LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE
TÉMOIGNAGES
OTTAWA, le jeudi 23 mai 2024
Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 30 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner la teneur des éléments des sections 11, 13, 16, 17, 18, 19, 20, 33, 41 et 42 de la partie 4 et de la sous-section A de la section 34 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Le sénateur Tony Loffreda (vice-président) occupe le fauteuil.
Le vice-président : Bonjour à tous, et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Tony Loffreda, et je suis le vice-président de ce comité.
Avant d’aller plus loin, je demanderais à tous nos sénateurs et aux autres participants ici présents de bien vouloir consulter les fiches laissées sur la table où ils trouveront les directives visant à prévenir les incidents de rétroaction audio. Veuillez prendre note des mesures préventives qui ont été mises en place pour protéger la santé et la sécurité de tous les participants, y compris les interprètes. Dans la mesure du possible, veillez à vous asseoir de manière à maximiser la distance entre les microphones. N’utilisez qu’une oreillette noire dûment homologuée. L’ancienne oreillette grise ne doit plus être utilisée. Tenez votre oreillette loin de tous les microphones en tout temps. Lorsque vous n’utilisez pas votre oreillette, placez-la face cachée sur l’autocollant prévu à cet effet sur la table. Merci à tous de votre coopération.
J’invite les sénateurs participant à la réunion d’aujourd’hui à se présenter à tour de rôle.
La sénatrice Bellemare : Diane Bellemare, du Québec.
Le sénateur Forest : Éric Forest, de la division du Golfe, au Québec.
La sénatrice Ringuette : Pierrette Ringuette, du Nouveau-Brunswick.
[Traduction]
Le sénateur Yussuff : Hassan Yussuff, de l’Ontario.
Le sénateur Varone : Toni Varone, de l’Ontario.
Le vice-président : Aujourd’hui, nous poursuivons notre examen de la teneur des éléments des sections 11, 13, 16, 17, 18, 19, 20, 33, 41 et 42 de la partie 4 et de la sous-section A de la section 34 de la partie 4 du projet de loi C-69, Loi portant exécution de certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 16 avril 2024.
Avant de présenter les premiers témoins qui comparaîtront devant nous, j’aimerais vous donner un aperçu du déroulement de notre réunion. Nous recevrons quatre groupes de témoins avec lesquels nous examinerons pendant 30 minutes différentes sections du projet de loi. Chaque témoin disposera de trois minutes pour nous présenter ses observations préliminaires, puis nous passerons aux questions des sénateurs sur la section visée.
Avec notre premier groupe de témoins, nous allons nous pencher sur la section 20 de la partie 4. Cette section modifierait la Loi canadienne sur les sociétés par actions afin d’apporter des changements aux sanctions associées aux exigences applicables au registre de la propriété effective des sociétés qui ont été mises en œuvre en 2022.
Pour nous aider dans cet examen, nous avons le plaisir d’accueillir en mode virtuel Sasha Caldera, gestionnaire de campagne, Transparence de la propriété effective, qui représente l’organisme Publiez ce que vous payez Canada; et Dan Kelly, président et chef de la direction de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Je vous souhaite la bienvenue et vous remercie d’être des nôtres aujourd’hui. Nous allons maintenant d’abord entendre vos déclarations liminaires.
Sasha Caldera, gestionnaire de campagne, Transparence de la propriété effective, Publiez ce que vous payez Canada : Monsieur le président et mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de m’avoir invité à prendre la parole devant vous aujourd’hui.
Publiez ce que vous payez Canada fait partie du mouvement mondial Publiez ce que vous payez qui regroupe des organisations de la société civile œuvrant pour rendre la gestion du pétrole, du gaz et des minéraux ouverte, responsable et équitable pour tous. Depuis sept ans, je dirige une coalition de trois organisations de la société civile qui préconise la création d’un registre public de la propriété effective. Nos partenaires dans cette initiative sont Transparency International Canada et Canadiens pour une fiscalité équitable. Nos efforts ont porté fruit. En effet, le Canada a mis en place un registre de la propriété effective qui est accessible au public et consultable gratuitement depuis janvier 2024. Aujourd’hui, j’ai le plaisir de vous faire part de mes réflexions sur le projet de loi C-69.
Les modifications apportées à la section 20 de la partie 4 prévoient des peines susceptibles de dissuader les criminels qui veulent se servir de sociétés régies par la Loi canadienne sur les sociétés par actions, ou LCSA. Ces sanctions plus sévères vont tout à fait dans le sens de l’objectif principal du registre de la propriété effective du Canada, qui est d’empêcher les produits de la criminalité d’entrer dans l’économie canadienne par l’intermédiaire de sociétés fédérales. Comme notre groupe a plaidé en faveur de sanctions fortes et harmonisées depuis l’adoption de la loi à l’origine du registre, nous nous réjouissons de voir les amendements maintenant proposés.
Il est important de faire le point sur le problème que nous essayons de régler. En mars 2023, le ministère des Finances du Canada a publié un rapport intitulé Mise à jour de l’évaluation des risques inhérents au recyclage des produits de la criminalité et au financement des activités terroristes au Canada. Le rapport souligne que les sociétés canadiennes sont extrêmement vulnérables au blanchiment d’argent. Il pourrait y avoir plus de 2 000 groupes criminels organisés au Canada, et le crime organisé transnational utilise régulièrement des services professionnels pour blanchir de l’argent. Le rapport va plus loin, et je cite :
La vulnérabilité se rapporte à la capacité de ces entités de servir à dissimuler la propriété bénéficiaire, facilitant ainsi le camouflage et la conversion de produits illicite.
Compte tenu de la vulnérabilité des sociétés canadiennes, nous sommes d’avis que les criminels considéreront des sanctions plus faibles comme un coût d’exploitation que leurs organisations peuvent facilement absorber. Nous reconnaissons également que les infractions hybrides proposées au paragraphe 21.4(5) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, ou LCSA, ciblent les criminels très bien organisés qui disposent d’une valeur nette élevée. Ces modifications visent les personnes qui falsifient sciemment des renseignements dans le registre, une tactique utilisée exclusivement par les groupes du crime organisé pour éviter d’être repérés. Grâce aux modifications apportées par le projet de loi C-69, le registre public du Canada sera assorti de sanctions parmi les plus sévères des pays du Groupe des cinq, qui déploient tous des outils semblables dans le cadre de stratégies de sécurité nationale visant à lutter contre le crime organisé transnational, le financement du terrorisme et les dirigeants étrangers corrompus qui cherchent à dissimuler de l’argent sale dans les démocraties libérales.
Nous sommes heureux d’apprendre que les ministres Champagne et Freeland ont tendu la main aux provinces et aux territoires en vue de la création d’un registre centralisé pancanadien. La Colombie-Britannique et le Québec se sont engagés à mettre en place leur propre registre ou l’ont déjà fait, mais un cadre pancanadien est nécessaire pour qu’il n’y ait pas de brèches dans la protection du pays. Afin de nous assurer l’adhésion des provinces, nous recommandons à la ministre Freeland de conclure un accord avec les gouvernements provinciaux et territoriaux en vue de centraliser la collecte des données. Les entreprises enregistrées dans les provinces pourront choisir de transmettre les informations relatives à la propriété effective directement à ce registre pancanadien, ou les provinces pourront décider d’utiliser leurs propres registres pour collecter les données sur la propriété effective et les soumettre ensuite au registre central. Il convient de noter que les provinces devront adopter les mesures législatives nécessaires dans le cadre de leurs propres lois sur les entreprises, bien qu’un accord similaire ait été conclu par les ministres des Finances en 2017.
En conclusion, les modifications apportées au moyen du projet de loi C-69 renforcent le registre de la propriété effective du Canada, ce qui est bon pour notre économie et notre sécurité publique. Je suis fier de voir le Canada franchir cette étape décisive aujourd’hui. Je vous remercie du temps que vous me consacrez et je me ferai un plaisir de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci, monsieur Caldera.
Dan Kelly, président et chef de la direction, Fédération canadienne de l’entreprise indépendante : Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs. C’est un plaisir d’être à nouveau parmi vous.
La Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, ou FCEI, a certaines réserves concernant cette disposition. Nous avons beaucoup de commentaires sur la loi d’exécution du budget en général, et en particulier sur les modifications apportées relativement aux gains en capital et sur le remboursement de la taxe carbone aux petites entreprises. Cependant, en ce qui concerne le sujet qui nous intéresse aujourd’hui, c’est le durcissement des sanctions imposées qui nous préoccupe.
Je suis conscient que le gouvernement n’a pas la tâche facile dans ses efforts pour mettre en place des mesures permettant d’éradiquer le crime organisé et le blanchiment d’argent. Il s’agit bien sûr d’objectifs louables, et nous comprenons que les gouvernements doivent les prendre au sérieux et tout mettre en œuvre pour les atteindre. Nous constatons cependant que les gouvernements ont tendance à instaurer toute une série de règles, d’amendes et de nouvelles exigences réglementaires avec lesquelles doivent composer l’ensemble des propriétaires d’entreprise, le tout étant assorti de nombreuses mesures de conformité et de certaines préoccupations du point de vue de la vie privée, mais que toutes ces contraintes ne mènent en fait à aucun changement notable quant aux objectifs à atteindre.
L’ampleur des sanctions ainsi prévues dans la loi d’exécution du budget est assez inquiétante du point de vue des petites entreprises, mais nous avons aussi de sérieuses préoccupations concernant le registre de la propriété effective lui-même. Ce ne sont pas les exigences visant à garantir que les gouvernements et les organismes chargés de l’application de la loi disposent de suffisamment d’informations pour faire leur travail qui nous inquiètent, mais plutôt le fait que ce registre est maintenant rendu public sans que l’on sache nécessairement tous les détails que les entreprises vont devoir fournir.
De nombreux propriétaires de petites entreprises s’inquiètent du fait que l’on rende accessibles au grand public leurs renseignements personnels, comme leur nom, leur lieu de résidence et leur date de naissance. Vous pouvez imaginer que vous êtes propriétaire d’une entreprise ou que vous possédez des actions d’une entreprise et que vous devez fournir toutes ces indications. Nous craignons que les propriétaires d’entreprise ne deviennent eux-mêmes des victimes de la criminalité, car ceux qui cherchent à frauder et à causer des perturbations ciblent en fait les individus, et disposent maintenant de nombreuses informations sur les PME et leurs propriétaires, y compris leur lieu de résidence et d’autres renseignements semblables.
Nous craignons bien sûr que cela ne devienne un désavantage concurrentiel. Nous pensons que les exigences imposées aux entreprises pour garantir qu’elles fournissent des informations exactes et à jour viennent alourdir encore plus le fardeau de la conformité qui a déjà un impact considérable sur les PME.
Nous appelons à la prudence quant à l’ampleur des sanctions prévues par cette loi, mais nous sommes préoccupés par le concept même de ce registre public tel qu’on le connaît actuellement.
Le vice-président : Je vais maintenant donner la parole aux sénateurs pour qu’ils posent leurs questions à nos témoins.
Le sénateur Yussuff : Merci aux témoins d’avoir pris le temps d’être des nôtres aujourd’hui.
Monsieur Caldera, vous avez déjà comparu devant le comité et je suis heureux de vous revoir. Nous examinions alors la loi à l’origine de la création du registre de la propriété effective. Compte tenu de ce que vous avez été à même d’observer dans tout le pays, de cet effort collectif qui relève en grande partie des provinces et des sanctions que ce projet de loi ajoute aux mesures déjà en place, considérez-vous qu’il y a cohérence et similitude entre ce qui se fait à l’échelon provincial et ce qui se fera dorénavant sur le plan fédéral?
M. Caldera : Merci beaucoup pour votre question, sénateur.
Pour autant que je sache, c’est uniquement à l’échelon fédéral que l’on infligera des sanctions aussi rigoureuses. À l’heure actuelle, les provinces appliquent leur propre barème de sanctions dans le cadre de leur loi sur la propriété effective. Comme les lois à cet effet sont plutôt récentes au Canada, je crois que le gouvernement fédéral a voulu montrer la voie à l’ensemble du pays.
Je comprends parfaitement les préoccupations des petites entreprises en matière de protection de la vie privée et de conformité. Différentes étapes doivent être franchies pour que la loi sur la propriété effective puisse atteindre ses objectifs, et nous voulons nous assurer que les entreprises puissent s’y conformer en ayant à composer avec le moins de contraintes possible. C’est pourquoi nous avons préconisé un registre gratuit, accessible au public et consultable, afin que les petites et moyennes entreprises puissent y accéder et bénéficier d’un contrôle préalable sur d’autres entités comme leurs fournisseurs et s’assurer qu’elles ne seront pas ciblées à des fins frauduleuses.
Le sénateur Yussuff : Monsieur Kelly, merci de votre participation. C’est un plaisir de vous voir.
