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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 6 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), pour étudier toute question concernant les banques et le commerce en général.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Bonjour à tous et bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin et je suis la présidente de ce comité.

J’aimerais présenter les membres du comité qui sont avec nous aujourd’hui : le sénateur Loffreda, vice-président du comité, le sénateur Fridhandler, la sénatrice Galvez, la sénatrice Marshall, la sénatrice Martin, le sénateur Varone et le sénateur Yussuff.

Notre comité est constitué et prêt à entamer ses travaux.

Le 16 décembre 2021, le comité a reçu l’autorisation d’étudier toute question concernant les banques et le commerce en général. Aujourd’hui, en vertu de ce mandat et parce qu’ils ont bien voulu accepter notre invitation, nous accueillons les témoins suivants du Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF : Peter Routledge, surintendant; Angie Radiskovic, surintendante auxiliaire et dirigeante principale de la stratégie et des risques; et Tolga Yalkin, surintendant auxiliaire, Secteur des mesures de réglementation.

Nous souhaitions que M. Routledge comparaisse au moins une fois par an, et peut-être plus souvent, pour que nous puissions garder un œil sur le secteur bancaire, ce qui est notre rôle. Vous avez accepté volontiers et vous êtes présent. Je sais que vous souhaitez formuler quelques observations liminaires. La parole est à vous.

Peter Routledge, surintendant, Bureau du surintendant des institutions financières : Bonjour, madame la présidente et chers membres du comité.

[Français]

Le Parlement a créé le Bureau du surintendant des institutions financières (BSIF) en 1987. À l’époque, le mandat du BSIF ne comportait qu’une seule exigence primordiale : veiller à ce que les institutions soient en bonne santé financière et, si leur situation financière se détériore, exiger que le conseil d’administration prenne rapidement des mesures correctives afin de restaurer leur santé financière.

[Traduction]

Ce mandat singulier a très bien fonctionné au cours des 20 premières années d’existence du BSIF, mais il a perdu de son utilité lors de la crise financière mondiale de 2008 et 2009. Les organismes de réglementation ont réalisé que même si les indicateurs classiques de la situation financière — comme les fonds propres et la liquidité — étaient essentiels pour garantir la stabilité institutionnelle et systémique, ils étaient trop souvent des indicateurs tardifs. Ainsi, en tant que professionnels de la réglementation financière, nous avons commencé à nous pencher davantage sur les risques non financiers.

Nous nous sommes rendu compte que, tout comme les risques financiers, les risques non financiers peuvent avoir de graves conséquences prudentielles. La signification du mot « prudentiel » n’est pas dénuée d’intérêt : ce mot renvoie à la protection des déposants, des souscripteurs et des créanciers. Depuis la crise financière mondiale, le BSIF a élargi sa surveillance des risques et les mesures qu’il prend pour y faire face afin de rendre compte du fait que les risques non financiers présentent le même danger prudentiel pour les déposants, les souscripteurs et les créanciers que les risques financiers.

[Français]

L’année dernière, le Parlement a élargi le mandat du BSIF en exigeant qu’il s’assure que les institutions financières disposent de politiques adéquates pour se protéger contre les menaces à leur intégrité et à leur sécurité, y compris l’ingérence étrangère. Ce changement fondamental laissait entrevoir l’équivalence des risques financiers et non financiers.

[Traduction]

J’aimerais aborder les récents événements concernant les lacunes du programme de lutte contre le blanchiment d’argent d’une institution canadienne aux États-Unis, qui ont amené l’institution en question à plaider coupable de violations de la loi sur le blanchiment d’argent et de la loi sur le secret bancaire de ce pays. J’aimerais pouvoir parler librement de notre rôle dans ce dossier, car je pense que cette information pourrait renforcer la confiance du public envers le système financier du Canada. Cela dit, les lois canadiennes m’interdisent et interdisent à tout représentant du BSIF de communiquer des renseignements confidentiels obtenus auprès d’une institution financière fédérale dans le cadre de nos activités de réglementation et de surveillance.

Lorsque nous constatons des déficiences, qu’elles soient ou non d’ordre financier, au sein d’une institution, nous agissons rapidement et nous obligeons sa direction et son conseil d’administration à prendre les mesures correctives qui s’imposent sans tarder, lesquelles peuvent être de nature financière ou non financière. Nous sommes conscients du rôle essentiel que jouent les conseils d’administration et de leur importance à l’égard d’une gouvernance efficace du risque.

[Français]

Pour effectuer notre travail efficacement, nous surveillons constamment les changements dans l’environnement des risques, notamment les risques nouveaux et émergents qui pourraient nuire aux institutions financières.

[Traduction]

Chaque année, nous publions notre Regard annuel sur le risque, de même que sa mise à jour semestrielle, dans lequel nous cernons les risques prépondérants auxquels sont confrontées les institutions financières. Dans les rapports publiés cette année, nous avons insisté sur les risques liés à l’intégrité et à la sécurité, y compris la fraude et la lutte contre le blanchiment d’argent, en précisant que les risques non financiers peuvent se manifester sous forme de risques financiers.

Merci. J’ai hâte de répondre à vos questions.

La présidente : Merci. J’aimerais apporter quelques précisions avant de commencer.

Vous êtes l’organisme de réglementation, et lorsque des cas surviennent et sont divulgués au public ou font la une des journaux — comme dans le cas de TD aux États-Unis — quelle est votre obligation envers les consommateurs canadiens? Ce comportement s’est-il limité au sud du quarante-neuvième parallèle et n’a-t-il pas eu d’incidence ici? Veuillez nous donner un peu de contexte.

M. Routledge : En vertu de notre mandat, j’ai l’obligation et la responsabilité de veiller à ce que les institutions que nous réglementons jouissent d’une situation financière saine et qu’elles soient protégées contre les menaces qui pèsent sur leur intégrité et leur sécurité.

Lorsque nous constatons que l’une de ces conditions, ou toutes ces conditions ne sont pas remplies, notre responsabilité envers les Canadiens est de demander aux conseils d’administration et aux cadres supérieurs de prendre des mesures correctives.

Cette responsabilité s’accompagne d’une restriction très claire, énoncée à l’article 22 de la Loi sur le Bureau du surintendant des institutions financières et à l’article 636 de la Loi sur les banques. Ces articles stipulent que, dans le cadre de leurs activités, les personnes qui recueillent des renseignements confidentiels doivent en préserver le caractère confidentiel. Comme je l’ai indiqué dans mes observations liminaires, je ne peux pas décrire aux Canadiens les mesures que nous avons prises dans le cadre de cette affaire ou de toute autre. Nous estimons qu’en tant que fonctionnaires, nous sommes nommés pour appliquer les lois, et c’est là notre rôle. La pire chose qu’un surintendant puisse faire serait d’enfreindre, par inadvertance ou délibérément, les lois qu’il est censé appliquer.

La présidente : En tant que consommateurs, nous ne pouvons compter que sur la lumière du soleil comme désinfectant.

M. Routledge : J’imagine que oui. Nous avons une presse libre.

La présidente : Passons aux questions.

Le sénateur Loffreda : Je vais continuer à parler de la lumière du soleil, qui est toujours bénéfique. C’est un bon remède, comme on dit.

Nous sommes d’accord sur les dangers que peuvent représenter les risques non financiers, et ils sont énormes. Vous avez publié de nouvelles lignes directrices en matière d’intégrité et de sécurité au début de l’année. TD n’a-t-elle pas appliqué ces lignes directrices aux États-Unis, ou pensez-vous que les banques canadiennes appliquent ces lignes directrices, de sorte qu’une telle situation ne pourrait pas se produire au Canada? C’est une conséquence grave. Le Canada est toujours classé numéro un ou deux dans le monde en ce qui concerne son système bancaire. Nous devons maintenir cette position. Comment une telle chose peut-elle se produire? Je ne vous demande pas de me fournir de renseignements confidentiels, mais vous avez des lignes directrices, vous assurez un suivi auprès des banques, et vous affirmez que l’on respecte ces lignes directrices. Si c’est le cas, comment ce genre de situation se produit-elle?

M. Routledge : Encore une fois, en ce qui concerne les circonstances particulières de cette affaire, je ne peux malheureusement pas vous fournir de renseignements confidentiels. Vous avez utilisé le mot « grave ». Le jour où les accusations ont été annoncées par le ministère de la Justice des États-Unis, nous avons utilisé les mots « C’est grave » dans notre déclaration.

Je peux m’exprimer de manière générale. Lorsque nous constatons des lacunes dans la protection de l’intégrité et de la sécurité, nous sommes tenus d’alerter les conseils d’administration et les cadres supérieurs le plus rapidement possible. Nous comptons ensuite sur les conseils d’administration et les cadres supérieurs pour qu’ils prennent rapidement des mesures correctives. S’ils ne le font pas, nous disposons d’un éventail d’outils — dont certains sont codifiés dans la loi et d’autres relèvent simplement de la persuasion morale — que nous pouvons utiliser pour les pousser à prendre rapidement des mesures correctives lorsque nous pensons que c’est nécessaire.

