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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 1er novembre 2023

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier des questions concernant les banques et le commerce en général.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Sénateurs, bonjour à vous tous et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie.

Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente du comité.

Voici maintenant les autres membres du comité : il y a le sénateur Loffreda, vice-président du comité, la sénatrice Bellemare, le sénateur C. Deacon, le sénateur Gignac, la sénatrice Marshall, la sénatrice Miville-Dechêne, la sénatrice Petten et la sénatrice Galvez.

Merci à tous. Nous avons le plaisir d’accueillir de nouveau Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada. Il est accompagné, comme à l’habitude, de Carolyn Rogers, première sous-gouverneure de la Banque du Canada. Bienvenue à vous deux.

Nous sommes heureux que vous soyez parmi nous pour parler du Rapport sur la politique monétaire d’octobre 2023. Après tout, ce n’est pas comme si ce genre de rapport pouvait contenir des nouvelles dignes de mention, n’est-ce pas? Gouverneur Macklem, nous commencerons par votre déclaration d’ouverture.

Tiff Macklem, gouverneur, Banque du Canada : Merci, sénatrice Wallin, et bonjour à tous les membres du comité. Je suis ravi d’être ici en compagnie de la première sous-gouverneure de la Banque du Canada, Carolyn Rogers, pour parler du Rapport sur la politique monétaire et de la décision annoncée la semaine dernière concernant la politique monétaire.

La semaine dernière, nous avons annoncé que nous maintenions le taux directeur à 5 %.

Nous avons pris cette décision parce que la politique monétaire est en train de ralentir l’économie et d’alléger les pressions sur les prix, et parce que nous voulons lui laisser le temps de faire son travail. La baisse de l’inflation devrait se poursuivre lentement, et les risques inflationnistes ont augmenté.

Avant de répondre à vos questions, je vais faire un survol du contexte économique et financier qui explique notre décision.

[Français]

Depuis notre dernière comparution devant vous, l’économie canadienne a ralenti. Selon les données, l’offre et la demande s’approchent de l’équilibre. Il est maintenant plus clair que les taux d’intérêt plus élevés modèrent les dépenses et les pressions sur les prix. La croissance économique est entrée dans une phase plus lente. Elle tourne autour de 1 % en moyenne depuis un an. Nous prévoyons qu’elle demeurera inférieure à 1 % jusque vers la fin de 2024, puis elle montera à 2,5 % en 2025.

L’offre devrait devenir excédentaire cette année et la croissance devrait être faible pendant quelques trimestres. Par conséquent, l’inflation devrait continuer de diminuer graduellement pour retourner à la cible de 2 % en 2025. Les prix plus élevés de l’énergie et la persistance de l’inflation sous-jacente pourraient ralentir ces progrès.

Les effets de taux d’intérêt plus élevés se constatent surtout dans les prix des biens durables souvent achetés à crédit, comme les meubles et les électroménagers. Ils se voient aussi dans le prix des biens semi-durables, comme les vêtements, les chaussures et de nombreux services hors logement. En général, l’inflation dans ces catégories se situe maintenant à 2 % ou moins. Le taux d’augmentation des prix à l’épicerie est de près de 6 %. Bien que ce niveau soit encore élevé, il a aussi diminué et devrait continuer dans cette voie.

Le retour à une inflation basse se heurte à des obstacles. La hausse des prix mondiaux de l’énergie fait augmenter les prix à la pompe, ce qui fait remonter l’inflation mesurée par l’indice des prix à la consommation. Sur le marché du logement, les pénuries structurelles tirent les prix vers le haut. Les attentes d’inflation à court terme et la croissance des salaires demeurent élevées, et les entreprises reprennent lentement leurs pratiques normales d’établissement des prix.

[Traduction]

Vu l’effet combiné de ces pressions qui s’exercent sur l’inflation, nous prévoyons maintenant que celle-ci avoisinera 3,5 % jusqu’au milieu de l’an prochain environ. En phase avec l’accroissement de l’offre excédentaire, l’inflation devrait diminuer en 2024, pour atteindre 2 % en 2025.

Dans l’ensemble, les risques inflationnistes ont augmenté depuis juillet. Selon les prévisions que nous avons publiées la semaine dernière, la trajectoire de l’inflation est plus haute que nous l’avions prévu cet été. Ajoutons également que la montée des tensions mondiales, particulièrement la guerre en Israël et à Gaza, a fait augmenter le risque que les prix de l’énergie grimpent et que les chaînes d’approvisionnement soient à nouveau perturbées, ce qui ferait monter l’inflation aux quatre coins du globe.

Sur la base de signes plus clairs que la politique monétaire fonctionne, mes collègues du conseil de direction et moi-même avons jugé la semaine dernière que nous pouvions être patients et maintenir le taux directeur à 5 %.

Cependant, pour avoir l’assurance que le taux directeur est assez élevé pour ramener l’inflation à 2 %, nous devons voir nos mesures de l’inflation fondamentale baisser davantage. Nous allons continuer d’évaluer si la politique monétaire est assez restrictive pour rétablir la stabilité des prix et nous allons surveiller les risques de près.

La décision annoncée la semaine dernière témoigne aussi du fait que nous tentons de doser notre resserrement monétaire le mieux possible : nous ne voulons pas ralentir l’économie plus que nécessaire, mais nous ne voulons pas non plus que les Canadiennes et les Canadiens continuent de vivre avec l’inflation élevée ni que celle-ci s’enracine. Et si les pressions inflationnistes persistent, nous sommes prêts à relever encore le taux directeur pour rétablir la stabilité des prix.

Pour résumer, nous avons fait beaucoup de progrès, mais nous ne pouvons pas encore crier victoire. Nous devons garder le cap, parce qu’une fois la stabilité des prix rétablie, l’économie fonctionnera mieux pour tout le monde.

Sur ce, la première sous-gouverneure et moi serons heureux de répondre à vos questions. Merci.

La présidente : Je vous remercie, monsieur le gouverneur. Comme vous avez aussi comparu devant des comités de la Chambre des communes, nous pourrions peut-être résumer un peu. De toute évidence, l’inflation n’a pas baissé autant que vous l’aviez espéré étant donné, comme vous l’avez expliqué, les pressions qu’exercent les prix de l’énergie, le logement, le contexte d’immigration, etc.

Vous semblez avoir laissé entendre — je vous invite à apporter des éclaircissements si vous le souhaitez — que votre travail allait peut-être à contre-courant de celui du gouvernement. Les dépenses se poursuivent, tout comme la taxe sur le carbone. Dans un tel contexte, augmentez-vous votre taux pour pousser un peu le gouvernement, ou lui demandez-vous clairement de réduire ses dépenses et, peut-être, de réduire la taxe sur le carbone?

M. Macklem : J’aurais quelques observations à ce sujet. Tout d’abord, ce sont toutes des décisions qui doivent être prises par le Parlement et dont le Sénat serait saisi. Ce n’est pas à moi ni à Carolyn Rogers de prendre de telles décisions.

Ce que nous faisons, aux fins de la politique monétaire, c’est que nous tenons compte des plans financiers des gouvernements. Par « gouvernements », j’entends ici les gouvernements provinciaux et fédéral. Nous nous servons de leurs plans financiers pour établir nos prévisions.

Ainsi, les prévisions que nous avons présentées la semaine dernière tiennent compte des derniers plans budgétaires des provinces et du gouvernement fédéral. Selon ce plan, l’inflation reviendra à la cible, mais cela se fera graduellement, comme vous l’avez mentionné.

Pour ce qui est des dépenses que prévoient les gouvernements — je parle ici des gouvernements provinciaux et fédéral, de tous les ordres de gouvernement —, j’ai déjà dit par le passé que si les dépenses gouvernementales augmentent de 2 % ou moins, elles ne nuiront pas vraiment au retour à la cible d’inflation, car nous sommes d’avis que la production potentielle de l’économie augmente d’environ 2 %. Si l’augmentation des dépenses gouvernementales est inférieure à 2 %, la demande qu’elle crée dans l’économie n’est pas supérieure à la croissance de l’offre.

Un examen de l’année en cours montre — selon nos estimations — une augmentation des dépenses gouvernementales qui est légèrement inférieure à 2 %, ce qui veut dire qu’elle n’ajoute pas de pression inflationniste indue. Par contre, quand nous nous tournons vers l’an prochain et que nous additionnons tous les plans, nous estimons une augmentation d’environ 2,5 %, soit un peu plus que le taux de croissance de la production potentielle de l’économie, selon nos estimations.

Si tous ces plans se concrétisent, alors oui, les dépenses gouvernementales commenceront à nuire au retour à la cible. Nous en tenons compte dans nos prévisions. Nous reviendrons à la cible, mais il faudra un peu de temps.

La présidente : Je vous remercie. J’aurai d’autres questions et observations un peu plus tard mais, pour le moment, nous passons au vice-président du comité, le sénateur Loffreda.

Le sénateur Loffreda : Monsieur Macklem, madame Rogers, je vous remercie d’être parmi nous cet après-midi.

Vous avez mentionné brièvement la crise d’abordabilité du logement. Je serais heureux d’en savoir davantage sur le défi que représente, pour votre politique monétaire, le fait que le coût du logement demeure élevé. En guise de préambule rapide, je dirais que la Banque du Canada a considérablement augmenté les taux d’intérêt à plusieurs reprises au cours des 18 derniers mois, et que le coût d’une maison au Canada était de 741 400 $ en septembre 2023, jusqu’à 40 % de plus qu’en janvier 2020. Il est maintenant de 20 % supérieur à ce qu’il était en janvier 2020.

Paul Beaudry, ancien gouverneur de la Banque du Canada, a dit craindre que si les prix ne diminuent pas, il pourrait être difficile de soutenir les valorisations actuelles et il pourrait devenir nécessaire d’augmenter encore les taux d’intérêt.

Qu’en pensez-vous? La crise de l’abordabilité du logement au Canada est-elle un sujet de préoccupation pour vous? A-t-elle une incidence sur votre politique monétaire?

Je sais que l’inflation est au cœur de votre mandat et de vos préoccupations.

Carolyn Rogers, première sous-gouverneure, Banque du Canada : Nous en parlons dans le dernier Rapport sur la politique monétaire. En raison de l’augmentation des frais de logement, l’indice des prix à la consommation global, ou IPC global, reste élevé.

Comme vous le soulignez, le prix des maisons a beaucoup augmenté pendant la pandémie. Une combinaison de facteurs a contribué à cette situation : d’une part, les taux d’intérêt étaient très bas, ce qui a souvent pour effet de faire grimper le prix des maisons; d’autre part, la demande a explosé, parce que les gens voulaient acheter des maisons étant donné que nous passions beaucoup de temps chez nous. Cette combinaison de facteurs a entraîné une hausse plutôt prononcée du prix des maisons. La hausse moyenne a été de 50 % pour l’ensemble du Canada, mais elle variait d’une ville à l’autre.

Depuis, nous avons vu des hausses de taux marquées et musclées visant à juguler l’inflation, mais elles n’ont pas été accompagnées d’une baisse correspondante de l’autre côté. Le prix des maisons n’a baissé que de 10 % environ. Dans l’ensemble, comme vous le soulignez, le prix des maisons contribue fortement au coût de la vie qui exerce actuellement des pressions sur les Canadiens.

