LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 2 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour étudier le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois.
Le sénateur Tony Loffreda (vice-président) occupe le fauteuil.
[Traduction]
Le vice-président : Bonjour à tous et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Tony Loffreda, je suis le vice-président du comité.
[Français]
Avant de commencer, je voudrais rappeler à tous les sénateurs et aux autres participants à la réunion présents dans la salle les mesures préventives importantes suivantes.
[Traduction]
Pour prévenir les risques d’échos acoustiques qui pourraient nuire au bon déroulement de la réunion et causer des blessures, nous rappelons à tous les participants ici présents de garder leurs oreillettes loin de tous les micros en tout temps. Comme l’indique le communiqué adressé par le Président à tous les sénateurs le lundi 29 avril, des mesures ont été prises pour éviter toute occurrence de ce phénomène. Toutes les oreillettes ont été remplacées par un modèle réduisant considérablement la probabilité d’écho acoustique. Les nouvelles oreillettes sont de couleur noire, tandis que les anciennes sont grises. Veuillez utiliser uniquement les oreillettes noires approuvées.
[Français]
Par défaut, toutes les oreillettes inutilisées au début d’une réunion seront débranchées. Lorsque votre oreillette n’est pas utilisée, veuillez la placer face vers le bas, au milieu de l’autocollant sur la table, tel qu’indiqué par l’image.
Veuillez consulter les cartes sur la table pour connaître les lignes directrices sur la prévention des incidents acoustiques.
[Traduction]
Veuillez vous installer de manière à augmenter la distance entre les micros. Les oreillettes doivent être branchées à la console du micro située directement devant vous et non sous la table. Ces mesures nous permettront de vaquer à nos occupations sans interruption, et elles protègent la santé et la sécurité de tous les participants, notamment des interprètes. Je vous remercie de votre collaboration.
J’invite maintenant les membres du comité à se présenter.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, du Québec.
Le sénateur Gignac : Bonjour. Clément Gignac, du Québec
La sénatrice Galvez : Rosa Galvez, du Québec.
[Traduction]
La sénatrice Petten : Iris Petten, de Terre-Neuve-et-Labrador.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Julie Miville-Dechêne, aussi du Québec.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Le sénateur Varone : Toni Varone, de l’Ontario.
Le sénateur C. Deacon : Colin Deacon, de la Nouvelle-Écosse.
La sénatrice Marshall : Elizabeth Marshall, de Terre-Neuve-et-Labrador.
La sénatrice Martin : Yonah Martin, de la Colombie-Britannique, direction la côte Ouest. Soyez les bienvenus.
Le vice-président : Merci, chers collègues. Aujourd’hui, nous poursuivons notre examen du projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Les témoins de notre premier groupe représentent le Bureau d’assurance du Canada. Ce sont Jason Clark, conseiller national, Sensibilisation au changement climatique, et Phil Donelson, directeur, Risques catastrophiques et changements climatiques. Bienvenue parmi nous, messieurs. Nous accueillons également Thierry Philipponnat, économiste en chef chez Finance Watch, qui participera par vidéoconférence. Bienvenue à vous, monsieur.
Bienvenue à tous et merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons maintenant entendre vos exposés préliminaires. Monsieur Donelson, vous avez la parole.
Phil Donelson, directeur, Risques catastrophiques et changements climatiques, Bureau d’assurance du Canada : Merci, monsieur le président, et bonjour à tous les sénateurs. Je suis accompagné aujourd’hui de mon collègue Jason Clark, conseiller national, Sensibilisation au changement climatique. Nous sommes heureux d’être ici aujourd’hui au nom du BAC, le Bureau d’assurance du Canada, et de ses membres pour vous parler de nos recommandations en lien avec le projet de loi S-243, Loi édictant la Loi sur la finance alignée sur le climat et apportant des modifications connexes à d’autres lois. Le BAC est une association sectorielle nationale représentant les assureurs de résidences privées, d’automobiles et d’entreprises du Canada. Nos membres représentent la grande majorité du marché privé des assurances multirisques. Depuis 60 ans, le BAC collabore avec les gouvernements et les organismes de réglementation de l’assurance partout au pays pour faciliter l’accès des Canadiens à une assurance-habitation, une assurance automobile et une assurance commerciale abordables.
Le Canada n’est pas suffisamment préparé aux risques qui nous attendent en raison des phénomènes météorologiques extrêmes découlant des changements climatiques. Jusqu’ici, les discussions d’ordre réglementaire concernant la divulgation des risques climatiques ne tiennent souvent pas suffisamment compte du risque physique et surestiment le risque lié à la transition en termes relatifs. Dans un pays où les catastrophes naturelles ne cessent de perturber l’activité économique depuis quelques années, il y aurait lieu d’inverser cette tendance. Je vous explique.
En 2023, le Canada a connu la pire saison de feux de forêt de son histoire, à raison de plus de 6 000 incendies, qui ont brûlé plus de 18,5 millions d’hectares et qui ont forcé l’évacuation d’au moins 155 000 personnes, le tout au coût de 1,4 milliard de dollars — et cela uniquement pour lutter contre les feux de forêt. Il faut se faire à l’idée que 2024 pourrait être pire.
On voit aussi que les inondations sont de plus en plus graves. À l’heure actuelle, 1,5 million d’habitations se trouvent dans des zones du Canada où le risque d’inondations côtières, riveraines ou urbaines est élevé. Ces ménages n’ont pas accès à des assurances-habitation abordables et suffisantes. Depuis huit ans, le BAC plaide en faveur d’un programme national d’assurance contre les inondations à faible coût pour les ménages à risque élevé, en partenariat avec le secteur privé, afin d’aider à combler cette couverture insuffisante. Nous sommes heureux de constater des progrès à cet égard dans le budget de 2024.
L’an dernier, les phénomènes météorologiques violents ont causé, au total, des dommages assurés de 3,5 milliards de dollars, soit l’un des chiffres annuels les plus élevés des quatre dernières décennies. Mais, contrairement à 2016, quand la forêt a pris feu à Fort McMurray, les pertes n’étaient pas attribuables à une seule catastrophe majeure. Elles étaient en fait réparties dans tout le Canada, où des catastrophes climatiques se produisaient partout. Compte tenu de la menace de catastrophes naturelles plus fréquentes et plus intenses dans toutes les régions du pays, le BAC appuie l’esprit du projet de loi S-243 et estime que ce texte législatif représente un changement important qui permettra au gouvernement fédéral et aux assureurs de travailler en étroite collaboration sur les changements climatiques et leurs répercussions.
Nous craignons cependant que le projet de loi ne redouble les travaux en cours et ne crée un fardeau réglementaire supplémentaire pour les assureurs multirisques, qui travaillent déjà en étroite collaboration avec le BSIF, le Bureau du surintendant des institutions financières, sur les plans et les divulgations des risques physiques et liés à la transition. Nos préoccupations découlent de la composition unique du secteur de l’assurance multirisques au Canada, qui compte 196 entreprises représentant à la fois de grandes multinationales et de petits établissements financiers locaux. Beaucoup de ces petites entreprises ont moins de ressources et de capacité et auront déjà de la difficulté à répondre aux exigences annuelles du BSIF à partir de 2025.
Les assureurs multirisques sont sur la ligne de front des changements climatiques depuis de nombreuses années. Ils sonnent l’alarme auprès des gouvernements et des organismes de réglementation, proposent des solutions stratégiques et s’occupent de l’évaluation financière et de la gestion des risques climatiques. En fait, le BSIF a récemment souligné le leadership du secteur privé dans le rapport intitulé Ce que nous avons entendu, publié à la suite du sondage mené auprès des établissements financiers sur l’état de préparation à la mise en œuvre de la ligne directrice B-15. Le rapport précise que les assureurs multirisques sont plus avancés que les autres dans le compte rendu et la mesure des risques liés au climat, ainsi que dans la définition des rôles et des responsabilités des membres des conseils d’administration et des hautes directions en matière climatique. Le BAC travaille en étroite collaboration avec le BSIF sur la ligne directrice B-15 et sur les initiatives climatiques connexes pour s’assurer qu’elles produisent des résultats utiles, qu’elles sont conformes aux normes internationales et qu’elles peuvent être mises en œuvre par les petites et grandes compagnies d’assurance dans des délais raisonnables.
Tandis qu’il s’oriente vers une économie carboneutre, le Canada doit de toute urgence améliorer ses mesures de protection climatiques. Il s’agit notamment d’investir dans de nouvelles infrastructures pour protéger les collectivités contre les inondations et les incendies, d’améliorer les codes du bâtiment, d’assurer une meilleure planification de l’utilisation des terres et de multiplier les mesures incitant les gens et les entreprises à s’éloigner des régions les plus à risque. C’est pourquoi le BAC a cofondé Un Canada résistant au climat, une coalition nationale qui a joué un rôle consultatif important dans l’élaboration de la première Stratégie nationale d’adaptation du pays.
Depuis plus de dix ans, le BAC sensibilise les gouvernements à la nécessité de mieux se préparer aux phénomènes météorologiques violents causés par les changements climatiques. Nous estimons que le Canada doit prendre des mesures à la fois offensives et défensives contre les changements climatiques et agir dès aujourd’hui pour protéger les Canadiens contre la menace croissante qui pèse sur leurs foyers et leur bien-être. Il est temps que le comité poursuive son étude du projet de loi S-243 à la lumière du risque climatique auquel le Canada est confronté et du rôle que les assureurs multirisques peuvent jouer dans cet effort. Merci de nous avoir invités à nous exprimer. Nous nous ferons un plaisir de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci, monsieur Donelson.
[Français]
Monsieur Philipponnat, la parole est à vous. Vous avez cinq minutes pour vos remarques préliminaires.
[Traduction]
Thierry Philipponnat, chef économiste, Finance Watch, à titre personnel : Honorables sénateurs, mesdames et messieurs, c’est un honneur d’être parmi vous aujourd’hui.
Finance Watch est une organisation basée à Bruxelles, dont la mission est d’analyser et de promouvoir l’intérêt public dans la réglementation financière. Notre mission nous amène à interagir avec des décideurs politiques, des organismes de réglementation et des législateurs. Ce faisant, nous cherchons systématiquement à conjuguer l’intérêt public, la faisabilité technique de nos propositions et une perspective non partisane.
La Loi sur la finance alignée sur le climat dont nous discutons aujourd’hui est une mesure législative ambitieuse qui traite du lien entre les changements climatiques et le système financier. Il est essentiel de comprendre ce lien et de s’intéresser à leur interdépendance pour deux raisons : premièrement, par nature, la finance est le catalyseur de l’activité économique et, à ce titre, elle est aussi le catalyseur des changements climatiques; deuxièmement, le secteur financier est exposé, par nature, aux activités auxquelles il apporte des capitaux. Les répercussions sans précédent et irréversibles que les changements climatiques auront sur la société et sur l’économie entraînent mécaniquement un risque systémique désormais largement reconnu pour le système financier. Autrement dit, la finance rend les changements climatiques possibles — et il faut comprendre qu’il ne s’agit pas d’une question morale, mais d’une question purement factuelle —, mais elle est également menacée par les changements climatiques. C’est un cercle vicieux.
Compte tenu du temps limité dont je dispose pour cet exposé préliminaire, je vais retenir, parmi les différents sujets couverts par le projet de loi S-243, la question du risque créé par les changements climatiques pour le système financier et la façon de l’aborder. Comment éviter de provoquer une nouvelle crise financière en plus de la crise climatique croissante? Voilà la question.
La Partie III de la Loi sur la finance alignée sur le climat propose une solution simple et efficace pour s’attaquer au risque financier que représentent les changements climatiques pour le système bancaire. Allant directement à la racine du problème, elle met l’accent sur les risques associés, pour les banques, aux actifs relatifs aux combustibles fossiles. Quel que soit le scénario, les actifs liés aux combustibles fossiles finiront par être abandonnés à cause des changements climatiques. Soit les gouvernements prendront des mesures pour laisser les réserves de combustibles fossiles sous terre afin de limiter le réchauffement de la planète, et les réserves inexploitées de combustibles fossiles perdront leur valeur; soit ils n’en prendront pas, et le réchauffement de la planète atteindra des niveaux insupportables et aura un impact négatif énorme sur l’activité économique, entraînant l’effondrement de la valeur de tous les actifs économiques, y compris, évidemment, les réserves de combustibles fossiles et les entreprises de combustibles fossiles. Autrement dit, il n’y a pas de scénario dans lequel la valeur des actifs liés aux combustibles fossiles pourrait ne pas s’effondrer. C’est clairement une question de temps, mais c’est la situation à laquelle nous sommes confrontés.