Certains de ces outils sont semblables à ce que vous avez vu dans l’ordonnance par consentement américaine relative à la Banque TD. D’autres outils sont de nature financière et concernent par exemple le capital et la liquidité.

Le sénateur Loffreda : J’ai une brève question complémentaire. Par conséquent, s’ils respectent les lignes directrices en matière d’intégrité et de sécurité au Canada, ce genre de chose ne se produira pas ici. Est-ce exact?

M. Routledge : S’ils adhèrent à nos lignes directrices, la probabilité que ce genre de choses se produise est très faible. Pour être honnête, le fait que les banques appliquent une réglementation saine et respectent toutes nos lignes directrices en matière d’intégrité et de sécurité n’éliminera pas le blanchiment d’argent.

Le crime est une réalité de notre société. Le crime génère des recettes et les criminels cherchent à transformer ces recettes illicites en fonds licites. Ils choisissent parfois de le faire par l’intermédiaire du système bancaire. Nous pouvons faire en sorte que les banques mettent en place des mesures de protection pour réduire et prévenir ce phénomène dans toute la mesure du possible, mais ces mesures ne suffiront pas à éliminer le problème de la conversion de produits illicites de la criminalité en fonds licites par des criminels. Ce phénomène existe depuis des années, et il existera tant qu’il y aura des crimes.

Le sénateur Loffreda : Pour des transactions de cette ampleur — je travaille dans le secteur bancaire depuis 35 ans — qu’est-il advenu de l’obligation de « connaître son client »? L’a‑t-on abandonnée?

M. Routledge : J’essaie de m’assurer de ne pas révéler de renseignements confidentiels. En général, si certaines succursales d’une institution sont exposées à des activités excessives de blanchiment d’argent, on peut raisonnablement se demander si les politiques comme « Connaître son client », bien qu’elles existent, sont appliquées avec assez de rigueur, et ont pourrait même conclure qu’elles ne le sont pas.

Le sénateur Loffreda : Merci.

La présidente : Si les lois empêchaient les crimes, il n’y en aurait plus.

Le sénateur C. Deacon : Je suis heureux de vous revoir ici, monsieur le commissaire Routledge, ainsi que vos collègues.

Selon les lignes directrices du BSIF en matière d’intégrité et de sécurité, une partie du mandat élargi du BSIF consiste à surveiller les institutions financières canadiennes et à veiller à ce qu’elles respectent les normes en matière d’intégrité et de sécurité. Celles-ci comprennent la protection contre les menaces internes et externes malveillantes ou involontaires. La technologie est un coffre-fort pour les banques d’aujourd’hui, et les banques canadiennes ont tardé à donner la priorité à l’adoption de nouvelles technologies. Au Royaume-Uni, sous certaines conditions, les banques sont tenues de prouver que les clients sont en tort. Au Canada, une récente émission de journalisme d’investigation de Radio-Canada appelée « La facture » a montré que les victimes canadiennes de la fraude bancaire sont coupables jusqu’à ce que l’on prouve leur innocence. Pouvez-vous indiquer les outils dont dispose le BSIF pour encourager nos banques à accélérer les investissements dans les technologies de pointe en matière de prévention de la fraude?

M. Routledge : Je vais fournir deux réponses à cette question. Je tiens à insister sur la gravité de la fraude et sur le fait qu’il est important que toutes les institutions — qui soutiennent la stabilité et la résilience du système financier — la traitent comme un problème sérieux. Nos mandats sont distincts et, dans un instant, j’expliquerai en quoi le nôtre diffère de celui de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada, l’ACFC.

Pour ce qui est de cet enjeu particulier, si la fraude devenait chronique au sein d’une institution, on pourrait certainement en conclure que cette institution ne se protège pas contre les menaces qui pèsent sur son intégrité, et plus particulièrement sur son intégrité et sa sécurité.

Si vous n’en faites pas assez pour protéger vos clients contre la fraude, votre réputation et, par conséquent, votre intégrité en tant qu’institution s’en trouveront affectées. S’il découvre des éléments de preuve en ce sens, le BSIF sera tenu de remédier à cette lacune avec le conseil d’administration et la haute direction. C’est notre rôle.

Le rôle de l’ACFC — je ne parle pas en son nom et je vous encourage à inviter le commissaire à parler de cette question très importante — est de se mettre à la place des consommateurs et de trouver des moyens de les éduquer et de les protéger, ainsi que d’obliger les banques à les protéger.

Je tiens à dire très clairement que ce n’est pas notre rôle. Cette tâche incombe à l’ACFC. Notre tâche consiste à intervenir auprès du conseil d’administration et de la direction générale.

Le sénateur C. Deacon : Ce qui me préoccupe, c’est qu’on ne met pas l’accent sur la prévention, et si nous ne commençons pas à changer la charge de la preuve, les banques n’adopteront pas ces technologies. À l’heure actuelle, l’ombudsman des services bancaires et d’investissement ne donne raison au consommateur que dans 16 % des cas qui sont portés en appel devant lui. En parallèle, 84 % des consommateurs sont jugés coupables de la fraude. Que pouvons-nous faire, mis à part inverser la charge de la preuve et faire ce qu’a fait le Royaume‑Uni, c’est-à-dire décréter que cette responsabilité incombe aux banques?

M. Routledge : Je pense que le Royaume-Uni a mis en œuvre une partie de son approche par l’entremise de sa Financial Conduct Authority, qui est l’organisme de réglementation des marchés au niveau national. Je crains d’être en train de passer la rondelle, et ce n’est pas ce que j’essaie de faire. Le BSIF a un rôle à jouer pour garantir que les dirigeants prennent cette question au sérieux s’il s’agit d’une menace légitime pour la sécurité ou l’intégrité.

Ce dont vous parlez concerne le niveau des consommateurs, et si nous faisions quelque chose à ce niveau, je craindrais de dépasser les limites de notre mandat et l’autorité que nous confère le Parlement. Nous avons le Comité de surveillance des institutions financières et le Comité consultatif supérieur, et j’y siège avec tous les responsables du filet de sécurité financière, dont le commissaire de l’Agence de la consommation en matière financière du Canada. Il s’agit là des forums au sein desquels nous pouvons veiller à ce que les chevauchements ne soient pas trop importants et à ce qu’il n’y ait pas de lacunes.

Le sénateur C. Deacon : J’ai une question à laquelle j’aimerais que vous répondiez par oui ou par non. Les banques sont-elles tenues de vous signaler tout incident de fraude?

M. Routledge : Non.

Le sénateur C. Deacon : Non. J’ai découvert qu’elles ne les signalent même pas à leur propre service de lutte contre la fraude, alors comment pourrait-on savoir s’il s’agit d’un problème important? C’est un véritable problème. Merci beaucoup.

La sénatrice Marshall : Je vous remercie, monsieur Routledge, ainsi que vos collaborateurs, d’être présents aujourd’hui. J’aimerais revenir à la Banque TD et à la question que vous avez mentionnée dans vos observations liminaires. Je ne pensais pas parler spécifiquement de ce qui s’est passé aux États-Unis, mais de nombreux experts sont venus ici nous parler du blanchiment d’argent au Canada, et ils disent que le blanchiment d’argent est très répandu dans notre pays. En fait, nous avons notre propre terme : au Canada, on parle de « blanchiment à la neige ». La Colombie-Britannique a créé la Commission Cullen parce que le blanchiment d’argent y était très répandu.

Je suis auditrice de profession, et lorsque je regarde ce qui s’est passé aux États-Unis avec la Banque TD, je me dis que le blanchiment d’argent est très répandu au Canada. Je ne peux pas croire que le problème qui se pose aux États-Unis ne se pose pas au Canada. Je me demande quel type de régime réglementaire est en place. D’après ce que j’ai vu dans les médias, j’ai l’impression — et je ne vous demande pas de faire de commentaires à ce sujet — que l’on a presque découvert la situation liée à la Banque TD par hasard, alors que tout le monde était au courant au sein de la banque. Mais qu’en est-il du régime réglementaire? Quelle sorte de contrôle exercez-vous pour détecter les cas de blanchiment d’argent? Est-il suffisamment rigoureux? Est-il comparable à ce que font les États-Unis? Est-il plus solide ou plus faible que celui des Américains? Pourriez‑vous nous en parler, car nous avons un problème? Les États-Unis ont trouvé quelque chose. Un jour ou l’autre, nous trouverons quelque chose d’important ici. Pouvez-vous nous parler du régime réglementaire et de ce que vous faites?