M. Kelly : Je suis moi aussi ravi de vous revoir, sénateur.
Le sénateur Yussuff : En ce qui concerne le point que vous avez soulevé, vous reconnaissez que nous sommes considérés comme des retardataires dans la lutte contre le blanchiment d’argent, ce qui nuit aux investissements dans ce pays. Ne pensez-vous pas qu’il serait absolument souhaitable que le gouvernement tienne compte de certaines des préoccupations que vous avez exprimées, mais aussi que nous ayons un registre bénéficiant d’une cohésion dans l’ensemble du pays grâce à l’adhésion des provinces? Nous pourrions ainsi envoyer un message clair au niveau international, à savoir que le Canada ne sera plus un refuge pour les criminels qui veulent utiliser notre pays pour blanchir de l’argent.
M. Kelly : Merci, sénateur.
Écoutez, nous n’avons certes rien à faire de ceux qui cherchent à utiliser le Canada comme destination pour le blanchiment d’argent ou les activités illicites. Les gouvernements doivent absolument faire le nécessaire pour contrer ces gens-là. Nous ne sommes cependant pas sûrs que cette mesure permettra d’améliorer les choses.
Les gouvernements ont du mal à gérer les problèmes et à composer avec les entreprises problématiques. Généralement, l’approche adoptée, qu’il s’agisse de l’économie souterraine ou du blanchiment d’argent, consiste à imposer aux entreprises légitimes davantage de règles à observer, de formalités administratives à remplir et de contraintes à respecter pour donner l’impression que l’on passe à l’action, sans toutefois que cela conduise à un changement notable. C’est ce qui nous préoccupe.
Je répète que nous n’avons aucune objection à ce que les forces de l’ordre et les autorités en place aient accès aux informations dont elles ont besoin. On peut donc comprendre que les entreprises doivent s’engager à fournir les renseignements en question à ces diverses instances. L’histoire est toutefois bien différente si l’on veut en faire un répertoire public. Nous n’y voyons aucune valeur ajoutée pour les entreprises, mais plutôt des préoccupations du point de vue de la protection de la vie privée, en particulier si ce système est ensuite dupliqué au niveau provincial. Nous recommandons aux provinces de ne pas suivre l’exemple du gouvernement fédéral dans ce domaine.
Le sénateur Varone : Merci d’être des nôtres et d’éclairer notre lanterne.
Ce qui me préoccupe avec ce projet de loi, c’est que le crime organisé ne mériterait pas ce qualificatif si ses dirigeants déclinaient leur véritable identité en tant qu’entités propriétaires conformément aux lois fédérales. Je pense que l’on se berce d’illusions si l’on pense ainsi piéger ces criminels organisés qui sont justement ciblés. Leurs noms n’apparaîtront pas dans le registre de la propriété effective.
M. Kelly : Tout à fait.
Le sénateur Varone : C’est tout simplement insensé.
Ce qui me préoccupe vraiment, ce sont les conséquences involontaires d’un registre public où il devient beaucoup plus facile de percer le voile de la personnalité morale. Les poursuites frivoles et vexatoires vont proliférer à un rythme incontrôlable, à un point tel que les tribunaux ne pourront plus répondre à la demande. Je m’inquiète des conséquences involontaires, et j’aimerais que vous me disiez, monsieur Caldera, ce que vous en pensez, car si c’est vraiment au crime organisé que nous voulons nous attaquer, ce n’est pas le registre qui va nous aider.
M. Caldera : Merci de nous faire part de vos réflexions, sénateur.
De par le monde, on s’est engagé à établir quelque 149 registres de propriété effective. De tels registres, qui sont notamment accessibles au public, ont été mis en place par tous nos partenaires européens, en Amérique latine, en Asie du Sud-Est et dans les pays africains, en particulier là où la fuite des capitaux est très prononcée en raison de la corruption des dirigeants étrangers. Le Fonds monétaire international et la Banque mondiale recommandent également cette mesure de sécurité publique. Comme vous le savez sans doute, le Canada fait l’objet d’une évaluation de son régime de propriété effective tous les cinq ans, et le Groupe d’action financière nous soumettra à une telle évaluation l’an prochain, en 2025.
La nature de ce registre ne nous inquiète nullement parce qu’il adopte une approche de la protection de la vie privée conforme à la Charte. Les informations qui seraient accessibles au public sont le nom du propriétaire effectif, la nature et la proportion des parts qu’il détient, et le nom de la société. Les informations personnelles identifiables, telles que la date de naissance, n’y figureront pas. De nombreuses entreprises disposent d’une adresse de service. Cette adresse sera communiquée, mais comme elle est d’ores et déjà accessible dans le registre fédéral, nous considérons qu’il s’agit d’une mesure raisonnable.
Pour ce qui est de l’évolution des comportements, lorsque le Royaume-Uni a déployé son registre public, il a remarqué un changement immédiat touchant les entités reconnues pour avoir été utilisées en vue de blanchir de l’argent. À titre d’exemple, le nombre d’incorporations de sociétés en commandite écossaises, dont se servait en particulier le crime organisé transnational d’Europe de l’Est et de Russie, a été réduit à néant presque du jour au lendemain en 2017, un phénomène qui a été bien documenté.
Même si je dirais qu’il est encore trop tôt pour bien jauger l’impact des registres de propriété effective, et en particulier des registres publics, et les changements de comportement pouvant en découler, il s’agit d’une norme recommandée par tous nos partenaires internationaux, y compris les organisations multilatérales.
Le sénateur Varone : En quoi un registre public permet-il d’atténuer davantage les effets des fuites de capitaux? Vous nous dites que l’on a tout simplement cessé de constituer en société les entités écossaises utilisées pour ces formes de criminalité organisée. Si le registre n’était accessible qu’aux forces de l’ordre, n’aurait-il pas le même effet? Pourquoi doit-il être public?
M. Caldera : C’est une excellente question, sénateur.
La différence, c’est que lorsque plusieurs pays disposent de registres publics, cela crée un effet dissuasif. Ces informations sont certainement utiles aux forces de l’ordre dans le cadre de leurs enquêtes, mais nous savons que les criminels les mieux organisés sont ceux qui tentent leur chance. S’ils savaient que leurs informations allaient figurer dans un registre public, ils y penseraient à deux fois avant de se constituer en société au Canada. Je ne veux pas minimiser l’impact que peuvent avoir sur les marchés financiers du Canada des activités comme la fraude, la traite de personnes et le trafic de drogue, sans compter l’effet considérable sur le marché immobilier canadien. L’idée est que si tous les pays du G20 disposent de registres de la propriété effective, ces grandes organisations criminelles transnationales bien structurées n’auront plus d’endroit viable pour faire des affaires.
Le sénateur Varone : J’aurais encore bien des questions, mais je vais patienter.
La sénatrice Ringuette : Monsieur Caldera, qui supervisera ce registre pour s’assurer que les faits rendus publics sont conformes à la réalité? Je devrais peut-être dire en même temps que ces gens très astucieux qui se livrent au blanchiment d’argent semblent toujours avoir trois longueurs d’avance sur nous. Qui va s’assurer que les faits publiés sont exacts? Je pense que si tous les autres pays le font, cela créera une certaine barrière, mais ce n’est pas ce qui va éradiquer le problème du blanchiment d’argent.
M. Caldera : Merci beaucoup pour cette question, sénatrice Ringuette.
Je pense que vous avez mis le doigt sur le problème. Un registre de la propriété effective n’est que l’un des éléments d’une boîte à outils. Pour répondre à votre question, nous devons considérer le régime canadien de lutte contre le blanchiment d’argent dans une perspective plus générale. Le registre aurait un effet dissuasif et aiderait les forces de l’ordre et les autorités compétentes à mener leurs enquêtes.
En ce qui concerne les personnes qui contrôleront la véracité de ces informations, les équipes de Corporations Canada, du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, et de l’Agence du revenu du Canada, ou ARC, peuvent consulter directement le registre et examiner les informations à des fins d’enquête ou de criminalistique. Un registre public permet aux journalistes et aux groupes de la société civile comme le nôtre de consulter les données. Nous pouvons ainsi signaler toute tendance à long terme aux autorités compétentes.
Un registre public peut aussi être utile pour toutes les entités déclarantes au Canada qui doivent satisfaire à des exigences de déclaration de la propriété effective, dont beaucoup ont été inscrites dans la loi en 2018. Elles peuvent consulter le registre gratuitement et l’utiliser pour prendre toutes les dispositions nécessaires en vue de respecter leurs obligations de déclaration, ce qui constituera un avantage considérable.
Il y a enfin une composante internationale. Toutes les entités — et notamment les autorités compétentes, les forces de l’ordre ou les organisations de la société civile qui savent pertinemment, de par leur assise locale, que des actes répréhensibles menant à la fuite de capitaux ont cours — peuvent consulter le registre, effectuer des recherches et alerter les autorités concernées partout dans le monde. Tel est l’objectif de ces registres. Si l’on en venait à disposer d’un registre semblable dans tous les pays, on améliorerait d’autant les échanges d’information tout en profitant d’un effet dissuasif à l’échelle planétaire.
Ce n’est pas une solution miracle. Pour changer les comportements et lutter contre le blanchiment d’argent, il faut disposer d’une série d’outils différents, allant de la dissuasion jusqu’aux poursuites judiciaires, en passant par les mesures d’application de la loi.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci de votre présence parmi nous. Ma première question s’adresse à M. Kelly. Étant donné que vous représentez la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, qu’est-ce qui est le plus pénalisant pour vous? Est-ce cette nouvelle charge de « paperasse », ou est-ce le fait que le registre soit public?
[Traduction]
M. Kelly : La décision de rendre le registre public a déjà été prise. Le sort en est jeté, mais nous serions certes ravis de voir cette décision être infirmée. Les sanctions à elles seules nous inquiètent. Est-ce que je crains qu’un gouvernement puisse dire à un propriétaire d’entreprise qu’il a commis une erreur administrative et qu’on lui inflige une pénalité pouvant aller jusqu’à un million de dollars? Pas vraiment.
J’ai l’impression que les gouvernements éprouvent des difficultés à faire respecter à peu près toutes les règles. Je dirais — pour répondre à la question de la sénatrice Ringuette — que personne ne cherchera à s’assurer que les informations sont exactes dans la grande majorité des cas. J’estime ainsi qu’un propriétaire pourrait inscrire dans le registre que son entreprise appartient à Jeannot Lapin, et que les chances que cela soit détecté seraient très faibles.
Cela montre également à quel point je doute qu’un tel registre puisse apporter une valeur ajoutée significative à la société civile ou à d’autres groupes. Je crains que si les sanctions sont appliquées de manière plus stricte, cela puisse avoir un effet dévastateur pour une petite entreprise, étant donné l’ampleur des amendes proposées par le gouvernement. Est-ce que le risque que le gouvernement applique cette mesure de manière inappropriée figure en tête de ma liste d’inquiétudes? Non.
Notre inquiétude est en fait la suivante : les gouvernements aiment donner l’impression qu’ils font quelque chose pour régler des problèmes graves. Je ne conteste pas le fait que le blanchiment d’argent par le crime organisé nous pose un sérieux problème. Quant à savoir s’il s’agira d’un atout important dans la boîte à outils qui nous apportera un avantage particulier, j’ai l’impression que les gains seront plutôt négligeables, d’autant plus que les forces de l’ordre et les autorités compétentes ont déjà accès à ces informations. Est-ce que cela justifie d’exposer les petites entreprises à de tels risques et de leur demander de fournir des renseignements supplémentaires? Nous croyons que non.
[Français]
Le sénateur Forest : Monsieur Caldera, à la lumière de l’expertise que vous avez développée au fil des années, selon vous, quand on voit les meilleures pratiques servant à lutter contre le blanchiment d’argent, ces mesures vous semblent-elles efficaces et assez robustes pour atteindre les objectifs poursuivis?
[Traduction]
M. Caldera : Merci beaucoup pour votre question.
Dans une perspective à long terme, je pense effectivement que le registre est sur la bonne voie pour un déploiement fructueux et une assurance de conformité par les petites entreprises. Corporations Canada a mis en place des ressources très utiles pour aider les petites entreprises à satisfaire aux exigences établies. Il existe un outil d’assistance ainsi qu’un formulaire normalisé de tenue de registre que les petites entreprises peuvent remplir pour divulguer leurs informations sur les propriétaires effectifs.
À l’échelon fédéral, c’est depuis 2018 que la loi oblige les sociétés à tenir un registre interne de leurs informations sur la propriété effective, et ce projet de loi — tout au moins dans sa forme initiale — exige simplement que ces informations soient transmises à un bureau d’enregistrement et que certains renseignements seulement soient rendus publics.
Pour que le régime soit efficace dans l’ensemble du pays, des changements devront être apportés, notamment quant à la coordination interprovinciale des lois relatives à la propriété effective, et des discussions à ce sujet se tiennent au moment où l’on se parle entre les ministres des Finances. C’est un processus qui nécessitera un certain temps.
L’étape suivante — et c’est sans doute un objectif à plus long terme — consiste à s’assurer que les informations sont exactes. De nombreux pays du G7 — et en particulier le Royaume-Uni, qui est probablement le plus avancé — ont déjà adopté une loi exigeant la vérification automatique des informations sur la propriété effective au fur et à mesure qu’elles sont soumises. Le projet de loi dans sa forme actuelle ne prévoit rien de tel. C’est toutefois envisageable pour l’avenir, compte tenu des progrès de l’intelligence artificielle, et aussi du fait que les entreprises en viendront à mieux connaître les dispositions à prendre pour se conformer à la loi.