Selon un groupe de 50 experts internationaux qui collaborent avec l’UNEPFI, l’Initiative financière du Programme des Nations unies pour l’environnement, les mesures concernant les besoins en capital contenues dans la Loi sur la finance alignée sur le climat seraient les plus efficaces et les plus réalisables pour assurer la résilience du secteur bancaire canadien face aux changements climatiques.
J’insiste sur le fait qu’on parle de résilience du secteur bancaire et, donc, de gestion des risques.
En appliquant une pondération des risques de 150 % à l’exigence normalisée de capital de Bâle de 8 % pour les risques actuels associés aux combustibles fossiles, c’est-à-dire en exigeant un capital de 12 pour un risque de 100, il s’ensuivrait une exigence normalisée du cadre de Bâle jugée particulièrement risquée, ce qui est évidemment le cas compte tenu du contexte des actifs abandonnés dont nous venons de parler. Il faut savoir que ce genre de pondération des risques est couramment appliquée à différentes catégories de risques — par exemple, au capital privé — dans des pays comme ceux de l’Union européenne, qui appliquent le cadre de Bâle, et qu’elle n’empêche pas les banques d’accorder du crédit à ces activités.
La deuxième mesure envisagée dans la LFAC serait l’application d’une pondération des risques de 1 250 % à l’exigence normalisée de fonds propres du cadre de Bâle de 8 % pour les risques à venir associés aux combustibles fossiles. Cela signifierait un financement intégral de ces risques et respecterait l’un des principes financiers de gestion des risques les plus fondamentaux, à savoir que les projets très risqués doivent être financés par des fonds propres pour éviter une contagion financière en cas d’effondrement du projet. Comme les réserves avérées de combustibles fossiles dans le monde représentent déjà cinq fois ce que l’humanité peut se permettre d’utiliser pour limiter le réchauffement climatique à deux degrés, il est certain que toutes les nouvelles réserves explorées à l’avenir finiront par être abandonnées et que l’argent investi sera gaspillé, d’où la logique de financement par des fonds propres pour les nouvelles réserves.
Comme l’a déclaré la Banque centrale européenne en octobre 2021, les banques centrales européennes reconnaissent que :
... les réserves de fonds propres actuelles ne tiennent pas compte des risques financiers liés au climat en raison de pondérations des risques qui ne traduisent pas encore pleinement ces risques...
Ces risques sont surtout associés, pour les banques, aux actifs et aux activités relatifs aux combustibles fossiles, et il est essentiel que nos sociétés s’en préoccupent. Je n’ai aucun doute qu’en adoptant les exigences en matière de capital contenues dans la LFAC, votre comité contribuerait grandement à préserver la stabilité du système bancaire canadien face à la plus grande menace à laquelle les établissements bancaires seront confrontés dans les prochaines décennies.
Je vous remercie de votre attention et je me ferai un plaisir de discuter de ces différents enjeux avec vous — mais aussi, bien sûr, d’autres aspects de la Loi sur la finance alignée sur le climat.
Le vice-président : Merci de votre exposé. Nous allons maintenant passer aux questions. J’invite mes collègues à faire preuve de concision.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Je voudrais faire une mise au point avec nos participants. Je voudrais d’abord les remercier d’être présents, parce que c’est un dossier très important. Je veux que l’on se comprenne bien. Tout le monde ici est tout à fait d’accord sur le principe qu’il est important que le secteur financier tienne compte des risques climatiques dans ses opérations. C’est important pour la société en général.
Toutefois, nous sommes le Sénat. Nous sommes tenus d’étudier un projet de loi qui n’est pas un projet de loi du gouvernement, donc il n’y a aucune étude substantielle qui a été faite par les ministères ni par le gouvernement pour analyser ce projet de loi. Nous avons donc des questions qui peuvent sembler naïves dans ce contexte, puisque le projet de loi est très ambitieux, comme on l’a déjà dit.
Croyez-vous que ce projet de loi, à cause de ses ambitions, devrait être un projet de loi du gouvernement, puisqu’il permettrait d’adopter des mesures compensatoires lorsqu’il se doit, car selon notre compréhension, il couperait les vivres à des secteurs économiques fort importants pour le Canada? On s’entend pour dire que le secteur de l’exploitation des ressources pétrolières est très important pour le Canada comparativement à d’autres pays européens. En d’autres mots, compte tenu de ces ambitions, pensez-vous que le Sénat est habilité à adopter un projet de loi comme celui-ci et à assurer les suivis qui sont implicites?
M. Philipponnat : La question de la sénatrice a deux dimensions. La première est une question de procédure législative canadienne sur laquelle je dois m’avouer incompétent. Je ne vais pas répondre à cette partie de la question.
Par contre, madame la sénatrice, vous dites que les propositions contenues dans la Loi sur la finance alignée sur le climat, si je peux utiliser l’acronyme, couperaient les vivres aux secteurs des énergies fossiles. Pour avoir beaucoup travaillé sur cette question, ce n’est pas le cas pour les raisons suivantes. Dans la Loi sur la finance alignée sur le climat, fondamentalement — je me permets de le résumer de façon très générale, peut-être trop —, il y a une première partie traitant de l’information, de la transparence, pour que les parties prenantes puissent évaluer les risques et les impacts. Aussi, il y a une partie qui traite de l’exigence en capital, qui est celle au sujet de laquelle j’ai parlé.
Prenons l’exigence en capital qui serait adoptée par cette loi. Toutes nos banques, qu’elles soient du Canada ou de l’Union européenne, sont soumises au régime de Bâle. Une exigence en capital de 150 %, cela veut dire quoi? Cela veut dire qu’il y a une pondération du risque qui fait que l’on donne 1,5 fois le capital normal du régime de Bâle, soit 150 %. Au lieu de mettre le chiffre huit de fonds propres de capital en face d’une exposition de 100, avec une exigence de ce type, il y aurait 1,5 fois huit, c’est-à-dire 12, en face d’une exposition de 100. Qu’est-ce que cela veut dire?
Cela veut dire qu’il y a un peu plus de fonds propres face à un prêt bancaire accordé par une banque à une compagnie produisant des énergies fossiles et que, en cas de problème, la banque sera plus solide et fera moins facilement défaut, même si sa contrepartie fait défaut. C’est donc une question de résilience, et non pas une question d’empêchement de financer. C’est quelque chose de très important.
Comme je l’ai mentionné dans ma déclaration, par exemple, le secteur du capital-investissement reçoit un traitement de ce type dans le cadre de Bâle. Comme nous le savons tous, le capital-investissement reçoit tout le financement bancaire dont il a besoin quand il s’agit de faire des montages avec effet de levier ou autre. Il ne s’agit donc pas de couper le financement, mais de s’assurer que le secteur financier, le secteur bancaire en l’occurrence, est plus solide face à des risques certains avec un horizon de temps inconnu. Je vous l’accorde : c’est bien là la difficulté de l’exercice.
Après, évidemment, pour un pays comme le Canada, le secteur des énergies fossiles est extrêmement important. Nous le savons tous, il en est ainsi et il est bien compréhensible que ce soit pris en compte.
La sénatrice Bellemare : J’ai une sous-question. Ce projet de loi, si je comprends bien, va hausser le coût des emprunts pour le secteur des énergies fossiles. Ne pensez-vous pas que les entreprises canadiennes iront voir ailleurs pour emprunter et que, en fin de compte, la Loi sur la finance alignée sur le climat ne réglera pas la question? Les gens iront tout simplement emprunter ailleurs et la question ne sera pas réglée.
M. Philipponnat : Vous posez les bonnes questions, madame la sénatrice.
Le métier d’un banquier est de mettre un prix sur un risque. La première partie de ma réponse est de dire que si le prix du crédit, autrement dit le coût, si le taux d’intérêt est artificiellement faible parce que le risque est sous-évalué, ce n’est vraiment pas sain d’un point de vue financier. Cela ne répond pas à toute votre question, j’en suis bien conscient. C’est une partie de la question, mais c’est important. Économiquement, c’est un principe fondamental. Nous vivons dans des économies que je qualifierais d’économies de liberté, avec la liberté d’entreprendre et de développer des affaires, mais tout cela nécessite de regarder les risques tels qu’ils sont, pour être capable de mettre le juste prix sur le risque.
Vous posez toutefois une très bonne question : qu’est-ce qui se passe si une exigence en capital de ce type existe au Canada, mais pas en Grande-Bretagne, dans l’Union européenne ou ailleurs? C’est un sujet sur lequel nous travaillons beaucoup chez Finance Watch depuis quatre ans maintenant. Nous travaillons avec le Comité de Bâle sur ce sujet parce qu’il est souhaitable que ce soit appliqué à l’échelle internationale. Nous travaillons énormément au sein de l’Union européenne pour que cette mesure s’applique aux banques de l’Union européenne. Nous n’avons probablement pas le temps durant cette réunion, mais il y a des mesures microprudentielles et macroprudentielles qui, en fin de compte, arriveront au même résultat. Il y a tout un travail qui se fait pour arriver à la même chose dans l’Union européenne. Nous travaillons également avec le Parlement britannique sur le budget. Certains parlementaires britanniques nous ont demandé notre avis. On voit effectivement que, dans un monde idéal, cette résilience du monde bancaire serait organisée à l’échelle mondiale. C’est l’éternelle question par rapport aux changements climatiques : on a un problème mondial, mais une gouvernance locale. Il en est ainsi.
Le vice-président : Merci, monsieur Philipponnat.
[Traduction]
La sénatrice Marshall : Je vais continuer sur le même thème que la sénatrice Bellemare.
Les répercussions financières du projet de loi sont l’une des questions dont nous avons beaucoup parlé au comité, sans y trouver de réponse. Monsieur Philipponnat, je sais que vous avez dit que la banque s’appuierait sur des assises solides et qu’il existe des exigences en matière de capital. Mais serait-il possible de quantifier le coût de ce projet de loi? Beaucoup d’établissements seront touchés, dont beaucoup de sociétés d’État. Je suis sûre que le gouvernement aimerait savoir ce qu’il en coûtera de plus.
Donc, y a-t-il moyen de quantifier en dollars le projet de loi ou certaines parties du projet de loi?
J’aimerais également entendre ce que M. Donelson a à dire à ce sujet.
Le vice-président : J’invite les témoins à répondre de façon concise. J’aimerais en effet que tous les sénateurs puissent poser une question. Merci de votre très précieuse contribution ce matin.
M. Philipponnat : Je suis désolé de ne pas avoir été suffisamment concis. Veuillez m’en excuser.
Pour être bref, en 2022, Finance Watch a publié un rapport quantifiant les répercussions des exigences en matière de capital contenues dans le projet de loi dont nous discutons aujourd’hui. J’en ai parlé dans mon exposé préliminaire et j’en parle dans le texte que j’ai remis au comité. Je vous invite donc à lire ce rapport pour quantifier ce que cela suppose du point de vue des exigences en matière de capital et du point de vue du coût du crédit.
La sénatrice Marshall : Pourriez-vous nous donner un ordre de grandeur? Est-ce qu’on parle de millions, de milliards ou de billions de dollars?
M. Philipponnat : Je ne suis pas certain de pouvoir être concis dans ce cas.
La sénatrice Marshall : Je ne veux pas vous mettre sur la sellette, mais j’essaie.
M. Philipponnat : Non, non, c’est mon travail, et aussi mon plaisir.
Essentiellement, les exigences supplémentaires en matière de capital — je parle ici des soixante plus grandes banques mondiales, qui ont environ 1,35 billion de dollars américains de risques de crédit associés à des actifs relatifs aux combustibles fossiles. Si les chiffres dont nous parlons ici s’appliquaient à ces 60 banques, cela représenterait une augmentation de capital de 150 à 200 milliards de dollars. C’est vraiment une fraction de l’avoir total de ces banques. La proportion est de cet ordre.