M. Routledge : Oui. Le blanchiment d’argent est un crime. Il y a deux façons de détecter un crime. Nous pouvons le détecter grâce aux signalements de transactions suspectes et de transactions en espèces. Ces transactions sont signalées par les banques et sont simplement suspectes. Elles ne constituent pas la preuve d’un délit. Le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada les recueille, et lorsqu’il a des soupçons importants, il peut s’adresser aux services de police, qui peuvent alors prendre les mesures qui s’imposent.

Je vais parler des cas de blanchiment d’argent en général aux États-Unis. Cette situation se produit parfois. D’autres fois, les forces de l’ordre ont suivi des criminels et ont détecté ou observé le blanchiment de produits du crime dans des succursales de banques. Dans les deux cas, les forces de l’ordre suivent des pistes, et les choses viennent de la base.

Il y a une autre façon, et c’est la raison pour laquelle notre mandat en matière d’intégrité et de sécurité et le travail qu’accomplit notre organisme sont si importants. Depuis que notre mandat a été modifié l’année dernière, nous pouvons communiquer plus facilement avec le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada et échanger plus de renseignements. S’il détecte un type de transactions préoccupant lié à une institution particulière, il peut nous en informer.

C’est une menace pour la sécurité et l’intégrité de l’institution. Le BSIF n’est pas chargé de l’application de la loi, mais il peut exercer des activités de surveillance, mettre en lumière ces activités et, lorsque nous le faisons, ces activités cessent.

Le risque est que si nous le faisons, si nous faisons la lumière sur une activité et qu’elle cesse, nous risquons d’entraver l’application de la loi. C’est pourquoi une grande partie des activités de notre organisme consiste à essayer d’établir des liens avec des homologues différents et non traditionnels au sein du gouvernement fédéral, afin de ne pas commettre ce type d’erreur.

La sénatrice Marshall : Les mesures supplémentaires que vous prenez donnent-elles des résultats?

Certains Canadiens ont l’impression que vous suivez les transactions de personnes qui ne sont pas des criminels, mais nous n’entendons rien au sujet des criminels ou du blanchiment d’argent.

Vous avez apporté des changements. Les résultats sont-ils à la hauteur de vos espérances? On dit que le blanchiment d’argent est omniprésent au Canada. Obtenez-vous les résultats que vous souhaitez obtenir? Pensez-vous que vous ne les avez pas encore atteints?

M. Routledge : Je répondrais « oui » à ces deux questions. Je m’explique.

Lorsque le Parlement a modifié notre mandat, nous avons créé une nouvelle unité. Nous l’appelons l’unité de sécurité nationale et nous y avons affecté certains de nos collègues. Nous sommes en train de la construire en ce moment même. C’est une petite unité. Elle compte 25 à 30 personnes. Elle passera à 40 personnes d’ici l’année prochaine. Leur tâche consistera à communiquer avec le Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, la Sécurité nationale, les services de la sécurité aux frontières et les services d’application de la loi, et à recueillir ces renseignements. C’est encore tôt. Ce travail ne fait que commencer.

Mon avis initial est qu’il s’agit d’une source d’information assez riche qui nous aidera à cerner les risques en matière de sécurité et d’intégrité au sein des institutions. Si nous sommes vigilants et proactifs, nous pourrons prendre des mesures susceptibles de mettre en lumière certaines activités. Nous ne sommes pas les forces de l’ordre, et je ne pense pas que nous devrions l’être, mais nous pouvons au moins influer sur la situation lorsqu’elle menace une institution.

La sénatrice Galvez : Monsieur le surintendant, je vous remercie de votre présence ici aujourd’hui.

Il y a quelques jours, le comité de l’énergie a reçu David Dodge. Je suis certaine que vous savez de qui il s’agit. Il a déclaré qu’à l’échelle mondiale et ici au Canada, nous devons opérer une transition énergétique pour faire face à la menace que représente le changement climatique.

Plus tard, lorsqu’on lui a demandé si nous allions assez vite, il a répondu :

Notre pays avance-t-il assez rapidement dans ce domaine? La réponse est non. C’est en partie parce que le coût d’une évolution rapide nécessiterait de détourner une part plus importante de notre revenu national de la consommation vers l’investissement.

Nous sommes tous un peu myopes à cet égard. Nous avons tendance à actualiser les revenus futurs plus fortement que les taux d’intérêt que nous avons sur le marché.

Quel rôle pensez-vous que le BSIF puisse jouer pour veiller à ce que les investissements nécessaires à la transition énergétique soient suffisants et disponibles?

M. Routledge : Le rôle du BSIF va évoluer en fonction du risque au fil du temps.

Au cours des deux ou trois premières années de mon mandat, le rôle du BSIF était de renforcer la discipline concernant les risques climatiques dans toutes les institutions que nous réglementons. Nous l’avons fait au moyen de la ligne directrice B-15.

Aujourd’hui, le rôle du BSIF consiste à prendre les deux ou trois prochaines années pour mettre en œuvre les principes de la ligne directrice B-15. Si nous le faisons, les institutions mesureront de façon empirique les risques liés aux changements climatiques. Elles constateront que les coûts de ces risques sont élevés. Un conseil d’administration sensé, qui aura évalué les coûts de manière empirique, prendra alors — à mon avis du moins — des décisions sensées pour les réduire, ce qui mènera à ce dont M. Dodge parlait, ou du moins y contribuera, à savoir à un virage vers une hausse des investissements dans des technologies d’adaptation aux changements climatiques ou de lutte contre les changements climatiques.

La sénatrice Galvez : En ce qui concerne les risques — et ils augmentent —, selon Bloomberg, les grandes sociétés pétrolières se retirent des sables bitumineux canadiens. Parmi les grandes entreprises et les grandes banques qui se retirent, on trouve Chevron, Shell, Devon Energy, TotalEnergies, BP et Equinor. Avec le temps, depuis 2010, on voit une diminution. On parle alors d’un actif délaissé ou de l’augmentation du risque d’actif délaissé.

À la lumière de cette déclaration, M. Dodge s’est dit préoccupé par le risque croissant.

Quelle est l’ampleur du risque que représentent les actifs délaissés pour le secteur financier canadien?

M. Routledge : À l’heure actuelle, en ce qui concerne la façon dont nous le mesurons, nous dirions qu’il n’est probablement pas si élevé. Cela ne veut pas dire que c’est exact. Cela signifie simplement que nous disposons d’un système de mesure, que ce système produit des données et que ces données le laissent supposer.

Au moyen de nos relevés sur les risques climatiques et de notre exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques — qui est une façon normalisée d’examiner les risques de transition —, notre travail consiste à obliger les institutions à affûter leurs crayons, à mesurer empiriquement les changements climatiques et à en calculer le coût de manière plus efficace. Lorsqu’elles le feront, elles auront une meilleure compréhension du risque et leurs décisions économiques changeront.

Ce qui nous manque en ce moment, c’est une évaluation rigoureuse et précise de ce risque. Je pense que notre tâche, du moins en tant qu’organisme de réglementation des institutions financières, est d’en améliorer la précision.

Nous l’avons déjà fait auparavant. Nous l’avons fait pour le risque de marché après l’éclatement de la bulle technologique au début des années 2000. Nous l’avons fait pour le risque de liquidité après la crise financière mondiale de 2008 et 2009. Il s’agit d’un risque financier et nous savons comment obliger les institutions à faire mieux.

La sénatrice Galvez : Quand le faites-vous?

M. Routledge : Dès maintenant. Nous avons publié nos relevés réglementaires sur les risques climatiques. Les banques devront mesurer les émissions de portée 1, de portée 2 et de portée 3 pour l’ensemble de leur clientèle et nous communiquer l’information.

Cet automne, nous avons commencé ce que nous appelons notre exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques, dans lequel nous fournissons un ensemble déterministe de scénarios de transition, et nous demandons aux banques quels sont les effets sur leur bilan et leurs résultats sur une période de plusieurs années. Cela nous éclaire sur le risque et, sur le plan empirique, les groupes de rétroaction et les gestionnaires de risques l’évalueront mieux et prendront de meilleures décisions économiques.

Le sénateur Yussuff : Monsieur le surintendant, chers collègues, je vous remercie de votre présence. Je voudrais revenir sur la Banque TD et sur ce que l’on rapporte dans les médias. Je comprends qu’il y a des choses que vous ne pouvez pas dire, mais les déposants canadiens — ceux qui détiennent des actions de la Banque TD — doivent maintenant faire face à une débâcle sur laquelle ils n’ont eu aucun contrôle. Comment sont‑ils censés avoir confiance dans le système si l’institution n’a pas suivi les lignes directrices? Je sais qu’il y en avait. Elles n’ont pas été suivies.

