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BANC - Comité permanent

Banques, commerce et économie


LE COMITÉ SÉNATORIAL PERMANENT DES BANQUES, DU COMMERCE ET DE L’ÉCONOMIE

TÉMOIGNAGES


OTTAWA, le jeudi 21 novembre 2024

Le Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie se réunit aujourd’hui, à 11 h 39 (HE), avec vidéoconférence, pour examiner, afin d’en faire rapport, le cadre de la politique monétaire du Canada.

La sénatrice Pamela Wallin (présidente) occupe le fauteuil.

[Traduction]

La présidente : Chers collègues, je vous présente toutes mes excuses. Nous éprouvons des difficultés techniques ce matin. Nous avons établi la connexion avec notre premier témoin, mais cela nous a fait perdre beaucoup de temps. Je vous demanderai donc de réfléchir à vos questions et de les formuler de manière aussi concise et ciblée que possible.

Il s’agit de la réunion hebdomadaire du Comité sénatorial permanent des banques, du commerce et de l’économie. Je m’appelle Pamela Wallin, et je suis la présidente du comité. Voici les sénateurs qui sont présents aujourd’hui : le sénateur Loffreda, vice-président, la sénatrice Ringuette, le sénateur Varone, la sénatrice White — une nouvelle membre du comité à qui nous souhaitons la bienvenue —, le sénateur Yussuff, le sénateur Gignac et, enfin, le sénateur Massicotte.

Le 10 octobre, le comité a reçu l’autorisation d’étudier le mandat de la Banque du Canada, le cadre de la politique monétaire, la cible d’inflation et toutes les questions connexes. Nous avons donc le plaisir d’accueillir aujourd’hui M. Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal, qui a travaillé sur ces questions en étroite collaboration avec notre ancienne collègue, la sénatrice Diane Bellemare. Monsieur Fortin, nous vous souhaitons la bienvenue. Je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire à nous faire, alors allez-y. La parole est à vous.

[Français]

Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques, Université du Québec à Montréal, à titre personnel : Le principal objet de mon témoignage de cinq minutes portera sur le mandat législatif qu’il est maintenant souhaitable d’assigner à la banque centrale. Je suis d’avis qu’il est temps de moderniser notre vieille Loi sur la Banque du Canada de façon à clarifier le rôle que l’institution doit jouer.

[Traduction]

La Loi sur la Banque du Canada devrait engager notre banque centrale à viser, d’une part, un taux d’inflation bas et stable et, d’autre part, un niveau d’emploi durable maximal, tout comme le fait la Federal Reserve Act des États-Unis depuis 1977.

Le gouvernement et la Banque du Canada ont toujours déclaré conjointement que « [...] l’objectif central de la politique monétaire demeure le maintien de l’inflation à un niveau bas et stable au fil du temps ». Cependant, leur entente de 2021 est allée un peu plus loin que cette vision apparemment étroite en ordonnant à la banque de favoriser également le niveau d’emploi maximal. Selon l’entente, « [...] la politique monétaire devrait continuer de soutenir l’atteinte du niveau d’emploi durable maximal [...] ». La Banque a accepté de tirer parti de la marge de manœuvre qu’offre sa fourchette de maîtrise de l’inflation, laquelle se situe entre 1 et 3 %, pour établir ce niveau d’emploi idéal — qui est, a priori, incertain — sans avoir à renoncer à son avantage comparatif dans la recherche de la stabilité des prix. Par exemple, elle peut moduler la rapidité du retour à la cible d’inflation de 2 % lorsqu’elle essaie de remettre l’économie sur cette voie en causant le moins de dommages possible à l’emploi.

[Français]

L’entente de 2021 constitue un pas décisif en direction du double mandat qui est en vigueur aux États-Unis. La question qui se pose maintenant est de savoir s’il faut aller plus loin et inscrire le double mandat dans la Loi sur la Banque du Canada elle-même.

[Traduction]

Il y a trois raisons impérieuses de répondre à cette question par l’affirmative : la transparence, la protection et la confiance.

Premièrement, on a besoin de transparence. Il devrait être parfaitement clair pour tous les Canadiens que la politique monétaire, de pair avec la politique budgétaire, doit poursuivre deux objectifs fondamentaux : réduire au minimum l’inflation et le chômage. Étant donné le large consensus sociétal à ce sujet, il faut en faire une règle de base dans le droit canadien.

Deuxièmement, on a besoin de protection. L’enchâssement du double mandat dans la Loi sur la Banque du Canada protégerait mieux le pays contre toute tentative éventuelle, de la part d’autorités politiques mal avisées, de rejeter l’un ou l’autre des deux objectifs — celui de limiter le plus possible l’inflation ou celui de réduire le plus possible le chômage. Il faut donc une protection.

Troisièmement, on a besoin de confiance. Une référence explicite au double mandat dans la loi pourrait accroître la confiance des Canadiens envers leurs banquiers centraux. Ils seraient moins portés à les considérer comme des gens bornés qui sont aveuglément obsédés par un seul objectif, celui de favoriser une inflation minimale, comme semble le croire parfois le commun des mortels. La loi modernisée permettrait aux banquiers centraux d’être les garants du bien-être général de tous les Canadiens, qu’il s’agisse des ménages, des travailleurs, des entreprises ou des financiers. Cela contribuerait à éliminer pour de bon la méfiance à l’égard de l’indépendance de la Banque du Canada et à la remplacer par la confiance et l’estime.

Merci beaucoup.

La présidente : C’est excellent. Je vous remercie beaucoup de votre exposé, monsieur Fortin. Nous allons passer directement aux questions, en commençant par le sénateur Loffreda, notre vice-président.

M. Fortin : Puis-je demander à chacun de parler lentement et clairement parce que j’ai un problème d’ouïe?

La présidente : D’accord. Je demande également à tout le monde de s’en tenir à de brèves interventions. Nous aurons donc droit à des questions très concises aujourd’hui. Je vous remercie.

M. Fortin : J’essaierai d’être bref.

Le sénateur Loffreda : Bienvenue, monsieur Fortin. Le Canada est une nation commerçante, et nous examinons le mandat de la Banque du Canada. Nous avons discuté de nombreuses questions, mais en ce qui concerne les taux de change, la Banque du Canada devrait-elle mettre davantage l’accent sur la gestion des fluctuations des taux de change, compte tenu de leur incidence sur le commerce et sur l’économie en général? Les échanges commerciaux — importations et exportations — représentent plus de 80 % du produit intérieur brut, ou PIB, du Canada.

M. Fortin : Ma réponse courte est non, pas en général — selon l’organisation opérationnelle générale de la politique monétaire. L’objectif de la Banque du Canada — le principal objectif par rapport auquel elle a un avantage comparatif —, c’est de stabiliser l’inflation, ce qui signifie qu’elle doit gérer les taux d’intérêt, et parfois, la modification des taux d’intérêt aura une incidence sur le taux de change. Donc, si l’objectif est de stabiliser le taux de change, la Banque du Canada ne sera plus en mesure d’utiliser les taux d’intérêt pour stabiliser l’inflation. Autrement dit, si l’objectif est la stabilisation de l’inflation, il ne faut pas essayer de stabiliser le taux de change.