Comparativement, sur les 1,35 billion de dollars américains que les banques mondiales avaient dans le secteur des combustibles fossiles il y a trois ans — les chiffres datent de trois ans, mais ils ne sont probablement guère différents aujourd’hui —, les banques canadiennes assumaient un risque à raison de 70 milliards de dollars, soit, respectivement, 21 % de leur avoir net total et 1,45 % de leur actif total.
C’est l’ordre de grandeur dont il est question.
Le vice-président : Monsieur Donelson, désirez-vous intervenir?
M. Donelson : Nous ne pouvons pas nous prononcer sur le coût précis du projet de loi, mais, à notre avis, il y a un chevauchement important avec la ligne directrice B-15 du BSIF. Nos membres sont en train d’augmenter leurs effectifs et de se doter de ressources permettant de planifier la transition, de divulguer les émissions et d’obtenir les données utiles. Il y a un coût à cela, mais un processus de collaboration avec le BSIF permettra d’y arriver sur plusieurs années.
C’est là que nous aimerions concentrer nos efforts. Notre seule préoccupation concernant les coûts supplémentaires serait peut-être le double emploi des mesures et les anciens règlements sur les travailleurs.
La sénatrice Marshall : Est-ce que j’aurai un deuxième tour? J’ai d’autres questions.
Le vice-président : Oui.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour M. Philipponnat.
Vous avez parlé de ce qui se passe à l’étranger sur cette question. Est-ce qu’il y a un pays qui a déjà relevé ses réserves nécessaires pour certains secteurs en raison des risques liés au climat, ou est-ce que, en ce sens, nous serions des pionniers dans ce domaine? Je comprends que vous travaillez avec le Comité de Bâle et à l’international, en Europe et ailleurs, mais est-ce que vous voyez des pays qui vont dans cette direction?
M. Philipponnat : Des pays qui vont dans cette direction, oui, au sens où le sujet est discuté et réfléchi. Manifestement, ces choses ne se font pas d’un jour à l’autre.
À ma connaissance, il n’y a pas de pays ayant déjà adopté une évolution de leurs exigences en capital par rapport aux expositions aux énergies fossiles.
Par contre, vous regardez tous les travaux qui sont menés au sein de l’Union européenne par l’Autorité bancaire européenne. Sous l’injonction du Parlement européen, il y a des discussions très approfondies sur le sujet. Je vous ai cité tout à l’heure ce que dit la Banque centrale européenne qui, dans le cadre de l’Union européenne, a des pouvoirs très importants et une très grande autorité morale. Lorsque la Banque centrale européenne dit elle‑même que les exigences en capital ne reflètent pas les risques qui sont effectivement pris, ce n’est pas une injonction, mais une incitation pour tout le monde d’évoluer en ce sens.
Évidemment, je partage cette expérience avec vous parce que je crois qu’il est important d’intégrer votre travail dans un concert international. Le Canada est un très grand pays d’énergies fossiles avec des banques qui sont actives dans ce secteur. Il est impératif que le Canada se joigne à cette dynamique internationale qui consiste à se demander comment on va tenir compte de ces risques. Sinon, il est certain que nous aurons, sur le plan humain, une nouvelle crise financière en plus de la crise climatique. L’exposition aux énergies fossiles est d’un montant équivalent au montant des « subprimes » qui ont provoqué la crise d’il y a 12 ou 14 ans. Ce sont les mêmes montants et les mêmes causes qui vont produire les mêmes effets.
La sénatrice Miville-Dechêne : Pourriez-vous nous envoyer le document de la Banque européenne ou celui auquel vous avez fait référence pour cette citation?
M. Philipponnat : Oui, bien sûr.
La sénatrice Miville-Dechêne : J’ai une question pour nos invités du secteur des assurances. Vous avez dit appuyer le principe du projet de loi de la sénatrice Galvez. J’ai de la difficulté à comprendre pourquoi vous dites qu’en ce qui concerne la mise en place, vous jugez que le système actuel est beaucoup plus lent. On parle d’institutions qui demandent à d’autres institutions d’envoyer des rapports de transparence. Donc, tout cela peut aller relativement lentement. Ce n’est peut-être pas un processus suffisamment efficace et rapide pour faire face aux changements climatiques par opposition à une solution plus ambitieuse, qui est de légiférer sur l’idée selon laquelle il faut complexifier ou augmenter les réserves en cas de financement des industries fossiles. Elles contribuent sans aucun doute au réchauffement climatique.
[Traduction]
Jason Clark, conseiller national, Sensibilisation au changement climatique, Bureau d’assurance du Canada : Merci de votre question, sénatrice. Premièrement, nous appuyons l’esprit du projet de loi parce que nous estimons qu’il est extrêmement important de mettre l’accent notamment sur le risque physique.
Pour répondre à votre souci concernant l’incapacité à agir assez rapidement, je suis d’accord. Cela fait des années que nous travaillons activement sur les changements climatiques au nom de notre secteur, et ce sur plusieurs fronts et dans de multiples régions.
Nous prenons toutes sortes de mesures pour accélérer les choses. Premièrement, voyez du côté du travail de sensibilisation que nous avons fait pour promouvoir des politiques précises. Mon collègue M. Donelson a notamment parlé du travail que nous avons fait relativement à la Stratégie nationale d’adaptation.
La sénatrice Miville-Dechêne : Mais rien ne change au Canada. Nous sommes au dernier rang pour ce qui est des changements climatiques.
M. Clark : Selon nous, la question est la suivante : en faisons-nous assez pour lutter contre les changements climatiques qui se produisent déjà? Et, effectivement, ce n’est pas le cas. Il faut agir plus rapidement.
Quant au projet de loi proprement dit, le processus est déjà en cours avec le BSIF pour les assureurs multirisques. Nous faisons déjà une partie du travail à cet égard. Nos membres participent déjà à une grande partie du travail. Nous avons harmonisé nos normes avec celles de notre organisme de réglementation fédéral. Nous les avons également harmonisées avec les normes internationales du ISSB, le Conseil des normes internationales d’information sur la durabilité.
C’est important. Du point de vue du risque physique, comme nous l’avons souligné, nous sommes très inquiets et nous y travaillons activement.
La sénatrice Miville-Dechêne : Est-ce que ce projet de loi ne vous faciliterait pas la tâche puisqu’il accélérerait la transition?
M. Clark : Excellente question. Selon nous, la divulgation des données est déjà en cours. Nos membres sont très divers. Le BSIF permet aux grands établissements d’agir rapidement et aux petits établissements communautaires d’agir à un rythme approprié qui n’est pas sans difficulté pour eux. Nous sommes déterminés à faire ce travail.
Mais il est déjà en cours dans notre secteur.
Le vice-président : Merci, monsieur Donelson.
Le sénateur C. Deacon : Merci aux témoins. Je vais me concentrer sur les répercussions des changements climatiques sur l’assurance. Nous sommes nombreux à être favorables à l’intention du projet de loi S-243. Dans un rapport conjoint publié il y a quelques années, la Banque du Canada et le BSIF ont déclaré qu’il faut absolument agir vite pour minimiser les risques économiques.
L’été dernier a été plutôt apocalyptique pour la Nouvelle-Écosse. Les incendies et les inondations y ont été plus importants que jamais, et les réclamations d’assurance y ont donc été importantes également. Les phénomènes climatiques catastrophiques ressemblent à un graphique logarithmique, mais, du point de vue de l’augmentation des risques à l’échelle globale, c’est en fait un graphique linéaire.
Indépendamment de ce projet de loi, comment précisément gérez-vous ces risques croissants et le fait que les propriétaires ont besoin d’une assurance abordable pour obtenir une hypothèque? Comment obtenez-vous cet équilibre dans le travail que vous faites déjà?
M. Donelson : Merci de votre question, sénateur. Le Canada est un endroit où il est de plus en plus risqué de vivre, de travailler et d’assurer, et c’est pourquoi les coûts augmentent. Vous avez parlé des inondations. On a pu constater, dans les régions du pays où les risques d’inondation sont élevés, que les primes d’assurance sont devenues inabordables ou qu’il n’est plus possible d’obtenir d’assurance contre les crues. C’est pourquoi, depuis environ huit ans, nous demandons au gouvernement fédéral un programme national d’assurance contre les inondations qui soit abordable. Il s’agirait d’un partenariat public-privé axé sur ces zones à risque élevé, qui permettrait aux propriétaires locaux d’avoir un produit complet couvrant tous les types d’inondations. Il serait normalisé quelle que soit la compagnie d’assurances et permettrait de régler le problème. Plutôt que d’obtenir une aide financière ponctuelle après une catastrophe, quand les gens n’ont pas d’assurance, nous voulons qu’ils puissent compter d’emblée sur ce cadre d’assurance pour pouvoir obtenir immédiatement l’aide dont ils ont besoin.
Pour répondre à votre question, les effets des changements climatiques font augmenter les coûts de façon générale. C’est l’une de leurs conséquences, et nous sommes en train d’élaborer des politiques publiques pour essayer de régler ce problème.
Le sénateur C. Deacon : Beaucoup de familles ont été laissées dans l’incertitude l’été dernier parce que ce qui aurait manifestement dû être couvert par leurs compagnies d’assurances s’est trouvé, en fin de compte, non couvert. Les compagnies d’assurances ont refusé d’indemniser beaucoup de propriétaires. L’administration provinciale de la Nouvelle-Écosse a fini par intervenir, mais, comme contribuable néo‑écossais, j’ai été troublé par cette situation. En termes simples, il est très clair que l’infiltration des eaux souterraines a coïncidé avec la plus grande inondation que la province ait jamais connue. C’était de l’eau de surface qui entrait dans les maisons, et les assureurs ont prétendu que cela n’avait rien à voir, ce qui est parfaitement scandaleux.
Ce genre de situation irrite et énerve beaucoup de propriétaires. Comment vous y prendrez-vous pour faire en sorte qu’ils puissent compter sur cette aide? Les gens ont beaucoup perdu confiance dans les compagnies d’assurances dans notre province.
M. Clark : Je vais répondre à cette question. Merci beaucoup, sénateur.
Je ne peux évidemment pas parler directement de polices d’assurance spécifiques, mais ce qu’on a pu constater notamment l’an dernier à la suite des inondations en Nouvelle-Écosse, c’est que ces phénomènes sont effectivement les catastrophes climatiques les plus fréquentes et les plus coûteuses. Et il est très clair que les propriétaires d’habitation ne sont pas suffisamment nombreux à être couverts par une assurance.
Donc, comme l’a dit mon collègue M. Donelson, l’un des principaux éléments de nos activités de promotion consiste à veiller à ce que les propriétaires d’habitation de tout le pays aient accès à une assurance-inondation abordable, accessible et complète pour tous ces risques.
C’est un élément fondamental de notre travail. Et nous le faisons depuis huit ans. Nous sommes très satisfaits des prochaines étapes prévues dans le budget de 2024 et nous travaillons activement à cet égard pour nous assurer de pouvoir couvrir un plus grand nombre de Canadiens. Il y a un écart de couverture important, et nous essayons activement de le combler avec le gouvernement fédéral.
Le sénateur C. Deacon : Quand peut-on espérer que ce travail soit achevé et que les propriétaires voient une différence? Le temps est compté.
M. Clark : Je suis d’accord.
Le budget prévoyait un processus de 12 mois; ce programme devrait être opérationnel dans 12 mois. C’est notre échéancier. Nous espérons sincèrement pouvoir le respecter et nous collaborons dans le cadre d’un partenariat pour y arriver.
[Français]
Le sénateur Gignac : Merci à nos témoins d’être ici aujourd’hui. J’aimerais poursuivre la discussion commencée par la sénatrice Bellemare à l’intention de M. Philipponnat. En fait, vous savez que les marchés financiers sont très intégrés sur le plan mondial. En 2008 et 2009, j’ai eu le privilège et l’occasion de travailler au ministère des Finances et à la Banque du Canada avec l’ex-gouverneur Stephen S. Poloz et le gouverneur actuel, Tiff Macklem. J’ai aussi fait partie du groupe de travail du G20.
À ce moment-là, il était évident qu’il fallait que les acteurs travaillent ensemble, puisque les marchés financiers sont très intégrés.
Lorsque vous faites référence aux actifs à risque, que ce soit pour les hypothèques ou le capital-investissement, il aurait été impensable que le Canada puisse bouger unilatéralement sans que la Réserve fédérale ou la Banque d’Angleterre fasse la même chose.