Nous devons procéder par étape pour renforcer progressivement la confiance. Je pense que le Canada est sur la bonne voie. Compte tenu du risque considérable que le blanchiment d’argent et la fraude font peser sur l’économie, nos partenaires internationaux nous ont demandé à plusieurs reprises de créer un tel registre.
Le sénateur Varone : Je vais poser la question différemment, car je n’ai pas obtenu de réponse la première fois. Mon problème n’est pas lié à la criminalité. En fait, je souscris aux efforts déployés pour contrer le crime organisé et atténuer la criminalité au Canada. Mais qu’en est-il des conséquences involontaires qui se traduiront par des poursuites au civil. Ainsi, un registre public deviendra accessible à tous ces opportunistes sans scrupules qui vont maintenant poursuivre les propriétaires effectifs et encombrer les tribunaux? Comment éviter cela? Comment préserver la vie privée des citoyens respectueux de la loi?
Le vice-président : Je vais permettre au sénateur Yussuff de poser également une question, et vous pourrez répondre aux deux à la fois pour gagner du temps.
Le sénateur Yussuff : Je tiens à préciser, très rapidement, que nous ne parlons pas de la loi déjà en vigueur. Il s’agit de nouvelles mesures dissuasives. Un grand nombre d’entreprises connaissent leurs responsabilités au regard de la loi et elles s’y conforment. Mais nous avons bel et bien un problème dans notre pays. En effet, on observe et on reconnaît que de nombreux criminels utilisent notre pays pour mener des activités qu’ils ne devraient pas mener en premier lieu. Il doit exister un moyen de dissuasion efficace. Je sais que nous aimerions trouver la solution ultime à cet égard. Toutefois, pour être juste, le gouvernement met en place des pénalités pour faire passer un message clair. Nous voulons nous assurer que les criminels n’utilisent pas notre pays pour le recyclage des produits de la criminalité et que la réputation du Canada soit établie selon les normes les plus élevées. Ne s’agirait-il pas d’une bonne façon d’aborder la question? Je comprends votre point de vue, mais dans l’ensemble, la plupart des entreprises respectent la loi, et elles souhaitent que le Canada soit considéré comme une bonne destination pour les investissements étrangers et un bon endroit où faire des affaires, et qu’il jouisse d’une excellente réputation qui inspire le respect partout dans le monde.
M. Caldera : Je vous remercie de vos questions.
Je tiens à préciser que la protection de la vie privée est un droit important au Canada. C’est une question que nous avons prise très au sérieux en 2019. Nous avons effectué notre propre analyse approfondie avant de formuler des recommandations au Canada. Nous avons encouragé le gouvernement du Canada à effectuer ses propres vérifications en matière de protection de la vie privée et à veiller à ce que ce registre soit conforme aux lois canadiennes sur la protection de la vie privée. Les renseignements qui seront rendus publics sont les mêmes que ceux qui figurent dans les registres des entreprises du Canada. Il n’y a pas de changement important. Nous ne demandons aucun renseignement personnel permettant d’identifier une personne.
En ce qui concerne le volume de poursuites judiciaires qui pourraient engorger le système, j’espère que les tribunaux canadiens rejetteront toute poursuite fallacieuse ou frivole, afin que le système judiciaire soit prêt à traiter les questions réellement importantes pour les Canadiens et pour la sécurité publique.
M. Kelly : Pour répondre rapidement au sénateur Yussuff, est-ce que cela fait partie de la liste des 500 plus grandes inquiétudes des propriétaires de petites entreprises? Non, probablement pas. Mais le point que je tente de faire valoir dans ma déclaration préliminaire, c’est que le registre et sa nature publique semblent constituer une autre tentative du gouvernement de mettre en place d’autres formalités administratives dont l’utilité est discutable au bout du compte. Nous avons un problème parce que certains logements sont sous-utilisés, et le gouvernement décide donc de prendre des règlements qui obligent tout le monde à s’enregistrer, y compris les entreprises, mais il finit par se rendre compte que cela ne mène à rien. Il doit alors réduire son action. J’ai l’impression que c’est là que nous en sommes maintenant.
Imposer de lourdes pénalités aux criminels... Je ne vais pas m’opposer à cela, mais les criminels vont-ils réellement utiliser le registre de propriété de manière appropriée, puis se soumettre à ces pénalités et s’exposer à ces risques? J’aimerais savoir si cela va réellement se produire.
Le vice-président : Avant de passer au deuxième groupe de témoins, monsieur Caldera, j’aimerais vous poser une question. Pourquoi un si grand nombre d’organisations criminelles mènent-elles leurs activités au Canada? Quelles mesures pourraient être prises pour réduire leur nombre? Dans quelle mesure ces mesures permettraient-elles de réduire ce nombre? Je vous serais reconnaissant de me donner une réponse courte et concise.
M. Caldera : Je vous remercie de votre question, sénateur.
Notre théorie, qui s’appuie également sur les points de vue d’experts, y compris les forces de l’ordre, tant au Canada que chez nos partenaires aux États-Unis, est que le Canada offre depuis des décennies un accès non officiel, mais bien connu, à son économie. Comme je l’ai mentionné plus tôt dans ma déclaration préliminaire, la composante de l’économie canadienne la plus vulnérable au recyclage des produits de la criminalité est justement les entreprises. Les organisations criminelles, et surtout les organisations criminelles internationales, profitent de cette situation. Elles passent par des entreprises canadiennes pour le recyclage des produits de la criminalité.
Ce registre de propriété effective des sociétés fait partie d’une stratégie globale qui vise à dissuader ces gens. Nous ne voulons pas qu’ils fassent des affaires dans notre pays. Nous espérons que ces pénalités très sévères les empêcheront d’agir et qu’ils reconsidéreront leurs projets, car une pénalité de 5 000 $ ou une pénalité pouvant atteindre 100 000 $ pour un individu exerçant un contrôle important représente tout simplement un coût nécessaire pour faire des affaires pour ces gens-là. L’objectif est de créer un effet dissuasif et de cibler ces individus, en sachant que la grande majorité des petites entreprises canadiennes seront en conformité et ne seront pas assujetties à une pénalité de 100 000 $ pour une petite erreur administrative. Voilà donc à quoi ressemblerait concrètement un régime de conformité rigoureux.
Le vice-président : Je vous remercie.
C’est ce qui met fin au temps imparti pour notre premier groupe de témoins. Monsieur Caldera et monsieur Kelly, nous vous remercions d’avoir comparu devant le comité aujourd’hui.
Nous abordons maintenant la section 33 de la partie 4. Cette section modifierait le Code criminel pour élargir l’infraction relative au taux d’intérêt criminel qui, par l’entremise d’une mesure législative adoptée en 2023, est passé de l’équivalent de 48 % à 35 % en taux annuel en pourcentage — ou TAP —, pour interdire certaines publicités à ce sujet et pour éliminer l’obligation d’obtenir le consentement du procureur général avant d’intenter des poursuites judiciaires contre des prêteurs non conformes à la loi et des prêteurs à conditions abusives.
Nous avons donc le plaisir d’accueillir, en personne, Victoria Mainprize, directrice, Affaires juridiques, politiques et conformité et responsable adjointe des affaires juridiques à l’Association canadienne des coopératives financières. Nous vous remercions d’être ici, madame Mainprize.
Victoria Mainprize, directrice, Affaires juridiques, politiques et conformité et responsable adjointe des affaires juridiques, Association canadienne des coopératives financières : Je vous remercie, monsieur le président et membres du comité, de m’avoir invitée à vous parler aujourd’hui.
Tout d’abord, j’aimerais dire quelques mots au sujet de l’Association canadienne des coopératives financières. Nous sommes l’association commerciale nationale des coopératives de crédit et des caisses populaires du Canada à l’extérieur du Québec et à l’exclusion du Mouvement Desjardins. Nos 187 coopératives de crédit et caisses populaires sont des chefs de file en matière de prêts aux petites entreprises et détiennent des actifs d’une valeur de 308 milliards de dollars, au service de plus de 600 millions de membres. Avec nos 1 634 coopératives de crédit, nous sommes également la seule institution financière à assurer une présence physique dans plus de 350 collectivités canadiennes. Les coopératives de crédit et les cinq centrales régionales qui les soutiennent emploient plus de 30 000 Canadiens et offrent des solutions financières complètes.
Toutes les coopératives de crédit sont des institutions financières coopératives sous réglementation provinciale ou fédérale, et toutes sont entièrement détenues et contrôlées par leurs membres-propriétaires, c’est-à-dire les personnes qui font affaire avec ces coopératives pour leurs activités financières. Les coopératives de crédit canadiennes existent pour servir leurs membres-propriétaires et elles se sont classées au premier rang de toutes les institutions financières pour l’excellence de leur service à la clientèle pendant 17 années consécutives. Les coopératives de crédit sont guidées par un principe d’intérêt pour la communauté, ce qui signifie qu’elles existent pour améliorer le bien-être économique et social de leurs membres. C’est la raison pour laquelle nous sommes heureux de comparaître aujourd’hui pour formuler des commentaires sur la section 33 de la partie 4 du projet de loi C-69, qui modifie le Code criminel, plus précisément en ce qui concerne les taux d’intérêt criminels.
À titre de champion des produits de crédit accessibles et abordables, le secteur canadien des coopératives de crédit a pour objectif d’aider les Canadiens à améliorer leur situation financière grâce à des options de crédit équitables, rapides et faciles à comprendre. Pour y arriver, nous mettons l’accent sur une communication claire et des descriptions de nos produits et services en langage simple. Nous appuyons donc pleinement les modifications proposées au Code criminel qui amélioreront la protection des consommateurs dans ce domaine.
Nous sommes d’avis que les amendements proposés pour élargir les infractions potentielles en ajoutant des interdictions d’offrir de conclure un accord ou un arrangement pour percevoir des intérêts à un taux criminel ou de faire de la publicité dans laquelle on offre de conclure un accord ou un arrangement qui prévoit la perception d’intérêts à un taux criminel représentent un pas dans la bonne direction. Les changements proposés permettront de mieux protéger les Canadiens, en particulier les Canadiens les plus vulnérables, contre les dettes à coût élevé et les prêts à des conditions abusives, et garantir qu’ils ont accès à des produits financiers et à des taux d’intérêt plus justes et de meilleure qualité, qui répondent à leurs besoins.
En plus des changements recommandés dans le projet de loi C-69, nous recommandons au gouvernement de collaborer avec toutes les parties prenantes concernées pour s’assurer que les publicités trompeuses et mensongères dans les services financiers soient considérées comme criminelles, pour favoriser une coopération et une coordination plus étroites entre les différents ordres de gouvernement — qu’il s’agisse des autorités fédérales, provinciales, territoriales ou municipales — en diffusant des renseignements pertinents et des pratiques exemplaires, pour adopter une stratégie plus vaste qui englobe toutes les institutions financières, y compris les coopératives de crédit et d’autres, afin de promouvoir et de soutenir activement l’accès au crédit à faible coût et de faible valeur et pour accroître la sensibilisation et l’éducation des consommateurs en ce qui concerne leurs droits et responsabilités lorsqu’ils contractent un prêt, en leur donnant les moyens de reconnaître les taux d’intérêt excessifs et les pratiques en matière de prêt contraires à l’éthique et en leur indiquant comment signaler les plaintes ou les préoccupations concernant les prêteurs qui exigent des taux d’intérêt qui dépassent les limites permises par la loi.
Même si cela n’est pas directement lié à la section 33 de la partie 4 du projet de loi C-69, j’aimerais profiter de l’occasion pour faire quelques brefs commentaires sur la section 16, intitulée « Cadre sur les services bancaires axés sur les consommateurs » et sur la section 42, intitulée « Lois relatives aux institutions financières (dispositions de temporisation) ».
En ce qui concerne la section 16, notre secteur se réjouit de l’annonce de la nouvelle Loi sur les services bancaires axés sur les consommateurs et du rôle de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada dans la supervision des entités participantes et de l’organisme de normes techniques, afin de garantir la sécurité et la stabilité des services bancaires axés sur le consommateur. Nous accueillons favorablement l’évolution du cadre et les possibilités de participation offertes aux coopératives de crédit. Cela dit, comme la majorité de nos membres sont sous réglementation provinciale, nous sommes préoccupés par l’élargissement potentiel du champ d’application et par la façon dont un organisme de réglementation fédéral fonctionnera avec les coopératives de crédit sous réglementation provinciale si des mesures d’application sont prises, et par la façon dont les organismes de réglementation provinciaux et l’Agence de la consommation en matière financière du Canada coordonneront leurs activités et collaboreront.
