez-vous vos efforts? L’Agence du revenu du Canada met l’accent sur l’information. Est-ce que c’est le cas pour vous?
M. Blanchette : L’accent est mis sur l’évolution globale, n’est-ce pas? Nous informons, nous évaluons et nous appliquons la loi si nécessaire. Nous mettons l’accent sur l’ensemble du continuum. Nous pouvons fournir des questionnaires sur les risques et procéder à un examen. Nous pouvons procéder à une vérification sur place ou utiliser une approche ciblée. Par exemple, si nous avons des prêteurs hypothécaires à haut risque, nous pouvons nous rendre sur place et mesurer le risque. Il se peut que nous trouvions 15 organismes sur lesquels nous souhaitons obtenir davantage de renseignements. Nous cherchons à savoir s’ils respectent notre loi et nos règlements. Il ne s’agit pas nécessairement d’informer les gens à ce stade. Il s’agit en fait de vérifier la conformité et de voir s’ils respectent les obligations qui leur incombent.
La sénatrice Marshall : En supposant que la chaîne de montage soit à 100 %, quelle part représente le volet information et quelle part représente le travail concret? Lorsque vous avez dit « vérification sur place », une alarme s’est déclenchée dans ma tête.
M. Blanchette : Oui. Tout ce qui aboutit à une mesure exécutoire aura fait l’objet d’un examen rigoureux. En ce qui a trait au temps consacré, la partie la plus complexe, à laquelle nous consacrons beaucoup d’efforts, est celle des évaluations et des examens que nous menons de façon rigoureuse. C’est cet aspect qui requiert beaucoup de travail de la part des membres de notre équipe.
Si vous me demandez de parler d’efforts, ils sont là, mais une grande partie est consacrée à informer les gens et à s’assurer qu’ils savent pourquoi nous faisons ce que nous faisons et pourquoi il est important de se conformer à la loi et aux règlements.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.
La présidente : Je dois revenir à Mme Paquet un instant. En réponse à plusieurs questions, vous avez dit : « Nous pensons que nous obtenons de meilleurs résultats. Nous faisons de gros efforts. Nous avons l’impression de faire un meilleur travail. » J’en reviens à la question initiale de la sénatrice Marshall : comment mesurez-vous la réussite? Il doit y avoir de véritables indicateurs et des crochets à côté de cases qui disent : « Nous avons fait des progrès. Nous attrapons plus de malfaiteurs. »
Mme Paquet : Puisque nous ne faisons pas d’enquêtes, nous ne sommes pas ceux qui attrapent les malfaiteurs, mais j’invite Mme Ryan à parler du cadre.
Mme Ryan : D’accord, je vous remercie. Un cadre de gestion du rendement a été créé et rendu public. Il existe un modèle logique pour l’ensemble des intervenants, qui explique comment les différentes agences fédérales travaillent ensemble pour obtenir ces résultats. Ce modèle a été rendu public en mars 2023 sur le site Web du ministère des Finances. Il aborde bel et bien les mesures de la réussite du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, sur le plan de notre évaluation et du reste. À la fin de la chaîne, il y a aussi les enquêtes, les poursuites et les mesures qui sont plus proches des résultats. Cela correspond peut-être à ce que vous recherchez, sénateurs.
La sénatrice Marshall : Madame Paquet, vous avez dit tout à l’heure qu’il y avait 13 ministères ou agences qui participent à la chaîne. Qui est le chef de file? En fin de compte, les Canadiens se considèrent comme un pays où l’on blanchit de l’argent. Nous avons même notre propre expression, le « blanchiment à la neige ». Les Canadiens veulent être assurés que nous faisons des progrès dans ce domaine. Vous dites qu’il existe 13 organisations. Qui les coordonnent pour assurer aux Canadiens que nous avançons?
La présidente : C’est ce que le sénateur Gignac a également fait valoir. Nous avons donc besoin d’un...
Mme Paquet : Sur les 13, le ministère des Finances est sans l’ombre d’un doute le chef de file en matière de politiques. C’est lui qui réunit les 13 ministères. Or, les 13 ont tous des rôles différents. De la même manière, nous sommes opérationnels, donc nous sommes responsables de la mise en œuvre et du respect de la loi et des règlements. La loi établit le régime des sanctions. La GRC est responsable de son application. Les postes frontaliers sont responsables de ce qui se passe aux frontières. Le responsable de la politique est sans aucun doute le ministère des Finances, mais nous avons tous des responsabilités différentes, dont certaines sont nichées et d’autres sont le fruit d’une collaboration.
La présidente : Lorsque vous parlez du responsable de la politique, ce n’est pas — je pense qu’on essaie de savoir qui est chargé de ces opérations. Oui, il est vrai que vous pouvez et devez parfois vous parler, mais si un dénonciateur vient vous voir et vous dit : « Nous pensons que cette activité de blanchiment d’argent est en cours », prenez-vous automatiquement l’initiative parce qu’il s’est adressé à vous? Ou bien allez-vous confier l’affaire à la GRC? Nous essayons de comprendre comment le mécanisme fonctionne sur le plan opérationnel.
Mme Paquet : Si un dénonciateur s’adresse à nous, nous le ferons en effet, mais c’est le ministère des Finances qui chapeaute le tout.
La présidente : Or, nous parlons d’événements réels, pas de grandes idées ou de cadres sur la manière dont le gouvernement réagit. Nous nous demandons comment nous traitons les comportements répréhensibles. Comment pouvons-nous intervenir plus rapidement en temps réel? Comment mettre à profit toutes les agences? Qui décide de l’identité des personnes à inviter à la table les 15 premières minutes?
Mme Ryan : Je vois. Entre nous, nous savons clairement qui est responsable de quelle étape de la chaîne. La directrice a décrit comment les dénonciateurs peuvent s’adresser à nous par le portail qui se trouve sur notre site Web. Il explique comment les gens peuvent nous transmettre des informations.
Nous maintenons également des mesures pour la protection de la vie privée et des droits constitutionnels, qui sont également importants, afin de définir la raison pour laquelle nous avons des entités distinctes. Or, nous avons des règles et des procédures pour déterminer quand et comment nous pouvons transmettre ces informations à la GRC, qui a à son tour établi des règles et des procédures pour mener une enquête, porter des accusations et engager des poursuites.
Le ministère des Finances intervient lorsqu’il y a des lacunes dans la législation, que ce soit dans notre loi ou le Code criminel, ou lorsqu’il manque des investissements, et ainsi de suite. Cependant, nous savons très clairement qui fait quoi et comment nous coordonnons nos activités.
Le sénateur Loffreda : J’aimerais poser une question sur l’approche fondée sur le risque. L’analyse des risques est toujours une priorité. Comment mettez-vous en œuvre une telle approche lors de l’évaluation des institutions? Quels sont les critères utilisés pour donner la priorité à certaines, et y en a-t-il qui sont vérifiées plus fréquemment compte tenu de ce qui s’est passé récemment? Ma question portait sur les tendances actuelles et les risques émergents, mais allez-vous modifier votre approche basée sur les risques en fonction de ce qui s’est passé avec la Banque TD?