C’était un groupe de travail avec des échéanciers et cela ne s’est pas fait avec les décideurs politiques législatifs. Cela s’est fait au niveau des ministres des Finances et des banques centrales avec les régulateurs.
Ne croyez-vous pas qu’il serait plus sage qu’on s’inspire des meilleures pratiques développées lors des crises financières de 2008 et 2009 et qu’on ait des groupes de travail et des régulateurs qui bougent tous en même temps, plutôt que de penser que le Canada pourrait bouger unilatéralement, tout simplement parce que les entreprises se financeront autrement qu’auprès des entreprises canadiennes et du secteur bancaire canadien?
Quelles seraient les conséquences si on bougeait unilatéralement? Le Canada est très intégré aux États-Unis. C’est comme si la France bougeait sans l’Allemagne, ce serait un peu bizarre. J’aimerais avoir votre réaction.
Le vice-président : Cinq autres sénateurs veulent poser des questions et nous avons 15 minutes pour la première ronde. C’est une question très importante et on veut vous entendre, mais soyez le plus concis possible, s’il vous plaît.
M. Philipponnat : Je serai très concis.
Je crois qu’on regarde le débat clairement. Sur toutes ces questions de réglementation internationale... Je fais ce métier depuis longtemps; j’ai été banquier pendant 20 ans et il y a maintenant 15 ans que je fais mon travail actuel. J’entends toujours l’argument totalement fondé et vrai qui dit ceci : « Oui, mais quelqu’un dans le monde ne le fait pas et je vais donc perdre des affaires. » C’est la question du niveau planifié.
C’est une vraie question. Personne ne le conteste. En même temps, je suis convaincu qu’elle est double. Il est indispensable que des responsables politiques décident d’aller de l’avant à un moment donné, parce que l’intérêt général n’est pas que la somme des intérêts privés. On est d’accord pour dire que l’intérêt privé compte parce que c’est la vie économique, mais le jour où il y aura — et je ne suis pas un oiseau de mauvais augure — une nouvelle crise financière qui sera déclenchée par toutes les banques sur terre, comme il y a 12 ans, les pays qui auront pris des mesures pour que cela n’arrive pas vont se féliciter, parce qu’un pays sans banques ne fonctionne pas. C’est quelque chose qui est très important. Dans votre question, sénateur, que je comprends parfaitement, il y a ce qui se passe à court terme, sur le fait que les affaires peuvent aller ailleurs; appelons un chat un chat. Il y a ce qui se passera demain. Qui tiendra debout lorsque le problème se révélera et qui ne tiendra pas?
Si vous mettez les deux dans l’équation, je crois que c’est la responsabilité politique qui est incroyablement subtile et c’est très difficile de peser les deux. Quant à la coordination internationale par le G20 — je parlais du Comité de Bâle —, c’est manifestement pour ça qu’on travaille avec eux et ensuite, ce sont les processus sans surprise qui sont longs, bien sûr.
[Traduction]
La sénatrice Petten : En quoi la Loi sur la finance alignée sur le climat aidera-t-elle les compagnies d’assurances à déterminer où investir leurs actifs pour obtenir un rendement maximal? Par exemple, une compagnie d’assurances pourra-t-elle continuer d’assurer un projet lié aux combustibles fossiles tout en investissant simultanément ses actifs dans le développement d’énergies propres?
M. Donelson : Pour comprendre, il faut savoir que la plupart des portefeuilles de placements des compagnies d’assurances multirisques sont constitués d’actifs ou d’obligations à taux fixe, de sorte qu’il n’y a pas beaucoup d’investissements directs dans des entreprises, bien qu’il y en ait un peu.
Dans l’ensemble, la ligne directrice B-15 fait obligation à nos membres de dresser des plans de transition. Certains se sont engagés d’eux-mêmes à la carboneutralité, et c’est un marché dynamique qui s’installe parallèlement au processus de transition.
Notre démarche actuelle est vraiment conforme à ce que prévoit la ligne directrice B-15.
La sénatrice Petten : Ma question portait davantage sur le projet de loi que nous sommes en train d’examiner. Y trouve-t-on quoi qui, selon vous, faciliterait toutes ces lignes directrices?
M. Clark : Désolé, sénatrice. Pourriez-vous répéter la question?
La sénatrice Petten : J’en parlais en lien avec le projet de loi.
M. Clark : Concernant nos investissements, disons que nos assureurs multirisques sont très structurés dans l’application des règlements leur permettant d’investir selon notre organisme de réglementation fédéral. C’est donc déjà très limité de ce point de vue.
Ces règlements limitent ce que nous pouvons investir et où nous pouvons le faire, ainsi que les types d’investissements que nous pouvons faire.
Le vice-président : Merci, monsieur Clark. Poursuivons.
Le sénateur Varone : Ma question porte sur le risque. Nous en sommes à la sixième génération de Canadiens qui utilisent des combustibles fossiles, et nous cherchons maintenant à nous en sortir et à nous tourner vers d’autres sources d’énergie.
Si tous les habitants de l’Ontario arrêtaient de consommer de l’essence et commençaient à remplacer leurs fournaises par des thermopompes, ils ne survivraient pas aux problèmes d’accès au réseau électrique qui en découleraient. Au final, la seule solution pour l’Ontario est de construire d’autres centrales nucléaires. La question concernant les combustibles fossiles et le nucléaire est donc la suivante : le secteur de l’assurance a-t-il pris toute la mesure de l’impact qu’aurait l’élargissement du secteur nucléaire pour la province? Parce qu’une catastrophe nucléaire éclipserait toutes les répercussions des autres phénomènes climatiques. J’aimerais connaître votre point de vue.
M. Donelson : Excellente question. De là l’importance que nous accordons à la compréhension des risques physiques liés aux changements climatiques. Par exemple, si vous avez un actif comme celui-là, il faut s’interroger sur les risques qui y sont associés en cas de phénomènes météorologiques extrêmes, etc.
Il faut donc que le gouvernement prenne des mesures d’adaptation et de résilience aux changements climatiques pour faire le genre d’investissements aptes à protéger les actifs les plus importants, les quartiers, les habitations et les entreprises pour que ceux-ci soient viables à long terme.
Le sénateur Varone : Vous n’avez pas répondu à la question de savoir si vous aviez entrepris une évaluation des risques liés aux solutions de rechange aux combustibles fossiles.
M. Donelson : Je ne peux pas vous le dire avec certitude. Je suis certain que beaucoup d’actuaires de nos sociétés membres examinent ce genre de questions macroéconomiques, mais je ne pense pas que le BAC l’ait fait.
Le sénateur Varone : Merci.
Le sénateur Yussuff : Merci aux témoins de leur présence ici ce matin. La portée du projet de loi est effectivement très ambitieuse, et c’est au centre des questions dont nous devons débattre concernant la ligne directrice B-15, comme de la question de savoir si le Canada peut agir plus rapidement.
J’ai deux questions. Concernant votre argument de tout à l’heure, monsieur Philipponnat, quand la crise des prêts hypothécaires à risque a éclaté aux États-Unis, nous avons été en grande partie épargnés parce que les banques canadiennes étaient davantage réglementées, et nous nous sommes débrouillés tout seuls. Nous n’avons pas suivi le reste du monde. Nous avons agi de notre propre chef, parce que nous nous sommes rendu compte que nos banques ne pouvaient pas se permettre de prendre ce genre de risques.
Le Canada est évidemment un pays unique en son genre. Le secteur des combustibles fossiles fait partie de notre ADN et de l’histoire de notre pays. Le projet de loi ne va-t-il pas un peu trop loin dans l’importance qu’il accorde à la possibilité de mettre ces actifs en péril? En bref, nous allons accorder beaucoup d’importance au secteur pétrolier et gazier du point de vue de l’emprunt. Le projet de loi ne va-t-il pas trop loin? Y aurait-il moyen de le modifier pour le rendre plus acceptable, compte tenu du fait que le capital canadien investit toujours dans ce secteur?
[Français]
Le vice-président : S’il vous plaît, soyez concis, car il ne reste que quelques minutes.
[Traduction]
M. Philipponnat : Excellente question. Je ne pense pas que le projet de loi aille trop loin étant donné qu’il vise à produire de la transparence et que la transparence n’est qu’un préalable à la prise de certaines décisions, de sorte que les exigences en matière de capital n’empêchent pas le secteur bancaire de financer le secteur des combustibles fossiles. Elles ne font que rendre le secteur bancaire plus résilient face aux risques qui se matérialiseront un jour ou l’autre.
Personne ne sait exactement quand cela arrivera, mais quand le temps sera venu, le secteur bancaire sera plus résilient. Je ne crois donc pas que le projet de loi aille trop loin.
J’irais même jusqu’à dire que, si nous avions une baguette magique et convainquions tous les pays du monde d’adopter ce genre de loi demain matin, la résilience du monde face aux énormes problèmes que nous devons résoudre en serait considérablement améliorée. Ce projet de loi ne résout évidemment pas les changements climatiques, mais il rend le secteur financier plus résilient.
Le sénateur Yussuff : Ce dont nous avons été témoins dans les dernières années est évidemment catastrophique. Nous n’avions jamais rien vu de tel. Malheureusement, vous n’êtes pas ceux qui décident des endroits où les habitations sont construites. Vous êtes en bout de chaîne. On construit beaucoup d’habitations dans des plaines inondables. Et puis on se réveille un beau matin en comprenant que ces plaines vont détruire les habitations qui y ont été construites. Et on vous demande ensuite d’assurer ces habitations.
Il est plutôt difficile de dire qu’il faudrait maintenant socialiser les risques et demander aux contribuables d’assumer une partie de ces risques en même temps qu’on demande aux assureurs...
Ne devrait-on pas simplement accepter le fait qu’il ne faut pas construire dans des plaines inondables? Ne devrait-on pas en débattre au lieu de se demander comment socialiser les risques? C’est complètement absurde de se dire qu’on va encore construire dans des plaines inondables et qu’on va encore assurer ces habitations, mais que, du moment que les contribuables peuvent faire partie de l’équation, tout va bien aller.
Qu’en pensez-vous et quel est le point de vue de votre secteur? Parce que ce sera un véritable enjeu pour notre pays si on veut maintenir les taux à un niveau raisonnable pour que les Canadiens puissent avoir les moyens d’assurer leur maison.
M. Clark : Merci de la question, sénateur. Nous sommes tout à fait d’accord, aussi bien au Bureau d’assurance du Canada que chez Un Canada résistant au climat. C’est une chose à laquelle nous travaillons activement. Qu’il s’agisse de la récente annonce du plan du Canada en matière de logement ou de l’engagement du gouvernement fédéral à construire 3,87 millions de nouvelles habitations, nous sommes absolument convaincus que ces habitations ne devraient pas être construites dans des zones où les risques d’inondations ou de feux de forêt sont élevés. Cela relancera précisément la crise de l’offre qu’on cherche à résorber. Quant à la protection des collectivités existantes, nous avons expliqué notre travail en faveur d’un programme national d’assurance contre les inondations qui serait conçu pour protéger les habitations déjà construites dans ces zones. Il ne faut pas construire de nouvelles habitations dans les zones où les risques sont élevés.
Le vice-président : Merci, monsieur Clark.
La sénatrice Galvez : Comme le temps est compté, je ne poserai qu’une seule question aux représentants du Bureau d’assurance du Canada.
Le Canada se réchauffe deux ou trois fois plus vite que le reste du monde, et l’Arctique se réchauffe cinq, sept ou huit fois plus vite. C’est pourquoi nous subirons plus de phénomènes météorologiques extrêmes que même l’Europe ou l’Amérique du Sud.
Ce que je ne comprends pas, c’est que vous et vos membres nous expliquez le coût des pertes assurées, mais que ce n’est qu’une partie du coût. Pourriez-vous nous parler du coût total? Mes collègues aimeraient bien savoir combien cela coûte, mais, pour avoir un élément de comparaison, nous avons besoin de savoir aussi combien il en coûterait de ne rien faire.
Deuxièmement, au sujet de l’assurance... d’une part, oui, nous avons besoin de plus de transparence pour révéler quelles sont les plaines inondables et modifier les codes du bâtiment, et pour que tout le monde sache qui sont les assureurs actifs et ceux qui ne le sont plus dans telle ou telle région. On l’a vu à Hawaï. Par ailleurs, ces mêmes assureurs sont muets quant à savoir qui assure encore les pipelines. Quelle est votre position face à ce double enjeu?