L’augmentation des frais de logement, en général, fait partie de l’IPC global en ce moment. À notre avis — nous l’avons d’ailleurs expliqué pendant la conférence de presse, et nous en avons parlé davantage lundi —, une modification des taux d’intérêt ne pourra pas, à elle seule, régler la question de l’abordabilité du logement au Canada. Il existe des problèmes d’offre structurels au pays. Ce sont essentiellement ces problèmes qu’il faudra régler pour que le coût du logement baisse au Canada, ce qui calmera un peu les pressions qui s’exercent sur les frais de logement et l’inflation globale.

La présidente : Essayons tout d’abord de faire un premier tour de table. À moins que votre question complémentaire soit extrêmement ciblée, elle devra attendre le deuxième tour.

[Français]

La sénatrice Miville-Dechêne : Je m’intéresse aussi au logement. Malgré les augmentations successives du taux directeur de la Banque du Canada depuis mars 2022, le prix de l’habitation continue de grimper.

Mario Fortin, professeur titulaire en économie à l’Université de Sherbrooke, dit que la hausse du taux directeur aurait dû avoir l’effet contraire, ce qui n’est pas arrivé. Ce professeur estime qu’une des raisons de ce phénomène malheureux, surtout pour ceux qui cherchent du logement, est l’aide financière octroyée par les gouvernements pour faire face à la pandémie et à l’inflation.

Êtes-vous d’accord avec cette théorie? Mme Rogers a mentionné quelques facteurs. Y a-t-il d’autres facteurs en jeu?

M. Macklem : Pourriez-vous répéter la théorie?

La sénatrice Miville-Dechêne : La théorie est la suivante : le gouvernement a octroyé de l’aide financière pour faire face à la pandémie et à l’inflation. Ce seraient donc les dépenses gouvernementales pour venir en aide aux citoyens qui auraient contribué indirectement à la hausse du marché.

M. Macklem : Il est important de rappeler qu’en mars 2020, de même qu’en avril, en juin et en juillet, nous traversions une crise économique très sévère. Plus de 3 millions de travailleurs ont perdu leur emploi et un autre groupe de 3 millions travaillait moins de 50 % du temps. Nous avons vécu la plus importante chute du PIB de l’histoire du pays.

Le gouvernement et la Banque du Canada étaient très inquiets de la possibilité que cette chute entraîne une dépression. Le gouvernement a pris plusieurs mesures pour fermer une grande partie de l’économie. Je crois qu’il est raisonnable de dire qu’on a dédommagé les gens pour le fait que le gouvernement a fermé une grande partie de l’économie.

La bonne nouvelle est que ces mesures exceptionnelles, budgétaires et financières, ont créé la plus forte reprise de l’histoire. Il est vrai que les taux d’intérêt très bas ont contribué à l’augmentation du prix des maisons. Comme la sous-gouverneure l’a mentionné, ce n’est pas le seul facteur. Les gens cherchent des maisons plus grandes et plus spacieuses, et c’était un facteur très important. Bien sûr, les mesures budgétaires ont contribué à la demande également.

Toutefois, après la crise, ces mesures se sont atténuées et nous avons fortement augmenté nos taux d’intérêt. Le prix des maisons a légèrement diminué, soit d’environ 10 %, mais il demeure toujours très élevé. De plus, le coût actuel d’une hypothèque est beaucoup plus élevé à cause de la hausse des taux d’intérêt.

Comme on l’a souligné, on a connu une pénurie de maisons lorsque les taux d’intérêt étaient très bas. Nous avons toujours un sérieux problème d’abordabilité du logement, alors que les taux d’intérêt sont élevés. Le secteur du logement est très sensible aux taux d’intérêt.

Toutefois, on ne réglera rien avec un changement du taux d’intérêt. Nous sommes heureux de voir que les gouvernements de tous les niveaux — municipal, provincial et fédéral — travaillent ensemble pour examiner l’offre. C’est vraiment d’un problème d’offre dont il s’agit, et on ne résoudra pas le problème d’abordabilité du logement sans une augmentation de l’offre.

La sénatrice Miville-Dechêne : Merci.

[Traduction]

Le sénateur C. Deacon : Merci d’être de nouveau parmi nous, monsieur le gouverneur Macklem et madame la première sous-gouverneure Rogers.

Lors de votre dernier passage au comité, j’ai posé une question au sujet du rôle que peut jouer la politique en matière de concurrence en tant qu’alliée dans la lutte à long terme contre l’inflation, une idée qui vous semblait juste.

Je souhaite maintenant parler de système bancaire ouvert et de modernisation des systèmes de paiement. Pour le moment, nous attendons toujours que le gouvernement et la ministre des Finances donnent le feu vert à ces deux dossiers.

Les frais d’interchange sont encore environ six fois plus élevés au Canada qu’en Europe. Il s’agit essentiellement d’une taxe sur les paiements pour l’ensemble de l’économie. Si nous pouvions rajuster ces frais pour les ramener à un taux plus concurrentiel à l’échelle mondiale, ce changement aurait un effet anti-inflationniste. Par ailleurs, au chapitre des opérations bancaires nationales, les banques canadiennes demeurent les plus rentables du G7 d’après l’indice Lerner de la Réserve fédérale américaine.

Comment ces deux enjeux figurent-ils dans notre lutte à long terme contre l’inflation? Renforcer la politique en matière de concurrence serait un atout. Je m’attarde ici sur ces deux éléments, car ce sont deux domaines où le Canada est vraiment décalé du reste du monde.

M. Macklem : Permettez-moi de faire quelques observations générales au sujet de la concurrence, et je demanderai ensuite à la première sous-gouverneure de vous parler plus précisément des paiements.

La concurrence est une bonne chose. Elle favorise la croissance de la productivité et l’investissement. De nombreuses grandes entreprises canadiennes soutiennent avec succès la concurrence sur les marchés mondiaux parce qu’elles investissent dans les gens, dans le développement de leurs talents, dans la R-D et dans l’achat de machinerie et d’équipement. Le problème, c’est que ces entreprises ne sont pas assez nombreuses.

Pourquoi? Il semble que ce soit en partie en raison de la concurrence. Il suffit de comparer les entreprises exportatrices et les entreprises axées davantage sur le marché intérieur. Dans les entreprises exportatrices, la croissance de la productivité et les investissements sont supérieurs; cela indique que lorsqu’on est exposé à la concurrence internationale, on doit se montrer à la hauteur.

La concurrence serait certainement utile pour accroître les investissements et la productivité. Je ne veux pas dire qu’il n’y a pas d’excellentes entreprises dans notre pays; il nous en faut tout simplement davantage.

Je vais maintenant céder la parole à la première sous-gouverneure.

Mme Rogers : Oui. Nous estimons également que le Canada a du chemin à faire pour rattraper ses pairs dans la modernisation de son système de paiement et l’amélioration de l’efficacité et de l’innovation pour les Canadiens.

Ce que je peux vous dire, c’est que notre équipe de direction s’est réunie ce matin. Nous avons effectué des modifications aux structures internes de la banque récemment. L’un des facteurs qui ont motivé ces modifications est la volonté de tirer parti des divers experts que nous avons à la banque et qui relèvent de Ron Morrow, que vous connaissez bien, afin de voir si nous ne pourrions pas accroître notre influence et faire avancer certains de ces projets.

En général, nous nous concentrons davantage sur ce que j’appellerais « l’infrastructure des paiements d’infrastructure » plutôt que sur le système bancaire ouvert, par exemple. C’est une décision qui relève du ministère des Finances.

Nous cherchons assurément à lancer le système de paiements en temps réel. M. Morrow déploie beaucoup d’efforts pour mettre en œuvre un régime de réglementation efficace. Nous comprenons votre point de vue. Nous travaillons là-dessus et nous continuerons de le faire.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue, monsieur le gouverneur et madame la sous-gouverneure. Merci de votre engagement pour restaurer la stabilité des prix.

Bien que vous ayez laissé le taux directeur inchangé la semaine dernière, dans votre communiqué de presse, vous avez dit que vous étiez prêt à augmenter les taux au besoin. Ce qui m’a frappé dans vos propos lors de la conférence de presse, c’est que vous avez indiqué ne pas avoir envisagé ni discuté au comité de politique monétaire d’une quelconque baisse de taux, parce que ce serait prématuré.

Or, la demande excédentaire a disparu. On voit un équilibre accru entre l’offre et la demande. Le produit intérieur brut (PIB) stagne depuis le mois de mai. Le PIB par habitant est de 2,5 % inférieur depuis un an. De plus, le taux d’inflation sous-jacent se situe entre 3,5 et 3,8 %. Si on fait abstraction de la hausse des taux d’intérêt hypothécaires, il se situe à 2 %.

Qu’est-ce qu’il vous faudra comme environnement pour envisager, au comité de politique monétaire, un scénario plausible d’une baisse du taux d’intérêt, compte tenu des délais de transmission d’une baisse de taux sur l’économie?

M. Macklem : J’ai deux commentaires. Quant aux faits que vous avez soulignés, ce sont les mêmes raisons pour lesquelles nous avons décidé d’être patients. Nous avons conclu qu’il n’était pas nécessaire d’augmenter les taux d’intérêt maintenant. Nous ferons preuve de patience en attendant de voir ce que les données futures nous révéleront. C’est ce qui éclairera notre décision.

Je suis d’accord pour dire que l’économie a ralenti. Elle est manifestement dans une phase de croissance lente. Nous avons plusieurs indicateurs de l’équilibre entre la demande et l’offre. Quelques-uns suggèrent que nous avons déjà à peu près atteint l’équilibre. Les indicateurs du marché de la main-d’œuvre sont un peu plus serrés. Bref, il est clair que nous sommes beaucoup plus près de l’équilibre qu’on ne l’était, même en juillet dernier.

À savoir quand commencerons-nous à discuter de baisser les taux d’intérêt, je crois que nous avons été très clairs. Nous devons observer une tendance vraiment à la baisse pour nos mesures d’inflation fondamentale. Si on regarde les mesures d’inflation fondamentale sur trois mois — ce qui est plus immédiat et plus courant —, elles se situaient à environ 3,5 % depuis maintenant presque un an. On n’observe donc pas encore de tendance à la baisse dans ces mesures.

Nous tenons vraiment à constater une tendance à la baisse. Nous pensons que cela vient du fait que l’économie a beaucoup ralenti et les pressions sont à la baisse. Toutefois, nous n’avons pas encore vu de tendance. Lorsqu’il sera clair que la tendance oscille autour de 2 %, le temps sera venu de discuter d’une réduction des taux d’intérêt.

Le sénateur Gignac : Je comprends qu’on se situe à 3,5 %. Toutefois, si on exclut l’effet de la hausse des taux hypothécaires, Statistique Canada nous dit qu’en fait, il se situe autour de 2 %.

Ma question, pour rassurer les membres du comité, est la suivante : pouvez-vous nous assurer que vous n’attendrez pas que Statistique Canada déclare que nous sommes en récession pour envisager des baisses de taux?