Le sénateur Loffreda : J’ai une petite question complémentaire. Je vous remercie de votre réponse. La faiblesse du dollar canadien ne vous inquiète-t-elle pas? L’économie américaine est forte, et nos taux d’intérêt actuels, malgré le dernier taux d’inflation, qui, espérons-le, est temporaire pour de nombreuses raisons... Vous n’êtes pas préoccupé par la faiblesse du dollar canadien et ses répercussions éventuelles sur l’économie? Vous préféreriez que le mandat demeure tel quel?

M. Fortin : Ce sont de bonnes questions. La faible valeur du dollar canadien pourrait inquiéter certaines personnes, surtout les importateurs. Comme c’est le cas pour nous tous lorsque nous consommons, il y a un contenu importé dans ce que nous achetons, et cela a donc une incidence sur le taux d’inflation de l’indice des prix à la consommation, ou IPC. Par contre, il y a des gens qui se réjouissent de la faiblesse du dollar canadien; songeons, par exemple, aux entreprises manufacturières canadiennes qui essaient désespérément de soutenir la concurrence sur les marchés nord-américains. Autrement dit, lorsque le dollar canadien est plus bas, nos entreprises manufacturières sont plus concurrentielles aux États-Unis. La Banque du Canada doit donc faire un choix, c’est-à-dire décider si elle veut stabiliser l’inflation ou stabiliser le taux de change. Si on veut stabiliser l’inflation, il faut accepter la valeur du dollar que dicte le marché.

[Français]

Le sénateur Gignac : Permettez-moi de saluer notre témoin, M. Pierre Fortin, qui est un grand économiste émérite, non seulement au Québec, mais aussi dans tout le Canada. J’ai eu la chance de l’avoir comme professeur lorsque j’ai commencé mes études à l’université.

Monsieur Fortin, pour l’occasion, je vais vous vouvoyer. J’ai deux questions. La première concerne un article que vous avez écrit dans le Globe and Mail, le 3 septembre dernier, où vous suggériez que la Banque du Canada devrait subir une évaluation indépendante de sa politique monétaire. Pouvez-vous nous parler du bien-fondé d’avoir un tel exercice? Parce que je crois qu’il y a d’autres banques centrales qui font cela. J’aurai une autre question ensuite.

M. Fortin : Ma réponse sera courte. Oui, je suis d’accord avec cet objectif et cela pourrait être introduit dans la loi modernisée sur la Banque du Canada, à savoir d’obliger une évaluation externe des opérations de la Banque du Canada par des gens indépendants de la banque. À l’heure actuelle, la banque fait faire une évaluation de ses activités, mais c’est une évaluation interne. Je pense que c’est une question de jugement que vous-mêmes, en tant que sénateurs, devez avoir, à savoir si l’on doit faire faire une évaluation externe indépendante des opérations de la Banque du Canada ou non.

Je suis absolument ouvert à cette possibilité, mais c’est à votre bon jugement de déterminer si la Loi sur la Banque du Canada devrait introduire cela.

Une chose très importante que M. Galbraith vous a dite lors de son témoignage à votre comité, c’est qu’il est essentiel, indépendamment de l’évaluation externe, que la loi indique à la Banque du Canada qu’elle doit se présenter périodiquement et régulièrement devant la Chambre des communes et le Sénat pour expliquer ses opérations. Donc, l’obligation de reddition de comptes régulièrement au Sénat et à la Chambre des communes pourrait être introduite dans la loi.

Le sénateur Gignac : Voici ma seconde question, rapidement. Dans votre allocution d’ouverture, vous avez abordé l’un des trois points de notre étude, c’est-à-dire le mandat; c’était très bien articulé. Cependant, vous avez sans doute une opinion sur le deuxième volet de notre étude spéciale, qui concerne la cible de 2 %. Préconisez-vous que la Banque du Canada poursuive sa cible de 2 %, qui est la même que la Réserve fédérale? Ou devrait-elle réévaluer cette cible, comme l’avait fait l’économiste en chef du FMI, M. Olivier Blanchard?

M. Fortin : En 1990, j’ai écrit un rapport pour l’Institut C.D. Howe disant que l’indice des prix à la consommation devrait être la base de la formulation de la cible. Je n’ai pas précisé le niveau de la cible, mais j’ai en même temps spécifié qu’il fallait donner à la banque une certaine marge de manœuvre. Elle a accepté cette recommandation et la marge de manœuvre, la fourchette cible, est entre 1 et 3 %.

Je suis d’accord pour que cette marge de flexibilité pour la cible soit laissée entre les mains de la Banque du Canada; cela ne doit pas faire partie de la Loi sur la Banque du Canada, tout comme la cible elle-même. À un moment donné, si on décide que la cible doit être de 1 %, ou si elle doit être de 3 % ou 4 %, cela doit faire l’objet d’une entente entre le gouvernement et la banque, pas introduit dans la loi.

[Traduction]

Le sénateur Varone : Je vous remercie, professeur, d’être des nôtres. Ma question est la suivante : nous croyons tous à cet objectif utopique d’inflation zéro et de plein emploi, mais y a-t-il une corrélation entre le plein emploi et la productivité des travailleurs? D’après mon expérience en affaires, et même dans le secteur de la construction, chaque fois que nous avons atteint le plein emploi, la productivité a chuté radicalement parce que nous n’avions pas de solutions de rechange ni de choix. Trouvez‑vous que ce troisième élément, soit la productivité, est quelque chose qui vaut la peine d’être mesuré lorsqu’on parle de plein emploi?

M. Fortin : Bien sûr. La productivité, c’est le nombre de biens et de services que le Canada produit en quantités physiques réelles par heure de travail. Cependant, la corrélation entre le niveau d’emploi et la productivité est très incertaine. J’ai lu toute la documentation sur le lien direct entre le plein emploi et la productivité, et, bien entendu, nous voulons les deux. Nous préconisons une productivité maximale et un emploi maximal, mais il n’est pas vrai qu’un taux de chômage plus faible signifie une productivité supérieure ou inférieure. Les causes de la productivité sont indépendantes du niveau d’emploi, d’après ce que j’ai lu sur le sujet jusqu’à présent. Mais, bien sûr, cela devrait être...

La présidente : Merci beaucoup.

[Français]

La sénatrice Ringuette : Bonjour, monsieur Fortin. Nous sommes heureux que vous soyez parmi nous aujourd’hui. Évidemment, nous sommes bien au courant que vous avez fait vos études avec notre ancienne collègue l’honorable sénatrice Bellemare.

Personnellement, je dois avouer que je suis d’accord avec un double mandat et que je suis pour qu’il soit inscrit dans la loi afin que ce soit protégé de la politique quotidienne qui pourrait se produire à l’avenir.

Vous avez aussi, avec l’honorable sénatrice Bellemare, indiqué que vous aimeriez avoir dans le mandat la consultation avec des experts de l’extérieur de la Banque du Canada. Est-ce que vous pourriez préciser votre pensée là-dessus? Comment le voyez-vous?

