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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le mercredi 20 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques et du commerce se réunit aujourd’hui, à 16 h 15 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le cadre de la politique monétaire du Canada.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

La présidente : Bonjour à tous ceux qui sont présents sur place et à ceux qui se joignent à nous en ligne. Bienvenue à cette réunion du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis présidente du comité.

Je vous présente les membres du comité qui sont là aujourd’hui : le sénateur Loffreda, vice-président, le sénateur Gignac, la sénatrice Ringuette, le sénateur Varone et le sénateur Yussuff.

Le comité étudie le mandat de la Banque du Canada et le cadre de la politique monétaire du Canada. Aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir en personne Mme Jacqueline Best, professeure à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa, qui constitue à elle seule le premier groupe de témoins. Son travail a porté sur l’inflation dans les années 1970 et 1980 — certains d’entre nous s’en souviennent — au moment où le Canada fait face à une crise d’abordabilité. Elle fait également des recherches pour savoir si les outils à la disposition de la Banque du Canada sont efficaces comme moyen de gérer la situation.

Madame Best, je crois comprendre que vous avez un exposé liminaire à présenter. Vous avez la parole.

Jacqueline Best, professeure titulaire, École d’études politiques, Université d’Ottawa, à titre personnel : Merci, madame la présidente.

J’aimerais commencer en vous remerciant de m’avoir offert la chance de témoigner dans le cadre de votre étude sur le cadre de la politique monétaire du Canada.

[Traduction]

Comme la présidente l’a dit, une grande partie de ma recherche porte sur l’histoire de la politique monétaire et de la gouvernance financière, notamment aux États-Unis, au Royaume-Uni et, dans une certaine mesure, au Canada. Ces travaux m’ont appris que nous ne sommes plus dans la période de la grande modération. C’est l’étiquette que nous accolons à une période de stabilité macroéconomique relative dans les années 1990 et jusqu’à la crise financière mondiale de 2008, une période de faible inflation avec relativement peu de crises économiques. Malheureusement, même si nous souhaitions revenir à cette époque, nous avons beaucoup plus en commun avec certains des défis des années 1970 et 1980, une période marquée par l’instabilité et les chocs économiques et politiques.

Il semble également très probable que nous continuerons de vivre dans une conjoncture mondiale très incertaine au cours des prochaines années. Étant donné les tendances géopolitiques et, par exemple, la crise climatique, une incertitude plus profonde exige davantage de créativité chez les décideurs économiques, y compris les banques centrales, et plus de latitude. Ce pouvoir discrétionnaire exige à son tour des formes plus robustes de responsabilité politique.

Je tiens à être claire. La Banque du Canada a une excellente réputation, qui est d’ailleurs bien méritée. Elle joue dans la cour des grands, dans les cercles internationaux d’élaboration des politiques, et elle a réussi à affronter des chocs très importants au cours des dernières années. Mais il y a encore place à l’amélioration. Elle accuse toujours un retard par rapport à ses pairs en ce qui concerne les pratiques exemplaires internationales dans trois domaines clés, soit la gouvernance, la transparence et le mandat. Je me ferai un plaisir de vous en dire plus long au cours de nos échanges, mais pour l’instant, je terminerai en soulignant que, selon moi, les réformes portant sur ces trois points donneront à la Banque du Canada la responsabilité dont elle a besoin pour maintenir la confiance et la renforcer au moment où nous nous apprêtons à affronter des turbulences.

La présidente : Merci beaucoup. Voilà beaucoup de pain sur la planche.

Le sénateur Loffreda : Merci, madame Best, d’être parmi nous.

Je vais réagir à votre exposé liminaire. Vous avez dit que la Banque du Canada joue dans la cour des grands, mais qu’elle est en retard par rapport aux pratiques exemplaires internationales en matière de gouvernance, de transparence et de mandat. Pouvez-vous étoffer? Que faut-il faire pour peut-être accroître la confiance? Je dis toujours que la confiance est la monnaie d’échange de toutes les relations, et nous voulons tous faire confiance à la Banque du Canada. Comment renforcer cette confiance?

Mme Best : Merci. Excellentes questions. Je vais répondre à chacune d’elles.

Sur le plan de la gouvernance, la pratique exemplaire serait de ne pas se fier uniquement aux membres internes, comme maintenant, au conseil d’administration, mais de faire appel à des experts de l’extérieur. C’est ce qui se fait dans de nombreux autres pays du Nord, comme la Réserve fédérale, la Banque d’Angleterre, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. La liste est longue. C’est devenu la norme. De plus, il est tout à fait logique d’avoir un système fondé davantage sur le vote que sur le consensus, comme c’est le cas à la Banque du Canada.

Nous devons concevoir un système qui soit logique pour le Canada, et ce sera son propre système, mais il serait intéressant d’examiner la pratique britannique de mandat annuel. C’est un terme que les Britanniques utilisent. Leur gouvernement dit chaque année : « Voici votre mandat, voici votre cible d’inflation, voici ce que vous devriez viser et voici quelles devraient être vos priorités », puis la Banque d’Angleterre a l’indépendance nécessaire au plan opérationnel pour choisir les moyens d’atteindre l’objectif. Si elle n’y arrive pas à l’intérieur d’une certaine marge, elle doit produire une lettre expliquant ce qui s’est passé. Ce sont autant de façons de préserver l’autonomie, mais, en même temps, de mettre en place de nouvelles formes de responsabilisation et davantage d’espaces propices aux échanges.

Quant à la transparence, la Banque du Canada a pris des mesures importantes. J’ai été particulièrement rassurée de constater que, après l’examen de la transparence des banques par le FMI, ce dernier a commencé à publier des résumés de ses échanges au sujet des décisions sur les taux d’intérêt, et ce fut une mesure importante. Chose certaine, si nous avons un système qui compte des membres de l’extérieur, qui permet des votes et publient des comptes rendus plus complets, comme on le fait après un certain décalage à la Réserve fédérale, ce serait plein de bon sens.

Enfin, en ce qui concerne le mandat, un certain nombre de banques centrales sont maintenant plus explicites au sujet de la prise en compte dans leur mandat de la croissance et de l’emploi en plus de l’inflation et de la stabilité des prix. Cela peut prendre diverses formes. Même à la Banque du Canada, le dernier examen que j’ai parcouru donne un peu plus de place au facteur qu’est l’emploi. Mais il vaut la peine de discuter d’un double mandat en bonne et due forme. Il vaut la peine d’envisager cette formule qui a été retenue par exemple à la Banque d’Angleterre et chez nos amis du Sud, à la Réserve fédérale.

Le sénateur Varone : Je vous remercie d’être là.

J’ai été très intéressé par l’un des points que vous étudiez, soit les angles morts dans l’économie politique internationale. Je ne vais pas en parler, mais l’expression « angle mort » m’a frappé. Lorsque je lisais toute la documentation sur l’IPC, l’IPCX, l’IPC-tronq, l’IPC, l’IPC-méd et que vous avez parlé des angles morts, j’ai pensé à la réduflation. Tout ce qu’on achète dans les épiceries aujourd’hui — du papier hygiénique aux boîtes de céréales en passant par les pâtes et les muffins de Tim Hortons — se présente en format réduit. Est-ce un angle mort pour Statistique Canada, pour ceux qui calculent le taux d’inflation? Je n’ai pas remarqué, mais j’achetais des quantités moindres pour le même prix. On avait l’habitude d’obtenir des escomptes au volume pour les gros achats; maintenant, on paie le même prix et on obtient une quantité moindre. Comment interprétez-vous ces faits?

Mme Best : Excellente question.

C’est intéressant. Vous soulignez que nous avons un certain nombre de mesures différentes de l’inflation, et qu’il y a aussi une tendance à les modifier au fil du temps, en partie parce que, avec le recul, nous constatons que tel ou tel élément nous a échappé. La Banque du Canada et presque toutes les banques centrales du monde ont été incapables de remarquer que l’inflation après la COVID-19 n’était pas transitoire. Avec le recul, elles se sont interrogées : « Qu’est-ce qui nous a échappé? Qu’est-ce que nos données ne nous ont pas révélé? » Il faut toujours choisir entre ce dont il faut tenir compte et ce qu’il faut laisser de côté.

La question de la réduflation est excellente. Je ne sais pas comment il faudrait s’y prendre. Il me semble qu’il faudrait un examen beaucoup plus détaillé du panier de produits pour vérifier le volume ou la quantité. Le panier est-il en train de se contracter, même si nous faisons comme s’il était le même?

Il est excellent de réfléchir à la façon dont le consommateur vit l’inflation et aux moyens de mieux mesurer les phénomènes.

La présidente : Pour revenir à la question des faits qui nous échappent et à la nature transitoire de l’inflation, nous en avons discuté avec le gouverneur également. Lorsqu’on examine les facteurs d’inflation — et nous en parlons chaque fois — des éléments très conséquents sont laissés de côté, comme le mazout domestique et le transport. Ce sont des éléments clés qui nous auraient peut-être révélé que l’inflation n’était pas transitoire.

Mme Best : C’est toujours un défi. Je sais que la Banque centrale européenne a tenu des débats à ce sujet parce que ses mesures actuelles n’incluent pas les taux des prêts hypothécaires. Encore une fois, les consommateurs se sont dit : « Comment peut-on calculer l’inflation sans tenir compte de la hausse saisissante de cette dépense? » Je comprends la méthodologie utilisée. En un sens, certains éléments sont pris en compte alors qu’on ne peut pas prendre certains autres en considération. De plus, avec certaines de ces autres mesures de base, on tente de minimiser la volatilité. Il n’y a aucun doute.

C’est pourquoi un bon nombre de banques centrales, dont la Banque du Canada, je pense, essaient de faire des enquêtes, d’avoir des échanges et d’obtenir des données qui ne limitent pas aux chiffres, en allant au-delà des mesures, pour se faire une meilleure idée de ce qui se passe sur le terrain. C’est tout à fait logique.

La présidente : J’y reviendrai un peu plus tard.

Le sénateur Yussuff : Madame Best, j’ai quelques questions à poser au sujet du mandat de la banque. On a essentiellement donné à la banque un gourdin pour abattre l’inflation. C’est un instrument très grossier pour régler un problème souvent complexe. La banque n’a qu’un seul outil — augmenter les taux d’intérêt, fermer l’économie ou la ralentir assez longtemps. On réduit une foule de gens au chômage dans l’espoir de maîtriser l’inflation. Les prix vont baisser, faute de demande.

Il me semble qu’au XXIe siècle, les outils donnés à l’institution sont archaïques, compte tenu des défis et de la réalité de notre époque. Si nous songeons à un nouveau mandat pour la Banque du Canada, il semblerait que se limiter à viser un taux d’inflation de 2 ou 3 %, avec un seul moyen brutal pour y arriver, ne soit pas un moyen raffiné de faire fonctionner une économie, que ce soit ici au Canada ou ailleurs dans le monde.

Quels moyens donneriez-vous à l’institution si vous repensiez ce modèle? Selon vous, qu’est-ce qui devrait faire partie du modèle par opposition à ce qu’il est actuellement? Compte tenu de la situation actuelle, la plupart des consommateurs et des Canadiens sont très irrités parce que cela ne fonctionne pas, ou du moins ils croient que cela ne fonctionne pas dans leur propre intérêt.

Mme Best : Je suis d’accord. C’est un instrument brutal, et c’est une panoplie relativement restreinte d’outils. Les responsables ont fait preuve de créativité dans le contexte des risques de déflation et de la création de nouveaux outils, mais à propos de l’inflation, il faut toujours, en grande partie, agir sur les taux d’intérêt.