M. Macklem : On ne veut pas de récession. On a besoin d’une période de croissance lente, mais on veut éviter une récession. Si on enlève les prêts hypothécaires des mesures — c’est toujours le cas : lorsqu’on enlève quelque chose qui est fortement à la hausse, ce qui reste est plus bas.

La raison pour laquelle on utilise les mesures fondamentales, c’est parce qu’il s’agit d’une méthode systématique d’enlever des facteurs volatils à la hausse et à la baisse. Quand on fait cela, la tendance est d’environ 3,5 %.

Le sénateur Gignac : Merci.

La sénatrice Bellemare : Bienvenue à notre comité.

D’abord, je voudrais vous remercier d’avoir publié l’intégralité des résultats de vos recherches sur le site Web. C’est très riche en information. En même temps, les résultats peuvent parfois inquiéter les gens, mais je suis quand même contente de les avoir vus.

Je pense aux sondages que vous avez menés auprès des consommateurs et des entreprises. Notamment, en ce qui concerne les consommateurs, vous avez trouvé que moins de la moitié des Canadiens, soit 38 %, croit que la politique concernant la hausse des taux d’intérêt aura un impact sur l’inflation. Donc, la grande majorité ne croit pas à l’efficacité de cette politique.

Dans votre enquête, vous avez également vu que les décisions d’investissement des entreprises sont à leur plus bas. L’indicateur est autour de 7 % sur les intentions d’investissement des entreprises par rapport à 47 %, un an plus tôt. L’incertitude est à son comble aussi. Ce sont là des préoccupations importantes.

Comment réagissez-vous à ces données? Ne croyez-vous pas que le remède de la hausse des taux d’intérêt est en quelque sorte en train d’accentuer les risques d’une inflation plus grande à l’avenir?

Comme vous l’avez dit dans vos remarques préliminaires, il y a des risques de hausse d’inflation. On ne croit pas que cette mesure sera efficace, parce qu’on n’investira pas et on sera dans l’incertitude; on va stagner et piquer du nez.

M. Macklem : Il y a deux parties à votre question.

Premièrement, je suis très heureux de savoir que vous consultez notre site Web et que vous appréciez toute l’information qui s’y trouve.

Nous avons élargi notre sondage auprès des entreprises et des ménages. Nous avons ajouté un nouveau sondage pour les entreprises plus petites. Notre sondage historique s’adresse surtout auprès aux grandes entreprises. Comme vous le savez bien, nous avons beaucoup de petites entreprises au Canada. De plus en plus, nous trouvons que ces sondages sont très utiles.

Au sujet des ménages, ce qui est intéressant, c’est qu’il est clair que les ménages vont réduire leurs dépenses en raison de la hausse des prix et des taux d’intérêt. C’est un facteur qui nous permet de croire que la consommation sera faible pour quelques trimestres.

En ce qui concerne les investissements, comme vous l’avez constaté, les intentions sont à la baisse. Cela reflète deux facteurs. Tout d’abord, il y a la demande pour les services ou les produits — on anticipe que cela va ralentir. Les taux d’intérêt et les coûts d’investissement sont plus hauts.

Deuxièmement, la seconde partie de votre question est un peu en lien avec la question du sénateur Gignac. On sait qu’il y a un effet direct sur l’inflation, parce que lorsqu’on augmente les taux d’intérêt, le coût des hypothèques augmente, le coût des emprunts pour les entreprises est plus élevé.

Toutefois, le fait que les taux sont plus élevés permet de réduire l’inflation dans le reste de l’économie. Comme je l’ai mentionné, on peut voir cela très clairement dans les données. Les ménages achètent les biens durables souvent à crédit et l’inflation est même négative actuellement. Si on regarde les biens semi-durables, comme les vêtements, les chaussures, etc., l’inflation est d’environ 2 %. Il commence même à y avoir des effets sur les services autres que le logement. On voit donc les effets de ces mesures.

Si nous n’avions pas haussé les taux d’intérêt, l’inflation pour tous ces biens et services serait beaucoup plus haute. L’inflation ne va pas diminuer sans qu’on prenne des mesures. Notre instrument, c’est le taux d’intérêt.

La sénatrice Bellemare : Ne croyez-vous pas que pour les biens semi-durables, le commerce que nous faisons avec la Chine a un impact sur la baisse de ces taux — le fait qu’il reprend de la vigueur?

M. Macklem : Je suis d’accord. Nous sommes une économie très ouverte. On vend beaucoup de nos produits sur les marchés internationaux et on achète beaucoup de produits aussi. Surtout du côté des biens, l’inflation à l’échelle mondiale est un facteur important ici, au Canada.

Nous avons vu que l’inflation à l’échelle mondiale est à la baisse. Les chaînes d’approvisionnement se sont beaucoup améliorées. Les problèmes ne sont pas tous réglés, mais la situation s’est beaucoup améliorée. Il y a moins de problèmes à l’échelle internationale et les facteurs mondiaux sont moins importants qu’ils ne l’étaient auparavant pour l’inflation. Ce sont surtout des facteurs nationaux qui sont plus importants maintenant.

La sénatrice Bellemare : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Galvez : Monsieur Macklem et madame Rogers, je vous remercie de votre présence aujourd’hui. Je m’intéresse à la relation entre l’énergie et l’inflation. Les combustibles fossiles sont considérés comme inflationnistes parce que leur coût d’extraction est plus élevé, qu’ils laissent une forte empreinte carbone et qu’ils dépendent beaucoup de la géopolitique. Nous sommes des exportateurs nets de pétrole. Cela a une incidence sur l’inflation, comme nous le voyons partout. Nous savons que les États-Unis ont adopté l’Inflation Reduction Act, qui prévoit un investissement de 370 milliards de dollars pour assurer la transition vers une économie à faibles émissions de carbone.

Ne diriez-vous pas que si le Canada s’engage dans la voie de l’énergie propre, cela aura les effets positifs que nous recherchons en réduisant l’inflation, en assurant l’indépendance énergétique des Canadiens et en favorisant une concurrence et une innovation bénéfiques à l’économie?

M. Macklem : C’est une question difficile. Il existe de nombreuses raisons politiques d’investir dans la lutte contre les changements climatiques. Il peut y avoir de bonnes raisons d’octroyer des subventions aux entreprises pour qu’elles investissent dans les énergies renouvelables, mais il n’est pas facile d’établir une correspondance entre ces subventions et la baisse de l’inflation.

Le Canada est un preneur de prix sur les marchés mondiaux de l’énergie. Les prix du pétrole déterminent les marchés mondiaux — nous sommes un grand exportateur d’énergie —, mais que nous exportions ou non, tout le monde au Canada paie le prix mondial. Lorsque ces prix augmentent, le prix de l’essence augmente à la pompe, ce qui fait grimper l’inflation. Lorsqu’ils baissent, l’inflation diminue.

Du point de vue de la politique monétaire, nous n’avons aucun contrôle là-dessus. Nous avons toujours eu tendance à tenir compte des chocs des prix de l’énergie pour définir notre politique monétaire, principalement parce que les prix de l’énergie ont tendance à fluctuer et que la politique monétaire se trouve en décalage. Le temps d’ajuster la politique monétaire, le choc est passé.

Je dirais cependant que, dans le contexte actuel, avec une inflation supérieure à la cible depuis deux ans — pour revenir à la question de la sénatrice Bellemare —, les attentes des ménages en matière d’inflation sont élevées. Elles sont en train de diminuer, mais elles sont élevées. Nous constatons que les entreprises refilent la hausse du coût des intrants plus rapidement qu’en temps normal. Il convient d’être plus prudent que d’habitude lorsqu’il s’agit d’examiner les augmentations des prix de l’énergie.

La sénatrice Galvez : Vous avez dit que notre économie exporte du pétrole. Nous accordons de nombreuses subventions, de l’ordre de plusieurs milliards de dollars par année, aux entreprises du secteur des combustibles fossiles, des subventions que ne reçoit pas le secteur des énergies renouvelables.

Si nous décidons que, pour les combustibles fossiles — puisque c’est de cela que nous parlions —, nous allons réduire les pratiques inefficaces ou les subventions, cela aura-t-il également un impact ?

M. Macklem : Je crois que cela se ferait sentir dans l’ensemble de l’économie. C’est une question difficile. Il existe différents types de taxes et de subventions. Je ne peux pas vous donner de réponse.

Ce n’est pas quelque chose que nous faisons. Nous ne disposons pas de modèles détaillés de l’ensemble des enjeux énergétiques, de toutes les taxes et subventions. Je ne peux pas vous donner de réponse détaillée à ce sujet. S’ils changent, nous les analyserons. Nous nous pencherons sur ces effets.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Merci, monsieur le gouverneur et madame Rogers, d’être parmi nous. C’est très apprécié.

Comme nous le savons tous, il y a un genre de stickiness ou rigidité en ce qui concerne les prix mondiaux. On a de la difficulté à les réduire. Il semble que la Banque du Canada, de même que plusieurs banques centrales partout dans le monde, ont toutes manqué d’exactitude dans leurs prévisions. Elles ont fait une fausse analyse et les prix ne sont pas descendus autant que prévu. C’est le cas non seulement au Canada, mais également ailleurs et aux États-Unis.

On me pose la question à savoir comment il se fait qu’on se trompe aussi facilement. On ne parle pas seulement de vous; c’est arrivé à toutes les autres banques centrales. Nous connaissons le phénomène de stickiness depuis des décennies. Pourquoi, cette fois-ci, l’a-t-on manqué totalement?

M. Macklem : Franchement, je ne crois pas que nous nous soyons beaucoup trompés dans notre prévision à savoir que l’inflation diminuera. Depuis un an, on anticipait que l’économie ralentirait, que les chaînes d’approvisionnement s’amélioreraient et que l’inflation serait à la baisse. Elle était à 8 % il y a 16 mois. Elle se situe maintenant un peu sous les 4 %. L’inflation a beaucoup diminué et nous croyons que grâce à une économie plus équilibrée, on verra une réduction de l’inflation plus marquée.

Oui, vous avez raison de dire que certains aspects sont sticky, pour reprendre votre terme. On constate une certaine persistance et on l’anticipait. Il est vrai qu’elle est un peu plus forte que prévu.

Comme je l’ai mentionné, je pense que c’est attribuable au fait qu’il y a certains obstacles. Le marché du logement est encore serré et les anticipations d’inflation persistent. En gros, nous avons été clairs en disant que nous augmenterions les taux d’intérêt rapidement pour réduire l’inflation, et celle-ci est à la baisse.

Le sénateur Massicotte : Lorsqu’on regarde les nouvelles de ce matin, du côté de la Réserve fédérale des États-Unis (la Fed), les médias américains expliquent qu’il n’y a aucune nécessité de réduire les taux d’intérêt, car les taux d’intérêt dans le secteur commercial ont beaucoup augmenté. On voit déjà un amortissement des coûts, parce que le taux d’intérêt du marché a fait le travail de la banque centrale.

Êtes-vous d’accord avec cette affirmation?