M. Clark : Merci, sénatrice. Je vais d’abord répondre à la question du coût, après quoi nous pourrons passer à autre chose.
Au sujet du coût, donc, nous avons constaté que la tendance est très claire quant à la fréquence et à la gravité croissantes des phénomènes climatiques. Cela se traduit dans les chiffres : en 2022, les pertes assurées se sont élevées à 3,4 milliards de dollars, alors que, l’an dernier, elles ont été de 3,5 milliards de dollars, et ce chiffre est provisoire et pourrait donc augmenter. C’est un volet du total : ce ne sont que les pertes assurées. Les pertes non assurées — les répercussions sur les infrastructures, par exemple — sont plus élevées que cela.
Je n’ai pas de chiffres sous la main, mais c’est en effet une question très importante. Je peux vous dire que le chiffre est beaucoup plus élevé que cela, parce que ce dont je parle ne concerne que notre secteur d’activité.
Le vice-président : Si vous avez ce chiffre par ailleurs, nous vous serions reconnaissants de nous le faire savoir par écrit.
M. Clark : Nous vous communiquerons le total de nos pertes assurées. Absolument.
Le vice-président : Merci.
Le sénateur Massicotte : Je vous remercie de votre présence parmi nous cet après-midi. Nous sommes tous d’accord pour dire que les changements climatiques sont un problème majeur que nous avons négligé. Nous savons tous que c’est un désastre.
Mais que peut-on faire pour gérer au mieux cet enjeu? Quand mon collègue vous a demandé s’il était important de faire quelque chose et que vous avez dit que vous étiez d’accord sur le principe, mais que vous étiez satisfait de ce que le BSIF et vous-mêmes faites, j’ai eu l’impression que vous disiez poliment : « Oui, bien sûr, nous en avons besoin, mais que se passera-t-il dans le cas contraire? » Soyons moins polis et demandons : « Que se passera-t-il? » Est-ce que cela veut dire que le BSIF a commis une grave erreur au sujet des conséquences sociales ou — comme beaucoup d’entre nous le pensent — s’agit-il d’un double emploi que vous préféreriez éviter parce que ce n’est pas votre combat?
Donnez-nous une idée de la situation. Qu’arrivera-t-il dans le cas contraire? Le BSIF serait-il à ce point incompétent qu’il commettrait ces graves erreurs sans les corriger?
M. Clark : Merci, sénateur. C’est avec plaisir que je vais vous répondre.
Ce projet de loi aborde une partie du problème. Quant à savoir si nous en faisons assez, nous avons commencé par vous dire que nous n’en faisons effectivement pas assez et que nous ne sommes pas prêts. Nous le constatons d’une année à l’autre. L’an dernier, nous avons connu la pire saison de feux de forêt de notre histoire, et cette année pourrait être pire.
Le sénateur Massicotte : Est-ce que ce projet de loi est utile?
M. Clark : Nous avons expliqué qu’une grande partie du travail est déjà en cours dans le secteur des assurances multirisques. Quand le projet de loi a été rédigé, une partie de ce travail n’avait probablement pas encore commencé.
Qu’il s’agisse de la divulgation des phénomènes climatiques ou de l’analyse de scénarios avec le BSIF, une partie de ce travail est en cours en 2024. Nos membres y participent déjà.
Le sénateur Massicotte : A-t-on besoin de ce projet de loi?
M. Clark : C’est au comité et au Parlement d’en décider. À notre avis, le principe de ce projet de loi est important. On pourrait l’améliorer en harmonisant ses exigences sur la production de rapports publics avec celles du Bureau du surintendant des institutions financières et celles de la Direction générale d’audit interne et de la gestion des risques d’entreprise.
Le sénateur Massicotte : C’est une partie mineure du projet de loi.
M. Clark : Notre industrie n’est pas visée par tout le contenu de ce projet de loi.
Le vice-président : Nous n’avons plus beaucoup de temps, il faut que nous avancions plus rapidement. Vous pourriez peut-être nous envoyer votre réponse par écrit si elle n’est pas brève. Monsieur Philipponnat, je vous prie d’être concis, si possible, mais je ne veux pas vous interrompre pour le deuxième tour.
La sénatrice Marshall : Je crois que vous avez dit que vous appuyez le principe du projet de loi, mais que certaines dispositions vous préoccupent. M. Clark vient d’en mentionner une, la nécessité d’harmoniser les rapports publics avec ceux du Bureau du surintendant.
Pourriez-vous nous envoyer un document qui indiquerait les articles qui vous préoccupent, si nous amendons ce projet de loi?
M. Clark : Oui.
La sénatrice Marshall : Merci.
M. Donelson : Je vais vous présenter rapidement un exemple. Le Bureau du surintendant produit habituellement ses rapports 180 jours après la fin de l’exercice. Le projet de loi exige la production des rapports dans un délai de 60 jours. Nous préférerions que le délai de 180 jours devienne la norme.
La sénatrice Marshall : C’est tout?
M. Donelson : Nous pourrions vous envoyer une réponse plus détaillée.
La sénatrice Marshall : J’allais souligner qu’il nous faudrait une réponse plus étoffée. Merci beaucoup.
La sénatrice Bellemare : Le Conseil de stabilité financière a produit une feuille de route pour aborder les risques financiers liés au climat. Comment ce projet de loi se compare-t-il à ce que propose le Conseil de stabilité financière? Peut-être que vous et M. Philipponnat pourriez également répondre par écrit.
M. Donelson : Nous nous ferons un plaisir de vous répondre par écrit. Le Conseil de stabilité financière et le Groupe de travail sur l’information financière relative aux changements climatiques, ou GTIFCC, ont inspiré non seulement ce projet de loi, mais la ligne directrice B-15 du Bureau du surintendant. Nous travaillons dans cette même veine.
Le vice-président : Avant de conclure, à la lumière des questions posées par les sénateurs, y a-t-il des messages que vous voulez renforcer? Merci d’être venus ce matin.
[Français]
Monsieur Philipponnat, merci d’avoir été parmi nous. Y a-t-il un message que vous aimeriez nous livrer en renforcement en 30 secondes?
M. Philipponnat : Merci à vous, c’était un honneur.
[Traduction]
Voici mon principal message : ce projet de loi causera probablement des répercussions à court terme sur les entreprises. Toutefois, compte tenu de la gravité de la situation, des enjeux et de la nature irréversible des changements climatiques, il ne suffira pas de considérer les répercussions à court terme de ce projet de loi. Il sera crucial de considérer les répercussions à moyen et à long terme. Malheureusement, le long terme n’est plus aussi loin que nous le pensions.
Le budget de carbone de la planète ne durera que de cinq à huit ans. Dans huit ans, nous l’aurons complètement épuisé. Autrement dit, nous ne pourrons pas abaisser le réchauffement planétaire de plus de deux degrés Celsius. La situation est urgente, et le long terme devient extrêmement court.
Examinons donc l’impact qui nous menace au lieu de nous concentrer sur les répercussions que subissent les entreprises à l’heure actuelle.
Le vice-président : Monsieur Donelson, avez-vous une dernière observation?
M. Donelson : Je vais céder la parole à mon collègue.
M. Clark : Je me contenterai de répéter que nous appuyons le principe du projet de loi et l’objectif d’accroître la saine gestion des risques climatiques dans le secteur financier.
Comme nous l’avons souligné au début, les changements climatiques se manifestent déjà. Nous en subissons les répercussions. Les assureurs se trouvent en première ligne. Nous nous concentrons quotidiennement sur ces menaces, que ce soit pour en atténuer les répercussions qui frappent les collectivités et les maisons — c’est un élément clé de ce que nous nous efforçons de faire — que pour affronter les menaces des inondations et des feux de forêt. Nous nous ferons un plaisir d’expliquer plus précisément par écrit les amendements que nous proposons. Nous sommes vraiment heureux que vous meniez cette étude.
Le vice-président : Merci beaucoup. Cela nous amène à la fin du temps dont nous disposons pour le premier groupe de témoins. Merci beaucoup d’être venus comparaître devant nous aujourd’hui.
Pour notre deuxième groupe de témoins, nous avons le plaisir d’accueillir, par vidéoconférence, M. Nathan Fabian, chef des systèmes durables, Principles pour l’investissement responsable et M. Christopher Ragan, directeur de l’École de politiques publiques Max Bell de l’Université McGill. Bienvenue, messieurs. Merci de vous joindre à nous aujourd’hui.
Nous allons d’abord entendre vos déclarations préliminaires. Veuillez vous en tenir à un maximum de cinq minutes pour que les sénateurs aient le temps de vous poser des questions — ils en ont tous beaucoup à poser, car ce projet de loi est très important.
Monsieur Fabian, vous avez la parole.
Nathan Fabian, chef des systèmes durables, Principles pour l’investissement responsable, à titre personnel : Bonjour, honorables sénateurs.
Principles pour l’investissement responsable est une association qui regroupe plus de 5 000 organismes d’investissement situés dans plus de 100 pays. Notre association s’attache avant tout à l’intégration des normes environnementales, sociales et de gouvernance, ou ESG, dans les décisions en matière d’investissement afin de remplir ses devoirs de prudence et de diligence envers les clients et les bénéficiaires.
Chaque pays où siègent nos signataires suit son propre plan de transition économique pour atteindre les cibles durables d’atténuation et de restauration des impacts causés par les changements climatiques. Ces approches comprennent souvent tout un éventail de mesures fiscales, réglementaires et normatives.
Je témoigne aujourd’hui au nom d’investisseurs institutionnels situés partout au monde. Ils désirent que l’on impose des normes et des règlements clairs, transparents et harmonisés aux marchés financiers et économiques.
Partout dans le monde, les institutions financières réforment leurs systèmes pour s’attaquer aux changements climatiques de façon très similaire à ce que propose ce projet de loi. La base de données de notre association sur les règlements comprend plus de 300 règlements qui ont été créés ou révisés depuis 2019 afin d’intégrer les normes ESG dans leurs pratiques financières. De ce nombre, 230 visent directement les investisseurs, les échangeurs de titres et d’autres fournisseurs de services financiers.
Parmi les exemples de réforme, mentionnons les obligations en matière de divulgation des renseignements sur les sociétés et les produits financiers. Citons aussi les normes comptables. Comme vous le savez peut-être, quatre marchés ont adopté les normes du Groupe de travail sur l’information financière, et 13 autres pays ont lancé des processus pour le faire. Nous nous attendons à ce que de nombreux autres pays emboîtent le pas. Soulignons aussi les repères environnementaux sous la forme de taxonomies durables, qui sont en cours d’élaboration dans 40 pays, dont le Brésil, l’Union européenne, l’Indonésie, Singapour et la République de Corée. Il y a des exigences en matière d’intendance et de collaboration. Par exemple, au moins 25 pays ont établi des codes et des règlements en matière d’intendance, dont le Japon, l’Australie, la Malaisie, l’Afrique du Sud et l’Inde.
On observe aussi une réforme des obligations des investisseurs qui, dans certains cas, les autorise ou les oblige à tenir compte des impacts sur la durabilité. Par exemple, depuis août 2022 — puisque le comité a parlé d’assurance aujourd’hui —, en Union européenne, les compagnies d’assurance et de réassurance sont tenues de tenir compte des répercussions à long terme de leurs stratégies d’investissement et de leurs décisions sur les facteurs de durabilité afin de respecter le principe de prudence.
Ces exemples illustrent les progrès considérables réalisés dans le monde entier en vue d’assurer la durabilité des systèmes financiers.
Le Canada pourrait s’inspirer de trois exemples utiles : le Japon, la Malaisie et l’Australie. Ces trois marchés ont des lois sur la divulgation régissant les sociétés et les codes de gérance de l’environnement et imposent des stratégies nationales de financement durable. L’Australie a récemment adopté un projet de loi sur les rapports financiers liés à la carboneutralité et au climat. La Malaisie a fixé de nouvelles lignes directrices sur les fonds d’investissement durables et responsables. Le Japon a fourni à ses institutions financières de nouvelles lignes directrices sur l’investissement d’impact.