En réalité, que nous nous attaquions à l’inflation ou à la déflation, c’est une tâche qui ne revient pas uniquement à la banque centrale. L’une des leçons que j’ai tirées de la crise financière de 2008, c’est que nous semblions accorder beaucoup d’importance à la banque centrale et compter trop souvent sur elle pour faire le gros du travail, alors qu’en fait, ce doit être une entreprise collective qui fait appel à la collaboration. Le gouvernement doit faire une partie du travail, et la Banque du Canada aussi, qu’il s’agisse de relancer une économie en crise, comme nous l’avons vu avec la COVID, ou d’essayer de maîtriser l’inflation.

En fait, dans le contexte récent, pour une grande partie des efforts visant à mâter l’inflation, il semble, d’après les études, notamment celle de Bernanke et Blanchard, qu’on n’ait pas du tout agi au plan monétaire — que ce soit pour provoquer un mouvement à la hausse ou à la baisse. Les facteurs de l’offre, dans le domaine de l’énergie en particulier, ont beaucoup joué, ainsi que leurs effets sur les prix des aliments et ainsi de suite. De toute évidence, si les causes de l’inflation ne sont pas uniquement monétaires, on ne peut pas avoir une politique qui s’appuie si étroitement sur les taux d’intérêt, car, au bout du compte, elle n’agira pas tellement sur les causes d’inflation ou de déflation.

Le sénateur Yussuff : Compte tenu du rôle important que la Banque du Canada joue dans le maintien de la stabilité et de la confiance dans l’économie, nous voulons qu’elle soit efficace. Dans ces conditions, ne pensez-vous pas que nous lui rendons un mauvais service en reconnaissant que nous lui confions une responsabilité excessive alors qu’elle a très peu d’options dans la panoplie de moyens qu’elle peut employer pour relever ce lourd défi? L’économie a besoin d’un peu de confiance, mais les Canadiens doivent avoir confiance devant ce qui se passe plutôt que de se sentir punis pour des choses auxquelles ils n’ont rien à voir.

Mme Best : Je suis d’accord. Il est absolument essentiel d’avoir confiance dans la monnaie, premièrement, et deuxièmement, dans la banque centrale. À l’égard de la Banque du Canada, comme à l’égard d’autres institutions publiques, il y a actuellement une crise de confiance ou une perte de confiance, et c’est un problème.

Le sénateur Yussuff : Y a-t-il d’autres administrations dont nous pourrions nous inspirer?

Mme Best : Il faut être plus réaliste au sujet du mandat, car même les banques centrales qui ont un mandat très étroit ne s’intéressent pas seulement à la stabilité des prix. C’est une question que nous nous sommes posée au cours de la crise actuelle. Nous n’avons pas affronté le problème parce qu’il semblait que l’économie allait réussir un atterrissage en douceur. Mais d’aucuns se sont demandé si, pour ramener l’inflation de 3 à 2 %, on était prêt à détruire complètement l’économie, à mettre une foule de gens au chômage.

C’est arrivé dans les années 1980. En fait, les responsables étaient prêts à agir de la sorte. Paul Volcker était prêt à laisser les taux augmenter indéfiniment. Il y a eu des prêts hypothécaires à 24 %. Si cela était envisagé aujourd’hui, pouvez-vous imaginer les conséquences? Dans la conjoncture actuelle, il est difficile d’imaginer qu’une banque centrale soit prête à agir ainsi. Même si le mandat est de garantir la stabilité des prix, la banque centrale doit réagir, dans une certaine mesure, pour éviter que l’économie dans son ensemble ne s’effondre.

Oui, élargissons le mandat et tenons compte de ce qui doit y figurer et soyons réalistes à ce sujet. Par ailleurs, une autre question a été soulevée, et elle faisait initialement partie des discussions au moment du dernier examen du mandat, mais, en fin de compte, elle n’a pas vraiment été au centre des délibérations et n’a pas été abordée dans le rapport final : l’idée d’une certaine forme de coordination entre les politiques budgétaire et monétaire. Au départ, c’était sur la table. Encore une fois, il est très clair que pour sortir de la pandémie de COVID-19, nous avions des stratégies monétaires, mais nous avions aussi des stratégies budgétaires. Ces deux éléments doivent habituellement aller de pair, et si les stratégies vont à contre-courant l’une de l’autre — qu’il s’agisse d’inflation ou de déflation —, nous avons un problème. Par exemple, après la crise de 2008 — à partir de 2010 —, la plupart des pays du G7 et du G10 sont passés des mesures de relance à l’austérité. Nous avons donc connu une contraction du côté budgétaire, ce qui signifie que la banque centrale était le seul moyen de maintenir l’économie à flot. Les taux d’intérêt ont été ramenés à un niveau incroyablement bas, mais nous voyons maintenant que cela a eu des conséquences perverses : la création de bulles d’actifs, de bulles sur le marché de l’habitation, et l’intensification des inégalités, etc. Là encore, un moyen d’assurer la confiance est de faire en sorte que les deux éléments soient liés et aillent de pair.

La sénatrice Ringuette : Merci d’être là. Vous communiquez vos connaissances avec enthousiasme et nous vous en sommes reconnaissants.

L’une des questions que vous avez évoquées est le fait que la banque britannique reçoit un mandat annuel du gouvernement britannique.

Mme Best : C’est un mandat, mais les Britanniques emploient le mot « remit ».

La sénatrice Ringuette : Nous revoyons le mandat de la Banque du Canada tous les cinq ans.

Mme Best : Effectivement.

La sénatrice Ringuette : Je vois des avantages à cette durée de cinq ans, parce qu’elle donne à l’institution la capacité d’avoir un impact à court, moyen et long terme, et qu’elle met l’institution à l’abri de la politique. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Je trouve qu’un mandat d’un an imposé par le gouvernement est très court. À mon avis, cela laisse beaucoup de place à la politique. Cinq ans, c’est peut-être trop long, peut-être qu’un mandat de trois ans serait préférable, mais une seule année, c’est plutôt l’autre extrême.

Mme Best : Il est important de faire une distinction. Le mandat britannique est un échange beaucoup plus étroit sur les priorités à prendre en considération au cours de l’année.

En fait, l’examen du mandat qui se fait au Canada est fantastique. Je conviens qu’une durée de cinq ans est tout à fait logique. Sur ce plan, nous sommes en avance, nous sommes un chef de file. J’ai réalisé une étude sur l’examen du mandat qui se fait au Canada, mais aussi sur les examens de la stratégie de la Réserve fédérale et de la Banque centrale européenne aux alentours de 2020-2021, qui ont eu lieu en même temps. Il est très clair que la Réserve fédérale s’est inspirée en partie du Canada au départ, et un certain nombre d’autres banques centrales disent vouloir faire un examen du mandat à intervalles réguliers. Précisons que, dans le cas des autres banques centrales, il s’agissait d’un examen de la stratégie. Elles n’examinaient pas officiellement leur mandat, et le champ de l’étude était moins étendu qu’il ne l’est au Canada. Il reste que l’idée de faire un examen à intervalles réguliers est excellente, et c’est un domaine où le Canada est en avance.

D’un autre côté, ce qui me plaît dans le mandat britannique, c’est qu’il est beaucoup plus restreint, mais qu’il donne l’occasion chaque année... C’est comme si le gouvernement britannique disait que, dans le contexte d’un mandat existant qui est bien établi et change rarement, il faut tenir compte de préoccupations particulières. Une discussion est ainsi amorcée. Les Britanniques ont aussi un comité de la politique monétaire et un certain nombre d’autres moyens institutionnalisés qui permettent d’autres échanges entre le Parlement et la Banque d’Angleterre. Bien sûr, il ne faut pas oublier que la Banque d’Angleterre n’est devenue indépendante qu’en 1997. C’est donc une institution dont l’histoire est fort différente.

La sénatrice Ringuette : Lorsque la Banque du Canada a comparu devant le comité, ses représentants ont dit qu’ils ne travaillaient pas en vase clos et qu’ils rencontraient régulièrement le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF, le ministère des Finances, etc. Ils ne travaillent pas vraiment en vase clos. Il semble y avoir des échanges en cours. Devraient-ils avoir un caractère plus officiel?

Mme Best : Cela ne ferait pas de mal. J’en suis venue à me rendre compte que c’est typiquement canadien. Par exemple, nous n’avons pas de politiques officielles ou de système très visible en ce qui concerne la réglementation macroprudentielle et les risques systémiques. En même temps, il est clair que nous avons des politiques macroprudentielles. La Société canadienne d’hypothèques et de logement, ou SCHL, est probablement la plus importante organisation à se prononcer là-dessus, parce que la plus grande partie du risque vient du secteur de l’habitation. Je crois savoir qu’il existe un comité, mais, encore une fois, nous n’en savons pas grand-chose. On dirait que c’est une façon de faire typiquement canadienne. Nous savons que ces choses se produisent, et elles fonctionnent souvent très bien. Nous n’avons pas souffert de la crise de 2008 en partie parce qu’il y a eu beaucoup de discussions à huis clos.

Par ailleurs, il ne serait pas préjudiciable d’intégrer certains de ces éléments au processus officiel et de les rendre plus ouverts, encore une fois, pour renforcer la confiance, pour que nous sachions, en fait, que ces discussions ont lieu et que nous comprenions comment elles se déroulent, à quelle fréquence et quels sont les objectifs et les principes, etc.

Le sénateur Gignac : Je remercie le témoin. Merci à vous de votre exposé liminaire. Il est dans la droite ligne des propos de mon collègue et des discussions précédentes.

À l’heure actuelle, les politiques monétaires ne peuvent pas tout faire. Elles ont leurs limites. Lorsque nous avons des chocs venant de l’extérieur, des chocs qui touchent l’approvisionnement, par exemple, les mesures macroprudentielles pourraient fonctionner beaucoup mieux, mais cela relève actuellement du ministre des Finances. Contrairement à ce qui se passe au Royaume-Uni, par exemple. C’est une question de gouvernance.

Vous avez parlé de la gouvernance et du mandat relatif à la devise, et vous avez parlé d’améliorer la transparence. J’ai constaté que la Banque du Canada s’est améliorée au cours des dernières décennies, mais c’est une bonne idée de faire appel à des membres de l’extérieur et de prévoir des votes. Franchement, est-ce possible? Est-il réaliste de l’envisager sans modifier la gouvernance? Le gouverneur de la Banque du Canada préside le conseil d’administration, et il y a des sous-gouverneurs. Est-il réaliste de croire que les votes des gouverneurs pourraient être révélés? C’est difficile à croire, et nous avons peut-être besoin d’un plus grand nombre de gouverneurs de l’extérieur. Au bout du compte, le processus veut que le gouverneur soit notre gouverneur externe, contrairement à la Banque d’Angleterre, qui est composée de parlementaires qui décident du choix du gouverneur externe.

Voici ma question : devons-nous aborder l’aspect de la gouvernance dans le cadre de notre étude? Si nous voulons améliorer la transparence et même le mandat, devons-nous aborder la gouvernance de la Banque du Canada? Cela pourrait exiger une modernisation de la loi actuelle sur la Banque du Canada, une loi qui est plutôt ancienne.

Mme Best : Remarquablement ancienne.