M. Fortin : Je ne pense pas que je puisse en dire beaucoup plus là-dessus. La Banque du Canada est une organisation paragouvernementale, au même titre que la Caisse de dépôt et placement du Québec ou l’organisme fédéral qui est l’organisme d’investissement des régimes publics de retraite. Ce sont des organismes qui ont une indépendance relative.

Normalement, les grands objectifs de ces organismes doivent être fixés par le gouvernement. Ultimement, c’est la Chambre des communes et le Parlement qui sont responsables d’organismes comme la Banque du Canada. Cependant, pour que le gouvernement puisse se faire la meilleure idée possible de la qualité des opérations, il devrait pouvoir faire appel non seulement à des experts, mais aussi à des intervenants et à des gens qui subissent les conséquences de cet organisme.

Ultimement, le Parlement et le gouvernement pourront prendre leur décision là-dessus. Cela me semble être une obligation, quand on a un organisme qui a une certaine indépendance des opérations quotidiennes du gouvernement, qu’on fasse une évaluation de sa performance. Évidemment, on ne peut pas la faire faire par l’organisme lui-même — parce qu’il est en conflit d’intérêts — ni par le gouvernement seulement parce que le gouvernement est une partie prenante; il faut donc une indépendance externe.

La sénatrice Ringuette : Merci. Je me suis peut-être mal exprimée parce que ma question ne portait pas sur cette évaluation indépendante externe; ma question concernait surtout la déclaration que vous avez faite avec l’honorable sénatrice Bellemare, où vous disiez, et je cite :

[Traduction]

« [...] la banque centrale devrait s’appuyer davantage sur une expertise externe dans sa prise de décisions. »

[Français]

Cette obligation de consultation devrait-elle faire partie de la loi?

M. Fortin : Oui, je m’excuse, j’étais dans les patates en répondant à votre première intervention. Vous avez parlé d’un autre aspect qui est au sein même de la Banque du Canada, soit celui d’avoir un comité de politique monétaire qui fasse appel à des experts externes, pas seulement à des gens qui ont été élevés à l’intérieur de la Banque du Canada ou qui en font officiellement partie. Cela a été le cas depuis plusieurs années, notamment à la Banque d’Angleterre. J’ai un ami qui est un ancien professeur, Willem H. Buiter, qui était membre du comité de politique monétaire de la Banque d’Angleterre. C’est normal.

Je ne suis pas certain que l’on doit introduire cette obligation dans la Loi sur la Banque du Canada; je laisse cela à votre bon jugement, en interaction avec des conversations que vous pourriez avoir avec les gens de la Banque du Canada eux-mêmes et peut-être même avec des gens de la Grande-Bretagne, qui pourraient vous informer sur l’efficacité de cette institution.

[Traduction]

La présidente : Merci beaucoup. C’est justement ce que nous avons l’intention de faire.

[Français]

Le sénateur Massicotte : Bienvenue, professeur. C’est un honneur de vous avoir parmi nous aujourd’hui. Pour clarifier la question du double mandat, quand j’écoute vos arguments du point de vue de l’inflation et de la définition, je comprends que vous aimez les choses claires, ce qui veut dire que le double mandat n’est pas acceptable, selon votre point de vue, parce que cela complique les choses. Vous avez un choix. Cela me fait penser à l’ancien débat sur la Caisse de dépôt. Pour être clair, il faut choisir et si l’on donne un double mandat à la Banque du Canada, il y aura de la confusion. Les gens vont se demander lequel est le plus prioritaire ou le plus crédible. Pouvez-vous commenter?

M. Fortin : Oui; mon premier commentaire, c’est que cela n’a pas l’air d’avoir embêté la Réserve fédérale américaine, qui a ce double mandat depuis 1977. Avoir un double mandat n’empêcherait pas la Banque du Canada de viser de façon prioritaire, parce qu’elle a un avantage dans le contrôle de l’inflation. Au contraire, elle pourrait garder son indépendance dans la poursuite de cet objectif.

En plus le fait d’améliorer la réputation de la Banque du Canada — ce ne sont pas des gens bornés qui cherchent un objectif de façon obsessive —, permet de confirmer ce que la Banque du Canada a d’ailleurs commencé à faire lorsqu’elle cherche à viser un taux d’inflation ou à ramener le taux d’inflation à 2 %, par exemple. Voilà l’objectif, mais cela lui donne une certaine marge de flexibilité, de 1 à 3 %, pour tenir compte du fait que chaque action qu’elle prend a aussi un impact sur l’emploi.

Elle pourrait accélérer ou retarder l’atteinte de la cible de 2 %, parce que la loi et même l’entente avec le gouvernement ne précisent pas que la Banque du Canada doit atteindre 2 % dans un laps de temps de trois mois, six mois, un an ou un an et demi. Cependant, le double mandat ou le mandat conjoint — c’est d’ailleurs la manière dont a fonctionné la Réserve fédérale américaine — dicte qu’à un moment donné, quand on est dans une situation où le fait de maintenir les taux d’intérêt élevés plus longtemps peut avoir un impact négatif sur l’emploi, on fait attention. On accélère peut-être le retour du taux d’intérêt à un seuil plus bas pour protéger l’emploi.

Je suis d’accord avec vous. C’est compliqué. Mais que voulez‑vous, comme le dirait le plus grand philosophe du XXe siècle en matière de politique, Jean Chrétien : que voulez‑vous? La vie, c’est compliqué et le fait qu’on ait deux objectifs correspond à ce que l’ensemble de la société canadienne pense. On doit avoir le plus faible taux d’inflation possible et le plus faible taux de chômage possible. Cela répond à notre réalité politique, tout simplement.

Le sénateur Massicotte : Merci beaucoup.

[Traduction]

La présidente : Je vous remercie beaucoup de vos réponses ainsi que de vos observations à saveur philosophique.

Le sénateur Yussuff : Merci beaucoup, professeur, d’avoir pris le temps d’être des nôtres ce matin et de nous faire part de certaines de vos réflexions. De toute évidence, si nous voulons avoir un double mandat, nous avons besoin d’un cadre pour consulter les Canadiens à cet égard. Dans ce contexte, je remarque que, selon vous, un tel exercice devrait se faire peut-être par l’entremise d’un organisme externe.

À votre avis, le Parlement est-il la bonne institution pour participer à cette conversation qui pourrait réunir des témoins et des Canadiens afin de savoir comment un double mandat s’est avéré avantageux pour d’autres pays, mais aussi comment nous pouvons nous engager dans cette voie sans perdre de vue l’intérêt du pays et celui des Canadiens en général? Bien souvent, ce sont eux qui souffrent aux mains de la banque lorsque les taux d’intérêt augmentent, et ils doivent composer avec cette réalité. Maintenant, ils peuvent mieux comprendre l’importance de ce dossier et la façon dont cela permettrait à la banque de trouver le bon équilibre dans l’atteinte de ces objectifs.

M. Fortin : Ma réponse, c’est oui. Nos représentants élus au Parlement et nos représentants au Sénat reçoivent des commentaires des gens de leurs circonscriptions respectives sur le genre de situations dont ils souffrent ou dont ils bénéficient. Ces représentants élus doivent faire part des sentiments de leurs concitoyens au Parlement. Il pourrait alors y avoir un échange sérieux et constructif entre le pouvoir exécutif du gouvernement, la Banque du Canada et tous les élus.