Un nouveau PDG prend les rênes de la banque. L’ancien est parti avec un cadeau d’adieu et un « merci beaucoup ». Les déposants et, également, les actionnaires en font les frais et on nous dit que nous ne pouvons rien dire à ce sujet parce que cela s’est passé dans un autre pays.

Comment pouvons-nous nous fier aux règles qui existent si nous ne pouvons pas au moins apprendre quelque chose d’important? Nous avons mis en place des sanctions non seulement en raison de ce que les Américains ont fait, mais nous imposons nos propres sanctions dans notre pays, parce que la Banque TD n’est pas n’importe quelle banque. C’est une banque canadienne.

Aidez-moi à faire en sorte que le public comprenne mieux ce qui se passe.

M. Routledge : J’ai le même sentiment que vous. Il n’est pas agréable pour moi de ne pas pouvoir être aussi communicatif que vous le souhaiteriez. Vous comprenez que ce que je pense être agréable ou désagréable n’a pas d’importance. Il y a une loi et je la respecte.

Je peux parler des conséquences aux États-Unis. Ce sont des faits. C’est du domaine public. Les conséquences imposées aux États-Unis ont des répercussions importantes sur la banque. Je vous invite à vous adresser à la banque pour obtenir une réponse à cette question. Toutefois, j’ai lu les ordonnances par consentement et les plaidoyers et je peux vous dire que les conséquences sont importantes pour la banque.

Le sénateur Yussuff : En 2025, de nombreux Canadiens devront renouveler leur hypothèque. Je suis sûr que vous vous penchez là-dessus, que vous essayez de comprendre où nous en sommes et quel est le risque de défaut de paiement. Il faut dire que les taux d’intérêt baissent, ce qui est un point positif. Nous pouvons tous nous en réjouir.

D’après les données que vous examinez actuellement, et aussi en ce qui concerne le nouvel horizon de 2025, y a-t-il des risques importants de défaut de paiement pour les titulaires d’hypothèques qui doivent renouveler leurs hypothèques, mais aussi dans le contexte de la pression que cela pourrait exercer sur les institutions financières à l’avenir?

M. Routledge : Je n’ai pas de message clair à vous communiquer. J’ai cependant de bonnes nouvelles. Malgré une forte hausse des taux d’intérêt, qui sont maintenant en train de diminuer un peu, et bien que le marché de l’habitation soit resté relativement stable — les prix des maisons n’ont généralement pas augmenté au cours des deux dernières années —, 99,8 % des Canadiens sont à jour dans leurs paiements hypothécaires. Je suis ravi que le risque de crédit ait été si minime, ou que les cas de perte aient été si peu nombreux.

Vous avez raison, en 2025, et surtout en 2026, il y aura une importante vague de renouvellements. De manière générale, au cours des deux dernières années, nous avons constaté que les Canadiens ont absorbé la hausse des taux d’intérêt et sont restés à jour dans leurs paiements hypothécaires.

Les prix des maisons sont restés stables, ce qui signifie que les gens ne sont pas contraints à vendre en raison de difficultés financières. Ce sont là de très bonnes nouvelles. On parle de 10 ou 12 ans de réglementation relativement saine et de bonnes décisions prises par les banques.

Nous sommes particulièrement attentifs à certains groupes. Environ 170 000 ménages canadiens ont des hypothèques à taux variable avec des paiements fixes, un produit qui pourrait donner lieu à une augmentation substantielle du paiement mensuel au moment du renouvellement. Or, ce nombre est en baisse par rapport à 270 000 ménages il y a environ 18 mois. Je pense donc que les Canadiens prennent leur situation en main avant une période de renouvellement plus difficile.

Au cours des deux prochaines années, je crois que les taux de défaut de paiement augmenteront, mais qu’ils resteront bien en deçà des moyennes historiques. C’est ce à quoi je m’attends.

La présidente : Par ailleurs, les médias ont également indiqué que le BSIF avait assoupli — je ne peux pas vous le citer textuellement — les règles relatives à la simulation de crise de la ligne directrice B-20 pour les prêts hypothécaires non assurés lors d’un changement de fournisseur. Il semble qu’il s’agisse d’une catégorie restreinte, mais on se demande pourquoi vous assouplissez les règles en la matière. Pouvez-vous expliquer?

M. Routledge : Il est question ici de ce que l’on appelle un transfert direct. C’est lorsqu’un emprunteur a une hypothèque qui arrive à terme et qu’il souhaite changer de prêteur.

Vous n’êtes pas assuré, c’est-à-dire que vous n’avez pas payé de prime à la Société canadienne d’hypothèques et de logement, ou SCHL, ou à l’un des assureurs privés de prêts hypothécaires. Au titre de la ligne directrice B-20, jusqu’à tout récemment, le nouveau prêteur devait appliquer la simulation de crise à votre prêt hypothécaire. Dans un contexte de hausse des taux, si vous étiez cet emprunteur qui se présentait dans une autre institution, vous auriez l’impression que ce n’est pas juste. Votre voisin dont le prêt hypothécaire est assuré n’a pas à faire cela, mais vous, vous devez le faire. C’est injuste. Si j’étais cette personne, je me sentirais lésé.

En ce qui concerne les personnes qui ont changé de prêteur au moment du renouvellement avant que la mesure sur l’application de la simulation de crise ne soit en place, la proportion des emprunteurs dans cette situation variait entre 2 et 6 %, et la moyenne était d’environ 4 %. Depuis que la simulation de crise est appliquée, la proportion est restée la même.

Lorsque nous avons examiné la situation, nous nous sommes dit que c’était injuste, en réalité, pour un certain groupe de Canadiens. Nous nous sommes dit : si ce n’est pas un réel problème de nature prudentielle, pourquoi imposer ce principe de façon absolue? Nous avons donc assoupli un peu les exigences.

Nous avons pris une mesure qui contribuera à atténuer tout risque imprévu, à savoir l’application d’un test associé au ratio prêt-revenu, qui vise les portefeuilles bancaires et qui atténuera toute hausse soudaine. Cette mesure s’est avérée efficace dans d’autres pays.

La présidente : Merci.

Le sénateur Varone : Je reviendrai sur une chose qu’a dite le sénateur Loffreda : « connaître son client ». Je vais me placer du point de vue des petites entreprises.

De nombreuses petites entreprises font des transactions en espèces. L’argent comptant est toujours accepté au Canada. Nous dirigeons une entreprise familiale dont les dépôts dépassent largement la limite des lignes directrices en matière de lutte contre le blanchiment d’argent, car il s’agit d’un grand groupe de l’industrie de l’accueil. J’ai une foule de clients qui font la même chose. Ce sont de petites entreprises et elles n’ont pas de gestionnaires actifs parce qu’elles n’ont pas de prêts, mais il ne faut surtout pas qu’elles tombent sur un caissier qui est nouveau. Le fardeau du crime, en ce qui concerne la lutte contre le blanchiment d’argent, retombe sur la petite entreprise. Je le sais : on me garde au guichet, on essaie de vérifier qui je suis et quelles sont mes activités parce que nous avons un dépôt de 30 000 $ provenant d’un mariage.

Il doit y avoir une certaine méthode. Je ne la connais pas, mais j’aimerais avoir votre avis à ce sujet. Je sais que vous voulez arrêter les criminels. Comme l’a dit la présidente, si toutes les règles fonctionnaient, il n’y aurait pas de criminels, mais le fardeau que vous imposez aux petites entreprises avec ces règles est presque intolérable.

M. Routledge : Je parle des banques en général. Dans cette situation, si une banque n’a pas mis en place des politiques et des procédures pour bien servir ses clients — pour servir les clients légitimes qui encaissent des revenus en billets de façon légitime — et si elle n’a pas formé ses employés de sorte qu’ils puissent faire la différence entre quelqu’un qui utilise de façon légitime de l’argent liquide et quelqu’un qui semble entrer avec des produits de la criminalité, alors cette institution doit faire mieux pour ses clients.

Autrement dit, il s’agit d’une responsabilité institutionnelle. Dans un système bancaire concurrentiel, j’espère qu’il y aura des acteurs compétitifs qui remarqueront cette lacune dans le marché et qui développeront cette expertise, de sorte que lorsqu’une entreprise comme la vôtre a besoin de services bancaires, elle n’a pas à faire face à cette situation.

Une concurrence accrue dans un marché local y contribuerait. Le BSIF pourrait-il faire quelque chose en tant qu’organisme de réglementation prudentielle? Pour être honnête, non. Ce n’est pas le mandat que nous a confié le Parlement.

Le sénateur Varone : Vous proposez des lignes directrices.