M. Macklem : Comme on l’a vu depuis environ deux mois, soit une forte hausse des taux d’intérêt à plus long terme, comme vous le savez bien, la Banque du Canada et la Fed contrôlent le taux d’intérêt d’un jour. Cela a un effet pour quelques années, mais on n’a pas vraiment de contrôle sur les taux d’intérêt sur 10 ou 30 ans. On a vu une forte hausse de ces taux d’intérêt. Cela reflète probablement une combinaison de facteurs et, franchement, il est difficile de les séparer maintenant.

L’un des aspects est que les marchés ont de plus en plus réalisé que les banques centrales auront besoin de maintenir les taux d’intérêt à un niveau élevé pour un certain temps en raison de la persistance du stickiness. Il est difficile de relier toute l’augmentation à des anticipations de politique monétaire. La prime sur le cours du rendement a augmenté. Expliquer ce phénomène est plus difficile. Ce peut être attribuable à une hausse de la volatilité pour ce qui est des taux d’intérêt à long terme, et le marché veut être compensé pour ce risque.

Les déficits aux États-Unis sont de l’ordre de 6 ou 7 %, et il n’est pas clair qu’ils seront appelés à diminuer. Certains acheteurs d’obligations américaines ont probablement réduit leurs achats. Le marché devrait leur offrir une prime; ce peut être un facteur. Finalement, on a vu une augmentation au Canada, mais elle n’est pas aussi importante qu’aux États-Unis.

Pour revenir à la question, oui, c’est un facteur dont on doit tenir compte quand nous prenons nos décisions de politique monétaire. Cela laisse croire que les conditions financières en général sont plus serrées qu’elles ne l’étaient. Si les taux d’intérêt sont plus élevés parce que le marché anticipe que nous ferons ce qu’il faut pour contrôler l’inflation, nous devrions en fin de compte le faire, si besoin est. On ne peut pas juste laisser tout le travail au marché.

Le sénateur Massicotte : Merci.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Monsieur Macklem et madame Rogers, je vous remercie d’être avec nous aujourd’hui.

Je veux parler de l’inflation alimentaire. La question de savoir si les épiciers ont trop augmenté leurs prix et s’ils imposent des prix abusifs fait l’objet d’un débat animé. Dans certains articles, monsieur le gouverneur, vous semblez penser que l’augmentation des prix des produits alimentaires pourrait être excessive.

J’ai lu un document de la Banque du Canada qui conclut que les données ne soutiennent pas nécessairement l’idée que la forte inflation récente est une conséquence du fait que les entreprises ont tiré parti de leur pouvoir de marché pour augmenter leurs prix.

Je sais que le document précise que les opinions exprimées sont uniquement celles des auteurs et peuvent différer des opinions officielles de la Banque du Canada.

L’inflation alimentaire étant un problème majeur au Canada, j’aimerais connaître votre point de vue sur la question. Je m’intéresse également au coût des hypothèques. La question de l’alimentation concerne tout le monde. J’aimerais que vous nous fassiez part de vos commentaires ou de vos réflexions sur l’inflation alimentaire.

Mme Rogers : Nous devons d’abord dire que l’inflation alimentaire est probablement la seule chose que personne ne peut éviter, n’est-ce pas? Nous avons tous besoin d’acheter de la nourriture. L’inflation alimentaire touche tout le monde.

C’est particulièrement difficile pour les personnes qui ont une famille nombreuse, beaucoup d’enfants. C’est une chose à laquelle nous sommes très attentifs, pour toutes ces raisons.

En ce qui concerne le comportement des entreprises en matière d’établissement des prix, c’est également quelque chose que nous avons surveillé de près et c’est l’un des facteurs que nous avons énumérés et que nous observons comme un signal que l’inflation sous-jacente revient à la normale. Ce que nous avons constaté dans nos enquêtes auprès des entreprises, c’est que les entreprises en général — nous n’avons pas examiné un segment en particulier, les épiciers par exemple — ont trouvé plus facile et plus nécessaire de refiler le coût de leurs intrants à leurs clients sous la forme de prix plus élevés. Pour plusieurs raisons, elles ont pu le faire plus souvent et à un taux plus élevé que la normale. L’une de ces raisons est la très forte demande dans l’économie. Elles n’ont pas à craindre de perdre des clients. La demande est forte, et les entreprises sont moins susceptibles de se sentir obligées de maintenir leurs prix.

Lorsque l’inflation était à 2 %, les propriétaires d’entreprises nous disaient, lorsque nous les interrogions : « Oui, le prix de mes intrants a peut-être augmenté. » Si quelque chose comme l’essence augmentait à court terme et que cela avait une incidence sur leurs frais de transport, ils étaient plus enclins à absorber l’augmentation, parce qu’ils craignaient de perdre des clients. Toutefois, lorsque la demande est très forte, ils n’ont pas ce souci et ils refilent régulièrement le coût de leurs intrants.

L’étude que vous avez citée visait à déterminer si les entreprises refilent plus que le coût de leurs intrants et si elles augmentent leur marge. Comme vous l’avez vu, nos chercheurs n’ont pas trouvé de preuves qu’elles augmentaient leurs marges bénéficiaires, mais ils ont constaté ce que nous avons constaté dans nos enquêtes, à savoir que les entreprises sont plus enclines, dans ce contexte d’inflation élevée et soutenue, à refiler ces coûts aux consommateurs.

La sénatrice Marshall : Les épiciers de détail ont été mis au défi; le gouvernement veut qu’ils présentent un plan de réduction des prix. En observant cela de l’extérieur, il me semble que, selon la raison pour laquelle les prix augmentent, c’est presque injuste pour les épiciers de détail. J’ai presque un peu de sympathie pour eux, mais je n’ai pas de preuves à l’appui.

Une voix : Vous êtes la seule.

Mme Rogers : Ce qui est une bonne nouvelle pour les épiciers, c’est que nous pensons qu’ils peuvent baisser leurs prix, parce que nous constatons que les coûts de leurs intrants diminuent. Ce que nous espérons, c’est qu’ils soient aussi enclins à baisser leurs prix qu’ils l’ont été à les augmenter, et qu’ils puissent refiler la baisse à leurs clients avec des prix plus bas. Cela aurait certainement une incidence sur l’inflation en général et aiderait les Canadiens.

La sénatrice Martin : Je vous remercie tous les deux de votre témoignage. Vous avez parlé des facteurs qui font augmenter le taux d’inflation, des facteurs mondiaux qui échappent à notre contrôle, mais vous avez également dit que les facteurs internes sont plus importants. Ce que vous avez dit plus tôt en réponse à une question, c’est qu’avec une économie équilibrée, l’inflation serait moins élevée.

Quels facteurs nous permettraient de parvenir à une économie équilibrée? Que devons-nous faire pour y parvenir en tant que nation?

M. Macklem : Pour résumer, l’inflation n’atteint pas 8 % parce qu’une seule chose s’est produite. La première poussée de l’inflation, l’impulsion initiale, a été plus mondiale. Vous vous souviendrez que, pendant la pandémie, nous ne pouvions pas acheter la plupart des services que nous voulions, alors tout le monde a acheté des biens. Les chaînes d’approvisionnement étaient engorgées. Il y a eu beaucoup de problèmes de production à cause de la COVID, de sorte que la demande mondiale de biens a largement dépassé l’offre. Puis, la Russie a attaqué l’Ukraine. Les prix de l’énergie sont montés en flèche. Les prix des denrées alimentaires ont augmenté. Ce sont tous des biens, et c’est la principale chose qui a vraiment attisé l’inflation au départ.

En raison des améliorations dans les chaînes d’approvisionnement et de la réouverture de l’économie, nous n’achetons plus autant de biens et nous achetons maintenant plus de services, mais davantage au pays. Il est plus difficile de faire le commerce de services et, avec la réouverture de l’économie, nous avons découvert que la demande de services reprenait beaucoup plus vite que la capacité de l’économie à les produire, ce qui a fait grimper leurs prix. C’est la partie qui touche le plus le marché intérieur, et c’est la partie sur laquelle notre politique monétaire a le plus d’effet.

Il y a un an, l’économie était en surchauffe. Cela se voyait sur le marché du travail, sur les marchés de produits et dans le comportement des entreprises. Celles-ci refilaient très rapidement les hausses du coût des intrants aux consommateurs.

Nous avons constaté que tous ces éléments évoluent maintenant dans la bonne direction. L’économie a ralenti. Elle n’est plus en surchauffe. Il se peut qu’il y ait un léger excès de demande et un léger excès d’offre. Quand les courbes se rapprochent, il est difficile de dire ce qu’il en est. Néanmoins, ce qui est clair, c’est que nous prévoyons une croissance faible pendant plusieurs trimestres. Si ce n’est pas déjà le cas, l’offre deviendra excédentaire. Cela exercera une plus grande pression à la baisse sur l’inflation.

À la Banque du Canada, nous n’avons qu’un seul instrument — notre taux directeur —, et nous nous en servons pour gérer l’inflation. Les Canadiens comptent sur nous pour maîtriser l’inflation, et c’est ce que nous faisons.

Pour en revenir à ce qu’a dit la sénatrice Wallin au début de son intervention, les gouvernements disposent de toute une gamme d’instruments. En règle générale, j’estime que, plus la politique monétaire et la politique budgétaire du gouvernement vont dans le même sens, plus il sera facile de ramener l’inflation à sa cible.

La sénatrice Martin : En ce moment, comme tout le monde autour de la table, je crois, je vois des chiffres très inquiétants; un rapport de Royal LePage publié jeudi dernier montre que 31 % des détenteurs de prêt hypothécaire s’apprêtent à renouveler leur contrat au cours des 18 mois à venir. En janvier de cette année, la dette hypothécaire au Canada s’élevait à 2,1 billions de dollars.

Ces chiffres sont très alarmants et préoccupants. Je sais que vous avez une façon bien précise de maîtriser l’inflation, mais ces chiffres vous préoccupent-ils? Faites-vous quelque chose pour en atténuer les effets?

M. Macklem : Je vais dire quelques mots et je demanderai ensuite à la première sous-gouverneure de compléter ma réponse.

L’une des principales raisons pour lesquelles nous avons maintenu notre taux directeur à 5 %, c’est que nous savons que ces renouvellements approchent. Nous savons que notre travail n’est pas fini; nous voyons que nos mesures fonctionnent, mais nous savons aussi qu’il faudra en faire plus. Voilà pourquoi nous prévoyons une croissance plus faible.

Comme je l’ai dit, nous essayons d’équilibrer le risque d’en faire trop et celui d’en faire trop peu. Nous avons tenu compte de cela. Y a-t-il un risque que nos mesures fassent plus mal que nous ne le prévoyons? Oui, c’est possible. Il se peut aussi que les ménages disposent d’une épargne supplémentaire et qu’ils soient en mesure de rembourser leurs prêts tout en continuant à consommer, et nous essayons donc de trouver un équilibre.

Vous souhaitez peut-être parler un peu plus du marché hypothécaire lui-même?

Mme Rogers : Bien sûr.

Ce chiffre semble assez juste. Ce que nous savons jusqu’à présent, c’est qu’environ 40 % des ménages ayant contracté un prêt hypothécaire au Canada ont déjà vu leur prêt renouvelé à un taux plus élevé.