En ce qui concerne la section intitulée « Lois relatives aux institutions financières (dispositions de temporisation) », nous avons été un peu déçus d’apprendre la prolongation de la disposition de temporisation, étant donné que l’examen de la Loi relative aux institutions financières était initialement prévu pour 2023, puis 2025 et maintenant 2026, soit huit ans après le dernier examen et à la suite d’une élection fédérale. Nous espérons toutefois que cela indique une intention de procéder à un examen plus complet des Lois relatives aux institutions financières fédérales, d’autant plus que la dernière révision substantielle de nombreuses lois sur les institutions financières remonte à 1992.
Je vous remercie beaucoup.
Le vice-président : Je vous remercie. Nous passons maintenant aux questions.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie beaucoup de votre déclaration préliminaire.
J’ai une question à ce sujet, car je m’intéresse depuis longtemps aux taux d’intérêt criminels. En fait, j’ai un projet de loi à l’étude au Sénat. L’un de vos membres a mené un projet pilote en Colombie-Britannique pour essayer — je ne sais pas si je devrais dire « reproduire » ou « dissuader » l’objectif des prêts sur salaire et des prêts à des conditions abusives dans cette région. Pouvez-vous nous dire quel est le taux d’intérêt criminel exigé actuellement par votre partenaire ou un membre associé en Colombie-Britannique?
Mme Mainprize : C’est une excellente question, sénatrice.
Je ne connais pas les taux qu’ils exigent. Nous savons que Vancity a lancé un autre programme, et qu’un grand nombre de nos coopératives de crédit travaillent avec Vancity et d’autres organismes pour s’assurer que les produits sont offerts à un faible taux et que nous offrons de nombreux comptes sans intérêt et à faible intérêt à nos membres et que, lorsque nous nous accordons des prêts, nous le faisons à un taux raisonnable. Je ne connais toutefois pas les taux exigés par Vancity.
La sénatrice Ringuette : En ce qui concerne les prêts sur salaire, le Sénat a accepté, en 2005, de réserver une partie du taux d’intérêt criminel pour les provinces qui souhaitaient réglementer les prêts sur salaire, qui sont un produit financier précis, soit 1 200 $ et 60 jours. Selon les recherches que j’ai menées récemment, c’est à Terre-Neuve qu’on offre actuellement le taux d’intérêt le plus bas pour les prêts sur salaire. Il équivaut à 375 %. Êtes-vous d’accord avec le fait que vous êtes maintenant assujettis à 35 %? Je dirais que la plupart de ces entreprises de prêt sont américaines, mais ces entités qui se trouvent au Canada sont toujours autorisées à exiger un taux de 375 %. J’aimerais connaître votre opinion sur la question.
Mme Mainprize : Je crois que notre secteur a exprimé très clairement, sénatrice, que nous sommes très préoccupés par les prêts sur salaire. Cela dit, le secteur des prêts sur salaire dessert un segment de la société canadienne qui n’est pas desservi par d’autres prêteurs, et les gens ont recours aux prêts sur salaire pour diverses raisons. Oui, nous sommes préoccupés par le fait que de nombreuses personnes y ont recours et qu’elles sont assujetties à ces taux élevés. C’est manifestement une pratique que nous évitons dans notre secteur et nous essayons, dans la mesure du possible, d’offrir des solutions de remplacement et des solutions raisonnables aux prêts sur salaire.
La sénatrice Ringuette : Ne trouvez-vous pas que la législation concernant le taux criminel est en quelque sorte injuste?
Mme Mainprize : C’est certainement injuste. Les industries non réglementées causent des problèmes aux entités réglementées. Cependant, même si c’est injuste, nous acceptons de bonne grâce d’être nous-mêmes assujettis à un taux d’intérêt criminel et de montrer ainsi notre engagement envers les Canadiens.
La sénatrice Ringuette : Je vous remercie.
Le sénateur Varone : Je vous remercie d’être ici aujourd’hui.
Ma question est assez pointue. Je veux parler des clauses types de charge. Tout d’abord, mon expérience avec les coopératives de crédit est positive sur toute la ligne. J’aime l’espace qu’elles occupent et elles servent bien la population canadienne, mais je veux aborder la question des clauses types de charge. À titre de responsable adjointe des affaires juridiques de l’association générale pour tout le Canada, avez-vous un droit de regard sur les coopératives de crédit individuelles et sur leurs clauses types de charge pour leurs prêts hypothécaires, ou chaque coopérative de crédit a-t-elle la possibilité de tout simplement créer ses propres clauses types de charge sans aucune supervision?
Mme Mainprize : Nous n’avons aucun droit de regard sur les activités de nos membres. Nous sommes uniquement une association commerciale. Notre rôle consiste à fournir des services de sensibilisation, d’éducation et de défense des intérêts à nos membres. Nous ne régissons en aucun cas leur fonctionnement ou les charges qu’ils peuvent appliquer. Tous ces éléments sont fixés par la réglementation.
Le sénateur Varone : D’accord. Lorsque l’un d’entre eux sort des sentiers battus, que faites-vous avec ce membre?
Mme Mainprize : Encore une fois, nous ne faisons rien de particulier. Nous attendons des organismes de réglementation qu’ils prennent les mesures appropriées lorsqu’une coopérative de crédit sort des sentiers battus. Il est peu probable que cela se produise, mais si cela arrive, nous soutenons évidemment le membre en question et nos autres membres, mais ce sont les organismes de réglementation qui s’occupent de la situation.
Le sénateur Varone : Je vous remercie.
Mme Mainprize : Je vous remercie, sénateur.
La sénatrice Martin : J’ai une question au sujet des consultations. Un grand nombre de vos membres sont sous réglementation provinciale, mais ces changements ont une incidence sur votre institution. Avez-vous été consultés de manière adéquate au sujet des changements prévus dans le budget de 2024, tout comme on vous avait consultés au sujet des changements présentés dans le budget de 2023? Votre organisme est-il suffisamment consulté? Vos établissements sont très importants pour notre nation.
Mme Mainprize : C’est une excellente question, sénatrice. Je vous remercie.
Nous pouvons dire que dans ce cas, oui, nous avons été consultés. Ce n’est toutefois pas toujours le cas et, traditionnellement, on ne nous consultait pas. Nous avons remarqué que notre secteur est invité de plus en plus souvent à participer aux consultations et aux discussions dans le cadre du processus d’élaboration des lois, et nous en sommes très reconnaissants. Je vous remercie beaucoup d’avoir posé cette question.
La sénatrice Martin : Je vous remercie.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Bienvenue, madame Mainprize. Ma question concerne la section 16. Vous avez mentionné que vous étiez préoccupée par certains aspects de ce projet de loi. J’aimerais que vous parliez des raisons de votre inquiétude par rapport à la section 16 du projet de loi, et je voudrais notamment savoir ceci : puisque cette section permettrait davantage d’établir les activités d’un système bancaire ouvert, est-ce que vos soucis ont trait au système bancaire ouvert comme tel ou aux relations fédérales-provinciales?
[Traduction]
Mme Mainprize : Nous voulons nous assurer que les organismes de réglementation fédéraux et provinciaux collaborent et discutent entre eux — surtout dans ce cas-ci — lorsqu’il s’agit de la structure de gouvernance et des dispositions relatives à la protection du consommateur dans le cadre des cadres sur les services bancaires axés sur les consommateurs. Nous avons constaté que les provinces et les organismes de réglementation provinciaux avaient été inclus dans les groupes de travail initiaux qui ont traité des questions liées à l’accréditation, à la responsabilité, à la protection de la vie privée et à la sécurité. Nous n’avons cependant pas observé une telle inclusion à cette étape-ci, et nous voulons nous assurer qu’il y a inclusion, comme on l’a déjà dit. La majorité de nos membres sont sous réglementation provinciale et nous devons veiller à ce que le cadre réglementaire reste raisonnable, proportionnel et équitable pour nos membres, compte tenu notamment des différences entre la réglementation fédérale et la réglementation provinciale. Notre principale préoccupation est de veiller à ce que les consultations, le dialogue et la coopération à cet égard se poursuivent au sein de ces deux ordres de gouvernement.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Croyez-vous que cette section devrait faire partie du projet de loi omnibus du gouvernement, ou mériterait-elle d’être un projet de loi à part entière, pour assurer que les processus de consultation sont bien respectés?
[Traduction]
Mme Mainprize : C’est une excellente question, sénatrice. Je vous remercie.
Notre principale préoccupation est la rapidité, car nous voulons que ce système bancaire ouvert entre en vigueur le plus rapidement possible. Si cela peut se faire en retirant cet élément d’un projet de loi omnibus pour le transférer dans un projet de loi distinct, nous appuierons certainement une telle initiative. Cependant, étant donné les retards observés jusqu’à présent dans la mise en œuvre du système bancaire ouvert, nous étions soulagés de constater que la section 16 était incluse dans ce projet de loi omnibus.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci pour votre présence parmi nous, madame Mainprize. Pour rebondir sur la question de notre collègue la sénatrice Bellemare, vous dites que le système bancaire ouvert, malgré les problèmes de juridiction, devrait se faire rapidement. Ai-je bien compris?
[Traduction]
Mme Mainprize : Je n’ai pas dit que nous aimerions que des lois inadéquates soient adoptées rapidement. Nous disons seulement que nous appuyons certainement l’entrée en vigueur de la loi, et nous avons bien accueilli l’annonce concernant l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, ou l’ACFC, et l’élargissement de son rôle.
Comme c’est le cas dans de nombreuses situations, le diable est dans les détails. Nous espérons que, grâce à la prochaine série de consultations, ces détails seront réglés d’une manière utile et efficace pour l’ensemble du secteur. Toutefois, nous demandons instamment qu’il y ait, lors de cette prochaine étape de consultation, des consultations et des discussions sérieuses avec les organismes de réglementation provinciaux, afin de garantir l’atteinte d’un bon équilibre et une bonne coopération entre les deux niveaux de réglementation et les deux ordres de gouvernement. Dans le cas contraire, cela imposera un fardeau indu aux coopératives de crédit sous réglementation provinciale qui tenteront d’équilibrer ces deux structures.
[Français]
Le sénateur Forest : Selon vous, le système bancaire ouvert permettra-t-il aux institutions financières de réduire leurs frais d’exploitation et de réduire les frais bancaires pour les consommateurs?
[Traduction]
Mme Mainprize : Il m’est très difficile de répondre à cette question. Je pense que c’est une possibilité. Je pense qu’il existe de nombreux cas d’utilisation opérationnelle intéressants qui peuvent profiter de l’appui d’un système bancaire ouvert. Si les renseignements sur les clients deviennent plus accessibles, cela pourrait certainement stimuler l’innovation et faire baisser le prix des services.
Le sénateur Forest : Je vous remercie.
Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, madame Mainprize, d’être ici aujourd’hui.
J’ai toujours de la difficulté avec le fait que le nouveau taux d’intérêt criminel est de 35 %. La plupart des gens diraient que c’est toujours criminel, et je les comprends. Je ne connais pas le processus de consultation qui a été mené par le gouvernement auprès des coopératives de crédit. Je suis membre d’une coopérative de crédit et je l’ai été pendant la majeure partie de ma vie adulte. J’aime beaucoup cela. Lorsque je voyage d’un endroit à l’autre, je peux trouver une coopérative de crédit et retirer mon argent sans que cela ne me coûte 3,50 $ ou tout autre montant facturé par une banque à la fin de la journée, et j’en suis reconnaissant. Pourtant, dans le contexte de la réduction du taux d’intérêt criminel, je pense que certains d’entre nous sont d’avis que ce n’est toujours pas suffisant, étant donné que la Banque du Canada prête de l’argent aux institutions financières et qu’elles finissent par percevoir les frais actuels.
Je présume que je vous pose simplement une question objective. Pensez-vous que le taux de 35 % n’est pas exorbitant pour être encore considéré comme beaucoup trop élevé pour les Canadiens? Cela me pose problème. C’est mon opinion. Le gouvernement devrait faire beaucoup mieux. Je pense que si vous interrogez les Canadiens, ils vous diront la même chose.
Mme Mainprize : Je pense que vous avez raison à bien des égards en ce qui concerne l’impact du taux d’intérêt criminel actuel et des taux d’intérêt criminels précédents sur les Canadiens. Toutefois, il faut aussi tenir compte du coût de fonctionnement des institutions financières et des coûts qu’elles doivent payer pour accorder un prêt, assurer son remboursement et servir leurs membres ou leurs clients. Je dirais que tant que cet équilibre est raisonnable et juste et qu’il permet aux petites institutions financières d’exister — comme les coopératives de crédit qui servent véritablement leur communauté et leurs membres —, c’est une chose très importante, car en plus de ce taux d’intérêt criminel, il y a aussi des taux moins élevés. Les institutions financières sont également en mesure d’offrir des produits et services moins coûteux. Par contre, si nous réduisons de manière excessive leur capacité à facturer leurs clients et leurs membres, nous limiterons leur capacité à fonctionner.
Le sénateur Yussuff : Est-ce que l’une de vos coopératives de crédit membres, peu importe où elle se trouve au pays, appliquerait un taux d’intérêt de 35 %?
Mme Mainprize : Encore une fois, c’est une très bonne question, mais je n’ai pas la réponse. Je ne crois pas qu’aucune d’entre elles n’applique un taux d’intérêt de 35 %.