C’est la démocratie à son meilleur, et c’est pourquoi je souscris entièrement à l’argument avancé par Jamie Galbraith : en effet, la Humphrey-Hawkins Act aux États-Unis a apporté une modification importante en obligeant la Réserve fédérale à se présenter périodiquement devant le Congrès pour lui rendre des comptes et en discuter. Je ne sais pas au juste à quelle fréquence cela se fait, mais nous pourrions avoir exactement la même chose dans la Loi sur la Banque du Canada, pour le plus grand bien de tous nos concitoyens.

Le sénateur Yussuff : Mon dernier point concerne la nécessité de reconnaître et de maintenir la confiance des Canadiens envers l’institution si nous devions changer les objectifs stratégiques pour avoir un double mandat. Compte tenu de l’expérience américaine en la matière, pensez-vous qu’il y a une compréhension générale de la façon dont cette approche a bien servi les États-Unis et, surtout, de la façon dont cela pourrait être avantageux pour le Canada, sachant que nous sommes toujours figés dans le passé et que les Américains ont pris une nouvelle direction depuis un certain temps? Il me semble que le double mandat a bien servi leur économie ainsi que les intérêts de leurs citoyens, et ce, d’une façon très profonde. Force est donc d’admettre que le double mandat correspond, dans une large mesure, à la réalité moderne de l’économie.

M. Fortin : Oui. Tout d’abord, l’expérience des États-Unis concernant le double mandat leur a permis d’obtenir de meilleurs résultats en matière de chômage et d’inflation que le Canada jusqu’à environ l’an 2000.

Depuis 2000, la Banque du Canada se dirige de plus en plus vers un double mandat. Ce n’est pas inscrit dans la loi, mais la banque a emprunté cette voie; elle a fait preuve d’une plus grande souplesse que lors de la période précédente pour tenir compte de l’emploi.

Dans ce nouvel environnement, depuis 2000, le Canada s’en est tiré aussi bien que les États-Unis au chapitre de l’emploi et de l’inflation, ce qui est un argument de plus en faveur du double mandat de la banque parce que nous en avons déjà fait l’expérience et parce que cela donne de bons résultats, même si la Loi sur la Banque du Canada ne nous oblige pas à remplir un double mandat.

Qu’en est-il des tarifs qui pourraient être imposés par le nouveau gouvernement des États-Unis? Je dirais qu’il s’agit là d’un autre argument persuasif pour permettre au taux de change du dollar canadien de fluctuer par rapport au dollar américain en fonction des besoins de l’économie canadienne afin de s’adapter à l’imposition, disons, d’un tarif de 10 % sur tout ce que nous exportons aux États-Unis. Sans cette souplesse, si le taux de change a un cours fixe par rapport au dollar américain, notre économie ne disposerait pas de la marge de manœuvre nécessaire pour s’adapter aux chocs tarifaires.

La Grèce, l’Italie, l’Espagne, l’Irlande et le Portugal, par exemple, ont dû faire face à cette situation en 2010 et 2013, lorsqu’ils ont subi de grands chocs macroéconomiques sans pouvoir modifier leurs taux de change parce qu’ils étaient tous liés à l’euro. La flexibilité du taux de change est cruciale si nous voulons continuer à mettre l’accent sur une inflation stable à environ 2 % ou peut-être 3 %, si telle est notre volonté. Ce serait toutefois une décision que le gouvernement et la banque devraient prendre eux-mêmes.

La présidente : Je vous remercie. Pour faire suite à cette discussion, vous avez parlé d’évaluation du rendement, ce qui est une manière intéressante d’exprimer les choses, et cette évaluation serait menée en quelque sorte par les parlementaires, tant à la Chambre qu’au Sénat, dans le cadre d’un processus public.

J’ai deux questions à ce sujet. M. Galbraith a laissé entendre que la transparence elle-même — le caractère public de ces questions — rend la banque plus responsable et plus redevable. Cependant, je me demande ce que vous proposeriez comme conséquences si, d’une manière ou d’une autre, la banque, de l’avis des parlementaires ou de la population, ne respectait pas ces exigences?

M. Fortin : Cela nécessiterait une analyse, non seulement de la part d’experts, mais aussi de la part de gens bien informés qui sont nos représentants élus, afin d’examiner l’évolution du chômage et de l’inflation au cours des dernières années. Un indicateur très connu serait tout simplement l’addition des deux taux, soit le taux de chômage et le taux d’inflation. On additionne les deux, et la somme des deux s’appelle l’indice de misère. Nous le devons à l’économiste américain Arthur Okun, qui était conseiller des présidents Kennedy et Johnson.

Nous pourrions ensuite examiner cet indice et dire : « Eh bien, oui, c’est quelque chose qui mérite d’être examiné ». Le rendement devrait être mesuré. Certains voudraient donner plus de poids au chômage et d’autres, à l’inflation.

L’avantage d’inscrire le double mandat dans la loi, c’est non seulement le fait d’ajouter l’objectif de réduire au minimum le chômage, mais aussi le fait de veiller à ce qu’aucune autorité politique à l’avenir ne puisse renoncer à l’objectif de réduire au minimum l’inflation. Autrement dit, il s’agit de protéger l’inflation et le chômage — pas seulement le chômage; les deux doivent être les objectifs poursuivis par la Banque du Canada.

Est-ce que je me débrouille bien en anglais?

La présidente : C’était excellent. Vraiment, vous dites — et cela s’aligne à ce que M. Galbraith disait aussi — qu’il s’agit d’une sorte de lumière du soleil? C’est une exposition qui maintient la pression sur la Banque du Canada pour que ses politiques tiennent compte des besoins de la population canadienne, et pas seulement à l’intérieur de la banque ou même par l’intermédiaire des dirigeants politiques?

M. Fortin : Absolument. L’enchâssement de ce double mandat dans la Loi sur la Banque du Canada n’est pas une proposition partisane. Vous savez sans doute que Jamie Galbraith est un gauchiste. L’honorable madame Bellemare est une centriste. Auparavant, elle était proche du NPD, mais plus tard, elle a été la principale conseillère économique du parti conservateur provincial au Québec, qui était l’Action démocratique du Québec, ou ADQ. Elle est au centre. Elle a des entrées dans les deux camps.

Ma position est plus conservatrice que celle de ces deux personnes. Mon grand-père a été sénateur dans les années 1930, et député avant cela. C’est toujours avec émotion que je me présente devant votre comité. Ce grand-père était un député conservateur. Bien sûr, dans les années 1930, les nominations étaient faites par R.B. Bennett.

La présidente : Ce contexte est en fait très important, et je vous en remercie. Nous aurons deux questions rapides, car notre temps est presque écoulé.