Je voudrais juste faire un commentaire : j’ai souvent entendu dire que le Canada ne faisait pas un travail exceptionnel en matière de blanchiment d’argent. Or, j’ai regardé l’indice Basel de lutte contre le blanchiment d’argent, qui classe le Canada 94e sur 152 pays, avec un score de 4,68 sur 10. Transparency International Canada classe le Canada 13e sur 180. Peut-être pourriez-vous commenter ces chiffres. Avec les commentaires que j’ai entendus ce matin, j’aurais cru que notre classement serait bien pire.
M. Blanchette : Je peux parler de l’approche fondée sur le risque. À ce chapitre, au cours des deux dernières années, nous nous sommes réorganisés pour adopter une meilleure méthode fondée sur les risques. Elle nous permet de dégager des tendances et des analyses, comme vous venez de le dire. Auparavant, nous procédions par cycle. Nous suivions un cycle, et tous les cinq ans, la banque avait un cycle et réalisait un examen, et ainsi de suite. Dans l’analyse basée sur le risque, nous considérons différents risques pour différents secteurs afin de décider quel type d’activité de supervision nous allons entreprendre, avec qui et quand. C’est notre base de risques.
Nous examinons les indicateurs, qu’il s’agisse du volume des transactions, des types de services, des antécédents en matière de conformité ou de tout événement susceptible d’être signalé dans les médias. Ce sont tous des éléments qui alimentent notre base de risques. Ces données nous permettent également d’évoluer. Notre directrice a parlé du temps réel. Cela nous permet de faire évoluer notre modèle de conformité, nos efforts de conformité et notre activité de surveillance dans l’instant, ce qui signifie que lorsqu’il y a un événement, nous pouvons décider d’intervenir et d’effectuer une activité de surveillance. Ce n’est pas parce qu’une activité ne figurait pas sur la liste au début de l’année que rien ne changera au fil du temps.
C’est ainsi que nous mesurons le risque, mais il existe plusieurs indicateurs de risque. Nous en examinons environ 23, mais ils changent également. Lorsque nous avons déterminé notre risque, nous nous sommes basés sur les risques inhérents nationaux dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme, qui est publié par le ministère des Finances du Canada tous les deux ou trois ans. Le dernier remonte à 2023. Il porte sur les tendances en matière de blanchiment d’argent et de financement du terrorisme. Il établit le risque par secteur et par activité, ce qui alimente notre modèle basé sur le risque.
La présidente : Je vous remercie.
Le sénateur Loffreda : Qu’en est-il de notre évaluation et de notre classement en matière de blanchiment d’argent? Nous pourrions faire mieux, mais où nous situons-nous à l’échelle internationale?
Mme Ryan : Si vous me le permettez, monsieur le sénateur, notre pays fait l’objet d’un examen international très rigoureux par des pairs tous les 10 ans. Lors du dernier examen effectué par le Groupe d’action financière internationale, qui est l’organe international d’évaluation par les pairs, le Canada a été jugé comme ayant de nombreux points forts qui ne figurent pas nécessairement dans les rapports des médias sur le Canada en tant que régime. Par exemple, lors de ce dernier examen, le Canada a été considéré comme ayant une approche très raisonnable de supervision basée sur le risque des [difficultés techniques]. Nous nous préparons actuellement pour le prochain examen décennal par des pairs internationaux.
La présidente : Existe-t-il un classement international? Je pense que c’est ce que...
Mme Ryan : Il y a actuellement des classements pour une série de critères.
La présidente : Nous n’avons probablement pas assez de temps pour passer en revue tous ces éléments.
Le sénateur Varone : Je comprends parfaitement que vous soyez l’une des 13 organisations dirigées par le ministère des Finances, mais ne souffrez-vous pas d’une perte de crédibilité lorsque l’amende la plus salée a été infligée à une banque canadienne, la Banque TD, et que personne n’a été emprisonné? Aucune accusation n’a été portée contre les personnes qui ont commis ce crime. Dans la vie de tous les jours, les crimes doivent être punis, et les seules personnes qui ont payé dans le cas de la Banque TD sont les actionnaires.
Mme Paquet : Comme je l’ai dit plus tôt, notre mandat est de veiller à ce que les institutions respectent les règlements. Il s’agit d’un processus administratif non punitif. Lorsque nous imposons des sanctions, comme nous l’avons fait l’année dernière, elles sont liées au non-respect de la loi. Ce ne sont pas des infractions criminelles.
Le sénateur Gignac : Premièrement, comment établissez-vous vos pénalités? Je remarque que le département de la Justice des États-Unis a exigé 1,8 milliard de dollars à TD. Je pensais qu’il manquait un zéro, mais apparemment, il n’y a que 9 millions de dollars de pénalités du CANAFE. Comment déterminez-vous le montant des amendes?
[Français]
Mme Paquet : À l’intérieur de notre cadre législatif, il y a 200 violations qui sont possibles en vertu de la loi. Il y a un guide qui évalue ces violations et détermine les montants qui y sont associés. Dans le cas de TD, on est allé au bout de notre autorité.
Le sénateur Gignac : Les gens sont surpris du petit montant que le Canada impose.
[Traduction]
Est-ce que le Royaume-Uni a le même modèle que nous, avec 13 ministères différents? En fait, la banque centrale du Royaume-Uni a beaucoup plus de pouvoir, que ce soit la politique monétaire, la stabilité financière, la réglementation, et ainsi de suite. Sommes-nous structurés de la même manière qu’au Royaume-Uni, ou avons-nous un responsable? Échangez-vous avec votre homologue?
[Français]
Mme Paquet : Oui, on parle à nos contreparties constamment, mais on est structuré différemment.
[Traduction]
Mme Ryan : Oui, le mécanisme est absolument similaire dans tous les pays. Il existe un certain nombre de départements, d’agences et de ministères qui coopèrent de la même manière qu’au Canada. Au Royaume-Uni, si je puis me permettre, l’unité du renseignement financier n’est pas hébergée dans la même entité que la supervision. Ils réfléchissent d’ailleurs à la façon dont cela affecte leur capacité de coordination.
Le sénateur Gignac : Pour répondre à la question qui vous a été posée trois fois, est-ce le ministre des Finances qui mène la barque, est-ce le chancelier, ou est-ce différent?
Mme Ryan : Essentiellement, la plupart des pays sont coordonnés soit par le ministère des Finances, soit par le ministère de la Sécurité publique. Dans certains cas, la coordination se fait davantage par la banque centrale.
Mme Paquet : Il est important de comprendre que les unités du renseignement financier sont indépendantes. L’examen ne doit être dirigé par le ministère dans aucun pays. C’est un critère important que toutes les unités du renseignement financier doivent respecter.
La présidente : Je vous remercie, mesdames et messieurs. Merci beaucoup d’être venus aujourd’hui et d’avoir répondu à notre flot de questions. J’espère que vous reviendrez.
Sénateurs, comme vous le savez, nous menons une étude sur le mandat de la Banque du Canada et sur ce qui devrait relever d’elle. Nous avons un expert en la matière. Je suis très heureuse que nous recevions M. James K. Galbraith, professeur à l’École des affaires publiques Lyndon B. Johnson de l’Université du Texas à Austin. Il a écrit et parlé de ce sujet à de nombreuses reprises et il s’est déjà joint à nous à d’autres occasions. Je vous souhaite à nouveau la bienvenue à notre comité. Je suis sûre que vous avez des remarques préliminaires à présenter, monsieur Galbraith. Allez-y, je vous prie.