Certes, nous examinons les enquêtes et les nouvelles — et le rapport de Royal LePage dont vous avez parlé évoquait le stress des détenteurs de prêts hypothécaires qui renouvellent leur hypothèque à des taux qui sont, dans certains cas, nettement plus élevés. Nous examinons les données que nous suivons pour voir le degré de stress qui pèse sur les ménages. Nous sommes très attentifs, et nous recevons beaucoup de données des banques. Certes, il y a des pressions, et nous ne voudrions pas les minimiser, mais nous ne voyons rien dans les données qui puisse indiquer que les ménages sont soumis à un stress nettement plus important. Nous examinons, par exemple, des éléments tels que les défaillances ou les défauts de paiement, et ceux-ci, dans la plupart des cas, sont encore inférieurs aux niveaux d’avant la pandémie.

Ces niveaux sont en train d’augmenter, et nous nous attendons à ce qu’ils augmentent encore. Il est impossible de hausser les taux d’intérêt dans la mesure où cela s’est produit au cours de l’année écoulée sans qu’il y ait une certaine pression, en particulier avec le niveau d’endettement des ménages que nous observons.

Nous suivons ces chiffres de près. Je sais que quelques sénateurs ont mentionné qu’ils voulaient parler des prêts hypothécaires, et nous avons donc beaucoup d’informations que nous pouvons communiquer.

La présidente : Je crois que nous y reviendrons.

Dans l’ensemble, les Canadiens font preuve d’une grande diligence pour payer leur hypothèque, même si cela signifie qu’ils font des sacrifices à d’autres égards. Lorsque vous dites que vous n’avez pas constaté beaucoup de défauts de paiement et qu’en fait, leur nombre est inférieur à ce qu’il était avant la pandémie, est-ce parce que le gros du problème n’est pas encore arrivé ou parce qu’il n’y aura pas de problème, selon vous?

Mme Rogers : Il pourrait s’agir de différents facteurs. Je commencerais par le montant de l’épargne accumulée par les Canadiens au cours de l’année écoulée. Vous nous avez entendus parler, lors de réunions précédentes, de ce que nous appelons « l’excédent d’épargne ».

Pendant la pandémie, comme nous n’avons pas pu dépenser certaines sommes que nous aurions normalement dépensées et que l’économie bénéficiait de nombreuses mesures de soutien, le bilan financier des Canadiens s’est amélioré dans l’ensemble. Nous avions beaucoup plus d’économies en sortant de la pandémie qu’en y entrant.

Lorsque nous demandons aux banques comment elles abordent le cas de leurs clients qui renouvellent leur hypothèque et qui voient leurs paiements augmenter considérablement, elles nous disent qu’en fait, beaucoup de Canadiens remboursent bien leur prêt hypothécaire ou utilisent une partie de leurs économies pour effectuer des versements forfaitaires, ou encore que leurs économies les aident à assumer des versements plus élevés. Nous constatons également que les hausses de salaire aident à compenser.

Dans un contexte de renouvellement normal, la plupart des Canadiens contractent des prêts hypothécaires avec un taux venant à échéance au bout de cinq ans. La plupart d’entre eux voient une croissance de leur capital et de leur salaire au bout de ces cinq ans. Cela les aide à supporter des paiements plus élevés.

Il y a toute une série de facteurs en jeu. Je ne pense pas que nous soyons prêts à dire qu’il n’y a pas de problème. Nous allons continuer à y prêter une attention toute particulière.

La sénatrice Petten : Après l’annonce par la Banque du Canada, le 6 septembre 2023, du maintien de son taux directeur à 5 %, l’honorable Chrystia Freeland, vice-première ministre et ministre des Finances du Canada, a accueilli la décision de la banque comme un soulagement pour les Canadiens.

Toutefois, les commentaires de Mme Freeland, ainsi que ceux des premiers ministres provinciaux, avant la décision, ont suscité des critiques, car ils pourraient évoquer une atteinte à l’indépendance de la banque centrale par rapport à l’ingérence des gouvernements. Que pensez-vous de cela? Pensez-vous que ces commentaires représentent un risque pour la capacité de la banque à mener la politique monétaire de façon indépendante et efficace?

M. Macklem : Est-ce que je pense qu’ils représentent un risque pour l’indépendance de la Banque du Canada? Non. Je peux assurer au comité que nous prenons nos décisions en toute indépendance.

Est-ce que je pense, par exemple, que les lettres que je reçois des premiers ministres, dont j’ai reçu une nouvelle série récemment, pourraient donner l’impression à certains Canadiens que la Banque du Canada n’est pas indépendante du gouvernement? Oui, et cela me préoccupe. J’en ai fait part aux premiers ministres. Je leur écrirai à nouveau et je leur ferai part de la même préoccupation.

Ce que je veux souligner, c’est que les conseils des premiers ministres n’influencent pas nos décisions.

Cependant, les inquiétudes qu’ils expriment sur le fait que leurs citoyens ressentent les effets d’une inflation plus élevée, qu’ils sont accablés par des taux d’intérêt plus élevés, qu’ils sont préoccupés par le remboursement de leur prêt hypothécaire et automobile, qu’ils se demandent s’ils peuvent acheter ce dont leurs enfants ont besoin, qu’ils s’inquiètent des prix élevés des aliments et qu’ils se demandent s’ils pourront mettre trois repas par jour sur la table — ces éléments entrent en ligne de compte dans nos décisions.

Pour en revenir à votre question, sénatrice, nous sondons régulièrement les Canadiens. Je reçois de nombreuses lettres directement des Canadiens. Tous ces éléments sont pris en compte dans nos décisions.

Les lettres des premiers ministres n’influencent pas nos décisions. Nous sommes très heureux de recevoir des commentaires des premiers ministres sur les incidences de nos politiques dans leurs provinces. Cela dit, il serait préférable qu’ils ne nous donnent pas d’instructions sur la gestion des taux d’intérêt.

Le sénateur Massicotte : Je suppose que nous ne sommes pas assez importants pour être pris en considération, après les...

La présidente : Pouvons-nous obtenir quelques éclaircissements sur la question de la taxe sur le carbone et sa contribution à l’inflation, que vous avez bien sûr reconnue? Pouvons-nous obtenir des chiffres à ce sujet? Qu’advient-il de vos hypothèses lorsque nous assistons à des changements et à des mesures comme celles que nous avons vues cette semaine, à savoir que la taxe perçue sera moins élevée et que les coûts augmenteront si le gouvernement subventionne d’autres sources de chauffage, et ainsi de suite? Comment réagissez-vous lorsque ce genre de choses survient à l’improviste?

M. Macklem : Je peux vous donner deux chiffres clés. La première question concerne les augmentations de la taxe sur le carbone qui sont prévues pour l’avenir. Dans quelle mesure ces augmentations feront-elles croître l’inflation chaque année? La réponse à cette question est notre estimation, qui repose sur les effets directs de la taxe sur les trois combustibles pris en compte dans l’indice des prix à la consommation. Nous croyons que ces augmentations entraîneront une hausse de l’inflation de 0,15 point de pourcentage par an, ce qui est assez peu.

La deuxième question que l’on nous pose souvent est la suivante : qu’adviendrait-il de l’inflation si la taxe sur le carbone était entièrement éliminée? Notre estimation de l’effet direct de cette mesure sur l’inflation est qu’elle la réduirait de 0,6 point de pourcentage pendant un an. La raison pour laquelle ce n’est que pour un an, c’est qu’on ne peut l’éliminer qu’une seule fois, et qu’une fois qu’elle aura été éliminée, elle ne pourra plus l’être l’année suivante. Cette mesure réduirait l’inflation de 0,6 point de pourcentage pendant un an.

En ce qui concerne les dernières annonces du gouvernement, je n’ai pas de calcul pour vous. Cela dit, étant donné qu’il s’agit d’un type de combustible qui n’est pas utilisé par de nombreux Canadiens, je suis à peu près certain — même si je n’ai pas de chiffres — qu’il s’agit d’un montant très faible par rapport aux chiffres que je vous ai déjà donnés.

La présidente : Mais il y a une augmentation des dépenses associées aux subventions.

M. Macklem : Le gouvernement a formulé des plans pour subventionner les thermopompes. Je n’ai pas d’analyse à ce sujet. Cela vient tout juste d’être annoncé. Je m’attends à ce que les effets macroéconomiques de cette mesure sur l’inflation soient plutôt faibles.

La présidente : Merci beaucoup.

Le sénateur Loffreda : Ces dernières années, la proportion de biens immobiliers résidentiels achetés par des investisseurs a augmenté, et la Banque du Canada a constaté que la part des logements achetés par des investisseurs a augmenté en 2021.

Dans quelle mesure les investisseurs influencent-ils l’abordabilité des logements? Quelle est la proportion d’investisseurs sur le marché immobilier? Cette tendance est-elle préoccupante, ou pourrait-elle l’être si les prix de l’immobilier se stabilisaient ou diminuaient? Des témoins nous ont dit qu’un retour en arrière était impossible. Une baisse des prix de l’immobilier serait catastrophique pour les Canadiens. S’agit-il d’une tendance préoccupante, et cela influencerait-il votre future politique monétaire?

Mme Rogers : Eh bien, je reviendrai sur le commentaire que j’ai fait plus tôt. Notre point de vue sur cette question est que nous avons un problème d’offre structurelle. Nous avons un problème d’abordabilité du logement depuis assez longtemps. Ma carrière dans le secteur financier de notre pays remonte à l’époque où je travaillais en Colombie-Britannique, il y a plus de 10 ans, et je me souviens que j’avais toute une série de responsabilités en matière de réglementation. La chose qui semblait toujours revenir sur mon bureau était l’immobilier, sous une forme ou une autre. À l’époque, on s’inquiétait beaucoup des propriétaires étrangers, et il y a eu une série de mesures fiscales à cet égard.

À notre avis, pour résoudre ce problème, il nous faut des mesures qui concernent l’offre.

Il est certain que le rôle des investisseurs, en particulier au cours de la période que vous avez mentionnée — et nous avons fait des commentaires à ce sujet —, a contribué, selon nous, à la hausse des prix. Je pense que lorsque les gens achètent des maisons parce qu’ils spéculent sur un profit, ils anticipent une hausse rapide des prix. C’est généralement ce qui motive les investisseurs à s’intéresser à l’immobilier. Il est certain que cela n’aide pas. Cela augmente la demande. Si l’offre ne peut pas répondre à cette demande, cela ne fait qu’augmenter la pression sur les prix des maisons.

C’est un facteur, mais c’est loin d’être le seul.

Le sénateur Loffreda : Y a-t-il une grande proportion de propriétaires immobiliers qui sont des investisseurs au Canada?

Mme Rogers : J’ai vu plus d’une étude à ce sujet, et cela dépend de la façon de concevoir l’investisseur, que ce soit défini en fonction du fait de posséder une maison ou de la durée de possession d’une maison. Il est difficile de chiffrer cela, et encore plus de chiffrer l’incidence que cela peut avoir sur le problème de l’abordabilité en général.