Le sénateur Loffreda : Merci, professeur, d’être ici une fois de plus. Ma question porte sur la coordination des politiques fiscales et monétaires. À votre avis, à quel point la coordination entre la politique fiscale et la politique monétaire est-elle essentielle pour atteindre la stabilité économique? À l’heure actuelle, le Canada a-t-il trouvé le bon équilibre? Dans votre déclaration liminaire, vous avez parlé de transparence, de confiance et d’estime, et vous n’avez pas trop insisté sur l’indépendance. J’aimerais savoir ce que vous en pensez.

M. Fortin : C’est toujours vous qui posez les questions les plus difficiles, mais sachez que cela me plaît. Bien sûr, le gouvernement et la Banque du Canada doivent discuter chaque semaine. Je ne sais pas si c’est encore la coutume, mais le gouverneur de la Banque du Canada avait l’habitude de rencontrer le ministre des Finances tous les mercredis. Je ne sais pas si c’est toujours le cas. Qu’en est-il à l’heure actuelle? Je ne sais pas quoi penser de cela.

Il se peut qu’en raison de l’ampleur du déficit — qui devrait être réduit à l’heure actuelle —, le gouvernement prenne cette direction, car plus le déficit est élevé, plus les taux d’intérêt qui seront imposés aux emprunts du gouvernement sur les marchés internationaux seront élevés eux aussi. Une gestion budgétaire plus prudente de la part du gouvernement contribuerait à faire baisser les taux d’intérêt au Canada, en particulier les taux d’intérêt à long terme.

En même temps, il serait possible pour la banque centrale, la Banque du Canada, d’abaisser les taux d’intérêt plus rapidement qu’elle ne l’a fait jusqu’à présent.

La présidente : Je ne suis pas sûr qu’il l’ait dit...

M. Fortin : C’est tout. Je ne peux pas aller plus loin.

La présidente : Oui. Non, non. Je ne sais pas si le gouverneur l’a dit au déjeuner, mais il a dit dans des discours publics qu’il aimerait que le gouvernement adopte ce comportement.

Le sénateur Gignac : Je vais essayer d’avoir une question beaucoup plus facile que celle de mon collègue, qui a la réputation d’être un fauteur de troubles. Non.

Le sénateur Massicotte : C’est quand même un chic type.

Le sénateur Gignac : C’est un chic type.

Monsieur Fortin, puisque vous êtes ici, nous avons trois points dans notre étude spéciale. Le troisième point est assez technique et concerne la façon dont on mesure l’inflation sous-jacente. La Banque du Canada utilise depuis 15 ans un indicateur — l’indice des prix à la consommation de référence, ou IPCX — qui a été modifié et qui est maintenant inversé. Or, je remarque que d’autres banques centrales, comme la banque centrale de Suède, n’ont qu’un seul indicateur pour l’inflation sous-jacente, c’est‑à‑dire l’inflation globale sans l’impact des taux d’intérêt. Pourquoi? Parce que la banque centrale décide des taux d’intérêt. Il est normal d’exclure cet élément. Je suis curieux de connaître votre point de vue à ce sujet. Avez-vous des idées quant à la possibilité qu’il y aurait de modifier l’indicateur qui sert à mesurer l’inflation sous-jacente?

M. Fortin : Je suis tout à fait d’accord avec la Sveriges Riksbank, la banque centrale de Suède, qui a décidé d’exclure les coûts des intérêts hypothécaires de la cible d’inflation qu’elle va viser. La raison en est que cette composante de l’indice des prix à la consommation — les coûts des intérêts hypothécaires — peut être augmentée ou diminuée directement et très rapidement par les interventions de la banque centrale. L’indice des prix à la consommation considéré sans les coûts des intérêts hypothécaires est l’indicateur qui mesure le véritable état de l’économie, car il n’est pas lié à ce que fait la banque centrale.

J’estime logique — et les Suédois sont connus pour être des gens sobres et sensés — d’exclure cette composante de l’indice des prix à la consommation. Je crois donc que la banque a raison de vouloir continuer à utiliser l’indice des prix à la consommation comme point de référence pour sa cible en matière d’inflation.

La présidente : Monsieur Fortin, merci d’être là pour nous aujourd’hui. Vos idées et votre grandes connaissances sur ce sujet nous sont très utiles. M. Pierre Fortin, professeur émérite de sciences économiques à l’Université du Québec à Montréal.

Pour le prochain segment de la réunion d’aujourd’hui, nous avons le plaisir d’accueillir John Greenwood, OBE, SBS, économiste en chef, International Monetary Monitor.

Monsieur Greenwood, je crois comprendre que vous avez une déclaration liminaire à nous livrer. Vous avez donc la parole.

John Greenwood, OBE, SBS, économiste en chef, International Monetary Monitor, à titre personnel : Merci, sénatrice Wallin. Bonjour à tous. Au cours des dernières décennies, les gouvernements ont donné un objectif aux banques centrales et, de façon générale, cet objectif concernait l’inflation. Sauf que les gouvernements ont laissé carte blanche aux banques quant à la façon d’atteindre cet objectif. Au Canada, c’est ce que l’on appelle le cadre flexible de ciblage de l’inflation, qui sert de point d’ancrage interne pour stabiliser les prix. Dans certains pays, la politique est différente. Je connais bien Hong Kong et Singapour qui ont un ancrage externe, c’est-à-dire un taux de change fixe ou administré. C’est une solution idoine lorsqu’il s’agit d’une très petite économie ouverte où il y a beaucoup de mouvements de capitaux. Comme vous l’avez entendu lors de la dernière séance, la plupart des économistes ne pensent pas que cela conviendrait au Canada. Non, pour un pays comme le Canada, c’est un régime de taux de change flottant qui convient le mieux.

À mon avis, il n’y a aucune raison pour que le Canada renonce au ciblage de l’inflation. Si j’ai bien compris, l’examen de la politique monétaire des dernières années a permis d’ajouter un objectif supplémentaire, soit celui d’atteindre le niveau maximum d’emplois durables. Je n’y vois pas d’objection. Je ne vois pas non plus de raison de remettre en question l’adoption d’une cible précise en matière d’inflation, soit ce 2 % mesuré par l’indice des prix à la consommation, avec une fourchette de contrôle de 1 à 3 %. Cette structure ne pose aucun problème.

Cependant, à la lumière de l’expérience réelle du Canada en matière d’inflation pendant et après l’épisode de la COVID, le ciblage de l’inflation a, au minimum, déraillé. On pourrait aussi dire qu’il a lamentablement échoué.

Dans ma déclaration liminaire que les greffiers distribueront par la suite, je détaille les raisons de cet écart de l’inflation par rapport à la fourchette cible, ainsi que des changements qu’il conviendrait d’apporter aux lignes directrices ou aux exigences opérationnelles de la Banque du Canada pour faire en sorte qu’une telle situation ne se reproduise plus à l’avenir. J’esquisserai très brièvement ces deux points.

La raison prédominante de l’inflation donnée par le consensus des économistes est qu’elle est due à toute une série de chocs externes provoqués par la pandémie et exacerbés par le début de la guerre en Ukraine. Ce point de vue pose de nombreux problèmes et je pense qu’il est erroné. L’un des problèmes que pose la thèse des chocs externes est que les prix des actifs tels que le cours des actions ou le prix des logements ont commencé à augmenter au milieu de l’année 2020, c’est-à-dire bien avant toute forte hausse des prix des biens de consommation. Cela signifie que la flambée des prix a été causée par autre chose. Deuxièmement, les marchés individuels qui ont connu des hausses de prix — comme les puces informatiques, les voitures d’occasion ou les produits de base — sont des marchés qui sont fonction de ce que nous appelons les prix relatifs. Ce ne sont pas eux qui peuvent justifier ou expliquer une hausse des prix généralisée.