[Français]
James K. Galbraith, professeur, École des affaires publiques Lyndon B. Johnson, Université du Texas à Austin, à titre personnel : Je vous remercie. C’est un très grand plaisir pour moi d’être ici avec vous aujourd’hui, étant donné surtout les origines canadiennes de ma famille.
[Traduction]
Le cadre de la politique monétaire canadienne est un énoncé de l’économie conventionnelle basée sur l’agréable fiction d’une banque centrale ayant une portée psychologique dans les rouages de la société canadienne et une liberté d’agir par rapport aux conditions et aux décisions prises au sud de la frontière. C’est le sens des termes « ciblage », « attentes », « crédibilité » et « indépendance ».
En fait, depuis 2015 environ, le dollar canadien évolue dans une fourchette très étroite par rapport au dollar américain. La fourchette est d’environ 1,2 à 1,4, alors qu’elle a atteint un minimum de 1,6 en 2002 et un maximum de 0,94 en 2007. Ces chiffres, ainsi que les taux d’intérêt canadiens par rapport aux taux américains, sont révélateurs. Il s’ensuit que l’inflation, le chômage et la croissance au Canada suivent également de près leurs équivalents américains. Il ne peut guère en être autrement.
L’objectif d’inflation de 2 % a été énoncé avec fierté en 2021 en fonction de la faible inflation des années précédentes. Or, la réalité a frappé de plein fouet lorsque les prix ont commencé à flamber après la pandémie, sous l’effet des coûts de l’énergie et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement.
Devant des conditions qui génèrent effectivement une hausse des prix, les banques centrales des États-Unis et du Canada ne pouvaient rien faire d’autre que d’augmenter les taux d’intérêt, dans le but d’imposer un ralentissement économique et de faire baisser les prix par la privation.
Les banques ont commencé à le faire en mars 2022, et le taux américain n’avait augmenté que de 75 points de base lorsque le taux d’inflation a atteint son maximum en juin 2022, puis a commencé à diminuer. Il n’y a pas eu de récession, de hausse du chômage ni aucun autre effet habituel d’une politique monétaire restrictive, et il n’y en a pas eu depuis. Il faut donc croire soit que les banques centrales ont effectivement une emprise magique sur les attentes et les comportements, soit que leurs actions n’avaient aucune incidence sur un taux d’inflation qui était susceptible de diminuer de toute façon.
Aux États-Unis, malgré ce que disent souvent les économistes et les banquiers centraux, la Réserve fédérale n’est pas juridiquement indépendante. Elle est un instrument du Congrès, qui lui a confié un mandat de plein emploi et de stabilité des prix. Le principal avantage de ce mandat est qu’il empêche la banque centrale de parler franchement et de fonctionner, sous le prétexte qu’elle se limite à un seul objectif, alors qu’elle a en réalité d’autres priorités.
Il se peut que les objectifs d’emploi et de croissance ne puissent pas être atteints avec précision par la politique de la banque centrale, même dans un grand pays comme les États-Unis. La politique budgétaire a été mise à contribution lors de la pandémie. C’était évident, mais il est également vrai que les banques centrales ne peuvent pas contrôler l’inflation.
En effet, la pratique consistant à confier le contrôle de l’inflation aux banques centrales, comme le reconnaissent les économistes, est une théorie qui n’existe plus depuis longtemps. Peut-être qu’il serait bon d’en tenir compte lorsque le cadre de la politique monétaire sera révisé selon le calendrier prévu.
Je vous remercie de votre attention et je me réjouis de répondre à vos questions.
La présidente : Je vous remercie infiniment de vos remarques franches et ciblées. Elles vont beaucoup nous aider dans notre étude sur ce sujet. Commençons par le sénateur Loffreda.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie d’être ici ce matin. Ma fille a étudié à l’Université du Texas à Austin. Je suis un peu partial, mais c’est une excellente université. Je vous remercie de votre présence.
Nous pourrions remettre en question la politique monétaire du Canada, ce qui conduit parfois à de meilleures politiques futures plus réfléchies et à des mesures préférables. Mais si nous considérons les 50 dernières années, à quel point devrions-nous critiquer? J’aimerais plutôt savoir si vous pouvez en dire plus sur les forces ou les faiblesses particulières qui ressortent et qui pourraient être améliorées.
Je sais que le mandat de la Banque du Canada est différent de celui des autorités fédérales. Avec la récente victoire de Donald Trump et l’imposition potentielle de droits de douane sur les produits canadiens, faut-il mettre davantage l’accent sur la gestion de l’évaluation des devises? Vous en avez brièvement parlé, dans le but de nous rendre plus compétitifs à l’échelle internationale. Quels ajustements ou stratégies pourraient potentiellement renforcer le cadre dans lequel nous travaillons actuellement?
M. Galbraith : Je n’ai pas formulé mes remarques dans le but de critiquer la politique actuelle de la banque centrale canadienne, mais plutôt pour discuter du cadre, qui n’est manifestement pas étroitement lié à la politique actuelle. Si vous regardez les chiffres, il est clair que depuis au moins 2015, le taux de change du dollar canadien a été maintenu dans une fourchette relativement étroite par rapport au dollar américain.
Je ne peux pas dire s’il s’agit d’une bonne ou d’une mauvaise politique. Je pense que les raisons qui la justifient sont raisonnables et qu’elles reflètent bien que nous faisons partie d’une économie nord-américaine unique et intégrée.
Déprécier le dollar canadien pour accroître la compétitivité internationale aurait deux effets. Premièrement, les prix des produits en provenance des États-Unis seraient évidemment plus élevés. Deuxièmement, il serait possible d’obtenir un avantage sur les marchés tiers à long terme, mais il s’agit d’un processus très lent.
Je suis peu enclin à croire que l’on puisse manipuler les taux de change, en quelque sorte, pour améliorer la compétitivité de l’industrie canadienne. Cela doit vraiment faire l’objet d’une stratégie industrielle concertée et axée sur des cibles particulières et sur les compétences des entreprises canadiennes, soit celles des secteurs industriels qui ont un accès potentiel aux marchés mondiaux.
Le sénateur Loffreda : Je vous remercie. Vous avez dit que nous faisons partie d’une économie nord-américaine unique et intégrée. Je suis d’accord, mais compte tenu de la récente victoire de Donald Trump, qui préconise l’isolationnisme, croyez-vous toujours que ce sera le cas dans l’avenir? Comment devrions-nous adapter la politique monétaire, selon votre point de vue? Quelle est votre opinion à ce sujet ?
M. Galbraith : Malgré la stratégie de Trump, qui pourrait entraîner des droits de douane supplémentaires au Canada — comme cela s’est déjà produit dans le passé, notamment sous George W. Bush relativement au bois d’œuvre, comme vous vous en souvenez certainement —, je pense que détacher l’économie canadienne de celle des États-Unis n’est pas une option pratique, étant donné qu’un président américain, même avec tous les pouvoirs dont il dispose, ne peut pas changer le fait que les deux pays jouissent d’une proximité géographique.