Le sénateur Yussuff : J’essaie de faire valoir un point.
Mme Mainprize : Oui.
Le sénateur Yussuff : Ma collègue vous a posé des questions sur le système bancaire ouvert. Je pense que de nombreux partisans de ce système ouvert sont frustrés par le fait que sa mise en œuvre prend beaucoup trop de temps et que nous sommes beaucoup trop prudents. Je comprends que nous devions mettre en place des mécanismes adéquats pour garantir la protection de la vie privée et un cadre réglementaire qui respecte les normes établies. Notre pays a des institutions financières très solides parce que nous les réglementons de manière appropriée. De manière objective, pensez-vous que notre pays se dirige assez rapidement vers l’établissement d’un système bancaire ouvert, compte tenu de la frustration exprimée par les groupes de consommateurs depuis si longtemps?
Mme Mainprize : Je vous remercie de votre question, sénateur.
Vous avez tout à fait raison de dire qu’il faut trouver un équilibre entre la rapidité avec laquelle nous mettons en œuvre le cadre et la qualité de ce cadre lui-même. Je pense que les choses n’ont pas évolué aussi rapidement que nous et le reste de l’industrie l’aurions souhaité, mais nous commençons enfin à voir des signes que la situation évolue. Nous sommes d’avis que les consultations qui ont été menées par les groupes de travail au cours des deux dernières années permettent à la situation d’évoluer dans la bonne direction, tant en ce qui concerne la rapidité que la qualité.
Le vice-président : Avant de passer au groupe suivant, j’aimerais poser une question sur le système bancaire ouvert. Vous avez dit que vous aimeriez que la politique ou le cadre soit mis en place le plus rapidement possible. Nous avons également parlé des coûts moins élevés et de l’efficacité réduite pour le consommateur. Le consommateur est évidemment toujours au premier plan. Partout, c’est le client qui prime.
Pourquoi votre association ou les coopératives seraient-elles si pressées de mettre ce système en œuvre? Le système bancaire ouvert ne fera-t-il pas baisser les profits dans le secteur bancaire? Par ailleurs, lorsque la sénatrice Martin a posé sa question sur la consultation des parties prenantes, vous avez exprimé votre satisfaction quant au fait que le gouvernement vous a consultés. Il ne vous consulte pas toujours, mais il vous a consultés dans ce cas-ci. Pouvez-vous répondre à ma prochaine question de manière concise? Le gouvernement envisage la mise en œuvre d’un système bancaire ouvert depuis plus de six ans. Vous avez exprimé de sérieuses préoccupations dans votre déclaration préliminaire de trois minutes, même si vous avez pris six minutes et que je vous les ai accordées parce que c’est important. Pourquoi les organismes de réglementation provinciaux n’ont-ils pas été consultés pendant ces six années? Ou pourquoi le gouvernement n’est-il pas encore au courant de ces préoccupations? Nous avons entendu des préoccupations semblables dans d’autres provinces — et pas seulement au Québec —, car les coopératives, ainsi que le Mouvement Desjardins, souhaitent être invitées à participer aux discussions. Vous représentez un grand nombre de coopératives qui accordent des prêts, et je pense donc qu’il s’agit d’une question importante à laquelle j’aimerais recevoir une réponse.
Mme Mainprize : Nous avons cru comprendre que les organismes de réglementation provinciaux étaient représentés au sein des quatre groupes de travail et qu’ils avaient été consultés lors de la dernière série de consultations. Nous n’avons pas entendu dire comment ils participeront à cette prochaine étape ni comment ils seront consultés, en particulier, en ce qui concerne l’annonce récente de l’élargissement du mandat et du rôle de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada et l’impact que cela aura sur les coopératives de crédit sous réglementation provinciale et les institutions sous réglementation fédérale.
Le vice-président : Pourquoi cette précipitation ? Cela ne va-t-il pas réduire les marges au sein de l’industrie ?
Mme Mainprize : De notre point de vue, il y a deux raisons. Premièrement, chaque fois qu’on met en œuvre un cadre — dans ce cas-ci, le cadre régissant le système bancaire ouvert, ou la finance axée sur les clients —, cela suscite beaucoup de questions et un mouvement considérable en coulisses pour se positionner ou se préparer à l’égard de ce qui va indubitablement ou inévitablement être mis en place. Nous l’avons observé amplement ces dernières années, et nos membres ont du mal à savoir dans quelle mesure ils doivent aller de l’avant et se préparer, car il y a eu un certain nombre de retards. C’est pourquoi une mise en œuvre rapide du cadre serait bénéfique. Nous ne pensons pas que tous nos membres participeront immédiatement à ce système, mais nous voulons nous assurer que ceux qui le souhaitent aient la possibilité d’y participer, car aux yeux de beaucoup d’entre eux, l’instauration d’un système bancaire ouvert leur permettra de mieux servir leurs membres.
Le vice-président : Merci.
Voilà qui met fin à cette deuxième partie de notre réunion. Madame Mainprize, je vous remercie de votre présence. Ne vous éloignez pas trop, car vous allez faire partie du dernier groupe de témoins.
Nous passons maintenant à la sous-section A de la section 34 de la partie 4. La sous-section A de la section 34 vise à modifier la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes afin, notamment, de permettre certains types d’échange de renseignements et d’étendre l’application de la loi aux entreprises d’encaissement de chèques.
Nous avons le plaisir d’accueillir en personne, de la Gendarmerie royale du Canada, le surintendant principal Denis Beaudoin, Police fédérale, et le surintendant principal Richard Burchill, Police fédérale. Nous sommes heureux également d’accueillir, du Commissariat à la protection de la vie privée du Canada, Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada.
Bienvenue et merci de vous joindre à nous aujourd’hui. Nous allons maintenant commencer par vos déclarations d’ouverture.
Le surintendant principal Richard Burchill, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Je suis heureux de comparaître devant le comité dans le cadre de l’examen du projet de loi -69. Je suis le surintendant principal Richard Burchill, directeur général de la Criminalité financière aux Opérations criminelles de la Police fédérale de la GRC. Je suis en compagnie de mon collègue, le surintendant principal Denis Beaudoin, directeur général de la Sécurité nationale de la Police fédérale.
Comme beaucoup d’entre vous le savent déjà, le programme de la Police fédérale de la GRC a pour mission de protéger le Canada, sa population et ses intérêts contre les plus grandes menaces criminelles au pays et à l’étranger, y compris les risques pour la sécurité nationale, le crime organisé transnational, la criminalité financière et la cybercriminalité. Plus précisément, le programme de la Criminalité financière de la Police fédérale de la GRC enquête sur des signalements de blanchiment d’argent, de fraude grave, de manipulation du marché, de corruption et de contournement de sanctions. Nous menons également des activités de répression dans le cadre du régime de sanctions du Canada. Relevant du programme de la Sécurité nationale de la GRC, les équipes intégrées de la sécurité nationale enquêtent sur le financement du terrorisme.
Au cours d’une enquête, la GRC peut être appelée à collaborer avec de nombreux partenaires, notamment le Service des poursuites pénales du Canada, l’Agence du revenu du Canada, le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, le CANAFE, l’Agence des services frontaliers du Canada, le service de police compétent ou des organismes d’application de la loi de l’étranger.
Au terme d’une enquête, il arrive que la GRC soumette l’affaire au Service des poursuites pénales du Canada aux fins de poursuites, à l’Agence du revenu du Canada pour enquête en cas de fraude fiscale ou aux bureaux de confiscation civile pour la saisie ou la confiscation potentielle de biens en vertu des pouvoirs qui leur sont conférés.
Monsieur le président, j’aborderai maintenant quelques sujets pertinents pour notre comparution d’aujourd’hui.
Le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme portent grandement atteinte à l’intégrité et à la réputation économiques d’un pays, de même qu’à la sécurité de sa population. D’ailleurs, la Commission d’enquête Cullen chargée d’examiner la question du blanchiment d’argent en Colombie-Britannique et, à l’échelle internationale, le Groupe d’action financière sur le blanchiment de capitaux ont souligné l’importance de lutter contre le blanchiment d’argent au Canada.
À titre de service de police national du Canada, la GRC joue un rôle de premier plan dans les mesures que prend le Canada pour freiner la circulation de produits de la criminalité et le financement d’activités terroristes dans l’ensemble du pays. Ainsi, la GRC accorde une priorité aux enquêtes portant sur les produits de la criminalité et le financement du terrorisme. En 2019, le gouvernement du Canada a annoncé qu’il allouerait à la GRC 19,8 millions de dollars sur cinq ans pour la création d’équipes intégrées d’enquête sur le blanchiment d’argent. Les équipes intégrées d’enquête sur le blanchiment d’argent se composent d’enquêteurs de la GRC et de représentants de l’Agence du revenu du Canada, du Groupe de la gestion juricomptable et du Service des poursuites pénales du Canada. Ce modèle de collaboration permet de réunir des experts des différentes organisations en vue de lutter contre des crimes financiers complexes, particulièrement en ce qui concerne les professionnels qui font du blanchiment d’argent.
La GRC reconnaît qu’il reste des défis à relever pour contrer le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. L’un de ces défis est de décider comment nous devons mesurer notre réussite et comment utiliser les statistiques pour mesurer notre réussite. Par exemple, les enquêtes conjointes internationales comportant des saisies et la perturbation d’activités criminelles ne figurent pas toujours dans les rapports destinés à la GRC, mais nous cherchons des moyens novateurs pour que ces réussites et cette information soient communiquées et consignées à des fins de suivi.
Les enquêtes sur la criminalité financière et le financement du terrorisme demandent beaucoup de temps et de ressources. Elles peuvent parfois durer plusieurs années et nécessiter l’intervention d’experts, comme des enquêteurs chevronnés, des témoins experts et des procureurs pour constituer et présenter une preuve tirée d’une série complexe de documents financiers qui sont généralement conçus de manière à cacher des transactions criminelles. Mais la GRC continue de collaborer étroitement avec des partenaires qui luttent contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes en leur offrant son expertise afin de moderniser et de renforcer nos démarches tout en continuant de contrer la menace qui évolue constamment. Nous sommes heureux de voir des propositions qui aideront les organismes d’application de la loi et de renseignement à lutter contre ces crimes complexes.
J’aimerais aussi vous parler brièvement du rôle de la GRC dans le régime de sanctions du Canada. La GRC a pour mandat général d’appliquer la Loi sur les mesures économiques spéciales, la Loi sur le blocage des biens de dirigeants étrangers corrompus et la Loi sur les Nations unies. La GRC réalise un certain nombre d’activités pour appuyer le mandat du ministre des Affaires étrangères. Elle recueille des renseignements en vertu des règlements, offre du soutien au ministre et mène des enquêtes criminelles au besoin. Le gouvernement du Canada a récemment investi dans son régime de sanctions en affectant des ressources pour permettre à la GRC d’accroître sa capacité et ses enquêtes sur le contournement des sanctions. Comme vous le savez, les sanctions économiques sont un instrument de politique étrangère utilisé par de nombreux pays. D’ailleurs, le recours aux sanctions a augmenté partout sur la planète ces dernières années. La GRC continuera de collaborer avec ses partenaires du Canada et d’ailleurs dans le monde pour accroître la capacité dans ce domaine et pour remplir son rôle et appliquer les sanctions.
Monsieur le président, j’aimerais conclure en disant que la GRC soutient les amendements qui amélioreront les outils existants et qui permettront de prendre d’autres mesures pour lutter contre la criminalité financière et le financement des activités terroristes. La GRC demeure résolue à collaborer avec ses partenaires à l’adoption des amendements proposés dans le but de protéger l’intégrité économique du Canada et d’assurer le maintien de la sécurité nationale. Je remercie encore une fois le comité de m’avoir permis de prononcer cette allocution et je serai heureux de répondre à toutes les questions que vous voudrez bien me poser.
[Français]
Me Philippe Dufresne, commissaire à la protection de la vie privée du Canada, Commissariat à la protection de la vie privée du Canada : Monsieur le président, mesdames et messieurs les membres du comité, je vous remercie de me donner l’occasion de comparaître dans le cadre de votre étude préliminaire du projet de loi C-69.
Ce projet de loi comprend de nouvelles dispositions sur le partage de renseignements à l’intention des entités déclarantes aux termes de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, l’inclusion de régimes de protection ainsi que des modifications corrélatives à la Loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada.
[Traduction]
À titre de commissaire à la protection de la vie privée, je veille au respect de la Loi sur la protection des renseignements personnels, qui porte sur les pratiques des institutions fédérales concernant la collecte, l’utilisation, la communication, la conservation ou l’élimination des renseignements personnels, et de la Loi sur la protection des renseignements personnels et les documents électroniques, la LPRPDE, qui est la loi fédérale sur la protection des renseignements personnels dans le secteur privé au Canada.
[Français]
Dans le contexte du Régime canadien de lutte contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, conformément au paragraphe 72(2) de la loi, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada a le mandat de procéder tous les deux ans à l’examen des mesures prises par le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (CANAFE), en vue de protéger les renseignements qu’il reçoit ou recueille en application de cette loi.