Si je dois dépenser plus pour l’essence, j’ai moins d’argent à dépenser ailleurs. Si nous appliquons cela à l’ensemble de l’économie, ce qui se passera, c’est que si le prix de l’essence augmente, d’autres prix seront forcés de baisser un tout petit peu. Cet argument ne tient donc tout simplement pas la route.

Le troisième problème que pose le scénario de la perturbation des chaînes d’approvisionnement à l’origine de l’inflation mondiale est que de nombreux pays, notamment le Japon, la Suisse, la Chine, l’Inde et l’Indonésie, n’ont pas connu de hausse significative de l’inflation, alors que ces pays étaient exposés exactement aux mêmes perturbations de l’approvisionnement que le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, la zone euro, etc. Il nous faut donc trouver une autre explication.

Mon explication est que les politiques adoptées par la Banque du Canada, la Banque de réserve de l’Australie, la Banque de réserve de la Nouvelle-Zélande, la Fed, la Banque d’Angleterre, la Banque centrale européenne, ou BCE, etc., et en particulier les politiques d’assouplissement quantitatif, ont créé une grande quantité d’argent qui s’est finalement traduite par un taux d’inflation beaucoup plus élevé. Le profil de l’inflation a donc évidemment suivi les différents marchés. Si les prix du pétrole augmentaient, l’inflation mondiale semblait augmenter elle aussi. Ce qui a validé ou permis cela, c’est la croissance rapide de l’argent disponible.

Il convient probablement de faire une petite parenthèse pour dire qu’après la crise financière mondiale de 2008 et 2009, un certain nombre de pays ont adopté l’assouplissement quantitatif. Leurs banques centrales ont gonflé rapidement leurs bilans, mais cela n’a pas eu d’effet inflationniste. Comment se fait-il alors que l’assouplissement quantitatif appliqué lors de la COVID ait créé de l’inflation, alors qu’il n’en avait pas créé la fois précédente?

La réponse est que, la plupart du temps, les banques commerciales créent de la monnaie en accordant des prêts. Lorsqu’elles accordent un prêt, elles créditent le compte de dépôt de l’emprunteur. Au moment de la crise financière mondiale, les bilans des banques commerciales avaient gravement été mis à mal par les pertes subies sur le marché des prêts hypothécaires à risque et les pertes sur les titres liés au marché du logement. C’est ce qui s’est produit, en gros, c’est que les banques se sont retirées du marché des prêts. Aux États-Unis, par exemple, les prêts bancaires ont diminué de près de mille milliards de dollars. Si cela avait eu une incidence sur le taux de variation de la valeur de l’argent, cela aurait conduit à une chute brutale de la quantité d’argent en circulation similaire à ce qui s’est passé lors de la Grande Dépression des années 1930.

La présidente : Monsieur Greenwood, je vais vous demander de conclure, car nous attendons tous votre évaluation. Cela dit, nous allons d’abord devoir passer bientôt à nos questions.

M. Greenwood : Bien sûr. Mon deuxième point est qu’afin d’empêcher une telle croissance de la monnaie à l’avenir, il serait probablement approprié d’ajuster le mandat pour faire en sorte que le pouvoir discrétionnaire exagéré des banques centrales soit encadré. La façon que je préconise serait d’imposer l’équivalent monétaire d’un frein à l’endettement budgétaire. Vous auriez une limite à la hausse de, disons, 10 % sur la croissance de l’argent disponible au sens large et une limite à la baisse de 2 % sur la croissance de l’argent disponible au sens large. Cela aurait pour effet de limiter soit la croissance excessive, soit la croissance inadéquate de l’argent en circulation, mais tout en permettant de ne pas dévier de la cible en matière d’inflation. Cela permettrait aussi de garder le cap sur l’objectif optimal en matière d’emplois durables, sauf qu’il y aurait ce frein monétaire supplémentaire. Les résultats nets à long terme seraient très avantageux pour le Canada. Merci.

La présidente : Nous allons revenir sur ces questions. Ce que vous nous dites est très utile, et nous ferons circuler vos observations. Nous l’avons déjà fait en ligne.

Commençons les questions. Le premier intervenant est notre vice-président, le sénateur Loffreda.

Le sénateur Loffreda : Merci, monsieur Greenwood, d’être ici avec nous ce matin. Votre analyse globale m’impressionne. Ma question porte sur la comparaison avec les autres pays. Comment l’approche du Canada en matière de politique monétaire se compare-t-elle à celle d’autres économies avancées? Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet? Aussi, quelles leçons pouvons-nous tirer de ces comparaisons pour améliorer l’efficacité de notre politique monétaire? Vous avez mentionné le Japon, la Suisse et l’Indonésie qui n’ont pas d’inflation. Sans m’étendre sur le sujet ou répéter tout ce que vous avez dit jusqu’ici, j’ai trouvé vos observations très perspicaces. La question est de savoir comment nous pouvons en tirer des leçons.

M. Greenwood : La plupart des banques centrales adoptent des formules très similaires de ciblage de l’inflation pour leurs opérations quotidiennes, mais, dans la pratique, ces banques centrales n’ont pas réagi à la COVID en augmentant rapidement la taille de leurs bilans. Dans certains cas, c’est parce qu’elles n’en voyaient pas la nécessité. Je dirais que c’est ce qui s’est produit en Chine et en Indonésie. Au Japon, il y a eu un léger assouplissement par le truchement de prêts bancaires plutôt que par un assouplissement quantitatif. En Suisse, je ne sais pas exactement comment ils ont procédé.

Les raisons étaient différentes, mais l’essentiel, c’est que le fait de s’abstenir d’avoir recours à l’assouplissement quantitatif a fait en sorte que le taux de croissance de la monnaie dans ces pays ne s’est pas accéléré comme cela a été le cas aux États‑Unis, au Canada, dans la zone euro, au Royaume-Uni, en Australie, etc.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie. Vous avez également abordé rapidement la question de la masse monétaire. Vous soutenez qu’il faut la contenir en imposant une limite à sa hausse, etc. Quelles leçons pouvons-nous tirer de ce qui est arrivé? Un coup d’œil à la stratégie de la politique monétaire au Canada — la masse monétaire en fait partie — nous permet de constater qu’elle n’a pas été un grand succès pour de nombreuses raisons. Vous connaissez les raisons aussi bien que moi. Il suffit de considérer les leçons que nous pouvons tirer de notre histoire. Qu’en pensez-vous? Êtes-vous vraiment favorable à la création d’une limite à la hausse pour la masse monétaire?