Une politique plus protectionniste aux États-Unis aura plutôt une incidence sur les entreprises ayant des activités en Europe. Elles pourraient, par exemple, délocaliser leurs usines en Amérique du Nord. Quant aux sociétés qui exercent leurs activités en Asie, elles peuvent trouver avantageux, notamment les fabricants chinois de véhicules électriques, de ne pas déployer beaucoup d’efforts pour vendre sur le marché nord-américain et de plutôt se concentrer sur d’autres régions du monde, ce qui peut se révéler très profitable pour elles.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup d’être ici ce matin. Nous voyons beaucoup d’articles dans les médias concernant le dollar canadien. On s’attend à ce qu’il faiblisse. Dans vos remarques préliminaires, vous avez mentionné — ou j’ai eu l’impression que vous disiez cela — que vous ne pensez pas que ce sera une conséquence de la présidence de Trump. Est-ce exact? Nous nous attendons à ce que le dollar baisse considérablement en raison de l’imposition de droits de douane, etc. Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur ce que vous avez dit plus tôt à cet égard?
M. Galbraith : Je veux éviter de faire des prévisions, car la situation dépendra bien sûr de...
La sénatrice Marshall : Je fais de mon mieux.
M. Galbraith : Ce que je fais observer, c’est que, depuis une dizaine d’années, la politique adoptée a contribué à maintenir une parité relativement stable. Auparavant, il y avait des fluctuations considérables, et on a décidé de suivre cette politique au cours de la dernière décennie.
Comment cela s’est-il produit? Je pense que c’est en grande partie en maintenant la parité des taux d’intérêt américains et canadiens. Les taux d’intérêt des deux pays ont évolué de façon très similaire. Ils ont baissé pendant les périodes de crise, et les taux d’intérêt canadiens ont commencé à augmenter en même temps que les taux d’intérêt américains. Cela me laisse penser qu’il s’agit principalement d’un phénomène lié aux marchés financiers.
Est-ce qu’un nouveau facteur, tel que l’imposition de droits de douane importants, pourrait avoir des conséquences à cet égard? Oui, c’est possible.
La sénatrice Marshall : Vous dites qu’en ce moment, cette inquiétude n’est pas fondée?
M. Galbraith : Je ne dis pas qu’elle n’est pas fondée. Je dis simplement que cela ne s’est pas encore produit. Comme je ne veux pas risquer de faire de fausses prévisions, j’essaie d’éviter carrément de faire des prévisions.
La sénatrice Marshall : Merci.
[Français]
Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur Galbraith. Je suis honoré que vous ayez accepté notre invitation.
[Traduction]
Corrigez-moi si je me trompe, mais je pense que vous avez témoigné lorsque nous nous sommes penchés sur le double mandat de la Réserve fédérale américaine. Vous avez témoigné en 2007 et antérieurement.
Pourriez-vous nous en dire davantage. Nous analysons trois éléments, notamment la question de savoir si la Banque du Canada devrait avoir le même double mandat que la Réserve fédérale ou s’en tenir à son seul mandat, à savoir assurer la stabilité des prix? Pourriez-vous résumer ce qui a influencé votre opinion? Je pense que vous avez recommandé qu’elle assume le même double mandat que la Réserve fédérale. Nous nous demandons si ce devrait être le cas.
M. Galbraith : Oui, je vous remercie. J’étais un très jeune membre du personnel du comité des banques de la Chambre des représentants, de 1975 à la fin des années 1970, lorsqu’un petit groupe s’est réuni pour rédiger ce qui est devenu la loi Hawkins-Humphrey sur le plein emploi et la croissance équilibrée, qui comprenait des dispositions relatives à la politique monétaire. En fait, il s’agissait de dispositions relativement mineures dans le projet de loi. C’est moi qui ai rédigé une première version de ces dispositions.
Quoi qu’il en soit, on a attribué à la Réserve fédérale le mandat général de la politique monétaire des États-Unis, soit d’assurer le plein emploi, une stabilité raisonnable des prix, une croissance équilibrée et l’atteinte d’une série d’autres objectifs. En fait, il s’agit d’un mandat à plusieurs volets, mais il est désormais considéré comme un double mandat.
Cela s’est passé juste avant que les notions de ciblage de l’inflation et de monétarisme s’emparent des idées prédominantes chez les économistes dans les années 1980, 1990 et ultérieurement. La Réserve fédérale a eu ce mandat et il n’a jamais été modifié. Ce qui s’est passé en même temps — et je pense que c’est d’une importance considérable —, c’est que la Réserve fédérale a été soumise à l’obligation de présenter un rapport au Congrès sur les objectifs en matière de politique monétaire et les objectifs économiques en général, selon un calendrier régulier, qui a fini par être fixe. Au début, elle devait présenter un rapport une fois par trimestre, mais, à un moment donné, on lui a plutôt demandé d’en présenter un tous les six mois, et cela n’a pas changé depuis. C’est principalement par le biais de ce rapport que le président de la Réserve fédérale s’adresse non seulement au Congrès, mais aussi à la population. Cela a grandement amélioré la transparence à l’égard du travail de la Réserve fédérale.
Auparavant, dans les années 1970, la banque centrale était extrêmement secrète et ne voulait pas s’adresser aux représentants élus, ce qui constituait un grand problème pour le Congrès. Cette situation a radicalement changé, et on peut le constater.
Je pense que l’avantage du double mandat n’est pas tant qu’il impose une contrainte à la Réserve fédérale, mais qu’il lui permet de faire preuve de transparence et de rendre des comptes. C’est utile pour elle, et c’est la raison pour laquelle elle n’a jamais fait pression pour qu’on modifie cette exigence, parce qu’elle peut utiliser, si je puis m’exprimer ainsi, le porte-voix que lui fournit le Congrès pour faire part de ses positions au gouvernement, aux médias et au public. Je trouve que c’est une bonne chose.
C’est ainsi que la situation a évolué au cours des 50 années pratiquement qui se sont écoulées depuis que j’ai siégé au comité.
Le sénateur Gignac : Merci pour votre réponse très concrète. Si la Banque du Canada faisait preuve d’une plus grande transparence, nous pourrions atteindre les mêmes objectifs sans qu’elle ait un double mandat. Quand je lis entre les lignes, je comprends que c’est l’avantage que procurent une divulgation et une transparence accrues, mais peut-être pouvons-nous l’obtenir sans un double mandat, ou avons-nous besoin d’un double mandat? Telle est ma question.
M. Galbraith : Si vous examinez le cadre mis en place en 2021, vous constaterez qu’il fait une grande place à des concepts comme les attentes et le ciblage de l’inflation. Il précise une cible d’inflation de 2 %. Il est clair qu’au moment où ce cadre a été publié, une cible d’inflation de 2 % n’était pas réaliste parce que l’inflation augmentait dans le monde entier, en particulier aux États-Unis et au Canada. La banque centrale du Canada n’avait pas vraiment d’emprise sur ce phénomène et ne pouvait rien faire d’autre que d’emboîter le pas à la banque centrale américaine en augmentant les taux d’intérêt, ce qui ne s’est pas révélé utile pour maîtriser l’inflation. Cela n’a eu aucun effet sur l’inflation. Ce qui a eu un effet, c’est la vente de la réserve stratégique de pétrole et l’élimination de la chaîne d’approvisionnement provenant de la Chine. Ces mesures ont finalement permis de maîtriser la hausse des prix, mais la banque centrale a essentiellement joué un rôle symbolique. Sa politique a eu très peu d’effet.