Il vaut la peine de préciser les raisons pour lesquelles ces politiques sont mises en œuvre. Cela s’explique notamment par le fait qu’après avoir fixé des objectifs climatiques ou naturels pour leur pays, les gouvernements tiennent compte du rôle et de la fonction du financement privé dans leur transition économique. Ils cherchent aussi souvent à mieux diriger les flux financiers vers les activités économiques et vers les entreprises en transition. Ils établissent des processus de gestion des risques pour les entreprises. Ils simulent une crise pour vérifier l’efficacité de la gestion des risques dans les portefeuilles. Ils s’efforcent surtout de renforcer la confiance entre les contreparties afin d’améliorer la performance environnementale dans les domaines de la divulgation, de l’atteinte des cibles, de l’efficacité des plans de transition et des réclamations.
Ces objectifs et les réformes qui en découlent ne sont pas nouveaux. Des groupes comme l’Organisation de coopération et de développement économiques, l’OCDE, le Réseau pour l’écologisation du système financier, la Banque mondiale et même le Conseil de stabilité financière les examinent de très près.
Nous savons que le Canada a légiféré ses objectifs en matière d’environnement et de développement durable en adoptant des lois et des documents politiques comme la Loi canadienne sur la responsabilité en matière de carboneutralité, le Plan de réduction des émissions de 2030 et la Loi fédérale sur le développement durable. Toutefois, ses priorités et son cadre financier ne lui servent pas encore à atteindre ces objectifs et à rattraper l’avance des autres pays.
Soulignons que les décisions volontaires et fondées sur les risques que prennent les grandes institutions contribuent énormément à préparer le système financier à une transition économique qui tiendra compte du climat. Le Canada compte de nombreuses institutions averties. Cependant, en fin de compte, la certitude des règles et la normalisation produisent de la transparence, réduisent les frais de transaction et accroissent la confiance envers les marchés de capitaux, ce qui permet aux marchés financiers de prendre de l’expansion.
De nombreux gouvernements apportent des précisions à leurs règlements sur la finance durable. Ces règlements seront à la base des cadres et des normes que l’on suivra dans le monde entier.
Quelle que soit l’approche choisie au Canada, nous encourageons un examen approfondi des mesures proposées dans le projet de loi. Merci, monsieur le président.
Le vice-président : Merci, monsieur Fabian. Monsieur Ragan, c’est maintenant votre tour de faire une déclaration préliminaire, pour cinq minutes ou moins. Merci.
Christopher Ragan, directeur, École de politiques publiques Max Bell, Université McGill, à titre personnel : Merci beaucoup. C’est un honneur d’être ici. Je crois que je ne cadre pas tout à fait avec ce groupe puisque je ne comparais pas devant vous à titre de spécialiste de la réglementation bancaire ou de l’assurance. Je suis macroéconomiste. J’ai passé une bonne partie de ces 10 dernières années à réfléchir aux répercussions économiques de la politique climatique et, en particulier, de la tarification du carbone.
Tout d’abord, je tiens à souligner que j’appuie fermement les politiques qui favorisent la transparence et la mesure des risques dans le secteur bancaire, notamment les risques climatiques. Je pense qu’il sera également sage de rajuster les ratios de fonds propres afin d’assurer la stabilité financière et la résilience de notre secteur bancaire. Je crains cependant qu’un projet de loi comme celui-ci ne finisse par être partiellement motivé — ou, pire encore, calibré — dans le but de priver intentionnellement le secteur pétrolier et gazier de capitaux financiers pour induire une réduction de la production. Ce comité devra donc établir une distinction entre la politique bancaire prudente et adéquate et la politique climatique rentable.
Je crois que les diapositives de mon exposé ont été remises à tous les membres du Comité. Je ne pense pas que j’aurai le temps de les passer en revue, mais je vais vous présenter l’essentiel. Mes diapositives portent sur un document que j’ai élaboré avec deux collègues il y a un peu moins d’un an. Nous y expliquons le contenu d’un rapport important publié par le Forum des politiques publiques et intitulé La différence à 100 milliards de dollars. Ce rapport répondait aux nombreux appels lancés partout au pays en faveur d’une élimination progressive et active du secteur pétrolier et gazier. À titre d’économistes, mes deux collègues et moi nous posions la question suivante : pourquoi les gens préconisent-ils l’élimination progressive du secteur pétrolier et gazier plutôt que l’imposition d’un ensemble de politiques sur tous les secteurs et sur toute l’économie pour réduire les émissions?
Vous verrez les résultats de cette analyse aux dernières pages de ma présentation. Nous avons effectué une modélisation pour comparer deux approches stratégiques différentes. Nous avons nommé la première la décarbonisation agressive. Il s’agit d’une tarification du carbone appliquée à toute l’économie. Ce prix sur le carbone — principalement sur le carbone — augmenterait selon les besoins pour atteindre la carboneutralité d’ici à 2050. Comme de nombreuses études sur le climat menées au Canada l’ont démontré, il y a bien des façons d’atteindre la carboneutralité d’ici à 2050. Cette approche stratégique y parviendrait en appliquant un prix sur le carbone dans toute l’économie et dans tous les secteurs.
Nous avons comparé cette approche à celle de l’imposition d’un prix sur le carbone moins élevé visant à éliminer progressivement et activement le pétrole et le gaz. On l’appliquerait à partir de 2035, et notre modèle a montré qu’elle ramènerait le secteur très près de zéro d’ici à 2050.
Ces deux approches stratégiques atteindraient la carboneutralité d’ici à 2050. En ce sens, elles sont équivalentes sur le plan environnemental. Cependant, leurs coûts économiques seraient très différents. Notre rapport et celui du Forum des politiques publiques visaient essentiellement à poser la question suivante : quel coût économique produirait l’approche d’élimination progressive par rapport à celle qui imposerait un prix sur le carbone dans toute l’économie?
Au premier tableau de mes diapositives, vous pouvez voir la différence. Vous voyez le taux de croissance annuel moyen du PIB généré par les deux approches. Vous y voyez ensuite deux PIB différents en 2050, d’où le titre « La différence à 100 milliards de dollars ». Cette analyse démontre que l’élimination progressive intentionnelle du secteur pétrolier et gazier est beaucoup plus coûteuse pour l’économie.
Au lieu de répartir les coûts entre tous les secteurs et toutes les parties de l’économie, l’élimination progressive active concentre une grande partie des coûts sur un secteur en particulier. Par conséquent, les coûts globaux liés à la réduction des émissions d’ici à 2050 finissent par être beaucoup plus élevés — 100 milliards de dollars d’ici à 2050, soit environ 3,5 % du PIB généré d’ici là.
Pendant la crise financière de 2008-2009, le PIB du Canada a chuté d’un peu moins de 3 %, et ce taux s’est maintenu pendant plusieurs années. Notre analyse prévoit une baisse permanente du PIB de 3,5 %. Ce coût est énorme pour l’économie canadienne.
Nous ne soutenons aucunement qu’il vaut la peine de payer si cher pour contrer les changements climatiques. Ceux-ci causent un problème extrêmement grave auquel nous devons nous attaquer. Toutefois, notre rapport démontre qu’il existe bien des manières de lutter contre les changements climatiques. Il souligne cependant que les politiques qui visent l’élimination progressive du secteur pétrolier et gazier nous coûteraient très cher.
La diapositive suivante revient au projet de loi S-243 en expliquant quelles répercussions il aurait sur le secteur pétrolier et gazier. Je crois que si nous maintenons l’équilibre entre une politique bancaire prudente et une mesure adéquate et claire des risques, les capitaux financiers circuleront dans de bonnes directions. Mais si une politique comme celle-ci finit par éliminer, peut-être par inadvertance, les capitaux financiers du secteur pétrolier et gazier — je ne suis pas sûr que cela se produira, mais si c’est le cas —, elle produira l’élimination active du secteur pétrolier et gazier. Nous en paierons alors les coûts dont j’ai parlé et que le Forum des politiques publiques présente dans son rapport.
Je vais m’arrêter ici. Merci beaucoup.
Le vice-président : Merci. Nous allons passer aux questions.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Merci d’être avec nous, messieurs Fabian et Ragan. Ma question est la suivante. Ce que je comprends de l’exposé de M. Fabian, c’est qu’il y a beaucoup d’initiatives qui sont prises à l’échelle internationale dans le but d’aligner le secteur financier sur les problèmes climatiques, mais ce sont des initiatives gouvernementales, si je comprends bien. Ce sont des gouvernements qui ont adopté cette réglementation. On étudie actuellement un projet de loi sénatorial, qui a donc certaines limites. Dans ce contexte, pensez-vous que le projet de loi S-243, qui s’appuie sur des mesures un peu plus négatives, et je le mets entre guillemets, puisqu’il s’agit de réglementation... Il n’y a pas de « carotte » dans le projet de loi; il n’y a pas de soutien financier parce qu’on ne peut pas le faire. Pensez-vous que ce projet de loi va réussir sa mission, s’il n’est pas accompagné de mesures de politiques publiques qui soutiennent aussi les autres secteurs dans la transition climatique, tout en leur demandant des comptes? Voilà ma question.
[Traduction]
M. Fabian : Merci, madame la sénatrice. J’hésite à faire un commentaire sur vos processus internes, mais je dirais que, selon nous, lorsque les gouvernements adoptent une approche ou un point de vue pangouvernemental en menant des réformes, leurs résultats sont plus substantiels. Elles relient mieux les différentes fonctions et les systèmes réglementaires du gouvernement. Les acteurs financiers savent que la divulgation, les obligations et l’intendance environnementale ont des limites. Ils savent qu’il faudra mener d’autres types de réformes de la politique économique pour atteindre les objectifs climatiques et naturels. Voilà pourquoi nous pensons que les approches pangouvernementales produisent de meilleurs résultats.
Le vice-président : Merci.
La sénatrice Marshall : Je serai brève moi aussi. Monsieur Fabian, vous parlez de tous ces changements depuis 2019. Tous ces organismes et ces entreprises ont changé ces cinq dernières années. Ils ne cessent d’apporter des changements. Pour revenir à ce que disait la sénatrice Bellemare, toutes ces normes sont-elles établies par le gouvernement? J’avais toujours compris que d’autres organismes établissent des normes. Par exemple, les normes comptables — proviennent-elles du gouvernement? Qui a établi plus de 300 normes?
M. Fabian : Madame la sénatrice, elles proviennent d’un éventail complet d’institutions : ministères, organismes de réglementation et de surveillance financières, organismes de normalisation créés par l’industrie. Il arrive que des initiatives volontaires se concrétisent, disons, en lignes directrices adoptées par des organismes de réglementation ou par des superviseurs. On en fait parfois des règlements pour garantir une certaine équité et équilibrer les coûts de mise en œuvre pour les différents acteurs. Toutefois, vous avez raison, elles proviennent de tout un éventail d’institutions.
La sénatrice Marshall : Par conséquent, ces normes ne sont pas toujours obligatoires, n’est-ce pas? Certaines d’entre elles ne sont que volontaires. Il faut donc un certain temps avant qu’un organisme décide de s’y conformer? Je suppose que tous les organismes n’apportent pas ce même changement pendant une même année.
M. Fabian : C’est exact. Par exemple, lorsque des organismes acceptent de respecter des exigences, des lignes directrices ou des principes de bonne pratique en se disant « pourquoi pas? », on leur demande de divulguer avec transparence quelles mesures ils vont prendre. Il y a bien des façons d’appliquer ces exigences pour laisser aux marchés le temps de s’y adapter.
La sénatrice Marshall : Merci beaucoup.
Le sénateur Gignac : Je remercie nos témoins. Ma question s’adresse à M. Chris Ragan. Vous êtes l’ancien président de la Commission de l’écofiscalité du Canada. J’ai eu l’occasion et le privilège de travailler avec vous pendant la crise financière ainsi qu’avec MM. Tiff Macklem et Mark Carney. Vous êtes d’éminents experts. Je me souviens qu’à l’époque, un groupe de travail du G20 s’était penché sur des règlements plus stricts, je dirais, pour bien tenir compte des risques.