M. Greenwood : Je ne pense pas que les banques centrales disposent des outils nécessaires pour gérer la masse monétaire de mois en mois, et encore moins de semaine en semaine. Je suis donc loin de proposer un objectif à court terme consistant à maintenir la masse monétaire sur une trajectoire de croissance étroite. Je ne pense pas que cela soit faisable ou souhaitable. Il reste que si vous regardez ce qui s’est passé ailleurs dans le monde, vous ne trouverez pas d’exemple de taux d’inflation élevé et durable qui n’ait pas été précédé d’une croissance rapide de l’argent en circulation.

À mon avis, ce qui s’est passé au cours des deux ou trois dernières décennies, c’est que les banques centrales ont cessé de considérer l’argent en circulation comme un indicateur macroéconomique. Par conséquent, comme je l’ai expliqué dans ma déclaration liminaire, lorsqu’il y a eu un besoin de liquidités supplémentaires au début de la crise COVID, les banques centrales ne se sont pas souciées de la quantité d’argent qu’elles créaient. Elles se sont empressées d’augmenter la quantité d’argent en circulation grâce à des opérations d’assouplissement quantitatif. S’en est suivi une forte croissance de la masse monétaire dans le monde entier, sauf dans les pays que j’ai cités.

Il est prouvé que si vous laissez l’argent se créer en trop grande quantité, vous nourrissez l’inflation. Je ne dis pas que vous allez maîtriser l’inflation à court terme, car de nombreux facteurs influencent l’inflation à court terme. Ce que nous savons à partir d’un certain nombre d’exemples, c’est qu’avec une croissance de la monnaie modérée et régulière, vous évitez les problèmes d’inflation.

Le sénateur Loffreda : Je vous remercie. Un vieux proverbe dit que l’argent est comme l’oxygène; si vous en avez trop, vous risquez d’être étourdi; si vous n’en avez pas assez, vous risquez de suffoquer à mort.

M. Greenwood : Oui, je suis d’accord avec ce proverbe.

La sénatrice Ringuette : J’aimerais aborder un instant la situation économique du Japon, et notamment son faible taux d’inflation après COVID. Si j’ai bien compris, la façon dont le gouvernement japonais a géré une inflation potentiellement élevée est principalement due au fait qu’il existe un organisme central qui achète les produits pétroliers nécessaires aux citoyens du pays et qui les revend à un prix raisonnable et peu inflationniste. Voilà ce que j’ai compris, à moins que vous n’ayez d’autres renseignements à nous communiquer concernant le Japon.

M. Greenwood : J’ai vécu au Japon pendant quatre ans et j’y ai étudié l’économie. Non, le Japon n’a pas de régime général de fixation des prix par le gouvernement. Il s’agit d’une économie de marché ouverte, très semblable à celle du Canada, et le prix de l’énergie, comme celui de nombreux autres produits de base, est libre de varier sur les marchés privés. Bref, le gouvernement japonais n’est absolument pas dans une logique de fixation des prix.

L’inflation au Japon est demeurée faible parce que la croissance monétaire au Japon a elle aussi été particulièrement faible. À mon avis, elle a même été trop faible, mais il s’agit là d’un tout autre enjeu. Mais en maintenant une faible croissance monétaire, ils ont eu un taux d’inflation durablement bas, et c’est vraiment l’histoire des 25 ou 30 dernières années au Japon.

Le sénateur Gignac : Je tiens à remercier tous nos invités d’aujourd’hui. Nous avons beaucoup de chance de pouvoir compter sur vous.

Puisque vous êtes témoin, je voudrais vous interroger sur un autre aspect. Pensez-vous que les gouvernements et les banques centrales utilisent suffisamment d’outils macroprudentiels d’atténuation? En effet, en cas de choc d’offre, il est peut-être préférable d’utiliser des mesures macroprudentielles plutôt que la seule politique monétaire pour lutter contre l’inflation. Pourriez-vous nous en dire un peu plus à ce sujet, si possible? Je vous remercie.

M. Greenwood : Oui, je pense que j’ai raison de dire que les outils macroprudentiels sont principalement utilisés pour limiter la croissance de la dette et empêcher les bilans de devenir trop tendus. J’ai également vécu à Hong Kong pendant de nombreuses années, et Hong Kong a été un pionnier dans l’utilisation de limites d’endettement par rapport aux revenus pour les prêts hypothécaires, et également des limites sur les ratios prêt/valeur pour les prêts hypothécaires. Ce type de mesures sont donc très souhaitables pour empêcher les secteurs individuels de s’endetter. La plupart des crises financières ont pour origine l’effet de levier. Si vous empêchez l’accumulation de l’effet de levier, vous n’aurez pas de crise.

Lors de la crise financière mondiale, c’est le secteur financier et le secteur des ménages qui se sont endettés. Si les outils macroprudentiels avaient été utilisés plus largement, ces niveaux d’endettement n’auraient pas été aussi élevés. Les outils macroprudentiels sont utiles de ce point de vue, c’est-à-dire pour limiter l’effet de levier, mais la dette et l’argent sont deux choses différentes, et les outils macroprudentiels n’empêchent pas la croissance excessive de l’argent.

Le sénateur Gignac : En clair, si je comprends bien, il s’agit davantage d’un outil de prévention de l’inflation des prix des actifs que d’un outil réellement utile pour surveiller l’inflation des biens et services ou pour prévenir l’inflation des biens et services. Il s’agit davantage d’un risque pour le prix des actifs que pour les biens et services. Ai-je bien compris?

M. Greenwood : Oui, je suis d’accord avec cette interprétation. Les outils macroprudentiels sont donc appliqués aux bilans des banques pour les prêts, et une grande partie des prêts des banques est destinée à l’achat d’actifs. Vous avez donc raison.

La présidente : J’aimerais revenir sur le point que vous avez soulevé dans vos remarques préliminaires et que vous avez également exposé dans votre présentation officielle, à savoir que ce qui a stimulé l’inflation n’était pas le résultat de tous ces chocs externes supposés, mais, en réalité, les achats massifs de titres d’État par la Banque du Canada ou l’impression d’argent pour financer les dépenses massives du gouvernement, et cela n’a pas cessé de s’amplifier. Dans le cadre de notre évaluation du mandat de la Banque du Canada et des contraintes, des restrictions et de la transparence qui nécessaires, quels mécanismes pourriez-vous suggérer pour qu’à l’avenir, la Banque du Canada puisse indiquer au gouvernement de ralentir le rythme de ses dépenses, et donc la pression inflationniste? Comment la Banque du Canada peut-elle agir tout en conservant sa précieuse indépendance par rapport à la sphère politique?

M. Greenwood : Il y a un certain nombre, pas beaucoup, mais un certain nombre de cas où la dette publique a augmenté rapidement, mais où la banque centrale n’a pas acheté cette dette, et le Japon en est un bon exemple. Ces dernières années, le Japon a enregistré d’énormes déficits budgétaires, et possède le ratio de la dette publique brute au PIB le plus élevé au monde, soit plus de 260 %. En revanche, l’ensemble de cette dette a été financée sur les marchés, c’est-à-dire par les institutions financières, les épargnants, les fonds souverains, et ainsi de suite. Ce qui est important de comprendre, c’est que la Banque du Canada a le pouvoir discrétionnaire ou l’indépendance d’éviter de financer directement les dépenses du gouvernement. En gros, tant que la Banque du Canada n’achète pas ce genre de titres, et que son bilan ne s’accroît pas très rapidement, les titres émis par le gouvernement devront être achetés par des institutions non bancaires et par des institutions d’épargne. Par ailleurs, tant que cette situation particulière perdure, la dette en elle-même ne sera pas inflationniste. Bref, ce sont les dépenses du gouvernement qui génèrent de l’inflation, et non l’endettement.