Lorsqu’on se penche sur ce cadre, il convient de se demander objectivement quelle est l’incidence des leçons tirées ces dernières années sur cette discussion essentiellement théorique sur le cadre actuel.
La présidente : C’est exactement ce que nous faisons, car c’est ce que fait la Banque du Canada elle-même. Elle examine toute cette question du double mandat en regard de ce qui s’est passé après 2008 et, bien sûr, après la pandémie.
Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Galbraith, pour votre présence. Je veux parler des responsabilités de la Banque du Canada, qui n’a pas de double mandat. La stabilité des prix et l’inflation sont au cœur de ses activités. Elle s’acquitte de ses responsabilités à l’aide d’instruments très rudimentaires, car elle ne peut qu’augmenter les taux d’intérêt pour s’attaquer à l’inflation, ce qui a comme effet secondaire d’augmenter le chômage, jusqu’à ce que l’inflation diminue. Si la banque réussit à réduire l’inflation, on doit ensuite s’occuper des enjeux sociaux qui découlent de sa politique.
Si la banque avait un double mandat, devrait-elle essayer de trouver un juste équilibre, sachant qu’il peut être très dommageable d’augmenter les taux d’intérêt sans tenir compte de la façon dont les gens pourront être en mesure de subvenir aux besoins de leur famille? Compte tenu de votre expérience avec d’autres banques centrales dans le monde, pensez-vous qu’un double mandat serait une bonne chose pour la banque centrale du Canada?
M. Galbraith : Je pense que c’est une bonne chose, principalement pour la raison que je viens d’évoquer, à savoir que cela permet de discuter franchement de ce qui se passe.
En ce qui concerne la lutte contre l’inflation et le chômage, je suis tout à fait en faveur d’un effort pangouvernemental axé sur les sources réelles de l’inflation. C’est pourquoi j’ai souligné que ce qui a permis de maîtriser l’augmentation des prix aux États-Unis en 2021, c’est la vente de pétrole provenant de la Réserve stratégique, qui a fait chuter le prix du pétrole, ce qui a entraîné une baisse du prix de l’essence, et les choses ont ensuite commencé à s’arranger d’elles-mêmes. Ce n’est pas en raison de ce qu’a fait la Réserve fédérale.
Il faut se garder de croire que le simple fait de donner à la banque un mandat différent et uniquement le même instrument, à savoir les taux d’intérêt, permettra d’obtenir de grands résultats.
L’autre chose que je voudrais souligner, c’est que, l’augmentation des taux d’intérêt dans les années 1980, même si elle a eu des répercussions très graves sur le secteur industriel et sur le chômage, en plus de briser les syndicats, a permis de réduire le taux d’inflation. Cette fois-ci, cela ne s’est pas produit. Pourquoi? Il y a deux raisons. D’une part, le secteur industriel et les syndicats ne sont pas aussi forts qu’avant. D’autre part, l’énorme dette et les très grandes réserves des banques font en sorte que, lorsqu’on augmente les taux d’intérêt, on se trouve à injecter de l’argent dans l’économie. Le secteur financier est donc beaucoup plus fort que dans les années 1980. La Réserve fédérale a fait ce qu’elle fait habituellement, et les roues ont essentiellement tourné dans le beurre. Le taux d’inflation a quand même baissé, mais il s’agit de deux processus indépendants.
Le sénateur Yussuff : Étant donné que le monde évolue d’une manière très différente qu’avant, que la mondialisation est la norme et que nous devons interagir, pensez-vous que ces mandats sont toujours pertinents dans le contexte de la réalité géopolitique à laquelle nous sommes confrontés vu l’intégration des économies du monde entier?
M. Galbraith : C’est une excellente question. Fondamentalement, la faible inflation des 30 dernières années est attribuable à la mondialisation. Deux grands facteurs ont contribué à cette faible inflation. L’un a été la chute relativement importante des prix des produits de base à partir du milieu des années 1980, et l’autre a été l’entrée de la Chine sur le marché des fabricants mondiaux, ce qui signifie essentiellement que les prix ont été stables pendant 30 ans. La politique monétaire américaine, et encore moins la politique canadienne, n’a rien eu à voir avec l’un ou l’autre de ces facteurs, si ce n’est qu’elle a créé les conditions préalables. Je pense que c’est vrai.
Il est utile d’avoir un dialogue franc avec la banque centrale, mais un dialogue franc ne peut pas être basé sur des conceptions complètement artificielles. C’est le problème non seulement du cadre actuel, mais aussi du cadre de ciblage de l’inflation, de façon générale, adopté par de nombreuses banques centrales. Elles suivent ce cadre parce que les économistes ont appris que c’est ce qu’elles doivent faire, mais elles ne réfléchissent pas clairement aux conditions dans lesquelles elles suivent ce cadre.
La présidente : Pourriez-vous nous expliquer, M. Galbraith, votre conception d’une meilleure façon de faire? Tout le monde a eu l’occasion de réfléchir à ce qui s’est passé pendant et après la pandémie. Le gouverneur de notre propre banque centrale a même laissé entendre, ici même, avec beaucoup de tact que les dépenses continues, une fois le pire de la pandémie passé, lui posaient des problèmes en ce qui a trait à l’atteinte de ses cibles, ce qui renforce votre idée qu’on ne dispose que d’un seul instrument.
Si vous aviez à établir un mandat pour une banque centrale, comment l’établiriez-vous pour qu’elle puisse réagir en temps réel et avoir un plus grand impact?
M. Galbraith : D’un point de vue constitutionnel, la banque centrale américaine est une créature du Congrès. Elle a été créée par la Federal Reserve Act. Elle doit rendre des comptes au Congrès. Comme les circonstances varient — elles changent tout le temps —, je ne proposerais pas une formule universelle en ce qui a trait à la politique. La façon de procéder est d’entendre régulièrement des perspectives indépendantes. On pose des questions et on exige des réponses à ces questions. Une fois que ce processus fonctionne bien, on a la chance de prendre connaissance des circonstances auxquelles on est confronté.
Qui avait prédit la pandémie? Je sais que je ne l’avais pas prédite, mais lorsqu’elle est survenue, certaines mesures ont dû être prises, et cela a imposé au Congrès et à votre Parlement la lourde responsabilité d’agir, et c’est ce que vous avez fait. C’est généralement la bonne façon de procéder, et c’est le grand avantage de ce processus régulier, qui permet au Congrès de conserver son autorité.
Cependant, dès lors qu’on permet aux économistes de dire : « Le but de tout cela est de gérer la crédibilité et les attentes et de cibler un taux d’inflation qu’on ne peut pas contrôler », on embrouille la discussion, de telle sorte qu’on ne parle pas franchement et, par conséquent, on n’est pas en mesure de prendre connaissance de la situation et de résoudre les problèmes au fur et à mesure qu’ils se présentent.
La présidente : En ce qui concerne le mandat, la banque se présente devant les comités de la Chambre et du Sénat, mais a posteriori. Chaque fois qu’elle prend une décision en matière de taux, elle vient s’adresser à nous. Le gouvernement n’est pas censé donner des directives à la banque, mais il doit y avoir une certaine coordination.