Il existe de nombreux modèles. La Banque de Nouvelle-Zélande et la Reserve Bank of Australia ont repensé et modernisé leurs dispositions législatives. Il ne suffit pas de voir ce qui se fait à la Réserve fédérale, par exemple. Nous, Canadiens, avons un peu trop souvent tendance à vérifier seulement ce qui se fait au sud de notre frontière, et il faut avouer que les Américains sont tellement différents de nous, à bien des égards, et nous ne pouvons pas vraiment soutenir la concurrence. Ils sont qui ils sont; nous sommes qui nous sommes.

Nous pouvons examiner ces autres modèles, et oui, idéalement, si nous apportons des changements au sujet de la transparence et repensons le mandat, nous devons aussi nous interroger sur la gouvernance. Il existe divers modèles. Nous pourrons nous inspirer d’un ou de plusieurs de ces modèles étrangers. Ces autres façons de voir sont importantes. Comme je l’ai dit, dans un contexte d’incertitude extrême, il y a rarement une seule voie à suivre.

La Banque du Canada s’est accordé une certaine latitude. Elle se donne une cible, mais à moyen terme. Nous pouvons emprunter différents parcours pour évaluer d’autres facteurs et faire contrepoids. C’est tout à fait logique. Je le répète, la Banque du Canada a besoin d’une certaine latitude pour pouvoir affronter les crises, mais plus nous accordons de pouvoir discrétionnaire à une entité non élue, plus nous devons réfléchir au choix des décideurs et à la façon dont nous nous assurons qu’ils sont responsables envers nous, sans pour autant politiser la question au point d’en faire un enjeu partisan. Je suis d’accord avec la sénatrice Ringuette à ce sujet. Nous ne voulons pas que cela devienne un enjeu politique, absolument pas, mais nous voulons nous assurer que les échanges sont exhaustifs et francs, qu’ils tiennent compte de divers points de vue d’experts. Il y a de bons modèles que nous pouvons étudier.

Le sénateur Gignac : À propos du mandat, croyez-vous que, au bout du compte, cela ne change pas grand-chose, qu’il s’agisse d’un double mandat ou du mandat actuel? Si j’ai bien compris ce que vous avez dit, la Banque du Canada tient déjà compte du marché du travail dans ses décisions. À moins que quelque chose ne m’échappe.

Mme Best : Elle en tient compte, effectivement.

Par exemple, la Banque centrale européenne a un mandat unique, mais elle peut ensuite faire tout ce qu’il faut pour atteindre ses objectifs, pourvu que cela soit conforme au mandat. Ce n’est pas une solution inhabituelle.

Il n’en reste pas moins valable d’avoir un mandat en bonne et due forme qui soit bien connu et très clair. Il assure la cohérence et la clarté. On évite ainsi de se retrouver avec une politique déséquilibrée axée sur la seule stabilité des prix et qui ne tient pas suffisamment compte de la croissance et du chômage.

Au bout du compte, la meilleure solution, à l’avenir, serait d’avoir un double mandat, mais il y a des compromis ou des solutions de rechange sur lesquels les banques centrales se sont appuyées et dont nous pouvons nous inspirer s’il n’y a pas une volonté politique d’aller jusqu’à un double mandat. Mais c’est ce que je préférerais.

La présidente : C’est un peu comme se demander ce qui vient en premier, l’œuf ou la poule, mais je m’interroge, à propos de la gouvernance, sur le vote par opposition au consensus. Le gouverneur préside le conseil d’administration, qui nomme des sous-gouverneurs, mais il s’agit de nominations faites à l’interne. Elles ne font l’objet d’aucune autre approbation. Comment les choses se passeraient-elles, selon vous? Certains votes seraient-ils plus importants que d’autres? Y aurait-il pondération des votes? Comment cela se passerait-il?

Mme Best : J’ai parlé à des membres de la Banque du Canada. Je crois qu’ils ont des délibérations solides, et tout n’est pas imposé d’en haut. La culture varie probablement d’un gouverneur à l’autre. Je pense qu’il y a une conversation raisonnable.

Au bout du compte, il vaut la peine d’examiner divers modèles, sans nécessairement nous conformer à ce qui se fait aux États-Unis, mais en examinant des modèles où il y a des discussions et un vote et où les représentants sont choisis pour un mandat suffisamment long pour être à l’abri de l’influence politique et apportent une diversité de points de vue. Les échanges sont structurés, ce qui peut se faire de différentes manières, mais il vaut la peine de trouver un mécanisme pour faire entendre ces voix.

La présidente : En fin de compte, ce serait une question de nombre.

Mme Best : Oui. Je suis certaine que le consensus permet d’arriver à de bonnes décisions, mais il se traduit par une insistance excessive sur la cohérence. En fait, diverses questions sont pondérées et différents points de vue sont pris en considération, et ce n’est que justice que les Canadiens puissent prendre connaissance de ces points de vue.

La présidente : Il serait mieux tenu compte de la situation et le public aurait l’impression qu’il y a eu un débat.

Mme Best : Il y a eu un véritable débat.

Le sénateur Loffreda : J’ai des questions à vous poser sur le cadre général. Peut-être pourriez-vous vous exprimer plus longuement à ce sujet. Nous en avons discuté. Quelle évaluation faites-vous de l’efficacité du cadre actuel de la politique monétaire du Canada comme moyen de remplir son double mandat? Nous avons parlé d’un double mandat, mais il y a actuellement un double mandat stratégique, soit la stabilité des prix et la croissance économique. Où auriez-vous des lacunes ou des limites systémiques à mettre en lumière?

Le cadre de ciblage de l’inflation du Canada est en place depuis 1991. Est-il adéquat aujourd’hui, dans le contexte économique mondial actuel? La dette augmente. Nous avons de l’instabilité financière. Nous avons des risques climatiques et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement.

Que pensez-vous de l’équilibre entre l’indépendance de la banque centrale et la reddition de comptes? L’approche de la Banque du Canada a-t-elle été efficace pour maintenir la confiance du public et la transparence, ce qui est essentiel, comme je l’ai dit dès le début?

Mme Best : Absolument.

La banque devait ménager un équilibre délicat, et elle a fait de son mieux. Comme vous le dites, nous avons un système dans lequel la Banque du Canada rend des comptes au moyen de certaines mesures, sans oublier l’examen quinquennal régulier du mandat qui est certainement l’un de ces piliers importants. D’après ce que je comprends, le Trésor joue un rôle. La recherche est effectuée par la Banque du Canada, mais il y a des discussions importantes. Le fait d’avoir un système plus transparent avec des paramètres de gouvernance clairs et une officialisation claire du mandat contribuerait à accroître la confiance à l’égard de l’institution.

C’était peut-être moins important pendant la période de grande modération, lorsqu’il y avait beaucoup moins de crises économiques, que l’inflation était beaucoup plus faible et que les modèles semblaient fonctionner. L’économie se rapprochait beaucoup des modèles. Si je dis que la période actuelle ressemble davantage aux années 1970 et 1980, c’est notamment parce que les crises semblent être devenues la nouvelle norme et que nous passons constamment d’une expérience inédite à une autre. Les banques centrales doivent expérimenter davantage et être plus créatives. Je suis heureuse qu’elles aient trouvé des outils et des stratégies, mais en même temps, cela exige un ensemble plus robuste de mécanismes de reddition de comptes, avec le maintien de l’indépendance opérationnelle.

Le sénateur Loffreda : Vu les hausses de taux d’intérêt visant à mâter l’inflation, ne vous préoccupez-vous pas des inégalités économiques, de l’endettement des ménages et de la stabilité financière? Nous sommes tous très préoccupés par l’inflation, mais est-ce que la hausse des taux d’intérêt est le meilleur outil en ce moment? L’écart de richesse est de plus en plus prononcé. Le niveau d’endettement des Canadiens augmente de jour en jour. Qu’en pensez-vous?

Mme Best : J’enseigne certaines de ces notions dans ma classe également. Ce sont des aspects qui nous préoccupent.

Les données sur l’endettement des consommateurs comparé par exemple à ce qu’on observe aux États-Unis à l’heure actuelle sont très inquiétantes, donc, absolument, la Banque du Canada doit poursuivre ces objectifs d’une manière qui tient compte des répercussions sur le marché de l’habitation et sur la stabilité financière, dont nous n’avons pas beaucoup parlé. C’est aussi une tension potentielle intéressante.

Les taux d’intérêt sont-ils le seul outil? Absolument pas. Devons-nous prêter attention à la façon dont ils influent sur ces dynamiques? Absolument, oui. C’est ce qui fait l’incroyable complexité de ce travail. Je suis très heureuse de ne pas en être chargée et de ne pas avoir eu à passer par là. Il y a d’abord eu la crise de 2008, puis la pandémie de COVID-19. La situation n’a pas été facile.

La présidente : Exactement.

Le sénateur Varone : Il y a quelques semaines, nous avons accueilli le gouverneur de la Banque du Canada et la sous-gouverneure, puis, le lendemain, le Bureau du surintendant des institutions financières, le BSIF. Il a beaucoup été question de gouvernance, d’indépendance et de reddition de comptes, et ils ont tous les deux parlé, chacun de leur côté, de la nécessité de rester sur leur propre terrain : la Banque du Canada régit les taux d’intérêt, et le BSIF régit le sous-ensemble des règles hypothécaires. Avec cette crise de l’abordabilité qui nous frappe aujourd’hui, il y a beaucoup de discussions politiques sur l’assouplissement des périodes d’amortissement pour permettre de tempérer les effets des taux d’intérêt pour ceux qui doivent renouveler leur prêt hypothécaire. Puis est arrivée une bombe : Carolyn Rogers a déclaré que nous devons résister à la tentation d’essayer de résoudre le problème de l’abordabilité du logement en bricolant les règles hypothécaires. Cela m’a renversé parce qu’elle sort de son propre terrain. S’il s’agit d’un effort collectif où tout le monde est interdépendant, pourquoi se permettre semblable déclaration? Que pensez-vous de l’idée de mettre en veilleuse la discussion politique pour aider les Canadiens à financer leurs renouvellements de prêt? Cela me laisse perplexe.

Mme Best : Le système canadien me laisse aussi perplexe, tellement il est complexe.

Prenons la Banque d’Angleterre. Elle était responsable de la réglementation financière, mais cette fonction lui a été retirée lorsqu’elle est devenue indépendante. La Financial Services Authority a vu le jour. Puis, après la crise de 2008, les Britanniques se sont rendu compte que cette formule était un échec, parce que les uns ne savaient pas ce que faisaient les autres, et cela a en fait ralenti leur réaction à ce qui a été, pour le Royaume-Uni, une crise massive. Il a connu une crise bien pire que la nôtre. Les fonctions sont de nouveau réunies. La Banque d’Angleterre s’occupe de la réglementation financière. Ce sont des questions intéressantes. Faut-il un seul protagoniste? Deux? Comment assurer la coordination? Au Canada, nous avons aussi, bien sûr, un régime fédéral, ce qui apporte un autre niveau de complexité.

Il est tout à fait logique que chacun reste sur son propre terrain, en un sens, mais sur le plan pratique, chacune des décisions stratégiques a une incidence sur les autres domaines. Bien sûr, il faut négocier ces relations compliquées, et si un protagoniste agit ainsi, cela aura une incidence sur ce que fait l’autre institution. J’ignore quelle est la meilleure solution. De nombreuses institutions dans beaucoup de pays sont aux prises avec ce problème, mais je pense qu’au Canada, cela prend une forme très particulière.