La présidente : Mais dans cette circonstance, et nous ne nous en souvenons que trop bien, il s’agissait pour le gouvernement d’expliquer à la population qu’il ignorait combien de temps cette crise allait durer. Le gouvernement a été forcé d’agir rapidement, et il a jugé nécessaire de distribuer des chèques aux Canadiens et de subventionner tel ou tel programme. Lorsqu’un pays se retrouve plonger en situation de crise, le gouvernement doit prendre des mesures d’urgence, et il est très difficile dans ce contexte de mettre en place un système adéquat de freins et de contrepoids.

M. Greenwood : En effet, et j’ai une réponse à ce problème, qui se trouve également dans mon document qui a été distribué à tous mes collègues. Si la banque centrale, la Banque du Canada en l’occurrence, s’était concentrée sur l’injection de liquidités par l’achat ou la mise en pension d’instruments à court terme, d’une durée d’un, trois ou six mois, l’argent aurait été injecté, mais tous ces titres seraient arrivés à échéance et auraient été retirés du bilan de la Banque du Canada. Au lieu de cela, la Banque du Canada a acheté, dans une très large mesure, des titres à long terme du gouvernement canadien, de sorte que, premièrement, les titres sont restés dans le bilan de la Banque du Canada et, deuxièmement, l’argent ainsi créé est resté dans les mains du public, et c’est ce qui a produit l’inflation.

La présidente : Donc si je comprends bien, le gouvernement fédéral disposait des outils nécessaires pour juguler l’inflation, mais il ne les a pas utilisés?

M. Greenwood : Je pense que c’est effectivement le cas. À mon avis, le gouvernement aurait pu s’inspirer du modèle de la Banque d’Angleterre à de nombreuses occasions au XIXe siècle lorsqu’il y avait une panique sur les marchés monétaires, comme ce fut le cas en mars 2020, et que la Banque d’Angleterre a injecté de l’argent puis l’a retiré au bout de quelques mois. Comme le délai entre l’impression de monnaie et l’inflation est d’environ un an et demi à deux ans, si vous retirez l’argent dans un délai assez court, cela ne créera pas d’inflation.

La présidente : C’est très intéressant, je vous remercie.

Le sénateur Yussuff : Je vous remercie, madame la présidente. Monsieur Greenwood, pendant la crise de 2008, l’un des facteurs que tous les banquiers centraux essayaient de gérer était, bien entendu, de savoir comment faire tourner l’économie, et l’assouplissement quantitatif s’est avéré la pierre angulaire de leurs efforts pour s’assurer que l’économie ne s’effondre pas. Il n’a pas généré le niveau d’inflation que nous avons connu lors de la crise de la COVID. L’assouplissement quantitatif a donc parfois été utilisé avec succès pour gérer, bien entendu, le défi que les banques centrales essayaient d’aider à gérer avec les gouvernements. Il me semble, à moins que je ne me trompe complètement, que nous avons eu un effet différent en 2008 par rapport à ce que nous avons eu dans la crise la plus récente avec la COVID.

M. Greenwood : J’ai tenté de l’expliquer très brièvement dans mes remarques préliminaires. Pardonnez-moi si je me répète, mais il y avait un besoin de liquidités dans les deux situations. Dans le cas de la crise financière mondiale, les banques elles-mêmes étaient en difficulté et se sont donc abstenues de prêter. Il incombait aux banques centrales, si l’on peut dire, d’imprimer de l’argent pour permettre à l’économie de continuer à croître. Mais durant la crise de la COVID, les banques étaient en bonne santé et, dans un certain nombre de pays, elles ont prêté pendant la récession. C’est certainement ce qu’elles ont fait aux États-Unis. Mais comme les banques étaient en bonne santé financière, et prêtes à prêter et à imprimer de l’argent à un rythme normal, l’injection de fonds supplémentaires provenant de la banque centrale a alimenté une croissance excessive de la masse monétaire, ce qui a aggravé l’inflation. À mon avis, voilà en gros la différence entre le contexte de la crise financière mondiale, et la pandémie.

La présidente : J’aimerais simplement revenir sur ce point. Je sais que vous l’avez expliqué dans votre document, mais j’aimerais vous entendre sur le suivi de ma propre question. Vous avez indiqué que la Banque du Canada a le devoir d’utiliser une sorte de « frein monétaire » lors de situations de crise bien précises. Dans quelle mesure cela pourrait-il être détaillé afin que les gouvernements, les différentes institutions financières, et la population en générale sachent à quel moment la banque devrait et pourrait utiliser le frein monétaire?

M. Greenwood : Je pense qu’il faudrait le préciser en même temps que l’objectif d’inflation et l’exprimer en termes de quantité de monnaie la plus large possible. Cela n’a pas de sens d’utiliser le bilan de la Banque du Canada, qui n’est pas utilisé comme monnaie par la grande majorité des acteurs de l’économie; et cela n’a pas de sens d’utiliser quelque chose comme une définition étroite de la monnaie parce que les gens peuvent transférer de l’argent de dépôts à vue non rémunérés à des dépôts rémunérés. Il faut donc utiliser la mesure la plus large de la monnaie, qui donne également la meilleure relation avec le PIB mesuré en dollars courants.

Tout comme la population comprend que l’objectif d’inflation est de 2 %, il commencera également à apprendre que la croissance monétaire est soumise à ces limites générales, j’ai suggéré de fixer un objectif entre 2 % et 10 %, mais je comprends parfaitement que d’autres intervenants puissent avoir un avis divergent.

La présidente : C’est très bien. C’est très utile. Vous voudriez que cela fasse partie du mandat et que cela soit énoncé aussi clairement qu’un objectif d’inflation ou un objectif d’emploi.

M. Greenwood : Oui, parce que les responsables de la banque centrale doivent rendre des comptes à ce sujet, et justifier chacune de leurs décisions majeures.

La présidente : C’est très bien. Je vous remercie, votre témoignage s’est avéré particulièrement instructif, ce qui est sincèrement apprécié. J’ai conscience qu’il s’agit d’un sujet difficile à cerner, mais nous nous efforçons d’être explicites par rapport à nos conseils et à nos réflexions à ce sujet, et vous nous avez vraiment donné beaucoup de matière à penser aujourd’hui. Merci beaucoup d’être avec nous aujourd’hui, monsieur Greenwood. Je sais que vous avez déjà témoigné devant nous, et nous l’apprécions toujours. Monsieur l’économiste en chef au sein de l’International Monetary Monitor, merci de nous avoir accordé votre temps.

M. Greenwood : Je vous remercie.

La présidente : Chers collègues, voilà qui conclut notre réunion d’aujourd’hui.

(La séance est levée.)

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