Pouvez-vous nous dire ce que vous pensez de cette relation?
M. Galbraith : Je ne vois pas pourquoi un gouvernement élu devrait déléguer un pouvoir important, y compris celui de fixer les taux d’intérêt, exclusivement à une soi-disant banque centrale indépendante. Cela n’a aucun sens à mes yeux. Il est important qu’il y ait des personnes compétentes au sein d’une banque centrale, qui ne seront pas mises à la porte pour avoir pris une décision impopulaire, mais il n’y a aucune raison pour que le gouvernement ne les oblige pas à rendre pleinement compte de leurs actions.
Il est possible, dans des situations graves, que le gouvernement donne des directives à la banque centrale. Cela ne me pose aucun problème. En fait, au début des années 1980, précisément à la fin de 1982, j’ai rédigé des résolutions pour le compte du Congrès pour tenter de persuader la Réserve fédérale qu’il était dans son intérêt politique de réduire les taux d’intérêt. Je ne sais pas si cela a eu un effet sur la Réserve fédérale, mais elle a effectivement réduit les taux d’intérêt. J’ai donc tendance à dire que c’était à tout le moins une chose constructive à faire pour une personne ayant une certaine influence au sein du Congrès.
La présidente : La relation avec la banque centrale au Canada, la franchise des discussions et leur nature publique sont quelque peu différentes. Je sais que vous observez tout cela de loin. Pouvez-vous nous parler de la façon dont les choses se passent ici en comparaison avec votre pays?
M. Galbraith : Je ne peux pas vous donner une réponse utile. Je ne suis pas en mesure de répondre à cette question.
La présidente : Je comprends.
La sénatrice Martin : Dans vos remarques préliminaires, vous avez dit que les hausses des taux d’intérêt effectuées par la banque centrale n’avaient rien à voir avec la réduction de l’inflation. Si je vous comprends bien, notre banque centrale a imposé des souffrances aux Canadiens, sans aucun bénéfice. Je suis sûre que ce n’est pas ce que vous dites. Pourriez-vous nous donner des précisions à cet égard?
M. Galbraith : La hausse des taux d’intérêt, qui a commencé en mars 2022, n’a précédé que de trois mois et de 75 points de base le pic de la hausse des prix en juin 2022, et le taux d’augmentation des prix n’a cessé de baisser depuis. Voilà le premier point. Il est impossible d’affirmer qu’une petite augmentation des taux d’intérêt a eu un effet magique pendant trois mois, alors que toutes les augmentations importantes des taux d’intérêt étaient encore à venir et n’avaient même pas encore été annoncées à ce moment-là. C’est la première chose que je dirais.
Deuxièmement, le seul mécanisme permettant aux taux d’intérêt d’avoir une incidence sur le taux d’inflation est leur effet sur l’économie dans son ensemble, c’est-à-dire un ralentissement de la croissance, une augmentation du chômage, une diminution des hausses salariales. C’est ce qui est censé se produire en théorie. Or, la hausse des taux d’intérêt n’a eu aucun de ces effets.
Je n’aurais pas fait ces hausses. Je ne pense pas qu’elles étaient entièrement bénignes, car elles ont gelé le marché immobilier et eu d’autres conséquences. J’aurais emprunté une autre avenue si j’avais été le décideur et si j’avais eu le pouvoir, y compris le pouvoir discrétionnaire, pour agir, mais nous n’avons pas eu de récession. Le taux de chômage n’a pas augmenté, et le taux d’inflation a diminué de toute façon. Il n’est pas très facile — en fait, je pense que c’est pratiquement impossible — d’établir un lien et de trouver l’engrenage qui permet de lier les taux d’intérêt à la baisse de l’inflation. Ce sont des choses qu’on répète sans cesse dans la presse, et nous parlons d’un atterrissage en douceur, et on félicite la FED, mais je suis économiste, et lorsque nous nous penchons là-dessus et que nous examinons les sortes d’instruments ou de liens qui étaient censés exister entre la politique et son effet, nous ne les voyons pas.
J’adopterais le point de vue différent, à savoir que l’économie a subi un choc relativement aux coûts. Je tiens compte des prix du pétrole, du prix des aliments, de la chaîne d’approvisionnement et d’autres facteurs liés à la façon dont le prix des logements est calculé. Ces choses étaient intrinsèquement transitoires — pas dans le sens qu’elles allaient se résorber après un mois, mais plutôt dans le sens qu’elles allaient traverser le système sur une période de 18 mois. C’est un peu ce qui s’est produit.
Si la Réserve fédérale n’avait rien fait, il me semble que les conséquences globales auraient été très semblables à ce qui s’est produit.
La sénatrice Martin : La seule chose que je dirais, c’est : qu’est-ce qui s’est produit? Même les plus petits changements ont eu des répercussions pour les familles de partout au pays, des effets dévastateurs pour beaucoup d’entre elles. Merci pour ces précisions.
M. Galbraith : Je ne suis pas en désaccord. Je pense qu’il y a eu un effet sur les coûts, le logement et ainsi de suite. Cela ne fait aucun doute, mais ce n’est pas la voie à emprunter pour faire baisser le taux d’inflation global — pour le pétrole, les aliments et tout le reste.
Le sénateur Loffreda : Merci pour vos observations. Elles étaient très pertinentes.
D’après vos commentaires précédents, à quel point la coordination entre la politique financière et la politique monétaire est-elle importante au Canada? Nous nous penchons sur l’indépendance de la banque. Un nombre considérable de banques centrales sont juridiquement indépendantes partout dans le monde. L’indépendance varie dans la pratique. Certaines peuvent subir une influence gouvernementale, comme nous le savons tous les deux. Y a-t-il des leçons à tirer d’autres économies? Y a-t-il des exemples précis d’autres pays ou politiques monétaires que le Canada devrait examiner au moment de peaufiner son propre cadre?
M. Galbraith : Au cours de l’histoire, il y a certainement eu des exemples de pays ou de périodes où la banque centrale n’a pas fonctionné de manière indépendante. Dans les périodes de crise, il n’est pas approprié que la banque centrale soit laissée à elle-même. Je vais donner un exemple précis qui renvoie à une situation que je connais très bien. Pendant la Seconde Guerre mondiale, la tâche de contrôler l’inflation, pour que les prix restent raisonnables, a été déléguée à un organisme, l’Office of Price Administration, ou bureau de l’administration des prix. Le directeur adjoint responsable des prix dans cet organisme, de 1942 à 1943, était mon père, qui venait d’émigrer du Canada. L’office s’est acquitté de la tâche, mais personne n’a dit que la Réserve fédérale était là pour contrôler les prix pendant la Seconde Guerre mondiale. Le travail de la Réserve fédérale pendant la guerre consistait à maintenir le taux des obligations à 2 % et à veiller à ce que les marchés financiers continuent de fonctionner. C’était un très petit rôle.