Le sénateur Yussuff : Je reviens sur ce qui m’a troublé. Au moment où nous étions aux prises avec une inflation virulente, la grande obsession était d’essayer de tempérer la progression des salaires alors que ce sont les prix qui alimentaient l’inflation. L’attention était rivée presque uniquement là-dessus, alors que ce sont les prix qui augmentaient de façon saisissante, au point que les consommateurs se sont demandé : « Comment se fait-il que vous ne critiquez pas ceux qui profitent de la hausse des prix? » En fait, nous disons aux travailleurs qu’ils ne doivent pas être trop gourmands parce que cela risque d’attiser l’inflation. Or, les travailleurs doivent payer leur loyer, s’occuper de leur famille, mais l’obsession de l’institution financière était d’essayer de freiner les hausses salariales et la demande. Comment expliquez-vous cette contradiction, alors que le principe veut que l’institution évite que les prix n’augmentent au point de susciter de l’inflation?

Mme Best : Cela nous ramène au fait que les taux d’intérêt sont un moyen d’action brutal. Pour le marteau, tout ressemble à un clou.

On a toujours mis l’accent sur la spirale des salaires et des prix. C’était assurément l’élément central dans les années 1980. Là non plus, les données ne sont pas claires. Il y a eu des études intéressantes sur la fréquence à laquelle on se retrouve avec une véritable spirale des salaires et des prix. Dans ce cas-ci, c’était la grande crainte, et c’est peut-être en partie parce que, en fait, si les prix sont le problème, alors la solution — si c’est l’offre ou si c’est l’établissement des prix par les entreprises, par exemple —, la solution ne sera pas de hausser les taux d’intérêt, n’est-ce pas? La solution consiste à réglementer les prix. Dans les années 1970, par exemple, il y a eu un contrôle des salaires et des prix. On a eu recours à un arsenal très différent. Il y a eu notamment des contrôles des prix de l’énergie, en Europe. En fait, en Angleterre, il semblait à un moment donné que les prix de l’énergie risquaient de tripler. Le gouvernement, de façon tout à fait raisonnable, a dit : « Nous ne pouvons pas infliger pareille hausse aux ménages. Nous allons devoir intervenir et régler ce problème. » Mais ce n’est clairement pas le rôle de la Banque du Canada. Pour un marteau, tout ressemble à un clou. Si on peut jouer sur les taux d’intérêt, alors on met vraiment l’accent sur l’aspect monétaire, sur l’inflation provoquée par la demande.

Le sénateur Yussuff : C’est ainsi que les Canadiens perdent confiance parce que, d’une part, ils admettent que l’inflation est un problème, mais, d’autre part, ils refusent d’être blâmés pour la totalité du problème alors qu’il se situe au moins pour moitié de l’autre côté de l’équation. Pensez-vous qu’il y a un préjugé de classe puisque les banques centrales ne veulent généralement pas blâmer ceux qui le méritent?

Mme Best : Je dis à mes étudiants que si quelqu’un prétend connaître la cause de l’inflation, ils doivent absolument se méfier, surtout s’il s’agit d’un politicien, parce qu’il y a tellement de politique dans... Est-ce de la cupidiflation? Au bout du compte, c’est une question d’affaires. S’il s’agit de salaires, c’est la classe ouvrière. Il y a une dynamique de classe dans la façon dont on comprend l’inflation, tout à fait.

Là encore se pose la question du double mandat. Si le mandat d’une banque centrale est entièrement axé sur la stabilité des prix, c’est de cela qu’elle va parler, ce qui aura des conséquences au plan de la répartition. Si le mandat porte en partie sur la croissance, il faut peut-être aussi examiner la situation dans son ensemble et s’interroger sur l’origine de l’inflation.

La présidente : Pouvons-nous passer en revue deux ou trois choses? Nous essayons de produire une étude provisoire, puis nous espérons examiner la situation dans son ensemble et essayer de faire valoir certains de ces conseils lorsque la banque elle-même examinera ces questions. Vous avez dit qu’il s’agit d’une action collective, qu’il ne faut pas s’en tenir à l’interne, mais entendre aussi d’autres voix et ouvrir les processus et voir comment ces autres voix peuvent se faire entendre. Qu’y a-t-il d’autre? Tout ce qui se passe de façon officieuse, qu’il s’agisse d’enquêtes, de réunions ou de tournées d’écoute, tout cela nous est dit, mais personne d’autre n’est dans la salle pour entendre ni pour voir comment les divers éléments sont pondérés. Selon vous, comment cette action collective se déploierait-elle?

Mme Best : Question très intéressante.

L’un des points communs entre les trois examens que j’ai étudiés — ceux de la Banque centrale européenne, de la Réserve fédérale et de la Banque du Canada —, c’est qu’il y a une tournée d’écoute dans tous les cas. C’est la Réserve fédérale qui a lancé l’initiative. Apparemment, elle pensait que c’était ce que nous faisions au Canada, mais elle a dit : « Eh bien, non, en fait, nous avons simplement... » Au départ, elle consultait uniquement des experts. L’idée de s’entretenir avec de simples citoyens était nouvelle, mais la Banque du Canada l’a ensuite empruntée à la Réserve fédérale. Je trouve fascinante la façon dont les deux entités se parlent, mais se comprennent parfois mal.

C’est une mesure vraiment constructive. Nous avons vu, comme je l’ai dit, le public perdre confiance dans les institutions, ce qui est très inquiétant. En démocratie, les citoyens doivent avoir confiance en leurs institutions publiques. Dans ce contexte, c’est un progrès que les banques centrales se rendent compte qu’elles doivent porter une certaine attention et se renseigner non seulement sur l’opinion des experts, des économistes ou des marchés financiers, mais aussi sur l’avis de la population, et il faut poursuivre dans cette voie. Il ne s’agit pas de soumettre au vote public chaque décision sur les taux d’intérêt, mais il est intéressant de tâter le pouls et de voir ce qui se passe. Qu’est-ce qui en découle? J’ai demandé aux membres de la Banque du Canada ce que ces consultations donnaient. Ce n’est pas clair, concrètement, mais cela fait partie de la discussion.

À la Réserve fédérale, par contre, Powell a été fortement influencé par ce qu’il entendait sur le terrain, et ce qu’il a entendu, c’est que les politiques de taux d’intérêt de la Réserve fédérale, surtout si elles ralentissaient brusquement une économie en ébullition, avaient des répercussions très importantes sur la répartition. En particulier, les communautés racisées sont beaucoup, beaucoup plus touchées. Elles profitent de la vigueur de l’économie et elles souffrent de sa paralysie. Il a vraiment pris la chose à cœur, et cela a joué un rôle dans certains des changements qu’il a apportés. Encore une fois, il est possible que ces discussions finissent par percoler.

La présidente : Nous avons entendu le témoignage de M. Galbraith, dont vous connaissez sûrement le travail. Il a fait remarquer, en partie à la blague, mais pas vraiment, qu’à cause de la transparence qui existe dans le système fédéral américain, où il faut rendre des comptes et prendre la parole publiquement pour répondre des mesures prises — vous avez dit un mot de la responsabilité politique —, on nomme un type différent de gouverneur ou de président parce qu’ils ont cette responsabilité qui est exercée en public et non en coulisses. Êtes-vous d’accord pour dire que s’il y avait un tel niveau de reddition de comptes, si les responsables devaient tenir compte de ce qu’ils ont entendu ou, à tout le moins, expliquer ce qu’ils ont fait de ce qu’ils ont entendu, cela nous donnerait un autre niveau de responsabilisation?

Mme Best : Voilà une question vraiment intéressante.

Même aujourd’hui, de toute évidence, le gouverneur de la Banque du Canada doit exceller en communication, en partie parce qu’il doit s’appuyer... Les gouverneurs essaient de moduler les attentes et d’établir leur crédibilité. Leurs propos peuvent influencer les marchés, particulièrement aux États-Unis, mais au Canada aussi, je crois. Nous l’avons vu. Ils sont toujours très compétents en matière de communications.

La question de la transparence est intéressante. Ellen Meade a mené une étude, peut-être avec un collaborateur, sur ce qui s’est passé aux États-Unis. On y enregistrait toutes les réunions, sans que les intéressés le sachent vraiment. Pour les chercheurs comme moi, cela a été une mine d’or. On peut revenir en arrière et prendre connaissance des échanges, comme quand Volcker parlait de ce qu’il y avait lieu de faire ou quand on a renoncé au monétarisme. Il est possible de lire le compte rendu de cette réunion. Mais l’étude dit que, une fois les intéressés conscients du fait que leurs propos étaient enregistrés et publiés, la nature des échanges a changé. Il y a peut-être là un compromis. On risque d’être moins franc si tout est enregistré. Que le vote soit connu, c’est une chose; qu’on connaisse exactement les propos qui ont été tenus, c’en est une autre. Il vaut la peine de discuter des diverses modalités de la transparence et de leurs répercussions sur la nature des délibérations.

La présidente : Je ne parle pas d’enregistrer les réunions et de les publier, mais d’expliquer les suites données à ce qu’ils ont entendu.

Le sénateur Yussuff : Pour poursuivre dans le même ordre d’idées, la banque fait beaucoup de bonnes choses en discutant avec des institutions de partout au Canada pour connaître leurs réactions, recevoir leurs conseils, recueillir des points de vue différents sur ce qui se passe et dont elle n’est pas forcément au courant. Mais cela ne devrait pas se faire de façon ponctuelle. Après tout, il s’agit d’une institution importante pour les Canadiens et pour l’économie en général. Son mandat ne devrait-il pas être un peu plus clair? Cela lui donne de la légitimité, mais cela permet également aux Canadiens de participer à son important travail. Nous essayons de définir le mandat de façon à offrir plus de certitude à la banque. Quant au rôle des hommes et femmes politiques, il ne faut pas blâmer la banque ni la pointer du doigt. C’est une cible trop facile, puisqu’elle ne peut pas se défendre. On s’attend à ce que les institutions se portent à la défense de la banque.

Personne d’autre n’a la capacité de faire ce que fait la banque au Canada, et c’est une institution très mystérieuse pour la plupart des simples citoyens. Ne serait-il pas bon que le mandat invite la banque à discuter avec les simples citoyens parce que cela pourrait l’éclairer? Voici ce qu’on s’est fait dire aux États-Unis : « Excusez-moi, mais on ne peut pas tout simplement fermer une économie en effervescence; on va toucher une certaine population qui est déjà marginalisée au départ. Pensez-y. » La banque a évidemment réfléchi à la question et a trouvé la meilleure façon de tenir compte du problème.

Pensez-vous que cela devrait faire partie du mandat de la Banque du Canada, s’il devait y avoir un nouveau mandat? Ce sont des éléments qui devraient être intégrés au mécanisme de la banque et à sa responsabilité.

Mme Best : Sans être tout à fait précise quant à la forme que cela pourrait prendre, vous pourriez certainement parler d’une façon ou d’une autre de la possibilité de se renseigner sur ce que pense le grand public. Je crois que la Banque du Canada a organisé des groupes de discussion et des consultations au niveau local.

La Réserve fédérale continue de le faire de façon constante. Comme elle a une structure locale, elle fait appel à ses conseils régionaux pour poursuivre les échanges. Cette pratique lui a été utile.

La présidente : C’est très utile, au moment où nous réfléchissons aux opinions que le comité pourrait exprimer.

Le sénateur Loffreda : Je m’intéresse simplement aux nouvelles tendances et aux nouveaux risques. Comment voyez-vous la montée des monnaies numériques des banques centrales influer sur l’efficacité et la mise en œuvre de la politique monétaire du Canada? Quels sont les risques les plus importants? Certaines banques centrales — par exemple, en Europe, la BCE est rendue à la phase de préparation d’un euro numérique... La Chine continue de déployer plus largement les essais en vue d’implanter un yuan numérique. Les États-Unis ont fait preuve de prudence, mais ils préconisent des innovations en matière de paiements pilotées par le secteur privé plutôt qu’un dollar numérique émis par l’État. Qu’en pensez-vous? C’est une question importante à laquelle nous devrons un jour nous attaquer.