M. Routledge : Oui. Il y a nos lignes directrices. Il n’y a pas de ligne directrice qui dit : « n’acceptez pas un dépôt de 30 000 $ ». Il y a une ligne directrice qui dit : prenez connaissance de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, assurez‑vous de la respecter, d’en respecter la lettre et l’esprit, et faites-le de manière responsable.

Notre rôle ne consiste pas à ce point à proscrire.

La sénatrice Martin : Je vous remercie de votre présence.

En réponse à une question précédente, vous avez dit quelque chose qui a retenu mon attention. Je voudrais vous demander d’en dire plus à ce sujet. Il s’agit de l’unité de sécurité nationale, dont vous avez parlé. Vous avez dit qu’elle était relativement nouvelle. À la lumière de la situation de la Banque TD, une amende de 3 milliards de dollars, c’est énorme. Je viens de la Colombie-Britannique. Nous parlons du blanchiment d’argent depuis un certain temps. Vous avez dit que c’était assez récent. C’est une petite organisation.

M. Routledge : En effet.

La sénatrice Martin : C’est inquiétant. Pourriez-vous nous en dire plus sur ce qu’il en sera? Peut-elle résoudre le problème? De quelle manière sa portée sera-t-elle élargie?

M. Routledge : Oui, elle est nouvelle. Nous l’avons créée après que le Parlement a modifié le mandat du BSIF en réponse à la crise. Depuis la pandémie de COVID, les risques liés à l’intégrité et à la sécurité se sont multipliés, et c’est notre réponse.

Lorsque cela s’est produit, nous avons examiné les dispositions législatives et nous nous sommes demandé comment nous pouvions appliquer le changement à notre mandat de manière responsable. Nous avons constaté que les termes « intégrité » et « sécurité » sont très généraux, mais nous y avons beaucoup travaillé depuis la crise financière, car nous avons élaboré des lignes directrices sur le cyberrisque, la gestion du risque lié aux tiers, la gouvernance d’entreprise et la culture. Tous ces éléments sont liés à la sécurité et à l’intégrité.

M. Yalkin et son équipe ont rédigé une ligne directrice qui indique que l’intégrité et la sécurité recouvrent ces risques non financiers, et nous les surveillons. Nous avons ensuite précisé que l’intégrité et la sécurité recouvraient également les risques que nous, dans notre institution, devions mieux connaître — il s’agit des risques liés au blanchiment d’argent, à la sécurité nationale et à l’application de la loi qui pourraient toucher nos institutions.

C’était nouveau et nous avons donc créé l’unité pour recueillir les nouveaux renseignements sur la sécurité nationale, l’application de la loi et le blanchiment d’argent — nous avons besoin de personnes qui connaissent bien ces univers. Essentiellement, nous avons créé l’unité pour pouvoir protéger l’information conformément à nos normes en matière d’information sur la sécurité nationale. Nous invitons ensuite nos collègues des institutions gouvernementales, où nous ne sommes généralement pas présents, pour que ces professionnels interprètent les renseignements et travaillent avec nos superviseurs lorsqu’il y a une grave menace pour la sécurité et l’intégrité d’une institution.

En réponse à votre préoccupation, je dirai que c’est une nouvelle organisation et que nous sommes en train de la bâtir. Elle reflète une prise de conscience croissante, parmi les organismes de réglementation bancaire du monde entier, du fait que lorsqu’il s’agit du risque financier, les choses se passent généralement le jour même, et non la veille.

La sénatrice Martin : Ceci concerne le risque, par exemple, de cyberattaques. Dans le Rapport du BSIF et de l’ACFC —L’IA dans les institutions financières fédérales : utilisations et risques, vous soulignez que d’ici 2026, 70 % des institutions financières devraient intégrer l’intelligence artificielle dans leurs opérations. Or, cela met également en lumière les risques possibles, en particulier les risques de cyberattaques, pour ces institutions. Le risque s’en trouverait donc accru.

Comment le BSIF veille-t-il à ce que les institutions financières mettent en œuvre des cadres de gestion des risques complets pour se prémunir contre ces vulnérabilités?

M. Routledge : Je vais demander à M. Yalkin de répondre à votre question. Il a rédigé notre ligne directrice sur l’intégrité et la sécurité.

Tolga Yalkin, surintendant auxiliaire, Secteur des mesures de réglementation, Bureau du surintendant des institutions financières : Nous avons une ligne directrice exhaustive. Nous l’avons établie il y a quelques années. Elle porte sur les risques liés à la technologie et à la cybersécurité. Bien qu’elle ne concerne pas spécifiquement l’intelligence artificielle, elle s’étend à l’ensemble des risques liés à la technologie et à la cybersécurité auxquels les institutions financières pourraient faire face.

La ligne directrice énonce nos attentes en matière de saine gestion des risques. Elle explique les différents systèmes que les institutions financières doivent mettre en place, qui est responsable de quoi, les mesures à prendre en cas d’incident, les incidents à signaler et les étapes à suivre en cas d’incident. Elle énonce également ce que les institutions doivent faire à la suite d’un incident, par exemple pour en tirer des leçons, pour améliorer leurs systèmes, etc.

Comme toute avancée dans l’environnement externe, l’intelligence artificielle a le potentiel, comme vous venez de le dire, d’accroître la vulnérabilité face aux risques liés à la technologie et à la cybersécurité. Cependant, elle a également le potentiel de devenir un outil utile. Par exemple, les institutions financières pourraient s’en servir lorsqu’elles utilisent la méthode de l’équipe rouge, ainsi que pour déceler des failles dans leurs systèmes.

Comme c’est un domaine en pleine évolution, nous travaillons en étroite collaboration avec nos partenaires. Nous collaborons avec l’Agence de la consommation en matière financière au Canada et avec l’Institut mondial de gestion des risques pour comprendre l’évolution de l’intelligence artificielle dans le secteur financier et l’incidence qu’elle pourrait avoir sur les secteurs de risque que nous surveillons en notre qualité d’organisme de réglementation prudentielle.

La sénatrice Martin : D’accord, vous avez une ligne directrice, mais les institutions financières ont-elles la volonté ou la capacité de la suivre? Affectent-elles du personnel à ces enjeux?

M. Yalkin : Je ne peux pas parler d’institutions financières particulières, mais je peux vous dire que nous travaillons régulièrement avec elles pour nous assurer qu’elles comprennent et qu’elles suivent notre ligne directrice. Au fil du temps, nous effectuons des examens — exhaustifs ou ciblés — d’éléments donnés de notre ligne directrice. Ces examens sont faits sur plusieurs mois, voire plusieurs années. De plus, quand un incident survient à une institution financière, il arrive souvent que nous examinions de près l’institution touchée pour nous assurer qu’elle a suivi notre ligne directrice.

Nous réagissons aux situations à mesure qu’elles surviennent.

Le sénateur Fridhandler : La discussion d’aujourd’hui s’est focalisée sur les banques, mais à titre d’organisme de réglementation des institutions financières fédérales, vous surveillez nombre d’autres industries du secteur financier.

D’abord, mis à part peut-être les assureurs et les sociétés de fiducie, pouvez-vous nous dire quelles sont les autres entités que vous surveillez et s’il y a des préoccupations ou des enjeux propres à ces entités, par opposition aux enjeux généraux relatifs au secteur bancaire?

M. Routledge : En ce qui a trait à quoi?

Le sénateur Fridhandler : Aux autres types d’institutions que vous réglementez, que ce soit les assureurs, qui ont des caractéristiques uniques, ou les sociétés de fiducie. Je ne peux pas en nommer d’autres, mais je vous demanderais de nous dire quelles sont les autres entités.

M. Routledge : Je vais dire ceci à voix haute pour me rappeler de ne pas parler trop longtemps parce que nous réglementons un grand nombre d’industries. Je peux vous donner un aperçu.

Nous réglementons les sociétés d’assurance-vie, les sociétés d’assurances multirisques, les assureurs de prêts hypothécaires, les réassureurs et certains régimes de retraite fédéraux. Notre expertise est diverse et nous exerçons une vaste gamme d’activités de surveillance d’institutions non bancaires — soit 400 institutions, dont moins de 100 sont des banques et les autres sont des assureurs, ainsi que 1 200 régimes de retraite fédéraux.

Dans le secteur de l’assurance-vie, la trajectoire ascendante des taux d’intérêt des dernières années est très avantageuse pour les assureurs. Globalement, elle a entraîné une augmentation de leur rentabilité et une amélioration de leur capitalisation. Comme toujours, quand les choses vont bien, les sociétés ont tendance à vouloir prendre plus de risques afin de générer de plus grands revenus. Nous surveillons quelques enjeux, le plus important étant le recours aux biens non traditionnels et aux sociétés de capital-investissement, qui voient d’un bon œil le caractère pérenne du passif parce qu’il leur permet de financer de gros investissements à long terme et à risque élevé.