[Traduction]
J’appuie les mesures proposées dans le projet de loi C-69 qui viendraient faciliter le partage efficace de renseignements afin de servir l’intérêt public d’importance capitale qui consiste à lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Comme je l’ai indiqué à plusieurs occasions, la protection de la vie privée est un moyen de favoriser l’intérêt public. Les Canadiennes et les Canadiens ne devraient pas être obligés de choisir entre des politiques qui servent l’intérêt public et leur droit fondamental à la vie privée. Ils peuvent avoir les deux à la fois, et ils y ont droit.
[Français]
Ainsi, lorsque des mesures ayant une incidence importante sur la vie privée sont prises dans l’intérêt public, il faut s’assurer qu’elles sont assorties de mesures visant à protéger adéquatement la vie privée. La vie privée doit être protégée et doit être perçue comme étant protégée. C’est en procédant de la sorte qu’on peut susciter la confiance, ce qui, à son tour, favorisera l’intérêt public.
[Traduction]
Le projet de loi C-69 modifierait la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, la LRPCFAT, afin de permettre aux entités déclarantes aux termes de la loi — comme des organisations financières — de communiquer à une autre organisation des renseignements personnels d’un individu à son insu ou sans son consentement s’il est raisonnable de communiquer ces renseignements en vue de détecter ou de décourager le recyclage des produits de la criminalité, le financement des activités terroristes ou le contournement des sanctions, si la communication de ces renseignements effectuée au su ou avec le consentement de l’individu risquerait de compromettre la capacité de détecter ces crimes, et si la communication est faite conformément aux règlements. Le projet de loi permettrait aussi à l’organisation bénéficiaire de recueillir et d’utiliser les renseignements qui lui sont communiqués en application de cette disposition.
[Français]
Par ailleurs, le projet de loi C-69 prévoit que le gouverneur en conseil peut adopter des règlements régissant ces communications, collectes et utilisations, notamment en régissant l’élaboration de codes de pratique par des organisations et grâce au rôle que le commissariat et le CANAFE jouent relativement à ces codes de pratique.
Bien que le projet de loi prévoie de manière explicite qu’un rôle pour le commissariat et le CANAFE serait établi dans les règlements, la nature précise de ce rôle n’y est pas définie et, par conséquent, cet élément ne sera pas confirmé avant l’adoption de ces règlements.
[Traduction]
Par exemple, il y a une différence importante entre un rôle d’approbation et un rôle simplement consultatif. À mon avis, il devrait y avoir une obligation d’approbation préalable des codes par le commissariat. Une telle obligation renforcerait la confiance des Canadiennes et des Canadiens dans le fait que leur vie privée est prise en compte dès le début du processus. Pour ces raisons, il sera essentiel que le commissariat soit consulté lors de l’élaboration de ces règlements et que ces derniers prévoient un rôle fort et visible d’approbation pour le commissariat en ce qui concerne l’élaboration des codes de pratique.
Je serai maintenant heureux de répondre aux questions du comité.
[Français]
Le vice-président : Je vous remercie. Je vais maintenant donner la parole aux sénateurs qui veulent poser des questions au sujet de la sous-section A de la section 34.
La sénatrice Bellemare : J’aimerais savoir quels sont les coûts associés à ces changements législatifs. Est-ce qu’il y a également une augmentation des ressources humaines qui sont implicites? Pouvez-vous nous faire des commentaires à ce sujet?
[Traduction]
M. Burchill : Oui. En ce qui concerne les coûts associés à ces changements législatifs, je ne sais pas quels seraient les coûts pour le gouvernement dans son ensemble. Je sais ce que nous avons reçu comme financement en raison des changements législatifs relatifs aux sanctions, à savoir environ 5,771 millions de dollars sur cinq ans pour aider à renforcer les capacités pour le travail relié aux sanctions.
En ce qui concerne les ressources nécessaires pour accomplir ce travail, je dirais qu’un certain nombre d’efforts sont en cours depuis un an et demi dans le cadre de notre programme de lutte contre la criminalité financière, afin d’intensifier les efforts et de renforcer les capacités dans le cadre du régime des sanctions. Une partie de ces efforts consiste à augmenter le nombre d’enquêteurs lorsque nous avons la possibilité de pourvoir des postes, mais une grande partie consiste surtout à affecter des enquêteurs en poste aux enquêtes criminelles relatives au contournement des sanctions et à travailler avec nos partenaires, en particulier, Affaires mondiales Canada. Nous organisons avec eux des séances d’information partout au pays à l’intention des organismes partenaires et des services d’enquête afin d’expliquer les distinctions et les nuances concernant les enquêtes sur les sanctions, le soutien que nous apportons à Affaires mondiales sur le plan de l’application de la Loi sur les mesures économiques spéciales et le travail que nous effectuons dans le cadre d’une enquête criminelle relative au contournement des sanctions. En outre, nous avons établi un partenariat avec le Service des poursuites pénales du Canada afin de tenir des séances d’information sur les enquêtes criminelles à l’intention des services d’enquête. Je pense que notre approche va au-delà de celle de la GRC. Nous essayons d’utiliser ce financement et nos ressources pour renforcer les capacités de sorte qu’au terme de cette période de cinq ans, nous soyons en mesure de contribuer de façon substantielle à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme dans le domaine des sanctions. J’espère avoir répondu à votre question.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Oui, merci, cela répond à mes questions. J’aimerais maintenant poser une question à M. Dufresne.
Vous avez soulevé la question de la réglementation, et c’est quelque chose dont on parle régulièrement. On adopte des lois assorties de règlements qui peuvent changer complètement la première impression qu’on en a. Avez-vous des solutions à nous proposer? Que peut-on faire pour éviter que la réglementation ne soit trop invasive ou qu’elle vienne annuler les objectifs prévus?
Me Dufresne : C’est une des raisons pour lesquelles j’ai évoqué l’importance de mes attentes par rapport à cette réglementation. Ce que vous pouvez faire lorsque vous avez des témoins, c’est de leur demander quelles sont les intentions du gouvernement par rapport à ces règlements. Ma compréhension, c’est que l’intention soit un rôle d’approbation, et je m’attends à ce que ce soit un rôle d’approbation. Au préalable, je pense que c’est ce qui va susciter et renforcer l’intérêt public et la confiance.
J’ai dit d’entrée de jeu que je soutiens ces objectifs de lutte contre le blanchiment d’argent; c’est extrêmement important. De plus, lorsqu’on protège la vie privée des Canadiens et des Canadiennes en le faisant, on renforce la confiance dans le système et tout le monde en bénéficie.
La sénatrice Bellemare : Merci.
[Traduction]
La sénatrice Ringuette : Je suppose que votre travail de collaboration avec d’autres organismes constitue un pas de plus. Vous acquiescez. Est-ce un « oui »?
M. Burchill : Désolé, j’attendais. Je vous écoute attentivement.
La sénatrice Ringuette : Je suis désolée. Est-ce que votre travail de collaboration avec d’autres organismes dans le cadre d’enquêtes relatives à des sanctions constitue un pas de plus, et vous avez besoin de cette mesure législative pour avancer, car vous éprouvez des problèmes au chapitre des renseignements dont vous avez besoin et que vous devez communiquer?
M. Burchill : Je dirais que nous n’avons pas commencé ce travail de collaboration parce que nous avions besoin de le faire. Je pense que nous avons toujours travaillé en collaboration avec d’autres organismes, mais en ce qui concerne les sanctions, ces dernières années, nous avons dû, en tant que service de police national, soutenir davantage Affaires mondiales Canada. En outre, en raison du contexte géopolitique, on observe une hausse du contournement des sanctions.
Lorsque nous menons des enquêtes criminelles, nous devons nous assurer de respecter la législation en matière de protection de la vie privée et la Charte des droits et libertés au cas où des arguments fondés sur la Charte seraient invoqués devant les tribunaux si nous commettons une erreur. À cette fin, il existe notamment un groupe de travail sur les sanctions et l’exécution de la loi à la frontière composé de directeurs généraux au sein de tous les ministères, afin de nous assurer que nous travaillons tous de la même manière, tout en exécutant nos propres mandats, en communiquant des renseignements s’il y a lieu et en menant les enquêtes de la meilleure façon possible, en faisant appel à nos partenaires, mais en respectant la législation en vigueur. Ma réponse est-elle utile?
La sénatrice Ringuette : Oui.
Veuillez me corriger si je me trompe, mais il y a quelques années, j’ai été assez surprise d’apprendre, lors d’une réunion du comité, que le CANAFE, sur une période de cinq ans, n’avait contribué qu’à trois poursuites, sans compter qu’il n’y avait eu aucun verdict de culpabilité à l’issue de ces trois poursuites. Je pense que l’un des problèmes réside dans le fait que les services de police tels que le vôtre doivent obtenir de l’information auprès du CANAFE, qui dispose de techniciens pour analyser cette information, mais il ne semble pas faire part de situations éventuelles de façon proactive aux services de police. Est-ce toujours le cas?
M. Burchill : Je vais vous donner ma réponse, mais je vais demander également à mon collègue de répondre, car il a lui aussi de l’expérience dans ces enquêtes criminelles.
Je dirais que je ne sais pas exactement quelle était la situation il y a quelques années, mais actuellement, depuis au moins deux ans, j’observe que des efforts considérables sont déployés chez nous, au CANAFE et dans le secteur privé pour améliorer les processus qui habituellement occasionnent des retards dans les enquêtes. Ces divulgations proactives fournissent peut-être des renseignements qui ne sont pas pertinents ou une quantité excessive de renseignements qu’il est impossible de traiter. Pour répondre à votre question, je dirais que la situation s’est grandement améliorée grâce aux efforts actuels. Nous cherchons toujours des moyens de l’améliorer davantage, et, d’après mon expérience, le CANAFE est un bon partenaire à cet égard. Je vais laisser à mon collègue le soin d’ajouter quelques mots.
Le surintendant principal Denis Beaudoin, Police fédérale, Gendarmerie royale du Canada : Le CANAFE a réussi à grandement améliorer ses services. Il fournit à la GRC de nombreux renseignements utiles qui sont utilisés dans le cadre d’enquêtes criminelles.
Je pense que l’une des lacunes du système actuel tient au fait que les banques fournissent des renseignements au CANAFE, qui ensuite décide quels renseignements sont fournis aux services de police. Nous dépendons du travail des banques — et quand je dis « nous », ce n’est pas la GRC, mais le système —, car ce sont elles qui doivent transmettre au CANAFE des renseignements sur les bonnes personnes afin que nous les recevions. Il arrive que nous recevions des renseignements qui ne nous sont pas utiles, qui ne correspondent pas à nos priorités et qui risquent de ne pas être utilisés pendant un certain temps. Contrairement à d’autres pays, nous n’avons pas la capacité de communiquer des renseignements. En fait, nous l’avons, mais en raison de notre système bancaire, nous n’avons pas la capacité de communiquer des renseignements personnels d’un domaine public à un domaine privé. Je ne sais pas si cela...
La sénatrice Ringuette : C’est intéressant. Merci.
Le sénateur Varone : Je vous remercie de votre présence.
Ma première question s’adresse au surintendant principal Burchill. Ce projet de loi complète-t-il votre boîte à outils ou manque-t-il d’outils pour vous aider à coincer les terroristes et les criminels?
Mon autre question s’adresse à Me Dufresne. Pourquoi les terroristes et les membres du crime organisé bénéficient-ils du même droit à la vie privée que les Canadiens respectueux des lois? Et pourquoi est-ce un enjeu?
M. Burchill : Je dirais que la GRC est toujours très favorable à toute modification législative qui l’aidera à mieux faire son travail. Compte tenu de l’évolution de la criminalité, en particulier dans le domaine du blanchiment d’argent, et des actifs virtuels, il sera toujours nécessaire de moderniser la législation. Il est difficile de dire si ce projet de loi est suffisant, et je ne sais pas si nous saurons jamais exactement quelle est la réponse à cette question, mais les changements législatifs sont toujours les bienvenus et nous voyons d’un bon œil tous les outils qu’on peut nous offrir par le biais de la législation pour nous aider à effectuer ces enquêtes criminelles.
Me Dufresne : En ce qui concerne la deuxième partie de votre question, je dirais que la protection de la vie privée est un droit fondamental semblable aux droits garantis par la Charte, puisque cela s’applique à tous les Canadiens. On garantit des droits et libertés tout en n’empêchant pas les forces de l’ordre de faire leur travail important. Il faut trouver un équilibre entre l’intérêt public et la protection des droits fondamentaux, et c’est ce que font les tribunaux. C’est ce que cette proposition tente de faire en augmentant la capacité de partage entre entités privées tout en veillant à ce que l’organisme de réglementation ait un rôle à jouer et s’assure que tout cela se fasse dans le respect de la vie privée.
Je reviens à ce qu’a dit le surintendant principal, à savoir que les informations ne sont pas toujours suffisamment pertinentes ou sont parfois trop nombreuses. Une bonne discipline en matière de protection de la vie privée permettrait également de veiller à moins recevoir moins d’informations non pertinentes ou plus générales et à recevoir plutôt des informations plus ciblées.