Mme Best : Je ne suis pas une experte. Je n’ai pas approfondi la question, mais les banques centrales vont s’en occuper. Elles s’y sont intéressées, au départ, lorsque nous avons eu l’idée de la cryptomonnaie Libra. Je me suis dit que si Facebook créait une monnaie, c’était quelque chose de très grave. Ce qu’il faut craindre, c’est que la capacité des banques centrales de contrôler les taux d’intérêt et la masse monétaire soit potentiellement menacée si une très importante monnaie a cours qui ne soit pas rattachée à un État. Cela dit, la question sera certainement étudiée. Je ne suis pas une spécialiste, mais nous entendrons beaucoup parler de ces monnaies dans les années à venir.

Le sénateur Loffreda : Croyez-vous que la Banque du Canada pourrait s’attaquer à ces problèmes dans le cadre actuel?

Mme Best : Je dirais que le phénomène est mondial. L’essentiel, c’est d’examiner les pratiques exemplaires à l’échelle mondiale et de suivre les débats qui ont lieu. Nous n’avons pas à être des pionniers. Il serait très utile d’étudier ce que font les autres banques centrales et de voir ensuite quelle est notre meilleure stratégie pour l’avenir.

La présidente : Merci beaucoup. Il est merveilleux pour nous de trouver quelqu’un qui manifeste autant d’enthousiasme pour cette question, Mme Jacqueline Best, qui est professeure titulaire à l’École d’études politiques de l’Université d’Ottawa et fait un travail universitaire considérable dans ce domaine. Merci.

Nous poursuivons notre séance avec le deuxième groupe de témoins. Nous avons le plaisir d’accueillir en personne les témoins suivants : de Statistique Canada, Jennifer Withington, statisticienne en chef adjointe, Statistique économique; Brenda Bugge, directrice, Division des comptes économiques nationaux; Matthew Hoffarth, directeur adjoint, Division des comptes économiques nationaux; Matthew MacDonald, directeur, Division des prix à la consommation.

Vous avez la parole, madame Withington.

Jennifer Withington, statisticienne en chef adjointe, Statistique économique, Statistique Canada : Merci de nous avoir invités à venir vous parler.

[Français]

Je m’appelle Jennifer Withington et je suis statisticienne en chef adjointe par intérim, Statistique économique, Statistique Canada. Je suis accompagnée de mes collègues Matthew MacDonald, directeur, Division des prix à la consommation, et Brenda Bugge et Matthew Hoffarth, Division des comptes économiques nationaux.

Statistique Canada joue un rôle essentiel dans le soutien du cadre de la politique monétaire du Canada en fournissant des données économiques actuelles fiables et de grande qualité.

Nous mesurons l’inflation, la croissance économique et les conditions du marché du travail. Ce sont des données fondamentales qui permettent aux Canadiens, aux décideurs et aux institutions comme la Banque du Canada de prendre des décisions éclairées qui ont une incidence sur l’économie nationale.

[Traduction]

Un apport important est l’indice des prix à la consommation, ou IPC, qui est l’un des nombreux indicateurs statistiques qui nous aident à mieux comprendre l’économie. Ces dernières années, la mesure de l’inflation a été très d’actualité, et nous avons déployé des efforts considérables pour nous assurer que tous les utilisateurs, des décideurs jusqu’au grand public, comprennent ce produit et ses applications. Nous communiquons au moyen de webinaires, de balados, de séances d’information, des médias sociaux et d’autres outils de sensibilisation, ce qui rend nos données claires et accessibles à tous. Cette approche aide les Canadiens et les décideurs à comprendre la pertinence et l’exactitude de nos données.

Les données sur le marché du travail, qui saisissent la dynamique changeante des niveaux d’emploi, des tendances salariales et des taux de participation à la population active, sont tout aussi importantes. Elles mettent en lumière les changements sectoriels, les répercussions démographiques et les différences entre régions. À l’heure actuelle, le marché du travail du Canada demeure résilient, même si nous observons des changements dans l’ensemble des industries à mesure que les employeurs et les travailleurs s’adaptent aux pressions économiques.

En fournissant des renseignements précis et à jour sur l’inflation, les marchés du travail, la production économique et la dette, Statistique Canada aide les décideurs, les entreprises et les Canadiens à s’y retrouver dans un contexte économique complexe. Nous sommes déterminés à faire en sorte que nos données demeurent transparentes, fiables et pertinentes dans l’intérêt de tous les Canadiens. J’ai hâte de répondre à vos questions.

La présidente : Avant de passer aux questions, pourriez-vous nous donner quelques descriptions techniques? La banque parle de ses mesures préférées de l’inflation fondamentale, qui exclut certaines des composantes les plus volatiles. Y a-t-il une catégorie distincte pour elle? La constituez-vous pour elle ou choisit-elle elle-même les éléments à écarter?

Mme Withington : Nous avons un certain nombre de définitions. Je vais commencer, et Matthew MacDonald pourra compléter. Nous avons quelques mesures : IPC-tronq, qui élimine les valeurs aberrantes dans les changements de prix pour obtenir quelque chose de plus concis; IPC-méd, qui place le taux d’inflation autour de la médiane, le 50e percentile; et IPC-com, qui suit les variations de prix courantes dans les catégories de l’IPC. Ce ne sont là que quelques-uns des principaux indices. Nous avons également des indices qui excluent les composantes volatiles, ainsi qu’un IPC qui exclut les frais d’intérêt sur les prêts hypothécaires.

La présidente : Vous le faites donc pour elles, et elles viennent prendre...

Mme Withington : Oui, exactement.

Le sénateur Massicotte : Par ailleurs, lorsque la Banque du Canada publie son rapport trimestriel, laquelle de vos définitions utilise-t-elle?

Mme Withington : Elles sont... je suppose que cela dépend de... je pense qu’elle utilise différentes définitions pour sa politique monétaire.

Le sénateur Massicotte : [Difficultés techniques]

La présidente : Non. Je demandais simplement si la banque avait fait sa propre évaluation à ce sujet ou si cela lui avait été fourni.

Mme Withington : Je pense que ces définitions ont été établies par la Banque du Canada. C’est un peu comme aller au restaurant où, vous savez, nous avons un menu. Nous pouvons leur dire quels sont les ingrédients et comment nous les préparons. Nous avons la responsabilité de faire ces choses, mais essentiellement...

La présidente : Excellent. Merci.

Le sénateur Loffreda : Je remercie les témoins de Statistique Canada de leur présence.

Ma question porte sur les lacunes et les défis en matière de données. Nous disons toujours que celui qui possède les données possède l’avenir. Nous prenons des décisions basées sur des données et des faits précis. Statistique Canada a-t-il relevé des lacunes importantes dans les données relatives à la politique monétaire, et quelles sont les mesures prises pour remédier à ces lacunes? Comment Statistique Canada prévoit-il tirer parti des données massives et de l’analytique avancée pour améliorer la granularité et l’actualité des données économiques pertinentes pour la politique monétaire?

Mme Withington : En ce qui concerne les lacunes en matière de données pour la Banque du Canada, nous travaillons en étroite collaboration avec la Banque pour nous assurer que nous répondons à ses besoins en matière de données. Par exemple, pendant la période de forte inflation des prix, lorsqu’elle examinait ses modèles, nous lui avons fourni beaucoup plus de renseignements sur les prix à la production et d’autres domaines pour lesquels elle avait besoin de ces renseignements. Comme je l’ai indiqué dans ma déclaration préliminaire, les principaux éléments examinés sont les prix à la consommation et la production économique, ainsi que le marché du travail. Nous essayons de rassembler davantage de renseignements au fur que l’économie évolue. Par exemple, nous disposons de plus de renseignements sur l’IA et d’autres domaines susceptibles de présenter un intérêt, mais c’est en collaborant avec la Banque du Canada que nous découvrons ses lacunes en matière de données. En tant qu’utilisateur important, nous essayons de combler ces lacunes dans la mesure du possible.

Le sénateur Loffreda : Sont-elles fréquentes?

Mme Withington : Nos rencontres avec la Banque du Canada?

Le sénateur Loffreda : En fait, les deux. Et les lacunes dans les données.

Mme Withington : Nos rencontres avec la Banque du Canada sont fréquentes. Au niveau opérationnel, nous procédons à des analyses rétrospectives. Nous rencontrons régulièrement la Banque et nous répondons également à certaines questions contextuelles concernant nos données, ou peut-être des révisions et certains événements économiques qui ont pu se produire.

Pour faire suite à cette question, les lacunes statistiques économiques sont-elles fréquentes? La Banque du Canada est toujours à la recherche d’une plus grande granularité. Nous nous efforçons toujours de fournir cette granularité. Je ne sais pas s’il y a quelque chose en particulier qui...

La présidente : Voulez-vous ajouter quelque chose, madame Bugge?

Brenda Bugge, directrice, Division des comptes économiques nationaux, Statistique Canada : C’est l’un des défis à relever pour mesurer l’économie, en particulier après une pandémie et pendant une pandémie. De nouvelles lacunes dans les données sont apparues. Nous avions des lacunes dans la chaîne d’approvisionnement. Nous avons eu quelques difficultés à obtenir des réponses à nos enquêtes. Nous avons pu gérer ces problèmes en travaillant avec nos partenaires, comme la Banque du Canada, ou avec nos autres utilisateurs. Nous sommes très ouverts avec toutes les méthodes que nous utilisons pour estimer les composantes de notre production. En travaillant en étroite collaboration avec la Banque du Canada, nous avons pu trouver d’autres moyens de combler ces lacunes en matière de données. Par exemple, si l’une de nos enquêtes sur la construction de bâtiments avait pris un peu de retard pendant la pandémie, nous examinions les indicateurs de la main-d’œuvre pour nous aider à combler ce manque de données, et cela vient en partie de la collaboration, comme Mme Withington l’a mentionné, grâce à des rencontres fréquentes avec la Banque du Canada ou avec n’importe lequel de nos utilisateurs lorsque nous examinons nos méthodes.

La présidente : Vous êtes tous impatients d’intervenir, alors monsieur MacDonald, allez-y.

Matthew MacDonald, directeur, Division des prix à la consommation, Statistique Canada : Pour ce qui est de l’IPC, peut-être, nous n’avons pas l’impression d’avoir des lacunes majeures en matière de données à ce stade. Nous couvrons la majorité des dépenses importantes des ménages.

En ce qui concerne l’exploitation des données massives, nous avons fait des progrès considérables ces dernières années dans le cadre de l’IPC en intégrant les données sur la vente au détail et en utilisant l’apprentissage automatique pour classer ces renseignements, les coder de manière appropriée et les exploiter autant que possible aux fins de la mesure de l’inflation, et nous utilisons également beaucoup de techniques de moissonnage du Web et d’interfaces automatisées pour des domaines tels que l’hébergement et le transport aérien, et ainsi de suite. Nous nous intéressons donc de plus en plus aux données massives.

La présidente : Monsieur Hoffarth, vous pouvez tout aussi bien intervenir.