Nous surveillons cela d’assez près. On peut dire qu’au Canada, nous avons de fins gestionnaires du risque. Nous sommes peut‑être un peu moins vulnérables dans ce secteur que d’autres, mais nous restons aux aguets.

En ce qui concerne les sociétés d’assurances multirisques et les réassureurs, le grand enjeu cette année, c’est le risque de catastrophe. Selon le Bureau d’assurance du Canada, qui fait du très bon travail dans ce domaine, les sinistres assurés attribuables à des événements catastrophiques se sont élevés à 7,5 milliards de dollars. Le record précédent était de 4 milliards de dollars. De plus, les assureurs que nous supervisons nous disent que 7,5 milliards, c’est le record cette année, mais que dans cinq ans, ce sera probablement beaucoup plus.

Cette réalité risque d’avoir toutes sortes de conséquences préoccupantes. Qu’arrivera-t-il à la protection? Les propriétaires seront-ils adéquatement protégés? Le cas échéant, quelle incidence cela aura-t-il sur la valeur de la garantie de la banque? Les sociétés d’assurances multirisques pourront-elles souscrire à une réassurance contre les catastrophes afin de ne pas avoir à assumer la totalité des coûts?

Tout cela nous ramène à ma réponse précédente au sujet de la quantification des risques climatiques. C’est le travail que nous devrons faire au cours des prochaines années pour régler la question.

Pour ce qui est des régimes de retraite, dans ce secteur aussi, comme dans le secteur de l’assurance-vie, les taux élevés sont très avantageux. Les ratios de solvabilité des régimes de retraite fédéraux atteignent des sommets presque historiques. Autrement dit, les ratios actif-passif sont très bons. Une chute spectaculaire et soudaine des taux d’intérêt changerait la donne.

Nous prenons des mesures pour nous assurer que les institutions sont parées à cette éventualité.

Voilà un tour d’horizon du secteur non bancaire.

La présidente : Je suis en train de lire un livre sur les frais bancaires. Les frais de guichet automatique bancaire, les frais d’insuffisance de fonds et les autres frais de la sorte sont particulièrement élevés.

En tant qu’organisme de réglementation, que pouvez-vous faire pour influencer, réglementer ou surveiller les comportements? C’est un problème qui devrait être réglé par la concurrence, mais la concurrence est limitée dans le secteur bancaire.

M. Routledge : Ma réponse franche est : pas grand-chose. Il me déplaît de le dire, mais le rôle du BSIF est d’assurer la bonne santé financière, l’intégrité et la sécurité. Nous pourrions seulement intervenir si le comportement d’une institution était tellement déplorable qu’il entacherait sa réputation. En pareil cas, nous pourrions dire au conseil d’administration : « Vous devez corriger votre comportement parce qu’il nuit à votre réputation, et donc à votre intégrité. » Cependant, nous pourrions seulement intervenir dans des cas extrêmes. Ce n’est donc pas une solution au problème général dont vous parlez. La solution à ce problème, comme vous l’avez dit, c’est la concurrence, ainsi que les mesures de protection des consommateurs.

La présidente : On pourrait faire valoir qu’il en est question dans les journaux, à la télévision et partout ailleurs. Tous les six mois, un reportage montre que les frais bancaires ont telle incidence sur tel consommateur qui ne peut pas absorber une telle hausse. On parle de l’augmentation des paiements hypothécaires et de tout le reste.

Il me semble que cette question est en train de ternir la réputation de l’industrie. Avez-vous des discussions à ce sujet?

M. Routledge : De manière générale et réaliste, il faudrait que l’ACFC prenne des sanctions contre une institution pour de graves lacunes dans la protection des consommateurs. Si ces sanctions entachaient sérieusement la réputation de l’institution, le surveillant attaché au BSIF soulèverait la question auprès du conseil d’administration. C’est ainsi que nous pourrions intervenir.

Je tiens à préciser qu’il s’agirait d’un cas extrême et que cela ne règlerait pas les problèmes de tous les jours.

La présidente : Merci. Je voulais que ce soit consigné au compte rendu.

La sénatrice Marshall : Pour revenir à l’unité de sécurité nationale, je regardais l’augmentation du nombre d’employés au cours des dernières années. Je sais que vous avez dit qu’il était encore tôt, mais une fois que l’unité sera bien établie, comment évaluerez-vous son efficacité?

M. Routledge : Il y a deux moyens. Le premier, c’est par le nombre de dossiers qu’elle soumet aux surveillants. Autrement dit, collecte-t-elle de l’information dont les surveillants peuvent se servir pour agir? C’est une grande partie du travail. Détecte‑t‑elle des risques et des tendances qui nous permettent d’intervenir plus tôt pour protéger la sécurité et l’intégrité d’une institution? C’est ce que nous devons trouver, et d’après moi, nous y arriverons. Je pense que c’est un filon particulièrement riche. Toutefois, franchement, si l’unité ne trouve pas d’information de la sorte, nous devrons remettre en question son utilité. Chaque unité doit remplir une fonction.

L’autre moyen, c’est en demandant aux surveillants d’évaluer l’intégration de la nouvelle unité au sein du processus de surveillance. Comme vous pouvez l’imaginer, les surveillants du secteur bancaire ont une approche particulière, et les spécialistes de l’application de la loi — les gens de la sécurité nationale et du CANAFE — ont leur propre approche. Un élément primordial du travail, c’est de veiller à ce que l’organisation travaille efficacement et en collaboration, parce que les différends sont inévitables. Elle doit gérer les différends et les tensions de manière productive.

Il y a deux semaines, je parlais avec un groupe de nouveaux employés qui se sont joints à l’unité. Je leur ai dit que la meilleure chose que j’avais entendue au cours des deux ou trois derniers mois, c’était de modestes déclarations de frustrations et de tensions, par exemple : « Comment pouvons-nous travailler ensemble? Nous ne savons pas. Eh bien, vous devriez faire ceci et vous devriez faire cela. » C’est bien; c’est la preuve que le groupe collabore. S’il est bien dirigé — et c’est le cas —, il règlera les problèmes, et nous trouverons de bonnes solutions.

La sénatrice Marshall : Comment pouvez-vous évaluer la détection des cas de blanchiment d’argent? Comment peut-on résoudre ce problème?

M. Routledge : C’est une très bonne question. Aux États‑Unis, ce sont les organismes d’application de la loi qui l’ont fait. Pour détecter directement les cas de blanchiment d’argent, nous allons examiner les rapports que nous soumettent nos collègues des forces de l’ordre, de la lutte contre le blanchiment d’argent, de l’Agence des services frontaliers du Canada ou de la sécurité nationale, à la recherche d’un schéma quelconque dans les activités d’une institution ou de plusieurs institutions. Puis, nous allons demander à nos partenaires de nous fournir des éléments de preuve. Les déclarations d’opérations douteuses du CANAFE nous seront particulièrement utiles. Nous allons examiner les éléments de preuve avec diligence raisonnable pour déterminer s’il s’en dégage un schéma justifiant que nous intervenions auprès d’une institution pour des raisons liées à la sécurité et à l’intégrité.

Il est encore tôt, et nous n’avons pas encore tout réglé. Le Canada est une monarchie constitutionnelle qui respecte la primauté du droit. Personne n’est au-dessus de la loi, y compris les représentants du gouvernement. Nous essayons de trouver comment faire ce travail de manière responsable.

La sénatrice Marshall : Je suis comptable; je regarde donc les chiffres. Vos évaluations seront-elles fondées sur le nombre de cas de blanchiment d’argent détectés, ou allez-vous utiliser une certaine somme, disons 50 millions de dollars? Avez-vous poussé vos réflexions jusque-là?

M. Routledge : Nous n’avons pas encore établi comment évaluer les flux de blanchiment d’argent, mais nous pouvons évaluer les interventions auprès des institutions. Ce sont les premières données que nous allons examiner. Avec le temps, quand nous aurons détecté plus de cas, peut-être que nous pourrons faire cela.

La sénatrice Marshall : Comme le disait le sénateur Varone, si l’intervention est liée à un citoyen respectueux des lois qui tente juste de faire des affaires, je ne crois pas qu’on devrait en tenir compte.

Le sénateur Loffreda : Juste pour ajouter à cela, bien que ma question porte sur l’intelligence artificielle, je crois qu’il est essentiel de « connaître son client ». Il faut vraiment insister auprès des banques sur l’importance de connaître leurs clients. Si elles connaissent leurs clients, il devient facile de détecter, de surveiller et de mettre au jour les cas de blanchiment d’argent. Quand on ne connaît pas le marché — la Banque TD aux États‑Unis ne connaissait probablement pas aussi bien le marché qu’au Canada —, on se fait prendre. HSBC s’est fait prendre partout dans le monde.