[Français]
Le sénateur Forest : Merci de votre présence ici. J’aimerais vous entendre sur le phénomène de la cryptomonnaie. Il est reconnu que la cryptomonnaie est prisée par ceux qui veulent faire des activités illicites, étant donné que les échanges sont anonymes et que les contrôles se font seulement au moment où l’on convertit notre cryptomonnaie en biens tangibles, en argent ou en achat de biens. Les éléments contenus dans le projet de loi C-69 visent-ils à renforcer la lutte contre le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et les abus liés au phénomène de la cryptomonnaie?
[Traduction]
M. Burchill : Pour ce qui est de la première partie de votre question, oui, en effet, l’utilisation de cryptomonnaies est assurément beaucoup plus fréquente dans toutes nos grandes enquêtes criminelles. Nous avons donc dû développer et continuons à développer des capacités pour recueillir ces preuves. Des changements législatifs nous ont aidés à saisir des actifs virtuels comme jamais auparavant, ce qui est absolument utile à la collecte de preuves lors des enquêtes.
Le sénateur Forest : Merci.
[Français]
Le sénateur Massicotte : Merci à vous trois d’être parmi nous cet après-midi. Je dois admettre que j’ai personnellement une grande crainte qu’il y ait des lacunes majeures.
Il y a un défi important, mais je suis loin d’être convaincu qu’on va y arriver de manière positive.
Je comprends que, même en Asie, et à Hong Kong en particulier, il y a beaucoup de fraudes, mais on sait que seulement trois ou quatre personnes de la GRC sont responsables de faire des suivis. Souvent, on se fait dire que cela ne vaut même pas la peine de s’inquiéter pour 1 ou 2 millions de dollars qui ont été volés, que cela représente beaucoup trop d’efforts et un volume beaucoup trop grand. Alors, il n’y a rien qui se passe et les banques sont frustrées, mais elles n’en parlent pas trop pour ne pas faire peur aux clients.
Récemment, avec la Banque TD — au Canada, on hésite et on impose une petite amende —, les États-Unis ont été plus rapides; ils ont analysé le problème et ils nous ont encouragés à imposer des amendes plus importantes. On fait vraiment « petit garçon ». On a des problèmes majeurs et on agit avec politesse. Maître Dufresne, est-ce que je me décourage pour des raisons qui ne sont pas valables, ou est-ce un portrait assez juste de la réalité?
Me Dufresne : En tant que commissaire à la protection de la vie privée du Canada, je ne vais pas faire de commentaires sur le succès des enquêtes policières ou du CANAFE. Cependant, en protégeant la vie privée et en ayant un régime qui assure un meilleur échange d’informations à l’intérieur d’un cadre, l’objectif est de faciliter tout cela, et c’est un moyen de protéger la vie privée.
[Traduction]
Le sénateur Massicotte : D’après ce que je peux voir, il y a énormément de fraudes et de manipulations. Le CANAFE existe depuis longtemps, mais nous ne semblons pas contrôler la situation. Nous ne voulons pas faire peur aux Canadiens, mais je n’ai pas l’impression que nous maîtrisons la situation. C’est majeur. Je vous regarde tous les trois, et vous êtes très sérieux, mais pensez à tous ces jeunes qui savent s’y prendre avec la technologie. Ils ont une longueur d’avance sur nous et je pense qu’ils volent beaucoup d’argent. Je me trompe peut-être. Dites-moi que je me trompe.
M. Burchill : Vous n’avez pas tort. Du point de vue policier, je dirais qu’il y a bien sûr énormément de crimes financiers et de fraudes. Cela dit, d’après mon expérience de travail avec des forces de l’ordre étrangères et nos partenaires du Groupe des cinq et le travail effectué au pays avec d’autres partenaires, je constate que beaucoup d’efforts ont été déployés pour tenter de maîtriser ces problèmes et s’y attaquer. Nous travaillons dans un contexte législatif qui nous impose une certaine approche. Nos lois et notre charte des droits sont importantes pour le Canada et les Canadiens. Dans le contexte législatif qui est le nôtre, je suis convaincu que nous travaillons diligemment avec nos partenaires nationaux et internationaux pour tenter de régler le problème des crimes financiers au pays. Je ne dirais pas que nous ne maîtrisons pas la situation et qu’elle nous dépasse. Je dirais que nous en sommes conscients. Nous sommes conscients du problème, mais il n’est pas toujours facile d’obtenir des résultats tangibles et visibles pour les Canadiens et pour vous.
Le sénateur Massicotte : J’espère que vous avez raison, mais j’en doute. Cela dit, je cède la parole à ma collègue.
La sénatrice Martin : J’ai une question supplémentaire et une question relative à une autre réunion. J’ai pensé que vous pourriez peut-être y répondre puisque vous êtes ici. Le sénateur Varone a demandé si votre boîte à outils était complète. Ces mesures contribueront-elles à résoudre le problème auquel nous faisons face? La situation est très complexe. Le problème va continuer à s’aggraver. Vous consulte-t-on sur ces mesures? Y aura-t-il un examen approfondi au fur et à mesure que vous avez besoin de plus d’outils?
M. Burchill : Je vais donner une réponse préliminaire et je laisserai ensuite à mon collègue le soin de parler de certains des changements législatifs qui nous aident. Si vous demandez aux policiers, pas seulement au sein de la GRC, mais dans l’ensemble des corps policiers, s’ils ont besoin de plus de capacités législatives, ils auront toujours des suggestions à vous faire en la matière. En ce qui concerne les changements actuels, je dirais que nous participons à la discussion. On nous consulte sur la façon de concentrer nos efforts sur le plan législatif pour essayer de contrer le financement des activités terroristes et le blanchiment d’argent au Canada. Je laisse à mon collègue le soin de vous donner plus de détails.
M. Beaudoin : Nous sommes très mobilisés. Deux des propositions que vous avez reçues — le maintien du compte ouvert et l’ordonnance de communication avec plusieurs dates — proviennent de la GRC; elles sont liées aux problèmes auxquels nous faisons face dans nos enquêtes. Nous soulevons nos problèmes et tentons de trouver des solutions lorsque nous communiquons avec le ministère de la Justice. Bien sûr, c’est le ministère de la Justice qui peut approuver les mesures et qui examine toute législation nécessaire.
Vous avez demandé si notre boîte à outils est complète. Bien sûr que non. Comme l’a dit mon collègue, les choses changent. La fraude n’était peut-être pas aussi répandue il y a quelques années, mais elle est au premier plan de nos jours avec la technologie. Nous aurons assurément besoin de plus d’outils à l’avenir pour nous attaquer à ce problème, mais au moins, il y a un dialogue. Le ministère de la Justice a été très utile. Il a écouté nos préoccupations, et nous accueillons favorablement ces deux amendements.
La sénatrice Martin : D’un point de vue canadien — de quelqu’un qui ne fait pas partie du système judiciaire —, il est frustrant de voir ce qui se passe, de constater toute cette criminalité. Nous voulons que vous disposiez des outils nécessaires pour lutter contre cette dernière.
Ma prochaine question porte sur l’ancien taux d’intérêt criminel. Le gouvernement a indiqué qu’on l’avait exhorté à déposer cet amendement à la section 33 afin de réduire les obstacles à l’application du taux criminel. Ces mesures réduiront-elles ces obstacles selon vous?
M. Beaudoin : Je tiens à souligner que mon collègue et moi représentons la police fédérale. Nous avons été consultés lors du processus d’élaboration de ces mesures, mais les programmes d’obstacles n’utilisent pas beaucoup le taux d’intérêt criminel. Il s’agit d’un outil utilisé par d’autres corps policiers, alors nous sommes peut-être mal placés pour donner notre avis sur la question.
La sénatrice Martin : Merci.
M. Beaudoin : La police fédérale a rarement recours à cette disposition du Code criminel.
Le vice-président : Voilà qui met fin au témoignage de notre groupe de témoins. Je vous remercie d’avoir été des nôtres aujourd’hui.
Nous accueillons maintenant notre dernier groupe de témoins pour poursuivre la discussion sur la sous-section A de la section 34 de la partie 4. De l’Association canadienne des coopératives financières, nous avons le plaisir d’accueillir à nouveau Victoria Mainprize, directrice des affaires juridiques, des politiques et de la conformité et responsable adjointe des affaires juridiques. De l’Association des banquiers canadiens, nous accueillons également Lorraine Krugel, vice-présidente, confidentialité et données, et Me Hartland Elcock, avocat-conseil principal. Enfin, de la Canadian Gaming Association, nous accueillons Paul Burns, président et chef de la direction, et Derek Ramm, chef mondial des services consultatifs, Kinectify Advisors.
Mme Mainprize : Merci beaucoup, monsieur le président et membres du comité, de m’avoir invitée à prendre à nouveau la parole aujourd’hui. Pour gagner du temps, je renoncerai au résumé de l’Association canadienne des coopératives financières et de notre secteur que je vous ai déjà donné.
Notre secteur soutient fermement les efforts visant à renforcer la LRPCFAT et à lutter contre le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Nous sommes favorables aux amendements proposés dans la sous-division A de la section 34 de la partie 4. Toutefois, il sera essentiel de veiller à soutenir les petites entreprises et les petites institutions financières pour qu’elles ne subissent pas un fardeau indu en raison de ces amendements.
Autrement dit, le cadre doit trouver un équilibre proportionné entre la capture d’activités illicites et les coûts des exigences imposées aux entités déclarantes. Bien que nous reconnaissons le potentiel de blanchiment d’argent des entreprises impliquées dans le transport de devises, de mandats de poste, de chèques de voyage et d’instruments négociables semblables et que nous soyons en faveur de l’inclusion de ce type d’entreprises énoncées dans les articles 340 et 348, nous estimons qu’il serait essentiel d’avoir des définitions et des lignes directrices claires pour assurer une couverture adéquate sans pour autant imposer un fardeau indu aux petites entreprises.
Nous sommes également en faveur des mesures visant à partager davantage d’informations pour détecter et dissuader les crimes financiers énoncés dans les articles 341, 344, 349 et 350, bien que nous nous préoccupions là encore de leurs impacts opérationnels potentiels sur les petites institutions financières. Nous aurons besoin de lignes directrices claires pour définir la portée et les limites du partage d’informations.
En ce qui concerne l’élargissement des divulgations au CANAFE, nous sommes en faveur du renforcement de l’efficacité du CANAFE qui se ferait en mettant l’accent sur la protection de la vie privée des membres et en veillant à ce que les divulgations soient strictement contrôlées et justifiées.
Nous sommes aussi généralement favorables à la publication des violations. Cela dit, il sera essentiel de veiller à ce que ces divulgations soient équitables, exactes et contextuelles. Nous proposons d’instaurer un processus robuste pour contester ou faire appel des divulgations erronées ou trompeuses.
En ce qui concerne les amendements proposés à la LPRPDE, notre secteur est en faveur de mesures qui concilieraient la nécessité d’accroître le partage d’informations pour lutter contre les crimes financiers et la protection robuste des renseignements personnels afin de préserver la confiance et la vie privée des membres.
J’aimerais également soulever quelques points supplémentaires à propos des dispositions transactionnelles, de la protection de la vie privée, de la sécurité des données et du soutien gouvernemental.
En ce qui concerne les dispositions transactionnelles, nous recommandons fortement que le calendrier de mise en œuvre soit échelonné ou retardé afin de donner aux entités déclarantes le temps de s’adapter aux changements. Cela permettra d’éviter les interruptions de service et d’assurer une transition efficace vers un nouveau cadre réglementaire.
Pour ce qui est de la protection de la vie privée et de la sécurité des données, nous soulignons l’importance de maintenir des normes élevées en la matière pour nos membres. Nous demandons des orientations détaillées sur le traitement des informations sensibles, en particulier dans le contexte du partage d’informations et des divulgations publiques.
Enfin, en ce qui concerne le soutien gouvernemental, nous insistons sur le fait qu’il est nécessaire pour les programmes de formation afin d’aider le personnel des entités déclarantes à comprendre et à se conformer aux nouvelles règles.
Merci beaucoup, mesdames et messieurs les sénateurs.
Le vice-président : Merci.
Me Hartland Elcock, avocat-conseil principal, Association des banquiers canadiens : Bonjour. Je tiens à remercier le comité de me donner l’occasion de m’exprimer sur la section 34 de la partie 4 du projet de loi C-69.
L’ABC est la voix de plus de 60 banques actives au Canada et de leurs plus de 280 000 employés, qui contribuent à l’essor et à la prospérité économiques du pays.
Nos banques membres ont à cœur la lutte contre le blanchiment d’argent. En tant qu’entités déclarantes des plus actives en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, les banques au Canada consacrent d’importantes ressources à leurs programmes de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes, aux contrôles internes et à la formation des employés. Une grande portion de cet investissement est canalisée vers les améliorations continues censées répondre aux changements dans les exigences de conformité, ainsi qu’à la nature évolutive des risques de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes. Leur objectif est de décourager, détecter et signaler les activités suspectes et de mitiger les risques de blanchiment d’argent et de financement des activités terroristes.