C’est pendant l’après-guerre que nous avons commencé à entendre un groupe particulier d’économistes dire que la banque centrale était l’organisme clé pour s’occuper du taux d’inflation. L’argument n’a jamais semblé valable, mais je crois que les cinq années qui se sont écoulées depuis la pandémie montrent clairement qu’il ne l’est pas. Nous devons revenir sur notre façon de voir et nous éloigner d’un ensemble de doctrines qui étaient extrêmement axées sur l’aspect national, c’est-à-dire sur le modèle d’un pays autonome, comme nous en avons parlé il y a quelques minutes, un modèle qui ne correspond pas à celui de la plupart des pays et qui est extrêmement machinal en ce qui a trait au contrôle de ce à quoi on s’attend exactement, de la masse monétaire et des taux d’intérêt. C’est un peu flou, mais peu importe ce qu’il en est, le travail de la banque centrale n’est pas de contrôler le taux d’inflation.
C’est ici qu’il faut réexaminer les choses et se demander, s’il y a un problème, ce qu’il faut faire pour le régler. Dans les faits, en 2021 aux États-Unis, nous avons vendu du pétrole de la réserve. C’est cette politique de lutte contre l’inflation qui a changé la donne.
Le sénateur Gignac : J’ai deux questions.
La première porte sur la cible d’inflation de 2 %. Le Canada ne pourrait pas vraiment adopter une cible différente de celle des États-Unis, et pour donner suite à ce que vous venez de mentionner, je suis d’accord pour dire que 95 % du comportement de l’inflation entre 1990 et la pandémie était davantage lié à la mondialisation et à ce genre de choses. Si la Réserve fédérale vous consultait demain, seriez-vous d’avis que nous devons faire passer la cible de 2 % à une cible de 3 ou 4 % dans cette nouvelle réalité mondiale de fragmentation et ainsi de suite? Quelle serait votre opinion? Devrions-nous maintenir la cible de 2 %? Ou devrions-nous penser à la possibilité d’avoir une cible différente, ce qui pourrait être beaucoup plus difficile à accomplir dans le nouveau monde que nous avons maintenant?
M. Galbraith : Des économistes ont parlé, par exemple, de recommander à la banque du Japon de hausser sa cible d’inflation. Je crois qu’ils demandaient à la banque de faire des choses qu’elles ne pouvaient pas faire.
Je n’ai aucun problème avec une cible gouvernementale de, disons, 2 % pour l’inflation et 3 % pour le chômage s’il s’agit d’une cible pangouvernementale et qu’on utilise un large éventail de politiques pour atteindre cette cible et qu’on reconnaît que des choses qui nous échappent vont se produire et auront une incidence sur nous et que nous n’aurons pas toute la capacité nécessaire pour les gérer. C’est une manière raisonnable de procéder. Cela dit, lorsqu’on affirme qu’il incombe à la banque centrale d’atteindre une cible de 2 ou 3 %, peu importe ce qu’il en est, et que l’inflation se retrouve au-dessus et qu’il faut hausser les taux d’intérêt, c’est essentiellement semblable à la pratique médiévale qui consistait à prendre du sang lorsque quelqu’un était de mauvaise humeur. C’est une pratique très primitive qui n’est pas adaptée aux situations compliquées auxquelles les économies font face.
Le sénateur Gignac : Ce n’est pas dans notre mandat à proprement parler avec le spécialiste aujourd’hui, mais puisque vous êtes Canadien et que vous avez beaucoup d’expertise, je veux votre opinion.
Aux États-Unis, le gouverneur fédéral peut s’exprimer librement. Il peut voter contre la position du président de la Réserve fédérale, et tout le monde est au courant. On peut se rendre compte que ce n’est pas unanime. Au Royaume-Uni, le sous-gouverneur n’est pas nommé par le gouverneur, mais par des parlementaires, qui peuvent s’opposer publiquement à sa nomination. Au Canada, et je suis désolé de le mentionner, cela ressemble plus à un spectacle solo. On décide qui sera nommé sous-gouverneur et premier sous-gouverneur, et nous n’avons pas la moindre idée de ce qu’ils font exactement avec la politique monétaire. Nous avons une idée, mais pas de divulgation finale.
Est-ce une chose sur laquelle nous devrions nous pencher plus, à savoir la reddition de comptes et la façon de nommer le sous-gouverneur au Canada pour que l’on puisse s’exprimer plus librement et avoir une plus grande diversité d’opinions? Je pose la question, car à l’heure actuelle, nous n’avons pas de diversité d’opinions en provenance de la banque centrale.
M. Galbraith : Je pense que vous mettez le doigt sur un problème extrêmement important, plus particulièrement à une époque où la question n’est pas réglée et où la discussion devrait être ouverte. Lorsqu’une seule personne agit essentiellement comme un oracle de Delphes en ce qui concerne ces questions, on doit s’attendre à avoir des ennuis. Il y a eu des moments où le président de la Réserve fédérale aux États-Unis a été perçu de cette façon, à cause de son prestige ou tout simplement parce qu’il exploitait bien les médias, mais la réalité est que la Réserve fédérale est une institution partiellement décentralisée avec une douzaine de banques régionales. En passant, elles auraient pu fonctionner ou ont été initialement conçues dans le but d’assurer le développement industriel des institutions financières, et elles fonctionnaient ainsi pendant la Grande Dépression, mais elles servent maintenant surtout à offrir différents points de vue économiques. La diversité est donc relativement mineure. À mon avis, elle pourrait être beaucoup plus importante, mais c’est mieux que rien. Cela signifie qu’il y a une rencontre toutes les six semaines pour discuter de ces choses. L’institution doit entendre différents points de vue avant de prendre une décision. C’est constructif. Cela renforce le caractère légitime de ce que la Réserve fédérale fait aux États-Unis.
La présidente : Nous cherchons à cerner ces problèmes. De toute évidence, il faut une meilleure reddition de comptes — c’est ce que nous demandons également — et plus de transparence dans le processus. Comme je l’ai mentionné plus tôt, nous posons des questions après le fait, jamais avant.
Je veux revenir à cette notion, car lorsque vous en avez parlé, cela m’a semblé être une idée intéressante, à savoir, pendant la Seconde Guerre mondiale, l’établissement de l’Office of Price Administration en tant qu’organisme distinct. S’agit-il d’un modèle ou d’une idée qui pourrait et devrait être envisagé lorsque nous traversons une crise, comme une pandémie? Nous pourrions enlever la responsabilité à la banque centrale et dire que nous avons un organisme qui essaiera de s’en occuper et recommandera au gouvernement, aux banques et aux entreprises une façon différente de gérer ces situations. Comme vous le dites, aux États-Unis, on a obtenu des fonds en puisant dans les réserves de pétrole, ce qui a permis en quelque sorte d’atteindre cet objectif. On pourrait ainsi avoir une discussion plus ouverte sur la situation et sur les mesures possibles afin que les gens puissent réagir en temps réel.
M. Galbraith : À mon avis, lorsqu’on fait vraiment face à une crise, cela devient alors la responsabilité du gouvernement élu d’agir de manière décisive et d’être très ouvert d’esprit et pragmatique quant à la façon d’aborder le problème auquel on fait face.
Pendant la pandémie, nous avons vu que le Congrès a agi très rapidement. Nous l’avons également vu pendant la crise financière de 2008. Je ne dis pas que c’était la meilleure solution, mais le Congrès a agi rapidement.