Le BSIF a publié un nouveau cadre visant à renforcer la résilience des institutions financières face aux cyberattaques. Votre communiqué de presse a été publié le 21 avril 2023. Les institutions financières s’adaptent-elles à votre annonce et à la ligne directrice que vous avez établie? Quelle est la nouvelle menace? Sommes-nous en sécurité? Nos institutions financières sont-elles suffisamment protégées?

Plus important encore, on vient de voir dans les nouvelles et partout ailleurs que le Canada court un risque accru d’être victime de cyberattaques menées par des pays comme la Russie, la Chine et l’Inde, au moyen de nouvelles avancées. Allez-vous publier une nouvelle ligne directrice? Je veux dire, la situation évolue constamment. Aujourd’hui, le cadre publié en avril 2023 doit être rendu presque caduc.

M. Routledge : Je ne sais pas si nous publierions une nouvelle ligne directrice. Nous avons la responsabilité de tenir la ligne directrice sur les cyberrisques à jour. Dans un avenir relativement proche, nous allons devoir l’examiner. Nous allons demander aux institutions de nous donner leur avis et nous allons analyser l’environnement pour nous assurer que notre ligne directrice sur les cyberrisques est toujours adaptée aux besoins. C’est une partie intégrante du processus de réglementation.

La première question était : les banques canadiennes sont-elles protégées contre les cybermenaces et croient-elles être protégées? Je dirais que les institutions financières canadiennes qui sont bien capitalisées et généralement rentables investissent fortement dans la cyberdéfense. J’ai confiance qu’elles agissent de manière responsable.

Je n’aurais pas confiance si le chef de la direction, le président du conseil d’administration ou un membre du conseil d’administration d’une banque déclarait : « Oui, nous avons tout réglé; il n’y a rien à craindre. »

Face aux cyberrisques, il faut toujours exercer une vigilance extrême. Il faut toujours se demander : « Si nous utilisons tels moyens de défense, quelle sera la prochaine cible? » Ce qui est encore plus important — ou du moins aussi important — que de se défendre, c’est de réfléchir aux moyens par lesquels les auteurs de menaces pourraient esquiver vos nouvelles défenses.

C’est là que la ligne directrice sur les cyberrisques peut être vraiment utile, à condition qu’elle soit employée judicieusement. Nous pouvons dire aux conseils d’administration : « Vous avez notre ligne directrice. Avez-vous réfléchi à ce qu’il faudrait y ajouter? Pensez-vous qu’il y a des parties à renforcer à la lumière des vulnérabilités accrues que vous avez constatées? » Le processus de surveillance nous permet de poser des questions et d’améliorer la ligne directrice.

Nous allons tirer des leçons de futures cyberattaques et nous allons devoir nous améliorer. Nous repenserons à ce que nous aurons fait et nous nous dirons : « Nous aurions dû prendre plus de mesures de protection à tel ou tel égard. » Avec ce genre de menace, c’est inévitable.

La sénatrice Galvez : Monsieur Routledge, chaque année, je me rends à la Conférence des Parties, ou COP, sur le climat ou à la COP sur la biodiversité. Depuis des décennies, j’entends avec intérêt que nos régimes de retraite, nos assurances et nos banques investissent dans les énergies renouvelables au Brésil, au Mexique, au Japon et en Allemagne, ainsi que dans les marchés du carbone de ces pays.

Ces décisions ont des répercussions sur notre innovation, sur notre compétitivité et, par conséquent, sur notre productivité.

Au-delà des modalités de la ligne directrice B-15, comment le Bureau du surintendant des institutions financières, ou BSIF, peut-il renverser cette tendance? Ou sommes-nous satisfaits que notre argent favorise l’innovation et la compétitivité à l’étranger?

M. Routledge : Je peux fournir une réponse. Ce n’est pas la première fois que je le dis. Une taxinomie des risques climatiques nous serait très utile. Si nous en avions une qui était largement reconnue par tous les acteurs de l’économie, je m’adresserais aux institutions réglementées par le BSIF...

La sénatrice Galvez : Vous parlez d’une taxinomie verte et non d’une taxinomie de transition?

M. Routledge : Je parle d’une taxinomie qui classe les actifs en fonction de leur vulnérabilité aux changements climatiques — une taxinomie qui différencie le risque de manière plus précise. Si je disposais de cet outil, je pourrais demander aux institutions financières : « Comment améliorer la pondération de nos capitaux? » Les liquidités ne nuiraient probablement pas, mais le capital peut certainement grandement changer la donne. Si c’est le cas, je pense que, au fur et à mesure que la pondération des capitaux changera, les banques prendront des décisions différentes quant aux emprunteurs à qui elles prêteront leur capital marginal. Je suis ouvert à l’idée d’une taxinomie des risques climatiques pour les actifs qui nous permettrait d’examiner comment modifier nos règles sur le capital pour favoriser des investissements plus rentables.

Nous commençons déjà à le faire avec les assureurs-vie dans les biens d’infrastructure, ce qui tendrait à réduire les émissions de gaz à effet de serre et à améliorer les infrastructures telles que le transport en commun. Nous en discutons avec les assureurs. Nous serions heureux d’en discuter avec les banques. Il serait formidable de disposer d’une taxinomie canadienne reconnue que nous, les superviseurs, pourrions utiliser pour apporter des modifications sensées à nos règles en matière de capitaux et qui permettrait d’améliorer les investissements pour l’avenir.

Le sénateur C. Deacon : Merci encore, monsieur le surintendant. La présence de votre équipe est une formidable occasion d’apprentissage pour nous tous, et je vous suis reconnaissant de tout ce que vous faites et du temps que vous nous consacrez. J’ai des questions éclair — trois questions rapides. Je veux m’assurer d’avoir bien entendu : nos banques ne sont pas tenues de consigner les incidents de fraude bancaire au Canada et de les signaler au BSIF.

M. Routledge : Elles ne sont pas tenues de nous les signaler à nous.

Le sénateur C. Deacon : Je vous remercie. L’autre question est la suivante : cinq sénateurs ont posé des questions sur l’incident de la Banque TD. Je suis surpris que la loi interdise au BSIF de donner des détails à ce sujet. Est-ce que certains de vos homologues internationaux sont soumis à la même contrainte, ou y a-t-il des homologues internationaux qui n’y sont pas soumis? Pouvez-vous nous donner des exemples ou nous mentionner des contraintes similaires?

M. Routledge : Je dirai d’abord que je laisserai la ministre, et la ministre seulement, formuler des conseils juridiques.

Le sénateur C. Deacon : Je demande des exemples d’États.

M. Routledge : Tout d’abord, aux États-Unis, dans l’affaire de la Banque TD à laquelle vous faites référence, la Réserve fédérale et l’Office of the Comptroller of the Currency ont émis des ordonnances par consentement. Comme je l’ai dit publiquement, les ordonnances par consentement s’apparentent généralement à nos lettres de surveillance. Nous envoyons régulièrement des lettres de surveillance aux banques.

Deuxièmement, en Australie, dans certaines circonstances, l’équivalent du surintendant peut communiquer au marché ses préoccupations concernant les lacunes d’une banque et les mesures correctives qu’il a prises, y compris les dépenses de fonds propres ou les réserves de capital supplémentaires. C’est ce qu’il a fait très récemment avec une banque australienne.

D’autres administrations ont des lois qui autorisent la transparence dans des circonstances précises.

Le sénateur C. Deacon : Merci beaucoup. Voici ma dernière question : le Royaume-Uni dispose depuis plusieurs années de ce qu’il appelle le Digital Regulation Cooperation Forum, ou DRCF, qui comprend — du moins en partie — l’un de vos homologues, la Financial Conduct Authority, ou FCA. Au Canada, un nouveau forum est en train de voir le jour. Je suis persuadé que votre participation y serait très souhaitée. Nous avons remarqué que le commissaire à la protection de la vie privée et le commissaire de la concurrence, par exemple, sont limités dans ce qu’ils peuvent dire sur des cas précis, mais j’imagine qu’il est très utile pour eux de pouvoir partager des leçons et des expériences à l’échelle mondiale. Le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, le Bureau de la concurrence, le Commissariat à la protection de la vie privée du Canada et la Commission du droit d’auteur du Canada se sont joints à ce forum. Je voulais juste vous demander dans quelle mesure vous êtes au courant de l’initiative.

M. Routledge : Je suis maintenant au courant, et elle m’intéresse beaucoup. L’un des défis que nous aurons à relever au cours des cinq prochaines années sera la numérisation des services bancaires. Il y a de grands innovateurs en dehors du système réglementé, et j’aimerais rendre le système réglementé par le BSIF plus attrayant pour eux. En effet, je pense que l’innovation qui passe par un système réglementé est beaucoup plus saine pour l’économie et pour le système financier que l’innovation qui surgit à l’extérieur. La période de la faiblesse des prix des cryptomonnaies — la titrisation au début des années 2000 — en est un exemple.