Matthew Hoffarth, directeur adjoint, Division des comptes économiques nationaux, Statistique Canada : Je répondrai à cette question en me vantant de l’une des lacunes que nous avons comblées pendant la pandémie. Nous avons la répartition des comptes économiques des ménages. Comme nous le savons, les changements de taux d’intérêt ne touchent pas tous les ménages de la même manière. Dans nos comptes macroéconomiques, nous aurions l’épargne et la consommation des ménages, ces grands agrégats, qui reflètent une grande partie de ce qui se passe sous la surface. Nous avons été l’un des premiers pays à produire non seulement des répartitions annuelles par quintile de revenu, par groupe d’âge, par génération, mais aussi à le faire sur une base trimestrielle. Cela a permis, au cours de la pandémie, de mettre en évidence certaines inégalités de revenus et de richesses dues au fait que les revenus ne sont pas distribués de manière égale à tout le monde.

La présidente : Merci.

[Français]

Le sénateur Gignac : Bienvenue aux témoins. Comme vous devez vous en douter, j’ai été un utilisateur des données de Statistique Canada pendant plusieurs décennies et je continue maintenant de l’être à titre de sénateur. Merci pour ce que vous faites.

J’ai deux questions. Premièrement, pouvez-vous nous parler de vos consultations? Consultez-vous des économistes sur une base régulière? Avez-vous des rencontres avec vos homologues de l’OCDE? Y a-t-il des rencontres annuelles et des échanges de méthodologies? La situation évolue et l’économie change. Évidemment, il y a des façons de mesurer cette évolution. Pouvez-vous nous parler un peu de gouvernance? J’aurai une seconde question plus pointue par rapport à la Banque du Canada.

Mme Withington : Je vous remercie de la question. En effet, nous sommes présents aux différentes réunions pour discuter avec les autres économistes.

[Traduction]

Je préside actuellement le Groupe de travail sur la comptabilité nationale de l’OCDE et je fais partie du Groupe consultatif d’experts sur les comptes nationaux et du Groupe d’experts sur les comptes nationaux. Nous avons également notre propre forum international, comme le groupe d’Ottawa, où nous invitons des experts du monde entier à discuter des prix. Mme Bugge et M. MacDonald font également partie d’un certain nombre de groupes de travail d’experts techniques, et Brenda est membre du Groupe de travail sur la comptabilité nationale. Une grande partie de notre travail consiste à discuter des différentes questions conceptuelles concernant les prix, les comptes nationaux et avec nos homologues du monde du travail.

Le sénateur Gignac : Je ne sais pas s’il s’agit d’une critique, mais j’aime le fait que, par exemple, l’interruption de l’inflation par la Banque du Canada est une mesure assez différente de celle des États-Unis. À l’heure actuelle, du moins pour les 12 derniers mois, la majeure partie de l’inflation au Canada provient de l’immobilier, mais l’approche est différente aux États-Unis. Certains ont mentionné que nous avions peut-être surestimé l’inflation au Canada. Pourriez-vous nous en dire plus? Est-il possible que vous suiviez l’exemple des États-Unis, ou est-ce aux États-Unis de faire comme nous?

Mme Withington : C’est une excellente question.

Nous mesurons le logement différemment des États-Unis. Nous utilisons un coût de renonciation pour le logement. Au moyen de nos groupes, nous avons examiné les différentes options et, à l’heure actuelle, en raison de la nature de l’économie canadienne, nous avons estimé que notre mesure était bonne. Nous suivons les normes internationales tant pour les comptes macroéconomiques que pour les prix. Nous proposons également un IPC excluant les intérêts hypothécaires.

M. MacDonald : La mesure du logement est assez complexe. C’est probablement l’un des aspects les plus compliqués d’un indice des prix à la consommation, et il n’existe pas de norme internationalement reconnue. Il existe probablement quatre méthodes différentes.

Comme Mme Withington l’a décrit, nous utilisons une variante de ce que l’on appelle l’approche axée sur le coût d’usage, qui est essentiellement le coût de possession et d’exploitation d’un logement. Nous pensons que c’est la meilleure mesure pour le Canada, car, ici, nous avons une sorte d’IPC universel. Cette approche permet de répondre à de multiples besoins. Ces multiples besoins se répartissent en deux catégories, soit la détermination de la politique monétaire, soit l’augmentation des revenus.

Les États-Unis en sont un bon exemple. Ils utilisent ce que l’on appelle une équivalence locative, c’est-à-dire qu’ils associent le coût du logement à ce que serait le loyer du marché pour une maison particulière, mais ils ne le font pas à des fins de politique monétaire. Ils le font pour augmenter leurs revenus. Aux fins de leur politique monétaire, ils utilisent un déflateur, un indice de prix issu de leur système de comptabilité nationale.

Le sénateur Gignac : Même si je suis économiste, la Banque du Canada me laisse perplexe. Pendant 15 ans, elle a utilisé ce qu’elle appelait IPCX, puis soudainement, il y a six ou sept ans, elle l’a abandonné et a adopté trois mesures, et deux ans plus tard, elle en a abandonné l’une des trois, la mesure commune, parce qu’elle ne fonctionnait pas. Il est intéressant de noter que l’ancienne mesure IPCX réagissait plus rapidement à l’accélération de l’inflation et plus rapidement à la baisse des taux d’intérêt. C’est intéressant. Certains ont indiqué que si nous nous en tenons à la mesure précédente de l’inflation sous-jacente, nous aurons peut-être une meilleure mesure que celles que la Banque a adoptées il y a six ans. Pensez-vous qu’il soit préférable pour la Banque du Canada de revenir à la mesure précédente plutôt qu’à celle qu’elle applique maintenant?

M. MacDonald : Je ne veux pas commenter l’utilisation de la Banque du Canada, mais permettez-moi d’expliquer la situation avec laquelle nous composons au Canada. Nous disposons d’une mesure globale de l’IPC, mais nous en produisons plusieurs variantes, soit l’IPC moins les denrées alimentaires, l’IPC moins l’énergie, moins l’essence, et même moins les intérêts hypothécaires. Nous produisons également les trois mesures privilégiées de l’inflation de base conçues par la banque, mais nous effectuons les calculs et nous les publions. Il s’agit d’une série d’indicateurs qui font partie de la boîte à outils des décideurs politiques et des utilisateurs en général pour évaluer l’inflation, mais en fin de compte, les utilisations de l’IPC sont toutes fondées sur « tous les éléments ». Certains pays ont progressé dans une autre direction en utilisant différentes mesures de l’IPC à des fins différentes.

La présidente : Merci.

La sénatrice Ringuette : Ma question est une bonne question complémentaire. Vous avez parlé d’un menu, mais tout bon restaurant qui veut s’établir pour un bon moment révisera son menu et comprendra que sa clientèle a des goûts qui évoluent. Les biens et services qu’un ménage achète évoluent. Comment intégrer cette évolution dans votre IPC?

M. MacDonald : Vous faites référence à ce que nous appelons une mise à jour du panier, où nous mettons à jour les modèles de dépenses de consommation et les biens et services. Traditionnellement, cela se faisait sur un cycle de cinq ans, mais depuis, ce cycle est passé à deux ans. Depuis la pandémie, nous sommes passés à un cycle annuel de mise à jour du panier. Nous sommes l’un des leaders internationaux dans ce domaine. Nous sommes très attentifs aux nouveaux modèles de dépenses et nous intégrons les nouveaux biens et services dans l’indice le plus rapidement possible.

La sénatrice Ringuette : Cela concerne-t-il tous les niveaux de revenus? Il s’agit également d’une excellente variante.

M. MacDonald : C’est exact. L’IPC est une moyenne des dépenses de tous les Canadiens. Nous utilisons une source de données fondée sur une enquête sur les dépenses des ménages ou sur les dépenses du système de comptabilité nationale. Certaines cohortes de la population peuvent avoir des habitudes de dépenses qui diffèrent légèrement de la moyenne canadienne, mais, dans l’ensemble, nous couvrons la majorité des dépenses des Canadiens.

La sénatrice Ringuette : Mais en faisant cela et en maintenant votre ligne de démarcation pour évaluer l’inflation et le coût, et ainsi de suite, êtes-vous toujours en mesure d’améliorer les biens que les ménages utilisent et de maintenir la norme, la ligne de base, à des fins de comparaison? Vous y arrivez?

M. MacDonald : C’est exact, oui. Non seulement nous mettons à jour les poids, mais nous mettons aussi à jour les produits, les biens et les services qui entrent sur le marché. Avec l’évolution de la technologie, nous avons introduit les tablettes et les téléphones intelligents, et d’autres biens qui sont devenus obsolètes ont été abandonnés, ou de nouveaux services qui émergent, nous les intégrons. Si les dépenses sont suffisamment importantes, nous les intégrons dans le panier.

Mme Withington : À mesure que les ordinateurs deviennent plus puissants, nous ajustons le prix, alors nous comparons des pommes avec des pommes, de sorte que c’est ce que nous appelons les mouvements de prix purs.

La sénatrice Ringuette : Êtes-vous la seule institution nationale à le faire chaque année?

M. MacDonald : Je pense qu’il y en a quelques autres pas très loin derrière, mais nous sommes un leader international dans ce domaine, oui.

La sénatrice Ringuette : Parfait. Merci.

Le sénateur Varone : Dans le même ordre d’idées, j’ai déjà posé cette question, mais je vais entrer dans les détails : la réduflation. Je viens d’une époque où j’achetais plus, je payais moins, je bénéficiais de rabais sur le volume, et maintenant j’achète moins, je paie la même chose, et ma boîte de céréales est passée de 560 grammes à 495 grammes. Avant, je ne pouvais mettre qu’un seul muffin Tim Hortons dans le sac qu’ils vous donnent, et maintenant j’y mets un muffin et deux beignes parce qu’ils ont tous rétréci. Le papier hygiénique est passé de trois à deux épaisseurs, et une boîte de pâtes de 450 grammes à 310 grammes. Comment en tenez-vous compte? Comment saisir ce phénomène et créer des statistiques à partir de ces données?

M. MacDonald : Nous tenons compte de la réduflation, en particulier dans le secteur alimentaire. Ce que l’on a appelé récemment la réduflation est ce que nous appelons l’ajustement des quantités, que nous pratiquons depuis des décennies. C’est une pratique essentielle pour mesurer les mouvements de prix purs. Il faut s’assurer de mesurer la même quantité et la même qualité au fil du temps. Nous disposons d’un échantillon fixe de produits alimentaires que nous mesurons et, outre les prix, nous recueillons également les descriptions et les renseignements relatifs à la taille et au poids, en fonction du produit alimentaire. Lorsque nous comparons tout cela d’un mois à l’autre, nous vérifions s’il y a des différences dans ces détails et nous procédons à des ajustements en conséquence. Par exemple, si la quantité a diminué, mais que le prix est resté le même, nous mesurerons cela comme une augmentation de prix dans l’IPC.

Le sénateur Varone : Et ensuite : la mercantiliflation. La cupidité des entreprises. Existe-t-il un mécanisme permettant de saisir ce phénomène, ou est-il inclus dans les statistiques globales? C’est la deuxième option?

M. MacDonald : Cela ressort dans les statistiques globales. Nous mesurons les prix de la consommation finale. Tous les effets cumulatifs ou les facteurs qui entrent en ligne de compte dans les prix à la consommation sont intégrés au prix. Il est difficile de distinguer si, pour une augmentation particulière des prix de 10 %, par exemple, une certaine proportion est attribuable aux chaînes d’approvisionnement ou une certaine proportion est attribuable à ce que l’on appelle la mercantiliflation, etc.

La présidente : Ou un gel en Californie.