M. Macklem : J’ajouterais que nous n’avons pas de données précises sur ce qui constitue un investisseur. Il faut en quelque sorte déduire cela. Il faut s’appuyer sur quelque chose. C’est pour cela qu’il y a toutes sortes de données.

J’aimerais seulement faire de brèves observations. Les investisseurs étrangers ont occupé une plus grande part du marché. Je pense que diverses mesures ont atténué le problème associé aux investisseurs étrangers. Le problème se situe davantage à l’échelle nationale. Comme vous l’avez indiqué, la hausse rapide a certainement attiré les investisseurs qui cherchent à obtenir un rendement immédiat. Quand il semble y avoir une tendance haussière, cela attire les investisseurs. On voit que cela s’estompe quand les prix commencent à baisser. Il est très difficile de prédire exactement dans quel sens iront les prix. Cet engouement de la part des investisseurs s’est en partie estompé avec la baisse de 10 % des prix des maisons. Cela ne veut pas dire que ce facteur n’a plus d’incidence, mais je pense que l’effet s’est en partie estompé.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie d’être des nôtres, monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure.

Je voulais vous poser une question sur le graphique 16, qui porte sur la croissance du PIB par habitant, car, plus tôt cette année, nous avons consacré beaucoup de temps à l’étude des investissements des entreprises à l’ère du numérique et des données.

Nous avons constaté qu’aux États-Unis, les investissements des entreprises ont connu un taux de croissance par travailleur quatre fois plus important qu’au Canada dans le secteur numérique. La croissance de notre PIB par habitant ralentit. À l’heure actuelle, nous ne voyons pas de stratégie en place pour changer cela. Cela m’inquiète, car on pourrait dire qu’il s’agit d’un problème de productivité fondamental. Nous avons cerné un certain nombre de facteurs comme les politiques sur la concurrence, la stratégie sur les données, la gouvernance et les politiques de protection de la vie privée. À l’ère où nous vivons, il est absolument crucial d’aller de l’avant avec une stratégie de protection de la propriété intellectuelle.

Aidez-nous à comprendre les problèmes auxquels notre pays devra faire face en ce qui a trait au PIB par travailleur ou par habitant. L’OCDE brosse un portrait qui n’est pas très reluisant. Qu’en pensez-vous?

M. Macklem : De combien de temps le comité dispose-t-il?

C’est là le véritable casse-tête pour le Canada. Quand on compare les bilans du Canada et des États-Unis pour les 20 dernières années, on constate que leurs taux de croissance sont assez semblables. Cependant, les sources de cette croissance sont différentes. Au Canada, nous sommes très bons pour faire croître notre économie en ajoutant des travailleurs; on pourrait en dire long là-dessus. C’est notamment parce que le taux de participation au marché du travail est beaucoup plus élevé au Canada qu’aux États-Unis, surtout chez les femmes. D’ailleurs, nous avons été agréablement surpris de constater que le taux de participation au marché du travail chez les femmes a continué d’augmenter, au point où il s’approche du taux de participation des hommes. Évidemment, nous avons aussi un taux d’immigration beaucoup plus important. Nous avons une bonne politique d’immigration et beaucoup d’immigrants de la catégorie de l’immigration économique. Les entreprises sont bonnes pour les embaucher. Nous savons les intégrer au marché du travail.

Quant aux États-Unis, leur croissance vient partiellement de l’ajout de travailleurs, mais en grande partie de la hausse de rendement ou de productivité par travailleur. Pourquoi ne pouvons-nous pas être plus productifs, et pourquoi la productivité est-elle importante?

Je partage vos préoccupations. La productivité est très importante parce que c’est ce qui maintient la hausse du niveau de vie par habitant. C’est ce qui permet de hausser les salaires. Nous aimerions voir des salaires plus élevés, mais pour les maintenir à ce niveau, il faut plus de productivité. Pourquoi la productivité n’augmente-t-elle pas davantage au Canada?

Je pense que vous avez cerné un certain nombre de facteurs. Que nous révèlent les données? Les entreprises qui investissent davantage dans de la nouvelle machinerie et de nouveaux équipements, dans les nouvelles technologies de l’information et des communications, dans la recherche et le développement, dans le perfectionnement de leurs travailleurs et dans leur façon de s’organiser travaillent fort pour réduire et éliminer des coûts afin d’être plus concurrentielles. Comme je l’ai dit plus tôt, le Canada compte beaucoup d’entreprises remarquables qui parviennent à soutenir la concurrence à l’échelle mondiale. Pourquoi ne sont-elles pas plus nombreuses, et pourquoi cela ne se reflète-t-il pas davantage dans les données sur la productivité?

Je pense que c’est une question difficile. Je crois qu’il existe des barrières structurelles. Il y a beaucoup plus de petites et moyennes entreprises au Canada qu’aux États-Unis. Nous savons que les petites et moyennes entreprises n’ont pas les ressources nécessaires pour adopter le numérique de la même façon que les grandes entreprises. Le Canada est un grand pays. Nos coûts de transports sont élevés.

Je crois qu’il y a certaines difficultés sous-jacentes. Je suis heureux que le Sénat étudie cela, et je crois effectivement que les gouvernements devraient vraiment se pencher sur certaines choses. D’ailleurs, dans un contexte où, selon moi, les décisions financières ne seront que plus difficiles, il est à souligner que bon nombre de ces mesures n’exigeraient aucune dépense. Il s’agit de prendre des mesures réglementaires, de réduire les barrières interprovinciales, de rendre le processus d’approbation plus prévisible et plus rapide. Ces mesures ne coûtent pas d’argent et contribueront à faire croître l’économie, à élargir l’assiette fiscale et à tout simplifier, y compris la politique monétaire, car il faut assurer un certain équilibre entre l’offre et la demande afin de maîtriser l’inflation. Plus l’offre augmente, plus la demande peut augmenter sans causer de l’inflation.

Le sénateur C. Deacon : Merci.

[Français]

Le sénateur Gignac : Ma prochaine question n’est pas une critique de votre politique monétaire, parce que je pense que vous faites votre possible avec les outils que vous avez.

Par contre, votre politique monétaire, actuellement, est devenue la plus restrictive du G7, si on tient compte du core inflation dans chacun des pays et de votre taux directeur — et ce sont les économistes de la Banque du Canada qui le disent.

J’essaie de comprendre la responsabilité de la politique budgétaire dans tout cela. Êtes-vous d’accord avec l’ex-gouverneur de la Banque du Canada, David Dodge, qui disait que si on adoptait des ancrages budgétaires, cela aiderait à la politique monétaire, puisque, comme vous l’avez dit lundi dernier, actuellement les deux rament dans deux directions différentes?

M. Macklem : Les gouverneurs actuels de la Banque du Canada ne donnent pas de conseils sur les politiques monétaires.

Récemment, j’étais à Londres et la réputation du Canada est bonne. Pour la politique monétaire, on a dit que les décisions étaient bonnes et très claires. Quant à la politique budgétaire, au G7, notre ratio de déficit, notre PIB, avec celui de l’Allemagne, est le taux le plus bas. Nous avons un crédit AAA avec l’Allemagne.

Donc, le Canada est stable et c’est un bon endroit pour investir. Il y a beaucoup de points positifs. Mon seul conseil, vraiment, c’est que ce sont de grands avantages pour le Canada et c’est important de les protéger.

Le sénateur Gignac : Oui, mais je voudrais juste être clair.

Vous avez affirmé lundi à la Chambre des communes que cette politique budgétaire ne ramait pas dans la même direction que la politique monétaire — j’essaie juste de comprendre. Si elle ramait dans la bonne direction — et je sais que vous n’aimez pas cela —, peut-on prétendre qu’on aurait une politique monétaire qui serait un peu moins restrictive? Parce qu’à l’heure actuelle, c’est la plus restrictive au sein du G7.

M. Macklem : Si les politiques budgétaires et monétaires vont dans la même direction, ce sera plus facile de réduire l’inflation, et oui, cela aura des répercussions positives sur les taux d’intérêt, bien sûr.

[Traduction]

La présidente : Il faudrait que quelqu’un d’autre que le gouverneur de la banque leur donne des conseils.

[Français]

La sénatrice Bellemare : J’aimerais poursuivre sur le même raisonnement que mon collègue le sénateur Gignac.

Vous avez parlé de la coordination et je trouve cela très intéressant. Politique monétaire et politique fiscale coordonnées, cela n’est pas péché et n’enlève pas l’indépendance de la banque, bien au contraire. Cela peut améliorer son efficacité. On peut se coordonner par rapport à la demande, et on peut coordonner l’offre, peut-être — je ne sais pas. J’aimerais vous entendre à ce sujet.

Il y a un troisième élément à ma question concernant les nouveaux outils que vous pourriez peut-être avoir. J’examinais vos bilans financiers et je me suis posé la question : lorsqu’on avait des taux d’intérêt très faibles, il y a quelques années, on risquait parfois la déflation; on s’est même posé la question, car on voulait relancer l’économie. On a utilisé l’assouplissement quantitatif et c’étaient de gros chiffres.

Je regardais vos bilans financiers et le resserrement quantitatif est lent. Quelles conséquences cela pourrait-il avoir de resserrer quantitativement les bilans et de jouer sur cela rapidement?

J’ai aussi une question bien simple parce que je ne comprenais pas l’impact. J’aimerais que vous m’expliquiez : « membres de Paiements Canada », qui n’existait pas avant 2020, est arrivé avec la COVID-19. Peut-être qu’il y avait une autre institution qui coordonnait les paiements, mais dans votre bilan, cela n’apparaissait pas à cette ligne. C’était à zéro et cela a monté jusqu’à 500 milliards de dollars au premier trimestre de 2021.

Même chose en ce qui concerne les obligations du gouvernement du Canada : elles ont aussi beaucoup augmenté, et ce, jusqu’à 430 milliards au début de 2021.

Est-ce que ce sont des instruments sur lesquels on peut jouer sans toucher au taux d’intérêt directeur? Cela a sûrement un impact sur les taux à plus long terme. J’aimerais vous entendre là-dessus et savoir si cette façon de faire est utilisable.

M. Macklem : J’aimerais commencer par la deuxième partie de votre question au sujet de l’assouplissement quantitatif et du resserrement quantitatif.

Certains aspects sont très opérationnels. Il y a le système de paiements du Canada qui n’est pas la politique monétaire. La Banque du Canada agit à titre de banquier pour le gouvernement, qui fait des dépôts lorsqu’il paye les employés de l’État. Tous ces dépôts sortent de notre bilan.

Ce sont des aspects opérationnels qui ne sont pas liés à notre mandat pour la politique monétaire. Ce qui fait partie de notre mandat, c’est l’assouplissement quantitatif et maintenant, le resserrement quantitatif.

En ce qui concerne le resserrement quantitatif, lorsque les obligations arrivent à échéance, on les laisse tomber de notre bilan. On ne vend pas de manière active notre bilan. Quelques banques centrales le font, dont la Banque d’Angleterre. Elle a une situation quelque peu différente de la nôtre.