Cela dit, comme l’a souligné mon collègue, le sénateur Yussuff, les banques canadiennes ont bien résisté à la crise financière parce que, 10 ans avant cela, contrairement à Lehman Brothers et à d’autres courtiers américains, M. Paul Martin avait refusé d’augmenter le ratio de levier financier à 20-1. Il est donc possible que le Canada établisse une réglementation bancaire autre que celle des États-Unis pour nous protéger de la crise climatique. Avez-vous d’autres idées — à part le projet de loi S-243, qui impose une réglementation plus stricte — sur la façon dont nous pourrions procéder? Pourrions-nous faire autre chose que de réglementer ce détail? Que se passerait-il si, par exemple, un gouvernement décidait de supprimer cette taxe? Sans tarification, donc sans décarbonisation agressive, comment atteindrions-nous la carboneutralité d’ici à 2050?
M. Ragan : Merci beaucoup, sénateur Gignac. Il n’est pas facile de répondre à cette question. D’ailleurs, j’en perçois deux en une. Vous me demandez d’abord si le Canada peut établir des règlements différents des autres pays. Je pense bien que oui. Comme vous l’avez souligné, la réglementation des banques canadiennes n’est pas exactement la même que celles des États-Unis et de l’Union européenne. Elles ont toutes des points communs et des différences. Cela ne me préoccupe pas.
Si le Canada décide d’adopter une loi qui oblige les sociétés et les banques à mesurer leurs risques et à les divulguer avec transparence, il se heurtera à un certain nombre de difficultés. Un grand nombre de ces risques sont très difficiles à mesurer, et nous n’avons pas encore déterminé exactement ce que nous entendons par « risques climatiques ». Nous n’avons pas vraiment défini les risques liés aux changements climatiques et ceux qui sont liés à la politique climatique. Ces deux types de risques sont fondés sur des raisonnements très différents.
Mais une fois qu’on commence à imposer des exigences, on commence aussi à reconnaître cette distinction. Voilà probablement ce qui s’est produit il y a 100 ans, quand on a exigé que les sociétés cotées en bourse divulguent leurs risques financiers. Nous avons alors commencé à percevoir cette distinction.
Je suis donc certain que nous pourrons agir légèrement différemment que ce que feront les autres pays.
Votre deuxième question, si j’ai bien compris, était la suivante : si nous éliminons le prix sur le carbone, que ferons-nous de notre politique climatique? Comme vous le savez, je suis en faveur d’une tarification du carbone à l’échelle nationale, non seulement parce que c’est une façon efficace de réduire les émissions, mais parce que — comme beaucoup d’économistes le croient aussi — il semble vraiment que ce soit la façon la moins coûteuse de procéder. Si un futur gouvernement éliminait la tarification du carbone imposée actuellement dans tout le pays, j’espère qu’il la remplacera par une autre politique, mais elle sera probablement plus coûteuse. Ce serait déplorable, mais j’espère qu’elle réduira au moins efficacement les émissions.
Pour revenir à votre première question, à savoir si le Canada pourrait agir seul, comme le souligne le projet de loi S-243, il sera crucial de mesurer et de définir très soigneusement ces risques pour estimer les besoins en capital. Je ne suis pas sûr que nous en sachions autant que nous le voudrions sur ces risques. Le groupe de témoins précédent a laissé entendre que nous savons que les actifs des nouvelles exploitations pétrolières seront bloqués. Je ne suis pas sûr que nous sachions cela. Les experts s’entendent mal sur l’évolution de la demande mondiale de pétrole au cours de ces 30 à 50 prochaines années. Ils ne s’entendent pas du tout sur la demande de pétrole canadien au cours de cette période. Il est tout à fait possible que, même si la consommation de pétrole diminue dans le monde au cours de ces 30 ou 40 prochaines années, le Canada continue à produire du pétrole et à le vendre sur le marché mondial.
Nous devons donc définir ces risques avec beaucoup de prudence et tenir compte des hypothèses sur lesquelles ils se fondent. En fait, je crains que, si nous ne calibrons pas ce genre de politique avec beaucoup de soin, nous réduisions les revenus d’une industrie qui génère des recettes exceptionnelles pour l’économie du pays.
Le sénateur C. Deacon : Merci, monsieur Fabian et monsieur Ragan, d’être venus aujourd’hui.
Sur le plan stratégique, pensez-vous que le projet de loi S-243 s’harmonise avec les pratiques exemplaires mondiales, à part celle de la transparence de la quantification des risques? Il est crucial de quantifier les risques avec transparence pour planifier les interventions. Toutefois, si nous perdons trop de temps pour atteindre la perfection, nous n’irons pas loin. J’ai vu cela trop souvent dans ma vie.
Selon vous, quelle stratégie devrions-nous suivre pour faire des progrès réels?
M. Fabian : Je peux répondre à la question du sénateur. Merci, monsieur le sénateur.
Ce projet de loi s’inspire évidemment des réformes apportées dans d’autres pays. On y retrouve un grand nombre de sujets communs. Quant à savoir si ce projet de loi a correctement calibré les réformes proposées en fonction de ce qui peut être le plus efficace, c’est une tout autre question. J’ai clairement indiqué dans mon témoignage que ces réformes sont déjà en cours dans de nombreux pays.
Ces réformes ont une incidence sur le fonctionnement des marchés de capitaux, en ce sens que les marchés de capitaux et de la dette ont des règles et des normes comparables, qu’ils peuvent être transparents et qu’ils permettent aux contreparties de comprendre ce qui les relie aux objectifs climatiques et naturels.
Est-ce que cela à lui seul nous aidera à atteindre nos objectifs climatiques? Bien sûr que non. Le rôle des marchés de capitaux est d’investir dans l’économie et de protéger les intérêts des clients et des bénéficiaires ainsi que la valeur future de leur épargne. C’est leur rôle. Il est partiel, mais essentiel dans la transition économique. C’est un rôle essentiel, parce que nous croyons aux marchés et que nous voulons qu’ils contribuent à la transition de notre économie.
C’est un élément très important, mais il ne suffira pas à lui seul. Il faudra donc lancer d’autres réformes économiques.
Le vice-président : Monsieur Ragan, voudriez-vous ajouter quelque chose à ce sujet?
M. Ragan : J’ai noté ce que vous avez dit, sénateur Deacon, à propos des progrès réels. Nous devons faire une distinction entre les progrès du renforcement de la stabilité du système bancaire en fonction des risques climatiques et les progrès, disons, de la réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’adaptation aux changements climatiques. Ce sont deux choses tout à fait différentes. Ils ont quelques éléments communs, mais leurs logiques sont très différentes.
S’il est calibré correctement, ce projet de loi pourra aider les banques à mieux définir leurs risques et à les aborder de façon plus transparente, ce qui dirigera les flux financiers dans une meilleure direction. Mais nous ne devrions pas considérer cela comme une politique climatique centrale qui repose sur la réduction de la demande de combustibles fossiles. Cela s’applique au Canada et partout dans le monde.
Je ne pense pas que les ajustements bancaires viseront cela. Ce type de politique visant à renforcer la résilience du secteur bancaire et s’accompagnant de politiques comme la tarification du carbone — ou, si vous n’aimez pas le prix sur le carbone, une hausse de prix sur autre chose — aura fondamentalement pour effet de réduire la demande de combustibles fossiles; on ne va pas vraiment jouer directement avec les flux financiers.
Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup.
[Français]
La sénatrice Miville-Dechêne : Je voudrais d’abord revenir brièvement sur cette question dont on a quand même parlé à deux ou trois reprises, soit la différence entre un projet de loi d’intérêt privé et un projet de loi du gouvernement. C’est tout à fait vrai, mais nous devons aussi prendre en compte que lorsque les projets de loi arrivent à la Chambre des communes, il n’est pas rare que le gouvernement se prononce sur ces projets de loi et demande des changements qui correspondent à ses attentes. Il n’y a pas forcément de muraille de Chine entre deux initiatives. On peut renvoyer à la Chambre des communes un projet de loi qui peut être appuyé par le gouvernement.
Cela dit, ma question s’adresse à M. Fabian. J’aimerais avoir plus de détails, car vous tournez un peu autour du pot ou vous êtes assez prudent dans votre opinion par rapport au projet de loi. Les grands principes du projet de loi S-243 — je parle ici d’une importante assurance ou d’une importante réserve des banques lorsqu’elles prêtent à des compagnies pétrolières, par exemple, et des rapports très importants des institutions financières... Êtes‑vous d’accord sur ces principes, au-delà de la forme même de ce projet de loi? Considérez-vous qu’il y a des erreurs dans le projet de loi ou croyez-vous qu’il va dans la bonne direction en général?
[Traduction]
M. Fabian : Merci, madame la sénatrice.
La réglementation bancaire et les besoins de capital ne figurent pas parmi les objectifs principaux de mon organisme et parmi les sujets de mon expertise. Je peux seulement vous répondre que les besoins de capital et l’utilisation des besoins de capital sont des sujets encore mal définis partout au monde. Ils alimentent encore bien des discussions. Lorsque l’Union européenne a étudié cette question — et elle l’étudie encore —, l’utilisation des besoins de capital, soit pour des coûts supplémentaires liés à la pollution, soit pour des incitatifs liés aux allocations vertes, a tout de suite entraîné la question des autres risques ou des autres facteurs. Cela complique évidemment l’utilisation de cet outil.
Je vous rapporte ce que j’ai entendu en écoutant ce dialogue dans d’autres pays, mais je ne peux pas vous donner une opinion d’expert sur la façon dont cette politique devrait être appliquée.
Le vice-président : Merci, monsieur Fabian.
Monsieur Ragan, aimeriez-vous ajouter quelque chose très rapidement et très brièvement à ce sujet?
M. Ragan : Très brièvement. Vous avez demandé, madame la sénatrice, si ce projet de loi comporte des erreurs. Je ne l’ai pas lu, mais je peux vous garantir qu’il contient des erreurs, car il y en a dans la plupart des projets de loi.
Nous commençons tout juste à réfléchir aux risques liés au climat, à les mesurer et à les intégrer.
Je recommande que ce projet de loi contienne — peut-être qu’elle s’y trouve déjà — une disposition qui exige un examen assez fréquent du calibrage, peut-être tous les quatre ou cinq ans, parce que notre façon de penser à ces questions va évoluer. Il ne faudra surtout pas...
La sénatrice Miville-Dechêne : Il y en a une.
M. Ragan : Bon.
La sénatrice Miville-Dechêne : Cette disposition existe déjà.
Puisqu’elle existe, pensez-vous que ce projet de loi constitue un progrès? Il est urgent que nous abordions le climat différemment, et ce projet de loi découle de cette urgence. Nous ne pouvons pas attendre les rapports et autres analyses de tous les organismes. La situation est urgente.
Compte tenu de tout cela et du fait que nous le réexaminerons dans quelques années, vous sentez-vous relativement en faveur de ce projet de loi?
M. Ragan : Je ne pense pas qu’il s’agisse d’une politique qui est à juste titre dictée par l’urgence climatique. À mon avis, c’est ce qui devrait mener à des politiques climatiques plus agressives.
Selon moi, la question devrait être abordée dans le contexte des préoccupations au sujet de la stabilité du système bancaire. Envisageons cela de cette façon, et assurons-nous d’axer le tout sur la stabilité du système bancaire uniquement, compte tenu de son exposition aux risques climatiques.
Le sénateur Varone : Ma question s’adresse à M. Ragan.
En tant que macroéconomiste, à combien estimez-vous l’investissement total de la communauté financière au Canada dans l’industrie des combustibles fossiles? Par comparaison, à combien estimez-vous l’investissement total des milieux financiers au Canada dans le secteur de l’énergie durable? Je cherche ces données, et j’ai beaucoup de mal à trouver quelque chose.
M. Ragan : Ce n’est pas moi qui pourrai vous éclairer. Je m’excuse, mais je n’ai pas ces chiffres sous la main.
Le sénateur Varone : En ce qui concerne la politique agressive de décarbonisation qui est maintenant en place au Canada — j’ai une petite entreprise dont une partie des activités est dans le secteur de l’accueil. Nous avons un service de 4 000 kilowatts dans l’un de nos hôtels et salles de banquet. Lorsque vous commencez à recevoir vos factures de taxe sur le carbone et à voir ce que cela représente concrètement, vous vous dites rapidement : « Quelle est ma solution de rechange? Comment puis-je remplacer mes unités sur le toit qui consomment du gaz? J’aimerais passer à des thermopompes. »
Mon service de 4 000 kilowatts est fourni avec un régulateur à 2 000 kilowatts qui a été installé par Toronto Hydro. Nous avons estimé que les besoins de cet immeuble — et c’est la même chose pour beaucoup de petites entreprises au Canada — sont supérieurs aux 2 000 kilowatts du régulateur de Toronto Hydro.