Le sénateur Yussuff : Tout d’abord, permettez-moi de vous remercier pour l’excellent travail que vous accomplissez. Dans mon ancienne vie, je lisais vos données tous les mois parce que je devais faire des commentaires sur l’assurance-emploi, le chômage des jeunes, la croissance des salaires, et j’en passe. Les données que vous avez produites ont été d’une valeur inestimable, car elles m’ont donné une feuille de route pour la conversation.

Compte tenu de l’inflation et de ce que la banque a dû faire rétrospectivement pour appliquer sa politique monétaire à la lutte contre l’inflation, avez-vous été en mesure de tout apprendre, qu’il s’agisse d’un problème de demande ou d’un problème d’offre? C’est une question fondamentale. Quelles sont les causes de l’inflation? Tout le monde a dit que nous avions un énorme défi à relever après la pandémie. Aux États-Unis, les données suggèrent de différentes manières que la politique monétaire n’a pas beaucoup contribué à réduire l’inflation, car les États-Unis ont libéré des réserves de pétrole, et l’inflation a chuté. Quelles leçons pouvons-nous en tirer, et avez-vous entrepris d’informer le public? Si nous voulons faire confiance à notre institution, la Banque du Canada, dans ce rôle, que pouvons-nous apprendre de ses actions?

Dans le prolongement de ce que vient de dire mon collègue, nous savons statistiquement que les entreprises font énormément d’argent. Les données relatives aux marges bénéficiaires sont là. Pourtant, dans le contexte de la lutte contre l’inflation, il a toujours été question d’augmenter les taux d’intérêt pour maintenir l’inflation sous contrôle, mais d’un autre côté, les marges bénéficiaires de ces entreprises n’ont pas diminué en raison des problèmes de chaîne d’approvisionnement. Comment pouvons-nous expliquer cela aux Canadiens pour que cela ait du sens? Les citoyens sont quelque peu frustrés par le fait que, malgré la baisse de l’inflation, leur sac d’épicerie est plus petit. À qui peuvent-ils imputer le problème?

Mme Withington : Tout d’abord, il existe une perception selon laquelle, bien que l’inflation ait ralenti, les prix restent élevés. Ils continuent d’augmenter, mais à un rythme plus lent.

En ce qui concerne votre question sur la demande et l’offre, lorsque nous produisons nos résultats, nous essayons de fournir un contexte économique pour les différents mouvements. Par exemple, nous avons vu des problèmes de chaîne d’approvisionnement qui ont eu une incidence, par exemple, sur l’industrie automobile. Dans le même temps, on observe également une augmentation de la demande. Par exemple, dans le cas des voyages organisés, lorsque les gens ont pu à nouveau voyager, nous avons constaté une augmentation des prix. Il s’agit d’une combinaison de différentes variables.

Pour ce qui est de la rentabilité, les comptes économiques nationaux sont une structure, et nous examinons donc tous les différents composants. Nous examinons l’offre, la demande et les bénéfices des entreprises dans le même contexte. Il est parfois difficile d’effectuer une analyse univoque, de dire que ceci a causé cela, mais nous essayons de fournir toutes les informations contextuelles.

Mme Bugge : C’est l’un des avantages de compiler le PIB dans le même domaine que l’IPC. Lorsque nous travaillons sur le PIB, nous faisons appel à de nombreuses sources de données. Je nous compare toujours à des intégrateurs de données. Une personne a dit un jour que nous étions le pire casse-tête Sudoku jamais vu, car nous devons faire en sorte que toutes les pièces s’emboîtent les unes dans les autres. Si nos chiffres commerciaux indiquent qu’un certain nombre de voitures franchissent la frontière, nous nous assurons alors que la demande existe, pour que ces voitures soient achetées ou que nous les mettions en stock. Je pense qu’il s’agit là d’un aspect fondamental ou de base pour disposer de statistiques de qualité, car nous ne les compilons pas nous-mêmes. Tout est regroupé pour s’assurer que c’est logique. Nous travaillons étroitement avec l’IPC, mais aussi avec les trois mesures du PIB pour essayer de voir où les choses pourraient déraper.

Comme Mme Withington l’a mentionné, il était difficile de déterminer s’il s’agissait d’une demande ou d’une offre, mais nous avons vu beaucoup de ces répercussions apparaître dans un grand nombre de nos données sources, ce qui signifie que nous avons dû passer plus de temps à essayer de les valider, soit en utilisant une source de données différente, soit en consultant certains de nos collègues. En 2022, nous avons souvent contacté le Bureau of Economic Analysis des États-Unis et l’Office for National Statistics du Royaume-Uni au sujet de leur mesure de l’économie. Ont-ils vu cela dans leur économie? Nous voulions savoir comment ils ont fait pour suivre la situation ou pour ajuster leur système de façon à ce que nous maintenions, non pas à l’interne, mais à l’externe, avec d’autres pays, ce cadre international de mesure de l’économie.

M. Hoffarth : Nous ne mesurons pas nécessairement les effets de la politique monétaire en particulier. Nous mesurons la macroéconomie à l’aide de notre cadre standard et nous espérons qu’en assemblant le casse-tête Sudoku avec précision, la Banque du Canada ou d’autres institutions pourront utiliser ces renseignements pour répondre à la question que vous posez.

Le sénateur Yussuff : En matière d’inflation, il serait erroné de supposer que tout le monde est touché de la même manière. Je crois que vous y avez fait allusion plus tôt. La moitié de la population du pays est constituée de femmes. En ce qui concerne le genre, avez-vous vu des données qui indiquent à quel point la situation des femmes dans l’économie est différente de celle des hommes?

M. MacDonald : Je ne crois pas, non. Nous n’examinons pas nécessairement les choses en fonction du genre. Nous constatons qu’en ce qui concerne les tranches de revenus, la situation est plus difficile parce que les personnes à faible revenu consacrent la majeure partie de leur revenu disponible aux produits de première nécessité, c’est-à-dire à l’alimentation, au logement et au transport, et c’est là que se situe la majeure partie de l’inflation.

Le sénateur Massicotte : Lorsque vous mesurez l’inflation, seriez-vous d’accord avec moi pour dire que, même si tout le monde a une façon différente d’y parvenir, ce qui est important, c’est le changement, l’augmentation. Vous dites que votre système est différent du système américain. Quelle que soit la différence, le résultat est-il le même? S’agit-il d’une augmentation ou d’une diminution? Quelqu’un peut-il m’aider?

M. MacDonald : Vous avez raison de dire que l’IPC est une mesure de la variation des prix, et non des niveaux de prix. Le plus grand défi auquel nous sommes confrontés actuellement est que, bien que l’inflation soit en train de décélérer, les Canadiens et les consommateurs ne le ressentent pas forcément lorsqu’ils font leurs achats, car les prix restent élevés.

Le sénateur Massicotte : Les politiciens disent essentiellement : « Nous avons réduit l’inflation de 2 % », mais cela ne tient pas compte de toutes les augmentations précédentes. Il s’agit franchement d’une manipulation de l’information, car cela donne l’impression que l’inflation a diminuée de 2 %, alors que vous avez perdu 15 % au cours de l’année et demie écoulée. C’est frustrant. Il serait utile que tout le monde utilise le bon langage.

M. MacDonald : La situation est frustrante pour les Canadiens. L’inflation est le taux de variation des prix. Lorsque nous disons que la hausse des prix ralentit, cela ne signifie pas que les prix diminuent. Cela signifie simplement qu’ils continuent d’augmenter à un rythme de plus en plus faible, et c’est ce que montre l’IPC, et c’est ce que nous pensons qu’il se passe.

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup. Vous jouissez d’une réputation phénoménale à l’échelle internationale, alors félicitations à vous et à votre équipe. J’imagine bien quelqu’un prendre cette boîte de céréales, et d’autres choses, et calculer les différences. Je me dis ouf… vous devez avoir beaucoup d’employés. Combien d’employés travaillent à Statistique Canada? Parce que je vous imagine sur le sol en béton en train de mesurer le nombre d’onces.

Mme Withington : Globalement, à Statistique Canada, je crois que nous avons 6 000 ou 7 000 employés. Cela vaut pour tous les sujets.

Le sénateur Massicotte : C’est l’inflation réelle, n’est-ce pas? Ça fait beaucoup de céréales.

Mme Withington : Pour revenir à ce que vous disiez tout à l’heure, il s’agit du cumul de toutes les variations de l’inflation, et c’est ce que les consommateurs ressentent, et nous le comprenons. Nous essayons d’ajouter un contexte à notre analyse en ne nous contentant pas de dire que telle est la variation d’un mois sur l’autre, et telle est la variation sur un an. Nous essayons d’examiner des périodes plus longues. Nous fournissons également un contexte. Par rapport à avant la pandémie, les prix ont augmenté selon telles ou telles proportions, parce que c’est ce qu’ils vivent. Ils ne vivent pas nécessairement d’un mois à l’autre ou d’une année à l’autre.

Pour les prix en général, je pense qu’il y a environ 125 personnes qui travaillent sur l’indice des prix à la consommation et quelques enquêteurs sur le terrain.

Le sénateur Massicotte : Merci.

La présidente : Puis-je revenir à ce que j’ai commencé à dire au sujet de — vous les avez décrits — l’IPC-tronq, l’IPC-méd et l’IPCX. Vous avez parlé de la façon dont vous faites parfois des ventilations, c’est-à-dire ceci moins le pétrole, ceci moins le transport, etc. Je ne sais pas s’il y a des problèmes ici ou si vous êtes autorisé à le dire, mais pourquoi la banque exclut-elle les composantes volatiles qui ont une incidence plus directe sur les gens, comme les coûts de transport ou le mazout domestique? Il me semble que ce sont des éléments fondamentaux.

Mme Withington : Je ne veux pas parler au nom de la banque, mais, en théorie, je pense qu’elle essaie d’examiner les changements de prix sous-jacents. Parce qu’un élément est volatil, il peut changer d’un mois à l’autre. Elle veut déterminer si cette mesure aura des effets à plus long terme.

M. MacDonald : Il est plus avantageux de disposer d’une variété de mesures de base que de n’en avoir qu’une seule, comme par le passé. L’IPC historique moins X éliminait toujours les mêmes éléments, alors que l’IPC-tronq, par exemple, laisse maintenant la distribution des variations de prix décider quels éléments sont éliminés. Ce ne sont pas toujours les mêmes qui sont prélevés pour mesurer ce qui est fondamental, et cela permet d’éliminer cette volatilité, quel que soit le composant.

La présidente : Mais à un moment donné, on examinerait ces enjeux. On examinerait le prix de l’huile de chauffage ou le coût de se rendre au travail en voiture.

M. MacDonald : Nous ne pouvons pas parler au nom de la banque et de ce qu’elle examine, mais d’après les questions qu’elle nous pose, je crois qu’elle examine toute une série d’indicateurs, oui.

Le sénateur Loffreda : Nous avons beaucoup parlé de la façon dont nous mesurons l’économie traditionnelle et l’incidence sur l’inflation, mais avec l’augmentation des produits et services numériques, comment Statistique Canada a-t-il adapté sa méthodologie pour tenir compte de l’évolution des habitudes de consommation et l’indice d’inflation? Comment Statistique Canada s’assure-t-il que ses mesures de l’emploi tiennent compte des réalités de l’économie à la demande, par exemple, où elle est de plus en plus un facteur? Le travail à temps partiel et le sous-emploi peuvent-ils avoir des répercussions importantes sur les décisions de politique monétaire?