Les obligations qui figurent à son bilan sont beaucoup plus à long terme. Donc si elle ne vend pas, son bilan demeurera élevé pour très longtemps.

Comme la banque centrale américaine, notre bilan est à plus court terme. Donc, en laissant tomber les obligations lorsqu’elles arrivent à échéance, notre bilan diminue.

Selon les chiffres que nous avons, au sommet, le bilan affichait 575 milliards de dollars en obligations et maintenant, il y en a pour 324 milliards. Si on continue avec le resserrement quantitatif, vers la fin de 2024, il sera environ à 260 milliards de dollars.

Quant à la première partie de votre question au sujet de la coordination, j’aimerais préciser deux choses. Premièrement, les gouvernements ont beaucoup de priorités : éducation, sécurité, santé, protection des personnes vulnérables. C’est pourquoi la plupart des pays démocratiques ont créé une banque centrale dont le seul mandat est la stabilisation des prix et dont l’instrument principal est le taux d’intérêt.

Le gouvernement a aussi un rôle de stabilisation de l’économie et du cycle de l’inflation, mais puisqu’il a beaucoup de priorités, c’est plus difficile pour lui d’équilibrer tout cela. C’est pourquoi nous avons la banque centrale du Canada, dont le mandat est précis et qui a une indépendance opérationnelle, et dans la plupart des cas, on peut tous prendre nos décisions.

Par ailleurs, si on me demande si les gouvernements fédéral et provinciaux devraient tenir compte des impacts de l’inflation sur leurs dépenses, je dirais que dans un contexte de taux d’inflation élevé depuis deux ans, le gouvernement devrait en tenir compte.

[Traduction]

La sénatrice Marshall : Merci beaucoup. Je ne me suis pas rendu compte que mon tour allait arriver aussi rapidement.

Je voulais aussi parler de vos états financiers et de quelque chose dont nous avons déjà parlé auparavant, c’est-à-dire la perte indiquée dans vos états financiers. Nous avons parlé de la raison pour laquelle vous enregistrez une perte.

Quand on examine les états financiers du gouvernement du Canada, qui viennent d’être publiés, on constate que la perte au chapitre des revenus qui sont remis au gouvernement est vraiment considérable. Le gouvernement ne reçoit pas les revenus que vous lui fournissiez.

Dans vos états financiers, j’ai remarqué que, pour la période de trois mois close à la fin de juin, vous parlez d’une perte nette, et vous dites : « Avec le temps, la Banque reviendra à un résultat net positif. »

Est-ce à dire que, lorsque vous reviendrez à un résultat net positif, vous recommencerez à remettre ces revenus au gouvernement? Je me demande seulement dans combien de temps vous recommencerez à remettre de l’argent au gouvernement du Canada. Dans combien d’années? Avez-vous fait des prévisions à ce sujet?

Mme Rogers : Nous en avons fait. Cela dépend de la situation. Il est toujours difficile d’établir des prévisions par rapport à notre bilan financier, car cela dépend beaucoup de l’évolution des taux d’intérêt.

La sénatrice Marshall : Je sais.

Mme Rogers : Pour ce qui est de la première partie de votre question, sénatrice Marshall, nous allons recouvrer les pertes avant de commencer à remettre de l’argent.

La sénatrice Marshall : Est-ce à long terme?

Mme Rogers : C’est à plus long terme.

Si nous établissons des prévisions en fonction de l’évolution des taux d’intérêt sur le marché, d’après nos meilleures estimations à l’heure actuelle, nous recommencerions à remettre des gains au gouvernement en 2030.

La sénatrice Marshall : En 2030.

M. Macklem : Nous recommencerons à enregistrer des gains avant cela, mais nous les utiliserons pour recouvrer les pertes.

La sénatrice Marshall : Vous devez les recouvrer, en effet.

M. Macklem : Une fois qu’elles seront recouvrées, nous recommencerons à remettre de l’argent.

La sénatrice Marshall : Vous commencerez à le faire à ce moment-là, d’accord.

Le fait que vous ne remettiez plus rien au gouvernement a un effet très considérable sur l’état des revenus du gouvernement. Je sais que vous êtes détenteurs de ses obligations, mais il n’en demeure pas moins que vos revenus leur manquent.

Donc en 2030, merci.

La sénatrice Galvez : Merci. Je suis sûre que vous savez que nos six grandes banques investissent énormément dans les combustibles fossiles. Quand on les interroge à ce sujet, elles disent que, si elles mettent fin à ces investissements, cela aura des effets très négatifs sur l’économie canadienne et sa stabilité.

Plus tôt, lorsque j’ai demandé quel sera l’effet des combustibles fossiles sur l’inflation, vous avez répondu que vous n’avez pas analysé en profondeur la relation complexe entre les combustibles fossiles et notre économie.

Cependant, sur votre site Web, vous dites que les changements climatiques sont une question importante pour les banques centrales, et qu’ils sont en train de transformer l’économie canadienne.

Pouvez-vous nous expliquer un peu plus comment, selon vous, ces choses interagissent? Merci.

M. Macklem : J’aimerais d’abord préciser que la Banque du Canada n’a pas de mandat explicite en ce qui concerne les changements climatiques. Cependant, comme vous l’avez bien dit, les changements climatiques sont une force majeure qui a une incidence sur l’économie canadienne. Ils auront des répercussions sur pratiquement tous les secteurs de l’économie canadienne.

Pour pouvoir assumer nos responsabilités en ce qui a trait à la politique monétaire et à la promotion d’un système financier stable et efficace, nous devons comprendre les effets des changements climatiques sur l’économie.

Nous faisons principalement deux choses, la première étant la plus avancée. Nous travaillons avec le Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, ainsi qu’avec de grandes institutions financières afin d’évaluer les risques que représentent les changements climatiques pour la stabilité financière. À cet égard, le principal risque est que le marché sous-estime les risques liés aux changements climatiques ou qu’il évalue mal les coûts qui s’y rattachent. À un certain point, ces risques se concrétisent, et cela entraîne rapidement une réévaluation des actifs à grande échelle, ce qui crée un grand vide dans le système financier. Cela pose problème pour la stabilité financière.

Il y a beaucoup d’incertitude par rapport aux répercussions qu’auront les changements climatiques. Personne ne le sait vraiment. Je pense que personne ne peut vraiment faire de prévisions, et si des gens disaient en être capables, je serais quelque peu sceptique.

On peut cependant faire des analyses de situations. Qu’est-ce qui se passerait dans telles ou telles circonstances? On peut alors déterminer dans quelle mesure le système financier pourrait résister à ce choc.

Nous avons fait cette analyse. Elle montre que les changements climatiques ont certainement des répercussions. Dans l’ensemble, les effets sur le secteur financier ne semblent pas cataclysmiques, ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas un gros problème pour l’économie. Nous avons fait des études de ce genre et nous les avons publiées. Chose certaine, le BSIF, un organisme chargé de la réglementation prudentielle, suit cette question de près. C’est un aspect dont il tient compte lorsqu’il établit ses normes de fonds propres. De notre point de vue, nous avons fait une bonne partie de ce travail. Il est en grande partie achevé, même si quelques analyses restent à faire.

Nous nous concentrons maintenant sur un deuxième volet : comprendre les effets des changements climatiques sur la macroéconomie et les répercussions sur l’inflation. Il y a deux grands types d’effets. Il y a d’abord les effets causés par l’augmentation de la fréquence des feux de forêt, des inondations et des phénomènes météorologiques extrêmes — et les Canadiens en sont bien conscients, j’en suis sûr. Ces événements perturbent la vie des Canadiens, la production, les transports et les chaînes d’approvisionnement. Quels effets auront-ils sur l’économie? L’une des choses que nous savons, c’est que la politique monétaire a une incidence sur la demande, mais qu’elle n’influe pas vraiment sur l’offre. Si les bouleversements de l’offre deviennent plus fréquents, la situation sera plus difficile. Comment gérer ce type de risques?

La transition vers la croissance verte entraîne un autre type d’effets. D’énormes investissements doivent être faits dans les énergies renouvelables pour atteindre une croissance carboneutre. Quelles sont les répercussions sur l’économie et les différents secteurs?

Nous investissons dans des modèles adaptés à la politique monétaire qui incluent ces facteurs climatiques. Nos modèles actuels n’en tiennent pas vraiment compte. Il faut ajouter un nouveau facteur dans le modèle pour intégrer les énergies propres.

La sénatrice Galvez : Merci.

Le sénateur Massicotte : Merci. Je profite de votre présence, monsieur le gouverneur et madame Rogers, pour vous parler d’un projet de loi dont nous débattons : il obligerait la Banque du Canada, toutes les institutions bancaires et toutes les institutions financières relevant du fédéral à établir un conseil distinct pour garantir que toutes ces entités fassent le travail approprié en ce qui concerne les risques liés aux changements climatiques. Considérez-vous cette mesure législative comme avantageuse pour votre organisation? Est-ce plutôt un obstacle? À ce que je comprends, des pays ont pris des mesures similaires. Qu’en pensez-vous?

M. Macklem : En quelques mots, je pense que cette question devrait être posée au Bureau du surintendant des institutions financières, qui est responsable de la supervision et de la réglementation des banques.

De mon point de vue personnel, les changements climatiques doivent être intégrés dans les facteurs habituellement tenus en compte. Le BSIF supervise déjà la gouvernance et la gestion interne des risques des banques. Les changements climatiques doivent en faire partie. Comme je l’ai dit, c’est plutôt une question pour ce bureau.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La présidente : Le surintendant sera là demain. Nous pourrons alors aborder le sujet.

Mes collègues ont d’autres questions à poser, mais pouvez-vous nous en dire plus sur votre façon de voir les choses? Vous vous êtes montré très prudent dans vos observations. Nous vous avons tous entendu, après la pandémie, admettre que vous vous étiez un peu trompé en parlant d’inflation transitoire. Vous avez présenté vos excuses sur ce point.

Techniquement, nous sommes maintenant entrés en récession. Les soldes de cartes de crédit des particuliers atteignent des sommets. Les frais de la dette ont augmenté de 42 %. La dette du gouvernement est à la hausse. À quel point hésitez-vous, en ce moment, à prendre ces décisions et à augmenter le taux de 25 points de base? Quel est votre raisonnement? Allez-vous conserver la même approche jusqu’à ce que quelqu’un vous oblige à faire autre chose?

M. Macklem : Je répondrai en quelques points. D’abord, de telles décisions ne sont pas faciles à prendre. Nous savons qu’elles ont de grandes répercussions sur les Canadiens. Nous sommes conscients que les Canadiens sont durement éprouvés. Ils souffrent de l’inflation. Nous savons que les taux d’intérêt élevés leur rendent la vie difficile. Malheureusement, il n’y a pas d’approche sans douleur pour stabiliser les prix.