Il existe donc une politique agressive de décarbonisation. En tant que propriétaire d’une petite entreprise, cette politique a pour effet de me taxer, mais je ne peux absolument pas échapper à cela, même si je voulais faire l’investissement nécessaire pour passer à l’électricité. Comment pouvons-nous concilier les deux? Quelle est la solution de rechange?
M. Ragan : J’espérais que cette question s’adresserait à quelqu’un d’autre, parce que c’est une question difficile.
C’est une excellente description d’une situation où vos coûts ont augmenté en tant que petite entreprise et où vous avez de la difficulté à faire le genre de substitutions que la tarification du carbone est censée entraîner, étant peut-être même dans l’impossibilité de le faire. C’est peut-être l’une des situations auxquelles on n’a pas suffisamment réfléchi dans la conception du système.
Je pensais que vous alliez parler de la notion — et je crois que c’est toujours lié — de rabais pour les petites entreprises. Comme vous le savez probablement, les petites entreprises ne reçoivent actuellement pas les mêmes remboursements que les ménages au pays. Cependant, je crois que le gouvernement fédéral a récemment annoncé qu’il réfléchissait à cette question. Cela ne vous aidera peut-être pas à procéder à la substitution, ce qui serait bien pour vous, mais cela pourrait empêcher une augmentation de vos coûts dans une situation où vous ne pouvez pas faire cette substitution.
Je crains que ce ne soit pas une réponse très satisfaisante pour votre situation, mais c’est la meilleure que je puisse vous fournir aujourd’hui.
Le sénateur Yussuff : Merci, monsieur Ragan et monsieur Fabian, d’être ici.
Ma question comporte deux volets. Nous parlons de la divulgation dans le secteur financier, du risque qu’elle représente pour l’investissement dans l’industrie des combustibles fossiles et de la façon dont nous pouvons stabiliser le système bancaire, en reconnaissant que ses institutions ne sont pas publiques. Il s’agit dans une large mesure d’institutions privées dans lesquelles les actionnaires doivent continuer d’investir, étant donné qu’elles continuent d’exister.
Les banques déploient énormément d’efforts pour essayer d’associer les risques qu’elles prennent lorsqu’elles prêtent et les risques qui pourraient être liés à leur politique de prêt, peu importe à qui elles prêtent.
N’est-il pas juste que les banques divulguent davantage au public les risques qu’elles encourent en ce qui concerne leurs investissements dans l’industrie des combustibles fossiles au Canada, et ce, dans le cadre d’une politique publique de base? En tant qu’actionnaire d’une banque, comment puis-je savoir cela si la banque ne divulgue pas tous les renseignements possibles pour aider le public à prendre des décisions?
Nous savons que beaucoup d’autres organisations disent qu’elles ne veulent pas investir. Je reconnais qu’il s’agit d’une question distincte, mais ne serait-il pas prudent que notre système bancaire divulgue davantage de renseignements, afin que le public puisse savoir comment il investit? Au bout du compte, le public est un grand acheteur des actions de ces entreprises, et je pense qu’il a le droit de savoir.
M. Ragan : Merci beaucoup de votre question, sénateur. Je suis tout à fait d’accord avec vous. De la même façon que les banques, ou toutes les autres sociétés cotées en bourse, sont tenues de divulguer de nombreux détails sur leurs activités — pas tous, mais un grand nombre —, je suis tout à fait d’accord pour dire que cela fait partie de la divulgation des risques climatiques, ce que de nombreuses entreprises ont commencé à faire volontairement. Il faut veiller à ce que ce soit fait.
Pour revenir à ce que je disais plus tôt, nous devons faire attention à ce que nous entendons exactement par « risques climatiques ». Qu’attendons-nous des banques au chapitre de la mesure et de la divulgation? Cela changera au fil du temps, à mesure que nous apprendrons comment mieux mesurer les risques et quels risques sont plus importants que d’autres. Je suis tout à fait favorable à ce que nous commencions ce processus maintenant.
Le vice-président : Monsieur Fabian, voulez-vous ajouter quelque chose en 30 secondes ou moins?
M. Fabian : La réponse à votre question est oui. C’est à cela que servent ces outils — les scénarios et les cibles provisoires pour les sociétés et les institutions financières sur la réduction des émissions et les taxonomies de la performance environnementale. De nombreux pays mettent en œuvre ces outils dans leur cadre de divulgation, afin que les épargnants, les emprunteurs, les assureurs et les titulaires de police puissent comprendre les risques que comportent leurs produits financiers.
La sénatrice Martin : Merci à nos deux témoins.
J’ai une question pour M. Ragan. En écoutant ce qui a été dit autour de la table, je m’inquiète des répercussions sur les petites entreprises. Elles font les frais de toutes sortes de décisions stratégiques prises par tous les ordres de gouvernement; c’est une de mes grandes préoccupations.
Monsieur Ragan, les comparaisons que vous avez faites entre les deux voies stratégiques et le tableau ont été très utiles. Vous n’avez pas eu l’occasion de parler de votre deuxième tableau et du chiffre d’environ 15 % du PIB de l’Alberta. Je suis curieuse d’entendre ce que vous avez à dire au sujet de ce tableau. J’aimerais céder le reste de mon temps de parole à M. Ragan pour qu’il parle du deuxième tableau et de tout autre sujet qu’il aimerait aborder.
M. Ragan : Merci beaucoup de votre question, sénatrice Martin.
Oui, la raison d’être de ce tableau est que, selon notre premier tableau, cette élimination progressive active par rapport à la décarbonisation agressive coûtera plus cher à l’économie canadienne. Étant donné que la grande majorité du pétrole et du gaz produits au Canada provient de l’Alberta, il ne devrait pas être très surprenant d’apprendre que ces coûts seront concentrés de façon disproportionnée dans cette province. Néanmoins, il est intéressant de faire les calculs.
Ce que vous voyez dans ce tableau, c’est que le coût représenterait environ 15 % du PIB de l’Alberta d’ici 2050. Soit dit en passant, c’est un peu moins que l’ampleur de la récession causée par la COVID-19. La récession causée par la COVID-19 que le Canada a connue en 2020 a représenté environ 15,8 % du PIB — c’est la diminution qui a été enregistrée —, mais seulement pour quelques trimestres. Cela a fini par être 5,8 % pour l’ensemble de l’année.
Dans ce cas, on parle d’une récession de l’ampleur de celle liée à la COVID-19 qui toucherait en permanence l’économie de l’Alberta.
Tout cela pour dire que tout ce qui entraîne une élimination progressive active sera très coûteux pour le Canada, mais particulièrement pour l’Alberta. Bien que je ne sois pas un stratège politique, je suis né et j’ai grandi en Alberta, même si j’ai vécu à Montréal pendant 35 ans, et je suis à peu près certain que toute politique qui entraînerait ce genre de coûts ciblés sur l’économie de l’Alberta ne serait probablement pas très bonne pour l’unité nationale du Canada.
La sénatrice Galvez : Ma question s’adresse à M. Fabian.
Les combustibles fossiles dépendent de la situation géopolitique. Je reviens tout juste de Washington, où j’ai entendu mes collègues d’Amérique du Sud nous faire part de ce qu’ils l’avaient appris au Guyana. J’ai entendu des collègues africains dire qu’ils ont trouvé du pétrole, et qu’il n’est pas aussi cher à extraire que le pétrole canadien. Environ 90 % du pétrole produit au Canada va aux États-Unis, pour être par la suite vendu ailleurs à des prix beaucoup plus élevés, notamment au Canada.
L’Agence internationale de l’énergie et le GIEC disent que la demande diminue et qu’il faut aller plus loin que la simple divulgation. La divulgation, c’est comme dire à un patient qu’il a le cancer, sans lui dire quoi faire pour guérir.
Comme vous avez une expérience internationale et que vous savez ce qui se passe dans le monde en matière d’énergie, pourriez-vous commenter ce que je viens de dire?
M. Fabian : Merci, sénatrice.
Je crois comprendre que l’Agence internationale de l’énergie, ou AIE, a indiqué très clairement que l’investissement dans de nouvelles réserves entraînerait un dépassement du budget carbone pour limiter le réchauffement au niveau relativement sécuritaire de 1,5 degré. J’utilise les mots « relativement sécuritaire » avec prudence, bien sûr. Nous constatons déjà des dommages causés par le climat, mais je pense néanmoins que l’AIE, à titre d’organisme de contrôle de l’énergie dans le monde, a indiqué très clairement que les nouvelles réserves et la nouvelle production mèneront au dépassement de ces cibles.
Le vice-président : Monsieur Ragan, avez-vous une réponse rapide à cette question?
M. Ragan : Je répondrai simplement que la divulgation est une première étape très importante. En général, nous pouvons faire confiance aux investisseurs qui traitent ces renseignements une fois qu’ils les ont en main et qui savent quoi en faire. C’est lorsqu’ils n’ont pas accès à cette information que le vrai problème se pose.
Je pense que la logique qui sous-tend les politiques qui favorisent la divulgation est qu’une fois que l’information est disponible, le secteur privé sait quoi en faire, mais il faut un degré inhérent de confiance dans ce cas.
Le sénateur Massicotte : Monsieur Ragan, ma question s’adresse à vous. Je vais être direct.
Je suis un peu allergique à toutes ces stratégies qui reviennent constamment. Les gouvernements y adhèrent en quelque sorte, parce qu’elles sont habituellement recommandées par une tierce partie ou des gens d’affaires qui sont... essentiellement, ce n’est pas leur argent. Nous sommes tous d’accord avec les objectifs, mais est-ce la bonne façon d’y arriver? Certaines organisations, dont la Banque du Canada et le Bureau du surintendant des institutions financières, disent que ce n’est pas nécessaire — que nous faisons un assez bon travail pour ce qui est d’évaluer les risques et la transparence.
Pouvez-vous m’éclairer un peu? Est-ce que cela en vaut la peine? Est-ce important? Est-ce que cela coûte cher? Si oui, cela en vaut-il le coût?
M. Ragan : Ce sont d’excellentes questions.
Je vous rappelle que je ne suis pas un spécialiste des services bancaires. Cependant, j’ai été conseiller spécial du gouverneur de la Banque du Canada pendant un an et demi, et conseiller de Jim Flaherty, le ministre des Finances, en 2009-2010. J’ai une grande confiance dans les analyses qui sont faites à la Banque du Canada et au BSIF. Donc, si la Banque du Canada, le BSIF et le ministère des Finances disent tous qu’ils s’occupent de cette question de l’évaluation appropriée des risques, je serais porté à les croire. Compte tenu de la réputation et du rendement du Canada dans le secteur bancaire, j’ai du mal à penser qu’ils ne font pas preuve de diligence raisonnable à cet égard.
Je partage donc votre scepticisme à ce sujet.
Le vice-président : Monsieur Fabian, voulez-vous ajouter quelque chose? Il ne nous reste presque plus de temps.
M. Fabian : Merci, sénateur.
Beaucoup de pays se rendent compte qu’ils devront s’endetter de centaines de milliards de dollars pour répondre à leurs besoins en matière de transport, d’infrastructures et d’énergie. Ils se demandent d’où viendra l’argent, et ils se rendent compte qu’ils peuvent en financer une partie seulement à partir des fonds publics et qu’ils ont besoin d’une participation importante du secteur financier privé.
La question est donc la suivante : que doivent faire les marchés financiers privés pour être en mesure de déployer des capitaux à grande échelle? Une fois cette réflexion faite, la conclusion est la suivante : « Nous avons besoin de normes et de données claires. Nous avons besoin que tout le monde se fasse confiance pour savoir où l’argent va et pourquoi. » C’est la raison pour laquelle des réformes de ce genre sont mises en œuvre partout dans le monde.
Le vice-président : Il nous reste une minute, et chaque minute compte. À la suite de nos questions, avez-vous des observations finales?
M. Ragan : Non. Merci beaucoup de m’avoir invité. Je ne pense pas avoir besoin d’ajouter quoi que ce soit.
Le vice-président : Monsieur Fabian?
M. Fabian : C’est la même chose pour moi, monsieur le président. Merci beaucoup.
Le vice-président : Merci, sénateurs, et merci aux témoins de leurs témoignages.
(La séance est levée.)