Mme Withington : Comme vous pouvez le constater, nous sommes très enthousiastes à l’égard des données. L’évolution de l’économie et de l’économie numérique est très importante pour Statistique Canada. Je pense que nous parlions plus tôt du cadre international. Nous avons mis davantage l’accent sur la mesure de l’économie numérique.

D’une part, nous avons commencé à établir des statistiques mensuelles sur le commerce et les services, car une grande partie de l’économie numérique fait l’objet d’échanges commerciaux. Nous avons amélioré notre mesure du commerce numérique. Nous avons également réalisé des études précises sur l’économie à la demande et la main-d’œuvre, en nous assurant que nous la mesurons correctement. Dans les comptes macroéconomiques, dans la productivité et la mesure de la main-d’œuvre, nous nous assurons de compter le nombre d’emplois, pas seulement le nombre de personnes. Si une personne a trois emplois, nous en tenons compte. Nous avons récemment publié les tableaux des ressources et des emplois numériques, qui présentent la composante numérique de l’économie, parce qu’il est très important de pouvoir la voir séparément et de connaître l’impact de l’économie numérique.

Mme Bugge : Comme Mme Withington l’a mentionné, nous avons les tableaux des ressources et des emplois numériques. Nous sommes des chefs de file mondiaux quant aux TRE numériques. Si nous revenons à l’une de vos questions précédentes au sujet d’un manque de données, nous pourrions considérer l’économie numérique d’il y a des années comme l’une de ces lacunes. À l’époque, lorsque nous avons constaté que le monde évoluait — je crois que c’était en 2018 — nous avions un compte satellite sur l’économie numérique. À l’époque, c’est Matthew qui dirigeait ces travaux, et il s’efforçait en fait de trouver une source de données pour tous ces éléments. Certains d’entre eux sont très difficiles à mesurer, comme la location entre pairs. Nous considérons que cela fait partie de l’économie numérique. Ce n’est pas la mesure d’accommodement traditionnelle. Nous avons dû trouver une autre façon de combler cette lacune en matière de données. Certaines de ces données ont été fournies par des collègues internationaux à qui nous avons demandé comment ils s’y prendraient. À d’autres occasions, il s’agissait davantage de partenaires canadiens. Y a-t-il une source de données que nous pourrions utiliser pour mesurer certains de ces nouveaux éléments?

Si nous prenons l’exemple des produits que nous commandons en ligne — en provenance de n’importe quel pays — nous avons établi un partenariat étroit avec les responsables du commerce des marchandises qui obtiennent de l’ASFC toutes les données relatives aux transactions douanières. Nous travaillons en partenariat avec cette agence pour examiner les importations afin de nous assurer que nous saisissons l’offre quant aux dépenses des ménages. Si quelqu’un passe un contrat avec une entreprise qui n’a pas son siège social au Canada et qui importe des meubles, nous examinons les données commerciales de cette entreprise pour voir quels types de meubles entrent au pays afin de nous assurer que les dépenses de nos ménages correspondent à ces achats.

Le sénateur Loffreda : Merci.

Le sénateur Yussuff : J’ai deux questions très brèves. Statistique Canada et le recensement canadien nous disent que la population du pays change de façon dramatique. Les données seront essentielles pour comprendre comment cette population se porte. Elle a atteint un niveau de diversité sans précédent dans l’histoire du pays, tout en subissant un vieillissement accéléré. Concernant les tendances démographiques significatives que vous mesurez et tenter de signaler à nos élus, à quelle fréquence publiez-vous des données permettant aux institutions d’évaluer notre adaptation à ces réalités? Cela n’est pas négligeable quand près d’un quart de la population est sur le point de prendre sa retraite. Ces gens n’ont pas de revenu. Cela aura un impact majeur sur l’économie. Comment pouvons-nous mesurer cela et comment pouvons-nous fournir des données globales à l’échelle du pays? Ce ne sera peut-être pas la même chose dans certaines provinces, mais cela aura une incidence considérable sur l’économie à l’avenir.

Mme Withington : Je vous remercie de cette question.

Cet enjeu est au cœur de nos préoccupations. Pour l’aborder plus facilement, nous avons notamment mis l’accent non seulement sur le PIB, mais aussi sur le PIB par habitant, car c’est une donnée que les gens veulent davantage prendre en compte. Il s’agit de savoir comment chaque personne se débrouille, et pas seulement l’ensemble de l’économie.

Nous avons également les distributions des comptes économiques des ménages, dont Matt Hoffarth a parlé plus tôt. Cela nous donne beaucoup de données ventilées par groupes d’âge. Il s’agit de la consommation, du revenu, de l’épargne et de la richesse de différents groupes d’âge, ce qui nous permet de voir différentes activités et différentes tendances dans les différents groupes d’âge. Par exemple, nous constatons que la jeune génération — je vieillis peut-être moi-même — est moins endettée. En raison des prix de l’immobilier, les jeunes ne sont pas entrés sur le marché de l’habitation. Nous observons un certain nombre de tendances très différentes selon les groupes de revenus et les groupes d’âge.

M. Hoffarth : Je pense que c’était un excellent résumé. Cela est bien, parce que nous sommes ici depuis un certain temps et que nous n’avons pas avancé un chiffre, alors nous devons citer des statistiques.

Comme je l’ai dit, c’est un excellent produit. Il est réalisé sur une base trimestrielle. Il aide à identifier les ménages financièrement vulnérables. Il le fait par région, par groupe d’âge, par quintile de revenu et par quintile de richesse. Il s’agit d’une source d’information continue qui n’existait pas il y a quelques années dans sa forme actuelle et dans son niveau de détail.

Le sénateur Gignac : J’aimerais vous poser une question, mais n’hésitez pas à me répondre par écrit. Je ne veux pas vous prendre au dépourvu, mais les Canadiens n’ont pas beaucoup confiance en Statistique Canada. Ici, au Sénat, nous sommes indépendants et non partisans, alors ma question est non partisane, mais elle pourrait devenir un sujet au cours de la prochaine année.

Puisque vous êtes ici pour parler d’inflation, quelle est la règle générale pour chaque tranche de 10 $ de taxe sur le carbone? Quel est l’impact sur l’indice des prix à la consommation chaque fois que la taxe sur le carbone augmente de 10 $? Si on élimine la taxe sur le carbone demain pour une raison ou une autre, quel serait l’impact global sur l’indice des prix à la consommation? Nous avons remarqué qu’aux États-Unis, certaines personnes utilisent des faits alternatifs et des exagérations. Nous voulons donc obtenir une réponse directe de Statistique Canada sur ce qui se passera demain si nous n’avons plus de taxe sur le carbone. Quel serait l’impact sur l’IPC ou sur le niveau d’inflation, pour ainsi dire? Si vous avez la réponse, parfait; sinon, envoyez-la-nous par courriel.

M. MacDonald : Ce que nous pouvons peut-être dire, c’est que l’IPC mesure la consommation finale. Cela comprend toutes les taxes d’accise et indirectes, qu’il s’agisse de la TVH, de la TPS, des droits environnementaux et des taxes sur le carbone.

Comme il s’agit d’un indice de la demande finale ou de la consommation finale, nous ne voyons en réalité que l’incidence de la taxe sur le carbone sur quelques composantes, soit l’essence, le gaz naturel et le mazout domestique, jusqu’à ce qu’elle soit exemptée, ce qui ne serait pas un facteur important. Cependant, nous ne sommes pas en mesure d’expliquer l’effet cumulatif dans la chaîne d’approvisionnement, et c’est très complexe avec la taxe sur le carbone. On ne comprend pas vraiment comment ces coûts sont répercutés.

Le sénateur Gignac : Au Québec, nous avons un système de plafonnement et d’échange. Il n’y a pas de taxe sur le carbone. Il s’agit d’un système de plafonnement et d’échange, ce qui aura une incidence différente sur la mesure de l’inflation. L’impact se fait sentir sur la chaîne d’approvisionnement, mais il n’est pas le même que pour l’essence, par exemple.

M. MacDonald : Je ne crois pas que nous l’appliquerions directement dans le cas du système de plafonnement et d’échange, mais il se peut que je doive faire un suivi spécifique quant à votre juridiction.

Le sénateur Gignac : Merci.

Le sénateur Varone : Au risque d’utiliser beaucoup trop d’acronymes, je vais parler d’« inflation des gratifications » par opposition à la « pourboire-flation ». Pouvez-vous suivre l’augmentation rapide des pourboires, qui passent de 8 %, 10 % ou 12 % à un minimum de 18 % et jusqu’à 25 % presque partout où le paiement sans contact est utilisé? Si vous avez cette capacité, est-ce que cela s’applique aux salaires? Est-ce que cela va ailleurs selon vos statistiques? Où tout cela s’inscrit-il?

M. MacDonald : Nous mesurons les pourboires dans nos dépenses de ménages. Lorsque nous demandons aux Canadiens ce qu’ils dépensent dans les restaurants, ils incluent ces pourboires, et le revenu tiré de ces dépenses sera inscrit dans le compte de revenu de nos comptes macroéconomiques.

Nous ne tarifions pas les pourboires. Historiquement, lorsque les pourboires étaient très stables — disons 15 % — si vous prenez une variation de prix, puis ajoutez 15 % à chacun des mois, puis modifiez le prix, le résultat est le même. Si les pourboires sont de plus en plus élevés, cela pourrait être une source d’inflation, mais nous n’avons pas de source de données fiable pour les pourboires. Il y a aussi un argument conceptuel au sujet des pourboires, parce qu’ils ne sont pas obligatoires. Les consommateurs peuvent contrôler leur niveau d’inflation en déterminant le pourboire qu’ils veulent donner.

La présidente : Encore une fois, je vais vous mettre un peu mal à l’aise, mais nous examinons le mandat de la Banque du Canada. C’est l’objet de notre étude. Des questions ont été soulevées au sujet du mandat unique par opposition au double mandat, donc pas seulement de l’inflation, mais de l’emploi. Nous avons abordé beaucoup de sujets aujourd’hui, notamment les nouvelles technologies. Est-ce que le portrait que vous présentez et qu’on demande suffit pour refléter une économie et une société qui sont en plein changement?

Mme Withington : Malheureusement, je ne peux pas vous répondre par oui ou par non et vous dire que c’est suffisant. Il est certain que la société évolue de plus en plus rapidement. Pour répondre à votre question, les changements technologiques se produisent plus rapidement, et nous avons l’intelligence artificielle. Il y a beaucoup de changements différents. Au fur et à mesure que les choses deviennent de plus en plus complexes, il faut probablement envisager les choses sous un angle un peu moins unidimensionnel, alors il nous faudrait continuer à examiner divers aspects. Est-ce suffisant? Nous nous efforçons toujours de fournir plus de contexte, plus de détails, plus d’information, et cela sera nécessaire. Ce que nous devrons examiner demain devra probablement être différent de ce que nous examinons aujourd’hui.

Pour revenir à ce que vous disiez, sénatrice Wallin, pendant la pandémie, les choses que nous avons examinées et les complications que nous avons rencontrées ont été sans précédent, alors je m’attends à ce que cela se poursuive.

La présidente : Cela est utile. Je ne m’attendais pas à un oui ou à un non. Cela est très bien.

Merci beaucoup. Je veux me faire l’écho des commentaires de mes collègues ici présents. Je pense que tout le monde est très respectueux et fier du travail que vous faites, et nous vous en sommes reconnaissants. Nous vous remercions aussi de votre présence aujourd’hui.

Voilà qui met fin à notre réunion. Je remercie encore une fois nos témoins.

(La séance est levée.)

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