Pour ce qui est des décisions que nous avons prises, nous avons augmenté les taux à deux reprises pendant l’été. C’est parce que le conseil de direction en est venu à la conclusion que la politique monétaire n’était pas assez restrictive pour revenir à la cible d’inflation. Lors de nos deux dernières décisions à ce sujet, nous avons annoncé que nous maintenions le taux à 5 %. C’est parce que nous voyons des preuves claires de certains points que vous avez soulevés. L’économie ralentit; le marché du travail est mieux équilibré. Nous nous attendons à ce que la croissance soit faible pendant quelques trimestres. Nous estimons que l’inflation va continuer de diminuer, mais nous devons le constater. L’inflation fondamentale doit baisser davantage. Elle se montre plus persistante que nous l’avions espéré. Par conséquent, d’autres hausses du taux sont possibles.

Le sénateur Loffreda : Je vais poursuivre sur le même sujet.

BNN Bloomberg titre « Le Canada pourrait être entré dans une récession technique selon les données préliminaires de Statistique Canada ». Dans le Financial Post, on peut lire : « L’économie en ralentissement du Canada est en voie d’entrer en récession technique. » BNN Bloomberg affirme aussi ceci : « Une légère récession pourrait rapidement s’aggraver sans baisses du taux. »

Pourtant, vous vous attendez à une faible croissance économique. Maintenez-vous toujours ces prévisions? J’imagine que oui. Est-ce préoccupant que le Fonds monétaire international, en s’appuyant sur les données de l’Organisation de coopération et de développement économiques, qui regroupe 38 économies, signale que le Canada est le pays qui court le plus grand risque de défaut de paiement des prêts hypothécaires parmi ces 38 économies avancées? Equifax rapporte que les Canadiens ayant un prêt hypothécaire accusent des retards de paiement sur leur dette non hypothécaire. De toute évidence, le prêt hypothécaire est la dernière chose que les Canadiens arrêtent de rembourser. Nous savons tous que c’est leur prêt hypothécaire.

À quel point cette situation est-elle préoccupante pour vous? Quels seront ses effets sur votre politique monétaire future? Bien sûr, personne n’a de boule de cristal, mais j’aimerais savoir ce que vous en pensez. Ce sont de nouvelles données qui sont maintenant connues.

M. Macklem : Oui. Je vais commencer, puis la première sous-gouverneure voudra peut-être ajouter quelque chose.

Nous tentons de doser notre resserrement monétaire le mieux possible. En ce qui concerne nos prévisions, nous nous attendons à un très faible taux de croissance.

Lorsqu’on prévoit de très faibles taux de croissance, on ne peut pas écarter la possibilité de petits reculs. Par conséquent, il pourrait y avoir deux ou trois trimestres légèrement positifs ou légèrement négatifs.

Lorsque le mot « récession » est employé, les gens pensent à une chute prononcée de la production et à une forte augmentation du taux de chômage. Ce n’est pas ce que nous prévoyons. C’est ce que nous tentons d’éviter. Nous ne pensons pas qu’une grave récession est nécessaire pour faire baisser l’inflation.

La première sous-gouverneure voudra peut-être parler plus en détail des taux de défaillance. Certains des chiffres que vous avez mentionnés concordent avec ce que nous constatons.

Mme Rogers : Oui, je vais vous présenter quelques données. Il y a deux ou trois points à garder à l’esprit. D’abord, il ne faut pas oublier qu’environ 35 % des ménages canadiens ont un prêt hypothécaire, qu’environ 40 % sont locataires et qu’environ 25 % d’entre eux sont propriétaires à part entière de leur habitation. On a tendance à accorder beaucoup d’attention aux ménages qui ont un prêt hypothécaire lorsqu’on discute des tensions financières, mais il importe de ne pas négliger ceux qui n’ont pas de tels prêts.

Selon les données récentes que nous avons étudiées, où les retards de paiement de 60 jours servent d’indicateur des tensions financières liées aux prêts hypothécaires, le taux a changé. Comme je l’ai dit, il est toujours inférieur aux taux enregistrés avant la pandémie, mais il a augmenté de façon assez marquée au cours des six derniers mois. Il est passé de 1,2 à 1,4 %. Il a donc enregistré une hausse de six points de base.

Il ne s’agit pas seulement de la dette non hypothécaire. Ce ne sont pas les prêts automobiles de gens qui ont aussi un prêt hypothécaire. Il s’agit de la dette de gens qui n’ont pas de prêt hypothécaire. Ce taux a grimpé encore plus.

Nous en concluons que les tensions financières ne peuvent se réduire aux taux de défaillance. Nous pensons que l’inflation continue probablement de jouer un grand rôle dans les tensions financières vécues par les gens.

On ne peut pas seulement tenir compte des hypothèques; il faut se rappeler le rôle de l’inflation. Lorsque nous pensons à ce que nous pouvons faire pour alléger les tensions financières que vivent les gens, nous pouvons de nouveau maîtriser l’inflation. C’est ainsi que nous aiderons les ménages qui ont un prêt hypothécaire, les gens qui n’en ont pas, les propriétaires et les locataires. Cela aidera tout le monde.

En ce qui concerne les tensions financières, nous les suivons de près pour les raisons dont vous avez parlé. Nous en tenons compte dans les décisions que nous prenons sur la politique monétaire. Cela dit, ce que nous sommes déterminés à faire pour aider à alléger les tensions financières vécues par les Canadiens, c’est de revenir à la cible d’inflation.

Le sénateur Gignac : Je vais tenter d’être bref. Si vous le souhaitez, monsieur Macklem, vous pourrez aussi soumettre une réponse écrite.

En juin dernier, votre ancien collègue a prononcé un discours intéressant sur le fait que nous devons composer avec des taux d’intérêt qui resteront plus élevés qu’ils ne l’étaient avant la pandémie.

Du côté des États-Unis, les économistes s’entendent maintenant pour dire que le taux neutre réel a probablement augmenté de 50 points de base et peut-être de 75 points de base par rapport aux taux d’avant la pandémie.

Pensez-vous que le Canada a un taux neutre réel semblable à celui des États-Unis? Si ce n’est pas le cas, quelle sera la différence entre les deux pays?

M. Macklem : Je pense que je peux donner une réponse brève. Comme M. Paul Beaudry l’a souligné dans son discours, le problème avec le taux neutre, c’est que c’est un beau concept d’économistes, mais nous ne pouvons pas le mesurer ou l’observer directement. Nous devons le déduire. Nous disposons d’une variété de modèles pour l’estimer.

Bien sûr, lorsqu’on a recours à un modèle d’estimation, on utilise des données historiques parce que les données futures n’existent pas. Lorsqu’on met à jour ces modèles fondés sur les données historiques, comme M. Paul Beaudry l’a souligné, il n’y a pas de preuves convaincantes que le taux neutre a changé.

Nous mettons à jour nos prévisions chaque année en avril, et je dois admettre que je ne me sentais pas complètement à l’aise avec ce que nous avons publié en avril dernier. J’avais le sentiment que ce n’était pas tout à fait juste. Cela dit, une analyse empirique est une analyse empirique.

Fait intéressant, le lendemain de la publication de nos prévisions, le Fonds monétaire international a présenté les Perspectives de l’économie mondiale, qui incluaient une annexe. Sans surprise, nous utilisons tous des modèles semblables. En s’appuyant sur des modèles mondiaux, le Fonds monétaire international a obtenu le même résultat que nous. Nous nous sommes dit que, au moins, nous utilisions les modèles de façon appropriée.

Cela ne signifie pas pour autant que le taux neutre n’a pas augmenté. Je crois que certaines raisons nous portent à croire que les données que nous obtiendrons indiqueront que le taux neutre est probablement plus élevé plutôt que plus bas. Un certain nombre de facteurs l’expliquent. Les déficits financiers sont beaucoup plus importants dans certaines des plus grandes économies de la planète, comme les États-Unis, et cela exercera une pression sur le taux neutre. La société est vieillissante, les baby-boomers prennent leur retraite et le marché du travail pourrait se resserrer pour de bon. Il faudra investir massivement dans les énergies renouvelables pour arriver à une croissance carboneutre.

Ce sont tous des facteurs qui pourraient faire croître le taux neutre. Il est très difficile de les quantifier. Je ne serais pas en mesure de les chiffrer. Certains le font, mais je ne crois pas qu’il soit possible de le faire. Je pense que le taux neutre est probablement en croissance, mais il est très difficile de déterminer l’ampleur de cette croissance.

La dernière chose que je voudrais dire, c’est que cette question ne m’empêche pas de dormir. Je pense que notre cadre est plutôt bien conçu. Si le taux neutre est en train de changer, il le fait de façon assez graduelle. S’il connaît une croissance graduelle et que nous n’en tenons pas suffisamment compte, cela signifie que nous estimons tous que la politique monétaire est plus serrée qu’elle ne l’est réellement, alors l’inflation sera plus élevée que ce que nous avions prévu. Ce qu’il y a de bien au sujet des cibles d’inflation, c’est que nous finissons par savoir si elles ont été atteintes. Nous verrons à quel point l’inflation est plus élevée que nos cibles et cela indiquera que le taux neutre est peut-être un peu plus élevé, alors les taux d’intérêt devront être ajustés à la hausse pour ramener l’inflation au niveau de nos cibles.

La variation du taux neutre est probablement assez lente, alors nous devrions avoir le temps de nous y adapter en cours de route.

La présidente : Vous m’avez ouvert la porte : si cela ne vous empêche pas de dormir, qu’est-ce qui vous empêche de dormir?

Le sénateur Gignac : Bonne question.

M. Macklem : C’est vrai, je vous ai ouvert la porte. Je pense que c’est la même chose qui nous empêche tous de dormir. Nous voulons rétablir la stabilité des prix au Canada. Nous savons que les Canadiens ressentent les effets de la hausse du coût de la vie. Ils trouvent que la vie est inabordable. Il faut que cela s’arrête. Nous voulons faire diminuer l’inflation et rétablir la stabilité des prix pour les Canadiens et nous voulons le faire de la façon la moins coûteuse possible.

[Français]

La sénatrice Bellemare : Je pense que votre conclusion répond à ma question.

Qu’est-ce que vous dites aux gens du marché du travail qui essaient d’indexer leur salaire? Je pense qu’avec des clauses d’indexation, votre message est clair : vous voulez dormir et vous travaillez pour le faire.

M. Macklem : J’aimerais souligner ceci : ce n’est pas que je veux dormir, on fait cela pour les Canadiens, les travailleurs, les consommateurs. Quand on reçoit notre salaire et qu’on ne peut pas acheter ce qu’on pensait pouvoir acheter, on est fâché. C’est ce qu’on voit dans la société. L’inflation a pour effet que tout le monde est fâché. L’inflation affecte la cohésion sociale.

On ne peut pas régler tous les problèmes, mais en ayant une stabilité des prix, c’est un problème de moins pour tous les Canadiens.

[Traduction]

La présidente : Nous espérons que vous arriverez à dormir tous les deux et à faire diminuer l’inflation.

Merci beaucoup, monsieur le gouverneur et madame la première sous-gouverneure. Nous sommes reconnaissants que vous preniez le temps de venir nous voir régulièrement pour répondre à nos questions et nous vous recevrons de nouveau après la publication du prochain rapport sur la politique monétaire. Merci beaucoup.

M. Macklem : Nous sommes heureux de répondre à vos excellentes questions.

La présidente : Merci beaucoup.

À demain tout le monde.

(La séance est levée.)

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