L’implication de nos membres, qui comptent parmi les principaux actionnaires du régime, va au-delà de la simple conformité. En effet, les banques collaborent activement avec le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada — ou CANAFE — sur des projets de partenariat public-privé en vue de rehausser l’efficacité et l’efficience générales du régime, ce qui est utile à la collecte de renseignements pratiques et aux enquêtes des forces de l’ordre. Le projet Protect est un exemple de ces PPP entre les banques et le CANAFE, qui vise les produits illicites découlant de la traite des personnes.
L’ABC et ses banques membres appuient fermement les efforts investis par le gouvernement canadien en vue d’améliorer le régime. Par exemple, nous sommes actifs au sein du Comité consultatif sur le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes. Nous nous sommes également exprimés en faveur des dispositions favorables aux enquêtes et aux poursuites pour des cas de blanchiment d’argent. Nous avons également demandé à ce qu’il y ait un registre des bénéficiaires effectifs exhaustif et un partage accru d’informations aux fins de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement des activités terroristes.
Ainsi, nous sommes favorables au cadre de partage des informations entre organisations du secteur privé proposé dans le projet de loi C-69. Pour les banques, qui appellent depuis longtemps à un partage accru d’informations, ces changements représentent un grand pas en avant pour le régime. Nous sommes heureux que le gouvernement ait adopté une démarche consultative dans le développement de ce cadre. Conformément à l’orientation du Groupe d’action financière — ou GAFI — et en accord avec la Commission Cullen de la Colombie-Britannique, il est primordial de conférer aux entités des secteurs privé et public les pouvoirs et les protections nécessaires en vertu du droit canadien pour faciliter le partage d’informations afin de détecter et de dissuader le blanchiment d’argent, le financement des activités terroristes et le contournement des sanctions. Plus précisément, établir un cadre permettant l’amélioration et la structure du flux d’informations entre des acteurs clés du secteur privé ouvrira la voie à une perturbation mieux ciblée des activités illégales et aidera les enquêtes des forces de l’ordre. En fin de compte, les Canadiens seront mieux protégés et l’intégrité de notre système financier sera préservée. Nous sommes également d’avis que ce partage entre organisations du secteur privé pourra raffermir les mesures de protection de la vie privée au Canada en réduisant les rapports superflus sur des transactions à faible risque qui doivent être soumis au gouvernement.
Merci encore de nous avoir donné l’occasion de comparaître devant votre comité. Nous serons heureux de répondre à vos questions.
Le vice-président : Merci, maître Elcock.
Paul Burns, président et chef de la direction, Canadian Gaming Association : Je suis le président de la Canadian Gaming Association, une association commerciale nationale qui représente les opérateurs et les fournisseurs du secteur privé dans le secteur des casinos classiques, des jeux en ligne et des casinos sportifs au Canada. Je vous remercie de nous donner l’occasion de prendre la parole devant vous aujourd’hui.
Je suis accompagné de Derek Ramm, chef mondial des services consultatifs de Kinectify Advisors, une société de gestion des risques qui se concentre sur la conformité aux règles contre le blanchiment d’argent dans l’industrie du jeu. M. Ramm est un membre clé du groupe de travail qui lutte contre le blanchiment d’argent au sein de la Canadian Gaming Association qui a participé activement aux consultations du ministère des Finances en vue de l’examen parlementaire de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.
Nous sommes ici aujourd’hui pour appuyer l’amendement proposé à la section 34, en particulier l’article 11.01 proposé, qui permettra aux entités déclarantes en matière de lutte contre le blanchiment d’argent de mieux partager les informations entre elles, car nous estimons qu’il s’agit d’un outil nécessaire et efficace dans la lutte continue contre le blanchiment d’argent.
Je cède maintenant la parole à M. Ramm qui abordera la question plus en détail.
Derek Ramm, chef mondial des services consultatifs, Kinectify Advisors, Canadian Gaming Association : Merci, monsieur Burns, et merci, honorables sénateurs, de nous donner l’occasion de nous exprimer en faveur des amendements proposés à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes qui permettront aux parties prenantes de se partager de l’information.
Il va sans dire que le blanchiment d’argent continue de poser des problèmes aux gouvernements, aux forces de l’ordre, aux organismes de réglementation et aux entreprises privées du monde entier. Nous avons pu constater de visu au Canada que les criminels ne limitent pas leurs activités à un seul secteur de l’économie. Ils utilisent tous les moyens à leur disposition pour blanchir leurs gains acquis d’une mauvaise façon, qu’il s’agisse des banques, de l’immobilier, des services financiers, des entreprises ou des casinos. Il est essentiel que les entités puissent partager des informations sur des cas potentiels de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes pour déceler et perturber ces activités criminelles. Je tiens à souligner que de nombreux pays ont déjà mis en œuvre des dispositions semblables en matière de partage d’informations en plus de mesures de sauvegarde adéquates en matière de protection de la vie privée.
Compte tenu du cadre unique du secteur des jeux légalisés au Canada, nous souhaitons soulever une question d’interprétation. Nous souhaitons savoir si les agents des entités déclarantes seraient également couverts par les dispositions proposées en matière de partage d’informations. Ce que je veux dire par là, c’est que bien que les sociétés de loterie et de jeu appartenant aux provinces sont présentement considérées comme des entités déclarantes en vertu de la Loi sur les produits de la criminalité, la plupart des provinces ont un modèle en vertu duquel elles confient les opérations quotidiennes des casinos et des sites de jeu en ligne à des entreprises du secteur privé. En tant qu’agents de ces sociétés d’État, nous espérons que cet amendement leur permettra également de partager des informations sur des cas suspectés de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes.
J’ai passé les deux dernières décennies de ma carrière à lutter contre les crimes financiers, notamment en travaillant pour des organismes tels que le CANAFE et la Commission des alcools et des jeux de l’Ontario. Je peux vous dire en toute connaissance de cause que les dispositions relatives au partage d’informations contenues dans le projet de loi C-69 constituent une étape importante dans la lutte contre les crimes financiers. Ces mesures sont réclamées depuis longtemps par les professionnels de la lutte contre le blanchiment d’argent au Canada.
À nouveau, je vous remercie, honorables sénateurs, de nous avoir donné l’occasion de nous exprimer en faveur de cet amendement aujourd’hui.
Le vice-président : Merci à tous nos témoins.
[Français]
Le sénateur Forest : Lorsqu’une banque soupçonne qu’un compte est utilisé à des fins criminelles, peu importe leur nature, elle le signale et ferme le compte. Est-ce que la règle de prise de décision est uniforme parmi l’ensemble de vos membres, ou est-ce que chaque banque a ses propres règles?
[Traduction]
Me Elcock : Merci beaucoup. C’est une excellente question.
Chaque institution dispose évidemment de son propre cadre de tolérance au risque. Elles sont toutes tenues d’en avoir un en vertu de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes. Chacune d’entre elles prend ses propres décisions quant au moment de réduire le risque d’un client sur la base de préoccupations liées au blanchiment d’argent, mais aussi d’autres enjeux. Le blanchiment d’argent et la lutte à cet égard sont des éléments à considérer.
Le sénateur Forest : Merci.
Le sénateur Yussuff : Je remercie les témoins d’être des nôtres.
Ma question porte sur les changements. Maître Elcock, vous avez clairement indiqué dans vos remarques liminaires avoir été consulté sur les changements proposés. Ma question comporte deux volets. Les institutions financières canadiennes sont soumises au droit canadien pour leurs opérations, mais il y a également des implications internationales. Une institution considérée comme une institution de blanchiment d’argent pourrait également avoir à subir une grave sanction à l’étranger. Les changements proposés permettront-ils aux banques de s’arrimer à la réglementation d’autres pays en matière de gouvernance afin qu’elles ne soient pas pénalisées de sorte à ne plus avoir accès aux marchés américain ou européen? Après tout, ces marchés adhèrent à des règles strictes contre le financement d’activités terroristes et veillent à ce que les banques exercent une surveillance constante pour s’assurer qu’elles se conforment à la réglementation et que leurs institutions sont au-dessus de tout soupçon.
Me Elcock : C’est une excellente question.
Le régime permet en effet au Canada de s’arrimer aux pratiques exemplaires d’autres pays. Le Royaume-Uni s’est engagé dans cette voie, tout comme les États-Unis. Le GAFI reconnaît également la valeur du partage d’informations entre entités privées dans la lutte contre le blanchiment d’argent, qui évolue constamment. Oui, cela aidera assurément nos membres à faire en sorte que le régime puisse lutter contre le blanchiment d’argent au Canada.
Le sénateur Yussuff : Je me permets d’ouvrir une parenthèse. Comme vous le savez, la Banque TD a fait les manchettes à plusieurs reprises. Elle doit relever divers défis. Le CANAFE et d’autres au Canada parlent de son adhésion aux règles et de sa performance. Cette loi sur le terrorisme est en vigueur depuis un certain temps et nous assurons un suivi et facilitons les pratiques exemplaires. Comment se fait-il alors que de telles choses se produisent encore dans une institution canadienne?
Me Elcock : Je n’ai pas de vue directe sur les interactions réglementaires de nos membres. Je sais qu’ils investissent massivement dans la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement d’activités terroristes dans le cadre de leurs régimes, de leurs politiques, de leurs procédures et de leurs formations. L’ensemble du régime est supervisé par la haute direction. L’un des objectifs de cette supervision et de ce niveau d’investissement est d’évoluer en permanence afin de s’adapter aux nouvelles menaces, aux nouvelles réglementations et aux nouvelles conclusions réglementaires. Il est important de veiller à ce que le régime évolue continuellement. On accorde de nouveaux pouvoirs aux banques et aux entités déclarantes pour qu’elles puissent continuer à renforcer leur lutte contre le blanchiment d’argent et à soutenir le régime.
Le sénateur Yussuff : Merci.
Le sénateur Varone : Merci d’être des nôtres.
L’une de nos entreprises familiales transige avec des liquidités. Elle existe depuis 50 ans. L’un des mots que j’ai appris très tôt lorsque je faisais des dépôts assis devant le caissier est « remplacement ». C’est lorsque le caissier intervient lorsque vous souhaitez déposer une grosse somme d’argent. Lorsque je lis le projet de loi, je constate qu’il y a certes tous les outils dans cette boîte à outils pour prévenir ou surveiller ce type d’activité, mais il y a toujours un élément humain. L’affaire que le sénateur Massicotte et vous avez citée impliquait un élément humain au sein de la banque. Il y a eu une intervention humaine lors des dépôts de grosses sommes d’argent. Comment vos organisations membres gèrent-elles cet élément humain? Vous disposez d’outils financiers, mais il y a toujours un élément humain qui passe outre le méfait.
Me Elcock : C’est une excellente question.
Je n’ai pas une vue d’ensemble des pratiques et des programmes de formation de chacun de nos membres, mais je sais qu’ils sont exhaustifs. C’est un élément important. Au-delà du blanchiment d’argent, ils disposent également de leur propre équipe de sécurité commerciale pour veiller à ce que leurs opérations soient sécurisées et ne fassent pas l’objet d’un blanchiment d’argent.
[Français]
La sénatrice Bellemare : Avez-vous des craintes par rapport à la réglementation à venir? Si oui, lesquelles?
[Traduction]
Me Elcock : Merci beaucoup.
Nous sommes bien sûr impatients d’avoir des consultations avec le gouvernement sur la réglementation. La structure du régime de partage d’informations existe dans la loi, mais le diable est dans les détails. Jusqu’à présent, le processus de consultation du gouvernement a été excellent. Nous sommes impatients de participer à l’élaboration de la réglementation pour veiller à ce qu’elle reflète un régime robuste.
Le vice-président : J’ai une dernière question pour la Canadian Gaming Association. À quel point êtes-vous préoccupés par les menaces de blanchiment d’argent ou de financement d’activités terroristes? Ces mesures nous rapprocheront-elles de la résolution de ces problèmes? Sinon, avons-nous besoin d’en faire nettement plus? Qu’en pensez-vous, monsieur Burns?
M. Burns : Je vais laisser mon collègue, M. Ramm, répondre à la question.
M. Ramm : La question du blanchiment d’argent dans les casinos a fait l’objet d’une grande attention, pas seulement au Canada, mais aussi à l’étranger. La réalité, c’est que chaque fois que de l’argent circule, que ce soit dans les casinos, les banques ou l’immobilier, il y aura malheureusement toujours un élément criminel qui tentera d’en tirer profit. Il est donc important que la politique gouvernementale et les entreprises soumises à la réglementation soient au fait des tendances et de ce qui se passe, et tentent de détecter et de perturber ce type d’activité. D’après mon expérience personnelle, les casinos sont assurément préoccupés par des enjeux tels que le blanchiment d’argent. Ils s’efforcent de le prévenir, de le détecter et de le signaler.
Le vice-président : Merci.
Voilà qui met fin à notre réunion. Je remercie tous les témoins d’avoir été des nôtres aujourd’hui. Nous vous sommes vraiment reconnaissants de votre participation, de votre professionnalisme et de votre disponibilité. Merci également aux sénateurs, au personnel, aux interprètes et à toute l’équipe de soutien.
(La séance est levée.)