Tout forum que nous pouvons utiliser à cette fin nous intéresse vivement.

Le sénateur C. Deacon : Je suis tellement heureux de l’entendre. Merci d’avoir pris le temps d’être avec nous aujourd’hui.

Le sénateur Yussuff : Je voudrais revenir sur la façon de connaître l’ampleur des transactions illégales et du blanchiment d’argent dans le système. Le blanchiment d’argent est illégal. Nous savons que les banques ne peuvent se livrer à cette activité. Mais étant donné la mesure dans laquelle les banques doivent signaler les incidents et dans laquelle vous faites de la surveillance, puis-je vous demander dans quelle mesure les banques communiquent avec vous lorsqu’elles découvrent qu’un incident est sur le point de se produire? Vous en disent-elles suffisamment pour que vous ayez la certitude que notre système fonctionne? Plus important encore, la divulgation peut tous nous éclairer : lorsqu’une banque vous signale un incident, vous pouvez certainement le mettre en lumière, ce qui nous indique que nous devrions y prêter attention parce qu’une banque l’a porté à notre attention.

M. Routledge : Je vais laisser la parole à ma collègue Angie Radiskovic, qui a plus d’expérience que moi dans ce domaine.

Angie Radiskovic, surintendante auxiliaire et dirigeante principale de la stratégie et des risques, Bureau du surintendant des institutions financières : Bonjour, mesdames et messieurs les sénateurs. Le défi avec l’efficacité — je suis également comptable — est que le dénominateur pour déterminer l’efficacité est inconnu parce qu’il s’agit d’une activité camouflée par nature.

Nous prenons connaissance des renseignements concrets dans nos discussions avec la haute direction des banques dans le cadre de notre travail de supervision quotidien. Nous apprenons donc ces renseignements de la part des banques. C’est une excellente question à poser à l’organisme de réglementation de la lutte contre le blanchiment d’argent au Canada, car il pourrait avoir une meilleure idée de l’efficacité du régime.

Le sénateur Yussuff : Les coopératives de crédit sont des entités provinciales, mais elles jouent un rôle incroyable dans l’économie à travers tout le système. De plus, les Canadiens sont très investis par rapport à leur histoire et dans leurs relations avec elles.

Dans quelle mesure collaborez-vous avec vos homologues provinciaux pour l’échange de conseils et d’expérience afin de mieux aider, bien sûr, à superviser les coopératives de crédit qui doivent assumer leur responsabilité?

M. Routledge : Nous les considérons comme des pairs et des collègues. Je prends des mesures pour communiquer avec mes homologues provinciaux, et ils m’appellent eux aussi. Nos échanges sont assez réguliers.

Nous supervisons trois coopératives de crédit fédérales dans tout le pays, d’un océan à l’autre. Les coopératives de crédit ont la possibilité d’adhérer au régime fédéral. En raison de ce chevauchement, le niveau d’intégration et de collaboration augmente. Par exemple, en 2023, pendant la crise du système bancaire américain, nous avons organisé des discussions sur une base régulière avec nos homologues provinciaux afin de nous tenir au courant de la situation des deux côtés. Si nous parlions au chef de la BC Financial Services Authority, ou BCFSA, par exemple, ou à l’Autorité ontarienne de réglementation des services financiers ou à l’Autorité des marchés financiers du Québec, ou AMF, nous disions : « Voici ce que nous observons dans le système fédéral. Dites-nous ce qui se passe chez vous; que constatez-vous? »

Cette communication renforce la capacité à gérer les crises dans le feu de l’action.

D’autres fois, nous avons collaboré avec l’AMF au Québec sur le climat, et nous en sommes fiers. Notre exercice normalisé d’analyse de scénarios climatiques est le fruit d’un effort conjoint avec l’AMF. C’est un problème courant. Le risque climatique ne touche pas seulement les banques, mais aussi les coopératives de crédit, et nous y travaillons en collaboration.

En ce qui concerne mes pairs des coopératives de crédit, s’il y a une question réglementaire difficile — comme une décision adoptée par 51 voix contre 49 —, et si je n’arrive pas à trancher, je les appelle et je leur demande : « Qu’en pensez-vous? » Souvent, ils me donnent du courage et me disent : « Non, vous devez être ferme. »

Au BSIF, nous sommes fiers de notre travail de collaboration. Nous respectons les champs de compétence et collaborons à la résolution des problèmes.

Le sénateur Fridhandler : Je voudrais revenir sur vos commentaires concernant le secteur de l’assurance, en particulier les prestataires d’assurance dommages et de réassurance connexe, car vous avez qualifié les événements catastrophiques de risque. Ce risque est généralement en arrière-plan, quand il se produit quelque chose.

J’ai deux questions. Afin que nous puissions comprendre où les décisions sont prises, quels pourcentages de l’assurance dommages sont à l’échelon fédéral et à l’échelon provincial? J’aimerais avoir la certitude que les assureurs pour dommages et les assurés qui comptent sur eux disposent d’une couverture suffisante pour que des événements catastrophiques n’entraînent pas des mises sous séquestre et l’incapacité pour les assureurs de répondre à d’autres événements.

M. Routledge : Je ne connais pas la répartition en pourcentage entre le fédéral et le provincial. Vous avez tout à fait raison : il y a des assureurs de dommages qui sont exclusivement provinciaux et donc réglementés au niveau provincial, et il y a évidemment des assureurs fédéraux. Je n’en connais pas le nombre. Je pourrais fournir la réponse au comité ultérieurement.

À l’heure actuelle, la réassurance — d’après notre compréhension, et nous nous sommes beaucoup penchés sur le sujet — est offerte aux assureurs de dommages de notre secteur. Ainsi, on peut raisonnablement conclure que c’est probablement le cas pour les assureurs provinciaux, même si je ne les supervise pas.

À mesure que les coûts climatiques augmenteront — puisque les catastrophes naturelles se multiplient et qu’elles sont plus coûteuses —, les taux de réassurance augmenteront. Les points de prise d’effet, c’est-à-dire le seuil où les réassureurs commencent à rembourser les assureurs primaires, augmenteront. Les assureurs primaires prendront donc plus de risques. Lorsqu’ils prennent plus de risques, ils examinent leurs polices et les modifient pour réduire le risque, tout en veillant à ce que les assurés puissent encore payer la prime. Or, la couverture change.

Pour l’assurance habitation, par exemple, nous nous inquiétons de ce qui se passerait si une inondation importante détruisait, malheureusement, le bien. Le débiteur hypothécaire doit tout de même rembourser son hypothèque.

Le risque climatique entraîne des conséquences systémiques auxquelles nous devons commencer à réfléchir. C’est la raison pour laquelle notre ligne directrice B-15 — qui consiste à porter des lunettes vertes, à travailler dur et à essayer de mesurer empiriquement ce phénomène — est si importante pour la résilience financière à long terme de notre pays.

Le sénateur Fridhandler : Existe-t-il dans notre système, au-delà de la réassurance, une sorte de fonds de réserve ou une mesure qui permet, en cas d’insolvabilité d’un assureur, de passer à un plan de secours ou à un plan B?

M. Routledge : Oui. L’organisme de résolution pour les assureurs de dommages au Canada s’appelle la Société d’indemnisation en matière d’assurances, ou SIMA. Elle est financée par l’industrie. Nous travaillons en étroite collaboration avec elle.

La SIMA est un mécanisme par lequel le secteur apporte des fonds — c’est un fonds. Si un assureur est en difficulté ou fait faillite, il y a des fonds disponibles pour couvrir les sinistres qu’il s’était engagé à couvrir.

Je vous encourage à inviter Alister Campbell, un de mes bons amis, à comparaître à ce comité. C’est un homme très réfléchi et un excellent gestionnaire de risques, et il pourrait expliquer le fonctionnement de la SIMA.

Il nous incombe de travailler en étroite collaboration avec l’équipe de la SIMA afin de nous assurer que, lorsque nous réglementons, nous ne perdons pas de vue les responsabilités de résolution de la SIMA.

La présidente : C’est une bonne suggestion. D’ailleurs, nous recevrons vos collègues du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada, ou CANAFE, demain. Je vous remercie pour le temps que vous nous avez consacré aujourd’hui. Monsieur Routledge, je sais que vous luttez contre un rhume et un mal de gorge, et nous vous sommes reconnaissants d’avoir répondu à nos questions de façon aussi exhaustive. Nous vous reverrons bientôt, je l’espère, alors que nous poursuivons cette nouvelle relation avec le BSIF.

Mesdames et messieurs, voilà qui conclut notre ordre du jour. Merci beaucoup.

(La séance est levée.)

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