Je pense qu’un gouvernement doit avoir la capacité technique nécessaire pour appliquer ces décisions. Il doit avoir une sorte de capacité en réserve dans laquelle il peut puiser en cas de crise. Si on découvre qu’il n’y a personne sur place pour intervenir, on aura des ennuis.
Il me semble que, dans une crise, on ne peut tenir mordicus aux principes arbitraires qui prévalent, même si c’est le cas depuis un demi-siècle. C’est peut-être ce qui explique la crise. Une discussion et une planification ouvertes qui se font tôt dans le cadre législatif sont des pas importants dans la bonne direction.
Je ne dis pas que j’établirais un bureau de l’administration des prix. Il pourrait y avoir d’autres mesures stratégiques qui seraient efficaces. Pendant la pandémie, par exemple, et dans la période inflationniste, nous avons vu beaucoup d’entreprises essentiellement chercher à accroître leurs marges de profits. On leur a adressé des reproches, mais c’est ce qu’elles ont fait à cause de l’incertitude à laquelle elles faisaient face. Leurs coûts ont augmenté; ils n’allaient peut-être pas augmenter davantage. Les concurrents ont augmenté leurs prix. Si elles n’avaient pas augmenté les leurs, elles en auraient subi les conséquences, toutes proportions gardées. C’est un processus qui a tendance à accentuer davantage l’inflation. Une intervention décisive pour calmer les choses aurait pu avoir l’effet d’atténuer cette transition vers, essentiellement, les profits et la réduction des salaires réels et du niveau de vie dans le contexte inflationniste après la pandémie.
J’envisagerais certainement ces mesures si j’avais la latitude et, disons, l’expertise nécessaires à portée de la main pour m’engager dans cette voie. Cela dit, bien entendu, si on affirme qu’il faut tout simplement s’en remettre à la banque centrale, et c’est essentiellement ce que le président Biden a dit, on n’a plus la possibilité de faire des choses qui donneraient de meilleurs résultats.
La présidente : Y a-t-il quelque part un système fonctionnel selon vous — dans un gouvernement, un pays — qui permet de procéder de manière plus efficace? Lorsque nous regardons votre système, nous constatons qu’il est beaucoup plus transparent, ouvert et réactif. Le nôtre est très fermé. La relation entre les deux, bien qu’elle existe, n’est pas particulièrement reconnue. Y a-t-il quelque chose qui fonctionnerait mieux d’après ce que vous avez vu ailleurs?
M. Galbraith : Je n’aime pas beaucoup prendre des modèles d’autres pays qui ont, dans bien des cas, des systèmes politiques très différents. Je pense toutefois que la meilleure façon de procéder consiste à revenir sur notre propre histoire et à nous demander ce que nous avons fait le moment venu, face à une situation d’urgence grave.
L’une des choses que nous avons faites — et je l’ai certainement vue au cours de ma vie —, c’est essayer d’effacer le souvenir de ces épisodes. Nous avons souvent entendu des gens dire que nous ne pouvions pas prendre une certaine mesure, mais la raison n’est jamais très claire ou c’est parce qu’elle a échoué dans les années 1970. On n’a pas vraiment examiné de près si c’est le cas dans les faits.
La première chose à faire, c’est revenir en arrière pour examiner candidement notre propre histoire et garder en réserve ces mécanismes afin de les avoir à notre disposition et pouvoir nous en servir à nouveau sans changer nos systèmes constitutionnels ou nos procédures démocratiques, notre souveraineté parlementaire et toutes les choses qui font en sorte que nous avons le genre de société dans laquelle nous préférons vivre.
La présidente : C’est un point très intéressant.
Le sénateur Yussuff : J’ai une dernière question avant la fin de notre réunion. D’après ce que vous avez dit, monsieur Galbraith, la plupart du temps, les banques centrales n’ont généralement pas de comptes à rendre au public. Bien souvent, elles sont protégées et ne sont pas soumises à une surveillance et à la critique, et nous les laissons tranquilles parce qu’elles sont comme des institutions politiques magiques à leur propre façon, et nous ne sommes pas censés nous ingérer dans leurs activités. Cela dit, la plupart du temps, la population est maintenue dans l’ignorance lorsqu’elle tente de comprendre l’incidence des banques centrales sur la vie des gens. Ce qui est encore plus important, c’est que les gens ne comprennent pas ce que les banques font et ne savent pas si c’est le moindrement logique dans leur propre vie.
C’est exactement de cette façon que fonctionne notre système politique au Canada. On a dit que c’était surtout la banque centrale qui était responsable de faire diminuer l’inflation. Malgré le fait que les taux d’intérêt n’ont jamais augmenté autant depuis deux ou trois décennies, les politiciens se protègent essentiellement en disant : « Eh bien, vous savez, nous devons laisser les banques centrales faire leur travail jusqu’à ce que l’inflation revienne à un niveau qui nous convient davantage. » On espère alors que, comme par magie, tout le reste va se rétablir. Le taux de chômage va diminuer à nouveau. L’économie va fonctionner comme nous le voulons.
Comment pouvons-nous adopter une approche plus démocratique afin que les banques centrales soient plus, je suppose, humaines dans les décisions qu’elles prennent, mais aussi par rapport aux répercussions de ces décisions sur la vie de leurs citoyens?
M. Galbraith : Je suis parfaitement d’accord avec vous, sénateur. Un grand changement a eu lieu, et j’en ai fait partie, dans le milieu des années 1970. Jusqu’à ce moment-là, la banque centrale aux États-Unis refusait tout simplement de parler au Congrès et, par conséquent, à la population. Ses représentants pouvaient donner une conférence devant un auditoire sûr, mais ils ne voulaient pas répondre aux questions d’élus bien informés.
Ce que nous avons établi au début de 1975 et inscrit dans la loi en 1978, c’est l’obligation de le faire régulièrement, de répondre aux questions. Le résultat après plusieurs années, et il y a vraiment eu des tournants décisifs — je n’ai pas particulièrement aimé les politiques de Paul Volcker, mais il a joué un rôle déterminant pour faire avancer les choses puisque qu’il avait confiance en lui... De plus, la compétence des banquiers de la Réserve fédérale s’est considérablement améliorée aux États-Unis. Ils se sont habitués à se défendre et à répondre au Congrès, à la presse.
Je ne pense pas que la qualité des questions posées par le Congrès s’est améliorée. Bien au contraire, et c’est un problème. Toutefois, pour ce qui est de leur disposition et de leur capacité à assumer leurs fonctions publiquement, il n’y a pas de comparaison possible avec ce qu’il en était il y a 50 ans.
Je vous recommande vraiment d’essayer de demander des comptes à votre banque centrale. Au fil du temps, vous verrez que vous aurez de meilleurs banquiers.
Le sénateur Yussuff : Merci.
La présidente : Excellent. Merci beaucoup. Nous allons mettre fin à notre réunion. Ces échanges sont très utiles alors que la date limite approche pour déposer notre rapport sur cette question. Vos réponses étaient très précises et très utiles. Je présente nos remerciements à James K. Galbraith, qui est professeur à l’École des affaires publiques Lyndon B. Johnson de l’Université du Texas, à Austin. Il est un excellent contact canadien. Merci de toujours accepter de comparaître.
[Français]
M. Galbraith : Je vous remercie. À une prochaine fois, peut-être.
La présidente : À la prochaine fois.
(La séance est levée.)